M. Luc Chatel, ministre. Madame la sénatrice, je ne crois pas que l’on sacrifie les élèves en assouplissant la carte scolaire. Vous-même avez d’ailleurs reconnu les limites d’un système qui a été instauré dans les années soixante. Il était alors considéré comme un outil de régulation nécessaire au regard d’une forte augmentation de la population et de la construction de villes nouvelles ou de quartiers périphériques.

Vous avez raison de dénoncer les effets pervers de pratiques de contournement qui avaient conduit à l’apparition d’un système à deux vitesses. Afin de remédier à cette dérive, nous avons assoupli, depuis 2007, la carte scolaire, en mettant en place des critères de priorité très rigoureux au bénéfice des élèves handicapés, boursiers, faisant l’objet d’une prise en charge médicale, devant suivre un parcours scolaire particulier ou concernés par un rapprochement de fratrie. Au regard de ces critères, deux demandes sur trois ont pu être satisfaites.

Notre objectif est d’aller plus loin, en évitant de retomber dans le phénomène de ghettoïsation qui caractérisait le système précédent. Nous devons donc maintenir les moyens dans les établissements qui pourraient être amenés à perdre des effectifs, de manière à donner aux équipes concernées la possibilité de mettre en place des projets pédagogiques attractifs. Comme je l’ai indiqué devant la commission des finances de votre assemblée, nous envisageons un traitement particulier pour les établissements des réseaux « ambition réussite », qui permettrait de recruter des enseignants sur profil, de mettre en œuvre de véritables projets pédagogiques et d’inciter, y compris financièrement, des enseignants à exercer dans ces établissements.

Nous travaillons donc dans cette direction, en menant une concertation avec les fédérations de parents d’élèves et les syndicats sur le sujet, avec la volonté de ne pas ghettoïser l’école et de remédier aux dérives de la carte scolaire que l’on a pu observer ces dernières années

M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour la réplique.

Mme Françoise Cartron. Monsieur le ministre, l’intention est certes louable, mais les faits la contredisent. La désectorisation a ghettoïsé un peu plus certains établissements, comme le montre l’exemple des collèges des réseaux « ambition réussite », qui ont perdu plus de 10 % de leurs meilleurs élèves, pourcentage bien supérieur à celui que l’on observe dans d’autres collèges. Pour l’heure, la volonté que vous affichez n’a pas été suivie d’effet.

Plutôt que d’abolir la carte scolaire, il conviendrait à mon sens d’en redéfinir les contours. Ceux-ci ne sont pas intangibles ; il faut aujourd’hui prendre en considération des mutations de population, afin d’instaurer une véritable mixité sociale dans tous les établissements scolaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Yannick Bodin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.

M. Christian Demuynck. Monsieur le ministre, en présentant, le 14 décembre 2009, les dépenses d’avenir du grand emprunt national, le Président de la République a annoncé la création de 20 000 places d’internats d’excellence dans les prochaines années.

Pour atteindre cet objectif ambitieux, le Gouvernement a dégagé des moyens importants, 500 millions d’euros ayant été réservés au titre de l’égalité des chances et des internats d’excellence.

Ce programme éducatif original, conçu en lien avec la politique de la ville, a été créé dans le cadre de la dynamique Espoir banlieues.

Ces internats d’excellence doivent permettre aux élèves concernés d’être accueillis au titre d’un projet éducatif créant les conditions de la réussite scolaire. Ils offrent ainsi un cursus complet à des jeunes motivés, qui ne bénéficient pas d’un environnement favorable pour réussir leurs études, et favorisent la mixité sociale.

Le premier internat d’excellence a ouvert en Seine-et-Marne, à Sourdun. Ainsi que le Président de la République l’a annoncé en décembre dernier, le Gouvernement s’est engagé à poursuivre dans cette voie. Le bilan de la première étape est plus qu’encourageant : près de 1 600 élèves ont bénéficié de ce dispositif depuis la rentrée de 2009. Les effectifs des internats de réussite éducative ont ainsi plus que doublé en une seule année, et le nombre de places devrait être proche de 4 000 à la rentrée de 2010.

J’espère que la Seine-Saint-Denis, dont je suis élu, pourra elle aussi avoir son internat d’excellence, et ainsi faire émerger de nouvelles élites issues de ses quartiers difficiles.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer la volonté du Gouvernement de s’engager pleinement pour la multiplication de ces internats d’excellence ? Pouvez-vous faire un point d’étape sur la rentrée de 2010 et nous exposer votre feuille de route en ce qui concerne l’utilisation des fonds du grand emprunt destinés à ce dispositif ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le sénateur, les internats d’excellence constituent effectivement un projet prioritaire pour le Gouvernement. Il s’agit d’un modèle éducatif nouveau, qui vise à renouer avec l’esprit de l’école de la République, en offrant à des jeunes méritants et prometteurs issus de milieux modestes des conditions de travail optimales pour les conduire vers la réussite et l’excellence.

Ces établissements proposent une pédagogie personnalisée. Les enseignants sont recrutés sur profil, et des assistants d’éducation accompagnent les élèves, notamment après la classe, dans leurs devoirs ou dans des activités culturelles et sportives.

Le premier internat d’excellence a ouvert ses portes à Sourdun, à la rentrée dernière, et notre objectif est de créer 20 000 places dans des établissements de ce type, grâce au grand emprunt. Pour ce faire, 200 millions d’euros ont déjà été mobilisés à ce jour, et nous avons décidé d’ouvrir dès la prochaine rentrée onze internats d’excellence répartis sur l’ensemble du territoire. Des élèves originaires de Seine-Saint-Denis sont d’ores et déjà accueillis à l’internat de Sourdun, monsieur Demuynck, et je suis tout à fait disposé à envisager avec vous, pour la rentrée de 2011, la création d’un tel établissement dans votre département.

Ce dispositif me semble de nature à répondre aux préoccupations que vous avez exprimées en matière d’égalité des chances, mesdames, messieurs les sénateurs. Notre volonté est d’offrir le meilleur à des élèves méritants et travailleurs issus de milieux modestes ou défavorisés. L’école de la République doit guider ces élèves prometteurs sur le chemin de la réussite scolaire.

M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck, pour la réplique.

M. Christian Demuynck. Je ne peux que me réjouir de vos propos, monsieur le ministre, s’agissant notamment de l’annonce de la création d’un internat d’excellence en Seine-Saint-Denis à la rentrée de 2011. (M. le ministre sourit.)

Lors des auditions auxquelles a procédé la mission d’information sur la politique en faveur des jeunes mise en place par le président Larcher, il est apparu que les internats d’excellence étaient considérés comme un moyen de permettre à des élèves prometteurs issus de quartiers difficiles de réussir. Leur volonté et leurs capacités ne sont nullement moins grandes que celles des jeunes venant de milieux plus favorisés.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.

M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le ministre, les carences de plus en plus criantes de notre enseignement public laïc conditionnent la réussite des élèves à la fréquentation de cours privés. Ce nouvel engouement, inquiétant à bien des égards, entraîne une ségrégation sociale entre les parents qui peuvent payer des cours particuliers à des tarifs prohibitifs et ceux dont les ressources leur permettent au mieux de faire vivre leur famille.

À cela s’ajoute une ségrégation géographique entre les élèves des établissements en difficulté, qui n’ont pas accès aux services de ces organismes de soutien scolaire, et ceux qui fréquentent les collèges des centres-villes, situés à proximité d’établissements d’enseignement privé.

Les élèves qui reçoivent des cours payants accèdent plus facilement aux classes préparatoires, puis aux grandes écoles. Ainsi, 55 % des élèves des classes préparatoires sont des enfants de cadres ou de membres de professions libérales, tandis que 16 % d’entre eux seulement ont des parents ouvriers, inactifs ou employés.

Certes, des mesures ont été prises. Ainsi, un crédit d’impôt a été institué en 2007 pour les familles non imposables : cette disposition constitue en quelque sorte le pendant de la possibilité ouverte aux familles imposables de déduire de leurs impôts 50 % des sommes consacrées à la rémunération brute d’un salarié à domicile.

Le marché du soutien scolaire privé s’élèverait a minima à 800 millions d’euros, et même beaucoup plus si l’on prend en compte le soutien à domicile. Sachant que 50 % de ce montant est remboursé aux familles par le biais de la réduction ou du crédit d’impôt, le soutien scolaire privé coûte donc quelque 400 millions d’euros à l’État. Cette somme suffirait à elle seule à financer les postes d’enseignants qui font tant défaut à l’enseignement public.

M. Jean-Luc Fichet. Cette stratégie d’excellence est injuste et inégalitaire, contraire aux fondements de la République. Un autre choix doit être fait, en utilisant cet argent pour financer des postes d’enseignants et de salariés de l’éducation nationale, mesure qui profiterait à tous les élèves.

Quelles dispositions comptez-vous prendre, monsieur le ministre, pour permettre un juste accès de tous à une éducation de qualité, et mettre fin à l’abonnement presque systématique des milieux ouvriers à l’échec scolaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le sénateur, j’ai moi-même évoqué les chiffres que vous avez cités lors d’un récent entretien sur l’inégalité des chances dans le système éducatif.

Je ferai tout d’abord observer que le soutien scolaire a toujours existé : nous nous souvenons tous d’enseignants qui donnaient quelques heures de cours particuliers.

M. René-Pierre Signé. Ce n’était pas à la même échelle !

M. Luc Chatel, ministre. Je reconnais que cette activité, hier artisanale, est en quelque sorte passée au stade industriel. La meilleure réponse à cette évolution, c’est le soutien scolaire public, monsieur Fichet.

M. René-Pierre Signé. Pour cela, il faut des enseignants !

M. Luc Chatel, ministre. L’école a décidé d’être son propre recours.

C’est la raison pour laquelle nous avons créé en primaire une aide personnalisée de deux heures par semaine, gratuite, assurée par de vrais professeurs, pour tous les élèves qui rencontrent des difficultés.

De même, nous avons mis en place l’accompagnement éducatif au collège, qui permet de prendre en charge les enfants que leurs parents souhaitent laisser dans l’établissement entre 16 heures et 18 heures. Un tiers de ces élèves bénéficient d’un soutien scolaire dans ce cadre.

Enfin, à la rentrée prochaine, nous allons mettre en place un accompagnement personnalisé de deux heures par semaine au lycée, destiné à tous les élèves et assuré par de vrais professeurs, dans le cadre du temps scolaire. Il s’agit à la fois de permettre aux élèves les plus en difficulté de rattraper leur retard et d’aider les meilleurs à préparer leurs examens et à aller le plus loin possible dans leurs études, conformément à notre souhait de viser l’excellence.

À la question très légitime que vous posez sur le soutien scolaire, monsieur le sénateur, nous apportons donc, depuis maintenant trois ans, une réponse interne au système éducatif public. Telle est la volonté du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique.

M. Jean-Luc Fichet. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Je crois comme vous qu’il vaut mieux améliorer les conditions d’enseignement au sein de l’école que favoriser le soutien scolaire par le biais de cours privés. Reste que le soutien scolaire au sein de nos établissements est encore tout à fait insuffisant aujourd’hui.

De surcroît, il faut savoir que ce soutien est généralement dispensé en dehors du temps scolaire. Une fois de plus, les enfants des milieux défavorisés ne peuvent en bénéficier, dépendants qu’ils sont des transports scolaires.

Cela étant, je suis satisfait des orientations que vous avez tracées, monsieur le ministre. J’espère que nous pourrons constater dans les mois et années à venir une régression des cours payants, au bénéfice du soutien scolaire dispensé au sein de l’enseignement public.

M. Jacques Legendre. Espérons-le !

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le ministre, tous les partis, de droite comme de gauche, se déclarent favorables à la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur.

Or, au cours des dernières décennies, on a constaté une aggravation de la ségrégation selon l’origine sociale pour l’accès à l’enseignement supérieur, cette évolution étant presque parallèle à l’augmentation des frais d’inscription et du coût des études.

On me rétorquera que l’État octroie des bourses, mais c’est une sombre plaisanterie ! En effet, lequel d’entre nous ne connaît des familles qui ne peuvent prétendre à aucune aide, leurs revenus étant à peine supérieurs au plafond, et dont les enfants sont amenés, faute de moyens, à exclure a priori certains choix d’orientation ?

Ainsi, monsieur le ministre, la seule inscription dans une école de commerce coûte de 10 000 à 20 000 euros par an. C’est un véritable scandale ! C’est bien sûr dans cette filière que la ségrégation sociale est la plus forte : toutes les statistiques montrent qu’elle accueille le plus faible pourcentage de jeunes issus de milieux modestes, et ce uniquement pour des raisons financières.

À l’époque où j’ai fait mes études, les grandes écoles scientifiques étaient véritablement gratuites. C’était d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les étudiants issus de milieux modestes les choisissaient, plutôt que les écoles de commerce.

On assiste aujourd’hui à une véritable farce : le directeur de Sciences-Po fait de grands discours sur sa volonté d’ouvrir plus largement son établissement aux jeunes issus des quartiers,…

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Masson.

M. Jean Louis Masson. … mais, dans le même temps, il fixe le montant des frais d’inscription à 10 000 euros par an, comme dans les écoles de commerce ! C’est une honte !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Chatel, ministre. Monsieur Masson, ce sujet ne relève pas directement de mon champ de compétence, mais plutôt de celui de Mme Pécresse. Je vais néanmoins vous répondre, au nom du Gouvernement.

Je n’ai pas le sentiment que la politique du Gouvernement en matière de bourses représente une sombre plaisanterie aux yeux des 80 000 boursiers supplémentaires qui entrent chaque année dans l’enseignement supérieur grâce au relèvement du plafond de ressources de 27 000 à 32 000 euros auquel nous avons procédé. J’ajoute que le montant des bourses a connu une augmentation de 6,5 % en trois ans, et même de 13 % pour les 100 000 étudiants les plus défavorisés.

Le Gouvernement a donc vraiment eu la volonté d’améliorer le dispositif. Certes, il reste encore des progrès à accomplir, notamment dans les écoles de commerce, où la proportion de boursiers est actuellement de l’ordre de 20 %, mais l’effort consenti depuis deux ans par ma collègue chargée de l’enseignement supérieur est sans précédent.

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réplique.

M. Jean Louis Masson. La question que j’ai soulevée est celle non pas des bourses, monsieur le ministre, mais du niveau scandaleux des frais d’inscription dans certaines filières.

Voilà trente ou quarante ans, notre pays était exemplaire en la matière, car un jeune pouvait faire des études supérieures presque gratuitement. Aujourd’hui, cela coûte de plus en plus cher ! Il est honteux de cautionner les pratiques de Sciences-Po !

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques.

Au nom du Sénat, je voudrais remercier M. le ministre de sa participation.

7

Candidatures à une mission commune d'information

M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt-cinq membres de la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été affichées.

Elles seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures, sous la présidence de Mme Monique Papon.)

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

8

Débat sur l'encadrement juridique de la vidéosurveillance

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur l’encadrement juridique de la vidéosurveillance, organisé à la demande de la commission des lois.

La parole est à M. Jean-Patrick Courtois, au nom de la commission des lois.