M. Jean-Jacques Jégou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’évoquerai successivement trois sujets : le grand emprunt, les déficits publics et la dette, la taxation des banques.

Lorsque, le 22 juin 2009, le Président de la République annonça devant le Congrès réuni à Versailles le lancement d’un grand emprunt contracté auprès du public, pour un montant de l’ordre de 100 milliards d’euros, je n’avais pas caché mon scepticisme, sinon ma consternation. Je ne peux donc aujourd’hui qu’être soulagé de constater que cet emprunt sera d’un montant beaucoup plus raisonnable et qu’il sera contracté auprès des marchés, à un coût moindre.

Plutôt que d’un grand emprunt, il s’agit bien, comme vous le dites, monsieur le ministre, d’un « grand investissement financé par l’emprunt », visant à répondre à la question que nous nous posons tous depuis plusieurs années : comment créer les richesses dont notre pays a besoin ? À cet égard, la réalisation des investissements nécessaires pour renforcer durablement la compétitivité de notre économie nous semble la voie la plus pertinente.

Les causes de notre trop faible croissance sont connues depuis de nombreuses années : elles tiennent à la faiblesse de l’investissement dans les secteurs d’avenir et à l’insuffisance des crédits affectés à la recherche, à l’innovation et à l’enseignement supérieur, bref à un sous-investissement chronique dans le capital humain.

Pour ma part, il y a bien longtemps que je regrette l’insuffisance des investissements de notre pays dans les secteurs stratégiques, innovants et créateurs de valeur ajoutée. Le drame, c’est que notre endettement a servi à financer non pas les investissements les plus utiles à la croissance et à la préparation de l’avenir, mais les dépenses courantes de l’État. C’est cette tendance qu’il faut inverser, car le déficit n’est acceptable et utile que s’il est consacré à l’investissement, et non à des dépenses de fonctionnement.

Depuis plus de trente ans, les investissements ne représentent plus, en effet, que 5 % ou 6 % du budget de l’État, contre 20 % dans les années soixante et soixante-dix. C’est pourquoi personne ne peut contester le choix d’investir massivement pour l’avenir, dans des secteurs stratégiques ciblés, tels que l’enseignement, la recherche, l’innovation, les biotechnologies, les énergies nouvelles, le développement industriel et durable, tous secteurs susceptibles de stimuler la croissance, de créer de la valeur ajoutée et de favoriser la mutation vers une économie de la connaissance.

Le Gouvernement doit cependant s’assurer qu’en finançant des investissements structurels, ciblés sur des projets rentables et dans des secteurs stratégiques, cet emprunt contribuera à une reprise durable de la croissance, en améliorant le potentiel productif de notre économie et en rendant à celle-ci ses capacités d’innovation et de développement. Il faudra bien sûr veiller très attentivement à la qualité des projets retenus et au retour sur investissement.

S’agissant des modalités pratiques retenues – création de programmes budgétaires spécifiques, conventionnement des opérateurs pour la gestion des fonds, dotations non consomptibles –, il faut espérer qu’elles seront de nature à garantir la « sanctuarisation » des 35 milliards d’euros, l’impossibilité de les utiliser pour financer les dépenses courantes et l’engagement sur le long terme nécessaire à la réussite de ces investissements. À ce titre, il est indispensable que le Parlement assure un suivi vigilant de l’emploi de ces fonds.

Cela dit, on ne peut contester que le grand emprunt, même si son montant est plus raisonnable que prévu initialement, aura une incidence immédiate et massive sur notre déficit budgétaire, puisque ce dernier s’établira à environ 149 milliards d’euros en 2010, au lieu des 117 milliards d’euros votés en loi de finances initiale.

Il n’y a pas de secret : même si 22 milliards d’euros seulement seront levés sur les marchés financiers, un emprunt supplémentaire de 35 milliards d’euros équivaut bien à 35 milliards d’euros de dette supplémentaires. Emprunter davantage, c’est s’endetter davantage et voir la charge de la dette s’alourdir !

Cela signifie, comme l’indique le récent rapport annuel de la Cour des comptes, que le recours supplémentaire à l’emprunt pour financer les investissements d’avenir ne peut que renforcer la perspective d’un endettement approchant les 100 % du produit intérieur brut dès 2013. Or les marges de manœuvre de la France ne sont pas extensibles à l’infini, puisqu’elles dépendent des capacités d’absorption par les marchés d’émissions massives de titres. À terme, le risque que fait courir à notre pays l’ampleur des déficits et de l’endettement publics est bien une dégradation de la qualité de la signature de notre pays, qui aurait des conséquences particulièrement négatives sur le service de la dette. De la capacité de la France à assainir ses finances publiques dépend sa crédibilité aux yeux de ses créanciers. Il y a donc urgence !

Je citerai à ce propos la commission Juppé-Rocard, que j’approuve totalement sur ce point : « La situation et les perspectives préoccupantes de nos finances publiques plaident […] pour que, dans la durée, ce soit par le redressement de la situation budgétaire et par la réallocation des dépenses que l’État trouve d’abord les moyens de financer ses investissements. » Les conclusions de la deuxième conférence sur le déficit nous permettront de mesurer sa détermination à réduire le déficit structurel, non lié à la crise, qui représente la moitié des 8 % de déficit de 2009, comme l’a clairement établi la Cour des comptes. Je ne peux que faire miens les propos de Thierry Breton, lorsqu’il écrit que « le véritable investissement d’avenir, c’est le désendettement » !

Je conclurai mon intervention en évoquant la taxation exceptionnelle des bonus. Beaucoup de nos collègues, suivant en cela l’opinion publique et se laissant aller à un certain populisme, souhaitent durcir le dispositif prévu à l’article 1er, avec l’intention de punir les banques. Certes, ces rémunérations ont constitué un des éléments de dysfonctionnement des marchés financiers. Les comportements dits à risques favorisés par l’octroi de bonus ont contribué à déstabiliser notre système économique. Il ne s’agit pas de contester l’objectif de cette taxe, qui est, dans la lignée des conclusions du G20 de Pittsburgh, de modifier les pratiques des banques en matière de rémunérations, pour éviter d’inciter à des prises de risques excessives.

Néanmoins, monsieur le ministre, il faut rappeler plusieurs vérités.

Tout d’abord, c’est bien le système bancaire anglo-saxon qui est à l’origine de la faillite du système financier mondial, et non les banques françaises. Il ne faudrait pas que celles-ci soient pénalisées parce que le système de contrôle et de régulation international a été défaillant. Ce serait totalement contre-productif, dans la mesure où les établissements bancaires de nos partenaires économiques ne seront pas taxés ou le seront beaucoup moins. Ce serait affaiblir un secteur économique performant et important par les emplois qu’il représente, par l’activité qu’il génère en France et par la contribution qu’il apporte aux entreprises.

Le secteur bancaire représente en effet 400 000 emplois directs et 300 000 emplois indirects. Il est un des rares secteurs à recruter encore massivement, avec de 30 000 à 40 000 embauches chaque année. Ses investissements sont considérables et sa création de valeur ajoutée est très forte dans un contexte hyperconcurrentiel. Le risque est de fragiliser ce secteur par des mesures répressives au moment même où nous avons besoin de refinancer notre économie.

En outre, on ne peut pas comparer la situation française avec la situation britannique ou américaine. Dois-je rappeler que les banques françaises, qui vont déjà financer le coût du dispositif de supervision bancaire que nous avons voté en décembre dernier, ont versé au budget de l’État 2,3 milliards d’euros ? Le contribuable n’a pas eu à payer pour que la France sorte d’une situation difficile.

Enfin, il faut rappeler que notre pays est le premier et le seul à avoir adopté une réglementation très restrictive en matière d’attribution des bonus, conformément aux décisions prises lors du G20 de Pittsburgh. En effet, l’arrêté du 3 novembre 2009 interdit déjà les bonus garantis, diffère le versement des bonus de plusieurs années et encadre leurs modalités d’attribution, en prévoyant notamment un versement sous forme d’actions.

Nous ne pouvons pas alourdir excessivement et seuls la fiscalité des banques. En conséquence, mes chers collègues, je vous demande, dans l’intérêt de notre économie, de ne pas aggraver la taxation des bonus, qui doit rester exceptionnelle, en tant que contrepartie du soutien de l’État aux banques. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et sur certaines travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, peut-on compenser huit années d’insuffisance budgétaire pour l’enseignement supérieur, la recherche, l’innovation, la société numérique, par un projet de loi de finances rectificative portant seulement sur l’investissement et gageant ces investissements par des annulations de crédits de fonctionnement votés en loi de finances initiale ?

La réponse à cette question est évidemment négative, et le retard pris par la France dans la réalisation des objectifs définis dans le cadre de l’agenda de Lisbonne ne sera pas comblé de cette façon ! Je m’étonne d’ailleurs que l’on ne mentionne l’Europe que pour se réjouir que l’emprunt ne soit pas pris en compte au titre des critères de Maastricht : bel oubli de la politique européenne de recherche !

Monsieur le ministre, vous nous présentez un projet qui organise des « investissements d’avenir ». En fait, il s’agit d’un effet d’optique : vous annoncez mettre sur la table 35 milliards d’euros, mais les financements seront engagés de façon hétérogène – les crédits seront parfois consomptibles, parfois non –, selon des rythmes et des échéanciers divers. Quelle sera la solidité des placements en période de crise financière, en particulier dans un contexte risqué de spéculation en Europe ?

Vous nous annoncez une gouvernance moderne et exemplaire. En réalité, il ne s’agit de rien de plus que d’un nouvel exercice médiatique, une commission sortie de nulle part s’appropriant le travail du Parlement ! Quant au commissariat général à l’investissement, vous lui confiez à la fois le choix et l’évaluation : ce faisant, vous n’hésitez pas à dessaisir le Parlement de son rôle de suivi et de contrôle de l’exécution budgétaire. La batterie d’amendements de M. le rapporteur général visant à encadrer les modalités de conventionnement, de gestion et de suivi des fonds en est une preuve éloquente…

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Les soutiendrez-vous ?

M. Serge Lagauche. Oui.

De plus, les modalités d’attribution et de gestion des fonds sont particulièrement complexes.

L’option retenue consiste donc à confier la gestion des fonds à des agences plutôt qu’aux services de l’État. Ce dispositif ouvre largement la porte à la participation du secteur privé à la définition de la politique de recherche de l’État et à une « privatisation » des fonds publics de l’emprunt national. Il permet de contourner les conseils d’administration des universités, les représentants des élus, les collectivités territoriales. Il privilégie la gouvernance par projet de court terme, soumis au pilotage ministériel, à une logique de rentabilité immédiate, à une vision centralisée de notre pays qui semble de plus en plus vivace ces derniers temps…

Vous voulez accroître le potentiel de la recherche en regroupant les grands centres universitaires et améliorer ainsi leur classement international. Certes, il est urgent que la France se dote d’un modèle de recherche s’appuyant sur de vastes campus qui accueilleraient à la fois des laboratoires de recherche, des structures d’enseignement et des organismes dédiés à la valorisation des résultats, travaillant en lien étroit avec les chercheurs.

À ce propos, s’agissant de l’opération campus, destinée à moderniser le patrimoine immobilier des universités, vous vous trouvez contraint de recourir à l’emprunt pour compléter la dotation initiale. En effet, malgré la promesse du chef de l’État, vous n’avez pu tirer tout le bénéfice escompté de la vente, en 2007, d’une partie de la participation de l’État au capital d’EDF, dont le produit n’aura été que de 3,7 milliards d’euros. Grâce à l’emprunt, le montant global annoncé pour l’opération, soit 5 milliards d’euros, sera atteint, mais la dotation est non consomptible. Par conséquent, seuls les intérêts produits par la rémunération de ces fonds seront utilisables et, au final, chacun des sites universitaires retenus ne recevra qu’une petite fraction de la somme globale. Surtout, cette attribution sera conditionnée à la mise en place de partenariats public-privé, et c’est là aussi que le bât blesse ! Étant donné la complexité de ces montages associant secteur public et secteur privé et l’ampleur du retard pris en matière immobilière par nos universités, l’opération campus, formellement lancée depuis 2007, n’a toujours pas connu le moindre début d’exécution financière. Nous aimerions donc au moins connaître les modalités précises de gestion de cette opération, et en particulier son calendrier.

Par ailleurs, monsieur le ministre, en faisant le choix de tout miser sur quelques établissements phares, vous creusez encore les écarts entre ceux-ci le reste du tissu universitaire, qui se trouve de plus en plus marginalisé. Je pense, par exemple, au campus du plateau de Saclay, seul assuré de se voir affecter, en plus des 850 millions d’euros reçus au titre de l’opération campus, une dotation consommable de 1 milliard d’euros sans condition.

Ce seront toujours les mêmes grandes universités ou les regroupements les plus importants qui verront leurs projets financés, puisqu’ils seront les seuls établissements à même de postuler ! Mes craintes concernent tout particulièrement les « petites universités » ne dispensant que peu de formations au-delà de la licence, voire aucune. En réalité, vous confortez un système d’enseignement et de recherche à plusieurs vitesses, et vous prenez le risque de couper certains établissements d’enseignement supérieur de la recherche.

Bien entendu, on ne peut qu’être favorable à la mise en œuvre d’une politique ambitieuse au service de la recherche, de l’enseignement, de l’innovation. Encore faut-il que cette démarche soit intégrée dans une logique budgétaire globale et articulée avec les politiques gouvernementale et locale.

La recherche a besoin d’un effort régulier, continu et programmé, portant d’abord sur son potentiel humain. Nous ne formons que 10 000 docteurs par an ! Comme le montrent les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, la France compte peu de chercheurs, notamment dans le secteur privé : six pour 1 000 habitants, dont trois dans le privé, contre dix pour 1 000 habitants aux États-Unis, dont huit dans le secteur privé.

Quelle est, aujourd’hui, la cause majeure de cette désaffection ? La politique des contrats à durée déterminée et des bourses, qui organise la précarité ! Le présent projet de loi de finances rectificative ne fait que confirmer cette orientation : on peut craindre que les financements ne soient accordés par priorité aux projets des chercheurs les plus renommés. La seule politique de l’emploi scientifique que vous nous présentiez consiste à supprimer des postes : les organismes de recherche et les universités en auront perdu 900 en 2009. Il est d’ailleurs fort dommageable que l’enseignement supérieur et la recherche, qui constituent le premier secteur stratégique au titre de l’emprunt national, ne soient pas épargnés par les annulations de crédits. La mission « Recherche et enseignement supérieur » est même celle qui paie le plus lourd tribut à cet égard, à hauteur de 125,3 millions d’euros ! Seuls deux programmes sont épargnés : « Vie étudiante » et « Recherche dans le domaine de la gestion des milieux et des ressources ». Tous les autres domaines de la recherche sont affectés : espace, énergie, sciences de la vie, biotechnologies, culture scientifique…

Pourtant, selon l’OCDE, le premier critère de détermination du lieu d’implantation d’un centre de recherche dans l’un de ses pays membres est la présence de personnel qualifié en recherche et développement. Dans ces conditions, monsieur le ministre, l’une des priorités au titre du grand emprunt n’aurait-elle pas dû être la mise en œuvre d’un plan pluriannuel de l’emploi scientifique ?

Ce projet de loi de finances rectificative n’apporte pas non plus de réponse satisfaisante à la faiblesse structurelle de l’investissement en recherche et développement du secteur privé. Pour un gouvernement féru d’évaluation, de rentabilité, c’eût été l’occasion d’agir en matière de structuration des aides publiques et, peut-être, de lancer des opérations plus pertinentes et moins coûteuses !

Pour ne prendre que l’exemple du crédit d’impôt-recherche, le groupe socialiste avait demandé, lors de l’élaboration de la loi de finances initiale, la remise au Parlement d’un rapport d’évaluation sur ce sujet. Nous espérons le recevoir dans les meilleurs délais. Dans tous les cas, il semblerait que le crédit d’impôt-recherche soit actuellement attribué de manière indifférenciée à tous les secteurs, en particulier aux plus grandes entreprises. Pourtant, ce sont les entreprises de taille intermédiaire, dont la France manque, qui en ont le plus besoin et qui pourraient embaucher le plus de chercheurs. Il aurait donc fallu limiter les effets d’aubaine dans ce domaine.

S’agissant de la numérisation et de l’exploitation des contenus patrimoniaux culturels, éducatifs et scientifiques, les investissements du Fonds national pour la société numérique, géré par la Caisse des dépôts et consignations, s’élèveront à 750 millions d’euros. Nous serons particulièrement vigilants sur ce point. Cette enveloppe dédiée à la numérisation des œuvres culturelles ne devra pas être cannibalisée par les projets relevant de la mission « Économie ». Le développement des réseaux à très haut débit, des technologies et des usages numériques ne doit pas se faire au détriment de la numérisation des œuvres culturelles.

C’est pourquoi nous serons attentifs à l’amendement de M. le rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication tendant à « sanctuariser » les 750 millions d’euros consacrés à la numérisation des contenus patrimoniaux culturels en créant un programme dédié spécifiquement à ces actions. Aux termes des conclusions de la commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques, présidée par M. Tessier, il appartient désormais au Gouvernement d’organiser la maîtrise par la France de son exceptionnel patrimoine écrit, qui ne saurait tomber entre les mains du géant Google. La mise en place d’une plateforme unique destinée à alimenter Gallica et Europeana n’exclut d’ailleurs pas, bien au contraire, des partenariats avec la firme californienne. Pour que la France rattrape son retard en la matière, dû en partie à une prise de conscience tardive des pouvoirs publics, éditeurs français, bibliothèques et partenaires privés doivent tous être associés à la création de cette plateforme commune. Mais son pilotage, sa mise en œuvre ne devront jamais échapper au contrôle de l’État. Comment la France pourrait-elle se targuer de défendre l’exception culturelle si elle ne faisait rien pour éviter que des multinationales étrangères ne mettent la main sur nos œuvres patrimoniales ?

De même, à défaut d’une intervention publique forte et rapide, la numérisation du cinéma, qu’il s’agisse des salles ou des œuvres, risque de nous échapper et de tomber entre les mains d’opérateurs privés, bien plus soucieux de rendement à court terme que de la conservation et de la diffusion de notre patrimoine culturel. Le maintien de la diversité des productions cinématographiques françaises dépend de la capacité des pouvoirs publics à accompagner et à contrôler les opérateurs publics et privés.

En conclusion, monsieur le ministre, nous ignorons à quelle échéance seront mises en œuvre les actions correspondant aux engagements pris au travers du présent texte. De ce fait, nous doutons fortement que les promesses faites par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et par le ministre de la culture et de la communication seront tenues, tant leur financement apparaît incertain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.

M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances rectificative représente une étape importante dans l’engagement du chef de l’État face à la crise qui aura marqué l’année écoulée.

On connaît la conviction du Président de la République quant à l’importance de l’investissement et de l’industrie pour l’avenir de l’économie française. Ce n’est donc pas par hasard qu’ont été mises en place une commission sur le grand emprunt et les assises de l’industrie, dont les conclusions et orientations se trouvent au centre des dispositions de ce projet de loi de finances rectificative.

Mes observations porteront essentiellement sur l’article 4.

Il est bien que 35 milliards d’euros soient mobilisés, mais l’importance de ce montant doit être relativisée, car ce dernier ne représente que le triple des investissements annuels de quelques grands groupes nationaux, réalisés majoritairement, il est vrai, hors de France.

Les conditions de mobilisation du grand emprunt devront faire l’objet d’une attention toute particulière. Pour l’heure, il faut bien reconnaître que le Parlement ne dispose que d’un droit de regard limité, et je ne peux donc que souscrire aux amendements de la commission des finances et de la commission de l’économie visant à le renforcer. Cela étant, j’admets volontiers que les procédures mises en place ne doivent pas être causes de retard dans la mobilisation des financements.

Je ne vous cacherai pas que les dotations non consomptibles peuvent susciter des inquiétudes légitimes, au regard de l’expérience récente des dotations pour les universités. Or la rapidité de la mobilisation des fonds sera l’un des facteurs décisifs de la réussite du plan.

Cela étant, mes interrogations, sinon mes inquiétudes, portent surtout sur les dotations consomptibles.

Je ne reviendrai pas sur le flou des tableaux qui ont été présentés, que ce soit par la commission Juppé-Rocard, l’Assemblée nationale ou le Sénat. La commission des finances a évoqué une présentation « assez vague », et M. Étienne a pour sa part indiqué qu’il avait fallu « déchiffrer le chiffrage »… En disant cela, il ne s’agit cependant pas pour moi de formuler une critique, car j’admets volontiers qu’il faut ménager une certaine souplesse.

Cela dit, il importe néanmoins que les règles de fonctionnement de la commission chargée de l’évaluation des projets soient clairement définies. Il ne faudrait pas que certains services, dont on connaît l’habileté, s’en servent pour mieux contraindre les choix.

La question importante, et même capitale, concerne l’affectation des dotations consomptibles, tout particulièrement dans les domaines relevant de l’innovation technologique : sont annoncés 7,9 milliards d’euros pour la recherche ou 5,1 milliards d’euros pour le développement durable.

Nous savons que, dans ces secteurs, la France a un retard important à combler et que l’innovation est très rapide. Rattraper ce retard est possible, mais cela nécessite de mobiliser des moyens importants sur des délais très courts. Or prévoir à ce titre de 10 % à 25 % de dotations consomptibles est très insuffisant ; retenir un taux de 50 % à 75 % serait justifié, au moins dans certains domaines. Mieux vaut mener à bien un nombre plus restreint de programmes qu’en engager davantage sans se donner les moyens d’aboutir.

J’aimerais, monsieur le ministre, avoir une réponse sur ce point important, l’innovation technologique étant un enjeu crucial de ce projet. Le rapport Juppé-Rocard cite des exemples précis à cet égard. Là encore, si les taux sont donnés à titre indicatif mais laissés à l’appréciation de la commission chargée de l’évaluation des projets, je serai rassuré, mais il convient de bien préciser les choses.

Je n’évoquerai pas, pour l’heure, d’autres mesures d’accompagnement importantes, tels les fonds communs de placement dans l’innovation et les fonds d’investissement de proximité. Nous aurons l’occasion d’y revenir à l’occasion de l’examen des amendements.

Permettez-moi, en revanche, de souligner certains aspects de la politique industrielle qui, au-delà des moyens financiers, relèvent d’une volonté politique.

Voilà deux ans, à l’occasion d’une question orale, j’avais interrogé Mme la ministre de l’économie sur le devenir du site de Saint-Jean-de-Maurienne, et plus généralement de la filière industrielle de l’aluminium en France, au regard des inquiétudes que faisait naître la volonté délibérée du groupe Rio Tinto de transférer la technologie et le savoir-faire français à l’étranger – il s’agissait notamment de la technologie AP-50 –après avoir abandonné un projet de modernisation.

Le groupe Rio Tinto avait à l’époque pris l’engagement de faire connaître son plan de modernisation en 2008, en affichant sa volonté de faire de Saint-Jean-de-Maurienne un site de référence mondiale. J’avais indiqué à Mme la ministre de l’économie que Rio Tinto ne disait pas la vérité. Le jugement rendu, voilà quelques semaines, dans le contentieux entre EDF et Rio Tinto, ainsi que la baisse d’activité sur le site et la mise en place d’un plan social, ne font que confirmer la duplicité et le double langage de ce groupe industriel. La réalité a dépassé les craintes…

Pechiney, fleuron français de l’aluminium, c’était 20 000 emplois dans notre pays au moment de son rachat par Alcan, accompagné de promesses formelles d’investissement et de développement. Il y a deux ans, il ne comptait plus que 15 000 salariés, et l’effectif sera ramené à 3 000 en 2010, après la cession des dernières activités. Avec le secteur aval, ce sont encore 16 000 emplois directs et indirects qui sont concernés.

Pourtant, une politique industrielle peut encore, monsieur le ministre, sauver la production d’aluminium en France ! Le comité de soutien de l’aluminium dans la vallée de Maurienne vient de lancer un appel au Gouvernement pour que soit menée une étude stratégique sur la reconversion industrielle de cette activité, qui permettrait effectivement de sauver l’aluminium. J’ai adressé la même demande voilà quelques semaines à M. le préfet de la Savoie, à l’occasion des états généraux de l’industrie.

Il ne s’agit pas d’une question de circonstance. Le grand industriel Jean Gandois avait, en son temps, regretté de n’avoir pu mettre en place en France, pour l’industrie électro-intensive, la stratégie qui a été mise en œuvre avec succès dans nombre de pays.

Alors que les états généraux de l’industrie viennent de se terminer et que le Parlement doit se prononcer sur le lancement du grand emprunt, je demande avec insistance au Gouvernement la réalisation d’une étude technico-économique sur les perspectives de la filière de l’aluminium en France. L’avenir de cette filière ne passe certainement pas par une aide financière de l’État. L’existence des sites de Dunkerque et de Saint-Jean-de-Maurienne, qui représentent plus de 6 000 emplois directs ou indirects, est en jeu à court terme !

La discussion de ce projet de loi de finances rectificative intervient bien à un moment charnière. Le 9 juin dernier, en Savoie, lors de sa visite à l’Institut national de l’énergie solaire, le Président de la République a proposé que le CEA s’ouvre aux énergies nouvelles et devienne le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables. Au-delà de la terminologie, il s’agit d’une question fondamentale. En créant, par l’ordonnance de 1945, le Commissariat à l’énergie atomique, le général de Gaulle a doté notre pays d’un outil qui nous est envié par beaucoup et qui lui a donné son indépendance nucléaire, sur les plans tant militaire que civil.

Je n’évoquerai pas les décisions prises il y a une vingtaine d’années, que nous payons chèrement aujourd’hui. L’enjeu est de tirer parti du formidable outil qu’est le CEA en mobilisant ses capacités de recherche au profit du développement des nouvelles énergies, pour rattraper notre retard. Beaucoup de sites, tels que Saclay et Minatec, ont été évoqués, et je pourrais en citer bien d’autres. Ajouter les énergies alternatives dans la dénomination du CEA, c’est en quelque sorte réaffirmer l’ambition de l’ordonnance d’octobre 1945, pour reconquérir la place que la France n’aurait jamais dû perdre.

Permettez-moi, monsieur le ministre, de souhaiter que ce soit l’occasion pour le Gouvernement de mobiliser tous nos grands établissements de recherche et toutes nos grandes entreprises dans une compétition qui unisse nos compétences, car notre pays a l’intelligence nécessaire pour relever ce défi ; encore doit-il s’en donner les moyens, grâce à ce grand emprunt. C’est donc avec enthousiasme que je voterai ce projet de loi de finances rectificative pour 2010. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques semaines seulement après l’adoption du projet de loi de finances initiale, nous examinons un premier collectif budgétaire, d’autres étant probablement appelés à suivre !

À l’instar de ma collègue Nicole Bricq, je soulignerai d’emblée que l’existence même de ce collectif est la preuve que, comme l’avait alors affirmé notre groupe, le projet de budget qui nous a été soumis en décembre dernier n’était pas sincère.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas ce qu’a jugé le Conseil constitutionnel !

M. Michel Teston. Le dernier rapport de la Cour des comptes rappelle fermement au Gouvernement sa responsabilité dans la dégradation de la situation financière de notre pays. En effet, il souligne que le déficit public a atteint environ 8 % du PIB en 2009 et que ce niveau n’est pas dû qu’à la crise qui frappe le monde depuis quelques mois.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La Cour des comptes, ce n’est pas le Conseil constitutionnel !