M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous savons bien que, ces derniers jours, un soutien politique a été accordé à la Grèce, et qu’une certaine mobilisation s’est produite pour qu’elle tienne et pour que les marchés cessent de l’attaquer. Est-ce suffisant, monsieur le ministre ? Je crois que l’on peut très sérieusement se poser la question.

La politique monétaire n’est plus aujourd’hui un instrument d’ajustement à la disposition des États. La marge de manœuvre de la Banque centrale européenne est fortement affaiblie par le fait que les taux d’intérêt sont à un niveau historiquement bas. Par ailleurs, les marges de manœuvre budgétaires sont réduites par les interrogations sur la soutenabilité des finances publiques qu’expriment les marchés, les analystes, les agences de notation.

Tout cela se traduit par un renchérissement du coût de la dette pour les États perçus comme les plus fragiles. La semaine dernière, c’est la Grèce qui en a fait les frais ; mais personne ne peut imaginer l’enchaînement de circonstances fortuites qui peut conduire, d’ici à quelque temps, à mettre tel ou tel autre État de la zone euro sur la sellette.

Lorsque j’ai eu l’occasion, au nom de la commission, de me rendre dans certains des nouveaux États membres de l’Union européenne, j’y ai vu intervenir de concert – c’est en particulier le cas de la Lettonie – le Fonds monétaire international et l’Union européenne, avec les mêmes méthodes et des moyens d’intervention coordonnés.

Mais, bien entendu, à l’intérieur de la zone euro, l’intervention du FMI est un sujet tabou ; elle serait d’ailleurs difficile à imaginer. Pourtant, qu’est-ce qui distingue fondamentalement, sur le plan de l’économie réelle, la Grèce, la Roumanie, la Hongrie et les pays baltes ?

Dans ce contexte, monsieur le ministre, la gouvernance économique de la zone euro est un sujet incontournable. Nos gouvernants vont avoir à traiter le problème essentiel des règles du jeu de la zone euro. Est-il possible, aujourd’hui, d’entretenir la fiction selon laquelle les Vingt-Sept auraient tous vocation à entrer dans la zone euro un jour ou l’autre ? Nous vivons toujours dans cette idée, bien que nous sachions désormais qu’il s’agit d’une fiction, et que les États ayant l’euro en partage ne disposent pas des institutions qui leur permettraient véritablement de faire face aux circonstances. Au titre du contexte, ce point me paraît essentiel.

Permettez-moi de m’attarder un instant sur la question monétaire. Mes chers collègues, la dépréciation de l’euro que l’on a vu se concrétiser récemment sur les marchés est une bonne nouvelle pour la France ! Qu’il me suffise de rappeler que, transposée sur une année pleine, une dévalorisation de 10% de l’euro par rapport à toutes les autres monnaies, c’est 0,7 point de croissance supplémentaire.

Bien entendu, cette hypothèse favorable, dont nul ne sait quelle est la réalité, est contrebalancée par un autre élément qui risque d’être beaucoup plus défavorable, je veux parler du regard porté par les marchés sur le redressement de nos finances publiques.

Nous sommes véritablement au cœur de ces contradictions. Et cette sortie de crise, monsieur le ministre, va être l’épreuve de vérité pour nos finances publiques. D’où le caractère très important du texte que nous examinons. S’il est signal de laxisme, il desservira la France. S’il nous permet, au contraire, de mieux nous organiser pour faire face aux investissements d’avenir, de créer des procédures transparentes, d’assurer une convergence réelle vers le respect des règles auxquelles nous avons souscrit, peut-être ce texte aura-t-il alors un rôle vertueux.

Le programme triennal de stabilité que vous venez, monsieur le ministre, de transmettre à Bruxelles comme en chaque début d’année est particulièrement volontariste. J’oserai dire que, même si aucun des précédents n’a été respecté – et loin s’en faut ! –, nous n’avons pas le droit à l’erreur pour celui-ci, compte tenu du contexte que je viens d’évoquer.

En effet, nous avons un beau crédit. Nous sommes crédibles. Les conditions de notre dette sont attractives. Mais tout cela ne repose que sur de la psychologie ! Le rapport de la dette sur le produit intérieur brut, l’envolée du déficit et notre incapacité à obtenir que la dépense publique augmente de moins de 2 % en volume par an ces dernières années militeraient effectivement plutôt pour des appréciations mitigées.

Or, Dieu merci, les appréciations portées sur nous jusqu’à présent sont plutôt valorisantes et bienveillantes. À nous de les mériter. Je crois que c’est en particulier à vous, monsieur le ministre, qu’il incombe de faire en sorte que ces réalités-là ne soient pas oubliées.

Nous espérons que votre détermination à faire respecter les chiffres contenus dans le programme de stabilité est totale. Ces chiffres doivent permettre, au prix d’économies de dépense lourdes, douloureuses, d’aboutir à un déficit de 3 % du produit intérieur brut à l’horizon 2013. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

Je terminerai sur cet aspect en rappelant l’importance des règles du jeu. Que ces règles soient constitutionnalisées ou intégrées dans la loi organique ne peut pas faire de mal ; mais cela ne saurait se substituer à une volonté active, qui se prouve chaque jour dans la réalité de la gestion. En tout cas, un objectif en termes de solde, exprimé par des règles simples, que l’on ne puisse pas – ou plus – manipuler au gré des circonstances, est évidemment essentiel à notre crédibilité. Aujourd’hui encore plus qu’hier nous avons un besoin impérieux de crédibilité.

J’en viens maintenant aux paradoxes du projet de loi de finances rectificative. Ce texte, monsieur le ministre, est une sorte de Janus : d’un côté, il accroît le déficit de 31,6 milliards d’euros, il alourdit de 27% le déficit que nous venons tout juste de voter dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2010 ; de l’autre côté, il me paraît porteur de quelques évolutions que j’oserai qualifier de vertueuses.

M. François Marc. Il n’y a que la foi qui sauve !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Tout d’abord, il réhabilite l’investissement, en particulier l’investissement public.

Mme Nicole Bricq. Après des années de baisse !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il identifie des priorités, et il le fait de manière à servir, même si l’effet sera forcément très limité, la croissance potentielle de l’économie et il servira, en tout cas de façon sans doute plus décisive, la compétitivité de nos entreprises et de leurs exportations. (Très bien ! au banc des commissions.)

Ensuite, et je pense que c’est véritablement grâce à vous, monsieur le ministre, le texte affirme le principe selon lequel l’ensemble des charges financières nouvelles – charges de l’emprunt et charges résultant des quasi-intérêts facturés aux opérateurs bénéficiaires de l’emprunt – seront gagées par des économies de fonctionnement, à hauteur de 500 millions d’euros en 2010, puis de 1,2 milliard d’euros en 2011.

Ces sommes, il faudra les trouver ! Mais je fais naturellement toute confiance à la direction du budget, qui a toujours été une administration extrêmement efficace dans ce domaine. (M. le ministre sourit.) À la vérité, dans les périodes difficiles, on ne peut compter que sur la direction du budget pour faire des choses qui ne sont pas simples, qui sont désagréables, mais qu’il faut bien faire.

L’exercice, cependant, montrera un jour ses limites et, nous le savons tous, il faudra s’interroger sur le périmètre et les modes d’action de l’État. Ce texte milite, en vérité, pour de profondes réformes administratives. Certains peuvent d’ailleurs s’interroger sur la nécessité de continuer à avoir un certain nombre de ministères alors qu’on les contourne par des administrations de mission.

Pour ma part, j’ai plutôt tendance à préférer les administrations de mission aux ministères trop structurés. Lorsqu’on a des priorités essentielles, qui correspondent à un moment de la conjoncture, il est bon de les confier à des équipes dynamiques, réactives, et qui auront vocation à disparaître avec la fin des politiques ainsi mises en œuvre.

L’exemple de l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, et de son mode décisionnel – des jurys pluralistes où siègent, dans des conditions véritablement pluridisciplinaires, des experts, français et étrangers, de différents domaines – montre qu’il est possible d’« aérer » la recherche, l’innovation, et de retenir, en réponse aux appels à projets, les solutions qui sont vraiment les meilleures, dans le seul souci de la compétitivité et de l’innovation, et non du respect de quelque mandarinat ou de quelque position acquise que ce soit. De ce point de vue, l’ampleur donnée, dans le dispositif de cette réforme, à l’Agence nationale de la recherche est à mon sens un très bon élément.

J’évoquerai maintenant les préconisations de la commission des finances.

Vous ne serez pas surpris, monsieur le ministre, que notre première préoccupation soit la protection des intérêts budgétaires et patrimoniaux de l’État.

L’obligation est faite aux opérateurs publics bénéficiaires des délégations de crédits de déposer leurs fonds libres au Trésor. C’est tout à fait essentiel, car l’impact des dépenses d’avenir s’en trouve lissé et l’État peut optimiser sa propre gestion de trésorerie. La commission des finances a cependant souhaité aller plus loin en ce qui concerne le dénouement de l’opération. Pour nous, il est primordial de s’assurer que l’État sera en mesure, à la fin de l’opération ou en cas de divergence de l’opération, de récupérer les sommes temporairement transférées aux opérateurs sous forme de dotations en capital, appelées ici « dotations non consomptibles ». Il convient également d’orienter les processus de décision vers le financement des projets présentant une rentabilité réelle, mesurable, sur laquelle l’État puisse compter.

Notre seconde préconisation est relative au contrôle démocratique. Oui, le dispositif qui nous est soumis est sans conteste une débudgétisation. Dès lors, il convient de nous assurer que le contrôle du Parlement sera de même qualité, de même pertinence et de même profondeur que s’il s’agissait de crédits classiques, dans des programmes ou des missions classiques du budget de l’État.

Nous n’avons, monsieur le ministre, aucune religion des formes : ce qui importe, c’est la réalité des choses et, par conséquent, que l’ampleur des arbitrages soit à la mesure de la qualité et de la motivation du contrôle parlementaire. C’est pourquoi nous avons, par une série d’amendements, imaginé des solutions transposant l’esprit de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, pour superviser et mettre en œuvre le programme d’investissements.

Quand nous avons voté la LOLF, nous ne pouvions certes pas prévoir le « grand emprunt » ; il nous faut donc, bien entendu, en adapter les procédures à l’esprit de la loi organique de telle sorte que le Parlement, que nos concitoyens s’y retrouvent.

Je soulignerai, en conclusion, à quel point le dispositif qui nous est proposé est original et, à ce titre, éveille l’intérêt et suscite l’adhésion. Il en résultera des dynamiques nouvelles, des conséquences imprévues sur le fonctionnement des structures et sur les relations entre les acteurs.

À la vérité, monsieur le ministre, vous qui nous présentez ce projet de loi de finances rectificative êtes non seulement le ministre du budget, mais aussi le ministre de la réforme de l’État. Or ce texte est un texte de réforme de l’État, et c’est notamment en tant que tel qu’il doit être analysé.

Le collectif budgétaire, vous le savez, mes chers collègues – et je terminerai par là –, ne se résume pas à l’emprunt national. D’autres sujets, d’ordre fiscal, seront traités à l’occasion de la discussion des amendements que les uns et les autres ont préparés, notamment la commission des finances.

Nous avons en particulier souhaité que soit lancé le débat sur les moyens d’évasion fiscale qu’offre la « grande toile ». Car les ressources publicitaires « pompées » par de merveilleux moteurs de recherche globaux sont des ressources issues de notre marché qui profitent à d’autres, ailleurs ! De réels problèmes de concurrence et de viabilité de nos médias, notamment audiovisuels, peuvent en résulter. C’est donc là un des sujets que nous souhaitons traiter à l’occasion de l’examen de ce texte.

Enfin, il est un point sur lequel la commission souhaite qu’il n’y ait pas de dérive, permettez-moi de le dire en toute franchise : c’est la taxe professionnelle.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Si nous avons fixé une clause dite de revoyure, c’est bien pour pouvoir traiter de l’ensemble du sujet.

M. Éric Woerth, ministre. Oui !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous n’allons pas l’effeuiller comme on effeuille… un artichaut !

Mme Nicole Bricq. Ah bon ! J’ai eu peur ! (Sourires.)

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Par conséquent, et à une seule exception près – un amendement de précision excellemment préparé par notre collègue Jean-Paul Alduy –, la commission émettra un avis défavorable sur tous les amendements consécutifs à la réforme de la taxe professionnelle : nous avons besoin des simulations, d’une mise en perspective et, tout simplement, du respect de la clause de revoyure, qui fut l’un des apports importants du Sénat lors de la discussion de la loi de finances pour 2010.

M. Michel Charasse. C’est logique !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des finances a donc examiné le projet de loi de finances rectificative dans un esprit très constructif et positif, et vous soumettra ses amendements dans le cours du débat. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Nicolas About, Aymeri de Montesquiou et Michel Charasse applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis.

M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’instant même, Philippe Marini, avec le talent et la rigueur que chacun lui connaît, vient de nous rapporter le travail parfaitement ciselé de la commission des finances.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a abordé le texte avec le souci de déchiffrer… le chiffrage. (Sourires.) Il lui fallait en effet, derrière les réalités financières – plus de la moitié des 35 milliards d’euros du grand emprunt relèvent du champ de compétence de notre commission –, découvrir et mettre en exergue pour les analyser les réalités qualitatives qui, dans les domaines de l’enseignement supérieur, de la recherche, de la promotion de l’égalité des chances et de la mixité sociale, seront concernées.

L’insuffisance d’innovation – que disséquera d’ailleurs, naturellement, l’orateur qui va me succéder à cette tribune – nous est apparue comme la conséquence d’un manque de valorisation de la recherche ; elle a été intégrée dans la construction de ce projet de loi de finances rectificative comme un objectif premier.

La recherche elle-même est intimement liée à l’enseignement supérieur, dont elle constitue le label de qualité le plus communément pris en compte. Les classements internationaux – vous y avez fait référence, monsieur le ministre –, qu’il s’agisse de celui de Shanghai ou d’autres, même s’ils ne sont pas exempts de failles, en font régulièrement le plus grand cas.

Philippe Marini, à l’instant même, a bien mis en évidence le rôle que doit jouer en l’occurrence l’Agence nationale de la recherche et a montré comment, par l’intermédiaire des modes de financement, on pouvait peser sur certains facteurs déterminants pour induire dans l’université, la recherche et l’innovation des séquences de procédures qui soient porteuses d’espoir et ne s’enferment pas, comme c’est encore trop souvent le cas actuellement, dans l’obsolescence et le manque de pertinence.

L’initiative qu’a prise la commission coprésidée par Alain Juppé et Michel Rocard de placer au cœur de ses réflexions la trilogie que forment innovation, recherche et enseignement mérite d’être saluée. Comme Michel Rocard, voilà trois jours à peine, a encore tenu à le souligner devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, « la clé de l’édifice proposée [à travers ce texte] est très consensuelle : ce sont les unités productrices de savoir (enseignement supérieur et recherche) qui seront à l’origine d’un nouveau tissu économique français plus innovant et donc plus compétitif ».

L’occasion nous est enfin donnée, avec 25 des 35 milliards d’euros prévus dans ce projet de loi de finances rectificative, d’ébrouer des pans entiers de nos structures d’enseignement supérieur et de recherche. Ne l’oublions pas, ce sont là les fondements mêmes de l’innovation puisque la recherche fondamentale et la recherche appliquée forment – le débat aristotélicien sur le sujet est aujourd’hui épuisé ! – un continuum : toutes nos sociétés modernes de la connaissance savent à quel point l’interdépendance est grande entre enseignement supérieur, recherche et innovation. Encore faut-il que nous soyons capables d’élaborer les protocoles de la valorisation de cette recherche afin de ne pas en rester, comme c’est trop souvent le cas, à des brevets dont nous pouvons à juste titre nous enorgueillir mais qui sont rarement, voire qui ne sont jamais, transformés en brevets exploitables. Il nous revient donc, de ce point de vue, de forcer l’enchaînement des structures pour qu’il soit enfin mis un terme aux cloisonnements.

Le texte qui nous est aujourd’hui soumis nous offre par conséquent la possibilité de franchir un nouveau pas dans la transformation en profondeur de notre enseignement supérieur et, avec lui, de notre recherche. On connaît déjà l’une de ses singularités, qui est d’ailleurs souvent ressentie comme flatteuse à l’échelle hexagonale : le prestige, la notoriété des grandes écoles d’un côté, et les structures universitaires de l’autre. Je voudrais cependant insister sur le fait que, en matière de recherche, nous devons construire une synergie entre ces structures, synergie qui d’ailleurs commence à s’ébaucher de facto : ainsi, les laboratoires de recherche des grandes écoles sont de plus en plus souvent animés par des directeurs qui ne sont pas issus de celles-ci mais sont au contraire des purs produits de la recherche universitaire. Le processus est en marche, il nous suffit de forcer les feux pour parvenir à un niveau de performance que nous n’avons jusqu’à présent jamais atteint.

Concernant les modes de recrutement, qui diffèrent, on le sait bien, entre les universités et les grandes écoles, nous avons à repenser, là encore, les synergies, en nous inspirant de ce que font les structures universitaires étrangères les plus performantes : les épreuves de travaux de recherche et de pédagogie du transfert des savoirs y sont au premier plan.

Nous avons ici l’occasion de recentrer l’activité de recherche, en lui donnant toute l’ampleur qu’il convient pour espérer les meilleurs prolongements concrets en termes d’innovation, notamment.

Dans le cadre exigu – trop exigu encore ! – que nous connaissons aujourd'hui, le chercheur, parfois décrié par les humoristes, est souvent condamné à n’être honoré que pour chercher, sans être suffisamment distingué pour ce qu’il a trouvé.

Arrêtons d’essouffler les talents et la créativité de nos chercheurs en les laissant claquemurés dans des systèmes qui, certes, ont eu leur heure de gloire, mais qui sont aujourd’hui devenus obsolètes et constituent des handicaps face à la dynamique et à l’ampleur de la compétition internationale !

Compte tenu de cette réalité, ne soyons pas étonnés que les chercheurs français restent très demandés et soient, toujours, si convoités dans le monde, alors même que, dans l’Hexagone, nos structures de recherche sont, trop souvent, assez compassées. Il nous faut désormais les moderniser, et ce grand emprunt nous fournit l’occasion de le faire !

Il s’agit, pour nous, d’avoir des acteurs académiques et technologiques mondialement reconnus, qui attirent les meilleurs, à l’image de ce qu’ont fait la plupart des grandes nations de l’innovation, telles que les États-Unis ou la Corée du Sud, pour ne citer qu’elles. Ce n’est d’ailleurs pas la taille d’un pays qui donne la mesure de sa capacité à innover, c’est sa propension politique générale et entrepreneuriale qui est, en l’occurrence, déterminante.

En la matière, la France a les chercheurs qui lui permettront de compter, à son tour, au nombre des tout premiers pays pour l’innovation.

L’un de mes collègues chercheurs, fidèle à sa paillasse, me confiait que la France a tout pour devenir un dragon de l’innovation, façon occidentale. Eh bien, saisissons-le au mot ! Avec ce projet de loi de finances rectificative, il s’agit véritablement de conforter une université d’un nouveau type : ambitieuse et au centre même du dispositif de recherche.

À cette fin, il nous faut dès maintenant imposer un fonctionnement contractualisé, décloisonné, et encourager le développement d’« écosystèmes ».

Les sites d’excellence retenus doivent jouer un rôle de locomotive pour l’ensemble du système. Pour ce faire, il est impératif, aux stades de la sélection et de l’évaluation des projets, auxquels ont fait référence M. le ministre et M. le rapporteur général, d’inciter les campus à fonctionner en réseau, matérialisé ou virtuel. Et, en la matière, c’est le chèque attaché au contrat de recherche et à la procédure évaluative qui permettra d’avancer !

Sur les sites d’enseignement et de recherche eux-mêmes, il convient de susciter la création des futurs « écosystèmes ». Depuis la grande histoire de la Silicon Valley, on sait combien ce qu’il est désormais convenu d’appeler « l’effet cafétéria » est essentiel. Mais cela suppose que des directeurs de recherche se voient confier la responsabilité de thématiques multisites. La dynamique de la contractualisation, avec financements à la clé, doit assurer cette synergie. Le suivi évaluatif de l’unité, sur lequel vous avez légitimement insisté, doit être, lui aussi, contractualisé au départ. Charge est donnée à la gouvernance du projet de veiller au contenu du contrat, non seulement lors du lancement du projet, mais aussi, et peut-être surtout, dans son suivi évolutif.

Ainsi que vous l’avez souligné tout à l'heure, monsieur le ministre, il nous faut gagner le pari de l’opération du plateau de Saclay. Outre les 850 millions d’euros déjà prévus pour conduire une opération à haute valeur emblématique, Saclay va recevoir une manne exceptionnelle de 1 milliard d’euros.

Le plateau rassemble aujourd’hui 10 % des effectifs de la recherche en France et devrait en compter, demain, près de 20 % avec, dès 2015, plus de 34 000 étudiants, dont 7 000 doctorants et 12 000 chercheurs et enseignants-chercheurs.

Le regroupement des acteurs doit donner la visibilité internationale qui nous manque et que soulignent les classements.

Le succès du plateau de Saclay nous semble subordonné au « décloisonnement » des acteurs. Même si 10 % des effectifs de la recherche sont aujourd'hui concentrés sur ce plateau, on peut légitimement être attristé par ce qui s’y passe.

Certes, des laboratoires prestigieux sont déjà en place in situ, mais ils sont matériellement délimités par d’importants grillages. Rien n’unit donc les acteurs qui travaillent actuellement sur le plateau de Saclay.

M. Nicolas About. C’est certain ! Les routes ne sont même pas terminées !

M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. Exactement !

Si, demain, d’autres établissements d’importance aussi marquée, voire de plus grande importance encore, viennent s’installer sur ce plateau, mais que, simultanément, nous ne faisons pas sauter les barrières qui entourent chacun d’entre eux, alors nous n’aurons rien fait ! C’est une chose que d’habiter sur le même palier, c’en est une autre de se parler quand on se rencontre. Or, comme me le faisait remarquer l’un de mes amis chercheurs sur le site, sur le plateau de Saclay, les gens ne se rencontrent même pas !

Mes chers collègues, c’est précisément là que tout va se jouer !

M. Nicolas About. Entre Polytechnique et HEC, il y a un monde !

M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. Monsieur le ministre, vous pourrez aligner les chèques, mais si, dans le contrat de départ, vous n’inscrivez pas les synergies, les thématiques susceptibles de réunir les structures entre elles, nous n’aurons pas avancé ; nous n’aurons fait que regrouper sur un même site des structures qui resteront chacune des étrangères pour les autres.

L’enjeu est d’utiliser ces fonds pour faire en sorte que, dans notre pays, la recherche sorte des cloisonnements dans lesquels elle est aujourd'hui enfermée.

M. Michel Charasse. Il faut casser les castes !

M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. Bonne idée !

Nous apprécions que 750 millions d’euros soient consacrés à la numérisation des contenus culturels, éducatifs et scientifiques. Cela répond à une forte demande de notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui suit cette problématique avec la plus grande attention. Notre commission a d’ailleurs adopté un amendement visant à « sanctuariser » la somme allouée.

Par ailleurs, nous relevons également avec intérêt qu’un effort financier de 500 millions d’euros sera consenti en faveur des actions assurant la promotion de l’égalité des chances et de la mixité sociale. Nous nous en réjouissons d’autant plus que ces crédits devraient permettre de concrétiser certaines des propositions émises, en mai 2009, par la mission commune d’information du Sénat sur la politique en faveur des jeunes, que présidait Raymonde Le Texier et dont Christian Demuynck était le rapporteur.

Il s’agit notamment de créer des internats d’excellence et d’investir dans la formation et l’insertion sociale et professionnelle des jeunes, en prenant très en amont le problème que l’on veut résoudre en imposant des quotas d’entrée aux concours ou aux examens. Quoi qu’on en dise, il est fâcheux qu’un candidat n’ayant répondu que partiellement aux questions soit reçu, au motif qu’il est issu d’un milieu défavorisé. Certes, il faut prendre en compte ces situations, mais sans toucher au protocole retenu pour sélectionner les étudiants. C’est, tout du moins, l’avis de la commission, et c’est en ce sens que ces crédits nous semblent dignes d’intérêt.

Compte tenu des enjeux, nous souhaitons que le Parlement soit plus largement associé à la mise en œuvre de ce projet. M. le rapporteur général lui-même, qui voit une forme de débudgétisation dans ce projet de loi de finances rectificative, y trouve une raison supplémentaire pour le Parlement de se montrer particulièrement vigilant. (M. le rapporteur général acquiesce.)

En la matière, notre commission a déposé deux amendements visant respectivement, d’une part, à renforcer la place du Parlement dans les missions du comité de surveillance des investissements d’avenir et, d’autre part, dans le même esprit, à transmettre les projets de convention entre l’État et les organismes attributaires des crédits à l’ensemble des commissions parlementaires compétentes, et pas uniquement, monsieur Arthuis, à la commission des finances !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Évidemment !

M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. La commission des finances pourrait d’ailleurs trouver dans les quelques remarques que je viens de formuler matière à assurer la veille chiffrée en ces domaines.

S’agissant toujours de l’enseignement supérieur et de la recherche, il faut certes concentrer les crédits sur les sites porteurs d’espoir, mais sans pour autant abandonner et gâcher les perspectives de développement de structures qui, parce qu’elles seraient plus modestes, risqueraient d’être laissées pour compte. En effet, il peut exister dans ces petites structures, disséminées sur notre territoire, de véritables « pépites » en termes de recherche et d’innovation – j’en connais précisément - et ce sont justement souvent les étrangers qui viennent les chercher. Mais vous les avez prises en compte, monsieur le ministre, en leur consacrant 2 milliards d’euros, afin de les valoriser et de leur donner une nouvelle dynamique.

À propos du soutien aux usages, services et contenus numériques innovants, j’apprécie la façon dont vous prenez en compte la « e-santé ». Pour avoir introduit la notion de « télémédecine » dans la loi du 13 août 2004, je suis bien placé pour voir dans cette mesure la prise en compte des problèmes si prégnants de démographie médicale qui n’avaient toujours pas trouvé de début de solution avant ces quelques lignes, ces quelques dispositions d’un projet de loi de finances rectificative dont l’incidence pratique et concrète sera en ce domaine majeure.

M. Nicolas About. Tout à fait !

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme la présidente. Veuillez vous acheminer vers votre conclusion, monsieur le rapporteur pour avis.

M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. Quant à l’impact du grand emprunt sur la politique du livre numérique et sur les perspectives de partenariat avec une entreprise privée telle que Google, il est prévu de limiter à 25 % la part des crédits pouvant être alloués à ces actions par le biais de subventions ou avances remboursables.

Si la commission de la culture, de l’éducation et de la communication voit dans le grand emprunt une chance à saisir pour amplifier le projet de numérisation des livres de la Bibliothèque nationale de France en coopération avec des partenaires privés, elle s’interroge sur la modicité de ce taux de 25 %, alors qu’il nous faut définir un rapport de force favorable dans un tel partenariat.

M. Jean-Pierre Vial. Absolument !

M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. La commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’interroge sur une démarche qui a été interprétée comme la reprise d’une main de ce que l’on a donné de l’autre. Mais les explications sur la veille ne manqueront pas de nous être apportées au cours du débat, pour ce qui est tant de l’investissement que du fonctionnement.

Mme la présidente. Veuillez maintenant conclure, monsieur le rapporteur pour avis.

M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis. Avant de conclure, je dois vous préciser que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’est saisie pour avis de l’article 1er A introduit par l’Assemblée nationale en faveur du jeu vidéo. J’ai promis à l’orateur qui va suivre de l’évoquer ; ainsi, nous aurons gagné du temps ! (Sourires.)

Nous sommes favorables à cet article et nous regrettons que la commission des finances en propose la suppression.

Au total, la commission de la culture donne un avis favorable à l’adoption du présent projet de loi de finances rectificative, sous réserve des amendements que je défendrai en son nom et de la prise en compte des questionnements et des recommandations qu’il vient de m’être donné d’exprimer. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis.