M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tous les jeux d’argent ont un point commun : pour celui qui joue, l’espérance de gain est toujours négative, souvent même très négative. Le joueur est en effet statistiquement toujours perdant.

Le jeu prospère sur la naïveté de ceux qui jouent. C’est pourquoi, historiquement, la quasi-totalité des États ont essayé de réglementer les jeux de hasard dans une double finalité. D’une part, ils visent un objectif de moralisation sociale, afin d’éviter les dérives qui peuvent résulter de l’addiction au jeu, dont les victimes gaspillent tous leurs biens, mettant en cause l’équilibre même de la société. D’autre part, dans un but certes beaucoup moins moralisateur, les États cherchent à créer des recettes financières.

C’est à l’aune de ces deux objectifs que doit être apprécié le présent projet de loi, qui tend à transposer une directive européenne.

Pour ma part, je suis opposé par principe aux jeux de hasard, mais, compte tenu de la situation actuelle en France, il me semble qu’il convient de se poser un certain nombre de questions, car l’État français ne peut actuellement plus apporter aucune justification à son monopole, qu’elle relève d’un souci social ou d’une volonté de moralisation. L’État français n’a que faire de ces considérations et son seul but consiste à gagner de l’argent, car, s’il poursuivait un but moralisateur, il interdirait toute publicité à la Française des jeux ou au PMU.

En effet, si l’on considère que le jeu, globalement, n’est pas sain pour la société, la moindre des choses serait d’interdire la publicité pour le jeu. Donc, si les pouvoirs publics autorisent une publicité éhontée de la Française des jeux ou du PMU, c’est bien que leur seule préoccupation consiste à gagner de l’argent sur le dos des joueurs.

Dans ces conditions, la directive européenne qui impose un assouplissement et un élargissement de la réglementation me paraît tout à fait pertinente. Si la France avait donné l’exemple en interdisant la publicité pour les jeux, en empêchant les sociétés de jeux d’inciter la population à jouer, elle pourrait aujourd’hui invoquer un motif d’intérêt général pour fonder la spécificité de son monopole d’État. En fait, actuellement, le monopole français poursuit un but purement financier et intéressé.

J’approuve donc la directive car, en l’état actuel des choses, aucune raison ne milite en faveur du monopole de la Française des jeux ou du PMU. Je reviendrai plus tard sur les problèmes posés par la Française des jeux s’il me reste suffisamment de temps de parole, puisque les orateurs non inscrits sont réduits à la portion congrue !

Le système va être ouvert à la concurrence : il faudra, encore plus qu’avant, vérifier l’absence de fraudes et dissuader les opérations malhonnêtes. Je suis personnellement très inquiet, car nous allons progressivement généraliser les paris sur le sport. Or, certains sports sont déjà complètement gangrenés par l’argent, notamment le football professionnel : les sommes en jeu sont tellement colossales que, bien évidemment, des matchs sont truqués, des joueurs achetés – on le voit régulièrement, en Belgique, en France ou ailleurs. Si, demain, les paris sont autorisés sur le football, la situation sera encore pire, parce que les sommes en jeu vont décupler et les tentatives pour acheter des joueurs ou trafiquer les résultats seront encore plus fréquentes.

Je déplore que cette ouverture des jeux, souhaitée également par la Commission européenne, ouvre la porte à tous les trafics. Je suis absolument convaincu que, quand le système tournera à plein, quand les paris se reporteront de plus en plus sur des sportifs, nous ne serons pas épargnés par la révélation régulière de scandales gigantesques.

À la limite, cette évolution ne ferait que s’inscrire dans la continuité de ce que nous connaissons.

En ce qui concerne la Française des jeux, je tiens à répéter ce que j’avais déjà dit lorsque j’étais député : la politique de cette société n’est pas aussi propre ni aussi transparente que l’on croit. Le fonctionnement de la Française des jeux permet une martingale très difficile à expliquer, puisqu’elle ne porte pas sur la probabilité de gagner, mais sur le montant des gains potentiels. Actuellement, la Française des jeux connaît les numéros les moins joués : une personne qui joue ces numéros peut toucher des sommes colossales lorsque ces numéros sortent. Soyons clairs : cette personne n’a pas plus de chances de gagner, mais, quand elle gagne, ses gains sont énormes.

Si vous jouez des numéros que, statistiquement, la majorité des joueurs ne joue pas, lorsque vous gagnez – je ne dis pas que vous avez plus de chance de gagner –, vos gains sont dix fois, vingt fois ou trente fois supérieurs à un gain normal. L’espérance de gain, à ce niveau-là, est considérable, comme l’ont démontré les mathématiciens.

Si la Française des jeux voulait être transparente, elle publierait la fréquence avec laquelle chaque numéro est joué par les parieurs, car un certain nombre de personnes en son sein connaissent ces fréquences : à ce moment-là, la situation changerait énormément.

Il ne faut pas se faire d’illusions : de nombreux joueurs jouent des dates de naissance ; par conséquent, le fait de jouer un numéro entre un et douze divise par trois ou par quatre le montant des gains lorsque ce numéro est tiré.

L’État fait la sourde oreille, parce que la Française des jeux a intérêt à avoir, de temps en temps, de très gros tirages qui attirent les parieurs. Dans cette logique, la Française des jeux persiste à refuser la transparence et à refuser la communication d’une information qu’un petit nombre de gens détiennent.

Ce petit exemple illustre le manque de transparence et les déviations du système des jeux de hasard. Je vous laisse imaginer, mes chers collègues, ce qui se passera lorsque l’on pourra parier sur les matchs de football ou d’autres activités encore plus faciles à trafiquer !

M. le président. La parole est à M. Albéric de Montgolfier.

M. Albéric de Montgolfier. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le présent projet de loi relatif à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne est le résultat d’un long travail, en particulier de notre commission des finances et de son rapporteur, François Trucy, auquel je tiens à rendre hommage dès mon introduction.

Dès 2002, le Sénat s’est saisi de cette question, sans attendre la mise en demeure de la Commission européenne, en 2006, ou son avis motivé, en 2007, pour stigmatiser l’obsolescence de notre réglementation et la faiblesse de notre législation dans ce domaine.

Les rapports de François Trucy de 2002 et 2006 ont largement contribué à mettre en lumière les évolutions nécessaires.

La situation du secteur des jeux nous impose en premier lieu de mettre fin aux monopoles de la Française des jeux et du PMU.

En effet, ces monopoles sont confrontés à une réalité de plus en plus prégnante, celle des jeux en ligne, qui représentent aujourd’hui plus de 3 milliards d’euros de mises annuelles, sur quelque 25 000 sites illégaux accessibles en France.

La filière des casinos a, elle aussi, souffert du développement des jeux de poker en ligne, qui séduisent notamment la nouvelle génération. Également pénalisés par une réglementation complexe et diffuse, les casinos, qui contribuent au financement des communes dans lesquelles ils sont implantés, ont connu des années difficiles.

Dans un souci de pragmatisme économique, il était donc devenu indispensable d’ouvrir le marché et de légaliser ces jeux en ligne, tout en les encadrant et en régulant leur développement anarchique et pléthorique.

Cette évolution est d’autant plus nécessaire que, si nous reconnaissons les efforts du Gouvernement en matière de sécurité publique, la fraude étant aujourd’hui minime, force est de constater que la santé publique a été laissée de côté. Les problèmes d’addiction, par exemple, n’ont fait l’objet d’aucune étude spécialisée, comme cela a été rappelé.

Le présent projet de loi apporte enfin des réponses à cet égard, en matière tant de lutte contre l’assuétude que d’interdiction des jeux aux mineurs, de lutte contre le blanchiment d’argent et d’encadrement de la publicité.

Le groupe UMP se félicite de ces avancées notables, qui devraient certainement recueillir l’assentiment de la Haute Assemblée, au-delà des clivages politiques.

Seuls les paris sportifs, les paris hippiques et le poker en ligne seront légalisés. Les jeux les plus addictifs, notamment les jeux de pur hasard, seront toujours proscrits par notre législation.

Une partie des recettes fiscales et sociales tirées de la fiscalité sur les mises sera destinée au financement de la lutte contre la dépendance aux jeux.

Le projet de loi tend notamment à prévoir une augmentation des moyens financiers de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, afin que ce dernier finance, en lien avec l’ensemble des associations actives dans le domaine, un programme d’information, de dépistage et de prise en charge de la dépendance aux jeux.

Ces moyens financiers serviront également à la réalisation d’études plus précises sur la réalité de ce phénomène en France, comme le souhaitent les associations de protection des joueurs.

La limitation de l’ouverture à la concurrence aux paris les moins addictifs et l’encadrement du taux de retour aux joueurs devraient également limiter les effets d’assuétude.

Dans le domaine de la lutte contre le blanchiment, un opérateur de jeu ne pourra pas s’établir dans un paradis fiscal et les joueurs devront obligatoirement avoir un compte bancaire en France.

Le contrôle, cela a déjà été souligné, sera effectué par l’ARJEL, l’autorité de régulation indépendante qui attribuera les licences aux opérateurs de jeux sur internet.

Le groupe UMP ne demande pas forcément que la personnalité morale soit attribuée à cette autorité, car il juge inopportun le découplage complet entre celle-ci et les services de l’État.

De même, la majorité du groupe UMP ne souhaite pas la différenciation des taux de prélèvements sur les paris hippiques et sur les paris sportifs, car l’équilibre du dispositif proposé est déjà issu d’un difficile compromis entre des intérêts parfois contradictoires.

Toutefois, si la filière hippique venait à être désavantagée, par exemple par un tarissement de son financement consécutif au déplacement de ses parieurs vers les paris sportifs, une clause de revoyure prévoit le dépôt d’un rapport du Gouvernement au Parlement, en vue de mettre en œuvre les adaptations nécessaires.

À cet égard, le groupe UMP fait pleinement confiance à M. François Trucy pour veiller au respect de cette clause. En tant que représentants des territoires, nous sommes effectivement très attachés au soutien de la filière hippique, qui est l’un des rouages essentiels de l’économie et de l’aménagement du territoire et qui génère – nous trancherons ultérieurement le débat sur les chiffres– entre 60 000 et 90 000 emplois.

L’arrivée de nouveaux opérateurs sur le marché, entre 30 et 50 selon les estimations, du fait de l’élargissement de l’assiette, devrait engendrer de nouvelles recettes. La commission des finances, à laquelle j’appartiens, ne saurait y être insensible. Néanmoins, la diminution des taux de prélèvements sur les mises devrait aboutir au final à une opération neutre, ce que l’on peut en partie regretter.

Pour conclure, je dirai un mot du calendrier, qui nous contraint à tenir compte de la Coupe du monde de football, dont l’ouverture, comme tout le monde le sait, est prévue au début du mois de juin, en Afrique du Sud.

Il serait impensable que les nouvelles dispositions ne puissent pas s’appliquer à l’événement sportif planétaire le plus important après les jeux Olympiques. Cela reviendrait à laisser le champ libre aux sites illégaux existants – ils risqueraient de fleurir d’autant à cette occasion – et à condamner le présent projet de loi.

C’est la raison pour laquelle j’ai pris l’initiative, à titre personnel, de déposer un amendement tendant à prévoir des mesures transitoires qui permettraient aux opérateurs de jeu ayant déposé une demande de dossier d’agrément à l’ARJEL et répondant aux conditions requises de bénéficier d’une autorisation temporaire pour exercer les activités d’opérateur légal de jeu en ligne en France jusqu’à l’obtention de l’agrément.

Je ne suis pas sans savoir que cet amendement, déposé sous une forme peu ou prou similaire par d’autres collègues, pose des problèmes à la commission des finances et au Gouvernement. Mais il vise essentiellement à appeler l’attention du Gouvernement sur la nécessité de publier très rapidement les décrets et à insister sur la célérité dont l’ARJEL doit faire preuve dans la délivrance des agréments. Vous avez d’ores et déjà abordé cette question, monsieur le ministre, et, même si nous sommes amenés à revenir sur ce débat, nous savons d’ores et déjà que nous pouvons compter sur votre engagement.

Au-delà de cet amendement, que j’ai présenté à titre personnel, la majorité du groupe UMP soutiendra l’essentiel du texte issu de l’excellent travail de notre commission des finances. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.

M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qu’il nous est donné d’examiner aujourd’hui est porteur de plusieurs incohérences et présente même de nombreux dangers.

Il est tout d’abord paradoxal, dans sa nature même et dans les intentions affichées par le Gouvernement. Il est effectivement question d’une « ouverture à la concurrence », accompagnée d’une « régulation » du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne. Ce projet vise donc à libéraliser un secteur et, simultanément, à le réguler.

Ces deux objectifs étant, dans les termes, difficilement conciliables, tout devient une affaire d’équilibre… Or, sans surprise, nous constatons que la libéralisation et la déréglementation l’emportent, et ce largement, sur la régulation par la puissance publique.

Nous ne rejetons pas le principe d’une loi, d’un cadre réglementant les pratiques. Nous estimons même qu’une régulation est nécessaire, tant ce secteur a multiplié les abus depuis plusieurs années. Mais, contrairement à ce qu’a pu prétendre le Gouvernement à de nombreuses reprises, il n’existe aucune obligation européenne imposant de légiférer dans ce domaine. L’arrêt Departamento de Jogos da Santa Casa da Misericordia de Lisboa, rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 8 septembre 2009, est venu le confirmer.

Ainsi le Portugal s’est-il vu autoriser, au nom de l’application du principe de subsidiarité, à restreindre la libre circulation des services de jeux, interdisant à tout autre prestataire que la loterie nationale, y compris les prestataires étrangers, de proposer des jeux en ligne sur le territoire portugais.

Quelques mois auparavant, dans son rapport du 17 février 2009 sur l’intégrité des jeux d’argent en ligne, le Parlement européen soulignait déjà que les procédures ouvertes par la Commission contre un certain nombre d’États membres ne remettaient pas en cause « l’existence de monopoles ou de loteries nationales à proprement parler » et qu’elles n’avaient « aucune incidence sur la libéralisation des marchés de jeux d’argent en général ».

Il était grand temps de cesser, monsieur le ministre, de s’abriter sous le parapluie de l’Europe, car, en l’occurrence, celui-ci est loin d’être imperméable !

Au regard du droit communautaire et de la jurisprudence, il n’y avait donc pas d’obligation formelle de légiférer. C’est le vide juridique national et l’usage massif des nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment l’internet, qui poussent à le faire.

Devant la croissance de l’offre illégale et les différents dangers qu’elle implique, une solution alternative aurait toutefois pu être retenue. Ainsi, pourquoi ne pas s’être appuyé sur les deux monopoles historiques existants, à savoir la Française des jeux et le PMU, pour encadrer le développement des paris et des jeux de cercle en ligne ? En restant proche de la réalité actuelle, on se serait fondé sur une situation que la plupart des acteurs jugent satisfaisante. Au lieu de cela, on ouvre toutes les vannes à une dizaine d’opérateurs, qui, probablement, se partageront environ 80 % du marché.

De même, si l’on suit la logique du Gouvernement, l’un des buts essentiels du projet de loi est la lutte contre l’offre illégale. Mais alors, monsieur le ministre, pourquoi ne pas proposer un texte qui donne aux autorités les moyens suffisants pour contrer ces sites illégaux ? À l’évidence, il était urgent de remédier à l’explosion du jeu illégal. Mais, pour cela, fallait-il en passer par le développement anarchique du jeu légal ? Pour paradoxale qu’elle soit, c’est pourtant bien cette démarche qui est ici proposée !

Autre incohérence, le projet de loi, qui prétend encadrer les pratiques de jeux, a notamment pour vocation de lutter contre la dépendance. Or le volet relatif à cette lutte nous paraît insuffisant. Nous pouvons donc légitimement penser que, au cours du processus d’élaboration du texte, la position des grands argentiers du secteur des jeux en ligne a eu plus de poids que la prise en compte de la santé des clients potentiels.

En faisant tout pour que la loi soit adoptée avant la Coupe du monde de football de 2010 – une formidable manne financière -, le Gouvernement a négligé les impératifs de santé publique. Par manque d’anticipation du calendrier parlementaire, il semble aujourd’hui vouloir avancer dans l’urgence. Vous avez d’ailleurs déclaré devant la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, monsieur le ministre : « En tout état de cause, la date butoir sera celle de la Coupe du monde de football », soit le 11 juin prochain. Or nous n’en sommes qu’à la première lecture du texte...

Sur le fond, comment peut-on prétendre lutter contre la dépendance si, dans le même temps, on libéralise l’ensemble du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne ? La question de la dépendance se pose avec encore plus d’intensité pour les jeux en ligne que pour les jeux « en dur ».

En effet, face à un ordinateur, dans son salon ou sa chambre, l’utilisateur évalue difficilement ses propres limites. Enfermé dans le monde virtuel du jeu, il ne s’impose pas les mêmes règles que dans la vie réelle. Denis Alland, professeur de droit à l’université de Paris II, le souligne bien dans une tribune parue dans Libération le 16 décembre dernier. S’appuyant sur l’argumentation d’un avocat général à la Cour de justice, il démontre que la dépendance aux jeux se trouve toujours aggravée par la permanence d’une offre à domicile.

Stefan Zweig, dans sa nouvelle intitulée Le Joueur d’échecs, a su trouver les mots pour décrire la maladie de la dépendance aux jeux : « La passion de gagner, de vaincre, de me vaincre moi-même devenait peu à peu une sorte de fureur : je tremblais d’impatience, car l’un des deux adversaires que j’abritais était toujours trop lent au gré de l’autre ». Plus loin, l’écrivain ajoute : « Cette monomanie finit par m’empoisonner le corps autant que l’esprit ».

Les jeux en ligne n’existaient pas encore lorsque Stefan Zweig a écrit ces mots, mais nul ne doute qu’ils l’auraient inspiré !

Qui dit dépendance dit aussi coûts pour la société. Je pense notamment aux dépenses de sécurité sociale. On estime aujourd’hui à 300 000 le nombre de personnes en situation de dépendance aux jeux de hasard. Avec ce texte, ce chiffre, déjà conséquent, risque de s’accroître et, avec lui, les pathologies liées au jeu. Le risque est donc à la fois sanitaire et financier, car on fera appel au contribuable pour financer les conséquences malsaines des jeux en ligne.

Des incohérences, il y en a également dans la façon dont est considéré le monde de la culture et du sport. Depuis le début du processus législatif, le sport français a, semble-t-il, été mal traité. Le Comité national olympique et sportif français, le CNOSF, seul garant de l’unité du mouvement sportif, n’a ainsi pas pu réellement faire entendre sa voix.

Les retombées économiques attendues des prélèvements laissent planer le doute sur la pérennité des financements. Je pense en particulier au sport amateur, ainsi qu’à la filière hippique, sérieusement mise en danger par le projet de loi.

Le Centre national pour le développement du sport serait doté, pour 2010, d’environ 227 millions d’euros. Le CNDS est actuellement alimenté par un prélèvement de 1,8 % sur les mises de la Française des jeux, hors paris sportifs. Le montant de ce prélèvement est estimé à 154,3 millions d’euros dans la présentation de la loi de finances pour 2010, mais plafonné à 150 millions d’euros par l’article 43 de ce projet de loi. À cela, il faut ajouter les 5,5 % de la taxe dite « taxe Buffet », soit 43,3 millions d’euros pour l’année courante.

Il y aura également, à partir de 2010, un prélèvement de 1,3 % non plafonné sur les mises des paris sportifs, « en dur » et en ligne. Ce taux sera porté à 1,8 % à partir de 2012. Ce prélèvement devrait rapporter 25 millions d’euros en année pleine, donc certainement moitié moins pour 2010, étant donné que le projet de loi ne sera pas adopté avant plusieurs semaines. Ce serait donc à peine plus de dix millions d’euros que rapporteraient cette année au CNDS les jeux en ligne, soit à peine de quoi construire deux ou trois gymnases en France. C’est dérisoire !

La loi de finances pour 2010 annonçait, sur les premières bases, un total de 227 millions d’euros, mais le compte n’y sera pas ! Au final, moins de 205 millions d’euros devraient être dégagés pour le CNDS.

Lors du débat en première lecture à l’Assemblée nationale, vous avez déclaré, monsieur le ministre, que le milieu du sport demandait plus de moyens. Sur ce point, vous aviez raison. Mais je ne vous suis plus lorsque vous avez l’audace d’ajouter que ce projet de loi vous permettra justement de lui en offrir plus !

Une étude d’impact aurait été la bienvenue, afin que nous puissions avoir des chiffres précis sur les retombées attendues pour le monde sportif. Malheureusement, nous devons nous en passer.

Les engagements pris lors de la récente réforme de la Constitution n’auront pas fait long feu : l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 impose pourtant désormais qu’une étude d’impact accompagne chaque projet de loi. Faut-il, monsieur le ministre, que les impacts de ce texte aient été jugés négatifs pour que vous ayez préféré violer une disposition d’ordre constitutionnel ?

Une étude d’impact aurait mis en valeur les défauts de ce texte, notamment s’agissant de ses retombées pour le mouvement sportif français. Les insuffisances sont patentes, surtout quand on se remémore les objectifs ambitieux affichés par la secrétaire d’État chargée des sports, dans son discours à la Sorbonne, le 6 octobre dernier.

La situation est encore plus préoccupante si l’on tient compte de l’évolution des pratiques de jeu : on estime alors que la somme dégagée du prélèvement sur la Française des jeux, donc sur les jeux « en dur », soit 150 millions d’euros plafonnés, risque d’être diminuée de moitié. Par voie de conséquence, le CNDS deviendrait beaucoup plus dépendant du prélèvement sur les mises en ligne. Est-ce à dire, alors, que pour financer le sport français, les autorités vont devoir inciter nos concitoyens à parier leurs économies en ligne ? S’il fallait suivre l’esprit du texte, nous nous verrions contraints d’encourager la dépendance pour financer le mouvement sportif, alors même que le Gouvernement prétend lutter contre cette dernière, voire contre l’addiction.

Ce projet de loi met également à mal la solidarité au sein du mouvement sportif.

Tout d’abord, rien, dans le texte, n’est prévu à propos des principes régissant la redistribution des dividendes issus des jeux en ligne entre les différents sports, entre les différentes fédérations. L’article 52 aurait dû apporter des précisions sur ce sujet. Le risque est que, une fois encore, les sports les plus médiatiques – je pense au football ou au tennis – se taillent la part du lion, ne laissant que des miettes aux autres disciplines. C’est une occasion perdue d’opérer, en concertation avec le mouvement sportif, un rééquilibrage entre les activités.

La possibilité pour les associations ou sociétés sportives, créées par l’article 52 du projet de loi, de négocier individuellement la signature de contrats avec les opérateurs de jeux en ligne représente également une menace pour la cohésion du modèle sportif français, car elle sèmera le trouble au sein des fédérations et de l’ensemble du mouvement olympique et sportif.

Par ailleurs, je m’inquiète des possibilités de fraudes, notamment de délits d’initiés, qui peuvent être induites par ce texte. En autorisant les paris à cote, prévus par l’article 4, et les paris sur les phases de jeux, prévus par l’article 7, on prend le risque de la non-sincérité des rencontres sportives, risque déjà réalisé à de nombreuses reprises chez nos voisins européens.

Ce marché des jeux mobilisant des masses financières considérables, il suscitera bien des tentations, d’où l’impérieuse nécessité de garantir aux parieurs l’intégrité des résultats. Ce n’est pas un hasard si Bruxelles évoque la création d’une agence européenne de lutte contre les paris truqués.

Si parier sur la minute d’un match de football à laquelle sera marqué le premier but ne pose pas spécialement de problèmes, parier sur la minute du premier coup franc, par exemple, est beaucoup plus inquiétant. Rien ne nous garantit en effet qu’un joueur ne pariera pas à cinquante contre un sur sa propre faute, à la minute qu’il aura choisie ! Mes propos sont excessifs, me dira-t-on, mais soyons cependant vigilants.

Nous en arrivons à un autre défaut de ce texte, et pas le moindre : les acteurs du monde sportif, qu’il s’agisse des joueurs, des arbitres ou des membres des fédérations en général, ne devraient pas être autorisés à prendre part aux paris en ligne, ce que ne prévoit pas le projet de loi à ce jour.

L’article 23 précise en effet simplement que les éventuelles interdictions seront établies par voie réglementaire. Cette permissivité nous semble regrettable.

De la même façon, on peut s’inquiéter des probables conflits d’intérêt, notamment entre les diffuseurs, les fédérations sportives et les équipes. Si le même opérateur de jeux se trouve impliqué, d’une part, comme sponsor dans un partenariat de financement avec une équipe sportive et, d’autre part, avec le média qui diffuse les rencontres de cette même équipe, se posera, pour le moins, une problématique d’ordre déontologique.

À cet égard, il est révélateur d’apprendre que, voilà quelques jours, TF1 prenait le contrôle du site eurosportbet.com. Ne perdons pas de vue que ces sites sont souvent les sponsors des plus grandes équipes de football européennes et qu’ils ont déjà signé des contrats avec des clubs français. Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, nous sommes donc particulièrement préoccupés par d’éventuels conflits d’intérêt.

Les pouvoirs conférés à l’ARJEL, dans ce domaine comme dans d’autres, ne nous rassurent pas.

Nous sommes confrontés aujourd’hui à un texte qui, sous couvert de régulation, ne fait que prôner la libéralisation. Dans le numéro de février 2010 de La Revue parlementaire, vous déclariez à propos de la situation actuelle des jeux en ligne en France : « C’est un risque pour la sauvegarde de l’ordre public car la lutte contre le blanchiment n’est pas suffisamment assurée, un risque pour la lutte contre l’addiction car ces opérateurs n’ont aucune obligation à respecter en la matière, un risque pour l’ordre social puisque les mineurs ne sont pas protégés, mais aussi un risque pour les finances publiques puisqu’ils échappent à toute taxation ».

J’aurais pu aujourd’hui reprendre cette phrase en introduction de mon intervention, tant elle définit avec minutie les défauts de votre projet de loi. Précisément, avec ce texte, vous mettez en danger l’ordre public, en introduisant une conception de la société et de l’argent que nous ne partageons pas. Vous exposez nos concitoyens à un risque accru d’addiction aux jeux.

Quant aux mineurs, qui seront bombardés de publicité par les opérateurs – même si la navette a permis de limiter quelque peu les possibilités d’effectuer de la publicité sur les supports qui leur sont dédiés –, nous doutons que les quelques dispositions de ce projet de loi suffisent à les dissuader de jouer en ligne.

De même, et j’espère que mes collègues et moi-même allons vous le démontrer, ce texte est une aberration du point de vue des finances publiques. Les recettes créées sont bien loin de compenser les dépenses à prévoir. Je pense notamment au financement du sport amateur, pour lequel, au vu de l’ampleur des besoins, nous pouvons légitimement nous inquiéter.

Enfin, de manière plus générale, ce texte nous propose aussi une certaine vision de la société fondée sur une conception très libérale de l’économie, avec peu de gagnants et beaucoup de perdants, le tout assorti d’un sens moral fort contestable. Je ne suis pas certain, notamment, que sanctifier le jeu et l’argent facile soit le meilleur moyen de préparer les jeunes générations aux défis qui les attendent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.