compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Léonce Dupont

vice-président

Secrétaires :

M. Jean-Noël Guérini,

M. Daniel Raoul.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures quarante.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour un rappel au règlement.

Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, mon intervention se fonde sur l’article 36 du règlement.

Le 3 mai dernier, les forces de l’ordre, à savoir 30 policiers et gendarmes, ont investi les locaux de l’institut d’éducation motrice « Les Jonquilles » à Freyming-Merlebach en Moselle, pour arrêter un jeune sans-papiers de quinze ans et procéder ensuite à l’expulsion de toute la famille. Ce jeune, prénommé Ardi, présente la particularité, outre d’être originaire du Kosovo, d’être polyhandicapé depuis l’âge de dix ans à la suite d’une attaque cérébrale.

Sa situation dramatique particulière n’a pourtant pas conduit les autorités de l’État, qu’elles soient nationales ou locales, à infléchir leur position. Cette expulsion a été examinée sous l’angle strictement administratif, et les facteurs humains ont été tout simplement ignorés.

Nous avons donc confirmation, depuis ce 3 mai, qu’être sans-papiers est le facteur déterminant, en dehors de toute autre considération, dans la décision de reconduite à la frontière dans le cadre de la politique mise en œuvre par ce gouvernement.

Les méthodes employées pour expulser la famille ont d’ailleurs indigné l’Association des paralysés de France et le Réseau éducation sans frontières, pour qui « le dispositif mis en place s’apparente à de l’intimidation ».

Face à cette situation, notamment à l’insuffisance des structures d’accueil au Kosovo et à l’incapacité de la famille à financer les soins, nous souhaitions vous alerter, madame la secrétaire d’État, pour vous dire notre indignation et vous demander de transmettre au Gouvernement le message suivant : Ardi doit revenir en France, où il pourra être accueilli dans de bonnes conditions pour être soigné, comme son état sanitaire le nécessite et comme la tradition d’accueil de notre pays, voire la plus élémentaire compassion, l’exige. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, ma chère collègue.

3

Décision du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date de ce jour, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.

Acte est donné de cette communication.

4

Commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant engagement national pour l’environnement.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

5

Audition au titre de l'article 13 de la Constitution

M. le président. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre, par lettre en date du 11 mai 2010, a estimé souhaitable, sans attendre l’adoption des règles organiques qui permettront la mise en œuvre de l’article 13 de la Constitution, de mettre la commission intéressée en mesure d’auditionner, si elle le souhaite, M. Dov Zerah, qui pourrait être prochainement nommé, en conseil des ministres, aux fonctions de directeur général de l’Agence française de développement.

Acte est donné de cette communication.

Le courrier a été transmis à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

6

Candidatures à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental.

Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.

7

Dépôt d'un rapport du Gouvernement

M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article 4 de la loi n° 2008-136 du 13 février 2008 relative à la sécurité des manèges, machines et installations pour fêtes foraines ou parcs d’attraction, le premier rapport relatif à l’accidentologie survenue lors des fêtes foraines et dans les parcs d’attractions.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire et est disponible au bureau de la distribution.

8

Dépôt de conventions

M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article 8 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, les conventions conclues entre l’État et les organismes gestionnaires des fonds consacrés à la mise en œuvre des actions arrêtées au titre du programme des investissements d’avenir.

Acte est donné du dépôt de ces conventions.

Elles ont été respectivement transmises à la commission des finances ainsi qu’à la commission des affaires sociales et à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Elles sont disponibles au bureau de la distribution.

9

Candidature à la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation d’un membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, en remplacement de Jacqueline Chevé.

Le groupe socialiste a présenté la candidature de Mme Maryvonne Blondin pour la remplacer.

Cette candidature a été affichée. Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

10

Débat sur l'application de la loi de 2005 sur le handicap

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’application de la loi de 2005 sur le handicap, organisé à la demande du groupe socialiste et du RDSE.

La parole est tout d’abord donnée aux orateurs des groupes qui ont demandé ce débat.

La parole est à M. Jacky Le Menn, pour le groupe socialiste.

M. Jacky Le Menn, pour le groupe socialiste. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, sans attendre l’examen de la proposition de loi tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées, qui devrait avoir lieu dans quelques semaines, il est apparu urgent à notre groupe d’engager, dès aujourd’hui, un débat exhaustif sur la mise en œuvre de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, cinq ans après son adoption par le Parlement.

Rappelons que, dans l’exposé des motifs de cette loi, il était précisé l’esprit  dans lequel elle s’inscrivait : « Il implique que la nouvelle législation organise de manière systématique l’accès des personnes handicapées au droit commun, qu’elle adapte celui-ci ou le complète par des dispositions spécifiques afin de garantir, en toutes circonstances, une réelle égalité d’accès aux soins, au logement, à l’école, à la formation, à l’emploi, à la cité et de reconnaître ainsi la pleine citoyenneté des personnes handicapées ».

Bien que très imparfaite, cette loi apportait des perspectives d’améliorations. Aujourd’hui, après un quinquennat pour le moins décevant, elle apparaît de plus en plus vidée de son esprit originel.

Alors même que la question du handicap demeure un enjeu politique et social de grande ampleur dans nombre de pays européens, en France, elle reste traitée de manière sectorielle et « compassionnelle ».

Le Président de la République avait pourtant promis, en juin 2007, qu’il n’y aurait aucun délai dans l’application de cette loi. Hélas ! il nous faut constater les retards accumulés dans sa mise en œuvre sur le terrain ainsi que les tentatives de recul inadmissibles, de la part tant du Gouvernement que de la majorité parlementaire qui le soutient.

Certaines grandes associations représentatives de nos concitoyens handicapés ont déclaré 2009 l’« année noire du handicap ». Dans le contexte économique et social particulièrement dégradé que nous connaissons – c’est un euphémisme –, les personnes handicapées sont en effet encore plus pénalisées que la majorité de nos concitoyens, qui sont pourtant, pour des millions d’entre eux, dans des situations dramatiques.

Plusieurs collègues de mon groupe interviendront dans le débat pour illustrer de manière très précise ces retards et ces reculs, que nous condamnons. Je me limiterai donc à en souligner succinctement quelques-uns. Ils sont tout à fait révélateurs d’un « nouvel état d’esprit » qui, en définitive, décrédibilise les déclarations du Gouvernement et du Président de la République concernant l’exigence d’égalité des chances et des droits tout au long de la vie pour nos concitoyens en situation de handicap.

Ce recul est manifeste en matière de ressources.

La précarité touche toujours une grande partie des personnes en situation de handicap. Nombre d’entre elles se trouvent en effet sous le seuil de pauvreté.

Le Gouvernement a accru leurs difficultés en imposant aux bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, les déremboursements de médicaments, la hausse du forfait hospitalier, les franchises médicales. En outre, les bénéficiaires de l’AAH, toujours en dessous du SMIC, voire du seuil de pauvreté, n’ont pas droit à la CMU complémentaire.

Il en va de même dans le domaine de l’emploi.

Selon le baromètre « emploi et handicap », 55 % des entreprises – un peu plus d’une entreprise sur deux – ne comptent aucun handicapé dans leurs effectifs. Voilà la situation vingt-deux ans après le vote d’une loi visant à obliger l’emploi de travailleurs handicapés dans les entreprises du milieu ordinaire !

Nonobstant cette violation manifeste de la loi, que constatons-nous ?

Le Gouvernement, à la veille de Noël 2009, a concédé un délai supplémentaire de six mois aux entreprises de vingt à quarante-neuf salariés qui n’étaient pas en conformité avec la loi, au lieu d’appliquer les sur-contributions financières prévues par celle-ci. Ce délai supplémentaire est d’autant plus déplorable qu’il s’adresse à des entreprises n’ayant engagé aucune action en faveur de l’emploi des personnes handicapées, telle que, par exemple, l’achat de fournitures auprès d’entreprises du milieu protégé.

Ce n’étaient donc pas les conditions qui manquaient de s’exonérer de tout ou partie de la contribution à verser à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées, l’AGEFIPH, ou au Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, le FIPHFP ! De plus, rappelons que les entreprises disposaient de cinq ans pour se préparer à cette échéance.

Ce report de six mois de l’application de la sur-contribution est un signal fort et un gage donné à ceux qui ne respectent pas la loi. Cela est déplorable ! De même qu’est déplorable la situation dans la fonction publique, où le quota de 6 % d’emplois de travailleurs handicapés dans les effectifs est loin d’être atteint, sans parler de l’éducation nationale, qui continue de jouir d’une dérogation tout à fait contestable.

Ces retards et reculs sont flagrants dans l’accessibilité.

Durant l’année 2009, le Gouvernement a tenté à plusieurs reprises d’étendre les possibilités de dérogation aux règles d’accessibilité prévues par la loi, y compris pour le cadre bâti. Le 21 juillet 2009, le Conseil d’État a dû annuler un décret de mai 2006 visant à accorder toute une série de dérogations remettant en cause le principe d’accessibilité.

Quelques mois plus tard, le Gouvernement a, cette fois, tenté de modifier directement la loi du 11 février 2005 par le biais de la loi de finances rectificative pour 2009 en instaurant des dérogations pour les constructions de bâtiments neufs. Heureusement, le Conseil constitutionnel, alerté, a censuré l’article en cause !

Encore actuellement, des députés de la majorité, à l’occasion de l’examen du projet de loi Grenelle II, viennent de déposer deux amendements visant à nouveau à introduire des dérogations au principe d’accessibilité en matière de cadre bâti.

Ces pratiques gouvernementales et parlementaires sont condamnables. Elles visent à privilégier les intérêts des investisseurs immobiliers au détriment de ceux des personnes en situation de handicap. Ce mode opératoire n’est pas correct et nous interroge sur la volonté réelle du Gouvernement de voir les obligations de cette loi totalement respectées.

Se pose aussi pour les collectivités territoriales le problème aigu du financement de l’accessibilité, notamment en matière de transport, auquel ne répond pas le Gouvernement.

On constate les mêmes reculs pour le droit à la compensation.

La remise en cause du plan personnalisé de compensation, le PPC, pourtant l’une des pièces centrales du dispositif de compensation prévu par la loi du 11 février 2005, ne laisse de nous inquiéter. En effet, en décembre dernier, un amendement voté dans le cadre de l’examen de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, qui a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, est revenu sur le caractère inéluctable de cette aide en rendant « optionnel » le plan personnalisé de compensation. Cette disposition laisse aux équipes pluridisciplinaires des maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH, la décision d’élaborer ou non un plan personnalisé de compensation. Compte tenu de la charge de travail des MDPH, qui est par ailleurs dénoncée, ce plan risque d’être progressivement abandonné, ce qui serait extrêmement regrettable.

Enfin, le Gouvernement se désengage progressivement de l’enjeu, pourtant primordial, de la scolarisation.

Pour les associations de personnes handicapées, il s’agit d’une déresponsabilisation. On assiste à une remise en cause, insidieuse là aussi, des dispositions de la loi du 11 février 2005, qui visent à « confier » à l’éducation nationale la gestion des auxiliaires de vie scolaire, ou AVS, personnel si précieux pour les enfants en situation de handicap. Aux termes de l’article 44 de la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, les dispositions en vigueur concernant l’accompagnement des élèves handicapés en milieu scolaire ordinaire ont en effet été modifiées. Ainsi, « l’aide individuelle […] peut […] être assurée par une association ou un groupement d’associations ayant conclu une convention avec le ministère de l’éducation nationale ».

Cette disposition remet directement en cause l’esprit de la loi du 11 février 2005 en matière de scolarisation. Comment peut-on parler d’école inclusive si, demain, les familles des personnes handicapées doivent rechercher elles-mêmes des associations gérant des auxiliaires de vie scolaire ?

Les enfants en situation de handicap ont droit à l’éducation publique comme tout le monde. Nous demandons donc que l’éducation nationale continue de gérer et de former directement les auxiliaires de vie scolaire et que la pérennité de leur statut soit assurée afin que les enfants concernés puissent bénéficier de la même éducation que les enfants valides. Nous souhaitons également que la formation des enseignants intègre le fait que ceux-ci, au cours de leur carrière, auront à enseigner à des enfants en situation de handicap et devront tenir compte de leurs besoins.

S’agissant des maisons départementales des personnes handicapées, nous aurons l’occasion de faire valoir nos observations et nos propositions lors de l’examen de la proposition de loi les concernant, qui sera soumise à notre assemblée dans quelques semaines.

Je me limiterai donc à signaler que les MDPH sont asphyxiées par le refus de l’État de compenser les postes vacants, contraignant les départements à intervenir toujours plus sur le plan financier, alors que le Gouvernement n’a de cesse de diminuer leurs ressources. Pourtant, l’État s’était engagé à compenser financièrement les emplois non mis à la disposition des MDPH ; il ne l’a pas fait en 2008 et seulement en partie en 2009. À la fin de l’année 2009, le montant cumulé de sa dette s’élèverait à 34 millions d’euros, ce qui devient une charge insupportable, comme le dénoncent les présidents de conseils généraux.

Nous profiterons aussi de ce débat pour évoquer le dossier sensible des retraites pour les personnes handicapées et leurs proches. Écarté de la loi du 11 février 2005, ce dossier revêt aujourd’hui un fort caractère d’urgence alors que se profilent pour les mois à venir des modifications législatives d’envergure concernant les pensions de retraite de nombre de nos concitoyens. Certains de mes collègues interviendront donc sur ce sujet.

Je ne saurais terminer mon intervention sans faire part de l’inquiétude de nombreuses associations dont nous avons auditionné les représentants de voir le Gouvernement exclure le handicap du débat sur le cinquième risque, qui s’engagera cette année. Nous partageons cette inquiétude.

Ce débat ne peut, à l’évidence, se limiter aux seuls enjeux du vieillissement de la population. Nous souhaitons donc que la question du cinquième risque soit appréhendée d’un point de vue global, dans la perspective de voir ces discussions déboucher sur une réforme ambitieuse et cohérente fondée sur un droit universel à compensation, reposant sur un système de financement par la solidarité nationale. Cette réforme s’inscrit dans une volonté politique affirmée d’amélioration et de simplification des droits pour toute personne se retrouvant dans une situation de diminution ou de perte d’autonomie temporaire ou durable.

Le débat sur le bilan de la mise en œuvre de la loi du 11 février 2005 qui nous réunit aujourd’hui n’est pas mineur. Il doit nous permettre de renforcer notre vigilance concernant les politiques en faveur des personnes en situation de handicap et mobiliser notre capacité d’indignation lorsqu’on tente de les détourner. Il doit réaffirmer une ambition sociale, partagée par tous les membres de notre assemblée – j’en suis persuadé –, celle de garantir à tous nos concitoyens ce droit fondamental qu’est le droit à la dignité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour le groupe du RDSE.

Mme Françoise Laborde, pour le groupe du RDSE. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, aujourd’hui encore, le handicap continue de se poser comme un défi majeur dans notre société.

La loi de 2005, qui a concrétisé la volonté du président de la République Jacques Chirac de faire du handicap un chantier prioritaire de son quinquennat, a mis en place des avancées notables pour une prise en charge personnalisée et globale du handicap. L’ambition de cette loi était très importante, et surtout nécessaire. Elle méritait un engagement de tous.

Pourtant, alors que la France vient de ratifier la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, le handicap reste toujours une cause d’exclusion, non seulement en termes d’éducation, d’accès aux infrastructures et d’intégration professionnelle, mais également en termes d’acceptation sociale. Je suis donc ravie que nous puissions profiter de cette semaine de contrôle pour faire enfin un premier bilan.

Sur le papier, les personnes en situation de handicap ont les mêmes droits fondamentaux que l’ensemble des citoyens. Dans les faits, notre société est organisée de telle sorte qu’il leur est souvent impossible de jouir de l’ensemble de leurs droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Elles sont en effet confrontées à de nombreuses formes d’entraves. Qu’ils soient liés à leur environnement, à des comportements ou à des facteurs sociaux, juridiques ou financiers, ces obstacles sont souvent synonymes d’exclusion sociale et de pauvreté.

Nombre de ces barrières persistent, parce que les personnes en situation de handicap sont généralement oubliées lors de la conception d’un nouveau service, au point qu’elles ont souvent été qualifiées de « citoyens invisibles ». Or l’intégration du handicap doit systématiquement prendre en compte les priorités et les besoins des personnes de façon transversale, dans toutes les politiques. Il ne s’agit malheureusement pas encore d’une réalité.

Je voudrais maintenant évoquer la question de l’accessibilité, sur laquelle mon collègue Jacques Mézard s’étendra un peu plus.

La loi de 2005 visait à prévoir que la France rende accessibles les bâtiments et les espaces publics aux personnes handicapées et à mobilité réduite d’ici à 2015. Or nous sommes très en retard. L’Observatoire national de l’accessibilité, mis en place en février dernier, devra en faire le triste constat. Je déplore d’ailleurs que cet organisme n’ait pas été créé dès 2005. Il aura donc fallu attendre cinq ans, pour qu’un premier diagnostic intervienne le 1e janvier 2011. Quel gâchis !

Dans ce domaine, comme dans d’autres, le décalage entre l’esprit de la loi et la réalité est avéré. Cette situation de crise est dénoncée par les professionnels et le secteur associatif sur le terrain, qui parlent de régression de fait. Ils célèbrent dans la colère le cinquième anniversaire de la loi !

Je pourrais ainsi évoquer l’insuffisance de la compensation des charges transférées aux départements pour les maisons départementales des personnes handicapées, la fiscalisation des indemnités relatives aux accidents du travail, le projet de modification du calcul de l’allocation aux adultes handicapés, la mise en danger de l’aide à domicile, l’insuffisance des aides ménagères et à la parentalité, la nécessaire suppression de la barrière d’âge des soixante ans ou encore le désengagement de l’État dans les fonds censés financer intégralement la compensation.

J’en viens maintenant à la question de la scolarisation des enfants handicapés, sujet qui me tient particulièrement à cœur.

Il est indéniable que la loi de 2005 a accéléré la mise en œuvre de l’accès des enfants en milieu scolaire ordinaire. Toutefois, 13 000 enfants et jeunes de moins de vingt ans ne sont pas pris en charge. Trop handicapés pour aller à l’école et à cause d’un manque de place dans les établissements spécialisés, ils restent chez leurs parents. Pour ces enfants, les plus atteints, condamnés à rester chez eux en raison de la pénurie de place dans les structures d’accueil, il faut de trois à cinq ans sur liste d’attente pour obtenir enfin une place.

Madame la secrétaire d’État, quelle solution allez-vous mettre en œuvre pour ces enfants et ces familles en détresse ?

M. Jacques Blanc. Vous avez raison, il faut des établissements spécialisés !

Mme Françoise Laborde. Vous évoquez le financement de 12 000 places à l’horizon de 2014. Malheureusement, il s’agira surtout d’aide à domicile, alors que les besoins d’accueil dans les établissements spécialisés sont immenses. Selon l’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, le handicap concernerait encore 15 000 naissances par an.

Pour les enfants et les jeunes qui ont la chance d’être scolarisés en milieu ordinaire, d’autres problèmes se posent. Bien qu’ils aient une place à l’école, ils n’y trouvent pas forcément « leur place ».

Tout d’abord, l’augmentation du nombre d’enfants accueillis cache des disparités très importantes en fonction du handicap. Si les jeunes affectés par des déficiences physiques suivent un cursus ordinaire jusqu’au lycée, la proportion des enfants affectés par des déficiences intellectuelles ou mentales diminue au fur et à mesure de la scolarité. Or, un faible niveau de formation engendre un taux de chômage élevé. Ce dernier est d’ailleurs deux fois plus important chez les personnes en situation de handicap que dans l’ensemble de la population. Un effort doit être fait dans ce domaine pour accroître le niveau de formation. Il est primordial que ces enfants soient le plus tôt possible en contact avec des enfants « ordinaires », afin qu’ils soient intégrés socialement.

Je citerai simplement les propos tenus par Nicolas Sarkozy, pendant la campagne présidentielle : « Je considère qu’il est scandaleux qu’un enfant ayant un handicap ne puisse pas être scolarisé dans une école "normale." […] Les autres […] au contact de cet enfant différent apprendront que la différence est une richesse. Dans les démocraties du nord de l’Europe, 100 % des enfants ayant un handicap sont scolarisés en milieu scolaire classique. En France, c’est 40 %. » Mais ce n’est pas si simple…

La question de la scolarisation en milieu ordinaire soulève un autre problème, celui de l’insuffisance des moyens humains et financiers pour rendre possible cet accueil dans des conditions décentes. En 2009, 1 500 auxiliaires de vie scolaire ont vu leur contrat non renouvelé et les associations viennent de dénoncer la convention-cadre qui prévoyait de mettre en place un groupe de travail qui, finalement, ne travaille pas…

Les AVS, recrutés pour trois ans renouvelables, sont des personnels précaires. Cette situation est inquiétante, car l’auxiliaire de vie scolaire a un rôle primordial d’aide à l’enseignant et à l’intégration dans la classe du jeune qu’il aide dans ses déplacements et les actes de la vie quotidienne. Il favorise la communication avec ses camarades et sa socialisation. Il contribue à lui assurer des conditions de sécurité et de confort. Il intervient dans la classe en concertation avec l’enseignant ou en dehors des temps d’enseignement. Il collabore au suivi des projets personnalisés de scolarisation, participe aux sorties de classe et se charge des gestes techniques médicaux ou paramédicaux. Les familles demandent, légitimement, un vrai statut professionnel pour ces personnels.

C’est pourquoi, madame la secrétaire d’État, je vous demande de débloquer d’urgence les négociations avec les associations pour avancer enfin sur la mise en place de ce statut professionnel du métier d’AVS-EVS – auxiliaire de vie scolaire-emploi vie scolaire. Sinon, il s’agirait une fois de plus d’un désengagement inacceptable de l’État.

Il est temps, en effet, de reconnaître et de valoriser les acquis de ces professionnels, tout comme il est urgent d’organiser une formation spécifique à l’accueil des enfants en situation de handicap à destination des enseignants et de garantir des effectifs réduits dans les classes qui accueillent ces enfants.

Cette avancée garantira aux enfants concernés, à leur famille et aux enseignants un service d’accompagnement compétent et de qualité. Madame la secrétaire d’État, le temps presse !

Je souhaiterais enfin évoquer le problème de l’extrême pauvreté. Alors que l’année 2010 a été déclarée « année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale », il est inadmissible que, dans notre pays, aujourd’hui, près d’un million de personnes en situation de handicap vivent – « survivent » devrais-je plutôt dire – sous le seuil de pauvreté.

Je rappellerai simplement le texte de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, dont l’article 28 précise que « les États parties […] prennent des mesures […] destinées à assurer aux personnes handicapées et à leurs familles, lorsque celles-ci vivent dans la pauvreté, l’accès à l’aide publique pour couvrir les frais liés au handicap, notamment les frais permettant d’assurer adéquatement une formation, un soutien psychologique, une aide financière ou une prise en charge de répit ».

Actuellement, l’allocation aux adultes handicapés, versée à près de 900 000 personnes, s’élève à 693 euros maximum par mois, ce qui ne leur permet pas de vivre décemment. Certes, le ministre du travail a annoncé la revalorisation de l’allocation de 25 % d’ici à 2012, mais elle sera toujours inférieure au seuil de pauvreté, qui, je le rappelle, est selon l’INSEE légèrement supérieur à 900 euros. Par ailleurs, plusieurs mesures risquent de neutraliser cette augmentation. Je pense notamment à l’instauration des franchises médicales, à l’augmentation du forfait hospitalier et au déremboursement de médicaments. Comment pouvons-nous accepter que ces personnes extrêmement fragilisées vivent dans de telles conditions ?

La loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées de 2005 a permis un changement important de notre société et peut-être, je l’espère, une révolution des mentalités. Madame la secrétaire d’État, mon vœu le plus cher, en accord avec tous les collègues de mon groupe, serait que cet anniversaire soit l’occasion de donner un nouveau souffle à cette loi et de concrétiser enfin tous les espoirs qui ont été mis en elle. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)