Mme Anne-Marie Escoffier. Cela devrait nous engager à être prudents pour l’avenir et à faire en sorte que la vidéosurveillance joue un rôle véritable dans la lutte contre le terrorisme, la criminalité ou la délinquance, mais qu’elle ne soit pas un alibi rassurant la population, sans effet direct.

Avec 500 000 caméras, Londres est la capitale la mieux pourvue au monde, mais pas la plus sûre. En effet, la vidéosurveillance est rapidement détectée et sa présence ne fait souvent que déplacer les délits vers des zones non surveillées, où il faut alors envoyer patrouiller des policiers, ce qui est toujours plus efficace. En outre, la vidéosurveillance n’a pas d’effet dissuasif sur les comportements impulsifs, tels ceux qui sont provoqués par l’alcool.

Si cet outil est d’une grande utilité durant les phases d’enquête, notamment dans les lieux clos- les parkings, les centres commerciaux ou encore les commerces -, il est peu probant dans l’identification ou le suivi des délinquants qui opèrent dans des espaces étendus et complexes, comme les voleurs à la tire et les violeurs en série.

À ce titre, je crois utile de rappeler qu’il n’existe à ce jour en France qu’un seul rapport sur l’efficacité de la vidéoprotection. Il a été réalisé par votre ministère en juillet 2009, monsieur le ministre. Cela n’est pas suffisant pour généraliser l’usage de la vidéoprotection.

Ensuite, au coût de 15 000 euros en moyenne par caméra, il faut ajouter l’embauche des personnels chargés de regarder les écrans de contrôle en permanence. Ils sont, dit-on, 30 000 pour les 40 000 caméras dont le déploiement est prévu d’ici à 2011. Au mois d’octobre 2009, cela a conduit le gouvernement britannique à proposer aux citoyens de visionner chez eux les flux d’images de la vidéosurveillance, avec l’attribution d’une prime au meilleur « visionneur »…

Ce projet, qui incite au voyeurisme, est critiqué par beaucoup comme étant malsain et attentatoire. Si besoin était, cela montre que l’utilisation de la vidéosurveillance pose donc naturellement la question de l’éthique. C’est ce que fait régulièrement remarquer l’association Souriez, vous êtes filmés, en dénonçant, à juste titre, l’usage abusif des caméras, et posant ainsi un certain nombre de questions quant à l’intégrité physique et morale des personnes filmées, leur information sur ces images, le droit d’accès et la conservation de ces mêmes images, ainsi que les recours possibles en cas de difficultés d’accès auprès des commissions départementales de vidéosurveillance, lesquelles, le plus souvent, ont du mal à répondre aux demandes compte tenu de l’insuffisance de leurs moyens, humains et financiers.

Un certain nombre de textes sont actuellement en cours d’examen, en particulier le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dit « LOPPSI », qui a été transmis au Sénat le 16 février dernier.

Ce texte vise, d’une part, à étendre les cas d’autorisation de vidéosurveillance par des personnes privées filmant les abords de leurs bâtiments, afin de prévenir les atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans les lieux les plus exposés, et, d’autre part, à doter la Commission nationale de la vidéosurveillance d’une mission nationale de contrôle.

Il est vrai que la dualité des régimes juridiques et des organes de contrôle constitue une difficulté majeure non seulement pour les utilisateurs de la vidéosurveillance, qui ont parfois du mal à saisir la distinction entre lieux privés et lieux publics, mais aussi pour les citoyens qui souhaitent exercer leurs droits. À mes yeux, la Commission nationale de l’informatique et des libertés demeure la plus à même de se prononcer sur cette question.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà du positif !

Mme Anne-Marie Escoffier. Une question, certes d’ordre plus général, se pose néanmoins : la vidéosurveillance va-t-elle transformer chacune de nos villes en un gigantesque « Loft Story », où chacun d’entre nous sera prisonnier et où seront chaque jour épiés nos moindres faits et gestes, nos moindres déplacements et – pourquoi pas ? – nos moindres conversations par des milliers de surveillants invisibles constituant un anonyme et omniprésent Big Brother ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est surtout M 6 ou Canal + dont il faut se méfier !

Mme Anne-Marie Escoffier. Au-delà de ces considérations, je souhaite rappeler combien le groupe du RDSE entend demeurer vigilant face à une prolifération potentiellement anarchique de la vidéosurveillance, à son développement systématique et à un assouplissement de son cadre juridique qui, en l’état, ne semble pas justifié. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur celles du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Fournier.

M. Jean-Paul Fournier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat du jour s’inscrit plus que jamais dans l’actualité. Les récentes élections ont dessiné des inquiétudes et des aspirations. L’une d’elles est précisément le besoin de sécurité.

Non moins d’actualité, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure consacre une section entière à la seule vidéoprotection.

En conséquence, dans le débat que nous avons aujourd’hui sur l’encadrement juridique de la vidéosurveillance, nous ne saurions ignorer les orientations du texte à venir.

D’abord, la future loi consacrera l’appellation de « vidéoprotection ». Même si les peurs d’un usage liberticide de cet outil technique se sont sensiblement estompées grâce à un encadrement judicieux, le terme réaffirme les intentions des opérateurs, à savoir protéger le citoyen et ses biens, la surveillance n’étant qu’un moyen d’y parvenir.

Jusqu’à présent adapté à la situation, cet encadrement juridique peut-il être pérenne ou doit-il évoluer en fonction non seulement des objectifs de sécurité, mais aussi des techniques ?

Je m’en tiendrai aux seules installations de protection de voie publique et des lieux ouverts au public pour examiner trois questions.

Première question, l’encadrement juridique actuel est-il adapté à la montée en puissance quasi planifiée de cet outil ?

Depuis 1995, il a très peu évolué ; le régime d’autorisation préfectorale après avis de la commission départementale reste la règle.

D’abord, ce contrôle a priori permet-il, concrètement, d’absorber convenablement la recrudescence des dossiers ?

Bien plus que l’État, les élus sont sous la pression directe des victimes et du sentiment d’insécurité très prégnant chez certains administrés. De ce fait, dès que le choix d’investir est fait, la durée de la procédure ne doit en aucun cas perturber sa mise en œuvre. Le délai de consultation de la commission est de trois mois maximum, plus un mois. Il faut s’y tenir.

Même si, aujourd’hui, il est excessif de considérer qu’il existe un engorgement dans le traitement des demandes, cette éventualité ne peut être écartée dans tel ou tel département. Dans ce cas, il devra revenir aux préfets d’augmenter la périodicité des réunions de la commission. Nous le savons tous, si la lutte contre la délinquance est un combat de longue haleine, elle exige de la réactivité dans ses applications locales.

Compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel de 1994, qui impose un régime d’autorisation expresse, la souplesse pourrait venir d’une pratique plus courante et étendue de la demande d’autorisation de périmètre vidéoprotégé prévue par le décret du 22 janvier 2009. À ce sujet, bien que la circulaire ministérielle du 12 mars 2009 ait tenté d’apporter des précisions, cette notion de périmètre mériterait d’être approfondie.

Enfin, si, depuis 2006, le préfet peut prescrire la vidéoprotection pour des motifs de défense nationale ou encore dans les transports collectifs et leurs infrastructures, plus récemment, nos collègues députés ont modifié le texte initial du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure qui étendait le droit de prescription aux caméras urbaines. Malgré les intentions louables du Gouvernement, le libre arbitre de l’élu doit demeurer. Je ne doute pas un instant que notre assemblée aura la sagesse d’y veiller à son tour.

J’en viens à ma deuxième question : l’encadrement juridique permet-il une utilisation optimale des sources vidéo par les autorités policières et judiciaires ?

Le rapport de l’Institut national des hautes études de sécurité, l’INHES, est clair : la dissuasion, la prévention situationnelle se délitent très rapidement si la vidéoprotection ne démontre pas ses vertus coercitives. Son efficacité tient donc à deux éléments.

Il est d’abord nécessaire d’avoir des images de qualité. À cet égard, la loi de 2006 et les arrêtés subséquents ont fixé une norme de très haute qualité, à laquelle chaque opérateur est tenu. Il ne faut pas y revenir, mais une actualisation au gré de l’évolution des technologies s’imposera.

Ensuite, une bonne image ne sert à rien si personne n’est capable de la traiter. Sur ce point essentiel, l’engagement des acteurs l’emporte sur le cadre juridique. Le traitement des images dans le cadre de la police administrative et des procédures judiciaires relève non pas des collectivités opératrices, mais bel et bien de l’État. Or l’État n’a marqué que récemment son intérêt pour la vidéoprotection.

Il convient toutefois de reconnaître qu’il rattrape son retard, notamment depuis 2007, avec la mise en place du Fonds interministériel de prévention de la délinquance, le FIPD, et sa contribution financière au raccordement des gendarmeries et des commissariats aux centres de supervision urbaine, les CSU. Il serait souhaitable que les contrats locaux de sécurité, les CLS, formalisent l’utilisation optimale de la vidéoprotection pour une automaticité de son usage.

Par ailleurs, la prescription de l’accès des policiers et des gendarmes aux images et aux enregistrements dans le cadre de la police administrative devrait être une disposition obligatoire de l’arrêté d’autorisation.

Dans le même temps, peut-être faut-il s’interroger sur l’opportunité de créer une classification judiciaire spéciale pour une partie des agents opérateurs des CSU. Aujourd’hui, certains sont détachés et affectés à une tâche de repérage et de sélection des images. Dans ma ville, Nîmes, deux opérateurs œuvrent en permanence à la demande des services de l’État.

La réglementation doit aussi accompagner la diversité d’utilisation de la vidéoprotection. Si, en matière de contravention routière, la vidéo devient un outil utile pour les contraventions à la volée, la procédure de verbalisation demeure trop lourde : convocation du contrevenant, transmission au parquet, etc. Ne pourrait-on pas calquer ces procédures sur celles qui prévalent pour les infractions constatées par radar ?

J’en arrive à ma troisième question : l’encadrement juridique actuel prévient-il efficacement les éventuelles atteintes à la vie privée ?

Le sérieux de la procédure d’autorisation plaiderait pour son maintien en l’état. Peu de plaintes, aucune gravité. Pour autant, l’évolution des technologies doit conduire à une évolution de la réglementation ou, plus précisément, des organes de contrôle.

Comme le précisaient les auteurs du rapport d’information de décembre 2008, la compétence de la Commission nationale de l’informatique et des libertés pourrait fort bien être consacrée avec la « vidéo intelligente », voire biométrique, sans qu’il y ait à redire à cela, sauf, bien entendu, à prendre en compte les récents commentaires du Conseil constitutionnel rappelant que la loi de 1978 ne s’appliquait pas dans le cas d’espèce d’images tirées de parties communes d’immeubles non liées à un fichier à caractère personnel.

Monsieur le ministre, nul n’ignore votre souhait d’attribuer par la loi la compétence de contrôle a posteriori à la Commission nationale de la vidéosurveillance, dans le droit fil de la pensée constitutionnelle. Pour autant, à l’heure de la révision générale des politiques publiques, pourquoi un organisme supplémentaire, alors que la Commission nationale de l’informatique et des libertés peut offrir ses compétences éprouvées ?

Une troisième voie ne consisterait-elle pas à combiner l’acceptabilité juridique et la rationalité de la charge et de l’organisation publique ? Penser à faire entrer les missions de la Commission nationale de la vidéosurveillance dans le giron du futur Défenseur des droits présenterait peut-être un double avantage : le premier, hautement protecteur des libertés publiques et individuelles, lié à son statut constitutionnel ; le second, plus prosaïque, de rationalité et de lisibilité.

Dans tous les cas de figure, continuons à séparer l’autorisation et le contrôle. Dans un domaine où le préfet est à même de prendre en compte, dans sa décision, le ressenti des réalités du terrain, un éloignement de l’autorité compétente ne doit pas être négligé.

En conclusion, la réglementation actuelle ne présente pas de failles ou de défauts substantiels, notamment pour ce qui est de la vigilance qu’impose le respect de la vie privé. Il s’agira de l’adapter à l’évolution des techniques, à une présence généralisée dans la sphère publique et à son utilisation accrue dans ses applications originelles mais aussi nouvelles. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès.

Mme Virginie Klès. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne suis pas viscéralement, définitivement, contre la vidéosurveillance, mais, comme mes collègues de gauche, je suis viscéralement, définitivement, contre le dogme, contre le laxisme, notamment en matière de sécurité, et pour l’amélioration de la sécurité publique et le parler vrai.

Je suis donc venue vous dire quelques vérités, en tout cas pour mes collègues et moi, vous poser quelques questions et affirmer quelques convictions et principes démocratiques.

Pour parler vrai, il importe tout d’abord de ne pas confondre la sécurité, ou l’insécurité, avec le sentiment de sécurité, ou d’insécurité, et de ne pas entretenir la confusion en la matière.

Un exemple suffira à illustrer mon propos. Deux de mes amies ayant emprunté à New York le métro à une certaine heure ont éprouvé un fort sentiment d’insécurité. Un autre de mes amis, qui se trouvait dans le même métro au même moment, s’est quant à lui senti en parfaite sécurité. Je précise qu’aucun d’entre eux ne s’est fait agresser.

Monsieur le ministre, comme, dans votre ministère, on aime les chiffres et les statistiques, et comme un exemple ne vaut pas démonstration, je reprendrai les résultats des enquêtes sur la délinquance et sur le sentiment d’insécurité des femmes. Alors que, statistiquement, celles-ci sont moins agressées que les hommes dans l’espace public, c’est là qu’elles se sentent le moins en sécurité. En revanche, c’est dans la sphère privée qu’elles se sentent le plus en sécurité, alors que c’est précisément là qu’elles sont le plus exposées.

Il me semble donc extrêmement important d’établir une distinction claire entre le sentiment de sécurité et la sécurité : des caméras peuvent sans doute susciter le premier, mais elles ne sauraient créer la seconde. Les deux plans sont fondamentalement différents.

C’est également pour cette raison que je m’oppose au changement de dénomination et au remplacement du terme « vidéosurveillance » par celui de « vidéoprotection ». Appelons les choses par leur nom : jamais une caméra n’a protégé personne, cela se saurait ! Une caméra est là pour surveiller. Certes, cette surveillance peut avoir pour objectif de protéger, de prévenir, d’élucider ou de contribuer à élucider, mais faire de la caméra un outil de protection, c’est confondre la fin et les moyens.

Par « vidéosurveillance », on entend un dispositif qui contribue à donner un sentiment de sécurité et qui, éventuellement, participe à la protection des citoyens, en permettant des interventions humaines subséquentes. Mais ce n’est en aucun cas la caméra elle-même qui assure cette protection !

Faudra-t-il alors donner des noms différents à ces dispositifs selon la finalité qu’ils remplissent ? Pour les caméras servant à réguler la fluidité du trafic routier, on parlera bien de « vidéosurveillance », à moins de prétendre, mais cela sera difficile à prouver, que la circulation doit faire en elle-même l’objet d’une « protection » ! Il en ira de même pour les dispositifs installés aux abords de bâtiments publics, qui relèveront encore de la « vidéosurveillance ». Mais quid en cas de manifestation ? S’agira-t-il alors de « vidéoprotection » ?

Non, encore une fois, appelons les choses par leur nom et restons-en à la notion de « vidéosurveillance ».

Le citoyen a droit à une information pleine et entière. Au sein de la commission des lois s’est dégagé un consensus autour de la nécessité d’informer et de former les citoyens, notamment les plus jeunes, sur toutes les restrictions aux libertés individuelles auxquelles peut conduire l’utilisation d’internet. Je pense au pistage dont on peut faire l’objet lorsque l’on est connecté, aux problèmes de traçabilité. Tous s’accordent sur le nécessaire droit à l’oubli et sur le respect de la vie privée. Ce qui est valable pour internet l’est également dans d’autres domaines, notamment la vidéosurveillance.

Il convient de donner au citoyen les moyens de comprendre ce qu’il y a derrière les termes employés et les technologies utilisées, surtout aujourd’hui.

Les évolutions technologiques et notamment l’apparition du numérique permettent en effet une véritable révolution dans l’utilisation des caméras et de la vidéosurveillance. Ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd'hui. Ce qui était vrai avec le minitel ne l’est plus avec internet.

Donnons aux citoyens la véritable information.

Disons-leur que le fait d’enregistrer des images en numérique rend possibles les identifications, par le croisement de fichiers, de mesures biométriques, par les dispositifs de géolocalisation. Ne pas le leur dire revient à leur cacher la vérité et les empêcher de se positionner en adultes responsables. Cessons de les prendre pour des moutons que l’on peut effrayer par des mots et forcer à adhérer à des idées ou à des concepts qui ne leur ont pas été correctement expliqués.

J’abonderai dans le sens de nos collègues coauteurs du rapport d’information, il faut une information visible et lisible quand on installe des caméras de surveillance, et ce où que ce soit. Ce point ne fera pas débat, je pense, entre nous. Mais, pour être visible et lisible, l’information doit également être comprise.

Voilà pourquoi, j’y reviens, il faut parler de « vidéosurveillance » et expliquer aux citoyens toutes les possibilités d’atteintes à la vie privée que recèle le numérique. À eux alors de mesurer le rapport entre l’atteinte à la vie privée et les objectifs de sécurité fixés par l’utilisation de cet outil technologique. Oui, il faut quelquefois porter atteinte à la vie privée pour assurer la sécurité et la protection des personnes, mais cela se mesure et c’est l’appréciation du rapport entre ces deux intérêts contradictoires qui justifiera ou non l’emploi de la vidéosurveillance.

J’en viens à l’exploitation des images enregistrées. Qui en sera chargé ? De quels personnels parlons-nous ? De la police nationale, de la police municipale, de la gendarmerie ? Faudra-t-il des officiers de police judiciaire derrière chaque caméra ? Et quelle sera la formation ? N’est-ce pas là l’occasion de créer de nouveaux métiers, qui s’appuieraient sur une vraie formation, une formation éthique, et d’assigner aux personnels ainsi formés, en toute transparence, des objectifs affichés, et non pas cachés ?

Qui se demande aujourd'hui s’il est licite ou légitime de détourner l’usage d’une caméra, dont la finalité première est de permettre la surveillance aux abords d’un bâtiment public, pour filmer une manifestation qui viendrait à s’y dérouler ? Qui déterminera s’il est licite ou légitime d’enregistrer des images ? Qui déterminera s’il est licite ou légitime de zoomer sur des individus dont le comportement peut amuser, intriguer, inquiéter ?

Qui contrôlera les manipulations de caméras et les enregistrements d’images ? Qui s’occupera de la durée de la conservation de ces images et, le cas échéant, de leur destruction ? Qui vérifiera le droit d’accès à ces images enregistrées ?

En d’autres termes, qui garantira cet équilibre entre le respect du droit à la vie privée, qui a désormais une valeur constitutionnelle, et l’atteinte à cette même vie privée, parfois inévitable en fonction des objectifs ?

Sur ce sujet, je rejoins la position de Jean-Patrick Courtois et de Charles Gautier : la CNIL est une autorité administrative indépendante dotée de toutes les compétences nécessaires, mais aussi de l’expérience et des moyens. Elle est l’institution de référence dont nous devons consacrer la légitimité pour intervenir en matière de vidéosurveillance. Je ne réitérerai pas les propositions formulées en faveur de cette autorité ; elles ont été suffisamment détaillées pour que je n’aie pas à y revenir.

La CNIL doit avoir accès aux rapports et exercer son pouvoir de contrôle. Il faut que le citoyen lambda qui se sent bafoué dans ses droits puisse la saisir. Il faut que les avis qu’elle formule sur les autorisations ne soient pas seulement consultatifs mais qu’ils lient les autorités et qu’un avis conforme soit délivré avant l’installation de tout nouvel appareil ou de tout nouveau dispositif, bien entendu en lien avec les préfets.

Laissez-moi exprimer quelques doutes sur les objectifs chiffrés, quantitatifs, qui sont aujourd’hui affichés. Le Gouvernement entend multiplier par trois en deux ans le nombre de caméras. Pourquoi par trois ? Pourquoi pas par quatre, par dix ou par deux et demi ?

Rien, à ma connaissance, ne justifie cette multiplication du nombre de caméras. À quoi serviront-elles ? On les multiplie, mais pour les installer où ?

Pourquoi l’équipement et les achats de matériels sont-ils seuls à être budgétés ? Pourquoi n’est-il jamais question des moyens humains à mettre devant et derrière ces caméras ? Pourquoi ne parle-t-on jamais de l’usage qui sera fait des images ?

Ces caméras seront-elles installées dans les grandes villes, dans les petites villes, jusque dans les coins les plus reculés de nos campagnes ? Pourquoi pas, après tout, car les routes de campagne sont parfois dangereuses, on s’y fait agresser aussi.

Je m’explique d’autant moins cet objectif de multiplier par trois le nombre de caméras en deux ans que l’expérience de la Grande-Bretagne est riche d’enseignements à cet égard : un très grand nombre de caméras ont été installées un peu partout chez nos voisins, mais sans que cela fasse l’objet d’une réflexion approfondie, et, aujourd'hui, on ne sait que faire des images enregistrées, au point que 80 % des images ainsi collectées ne sont pas traitées par les services publics britanniques. C’est considérable, monsieur le ministre, mes chers collègues.

Puisqu’il est question de sécurité, pourquoi les crédits du Fonds interministériel de prévention de la délinquance sont-ils consacrés à plus de 50 % à ce projet d’équipement en caméras ?

Et pourquoi une telle précipitation, alors que les études ont démontré que ces dispositifs n’étaient efficaces qu’au prix d’une étude en amont longue, de plusieurs mois à quatre ans parfois, afin de déterminer précisément où implanter les caméras ?

Pendant ce temps qui aurait dû être consacré à la nécessaire maturation du plan, pourquoi « geler » les autres projets, par exemple la présence de travailleurs sociaux dans les gendarmeries pour accueillir les femmes victimes de violences ? Ces projets existent, ils ont reçu l’aval du Gouvernement, mais ils sont « gelés » au profit du financement de l’équipement en caméras…

Encore une fois, pour faire quoi ? Qui sera derrière ces caméras ? Où les mettra-t-on ? Quelles sont les zones qui seront surveillées ? Ne risque-t-on pas ainsi de déplacer la délinquance ? Quels sont les espaces publics ou privés ouverts au public qui nécessitent d’être équipés ?

Mais non, tous ces aspects doivent être traités en quelques semaines, avant que l’on ne signe les bons de commande de matériels !

Maire d’une petite commune de 6 000 habitants, j’ai déjà reçu plusieurs propositions de fabricants. Cède-t-on au lobbying, aux pressions des fabricants de caméras, à l’attrait de l’argent ou tout simplement à la fascination pour un nouvel outil technologique ? Je m’interroge.

L’extension de la vidéosurveillance qui se dessine ici risque d’être, au mieux, inefficace, au pire, dangereuse. On installera des caméras partout sans avoir rien préparé en amont. On déléguera peut-être même à des sociétés privées la gestion des dispositifs et des images, c'est-à-dire, mes chers collègues, la gestion de la sécurité publique… Voilà un réel danger pour notre démocratie.

Le même prestataire qui vendra le matériel, et le projet écrit afférent, assurera la maintenance et exploitera des données qui sont pourtant considérées comme personnelles.

Nous préparons l’avènement de la société de Big Brother – ce n’est pas moi qui ai employé cette expression la première –, voire de petits Big Brothers, pour reprendre les termes d’une personnalité dont je tairai le nom et qui n’est pas de gauche.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, attachée à la sécurité, à la prévention et à la répression de la délinquance, mais aussi à la protection qui est due à tout individu, je nourris de grandes inquiétudes face à l’utilisation de cet outil. La vidéosurveillance nous est en effet présentée comme la panacée, au détriment de tous les autres moyens, notamment humains, indispensables pour assurer la sécurité de tous sur notre territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Alduy.