M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. François Zocchetto, rapporteur. … car le Sénat, je le répète, ne peut se satisfaire de la situation actuelle. (Applaudissements sur les travées de lUMP. –M. Jacques Mézard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, Mme Alima Boumediene-Thiery, premier signataire de la présente proposition de loi, marque une fois de plus son intérêt, que partagent d'ailleurs nombre d’entre vous, pour les questions liées aux libertés publiques.

Comme l’a fort bien souligné M. le rapporteur, nous partageons tous un certain nombre de constats : le recours à la garde à vue est trop systématique ; les conditions de celle-ci sont trop souvent indignes, malgré les efforts de chacun ; l’avocat n’a pas les moyens de jouer pleinement son rôle au cours de la garde à vue.

Pour résoudre ces problèmes, la proposition de loi soumise à l’examen du Sénat prévoit – de manière radicale, comme l’a souligné M. le rapporteur – que toute personne placée en garde à vue sera immédiatement assistée d’un avocat si elle en fait la demande.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous entendons évidemment tenir compte de l’ensemble de vos travaux et de vos idées, dans le cadre de la concertation que mène Mme le garde des sceaux, ainsi d'ailleurs que la chancellerie dans son ensemble, sur la procédure pénale.

Je le répète, deux propositions de loi, dont l’objet est similaire ou plus large, ont été déposées au Sénat, respectivement par M. Jacques Mézard et par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tous ces textes font partie du débat, qui gagne à être large.

Je rappellerai également que l’opposition n’est pas la seule à suivre de très près les exigences posées par la Cour européenne des droits de l’homme, auxquelles M. le rapporteur a d'ailleurs fait allusion à l’instant. J’ai moi-même participé aux travaux de réforme de la Cour de Strasbourg qui ont été menés dans le cadre de la conférence d’Interlaken, à la fin du mois de février dernier, et je puis vous assurer que la France n’a pas à rougir de la façon dont elle applique la Convention européenne des droits de l’homme. Dans ces réunions, elle n’est pas montrée du doigt, loin s’en faut.

Je voudrais tout d'abord revenir sur la question, qui doit s’inscrire dans le cadre d’une réflexion globale, de la présence de l’avocat au cours de la garde à vue.

La réforme engagée est ambitieuse ; c’est d'ailleurs ce qui ressort des propos de M. le rapporteur. Il s'agit d’une refondation de la procédure pénale, qui vise à assurer l’équité de l’enquête, à renforcer la protection des droits et des libertés à toutes les étapes de la procédure, à trouver un meilleur équilibre entre les droits des victimes et les garanties de la défense.

C’est dans cet esprit que Mme le garde des sceaux a engagé une large concertation avec l’ensemble des acteurs de la procédure pénale, sur la base de l’avant-projet de loi qui a été rendu public et qui est donc accessible à tous.

La Haute Assemblée s’est engagée dans cette démarche, à travers – vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur – un groupe de travail animé par deux membres de la commission des lois ici présents. Toutefois, les acteurs des professions judicaires, dans leur ensemble, sont également impliqués dans ce processus. Une véritable concertation a été engagée : l’avant-projet de loi a vocation à être discuté, enrichi et amélioré par tous, y compris, bien entendu, par les praticiens.

La réforme de la garde à vue sera l’un des volets importants de cette démarche. Bien entendu, il faudra poser la question de la présence de l’avocat au cours de la garde à vue. Je dois d'ailleurs vous indiquer, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’avant-projet de loi va d'ores et déjà au-delà de cette mesure, puisqu’il vise à garantir les conditions de l’efficacité de l’assistance par un avocat. Ce dernier se verrait ainsi reconnaître la possibilité d’accéder aux procès-verbaux des interrogatoires, afin de mieux assister son client.

Pour autant, les réponses que nous apporterons devront s’inscrire dans une logique d’ensemble ; aucune question ne devra être éludée, y compris celle du rôle réel des gardes à vue, auquel M. le rapporteur a fait allusion.

En effet, le recours à la garde à vue ne devra être possible que dans les cas de crimes ou de délits punis d’une peine d’emprisonnement. Il devra également être distingué d’autres situations, comme le dégrisement.

Nous devons aussi aborder la question des critères établissant la nécessité de certaines mesures de garde à vue. Pour des affaires ne présentant pas un caractère de particulière gravité, la personne concernée pourra, sous réserve de son accord, être entendue librement.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué les pistes de réflexion lancées par Mme le garde des sceaux sur ce sujet ; elles méritent là encore d’être travaillées et approfondies, en analysant leurs différents aspects.

Je sais que cette proposition a fait l’objet de controverses. Toutefois, elle a aussi suscité un certain intérêt, car chacun sent bien qu’il faut résoudre le problème posé par l’absence de solution de rechange à la garde à vue.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué également – en fait, vous avez tout dit ! (Sourires.) – la culture de l’aveu. Certains, que l’on peut comprendre, craignent que l’aveu ne soit obtenu sous la pression.

L’avant-projet de loi précise déjà que l’aveu recueilli en garde à vue hors de la présence de l’avocat ne peut fonder à lui seul une condamnation, ce qui constitue tout de même une avancée importante par rapport à la situation actuelle. Il serait possible de prévoir en outre un meilleur encadrement de certaines pratiques ; c’est le cas, notamment, des fouilles, dont l’usage devra être limité et précisé.

En un mot, mesdames, messieurs les sénateurs, l’objectif que Mme le garde des sceaux et moi-même visons est de parvenir, avec les parlementaires et l’ensemble des acteurs concernés, à une réforme qui soit la plus cohérente possible.

En effet, quitte à mener une grande réforme, autant tenir compte de toutes les attentes, difficultés et manques qui ont été constatés, afin qu’elle soit faite pour longtemps.

Dans cette perspective, il ne nous paraît pas souhaitable d’isoler la question de la présence de l’avocat des autres aspects de la réforme de la garde à vue, sans même évoquer les difficultés pratiques qui sont liées au texte de la présente proposition de loi, pour lequel nous ne disposons d’aucune évaluation.

Par ailleurs, l’évolution de la présence de l’avocat au cours de la garde à vue doit prendre en compte les nécessités de l’enquête. Il faut permettre aux services de police ou de gendarmerie d’entendre directement une personne afin d’obtenir les informations indispensables à leurs investigations.

Or, comme M. le rapporteur l’a souligné, l’application systématique de la règle prévue par la proposition de loi serait, dans un certain nombre de cas, incompatible avec les exigences de sécurité inhérentes à ce type de procédure. Je pense moi aussi à la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. En la matière, le régime de la garde à vue ne peut pas être celui du droit commun.

Je tiens également à évoquer les difficultés qui peuvent être liées à l’assistance immédiate d’un avocat aux personnes placées en garde à vue.

Que faire si l’avocat ne se présente pas ? Toute investigation devra-t-elle être bloquée, en attendant qu’il se présente au commissariat ? Dans des cas comme les enlèvements et les séquestrations, nous le savons, chaque minute compte pour protéger la victime.

Que faire si l’avocat ne se présente pas au bout de vingt-quatre heures ? L’hypothèse d’une prolongation de la garde à vue paraît peu compatible avec le respect des droits de la défense.

Que faire si l’avocat ne se présente jamais ?

Monsieur le rapporteur, vous y avez fait allusion, la question de la présence renforcée de l’avocat – nous sommes tous d’accord pour reconnaître que cette présence devra être améliorée – pose celle du financement de l’aide juridictionnelle.

Dans le cadre de la concertation qui est engagée, nous menons, avec Mme le garde des sceaux, une réflexion à ce sujet. D’excellents rapports parlementaires ont d’ailleurs été rendus, tel le rapport d’information de M. Roland du Luart. De nombreuses et intéressantes idées sont avancées. À nous de déterminer celles qui sont aujourd'hui les plus adaptées et les plus à même d’être mises en œuvre, car un financement uniquement budgétaire n’est pas la solution. Nous le voyons bien, nous sommes arrivés à la limite de l’exercice.

C'est la raison pour laquelle, dans le cadre de la réflexion sur le financement de l’aide juridictionnelle, il nous faut formuler des propositions nouvelles. C’est ce que nous faisons, avec le souci de nous inscrire dans le calendrier que vous avez esquissé tout à l’heure, monsieur le rapporteur, en souhaitant comme vous qu’il soit confirmé. Nous y travaillons en tout cas, de manière que la question du financement de l’aide juridictionnelle ne soit pas dissociée de celle de la réforme de la garde à vue. Tout cela nécessite encore du temps, pour que les meilleures décisions soient prises.

En tout état de cause, le régime juridique que prévoit cette proposition de loi est trop rigide et semble inadapté à certaines procédures indispensables à la manifestation de la vérité. Je pense à certaines confrontations, notamment en matière d’inceste, où la confrontation immédiate d’un suspect et de sa victime, lors de la garde à vue, peut être nécessaire, mais d’autres exemples peuvent être pris. Tout cela mérite donc encore réflexion et travail.

Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont, en complément des réserves avancées par M. le rapporteur, les principales difficultés qui me semblent surgir à l’examen de la proposition de loi.

Pour autant, je le répète, le ministère de la justice n’entend pas décider seul des orientations souhaitables dans ce domaine. La réforme de la procédure pénale ne saurait être le travail d’une administration, d’un ministre ou d’un gouvernement. Elle doit être l’œuvre du plus grand nombre, pour être, le moment venu, une réussite. Nous y travaillons avec des praticiens du droit, des universitaires, des parlementaires de toutes sensibilités. Notre méthode sera celle de l’écoute et du dialogue. Tel est mon état d’esprit aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi qu’au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si c’est le troisième débat que nous avons sur ce sujet en quelques mois, nous n’en sommes pas pour autant au troisième acte ! C’est en effet toujours le premier acte, aucune avancée n’ayant été constatée depuis le début de nos travaux sur cette question.

Je trouve vos propos très optimistes, monsieur le rapporteur. En effet, à force de parler de cette question, le scandale s’émousse, la situation devient presque banale, alors qu’elle ne l’est pas du tout, et il n’y a plus grand monde en séance ! Lors de notre première discussion sur ce sujet, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi de Jacques Mézard, l’hémicycle était un peu plus plein… Désormais, plus personne ne s’y intéresse. On comprend la méthode du Gouvernement : lorsque tout le monde se sera détourné du problème, il sera temps de ne rien faire !

Monsieur le rapporteur, je trouve également vos propos tout à fait contradictoires. Vous convenez que le régime actuel ne peut plus être laissé en l’état, mais vous considérez qu’il faut malgré tout le maintenir pour réfléchir encore ! Sur cette question, votre embarras est manifeste, et la longueur de votre intervention en témoigne.

M. François Zocchetto, rapporteur. Ah, non, au contraire ! C’était pour tenter d’être complet !

M. Jean-Pierre Michel. Aujourd’hui, qu’en est-il ? Si nous connaissons le nombre exact de placements en garde à vue prononcés en 2008, nous ignorons celui de cette année. Nous savons en revanche que l’inflation est considérable, que plus de 600 000 personnes ont été concernées par cette procédure, un certain nombre d’entre elles pour moins de vingt-quatre heures. À mon sens, nous ne pouvons plus attendre.

Pour la chancellerie, il est certainement plus urgent de préparer un texte créant une infraction difficilement applicable à l’encontre d’une poignée de femmes qui provoquent le pacte républicain. Pour la garde à vue, il est urgent d’attendre !

Le comité Léger a pourtant formulé un certain nombre de propositions intéressantes et a notamment prévu la restriction des cas de placements de garde à vue. Il a en effet considéré qu’il s’agissait d’une mesure « coercitive » – le terme est intéressant –, ce qui a des implications pour ceux qui peuvent la mettre en œuvre : la mesure doit être proportionnée à l’infraction et strictement indispensable aux nécessités de l’enquête. Ce sont là deux critères fondamentaux.

La chancellerie a mis en ligne son avant-projet de réforme de la procédure pénale.

S’agissant de la garde à vue, presque tout est critiquable ! Ainsi, la définition de la garde à vue est beaucoup trop large. En outre, avec l’audition de quatre heures à compter de l’interpellation, une zone grise est créée : la police pourra entendre, sans aucune garantie, un individu pendant ces quatre heures, lesquelles pourront d’ailleurs être suivies par une véritable garde à vue. En d’autres termes, la garde à vue sera prolongée de quatre heures.

M. Jean-Pierre Michel. Le tour est joué ! On a très bien compris ce que le Gouvernement voulait faire. C’est absolument inadmissible, et je le dis très clairement.

Les propositions de la chancellerie sont également totalement insuffisantes en ce qui concerne la présence de l’avocat. Celui-ci doit pouvoir être présent dès le début de la garde à vue. Quelles conséquences cela aura-t-il ? Je n’en sais rien.

Mais rappelez-vous : lorsqu’il a été envisagé de prévoir dans le code de procédure pénale la présence de l’avocat dans le cabinet du juge d’instruction, que n’a-t-on entendu ! La Cour de cassation elle-même, en séance plénière, a délibéré sur ce projet et s’y est déclarée défavorable, sous prétexte que cela augmenterait la délinquance. Depuis, les esprits ont évolué, et tout le monde reconnaît la nécessité de cette mesure.

Par conséquent, je pense que tout le monde admettra bientôt que les avocats doivent être présents tout au long de la garde à vue et que personne ne remettra en cause leur déontologie.

Enfin, la garde à vue, dans la mesure où il s’agit d’une mesure coercitive, doit être placée sous l’autorité du juge du siège.

M. François Zocchetto, rapporteur. C’est ce que j’ai dit !

M. Jean-Pierre Michel. Lui seul a en effet les qualités d’indépendance requises par les normes tant européennes que françaises pour priver nos concitoyens de liberté.

D’ailleurs, pas plus tard qu’hier après-midi, sous votre impulsion, monsieur le rapporteur, et avec l’accord du Gouvernement, un pas énorme a été franchi. Le Sénat a en effet considéré que, pour les perquisitions et les saisies, c’est-à-dire pour l’atteinte au droit de propriété, c’est le juge du siège – et non le parquet – qui devait être seul compétent. Un tel raisonnement devrait à plus forte raison s’appliquer quand il s’agit de l’atteinte aux droits des personnes dans leur liberté d’aller et venir ! Mme le garde des sceaux devra réfléchir à cette avancée de notre assemblée et, si cette disposition est maintenue à l'Assemblée nationale, revoir un certain nombre des positions qu’elle développait ici-même.

La réforme de la garde à vue est urgente.

Elle l’est en raison de l’inflation considérable des gardes à vue, inflation qu’un responsable de la police – appelons-le ainsi – attribue à la loi Guigou. Voilà qui est tout à fait nouveau et un peu fort ! Je pense qu’on a dû lui demander de faire une telle déclaration et que, comme d’habitude, il se sera exécuté. On sait de qui l’on parle...

La réforme de la garde à vue est également urgente à cause de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et des nombreux recours qui sont formés devant les juridictions, lesquelles statuent de manière différente. Cela provoquera bientôt une paralysie du système, ce qui, à mon avis, n’est pas bon.

Vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, si la réforme globale de la procédure pénale qui est envisagée est votée – quand ? dans quelles conditions ? nul ne le sait –, la nature profonde de la garde à vue sera modifiée. En effet, la chaîne pénale ne sera plus scindée entre une enquête préliminaire sous l’autorité du parquet et une instruction ou une audience sous l’autorité du juge. Sous l’autorité de qui sera-t-elle alors placée ? L’avant-projet de loi prévoit celle du parquet. Je penche, pour ma part, pour celle du juge, et ce, je le répète, dès le début.

La nature de la garde à vue sera donc différente. Par conséquent, les propos que tient Robert Badinter n’auront à mon avis plus cours. Les mises en examen auront lieu dès le début et le processus commencera immédiatement. Aussi des garanties totales devront-elles être assurées tout de suite, et l’avocat devra être présent d’emblée pour défendre son client.

Aujourd'hui, il nous faut attendre une probable réforme de la procédure pénale. Or tout le monde ignore quand elle interviendra. La concertation est ouverte, paraît-il, mais elle l’est d’une drôle de façon puisque la chancellerie, dans sa circulaire, s’est abstenue de demander aux chefs de cour de convoquer des assemblées générales de juridiction, ce qui est d’ailleurs contraire à la loi. Mais passons… Quand la chancellerie n’applique pas la loi, on peut faire n’importe quoi !

Aujourd'hui, nous sommes quand même d’accord sur un certain nombre de points et nous pouvons agir, certes a minima mais tout de suite, quitte ensuite à harmoniser ces dispositions avec le reste de la procédure. Ce n’est pas la peine de parler aujourd'hui de toutes les exceptions qu’il faudra prévoir. Il va de soi que ce sera nécessaire, par exemple pour les infractions les plus graves. Toutefois, il existe un certain nombre de mesures simples que nous pourrions prendre en l’état, compte tenu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

C'est la raison pour laquelle, pour la troisième fois, le groupe socialiste porte ce débat devant la Haute Assemblée. Ce n’est pas pour que nous y réfléchissions encore. Certes, on peut poursuivre la réflexion sur la réforme globale de la procédure pénale et sur son harmonisation avec les règles de la garde à vue, mais il n’est à mon avis plus temps de revenir sur les dispositions à propos desquelles nous sommes, semble-t-il, tous d’accord, à tout le moins au sein de la commission des lois. Le Gouvernement, c’est autre chose… Personne ne sait ce qu’il pense : il change, il varie, il attend les résultats de la concertation tronquée qu’il a organisée.

Nonobstant la constitution d’un groupe de travail sur l’évolution du régime de l’enquête et de l’instruction dont Jean-René Lecerf et moi-même sommes les rapporteurs et au nom duquel nous procédons à des auditions, nous pourrions agir tout de suite dans un certain nombre de domaines. Le Gouvernement ne le veut pas. Pourquoi ? C’est la seule question qui vaille. C’est à celle-là que nous attendions que vous répondiez, monsieur le secrétaire d'État. Vous ne l’avez pas fait, et c’est dommage. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jacques Mézard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’une des premières conséquences de la révision constitutionnelle de 2008 nous vaut d’avoir le privilège, depuis février dernier, d’une réunion mensuelle sur la garde à vue.

Ce bégaiement législatif sera-t-il suivi de l’énoncé d’une loi consensuelle que, pour notre part, nous appelons de nos vœux, d’une loi de bon sens, protectrice de la société et des droits fondamentaux du citoyen ?

Y-a-t-il une urgence particulière à multiplier les lois sécuritaires de circonstance et à retarder les lois de liberté ? D’ailleurs, je conseille la lecture de l’instruction du 11 mars 2003, signée par le ministre de l’intérieur de l’époque, sur la question de la dignité des personnes en garde à vue. Mes chers collègues, c’est une lecture édifiante !

Cette question est toujours en suspens, et elle ne sera pas résolue par le renvoi à la commission du texte de nos collègues du groupe socialiste et rattachés, que notre groupe, à une exception près, ne votera pas, confirmant ainsi son opposition au blocage actuel.

Le débat qui est ouvert découle – nous en sommes tous conscients – d’une dérive inacceptable de la procédure de garde à vue ; cette évolution, reconnue et dénoncée par les plus hautes autorités de l’État, suscite la désapprobation de plus en plus ouverte d’une majorité de nos concitoyens. Ceux-ci sont conscients qu’il est intolérable, dans un État de droit, d’infliger chaque année à plus de 800 000 personnes une mesure privative de liberté, pour des infractions qui sont souvent bénignes – vous l’avez très objectivement souligné, monsieur le secrétaire d’État –, dépourvues de suite judiciaire et même, parfois, d’infraction caractérisée. Cette situation est aggravée, nous en sommes tous d’accord, par des conditions matérielles et des conditions d’exercice tout à fait indécentes.

L’évolution de la jurisprudence européenne, l’insécurité juridique qui découle de l’interprétation qu’en donne aujourd’hui une partie de nos tribunaux imposent aussi de sortir d’urgence de ce gâchis pénal. En outre, je l’ai déjà souligné, cette situation contribue à creuser un fossé entre les forces de l’ordre et les citoyens, avec une rubrique « faits divers » constamment remplie par quelques bavures rendues inéluctables par l’inflation du nombre de gardes à vue, les conditions de celles-ci et l’absence de contrôle réel du parquet sur ces procédures.

Les propositions de lois qui se succèdent émanent de tous les groupes politiques, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État. Le texte que j’ai présenté était très semblable à celui qui avait été déposé par certains députés de l’UMP. Il s’agit là de l’expression de l’exaspération et de l’urgence à réagir. En revanche, il serait à notre avis contre-productif, voire fallacieux, de tergiverser au motif qu’une telle réforme serait contradictoire avec l’objectif légitime de préserver la sécurité de nos concitoyens, voire avec le motif inexprimé de ne point mécontenter tel représentant des forces de l’ordre, dont le travail, au cours de tous ces débats, monsieur le secrétaire d’État, ne fut jamais caricaturé, quels qu’aient été les auteurs des diverses propositions de lois.

Le texte que nous examinons s’inscrit dans ce contexte général. Il n’est pas tout à fait semblable à celui que j’avais eu l’honneur de présenter le mois dernier. Si nous partageons l’essentiel de ses objectifs en ce qui concerne le type d’infractions justifiant une garde à vue, le droit au silence et le rôle de l’avocat, nous considérons en revanche que la question du terrorisme justifie un traitement particulier, avec la présence d’un avocat choisi sur des listes établies par le barreau, pour le moins. Notre groupe, en effet, ne cautionnera jamais l’ETA, ni les dérives régionalistes armées, corses et autres…

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez soumis un projet à la concertation. Toutefois, Mme le ministre d’État nous rappelait voilà quelques jours encore qu’elle avait une conviction et qu’elle s’y tiendrait, ce qui est éminemment respectable, mais qui laisse peu de place à la concertation, encore plus pour les non concertés ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Votre avant-projet s’articule autour de quelques axes.

Premièrement, en réformant l’article 327-3 du code de procédure pénale, vous entendez réserver la garde à vue aux soupçons d’infractions justiciables d’une peine d’emprisonnement, c'est-à-dire, en réalité, l’immense majorité des cas. Cette mesure ne représentera donc pas une véritable évolution et ne réglera pas le problème, le contrôle des motifs par l’autorité judiciaire restant le principe dans la pratique.

M. Jacques Mézard. Deuxièmement, avec l’article 327-7 du code de procédure pénale, vous souhaitez créer l’audition libre.

Monsieur le secrétaire d’État, qualifier d’ « audition libre » un entretien auquel une personne est amenée sous la contrainte – le mot apparaît dans le texte de l’avant-projet – et privée de liberté pendant quatre heures relève d’une singulière démarche ! De plus, cet homme libre ne pourra être aucunement assisté et aura le « privilège » de passer illico du statut de liberté factice à celui, bien réel, de gardé à vue, dans des conditions peu différentes du système actuel ! Sur ce point, je ne crois pas qu’il s’agisse d’une avancée de la liberté ni même d’une avancée tout court.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sera l’antichambre de la garde à vue !

M. Jacques Mézard. Or notre droit pénal n’échappera pas – et il doit en être ainsi – à des évolutions courantes en Europe, s’agissant de la présence de l’avocat, du droit au silence, de la privation de liberté, en adéquation avec la gravité de l’infraction.

Ce qui dysfonctionne aujourd’hui, nous le savons tous, c’est la multiplication de ces cas, qui sont des centaines de milliers.

Les infractions de circulation routière justifient-elles que l’on place des gens en garde à vue dans les conditions que nous connaissons ? Non !

Des délits mineurs justifient-ils que l’on fasse passer à des gens un nombre X d’heures dans un commissariat, dans les conditions que l’on connaît ? Non !

Et si, tout simplement, monsieur le secrétaire d’État, cette dérive n’avait pas eu lieu ? S’il y avait eu des évolutions anticipées, sages ? Je crois que tout le monde serait convenu que le système était acceptable !

Monsieur le secrétaire d’État, souscrire aux aspirations de nombre de parlementaires de tous les groupes ne serait pas perdre la face ou reculer, bien au contraire. Le Gouvernement ne pourrait qu’en sortir grandi. Quand on est fort, on ne craint pas la liberté. D’autant que, de toute façon, cette réforme aura lieu, et le plus tôt sera le mieux. Merci de nous entendre, monsieur le secrétaire d’État ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Giudicelli.

Mme Colette Giudicelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de Mme Alima Boumediene-Thiery et des membres du groupe socialiste dont nous débattons aujourd’hui tend à modifier les articles 63 et suivants du code de procédure pénale.

Le 24 mars dernier, nous avons déjà eu l’occasion de débattre de la nécessité de réformer la garde à vue en examinant la proposition de loi présentée par notre collègue Jacques Mézard.

Le groupe UMP avait alors considéré qu’il était plus opportun et plus cohérent de prévoir cette réforme dans le cadre de la procédure pénale.

Cette réforme fait l’objet d’un avant-projet de loi qui devrait, à la suite de la concertation engagée par le ministère de la justice, se traduire vraisemblablement par deux projets de loi.

Au regard des nombreuses propositions qui visent à réformer la garde à vue, déposées sur le bureau tant de la Haute assemblée que de l’Assemblée nationale, nous vous renouvelons notre souhait d’examiner par priorité les questions touchant à la garde à vue.

Chacun est en effet bien convaincu de la nécessité de réformer aujourd’hui ce dispositif, et ce compte tenu non seulement de notre exposition au risque d’annulation d’un certain nombre de procédures pour non-respect de la Convention européenne des droits de l’homme mais aussi des nombreuses saisines du Conseil constitutionnel par les avocats, au lendemain de l’entrée en vigueur de la procédure de questions prioritaires de constitutionnalité, le 1er mars dernier.

Il y a là un réel problème de sécurité juridique, en particulier lorsque les tribunaux de première instance annulent des gardes à vue.

Si les dispositions du code de procédure pénale se trouvaient ainsi écartées, il n’y aurait plus rien pour nous prévenir d’une justice impuissante à faire son office sereinement et efficacement. Devant ce risque, il paraît indispensable de légiférer rapidement, notamment pour ne pas laisser nos concitoyens exposés à cette insécurité juridique.

L’arrêt Medvedyev c/France, rendu le 29 mars dernier ne remet pas en cause le statut du parquet français. Il rappelle toutefois que le magistrat doit présenter des garanties d’indépendance face à l’exécutif. Pour ma part, je veux souligner que l’avant-projet de loi tend plutôt à renforcer cette autonomie.

Or le texte que nous examinons aujourd’hui ne traite à mon avis que trop partiellement la question – peut-être par excès de précipitation – pour apporter une véritable réponse et garantir un dispositif sans faille.

Ce qui était vrai en mars dernier l’est encore aujourd’hui. Je pense, comme M. le rapporteur, que la réforme globale de la procédure pénale annoncée pour la fin de l’année 2010, dans laquelle s’inscrirait la modification du régime de la garde à vue, permettrait de satisfaire à cette exigence, sans accumuler toute une série de textes parcellaires qui nuirait à la clarté juridique de l’ensemble.

Peut-on envisager l’adoption de cette proposition de loi qui subordonne le placement en garde à vue à l’autorisation du procureur de la République pour les infractions passibles d’une peine inférieure à cinq ans d’emprisonnement, alors même que les modalités d’intervention du parquet présentent de réelles incertitudes ?

Il faut faire preuve, je crois, de pragmatisme. Même s’il s’avère évident que la réforme de la garde à vue est indispensable, nous devons l’appréhender en concordance avec les divers travaux menés sur la procédure pénale. Il s’agit notamment d’attendre les conclusions du groupe de travail animé actuellement par les sénateurs Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel. Cette coprésidence par la majorité et l’opposition traduit bien la volonté d’aboutir, sur un sujet si important, à un résultat consensuel qui dépasse largement les clivages partisans.

Limiter la garde à vue aux strictes nécessités de l’enquête, comme le prévoit le texte du Gouvernement, permettrait effectivement de lutter contre la banalisation de cette procédure. Ce projet prévoit, pour les infractions punies de moins de cinq ans d’emprisonnement, qu’une audition libre puisse être réalisée, sans contrainte et pour une durée maximale de quatre heures. Les personnes auditionnées pourront à tout moment demander leur placement en garde à vue, afin de jouir des droits associés à cette procédure.

Plus personnellement, je ne conteste pas le bien fondé, l’intérêt des dispositions présentes et l’utilité de certains compléments apportés par la proposition de loi que nous examinons, par rapport au précédent texte de mars dernier. Ainsi, possibilité est donnée cette fois-ci à l’avocat d’avoir accès au dossier pénal de son client. La communication du dossier pour les actes d’enquête auxquels est associé le gardé à vue paraît en effet un préalable essentiel, sans lequel le texte semblerait bien vide de sens et pourrait même conduire l’avocat à conseiller au gardé à vue de refuser de répondre, comme il en a le droit.

Mais je crois aussi qu’il ne faut pas se leurrer : cette disposition entraînera des difficultés matérielles évidentes. Dans de nombreux cas, en effet, le dossier est constitué au fur et à mesure des auditions, comme l’avait souligné M. le rapporteur.

Au regard de ces difficultés fonctionnelles, l’avant-projet prévoit un deuxième entretien à la douzième heure. En cas de prolongation au-delà de la vingt-quatrième heure, l’avocat, ayant eu accès aux comptes rendus des interrogatoires déjà menés, pourra assister aux auditions.

Les articles 4, 5 et 6 tendent à unifier les régimes de la garde à vue. La présence de l’avocat est requise dès le début de celle-ci pour la criminalité et la délinquance organisées, ainsi que pour la garde à vue d’un mineur.

Or dans le projet de réforme de la procédure pénale, le Gouvernement souhaite conserver les régimes spécifiques, et nous le soutenons. Le groupe UMP est pleinement favorable au maintien de ces dérogations justifiées par l’impérieuse nécessité de garantir la sécurité de nos concitoyens.

Ces régimes ne sauraient être alignés sur le droit commun, alors même que la privation de liberté à l’encontre, notamment, de terroristes ou d’auteurs d’enlèvement et de séquestration répond, d’une part, au besoin de rapidité dans la recherche de la vérité face à des grands délinquants et, d’autre part, à la volonté de déstructurer l’organisation criminelle en cause.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ne perdons tout de même pas de vue que la garde à vue intervient aussi, et la plupart du temps, lorsqu’il y a des victimes, et que le travail de la police et des enquêteurs est là pour leur rendre justice : il n’est pas concevable de rendre ce travail encore plus difficile.

J’évoquerai maintenant certaines incertitudes présentes dans la présente proposition de loi, qui soulèvent autant d’interrogations. Des difficultés y sont certes posées, mais rien n’est proposé pour les résoudre : que faire si l’avocat ne se présente pas quand le gardé à vue a demandé sa présence ? Suffira-t-il de mentionner qu’il n’a pu venir ? Ou bien faudra-t-il différer l’audition tant que l’avocat ne se sera pas présenté ?

Par ailleurs, je note également la disparition de la mention d’une audition immédiate pour le gardé à vue. Pour moi, c’est une bonne chose. Cette disposition critiquable semblait signifier qu’il était exclu de procéder, en cas d’interpellation à domicile, à une perquisition immédiate, ce qui aurait permis à des tiers d’avoir du temps pour faire disparaître des preuves à charge.

Or l’un des principaux problèmes de la garde à vue réside bien là : elle intervient souvent trop tôt, quand les preuves matérielles n’ont pas encore été recherchées et alors même que les personnes soupçonnées ne sont pas susceptibles de prendre la fuite. Ainsi les enquêteurs sont-ils souvent conduits à provoquer l’aveu plutôt qu’à le rendre incontournable par des preuves déjà réunies.

Trop souvent l’enquête, ouverte sur une plainte, commence par une garde à vue, quand celle-ci ne devrait être que l’aboutissement d’un processus tendant à étayer la mesure, ce qui, à l’évidence, contribue malheureusement à sa prolifération. C’est un peu moins vrai dans les affaires flagrantes, car les modalités prévues en la matière engendrent, de fait, une certaine précipitation, sans laisser aux enquêteurs le temps de réunir des preuves matérielles. Mais, là encore, l’imprécision règne : ne suffirait-il plus, alors, qu’à placer un suspect en garde à vue sans jamais l’entendre, la mesure n’ayant plus pour objet que de permettre aux enquêteurs de réunir des preuves sans que le gardé à vue puisse entraver leur action ?

Manifestement, la garde à vue est la partie d’un tout, et sa réforme envisagée doit participer à une réforme complète de la procédure pénale. Cela aurait au moins l’avantage de modifier notre approche de l’enquête afin d’éviter, autant que possible, de dévoiler trop tôt et trop largement les éléments sur lesquels elle se fonde, au risque de ne plus pouvoir les utiliser.

Le Gouvernement nous assure de son volontarisme pour que « l’amélioration des conditions de garde à vue soit une priorité dans le cadre de la future réforme de la procédure pénale ».

Malgré cet engagement positif, la commission, en l’absence de texte du Gouvernement dans un délai raisonnable, pourrait, comme l’a très bien fait remarquer M. le rapporteur, « reprendre l’initiative à la lumière des travaux » engagés dans l’enceinte du Sénat.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au vu de toutes ces remarques, le groupe UMP votera la motion tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi qu’au banc de la commission.)