compte rendu intégral

Présidence de M. Roger Romani

vice-président

Secrétaires :

Mme Christiane Demontès,

M. Philippe Nachbar.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Débat sur l’application de la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’application de la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision.

La parole est tout d’abord à l’orateur du groupe qui a demandé ce débat, M. Hervé Maurey, pour le groupe Union centriste.

M. Hervé Maurey, pour le groupe Union centriste. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a un peu plus d’un an, le Sénat adoptait définitivement le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision.

Notre groupe, en particulier Mme Morin-Desailly, co-rapporteur de ce texte, avait joué un rôle prépondérant dans cette réforme, au côté de notre ancien collègue Michel Thiollière, qui laissera dans notre assemblée le souvenir d’un homme à la fois compétent, courtois et rigoureux.

Un peu plus d’un an après la mise en œuvre de cette réforme, il m’a donc semblé naturel, mais aussi nécessaire, de proposer à mon groupe l’organisation de ce débat.

Cela m’a semblé naturel, en raison de l’implication historique de notre groupe dans le suivi de ces questions, et nécessaire, car légiférer efficacement et de manière moderne suppose de savoir évaluer les réformes mises en place pour pouvoir, si besoin est, les adapter. Le Président de la République lui-même a regretté à plusieurs reprises que l’on n’évalue jamais les réformes et que l’on se contente de les empiler successivement.

Cet impératif d’évaluation apparaît d’autant plus incontournable lorsque les réformes sont engagées, comme ce fut le cas en l’espèce, dans l’urgence, pour ne pas dire dans la précipitation, et sans que l’on puisse en mesurer l’incidence réelle.

Nous avons également souhaité ce débat parce que nous sommes, nous centristes, très attachés au rôle du Parlement, et tout particulièrement à celui du Sénat, en matière de contrôle de l’action gouvernementale. C’est pour cette raison que nous avons voulu qu’il se tienne dans l’hémicycle, dans le cadre de la semaine réservée au contrôle parlementaire. Je regrette simplement que ce débat important ait été programmé un lundi, jour où les parlementaires sont peu nombreux à Paris.

Nous entendons d’autant plus jouer ce rôle de contrôle que le Gouvernement a trop souvent tendance à réduire notre rôle de législateur. Cette loi en est malheureusement l’illustration, puisque le Gouvernement, je le rappelle, avait décidé de supprimer la publicité à la télévision avant même que nous ne commencions à examiner le texte. Nous avions d’ailleurs été unanimes pour protester contre ce mépris manifesté à l’égard de la Haute Assemblée. Depuis lors, on le sait, le Conseil d’État a été amené à annuler pour excès de pouvoir cette suppression quelque peu anticipée.

Au-delà, ce débat est d’autant plus nécessaire que la réforme et sa mesure phare, la suppression de la publicité à la télévision publique, ont été mises en place dans un contexte économique qui a depuis considérablement évolué.

La situation a changé du fait de la crise économique. Je rappellerai que le déficit budgétaire s’élevait, en février 2008, lors de l’annonce de la suppression de la publicité par le Président de la République, à 40 milliards d’euros ; il était d’environ 100 milliards d’euros au moment du vote de la loi et il est de plus de 150 milliards d’euros aujourd’hui.

M. David Assouline. Il est bon de le rappeler !

M. Hervé Maurey, pour le groupe Union centriste. Au-delà de ces éléments conjoncturels, le contexte a également évolué en raison des transformations structurelles du paysage audiovisuel, dues notamment à l’accélération du déploiement de la télévision numérique terrestre et au développement croissant d’internet.

Un an après cette réforme, permettez-moi tout d’abord de rappeler les positions que j’avais exprimées, au long de nos débats, au nom de notre groupe.

Nous avions résolument apporté notre soutien à la réforme en ce qu’elle visait à moderniser le service public de l’audiovisuel, mais émis de très importantes critiques sur l’équilibre financier de ce projet.

Nous avions apporté notre soutien à la réforme, car nous pensions qu’elle permettrait de moderniser le service public de l’audiovisuel, d’en améliorer la qualité et de le rendre plus attractif.

À ce titre, nous nous étions réjouis de la volonté du Gouvernement de faire de France Télévisions un média global pour l’adapter aux évolutions des technologies et des usages.

Nous nous étions également félicités de sa volonté de rationaliser le service public audiovisuel en transformant les quarante-neuf sociétés du groupe en une seule pour favoriser les synergies, l’esprit d’entreprise et l’émergence d’une véritable marque.

En revanche, nous nous étions montrés plus que réservés sur la question du financement de l’audiovisuel public, question fondamentale à nos yeux puisque l’autonomie financière du service public a toujours été une exigence forte de notre groupe politique dans la mesure où elle conditionne sa qualité.

J’avais ainsi été très critique à l’égard des taxes mises en œuvre pour compenser la suppression de la publicité. Concernant la taxe sur la publicité, j’avais souligné son caractère « curieux », qui conduit à ce que les recettes du service public dépendent en grande partie des succès du secteur privé, et signalé que la pression fiscale sur les recettes publicitaires était déjà estimée à plus de 6 %.

Quant à la taxe sur les fournisseurs d’accès à internet, j’avais dénoncé son caractère « baroque », car elle frappe un secteur sans aucun lien avec l’audiovisuel, et souligné que, quitte à taxer ce secteur, il serait préférable que ce soit au bénéfice de la couverture numérique du territoire.

Au moment où il faut réfléchir à une source de financement pour alimenter le fonds d’aménagement numérique des territoires, créé par la du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, dite loi Pintat, cette remarque reste d’actualité, puisque cette taxe devrait rapporter en 2010 près de 330 millions d’euros. Je rappelle que, à l’époque, la commission de l’économie et son rapporteur, M. Retailleau, avaient estimé que cette taxe pourrait financer 380 000 prises de fibre optique par an.

Notre groupe avait obtenu des avancées importantes, qui lui avaient finalement permis de voter cette réforme.

En tout premier lieu, il avait obtenu la revalorisation de la redevance, rebaptisée, sur l’initiative de Catherine Morin-Desailly, « contribution à l’audiovisuel public ». C’était une demande ancienne de notre collègue et de notre groupe.

Alors que le président du plus important groupe parlementaire de l’Assemblée nationale avait déclaré que, « lui vivant, on n’augmenterait pas la redevance », le Sénat, à la quasi-unanimité, avait décidé, contre l’avis du Gouvernement, que la redevance, qui n’avait pas été augmentée depuis 2001 et qui avait même diminué en 2005, passerait de 116 euros à 120 euros au 1er janvier 2010, le principe de son indexation ayant été entériné dans la loi de finances de 2009.

Par cette mesure, nous avions voulu non pas pénaliser le téléspectateur, mais au contraire lui permettre de disposer d’un service public de qualité.

Concernant les taxes, nous avions également obtenu, avec Bruno Retailleau et Pierre Hérisson, que soient exclus de l’assiette de la taxe sur les fournisseurs d’accès à internet les investissements réalisés en faveur de la couverture numérique du territoire.

À notre demande, avait été également déduite de l’assiette de la taxe sur la publicité la taxe destinée à alimenter le compte de soutien à l’industrie des programmes, car il nous paraissait pour le moins absurde de taxer une taxe.

L’apport de notre groupe sur ces questions a donc été substantiel, et c’est dans le même esprit de dialogue constructif que nous espérons pouvoir poursuivre notre engagement dans la mise en œuvre et le suivi de cette réforme.

Alors, monsieur le ministre, où en sommes-nous un an après ? Force est de constater que les faits nous donnent plutôt raison.

L’audiovisuel public s’est modernisé. Ainsi, France Télévisions est une entreprise unique depuis le 5 janvier : la fusion des quarante-neuf sociétés au sein d’une même holding est effective. Une convention collective pour l’ensemble de l’entreprise est en cours de négociation, qui devrait être conclue avant le 7 juin prochain.

M. David Assouline. C’est vous qui le dites !

M. Hervé Maurey, pour le groupe Union centriste. Des efforts ont été engagés pour maîtriser les coûts. Avant l’automne devraient être mises en service les premières « web TV » régionales et la plateforme de télévision à la demande. La politique de qualité de la programmation mise en œuvre dès 2005 par les dirigeants de France Télévisions a pu être poursuivie : ainsi, 1 000 programmes culturels ont été diffusés en 2010, contre 250 en 2005.

Grâce aux nouveaux horaires permis par la suppression de la publicité, les programmes culturels ont pu être multipliés en première partie de soirée et connaître des audiences tout à fait encourageantes. Par exemple, Les Fausses Confidences, de Marivaux, ont attiré 2,5 millions de téléspectateurs, alors que des chaînes concurrentes diffusaient au même moment un match de football ou La Nouvelle Star. Ces initiatives seront amplifiées grâce aux derniers accords passés entre France Télévisions, l’Opéra de Paris et plusieurs théâtres.

Même s’il reste encore d’importants chantiers à mener à bien, je crois pouvoir dire que France Télévisions, ses dirigeants et ses 11 000 collaborateurs ont réussi à relever les défis lancés par la réforme et à prouver que qualité et audience ne sont pas forcément antinomiques.

La preuve en est que, depuis le début de l’année, France Télévisions résiste mieux que ses concurrents privés à la progression, en termes d’audience, de la TNT, qui représente, avec les autres chaînes payantes, un tiers de l’audience, contre un quart voilà un an. Le recul de France Télévisions n’a été, depuis le début de l’année, que de 2,2 %, contre 3,3 % pour M6 et 6 % pour TF1, qui vient de passer, pour la première fois, sous la barre des 25 % d’audience.

En ce qui concerne la question des financements, qui nous inquiétait voilà un an, la situation est, me semble-t-il, beaucoup moins satisfaisante.

La taxe sur les opérateurs de communication fait aujourd’hui l’objet d’une procédure d’infraction engagée par la Commission européenne, qui estime qu’elle constitue une charge administrative imposée aux opérateurs incompatible avec le droit européen.

Le taux de la taxe sur la publicité, du fait de l’évolution du marché publicitaire, a dû être ramené de 1,5 % à 0,5 % – il était de 3 % dans le texte initial –, et personne n’en connaît vraiment aujourd’hui le produit.

C’est peut-être pour cette raison que nous attendons toujours que, en application de l’article 32 de la loi, le Gouvernement remette un rapport sur l’application de cette taxe. Ce rapport, je le rappelle, devait être rendu dans l’année suivant la promulgation de la loi, c’est-à-dire au plus tard au mois de mars 2010.

Vous m’opposerez sans doute, monsieur le ministre, que la fragilisation de ces deux taxes ne remet pas mécaniquement en cause l’équilibre de France Télévisions, puisqu’elles ne sont pas affectées et que la suppression de la publicité est compensée par une dotation de l’État. Il n’en demeure pas moins que cette fragilisation affecte bien les recettes de l’État, qui, me semble-t-il, ne sont pas sans limites…

Face à cette situation, beaucoup, y compris parmi les plus ardents défenseurs de cette mesure, s’interrogent sur la pertinence de supprimer la publicité à la télévision avant 20 heures. Je pense notamment à celui qui avait affirmé que, lui vivant, la redevance n’augmenterait pas, et dont la commission qu’il présidait s’était fait le chantre de cette suppression. Mme Morin-Desailly, qui faisait partie de cette commission, peut en témoigner.

Il y a en effet, à mon sens, de véritables raisons de s’interroger sur cette suppression. De l’avis général, notamment de celui des professionnels, elle n’aurait aucune conséquence sur la qualité de la programmation. Les expériences menées à l’étranger tendent à le prouver. En revanche, elle priverait France Télévisions de plus de 300 millions d’euros de recettes. Vous conviendrez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que ce n’est pas rien ! Au moment où le Premier ministre annonce un gel des dépenses publiques, on voit mal comment l’État pourrait compenser cette perte de recettes pour France Télévisions, surtout s’il doit renoncer aux 330 millions d’euros du produit de la taxe sur les fournisseurs d’accès à internet !

Si la publicité avant 20 heures devait être supprimée, l’État envisagerait-il de réduire la dotation de France Télévisions ? Envisagerait-il une augmentation de la contribution à l’audiovisuel public, la création d’une nouvelle taxe, ou encore un relèvement des taxes qui ont été instaurées en 2009 ?

Certains considèrent que ces questions sont taboues ou prématurées. J’estime pour ma part qu’il est plus responsable de les aborder dès à présent, car elles sont fondamentales, en particulier dans le contexte actuel de nos finances publiques.

Ces questions nous amènent à évoquer la redevance, sujet intimement lié à celui de la publicité.

L’année dernière, lors de la discussion du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, nous avions formulé des propositions visant à augmenter le produit de la redevance sans en relever le montant.

Nous avions ainsi suggéré d’élargir l’assiette de la redevance aux terminaux susceptibles de recevoir la télévision, sous réserve qu’elle ne soit pas déjà payée au titre de la détention d’un téléviseur.

Nous avions également proposé que les propriétaires de résidence secondaire acquittent une redevance supplémentaire, minorée de moitié, dans la limite d’une redevance et demie par foyer fiscal. La commission Copé avait estimé que cette mesure rapporterait plus de 110 millions d’euros.

Nous avions finalement retiré les amendements correspondants, forts de l’engagement du Gouvernement de créer un groupe de travail chargé de la modernisation de la redevance. Ce groupe de travail aurait également pu se pencher sur la question des exonérations, qui concernent tout de même quatre millions de foyers. Le 15 janvier 2009, votre prédécesseur, Mme Albanel, avait tenu les propos suivants dans cette enceinte : « La voie de la sagesse réside à mon avis dans l’engagement pris par le Premier ministre de créer cette année un groupe de travail chargé de réfléchir à la modernisation de la redevance. »

Plus d’un an après, ce groupe de travail n’a pas vu le jour, et la réponse que vous avez faite à ma question orale du 23 mars dernier m’a pour le moins surpris, puisque j’ai appris à cette occasion qu’un rapport, semble-t-il élaboré par vos services, était en cours de transmission au Parlement et qu’il concluait à l’urgence de ne rien faire.

Monsieur le ministre, pourquoi la commission qui nous avait été promise n’a-t-elle pas été créée, conformément aux engagements pris par le Gouvernement ? Qui d’entre nous a été consulté ou même seulement informé de l’élaboration de ce rapport ? Je souhaiterais que vous puissiez nous apporter des précisions sur ce sujet, d’autant que, malheureusement, il ne s’agit pas du seul engagement que le Gouvernement n’ait pas tenu.

En effet, le comité de suivi prévu par l’article 75, dans lequel doivent siéger quatre députés et quatre sénateurs et dont la mission était d’« évaluer » l’application de la loi ainsi que de proposer, le cas échéant, « une adaptation des taxes et des modalités de financement de la société », n’a pas non plus vu le jour.

J’ajoute que l’on attend toujours la publication de plusieurs décrets d’application de cette loi pourtant déclarée urgente par l’exécutif, tels que celui, visé à l’article 55, qui devait déterminer les règles applicables aux services de médias audiovisuels à la demande. De même, nous attendons toujours la publication d`une ordonnance relative à l’extension de la TNT en outre-mer.

Nous n’avons pas non plus reçu le rapport sur la protection des mineurs, qui devait être remis le 30 septembre 2009, ni, a fortiori, celui qui a trait à l’application de l’article 55 de la loi.

L’extension aux programmes culturels des sociétés nationales de programmes du mécénat d’entreprise, prévue par l’article 34, n’est pas effective. Chacun s’accorde pourtant à souligner l’importance et la nécessité de cette mesure.

Monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire qu’une telle absence de respect de la loi et des engagements gouvernementaux n’est pas acceptable. J’aimerais que vous nous indiquiez aujourd’hui quand le Gouvernement entend enfin respecter ses obligations légales et ses engagements.

Pourriez-vous également, à l’occasion du présent débat, nous apporter des éléments complémentaires sur cette réforme, en dresser un bilan, le plus objectif possible, en indiquant les aspects qui vous semblent positifs et ceux qui le seraient moins, et préciser quelles mesures le Gouvernement pourrait prendre au vu de ce bilan ?

Par ailleurs, quelles sont, selon vous, les conséquences sur la création des effets conjugués de l’évolution du service public de l’audiovisuel et des pertes de recettes publicitaires des chaînes privées ? Les objectifs fixés à France Télévisions ont-ils, à vos yeux, été atteints par l’actuelle équipe dirigeante ? Qu’attendez-vous de la prochaine étape qui s’ouvrira à la rentrée de septembre avec le nouveau mandat du président de France Télévisions – ou le mandat du nouveau président ? Quelle est la position du Gouvernement sur la suppression de la publicité avant 20 heures ? Je rappelle que plus de 300 millions d’euros sont en jeu, et je ne vois pas comment il pourrait être possible de maintenir cette suppression sans accroître le produit de la redevance par l’élargissement de son assiette.

Enfin, qu’en est-il de la question de la vente de la régie publicitaire, l’État ayant été mis en minorité sur ce sujet au sein du conseil d’administration de France Télévisions ? Ne pensez-vous pas que cette question ne pourra pas être résolue tant que ne l’aura pas été celle de la suppression de la publicité ? Ne croyez-vous pas que des règles déontologiques et éthiques strictes devraient s’appliquer en la matière et que cette question se pose avec une acuité toute particulière en ce moment ?

Comme vous pouvez le constater, monsieur le ministre, nous attendons beaucoup de vos réponses.

Le Sénat a été malmené au cours de cette réforme : la publicité a été supprimée avant même qu’il ait examiné le projet de loi ; des engagements du Gouvernement et des obligations législatives à son égard n’ont pas été tenus.

Malgré cela, l’engagement déjà ancien, pour ne pas dire historique, du Sénat pour l’audiovisuel ne faiblit pas, bien au contraire. En témoignent le présent débat dans cet hémicycle, ainsi que la mission de contrôle conduite par nos collègues Catherine Morin-Desailly et Claude Belot ; en atteste aussi la proposition de loi de M. Ralite, même si elle relève d’une démarche différente.

Monsieur le ministre, nous espérons donc vivement que vous aurez à cœur d’effacer les affronts subis par le Sénat en répondant clairement, précisément et franchement sur les différents points que je viens d’évoquer, ainsi que sur ceux que mes collègues ne manqueront pas de mettre en exergue.

M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat de contrôle arrive à point. Il aurait pu être utile s’il s’agissait d’un vrai débat, suivi de recommandations et de décisions, y compris pour prendre en compte, au regard de l’application de la loi, des inflexions nécessaires à la sauvegarde du service public de l’audiovisuel et à la défense de son indépendance. S’il s’agissait d’un tel débat, assorti d’un enjeu, sans doute serions-nous plus nombreux dans cet hémicycle, même un lundi…

On en arrive à galvauder une très belle idée, celle du contrôle parlementaire, et même à miner, à force de contradictions, notre foi en cette démarche.

Pour que nous puissions exercer le contrôle parlementaire, tel qu’il existe notamment dans les démocraties anglo-saxonnes, il faut que l’on nous donne les moyens de fonder un jugement. En outre, un débat de cette nature doit déboucher sur des décisions visant par exemple à remédier à des effets pervers imprévus de l’application de la loi considérée – quand elle est appliquée, puisque l’on sait que près d’une loi sur deux ne l’est pas.

Or, lors du premier débat de contrôle organisé au Sénat, portant sur l’application de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, qui tendait à modifier en profondeur le fonctionnement de ces dernières, il est apparu que les choses étaient d’emblée mal engagées : j’avais préparé des questions très précises pour faire le point, mais la ministre s’était bornée à nous donner lecture d’un texte préparé à l’avance, qui ne répondait à aucune de nos interrogations et se résumait à une défense et illustration de sa réforme. Voilà qui ne contribue pas à conforter l’image de la démocratie parlementaire aux yeux de nos concitoyens…

Par ailleurs, en commission de la culture, M. Ralite, après avoir dressé le bilan de l’application de la loi qui nous intéresse aujourd’hui, a présenté une proposition de loi visant à en infléchir les dispositions. Son examen par le Sénat aurait pu déboucher sur des mesures concrètes, mais la commission a objecté à notre collègue qu’elle ne disposait pas des éléments d’évaluation nécessaires à un tel débat et qu’il convenait d’attendre les conclusions de la mission confiée à Mme Morin-Desailly, devant s’achever en juin.

Or, cet après-midi, en séance publique, le groupe auquel appartient à Mme Morin-Desailly prône une évaluation qu’il jugeait encore impossible la semaine dernière, lorsqu’il s’agissait de se pencher sur la proposition de loi de M. Ralite. Un tel degré de contradiction ne fait pas honneur à notre travail et ne contribue pas à lui donner sens.

Toutefois, comme nous sommes des parlementaires sérieux, nous jouons le jeu, et c’est pourquoi je m’exprime devant vous aujourd’hui. Il y a déjà des choses à dire en attendant que nous soient remis des éléments d’évaluation plus précis, sachant que nous partageons largement le diagnostic posé par nos collègues de l’Union centriste. J’espère que nous pourrons alors prendre des décisions de portée concrète, comme cela doit être si notre travail a bien pour seul objet, comme chacun l’affirme, de garantir la qualité des programmes dans le cadre d’un service public de l’audiovisuel renforcé. Nous ne pouvons pas continuer à foncer dans le mur ! Quand, à l’évidence, les choses ne se passent pas comme prévu, il est à l’honneur d’un ministre de le reconnaître et de rectifier le dispositif. Il s’agit non pas de faire des concessions à l’opposition, mais d’être au service de nos concitoyens.

Rappelons-nous le débat que nous avons eu il y a un an.

Sur le plan idéologique, entendre le Président de la République affirmer qu’il fallait mettre un terme à la dictature de l’audimat et permettre au service public de l’audiovisuel de s’émanciper, afin qu’il puisse déployer librement toutes ses capacités de création de programmes de qualité, nous avait fait sourire. Historiquement, la gauche partage totalement cette ambition.

Dans cette perspective, une première option consistait à s’orienter vers un financement du service public de l’audiovisuel par la seule redevance. Celle-ci ne relève pas du budget de l’État, du bon vouloir du pouvoir politique, variable selon la conjoncture ; il s’agit d’une sorte d’actionnariat populaire. Le téléspectateur paie pour accéder à un service public, auquel est directement affecté le produit de la taxe. La loi Tasca nous menait progressivement dans cette voie, sans brutalité, pour nous rapprocher non pas d’un objectif irréaliste, mais tout simplement de ce qui se pratique en Grande-Bretagne, en Allemagne et dans d’autres grandes démocraties.

Une seconde option, qui prévalait jusqu’à présent, consistait à financer le service public de l’audiovisuel conjointement par des recettes publicitaires et par la redevance, l’existence de celle-ci empêchant la dictature de l’audimat et assurant l’indépendance des chaînes publiques.

Il est faux de prétendre que c’est depuis la réforme que France Télévisions diffuse des programmes de qualité, propose des pièces de théâtre à des heures de grande écoute : voilà vingt ans que le service public s’est engagé dans une conquête progressive de l’audience, en imposant sa marque de fabrique dans le paysage audiovisuel. J’apprécie que cette tendance se poursuive aujourd’hui, mais il n’y a pas eu de rupture qualitative. Les réformes mises en œuvre par M. Tessier allaient dans ce sens, comme nous l’indiquait l’an dernier M. Dominique Wolton. Il convient maintenant de les consolider et d’aller plus loin.

Personne, dans le pays, ne se laisse tromper par ce débat à front renversé qui voit M. Sarkozy se poser en défenseur du service public contre la pression du mercantilisme, même si je veux bien croire à la sincérité des sénateurs UMP de la commission de la culture, parce qu’ils ont toujours défendu à nos côtés – c’était un îlot de convergence dans le monde politique – l’idée que la redevance devait être la source du financement du service public, pour éviter la mainmise tant de la publicité que de l’État.

Je réaffirme ma conviction sur cette question : dire aujourd’hui que le budget de l’État doit financer l’audiovisuel public revient dans les faits à placer celui-ci sous tutelle politique. Même sans nomination du président de France Télévisions par le chef de l’État, la tutelle financière de l’État soumet cet établissement au pouvoir politique, quelle que soit sa couleur. Je le dis tranquillement, car notre position ne changera pas, même si l’élection présidentielle de 2012 vient modifier la donne politique en notre faveur. C’est une question de principes !

Après une année d’application de la loi, apparaît-il que nos craintes étaient infondées ? Le financement de l’audiovisuel public ne saurait être pérenne dans ce cadre, disions-nous, parce que nul ne peut savoir quelles seraient les priorités du pouvoir dans un climat de crise des finances publiques. Nous y sommes ! Je vous invitais alors, mes chers collègues, à envisager un scénario futuriste. Imaginez que les caisses de l’État soient encore plus vides, et que le pouvoir politique, qui déjà ne remplace plus un fonctionnaire partant à la retraite sur deux, soit amené à tailler dans toutes les dépenses sociales et à réduire les services publics pour essayer de limiter la dette : comment pourrait-il, dans ces conditions, justifier l’affectation de 450 millions d’euros de crédits budgétaires au service public de l’audiovisuel, alors que celui-ci aurait pu être financé par la publicité ou par une faible augmentation de la redevance ? Il préférera plutôt réduire les dépenses en vendant une ou deux chaînes : ce sera le début de la privatisation !

Ce scénario, que j’avais évoqué ici lors de la discussion de la loi qui nous occupe, risque, me semble-t-il, de se révéler très rapidement prémonitoire, parce que les caisses de l’État sont totalement vides. M. Maurey a fort opportunément rappelé certains chiffres à cet égard, montrant comment le trou s’était considérablement creusé sous ce gouvernement de droite, à cause d’une mauvaise gestion. Mais tel n’est pas mon propos aujourd’hui.

Par ailleurs, nous avions également exprimé des doutes sur les deux taxes mises en œuvre pour compenser la suppression de la publicité.

Tout d’abord, si l’instauration d’une taxe sur les recettes publicitaires du privé – le taux devait initialement être de 3 % pour les chaînes historiques – pouvait se justifier, tout en posant problème sur le plan constitutionnel, cette mesure n’a pas produit tous les effets escomptés. Certes, il y a eu un transfert de la publicité vers les chaînes privées, mais pas seulement vers TF1, qui, au lieu de miser sur la TNT, s’est contentée de jouir de sa rente, et M6 : les chaînes de la TNT en ont également eu leur part, contrairement à ce que l’on a pu observer en Espagne. De plus, le contexte économique a entraîné une dégradation du marché publicitaire, de sorte qu’une réduction du taux de la taxe a été décidée en loi de finances. En définitive, le produit est donc inférieur à ce qui était initialement prévu.

Un autre manque à gagner prévisible – arrêtons de nous cacher la tête dans le sable ! – tient au fait que la taxe sur les opérateurs de communication est attaquée par la Commission européenne. Nous l’avions annoncé ici, mais vous nous assuriez alors, monsieur le ministre, qu’une telle procédure n’avait pas de réelle justification au fond. Or les sanctions vont bientôt tomber, car cette taxe est contraire aux directives européennes, et le fait que son produit soit directement perçu par l’État avant d’être rétrocédé au service public de l’audiovisuel n’y change rien. Par conséquent, voilà encore 300 millions d’euros de recettes perdues, et il faudra de surcroît rembourser les sommes perçues les années précédentes si la France est sanctionnée.

Cela fait beaucoup, et M. Maurey, malgré ses critiques, ne pousse pas jusqu’au bout son raisonnement. Il est vrai que son groupe a pour habitude de voter tout ce que le Gouvernement propose… Vous vous êtes enfermés dans une contradiction en votant la réforme tout en critiquant radicalement son financement. En effet, il s’agissait avant tout d’une réforme du financement ! La question du financement est le nœud de l’indépendance du service public ! Sans moyens suffisants pour sa rénovation, il n’y a pas de service public fort.

À cet égard, je rappelle que la commission Copé, à laquelle j’ai participé, comme Mme Morin-Desailly, avait été unanime pour évaluer à 200 millions d’euros par an les investissements nécessaires pour le média global. Or je n’ai parlé jusqu’à présent que des besoins de financement pour le fonctionnement ! Tandis que ces derniers ne sont pas suffisamment couverts, les investissements d’avenir ne sont pas prévus du tout ! J’ai même été très déçu de constater que, dans la dernière loi de finances, on a amputé de 37 millions d’euros les crédits destinés au service public de l’audiovisuel, qui a reçu 413 millions d’euros au lieu des 450 millions prévus, au motif que les recettes de la régie publicitaire ont été plus fortes qu’initialement envisagé. Outre qu’il est choquant que dès la première année les engagements ne soient pas tenus, il aurait été de bonne politique d’affecter aux provisions pour investissement le surplus de recettes, d’ailleurs bien modeste au regard des besoins.

Cela donne la mesure du crédit que l’on peut accorder aux grandes phrases sur le média global, la réforme pour l’avenir qui permettra au service public d’être à la pointe de la modernité ! Si l’on considère que la modernisation consiste uniquement en des restructurations destinées à limiter le coût des programmes et les dépenses de personnel, on fait une erreur de perspective et on affaiblit le service public, car une évolution vers le média global commence par coûter ! Je trouve donc étrange, monsieur Maurey, que vous ayez pu porter tout à l’heure un jugement positif sur la réforme tout en en critiquant radicalement l’aspect financier. En effet, comme je l’ai déjà souligné, la question du financement est cruciale pour l’indépendance et l’avenir du service public de l’audiovisuel.

Alors, que faire ?

Monsieur le ministre, puisque l’on en arrive au constat que les deux recettes qui devaient servir au financement de l’audiovisuel public ne sont pas au rendez-vous – l’une est presque totalement absente, l’autre inférieure au niveau prévu – et que, par ailleurs, les caisses de l’État sont on ne peut plus vides, ne serait-il pas possible, aujourd’hui, d’en prendre acte, en sortant du combat rituel entre majorité et opposition, et de reconsidérer la suppression totale de la publicité après 2011 ? Vous n’auriez même pas à vous déjuger, puisque vous n’étiez pas en fonctions lorsque la loi a été votée.

Selon vous, la réforme a pour vocation essentielle de permettre que des programmes de qualité puissent être diffusés en prime time, c’est-à-dire après 20 heures, en refusant la dictature de l’audimat. Soit ! Ne revenons pas sur la suppression de la publicité après cette heure, mais ne généralisons pas cette mesure, car les 430 millions d’euros de recettes engrangés par la régie publicitaire ont représenté un véritable ballon d’oxygène pour le service public. L’État ne pourra lui apporter un tel concours de façon pérenne dans l’avenir.

Dans ces conditions, je vous exhorte à laisser France Télévisions diffuser de la publicité avant 20 heures et à ne pas privatiser la régie publicitaire, qui est un joyau du service public. Elle lui a fourni cette année les ressources nécessaires pour boucler un exercice budgétaire difficile. Je n’évoquerai même pas la proximité du pouvoir de certains candidats supposés à la reprise de cette régie, ni la nécessité d’éviter les conflits d’intérêts, sur laquelle vous avez vous-même insisté. Il s’agit à mes yeux d’une question de principe : un tel savoir-faire doit être gardé dans le patrimoine public, d’autant qu’il profite à l’ensemble du maillage du service public, en particulier dans les régions. C’est un outil irremplaçable !

Sortons des clivages habituels. M. Copé en personne –mais il exprimait la position unanime de la commission qu’il présidait – avait souligné que si deux étapes avaient été prévues, c’était précisément pour se donner le temps d’étudier s’il serait souhaitable, après 2011, de passer à la suppression totale de la publicité. Nous voici maintenant parvenus au moment de la décision ! J’implore le Gouvernement et l’ensemble de mes collègues de ne pas laisser ce débat filer.

Je voudrais enfin évoquer un autre aspect du texte, brièvement car nous pourrons en débattre plus à loisir lors de l’examen prochain de la proposition de loi de M. Ralite visant à assurer la sauvegarde du service public de la télévision ainsi que, peu après, à l’occasion d’une séance de questions cribles sur le thème « pouvoir et médias » : la nomination par le Président de la République du président de France Télévisions.

Comment cela va-t-il se passer ?

Si le Président de la République procède à la hussarde, en proposant de but en blanc un nom, on imagine mal que deux tiers des membres de chacune des deux assemblées parlementaires s’opposent à sa volonté : je ne doute pas, chers collègues de la majorité, que vous vous comporterez en vaillants petits soldats !

En revanche, s’il y a appel à candidatures, les commissions de la culture des deux assemblées pourraient, par exemple, procéder en amont à des auditions, en s’inspirant de la démarche exemplaire suivie par le Sénat pour la nomination du président de Public-Sénat : après un appel à projets, une commission pluraliste a étudié les diverses candidatures pour finalement en retenir une à l’unanimité.

Je le dis très clairement, si c’est la première de ces deux options qui est choisie, l’autorité du nouveau président de France Télévisions pour faire face aux défis de l’avenir ne s’en trouvera pas renforcée. À cet égard, je vous ai trouvé très optimiste, monsieur Maurey : même la convention collective n’est pas près d’être signée, et, connaissant la détermination des personnels et la légitimité de leurs revendications, je ne crois pas un seul instant qu’elle pourra l’être avant la première semaine de juin.

Pour la bonne gouvernance de France Télévisions, il importe que le nouveau président ait la confiance à la fois du personnel, du public et de l’ensemble des acteurs du débat démocratique. Il y va de la liberté des médias et du pluralisme, dont le respect s’impose désormais au législateur et au Gouvernement de par la Constitution.

Nous aurons l’occasion, d’ici au mois de juin, de reprendre ce débat. J’espère qu’il n’y aura pas d’entêtement sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)