M. Jean-Patrick Courtois, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a décidé, le 16 avril 2008, la création d’un groupe de travail sur la vidéosurveillance, composé de notre collègue Charles Gautier et de moi-même.

De nombreux déplacements et auditions ont nourri notre réflexion sur le régime juridique et sur la pertinence de la vidéosurveillance, au moment où celle-ci commençait à connaître un développement accéléré.

Avant de vous présenter quelques-unes des conclusions auxquelles nous avons été conduits à l’issue de ces travaux, il me paraît important de faire un bref état des lieux de l’utilisation de cette technologie.

Il est clair que si la vidéosurveillance fait toujours l’objet de débats, ceux-ci ont quelque peu changé de nature.

En effet, lors de la mise en place des premiers systèmes, au cours des années quatre-vingts, puis lorsque certaines communes ont décidé d’utiliser cet instrument pour surveiller la voie publique afin de lutter contre la délinquance, les débats ont été vifs : cette technologie ne menaçait-elle pas les libertés individuelles et collectives, en particulier la vie privée et la liberté d’aller et venir ? N’allait-on pas vers une société de surveillance généralisée, au point de donner vie, à peu près à la date imaginée par son créateur, au fameux Big Brother ?

Plusieurs éléments ont cependant contribué à apaiser ces craintes, au moins en partie. Est tout d’abord intervenue la création d’un cadre juridique spécifique, par la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité de 1995, qui instaure un régime d’autorisation préfectorale de la vidéosurveillance sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public. Parallèlement, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, est compétente pour les lieux privés et lorsque les enregistrements sont utilisés dans un traitement automatisé.

Le fonctionnement et l’usage concrets des systèmes de vidéosurveillance ont également quelque peu rassuré. Ainsi, nous avons demandé aux personnes entendues lors de nos travaux si elles avaient eu connaissance de dérapages ou d’utilisations abusives de la vidéosurveillance, qui auraient en particulier porté atteinte au respect de la vie privée. Or, aucune utilisation manifestement abusive ne semble avoir été constatée dans les espaces publics.

Ainsi, la vidéosurveillance est aujourd’hui une pratique assez largement acceptée par nos concitoyens et mise en œuvre par des élus locaux de tous bords.

Fort de ce constat, l’État a décidé de s’impliquer davantage aux côtés des collectivités pour la développer dans les espaces publics. Il a ainsi prescrit des normes techniques minimales pour homogénéiser les systèmes et rendu possible le report des images vers les services de police et de gendarmerie.

Ces ajustements législatifs, qui n’ont toutefois pas modifié le cadre légal général de la vidéosurveillance dans les espaces publics, ont été suivis d’un engagement financier et politique en faveur de cette technologie : lancement, à l’été 2007, d’un plan national de développement de la vidéoprotection, avec comme objectif de passer de 20 000 à 60 000 caméras surveillant la voie publique en deux ans ; création sur l’initiative du ministre de l’intérieur d’une commission nationale de la vidéosurveillance en novembre 2007 ; mise en place d’un comité de pilotage stratégique chargé de concevoir et de promouvoir de nouvelles mesures.

Le Président de la République, quant à lui, a accéléré en 2009 la mise en place du plan national de la vidéoprotection. Aux projets financés chaque année sur les crédits du Fonds interministériel de prévention de la délinquance s’ajoute ainsi en 2009 et en 2010 un programme comprenant notamment la mise en place de systèmes municipaux « types » de vidéosurveillance urbaine qui tirent les leçons de certains échecs passés, en prévoyant une densité de caméras significative, l’existence d’un centre de supervision urbain et son raccordement aux forces de l’ordre.

Enfin, le plan « 1 000 caméras » a été adopté à Paris. Issu d’une collaboration entre la préfecture de police et la mairie de Paris, il prévoit la mise en place de plus de 1 200 nouvelles caméras en plus des quelque 300 déjà présentes.

Au total, on comptait en 2007 environ 340 000 caméras autorisées dans les espaces publics au titre de la loi de 1995, ce nombre étant bien sûr aujourd’hui très largement dépassé. La grande majorité d’entre elles sont installées dans des établissements privés recevant du public, le reste dans les transports et sur la voie publique.

Cette implication accrue de l’État ne doit cependant pas occulter les nombreuses questions qui se posent encore et que nos travaux ont permis de soulever.

D’abord, le débat sur la conciliation de la vidéosurveillance avec les libertés individuelles n’est pas clos. Au contraire, l’émergence de formes plus évoluées de cette technologie le rend peut-être plus nécessaire qu’auparavant. Aux caméras défaillantes et aux images floues des premiers temps ont en effet succédé des systèmes plus performants, en attendant la vidéosurveillance dite « intelligente », capable de détecter dans une foule des mouvements ou des sons anormaux. La biométrie, c’est-à-dire au premier chef la reconnaissance faciale, est également en cours d’expérimentation.

En outre, les usages de la vidéosurveillance se diversifient : de plus en plus de véhicules des forces de l’ordre sont équipés de caméras embarquées, afin notamment de fournir à l’autorité judiciaire des précisions sur les conditions des interpellations. (M. René-Pierre Signé s’exclame.) La mise en œuvre du système de lecture automatisée de plaques d’immatriculation, dite LAPI, automatisé et couplé à des traitements informatiques, est un autre exemple de cette diversification.

Face à ces évolutions, le Conseil constitutionnel a récemment rappelé, au travers de sa décision du 25 février 2010 sur la loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public, que le législateur ne pouvait créer de nouveaux usages en matière de vidéosurveillance sans prévoir les garanties nécessaires à la protection de la vie privée.

Parallèlement au débat sur les libertés, celui sur l’efficacité de la vidéosurveillance se poursuit. À cet égard, l’expérience anglaise doit nous servir d’avertissement, car elle révèle les quatre erreurs à ne pas commettre : prévoir une phase de conception trop courte ; installer des caméras ne fournissant que des images de mauvaise qualité ; ne pas former les policiers et les gendarmes à l’utilisation de ces images ; enfin et surtout, ne pas permettre aux forces de sécurité d’exploiter suffisamment les images à des fins d’investigation et à l’autorité judiciaire de les utiliser comme preuve au procès pénal.

Nous avons cependant pu constater que certaines collectivités essayaient déjà d’éviter ces écueils et visaient d’emblée la qualité. Nous avons ainsi été frappés par l’expérience de la communauté d’agglomération de la vallée de Montmorency, qui a mis en place un système de vidéosurveillance à l’échelle intercommunale, au terme d’une réflexion de quatre ans menée dans le cadre du conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance.

Après ce rapide état des lieux de la vidéosurveillance, j’en viens maintenant au cadre juridique.

Il résulte de nos travaux que ce cadre ne permet plus de satisfaire à la double exigence d’efficacité et de préservation des libertés publiques que j’ai évoquée.

Les problèmes sont multiples : il existe des conflits de compétence non tranchés entre la CNIL et les préfets, selon le lieu et la technologie utilisée ; le contrôle n’est pas homogène sur le territoire national et les nouvelles utilisations de la vidéosurveillance sont mal prises en compte par les textes, qui n’autorisent pas la souplesse nécessaire, en particulier pour les petites communes qui souhaitent développer des systèmes d’ampleur limitée ou temporaires.

C’est pourquoi, en suivant pour l’essentiel les conclusions de notre rapport, mais en m’en éloignant quelque peu sur un point, car ma réflexion a évolué depuis sa publication voilà déjà plus d’un an, j’aimerais suggérer une évolution de ce cadre vers un dispositif à trois niveaux : réflexion et conception, autorisation, contrôle. Chacun de ces niveaux impliquerait une autorité différente, de manière à assurer un équilibre favorable à la préservation des libertés.

En premier lieu, le développement de l’expertise sur les caractéristiques techniques et sur les bonnes pratiques en matière de vidéosurveillance, l’évaluation de la performance des technologies existantes et à venir sont indispensables pour améliorer l’efficacité de cet outil dans la lutte contre la délinquance.

Ce rôle pourrait être tenu par une commission nationale de la vidéosurveillance renforcée, qui l’exercerait au bénéfice de l’État, des collectivités et des entreprises. Cette commission participerait ainsi notamment à l’actualisation des normes techniques en la matière.

En deuxième lieu, l’autorisation des systèmes de vidéosurveillance resterait une compétence de l’État, exercée au travers de ses préfets. Sur ce point, il n’y aurait donc pas d’évolution par rapport au droit actuel.

En troisième lieu, et je développerai un peu plus longuement ce point, le contrôle des dispositifs de vidéosurveillance de la voie publique et des lieux ouverts au public pourrait être confié à la CNIL, qui l’exerce déjà pour les lieux privés et pour les dispositifs combinés à des traitements automatisés de données. En effet, tout le monde s’accorde à reconnaître que le contrôle aujourd’hui exercé par les commissions départementales de vidéosurveillance est à la fois insuffisant et morcelé, notamment du fait de la non-permanence de ces commissions et de leur manque d’expertise technique.

L’attribution de cette fonction de contrôle à la CNIL serait de nature à améliorer considérablement la situation. En effet, comme nous l’avons souligné dans notre rapport, la technicité de la matière requiert des contrôleurs professionnels, crédibles face aux responsables des systèmes, aux collectivités et aux entreprises. La CNIL dispose de la compétence et de l’expérience nécessaires pour avoir cette crédibilité.

En outre, elle jouit d’une certaine notoriété et sa visibilité est susceptible d’inciter les personnes constatant des abus à les signaler davantage. La CNIL est d’ailleurs déjà souvent saisie de demandes émanant de personnes qui ne savent pas nécessairement – peut-on le leur reprocher ? – que le contrôle de la vidéosurveillance varie selon les lieux, ouverts au public ou privés, dans lesquels les systèmes sont installés, et selon la technologie mise en œuvre.

Cette option préserverait également les deniers publics. En effet, la CNIL pourra, lors d’une même opération de contrôle et sans augmentation significative de ses coûts de fonctionnement, vérifier la licéité des traitements de données à caractère personnel et contrôler la conformité des systèmes de vidéosurveillance aux arrêtés préfectoraux les autorisant. Elle ferait ensuite parvenir au préfet et au responsable du système, c’est-à-dire souvent au maire, un rapport faisant état des résultats de ce contrôle et pourrait demander au préfet la suspension ou même la suppression d’un système non conforme à l’autorisation de création. De plus, les maires pourraient solliciter directement la CNIL afin de faire valider leur système de vidéosurveillance. La commission interviendrait alors dans un esprit de conseil et de prévention, et non de répression.

Par ailleurs, la CNIL pourrait s’appuyer, dans l’exercice de cette nouvelle mission, sur le réseau des correspondants informatique et libertés au sein des entreprises et des collectivités locales, correspondants dont la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, récemment adoptée par la Haute Assemblée, tend d’ailleurs à généraliser la présence dans les grandes organisations.

Ainsi, pourquoi confier à une nouvelle instance le rôle de préserver les libertés publiques en matière de vidéosurveillance, alors qu’une autorité administrative indépendante qui existe déjà et fonctionne très bien en a parfaitement la capacité ?

D’autres évolutions préconisées par notre rapport concernent la souplesse de mise en place et d’utilisation de la vidéosurveillance.

Afin de faciliter l’adaptation des systèmes dans le temps, il serait ainsi préférable, plutôt que de délivrer une autorisation pour chaque caméra installée, de pouvoir délimiter des zones vidéosurveillées, à l’intérieur desquelles le responsable du système pourra déplacer librement des caméras et en moduler le nombre dans la limite d’un plafond, après simple notification au préfet. En effet, il n’est pas raisonnable que la moindre modification du mobilier urbain rendant nécessaire de déplacer une caméra de quelques mètres oblige le maire à demander une nouvelle autorisation. Dans ce domaine, le décret du 22 janvier 2009 représente une avancée, mais il faut aller encore plus loin.

Dans le même esprit, nous avons pu constater l’excessive lourdeur de la procédure d’autorisation, qui était la même pour une petite mairie souhaitant installer quelques caméras et pour une agglomération mettant en place un réseau complet de vidéosurveillance exploité en temps réel. Là encore, les avancées du décret du 22 janvier 2009 semblent insuffisantes.

Une plus grande souplesse est également nécessaire pour que les élus locaux puissent assurer la sécurité lors des manifestations sportives ou d’autres rassemblements de grande ampleur. Pourquoi ne pas créer une autorisation permanente d’installer des caméras sur un site défini, chaque fois que la nécessité s’en fera sentir et seulement pour la durée de la manifestation, de sorte que les démarches administratives soient faites une fois pour toutes ?

En contrepartie de cette souplesse accrue, les zones de vidéosurveillance devraient être plus clairement signalées au public. Dans un esprit de transparence, un compte rendu du fonctionnement des systèmes de vidéosurveillance pourrait figurer parmi les annexes au budget primitif ou, plus exactement, au compte administratif de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale, au même titre, par exemple, que la liste des délégataires de service public. Ce compte rendu serait publié.

J’espère, mes chers collègues, que ces quelques propositions pourront contribuer à alimenter nos débats lors de l’examen, dans quelques semaines, du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, ou LOPPSI. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles Gautier, au nom de la commission des lois.

M. Charles Gautier, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir pour débattre de l’encadrement juridique de la vidéosurveillance. Ce débat a lieu, je tiens à le préciser, à la demande de la commission des lois du Sénat et fait suite au rapport que Jean-Patrick Courtois et moi-même avons présenté en décembre 2008.

Je tiens à saluer, à cet instant, le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, qui, sur la question de la vidéosurveillance, a toujours fait preuve d’une grande ouverture d’esprit. Je profite également de cette occasion pour remercier les membres de la commission, qui ont adopté notre rapport à l’unanimité. Ce fait a son importance, car, voilà quelques années encore, les débats sur cette question étaient particulièrement passionnés. Ils opposaient les « anti » et les « pro », chacun restant sourd aux arguments des autres. Il semble aujourd’hui que nous sortions de cette confrontation stérile. C’est donc l’occasion pour le législateur de se poser la seule question qui compte : celle de l’encadrement juridique de la vidéosurveillance.

Le groupe socialiste est particulièrement attaché aux garanties fondamentales, ainsi qu’à la mise à la disposition des élus locaux d’instruments nouveaux pour assurer une plus grande sécurité à nos concitoyens. La vidéosurveillance peut être au nombre de ces instruments. Loin d’être l’équipement magique qui résoudrait tous les problèmes de sécurité, il doit être envisagé comme un outil parmi tant d’autres au service des élus et de la sécurité des Français.

Contrairement à ce que d’aucuns affirment, la prévention ne peut se limiter à la vidéosurveillance. Celle-ci n’est qu’un moyen : elle ne peut pas remplacer tous les acteurs, et elle ne peut pas tout. C’est pourquoi je milite pour que le Fonds interministériel de prévention de la délinquance ne se limite pas au financement de la mise en place de systèmes de vidéosurveillance dans les communes. Je n’ai pas le temps de revenir en détail sur le sujet, mais j’ai déjà plusieurs fois souligné le désengagement de l’État du financement des politiques de sécurité publique, au détriment des finances locales.

Revenons donc à notre rapport.

La vidéosurveillance doit être considérée comme un instrument à la disposition des élus dans le cadre d’une politique publique de sécurité et de prévention de la délinquance. Comme pour tout instrument, des dérives sont possibles. Il est donc important d’en encadrer l’usage. C’est là, précisément, l’objet de la grande majorité des préconisations formulées dans le rapport. Sans vous livrer un inventaire à la Prévert, je voudrais insister sur celles qui me semblent essentielles.

Notre première recommandation, la plus importante à mes yeux, est de confier le contrôle a priori et a posteriori de la vidéosurveillance à la CNIL. Nous souhaitons qu’une seule et même autorité soit compétente à la fois pour les autorisations et pour le contrôle des systèmes de vidéosurveillance. On nous oppose parfois le criant manque de moyens dont souffre la CNIL, mais nous insistons, précisément, pour que ces compétences supplémentaires s’accompagnent des moyens nécessaires. Cette solution serait de toute façon moins coûteuse que la création d’une autorité ad hoc, à laquelle il faudrait aussi accorder des moyens !

Notre deuxième recommandation est de ne pas filmer des individus en catimini : la vidéosurveillance ne doit être ni du voyeurisme ni du flicage. Il nous est apparu essentiel que les citoyens soient informés. Les sites aujourd’hui placés sous vidéosurveillance ou appelés à l’être doivent donc être mieux signalés au public susceptible d’y être filmé. C’est une condition primordiale et un facteur de prévention : nos concitoyens ne doivent pas être filmés à leur insu.

Troisième recommandation, il convient de conserver le caractère public de la vidéosurveillance. Nous voulons empêcher que tant sa gestion que son contrôle puissent être un jour délégués à des prestataires privés. Le caractère public de la vidéosurveillance permet aux autorités publiques de conserver la maîtrise, et donc le contrôle, des systèmes et de leur utilisation, ainsi que des données. Nous serons particulièrement vigilants sur ce point lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dont le texte, dans certaines de ses versions, semblait aller à l’encontre de cette exigence.

Notre quatrième recommandation découle de la précédente, puisque nous demandons que soit améliorée la formation des personnels qui visionnent les images. Ces opérateurs devraient en outre être assermentés : cela permettrait à la fois de leur conférer un rôle plus central dans les politiques de sécurité et de mieux garantir les droits des citoyens, par un contrôle de la Commission nationale de déontologie de la sécurité – ou de ce qu’il en restera dans quelques mois… Le Centre national de la fonction publique territoriale peut parfaitement remplir ce rôle de formation.

Enfin, je voudrais insister sur notre sixième recommandation : qu’il soit fait un usage raisonné de la vidéosurveillance, en visant la qualité des systèmes plutôt que la quantité de caméras. Cette préconisation nous a paru s’imposer, notamment à la suite de notre visite à Londres et des critiques qui ont pu être émises à l’encontre du système londonien. Trop d’images tuent l’image, et les images ne servent à rien si, faute de moyens, elles ne peuvent ensuite être exploitées.

Mme Alliot-Marie, lorsqu’elle était ministre de l’intérieur, a mis l’accent à de nombreuses reprises sur l’importance toute particulière que le Gouvernement accordait à la vidéosurveillance comme outil d’une politique de prévention de la délinquance. En octobre 2007, elle annonçait le triplement du nombre de caméras en deux ans. Le projet de loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure a été examiné par l’Assemblée nationale voilà maintenant quelques mois. Sa discussion par le Sénat est annoncée, mais aucune date n’a encore été fixée.

En octobre 2009, M. le Premier ministre a présenté le plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes. La vidéosurveillance y est décrite comme un outil essentiel de la politique du Gouvernement en la matière.

Or, notre rapport d’information sur l’encadrement juridique de la vidéosurveillance – adopté, je le rappelle, à l’unanimité de la commission des lois du Sénat – a montré la profonde complexité et l’alarmante désuétude des règles applicables à la mise en place et au contrôle des systèmes de vidéosurveillance. À l’heure de la maturité de cet outil technologique et des systèmes de reconnaissance faciale, notre rapport a mis en évidence que le régime juridique actuel de la vidéosurveillance est dépassé. Les onze recommandations qu’il contient permettraient d’améliorer le contrôle et l’information du public, mais aussi l’efficacité même des systèmes. Constatant la volonté du Gouvernement de multiplier les systèmes de vidéosurveillance, je souhaite vivement connaître ses intentions quant à la nécessaire réforme de la législation applicable en ce domaine.

Il me paraît tout à fait essentiel – et je doute que mon collègue Jean-Patrick Courtois me contredise – que le Parlement ne fasse pas l’impasse sur cette question lors du débat sur la LOPPSI. Il y va de la garantie de certaines des libertés fondamentales de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alex Türk.

M. Alex Türk. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est effectivement nécessaire de mener rapidement une réflexion sur la vidéosurveillance, car l’utilisation de cette technique connaît un développement massif, qui s’opère sur un terrain juridique complexe. En outre, la vidéosurveillance, de plus en plus fréquemment couplée à d’autres technologies, s’insère aujourd’hui dans des dispositifs d’aménagement de l’espace et du cadre de vie. Tout cela doit donc être bien encadré sur le plan législatif.

Avec l’indépendance et le professionnalisme qui la caractérisent, la CNIL est en mesure d’assurer sans délai une harmonisation du contrôle a posteriori. Pour qu’elle puisse intervenir a priori, comme cela a été évoqué, il conviendrait d’accroître considérablement les moyens dont elle dispose. Je rappelle que les contrôleurs de la CNIL sont habilités par le Premier ministre.

Il s’agirait donc d’harmoniser l’ensemble de la politique de contrôle visant à vérifier que la loi est respectée sur le terrain. La CNIL pourrait établir un rapport annuel spécial, dans lequel elle formulerait des préconisations à l’adresse du ministre de l’intérieur, des préfets et des maires. Cela me paraît tout à fait envisageable. Il est essentiel de bien distinguer l’activité de contrôle exercée au regard de la garantie des libertés individuelles de l’analyse de la performance et de l’efficacité des systèmes.

Par ailleurs, à l’instar de nos collègues Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier, je considère, en tant que sénateur, qu’il ne serait pas raisonnable de créer de toutes pièces une autorité de contrôle pour remplir une mission que la CNIL serait très rapidement en mesure d’assumer pour peu que l’on développe son service des contrôles.

Selon un sondage réalisé voilà quelque temps, 71 % des Français sont favorables à la vidéosurveillance et 79 % d’entre eux considèrent qu’y recourir doit permettre d’améliorer le niveau de sécurité collective tout en garantissant la protection des libertés individuelles. À cet égard, les propos tenus par MM. Courtois et Gautier vont tout à fait dans le bon sens. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà une dizaine de jours, cinq pompiers catalans ont été jetés en pâture aux téléspectateurs. Filmés à leur insu dans un supermarché, ils ont été présentés comme des terroristes de l’ETA, membres du commando responsable d’une fusillade ayant coûté la vie à un brigadier français.

Cet exemple édifiant des méfaits de la vidéosurveillance nous oblige à le rappeler : la vidéosurveillance est liberticide. (M. le ministre s’exclame.) Elle porte atteinte à la présomption d’innocence, comme à bien d’autres droits fondamentaux, qu’il s’agisse de la liberté d’aller et venir ou du droit au respect de la vie privée. En outre, elle est inefficace.

Cependant, comme le dénonçait, en juillet dernier, le Syndicat national de la magistrature, le Gouvernement refuse de prendre acte de l’inefficacité de l’arsenal répressif qu’il a mis en place. Au contraire, il encourage davantage encore l’installation de ces dispositifs dans le cadre du plan de développement de la vidéosurveillance, dont l’objectif est de faire passer de 20 000 à 60 000 le nombre de caméras installées d’ici à la fin de l’année 2011.

Pourtant, aucune étude sérieuse n’a, pour l’heure, pu démontrer l’efficacité de ces dispositifs. Au contraire, une récente étude britannique a souligné les limites de la vidéosurveillance : malgré la multiplication du nombre des caméras – on en compte 90 000 sur l’ensemble du territoire du Royaume-Uni –, celles-ci n’ont, à long terme, aucun effet dissuasif, et 80 % des images sont inutilisables ; de plus, les caméras installées à Londres n’ont permis de résoudre que 3 % des affaires de vol. Un responsable de Scotland Yard a même conclu à un « véritable fiasco » d’une politique sécuritaire qui a mobilisé des millions de livres sterling.

Quant à l’étude française sur laquelle vous vous fondez, monsieur le ministre, et qui paraît plaider en faveur de la vidéosurveillance, force est de constater que de nombreux experts, notamment ceux de l’Institut national des hautes études de sécurité, en contestent la pertinence. Vous avez d’ailleurs vous-même fini par concéder que le nombre des actes de délinquance avait cessé de diminuer, malgré le nombre croissant de sites surveillés.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Pas du tout !

Mme Éliane Assassi. Néanmoins, malgré ce constat et le danger potentiel que représente la vidéosurveillance, les Français semblent favorables à ce dispositif.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Eh oui ! Alors que fait-on ?

Mme Éliane Assassi. Comme le rappelle régulièrement le Gouvernement, un sondage de mars 2008 confié par la CNIL à IPSOS a ainsi montré que 71 % des personnes interrogées étaient favorables à la présence de caméras de vidéosurveillance dans les lieux publics et que 65 % d’entre elles estimaient que la multiplication du nombre des caméras permettra de lutter efficacement contre la délinquance et le terrorisme.

Cependant, ces chiffres perdent tout leur sens si l’on omet de préciser que 79 % des sondés considèrent que les dispositifs de vidéosurveillance doivent être placés sous le contrôle d’un organisme indépendant. Si les Français sont soucieux de leur sécurité, ils le sont donc encore plus, avec raison, des garanties offertes par l’encadrement juridique des systèmes de vidéosurveillance.

Face aux objectifs du Gouvernement, qui entend voir tripler le nombre de caméras installées sur le territoire d’ici à un an, nous dénonçons l’absence de garanties suffisantes offertes par l’encadrement juridique actuel des dispositifs de vidéosurveillance.

Les carences de cet encadrement juridique ont d’ailleurs été parfaitement mises en lumière par le rapport d’information de nos collègues Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier ; trois d’entre elles méritent d’être soulignées.

La première concerne le manque de clarté. Suivant les lieux – publics ou privés – et les technologies utilisées –analogiques ou numériques –, les systèmes de vidéosurveillance relèvent soit du régime prévu par la loi Informatique et libertés de 1978, soit du régime mis en place par la loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité. Or, l’autorité chargée du contrôle de ces systèmes varie en fonction de la loi applicable.

En effet, le contrôle relève de la CNIL lorsqu’il s’agit d’un système soumis aux dispositions de la loi de 1978 et de commissions départementales lorsqu’il relève de la loi de 1995. Les citoyens s’y perdent et ne savent plus vers quelle autorité de contrôle se tourner. La multiplicité des plaintes et des demandes adressées à la CNIL concernant des systèmes pour lesquels elle n’est pas compétente en atteste.

Dès lors, peut-on raisonnablement considérer que le respect des libertés fondamentales est assuré quand l’autorité chargée de les garantir est difficilement identifiable ? Pour notre part, nous ne le pensons pas.

Une deuxième faiblesse du régime juridique de la vidéosurveillance réside dans l’inadéquation des mécanismes de contrôle prévus par la loi de 1995.

Par cette loi, sont confiés à des commissions départementales le contrôle des demandes d’autorisation d’installation de systèmes de vidéosurveillance sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public et celui des installations déjà en place. Or, les décisions prises par ces commissions ne sont harmonisées par aucune autorité nationale et souffrent d’un défaut de publicité. Elles sont donc sans cohérence d’un département à l’autre et n’ont aucun caractère dissuasif puisqu’elles ne sont pas portées à la connaissance du public. Elles n’offrent ainsi aux citoyens aucune des garanties qu’ils sont en droit d’exiger.

La troisième faiblesse du régime juridique de la vidéosurveillance tient à son obsolescence.

À l’heure actuelle, on assiste, par exemple, à un développement massif de dispositifs mobiles ou provisoires de vidéosurveillance. Il est ainsi prévu que la police et la gendarmerie se dotent, dans les prochaines années, de systèmes de vidéosurveillance mobiles destinés à équiper leurs véhicules ou leurs agents. Or, le régime juridique actuel de la vidéosurveillance ne comporte aucune disposition permettant d’informer le public de la présence de ces systèmes et de l’identité de leur responsable. L’encadrement juridique de la vidéosurveillance doit être réformé pour garantir le respect des droits fondamentaux des citoyens.

Cependant, aucune des modifications envisagées qui nous ont été soumises jusqu’à présent ne vont dans le sens d’un renforcement des garanties nécessaires.

Il suffit, pour s’en convaincre, d’évoquer les dispositions de l’article 5 de la proposition de loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public. Ces dispositions modifiaient le régime de la vidéosurveillance en permettant la transmission aux services de police et de gendarmerie nationale, ainsi qu’à la police municipale, d’images captées par des systèmes de vidéosurveillance dans des parties non ouvertes au public d’immeubles d’habitation. Clairement attentatoires aux libertés, ces dispositions ont heureusement été censurées par le Conseil constitutionnel en février dernier.

De la même façon, les modifications à venir ne permettent pas d’être optimistes. On peut d’ores et déjà entrevoir les limites et les dangers des changements que vise à apporter la LOPPSI II, dont nous aurons à débattre prochainement.

En effet, avec ce texte, « le Gouvernement réaffirme sa volonté de favoriser le développement massif de la vidéosurveillance comme outil de lutte contre la délinquance », au détriment du tissu associatif et des actions ayant des fins éducatives ou médicosociales.

La réforme envisagée pose trois problèmes majeurs.

En premier lieu, l’idée qui la sous-tend est d’accroître encore la surveillance visuelle des espaces publics, en la déléguant aux personnes privées. Les dangers d’une telle délégation avaient pourtant été soulignés dans le rapport d’information de 2008.

En effet, grâce à un tel système, également dénoncé par le Syndicat national de la magistrature, « les citoyens, déjà étroitement cernés par les caméras déployées à grand frais par la puissance publique, verront leurs faits et gestes épiés par les sociétés privées, au nom de la “protection” de celles-ci ».

En deuxième lieu, le projet de loi n’apporte aucune clarification sur le régime juridique de la vidéosurveillance et ne prévoit pas de confier à une autorité réellement indépendante le contrôle des violations.

Il est prévu que perdure la concurrence des régimes édictés par les lois de 1978 et de 1995, que j’ai dénoncée tout à l'heure. En outre, le projet de loi confie le contrôle des systèmes de vidéosurveillance à la Commission nationale de vidéoprotection, directement rattachée au ministre de l’intérieur, qui pourrait donc devenir juge et partie… L’attribution de la mission de contrôle à la CNIL, que le rapport d’information appelait de ses vœux et que la CNIL espérait pour garantir l’indépendance de ce contrôle, a donc été écartée.

En dernier lieu, le projet de loi reste silencieux sur les nouvelles technologies, telles que la vidéo-intelligence et la biométrie, et muet sur le croisement des méthodes de surveillance et des données collectées. Pourtant, le recours à ces nouvelles technologies est potentiellement, lui aussi, extrêmement attentatoire aux libertés.

À l’instar de nos collègues Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier, nous nous joignons à la CNIL, qui, en février dernier, réitérait « son souhait de voir le régime juridique de la vidéosurveillance revu et harmonisé de façon à assurer un contrôle véritablement indépendant de ces dispositifs, contrôle placé sous son égide ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la vidéosurveillance, qui fait l’objet de l’excellent rapport d’information de nos collègues Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier, n’est pas véritablement une nouveauté. Elle est en effet connue depuis des décennies, plus précisément depuis 1942, année où l’Allemagne hitlérienne la mit au point pour observer le lancement des célèbres fusées V-2.

En revanche, sa généralisation plus ou moins systématique constitue une innovation, ce qui ne peut qu’attirer l’attention du législateur, généralement placé sous les feux croisés de ceux pour qui, en matière de sécurité, la vidéosurveillance est la panacée, et des détracteurs de ces dispositifs, qui leur reprochent, parfois à juste titre, leur inefficacité, leur coût et les atteintes à la vie privée que leur utilisation est susceptible d’induire.

C’est dire si cette question compte parmi les plus complexes qui se posent aujourd’hui à notre société. Aussi tenterai-je d’éviter les partis pris et chercherai-je à comprendre comment, en une trentaine d’années, on est passé d’un système de protection de certains lieux très spécifiques relevant, par exemple, du monde assez clos de la haute joaillerie ou des grands musées de la planète, à la surveillance de lieux publics entiers où, à toute heure, déambulent des foules.

Contrairement à d’autres pays, la France a réglementairement défini l’encadrement de la vidéosurveillance dans les lieux publics en 1995. Cette question revêt une importance certaine à l’heure où l’État ne se contente plus de contrôler a priori les demandes d’installation de dispositifs de vidéosurveillance, mais encourage directement à mettre en place de tels équipements, en particulier par l’attribution d’aides financières au titre du FIPD, le Fonds interministériel de prévention de la délinquance, et en facilitant l’octroi des autorisations.

Les professionnels reconnaissent installer chaque année entre 25 000 et 30 000 nouveaux systèmes de vidéosurveillance. À la fin de 2007, le nombre de caméras autorisées sur la voie publique était estimé à 340 000, l’objectif clairement affiché étant de parvenir à tripler ce chiffre d’ici à l’année 2010, en répartissant les équipements dans les aéroports, les gares, autour des routes et dans les transports publics. C’est beaucoup – beaucoup trop si ce n’est pas utile !

Au reste, le décret du 22 janvier 2009 modifiant le décret initial de 1996 n’a-t-il pas créé des conditions propices à un traitement plus rapide des dossiers et, ainsi, à un tel essor ? Il est évident que le Gouvernement a choisi d’accélérer le rythme d’installation des caméras, mais a-t-il réalisé des études pour déterminer si cela est vraiment utile ?

Selon les partisans de la vidéosurveillance, ce système permet, en principe, de prévenir efficacement la criminalité. Je dis bien « en principe », car, en Grande-Bretagne par exemple, où la vidéosurveillance est très développée – plus qu’en France en tout cas ! –, on s’est très rapidement heurté au manque de personnel pour analyser les images collectées. Les surcoûts importants qui en ont résulté ont conduit Scotland Yard à parler, en 2008, d’un « utter fiasco », c’est-à-dire d’un échec complet !

Ainsi, alors que la Grande-Bretagne a investi des sommes fabuleuses pour s’équiper du plus vaste système de surveillance d’Europe, 3 % seulement des délits seraient résolus à l’aide des caméras de surveillance.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est déjà pas mal, d’autant que ce n’est pas fait pour cela !