M. David Assouline, au nom de la commission de la culture. Telle est la proposition que j’avais formulée dans mon rapport, mais qui ne semble pas rencontrer d’écho, même sous la forme d’une cacophonie. Sur ce sujet, j’ai l’impression que c’est le « silence radio ».

Lorsque l’on pose cette question au CSA, ce dernier répond qu’il ne dispose absolument pas des moyens de prendre en charge une telle mission et qu’il refuse de se la voir confier sous peine d’exploser et de ne plus pouvoir travailler. Mais il n’existe aucune instance parallèle spécifique.

Quelle est, madame la secrétaire d’État, la philosophie du Gouvernement sur cette question ? Peut-être auriez-vous vous-même une perspective, un calendrier, voire une simple promesse qui pourrait engager le présent Gouvernement ?

On pourrait gloser à l’infini sur les meilleurs moyens de répression, de contrôle, de régulation, de limitation de l’exploration d’un espace numérique sans limites. On ne viendrait pas pour autant au bout de la question, car, précisément, le contrôle absolu sur Internet n’existe tout simplement pas et ses effets pernicieux pour nos libertés sont majeurs.

Pour en revenir au début de mon intervention, la priorité doit être donnée à l’éducation, qui responsabilise, émancipe et libère.

Je conclurai par plusieurs interrogations.

Chacun l’admet, nous vivons une révolution technologique et culturelle, qu’il nous faut accompagner sérieusement. Le Gouvernement doit en prendre conscience, s’y employer activement et faire en sorte que l’ensemble de la société se saisisse de cette question à la hauteur de l’enjeu.

Si cette prise de conscience a eu lieu au sein de votre gouvernement, je ne suis pas certain qu’elle soit suivie de décisions permettant de dégager des moyens suffisants. Or le chantier est gigantesque.

J’ai bien compris que le Gouvernement allait investir dans les réseaux par le biais du grand emprunt, mais quid du service après-vente, de l’accompagnement de la révolution technologique, de l’éducation ?

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous me dire, à peu près, quels sont les moyens consacrés à la prévention et à la régulation des risques liés à Internet ? Pouvez-vous détailler les sommes consacrées à la protection de la jeunesse ? Pensez-vous, plus généralement, que le Gouvernement doive augmenter ses investissements en la matière ?

Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, sous la pression du développement de la société de l’information, Internet est devenu le moyen de communication le plus sollicité. Comment, dès lors, peut-il profiter aux plus jeunes sans pour autant les mettre en danger ?

Si les technologies de l’information et de la communication, telles qu’Internet, constituent indéniablement un outil pédagogique et de communication bénéfique pour les enfants, les jeunes et leurs familles, elles n’en demeurent pas moins des vecteurs potentiels de dangers qui posent la question de la protection de l’enfant, notamment en termes de contenus inadaptés à de jeunes publics : images violentes et traumatisantes, dégradantes, pornographiques et pédopornographiques.

Internet regorge de ces communications manifestement immorales et illicites. Des actes apparemment légers et de divertissement peuvent avoir des conséquences importantes. Je pense, par exemple, au sexting, phénomène nouveau et dramatique, consistant, pour des adolescents, à transmettre, grâce à leurs téléphones portables, des images érotiques personnelles.

Je ne peux que me réjouir d’entendre que l’éducation aux nouvelles technologies a été intégrée dans le socle commun de connaissances et de compétences à maîtriser par tout élève à l’issue de la scolarité obligatoire. Actuellement, cet enseignement reste avant tout centré sur l’apprentissage matériel de l’outil Internet, sans véritable identification des contraintes juridiques et sociales dans lesquelles s’inscrivent ses différentes utilisations. Il est pourtant indispensable de dissocier la maîtrise technique des outils numériques de leur usage éthique et responsable. Il s’agit aujourd’hui de définir ce qu’il est convenu d’appeler sur le réseau la « néthiquette ».

Faciliter l’accès à l’outil informatique, c’est non seulement permettre l’éveil aux nouveaux médias dès le plus jeune âge, mais aussi et avant tout, me semble-t-il, faire en sorte de développer l’esprit critique des générations futures à leur égard.

Cette précaution est incontournable pour que nos enfants ne soient pas à l’avenir aliénés à ces nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Il faut aider les plus jeunes à décoder les messages reçus, notamment les messages publicitaires, à analyser des images fixes ou animées. Il faut aussi les alerter contre les dangers potentiels des sites en ligne de rencontre et d’échange ou de certains blogs.

Pour cela, il est urgent de mettre en place une véritable et concrète éducation aux médias.

L’État, au travers de l’école, mais aussi la société tout entière doivent prendre leurs responsabilités face à la révolution numérique. Si nous sommes conscients des immenses progrès réalisés grâce au formidable outil qu’est Internet, nous savons aussi que, sans une éducation appropriée destinée à les protéger, les jeunes seront les premières victimes d’un fléau dramatique.

La semaine dernière, notre assemblée a voté à l’unanimité une disposition à ce sujet. L’article 1er de la proposition de loi coécrite par ma collègue du groupe du RDSE, Anne-Marie Escoffier, visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, confie désormais à l’éducation nationale une mission de prévention et de sensibilisation des jeunes quant à l’utilisation des services de communication au public en ligne et aux conséquences qu’elle peut avoir sur leur vie privée.

Aux termes de cet article, est donc insérée, dans le cadre de l’enseignement d’éducation civique, une formation destinée à développer le sens critique des jeunes internautes à l’égard de l’information disponible et des comportements de chacun en ligne.

C’est un premier pas dans la bonne direction. Je m’en réjouis, car il était fondamental d’intervenir rapidement pour protéger la vie privée face au développement massif d’espaces dits « sociaux » sur Internet, tels que Facebook ou les blogs personnels.

Mais il ne faut pas s’arrêter là. Il est essentiel de poursuivre l’effort engagé en s’assurant, notamment, que les moyens nécessaires à la bonne mise en œuvre de ces dispositions seront déployés dans une période où les moyens alloués à l’éducation nationale sont malheureusement déjà en constante diminution. Je suis, bien sûr, favorable à une ouverture en direction des documentalistes, aptes à prendre le relais en la matière.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ne sacrifions pas une génération sur l’autel du progrès technologique à tout prix ! Ne soyons pas pour autant liberticides !

Dans son rapport d’information fait au nom de la commission de la culture, David Assouline propose la création d’un organisme chargé de la protection de l’enfance sur les médias. Il se substituerait à l’ensemble des commissions existantes et verrait sa composition élargie à la société civile. Par ailleurs, il souhaite, comme nous, un renforcement de la coopération européenne et internationale, s’agissant notamment de la constitution de listes blanches et noires.

Je ne citerai pas toutes les propositions de la mission, avec lesquelles nous ne pouvons qu’être d’accord. À l’évidence, notre société doit se donner les outils pour rétablir l’équilibre entre répression et éducation, pour responsabiliser chacun d’entre nous, les jeunes aussi bien que les adultes qui les entourent, dans l’usage qu’ils font d’Internet.

C’est cet équilibre qu’appellent de leurs vœux les sénateurs radicaux de gauche et tous les membres du groupe RDSE. Nous attendons, madame la secrétaire d’État, des propositions concrètes du Gouvernement.

Mes chers collègues, n’oublions jamais la célèbre formule de Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » (Applaudissements sur le banc de la commission.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.

Mme Marie-Agnès Labarre. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure du développement des technologies numériques et alors que l’usage des ordinateurs, des téléphones portables et d’Internet est généralisé tant chez les adultes que chez les enfants, il est important de s’interroger sur la nécessité de protéger les jeunes des risques qu’ils encourent face à ces nouveaux médias susceptibles de véhiculer des contenus dangereux et de susciter des comportements qui le sont tout autant.

Il est nécessaire de réfléchir aux moyens de réguler et de réglementer, dans ce domaine comme dans les autres, pour protéger les utilisateurs.

Les nouveaux médias sont une chance dans la mesure où ils permettent une meilleure circulation des informations, un accès facilité à la connaissance et créent de nouvelles opportunités de s’exprimer. Néanmoins, ces dernières sont également porteuses de dangers réels, que nous ne devons pas exagérer, mais dont nous avons le devoir de tenir compte. Si les risques concernent l’ensemble des utilisateurs de ces nouveaux médias, les jeunes, notamment les enfants, y sont beaucoup plus exposés.

La Convention internationale des droits de l’enfant consacre le droit à l’information, le droit au loisir et au jeu. En ce sens, les nouveaux médias facilitent l’exercice de ces droits. Mais la Convention consacre également le droit à une protection particulière des enfants ; or, nous devons le reconnaître, il est bien difficile de définir les conditions de son exercice.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les dangers sont pourtant bien réels.

La thématique et les enjeux semblent désormais être compris par tous. Il ne s’agit en aucun cas de diaboliser les nouveaux médias, qui représentent a priori un progrès formidable pour la communication, la diffusion de l’information, de la connaissance et de la culture, mais il faut néanmoins « se méfier raisonnablement » d’Internet.

Il ne s’agit pas non plus de porter un jugement moral sur ce qui fait, de toute manière, partie de notre réalité, qu’on la condamne ou non. Cependant, il nous revient de réfléchir à une manière pertinente d’encadrer ce phénomène encore relativement nouveau.

Je le répète, les risques existent. S’ils ne concernent pas exclusivement les jeunes, ils les affectent de manière plus importante : c’est ainsi que les risques de dépendance, notamment, sont à prendre en compte au premier chef. Les jeux vidéo et Internet engendrent des formes d’addiction, qui placent souvent l’adolescent en situation d’isolement psychique et physique.

Lorsqu’il devient compulsif, l’usage de l’ordinateur affecte le comportement de l’enfant dans son ensemble, bouleversant son humeur et ses relations sociales. Et il peut apparaître chez l’adolescent instable des attitudes dangereuses pour lui-même ou pour autrui. Il y a là matière à agir de façon préventive.

L’exposition des enfants à des contenus choquants, violents ou pornographiques est également courante. Elle est facilitée par les nouveaux médias, qui sont, en cela, porteurs de dangers. Les protections mises en place se révèlent faibles et faciles à contourner.

La diffusion et la récupération de données personnelles sur Internet affectent la sphère de l’intimité, avec un risque de manipulation des jeunes, qui ne se rendent pas nécessairement compte de l’impact qu’elles peuvent avoir. Celles-ci sont d’ailleurs souvent utilisées à des fins publicitaires : c’est d’autant plus inadmissible qu’il s’agit d’enfants, par nature influençables.

Le public, notamment le plus jeune, est exposé à des contenus que l’on assimile à de l’information journalistique, c’est-à-dire fondée, vérifiée, y compris lorsque ce n’est pas le cas. Contre les risques de désinformation, nous devons en appeler à l’éveil de l’esprit critique.

Malheureusement, les récents débats n’ont pas eu véritablement de suite.

La prise de conscience est, certes, opérée. En atteste la tenue d’un atelier organisé par Mme la secrétaire d’État à l’économie numérique en novembre dernier sur le droit à l’oubli numérique, ainsi que la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, examinée la semaine dernière par notre assemblée.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne peux que me réjouir de ce débat qui nous réunit aujourd'hui, mais comprenez que je vous exprime mes doutes quant aux effets concrets qu’il produira effectivement.

En effet, si la thématique et la nécessité de protection semblent acceptées assez largement depuis quelques années – à l’exception des entreprises qui y voient un obstacle potentiel à leurs intérêts financiers –, force est de constater que les réponses apportées sont assez peu probantes : soit les moyens techniques appropriés font défaut, soit les acteurs concernés manquent du courage nécessaire pour porter ces propositions jusqu’au bout.

La solution actuellement retenue, l’élaboration de chartes professionnelles de bonne conduite, n’est pas satisfaisante. Une charte se réduit à une déclaration de bonnes intentions : c’est un peu court !

Sur la récente proposition de loi de nos collègues de l’Union centriste et du RDSE, je dirai ceci : elle est louable dans son principe, mais nous ne pouvons que déplorer le caractère peu contraignant des mesures qu’elle édicte, d’autant que l’adoption de certains amendements l’a peu à peu vidée d’une partie de sa substance.

Faut-il légiférer ? Et si oui, comment ? Cette proposition de loi, adoptée par le Sénat, renvoie la protection des plus jeunes à une sensibilisation de ces derniers aux dangers d’Internet dans le cadre des cours d’éducation civique.

Les jeunes doivent effectivement être informés et sensibilisés à ces problématiques dans la mesure où ils n’ont pas toujours conscience de l’utilisation susceptible d’être faite des données personnelles, notamment des photos, qu’ils publient sur les sites de réseaux sociaux ou les blogs.

Cela n’est cependant pas suffisant. Le jeune utilisateur ne maîtrise pas toujours la technologie qu’il manipule et n’identifie pas systématiquement les dangers auxquels il s’expose. La responsabilité de sa protection ne lui incombe pas seulement, ni à ses parents d’ailleurs : elle relève aussi de l’hébergeur de contenus, dont le champ d’action mérite d’être encadré et qui doit se voir imposer une réglementation respectueuse de ses usagers.

Introduire cette sensibilisation dans les cours d’éducation civique, comme le suggèrent les auteurs de la proposition de loi, est une bonne idée. Cela étant, pour que l’impact d’une disposition centrée sur la sensibilisation soit optimal, il faut que les professeurs d’histoire et de géographie chargés des cours d’éducation civique bénéficient à la fois d’une formation sur ces enjeux et du temps effectif pour dispenser ces heures sans sacrifier le programme scolaire qu’ils doivent terminer.

Les solutions existantes sont, par ailleurs, insuffisantes.

Certes, l’article 227-24 du code pénal précise : « Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. » Toutefois, dans les faits, on constate une absence de contrôle effectif de l’application de ce principe sur Internet.

Le système d’avertissement est, en outre, bien trop faible : sur certains sites de vente d’alcool ou au contenu pornographique, un simple message demandant à l’utilisateur de confirmer qu’il est majeur permet d’y accéder.

De manière générale, le système d’avertissement et de signalement, qui est au demeurant appliqué à la télévision, semble assez peu efficace sur Internet dans la mesure où l’usage d’un ordinateur est individuel et discrétionnaire.

Les logiciels de contrôle parental ont une efficacité limitée : dans la mesure où ils ne bloquent l’accès qu’à certains mots, il est facile de les contourner et, partant, impossible de tout contrôler, notamment sur les sites étrangers. Leur mise en œuvre requiert, du reste, une certaine maîtrise technique, que tous ne possèdent pas. On ne peut que souhaiter, dans ce domaine, comme dans d’autres, une véritable sensibilisation des parents, une réelle éducation à l’art d’être parent.

Par ailleurs, l’absence d’obligation pour les hébergeurs de surveiller les contenus des sites qu’ils accueillent, hormis en ce qui concerne l’apologie de crimes et la pédophilie, pose problème, même si la réglementation nationale se heurte à des frontières qu’Internet ne connaît pas.

Il faut donc renforcer la réglementation, mais sans porter atteinte à la liberté.

Nous ne devons pas prendre le prétexte des difficultés rencontrées dans la construction d’une norme protégeant les utilisateurs, spécifiquement les jeunes, pour céder à la tentation de tout interdire a priori dans le but de mieux prévenir. Ce serait une forme de censure intolérable. « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté », écrivait Rousseau. Il est simplement temps pour nous de choisir les règles auxquelles nous voulons soumettre l’usage d’Internet, dont l’encadrement est actuellement insuffisant et qui bafoue de nombreux droits, notamment le respect de la vie privée et la garantie des droits d’auteurs.

Dans ce secteur des nouveaux médias, encore relativement récent et en perpétuelle évolution, nous peinons parfois à réguler ce qui nous est présenté comme une affaire de spécialistes, que seuls les professionnels seraient à même de comprendre, s’arrogeant de ce fait le monopole de la pensée en avançant des critères techniques que nous ne pourrions saisir.

Nous devons dépasser cet état de fait et nous attribuer le droit de penser les conséquences de l’usage de ces nouveaux médias d’un point de vue moral et de mesurer leur impact sur la vie publique ; nous devons refuser cette détention du savoir au nom d’un « progrès » dont nous serions les esclaves.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour conclure, je proposerai quelques pistes de réflexion.

Pourquoi ne pas créer une autorité spécifique relative à la protection des jeunes, dotée des moyens de contrôle et d’application figurant dans les dispositions pénales, déjà existantes, relatives à la protection de l’enfance et de la jeunesse ?

Pourquoi ne pas définir précisément la nature des contenus à interdire en raison de leur caractère choquant ou violent selon des critères précis, afin d’éviter le risque de censure, d’une part, et de faciliter le recours à la sanction, d’autre part ?

Je souhaite également que nous réfléchissions à un renforcement des obligations des hébergeurs concernant les contenus qu’ils éditent. Une législation franco-française sur l’usage d’Internet n’étant pas à même, par nature, d’assurer la protection nécessaire de nos enfants, nous pourrions œuvrer à l’universalisation de certaines dispositions protectrices de l’usager.

Enfin, parce qu’il n’y a pas de liberté sans responsabilité, donc sans éducation, et parce que cette dernière constitue le moyen le plus efficace, ayant potentiellement l’impact le plus fort dans l’immédiat et apparaissant comme le plus facile à mettre en œuvre, nous devons donner une véritable place à la sensibilisation des parents à l’usage de l’ordinateur en général et d’Internet en particulier, et informer également les enfants sur ces sujets dès l’école primaire. (Mme Françoise Laborde applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et son président d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour.

Cette initiative nous permet de prolonger le travail de fond que nous effectuons en commission et de revenir sur le rapport d’information de notre collègue David Assouline un an et demi après sa publication.

La question de la protection des jeunes face aux nouveaux médias est fondamentale à l’heure où ces derniers bouleversent tous nos repères et toutes nos habitudes. Elle a d’ailleurs été déjà évoquée la semaine passée, ici même, lors du vote de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique.

Aujourd’hui, bien sûr, le sujet est plus large et nous invite à réfléchir à l’ensemble des moyens, qu’ils soient ou non d’ordre législatif, afin de mieux protéger nos jeunes face à certains dangers liés aux nouveaux médias.

À la fin de l’année 2008, a eu lieu, aux États-Unis, le procès de Lori Drew, une Américaine de quarante-neuf ans qui s’était fait passer pour un jeune garçon sur MySpace, avec l’aide de sa fille Ashley. Cet adolescent fictif avait flirté en ligne avec une « amie » de sa fille, avant de la rejeter après plusieurs semaines par l’envoi d’un e-mail lapidaire : « Le monde serait meilleur si tu n’existais pas. ». L’après-midi même, la jeune adolescente était retrouvée pendue dans sa chambre. Lori Drew a été condamnée pour des délits de fraude informatique et harcèlement relatifs à la violation des conditions d’utilisation du site MySpace.

Ce fait, particulièrement tragique, met en exergue les dérives possibles des nouveaux médias.

Mes chers collègues, avant de vous livrer quelques pistes de réflexions en matière de protection, je pense utile de rappeler comment vit celle que l’on appelle la « génération digitale », en d’autres termes ces jeunes qui ont grandi dans le monde numérique.

Leur quotidien s’organise autour des sites de réseaux sociaux, des jeux en ligne, des sites de partage de vidéos, des MP3 et des téléphones mobiles. Ils écoutent rarement la radio, préfèrent programmer leur liste de musique sur leur iPod, regardent peu la télévision, qu’ils considèrent désormais comme dépassée, et retiennent plutôt le Web pour suivre leurs séries préférées. Ils téléchargent des films, « chattent » avec leurs amis via MSN, Facebook, et maintenant Twitter.

C’est au travers de ces nouveaux modes de communication, de ces nouvelles formes de culture, d’amitié, de jeu et d’auto-expression qu’ils arrivent à l’âge de la conquête de leur autonomie et qu’ils construisent leur identité. L’enjeu est donc de taille.

Différentes études menées sur le sujet permettent de dégager les grandes tendances des relations que les jeunes Français entretiennent avec les nouveaux médias.

La pratique s’est massivement généralisée et les usages se sont ancrés autour de deux pôles : la fréquentation de sites, principalement pour les travaux scolaires, et la communication à distance, près de 60 % des jeunes estimant important d’être connectés en permanence avec leurs amis.

Les jeunes ont intégré ces médias dans leur vie quotidienne, de façon régulière mais modérée, comme des services disponibles en fonction des priorités du moment. Ils n’ont en revanche pas d’idée précise sur leur impact sociétal.

En termes d’accès, près de sept jeunes sur dix utilisent Internet à la maison et 65 % déclarent ne jamais y avoir accédé depuis l’école.

Malgré leurs pratiques intenses et leur intérêt pour ces médias, ils se révèlent moins compétents qu’ils ne le pensent et ne le prétendent.

Enfin, dernier chiffre marquant, 85 % des jeunes souhaitent un contrôle accru sur le Net ; ils étaient 67 % à se prononcer en ce sens en 2000.

Les trois dernières données que je viens de citer indiquent les points sur lesquels il nous faut travailler.

Il n’est évidemment pas question de nier les apports des nouveaux médias que constituent la libération de la parole, la socialisation accrue, les sources diversifiées d’information, l’autonomie, le développement de certaines facultés artistiques ou scientifiques, mais il s’agit d’être attentif aux dangers que ceux-ci représentent.

Les premières conséquences peuvent porter sur la santé – manque de sommeil, exposition prolongée aux ondes, addiction – et favoriser à la fois la banalisation d’images violentes ou pornographiques et la déconnexion entre vie réelle et vie virtuelle.

J’ai eu l’occasion récemment de discuter de ce sujet avec le professeur responsable du centre de lutte contre les addictions au CHU de Rouen. Il me disait recevoir de plus en plus de jeunes frappés de dépendance sévère, phénomène pouvant mener jusqu’au suicide.

Mme Nadine Morano, secrétaire d’État. C’est vrai !