Articles additionnels avant l'article 3
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche
Article 3 (interruption de la discussion)

Article 3

I. – Le chapitre Ier du titre III du livre VI du code rural est ainsi modifié :

1° L’intitulé de la section 1 est ainsi rédigé : « Les accords interprofessionnels à long terme ».

2° Les sections 2, 3 et 4 deviennent respectivement les sous-sections 1, 2 et 3 de la section 1 ;

3° L’intitulé de la sous-section 1 est ainsi rédigé : « Contenu des accords interprofessionnels à long terme » ;

4° Aux articles L. 631-1, L. 631-2, L. 631-3, L. 631-22 et L. 631-23, les mots : « le présent chapitre » ou « du présent chapitre » sont remplacés par les mots : « la présente section » ou « de la présente section ».

5° Au début du second alinéa de l’article L. 631-1, le mot : « Il » est remplacé par le mot : « Elle » ;

6°À l’article L. 631-23, les mots : « sections 2 à 4 du présent chapitre » sont remplacés par les mots : « sous-sections 1 à 3 de la présente section » ;

7° Il est ajouté une section 2 ainsi rédigée :

« Section 2

«  Les contrats de vente de produits agricoles

« Art. L. 631-24. – I. – La conclusion de contrats de vente écrits entre producteurs et acheteurs, ou entre opérateurs économiques visés au premier alinéa de l’article L. 551-1, propriétaires de la marchandise, et acheteurs, peut être rendue obligatoire pour les produits agricoles destinés à la revente en l’état ou à la transformation.

« Ces contrats écrits comportent des clauses relatives aux volumes et aux caractéristiques des produits à livrer, aux modalités de collecte ou de livraison des produits, aux critères et modalités de détermination du prix, aux modalités de paiement et aux modalités de révision et de résiliation du contrat ou à un préavis de rupture. Sauf stipulations contraires, ces contrats sont renouvelables par tacite reconduction pour une période équivalente à celle pour laquelle ils ont été conclus.

« Ils peuvent être rendus obligatoires :

« a) Par extension ou homologation d'un accord interprofessionnel, dans les conditions définies au chapitre II du présent titre ;

« b) Ou, si aucun accord interprofessionnel ayant la même portée n'a été étendu ou homologué, par un décret en Conseil d'État. L'application de ce décret est suspendue en cas d'extension ou l'homologation d'un accord interprofessionnel en application du a.

« L’accord interprofessionnel mentionné au a ou le décret mentionné au b fixe, par produit ou catégorie de produits et par catégorie d’acheteurs, la durée minimale du contrat qui est de un à cinq ans, ainsi que les modes de commercialisation pour lesquels une durée inférieure est admise.

« Si ces contrats prévoient la fourniture à l’acheteur des avantages mentionnés au premier alinéa de l’article L. 441-2-1 du code de commerce, ils comportent pour les produits visés au même article des clauses relatives aux modalités de détermination du prix en fonction des volumes et des qualités des produits et des services concernés et à la fixation d’un prix. Ils indiquent les avantages tarifaires consentis par le fournisseur au distributeur au regard des engagements de ce dernier.

« II. – La conclusion de contrats soumis aux dispositions du I doit être précédée d’une proposition écrite de l’acheteur conforme aux dispositions de l’accord interprofessionnel mentionné au a du I ou du décret mentionné au b du I.

« Les sociétés mentionnées à l'article L. 521-1 du présent code sont réputées avoir satisfait aux obligations visées à l'alinéa précédent dès lors qu'elles ont remis à leurs associés coopérateurs un exemplaire des statuts et du règlement intérieur, intégrant les dispositions du I non contraires aux dispositions des statuts types homologués par le ministère chargé de l'agriculture.

« En cas de litige relatif à la conclusion ou à l’exécution d’un contrat de vente entrant dans le champ des dispositions du présent article, le producteur ou l’acheteur peut saisir une commission de médiation dont la composition et les compétences sont fixées par décret.

« III - Les dispositions du présent article sont applicables aux ventes de produits agricoles livrés sur le territoire français, quelle que soit la loi applicable au contrat.

« Elles ne sont pas applicables aux ventes directes au consommateur ni aux cessions réalisées au bénéfice des organisations caritatives pour la préparation de repas destinés aux personnes défavorisées.

« Ces dispositions sont d’ordre public.

« Art L. 631-25. – Le fait pour un acheteur de ne pas remettre, lorsqu'elle a été rendue obligatoire dans les conditions mentionnées à l'article L. 631-24, une proposition de contrat écrit ou de ne pas inclure dans cette proposition une ou plusieurs des clauses obligatoires ou de rédiger ces clauses en méconnaissance des dispositions de l'article L. 631-24 est sanctionné d'une amende administrative, dont le montant ne peut être supérieur à 75 000 € par producteur et par an. Ce montant peut être porté au double en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans.

« Cette amende est proportionnée à la gravité des faits constatés, notamment au nombre et au volume des ventes réalisées en infraction. L'autorité administrative compétente peut, en outre, ordonner la publication de la décision ou d'un extrait de celle-ci.

« Art. L. 631-26. – Les manquements aux dispositions de l’article L. 631-25 sont constatés par les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et par les agents des services de l’État chargés de l’agriculture. Ces manquements sont constatés par procès-verbal dans les conditions fixées par les articles L. 450-2 et L. 450-3 du code de commerce et les dispositions prises pour leur application. Le double du procès-verbal accompagné de toutes les pièces utiles et mentionnant le montant de l’amende administrative encourue est notifié à la personne physique ou morale concernée.

« Le procès-verbal indique la possibilité pour la personne visée de présenter, dans un délai d’un mois, ses observations écrites ou orales. À l’issue de ce délai, le procès-verbal, accompagné, le cas échéant, des observations de l’intéressé est transmis à l’autorité administrative compétente qui peut, par décision motivée et après une procédure contradictoire, prononcer la sanction prévue à l’article L. 631-25.

« L’intéressé est informé de la possibilité de former un recours gracieux ou contentieux contre cette décision, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la sanction.

« Les amendes mentionnées au présent article sont versées au Trésor et sont recouvrées comme les créances de l’État étrangères à l’impôt et au domaine. »

M. le président. La parole est à M. Gérard César, rapporteur.

M. Gérard César, rapporteur. Nous abordons un article très important, qui a été réécrit par la commission en fonction de deux orientations.

Tout d’abord, nous avons affirmé la primauté de l’accord interprofessionnel sur l’intervention de la puissance publique : l’État ne sera appelé à intervenir pour obliger à conclure des contrats écrits dans les filières que si les interprofessions concernées n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Dernièrement, monsieur le ministre, vous avez été contraint de fixer, pour une durée de trois mois, le prix du lait.

Ensuite, nous avons prévu une application large du contrat, celui-ci devant concerner initialement « producteurs et acheteurs ». Nous avons précisé qu’il pourrait s’agir de tout producteur ou organisation de producteurs avec son acheteur. Nous avons également soumis les coopératives au régime contractuel, en adaptant les modalités prévues : les statuts ou le règlement intérieur vaudront contrat s’ils comprennent les clauses types obligatoires.

L’article 3 fixe donc les règles du jeu. Ainsi, le contrat devra comprendre certaines clauses : volumes et caractéristiques des produits, modalités de collecte et de livraison, critères et modalités de détermination du prix, modalités de paiement, de révision et de résiliation. Il devra également être conclu pour une certaine durée, comprise entre un et cinq ans.

L’article 3 définit un socle minimal ; il appartiendra ensuite aux interprofessions, à défaut au décret, de préciser les secteurs concernés et le périmètre exact des contrats.

L’alinéa 32 de l’article 7 répond à l’article 3, puisqu’il organise la faculté pour les interprofessions de conclure des accords interprofessionnels comprenant des contrats types qui peuvent être plus précis. Par exemple, ces contrats peuvent fixer un prix plancher.

Ensuite, à partir de ce socle, chaque acheteur proposera à chacun de ses fournisseurs un contrat écrit qui devra être conforme au cadre type.

Le contrat instaure une logique de gagnant-gagnant : d’une part, l’acheteur y trouve son intérêt en sécurisant son approvisionnement ; d’autre part, le vendeur y sécurise ses débouchés. Il faut éviter, par exemple, que le producteur de lait ne se retrouve avec du lait non collecté.

Par ailleurs, le dispositif retenu reste souple. Pour illustrer mon propos, je prendrai deux exemples.

D’une part, le texte dispose que le contrat « peut être rendu obligatoire ». La majorité des filières sera concernée, mais pour certaines, par exemple la filière céréalière, qui passent par des collecteurs agréés, l’instrument du contrat ne sera peut-être pas nécessaire.

D’autre part, l’acheteur a l’obligation de proposer un contrat, mais le vendeur n’est pas soumis à la même obligation : il pourra conserver une partie de sa production non contractualisée.

Souplesse et équilibre : tels sont les objectifs que s’est fixés la commission en proposant cette nouvelle rédaction pour ce texte.

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer, sur l'article.

M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 5 janvier 2006 d’orientation agricole comportait déjà des dispositions ayant pour objet de « consolider le revenu agricole et favoriser l’activité ».

Quatre années plus tard, il faut bien se rendre à l’évidence : les mesures adoptées à l’époque n’ont pas permis de faire évoluer favorablement la rémunération des agriculteurs.

Certes, il y eut une embellie en 2007, mais elle fut de courte durée : en 2008 et en 2009, le revenu moyen des agriculteurs a baissé respectivement de 20 %, puis de 34 %. Quelle autre profession pourrait supporter une telle amputation de son pouvoir d’achat ?

Et cette dégringolade concerne de très nombreuses productions : les producteurs de lait, les producteurs de céréales, les exploitations maraîchères et horticoles, les élevages bovins et ovins, qui voient leur résultat d’exploitation devenir négatif. C’est véritablement toute l’agriculture qui est aujourd’hui concernée.

Le titre II comporte un certain nombre de dispositions tout à fait pertinentes : la conclusion de contrats écrits avec les acheteurs et le fait de permettre aux agriculteurs de pouvoir mieux défendre leurs intérêts dans la chaîne de répartition de la valeur ajoutée. À cet effet, le projet de loi tend à renforcer le rôle de l’Observatoire des prix et des marges et à élargir son champ de compétence à l’ensemble des produits de l’agriculture. Il vise également à consolider le rôle des interprofessions agricoles et celui des organisations de producteurs.

Il est certain que la profonde crise du lait, des productions de viande et de céréales doit nous faire réfléchir à une nouvelle modernisation des exploitations agricoles et de l’agriculture dans son ensemble, mais aussi à une nouvelle régulation de l’agriculture au niveau européen. Vous venez d’ailleurs d’évoquer ce sujet, monsieur le ministre.

La modernisation de l’agriculture française passe par une harmonisation européenne du coût du travail, pas seulement pour les travailleurs saisonniers.

Elle passe également par une simplification des contraintes administratives : je pense bien évidemment aux contrôles tatillons opérés dans nos régions pour le versement des subventions européennes.

Elle passe par la simplification des contraintes sanitaires et environnementales, y compris, peut-être, par la révision de certaines dispositions du Grenelle de l’environnement.

Cette modernisation passe également par la mise en œuvre d’une véritable contractualisation régulée par les interprofessions afin de mieux protéger les producteurs.

Dans cette optique, le rôle joué par les coopératives est primordial. Elles ont clairement manifesté leur volonté de s’engager dans des politiques d’accompagnement et de contractualisation, dans la production, dans la transformation, mais aussi dans la qualité des produits. Elles encouragent les agriculteurs à investir et à s’investir afin de faciliter la commercialisation de leurs produits en étant plus proches des consommateurs. Il serait intéressant de suivre ce nouvel engagement que prépare actuellement la coopération agricole.

Monsieur le ministre, les mesures que vous préconisez vont dans le bon sens, mais suffiront-elles pour autant à régler durablement les problèmes ? Certes, un contrat écrit vaut mieux que pas de contrat du tout, mais tout le problème est de savoir ce que l’on y met. Si les producteurs de lait signent des contrats de longue durée pour un prix toujours aussi ridiculement bas, de l’ordre de 24 centimes d’euro le litre, cela ne réglera manifestement pas leurs difficultés.

Par ailleurs, les sanctions prévues par l’article 3 en cas d’absence de proposition de contrat écrit entre producteurs et acheteurs me semblent disproportionnées, puisqu’elles peuvent atteindre 75 000 euros par producteur et par an. Ce sont les raisons pour lesquelles je proposerai, par voie d’amendement, que le régime des sanctions applicables soit fixé non par l’autorité administrative, mais par les interprofessions, afin que les intéressés ne se sentent pas les victimes d’un simple barème applicable aveuglément.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Claude Biwer. Au-delà de nos préoccupations franco-françaises, il faut également obtenir la mise en place d’une meilleure régulation européenne des marchés qui soit durable dans le temps et qui passe aussi par de meilleurs outils de gestion : intervention, mécanismes assurantiels, organisation des filières.

Il faut, enfin, une vraie politique de prix. Cela a souvent été dit, mais il faut le répéter : les agriculteurs veulent pouvoir vivre du prix de leur travail et non, exclusivement ou presque, de subventions.

Monsieur le ministre, telles sont les quelques réflexions et interrogations que je vous livre à l’occasion de l’examen du titre II ce projet de loi : il va dans le bon sens, mais il a besoin d’être perfectionné afin de répondre non seulement à la profonde inquiétude des agriculteurs, mais aussi à l’attente des élus que nous sommes, qui souhaitent être rassurés afin, peut-être, de pouvoir voter ce texte.

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam, sur l'article.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le monde agricole connaît une profonde crise. Les producteurs, les éleveurs, les pêcheurs ne vivent plus aujourd’hui des revenus de leur travail. Cette situation n’est pas nouvelle, mais son ampleur est sans précédent.

Face au désespoir profond de ces femmes et de ces hommes, le Président de la République n’a cessé, ces derniers mois, de dénoncer la déréglementation mondiale et européenne, de déplorer les baisses de revenus, mais, concrètement, qu’y a-t-il eu de fait ?

Lors de la présidence française, aucune action n’a été lancée pour renforcer la régulation du secteur agricole ou pour tendre vers l’établissement d’un revenu minimum européen.

Pourtant, M. Barnier avait une feuille de route prometteuse : « Promouvoir une politique alimentaire, agricole et territoriale porteuse de plus de prévention, de régulation et d’équité. »

Nous étions en droit d’attendre que le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche contienne des mesures fortes allant dans ce sens, au moins au niveau national.

Or l’article 3, relatif à la contractualisation, mesure annoncée par le Président de la République comme mesure phare du projet de loi, ne répondra absolument pas aux attentes du monde agricole. Des voix venant de tous bords semblent en douter.

Nous nous situons exactement dans la logique qu’avait fait prévaloir la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie. Renforcer les formalités contractuelles ne suffit pas à changer les rapports de force déséquilibrés entre les producteurs et les distributeurs. C’est l’histoire du loup et de l’agneau qui se perpétue.

Le bilan de la réglementation issue de la loi de modernisation de l’économie a été très négatif. S’agissant de la diminution des marges arrière, les rapporteurs constatent « des méthodes de contournement que nous n’avions même pas imaginées ».

Les pressions sur les fournisseurs restent importantes, et la crainte de dénoncer ces pratiques tout aussi forte. « Nous avons rencontré certains fournisseurs à huis clos, en cachette, le soir, et ces gens nous ont demandé que leur nom ne figure pas », rapporte mon ami le député socialiste des Côtes-d’Armor, Jean Gaubert.

Notre collègue Élisabeth Lamure note que la loi de modernisation de l’économie « n’a pas permis une réelle amélioration des relations commerciales : les relations entre fournisseurs et distributeurs restent fortement déséquilibrées et de nombreux abus ont été constatés ».

Monsieur le rapporteur, vous avez sensiblement amélioré la rédaction du projet de loi, notamment en élargissant le contenu des mentions obligatoires du contrat. Cependant, en réalité, le principe d’un contrat n’est toujours pas obligatoire. En cas d’absence d’accord interprofessionnel, rien n’impose aujourd’hui et n’imposera demain aux acheteurs qui ne le souhaitent pas de passer un contrat écrit.

Quant aux volumes concernés par les contrats, le texte n’en dit pas un mot, tandis que le recours aux importations tactiques et abusives n’est en rien entravé.

Enfin, si rien n’est fait pour réguler le secteur et pour endiguer les spéculations, la contractualisation prévue par l’article 3 ne suffira pas à garantir un prix rémunérateur aux vendeurs que sont les agriculteurs et les pêcheurs.

M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel, sur l’article.

M. Yannick Botrel. À plusieurs reprises, monsieur le ministre, vous nous avez fait part de votre conviction que la contractualisation se doit désormais d’être le moteur de la régulation de l’ensemble des productions. Vous avez indiqué qu’elle doit contribuer à régler la question stratégique de l’après-quotas laitiers. C’est, de notre point de vue, la raison pour laquelle l’examen de cet article 3 revêt une importance si particulière et que vos explications sont très attendues sur différents points.

Vous ne l’ignorez pas, les agriculteurs eux-mêmes sont pour le moins attentifs et dubitatifs, tant les interrogations sont fortes. Or ils sont rejoints, pour des raisons absolument inverses, par d’autres. Voyez à ce sujet la prise de position de la Confédération française du commerce interentreprises, la CGI, qui conteste et la notion de durée du contrat et le rôle dévolu aux organisations de producteurs. C’est dire que, de la part de certains partenaires, les réticences pourraient bien être marquées. Les contradictions ne seront pas aisées à surmonter.

Venons-en aux interrogations essentielles. La première question porte sur le contenu du contrat au sein des organisations de producteurs. Seront-ils identiques pour tous les adhérents ? On peut en effet rencontrer des situations très différentes chez les producteurs. Du point de vue de l’entreprise de collecte laitière, il pourrait être tentant de consentir une meilleure rémunération à un producteur lui apportant une quantité importante de lait plutôt qu’à un petit producteur, et ce pour des raisons d’optimisation et de coût de collecte. Ainsi, à défaut d’anticipation, le contrat pourrait introduire une distorsion préjudiciable au plus faible. C’est pourquoi des garanties doivent être prévues afin de veiller à l’égalité de traitement des producteurs : le contrat doit donc être collectif.

Le contrat sera négocié dans le cadre des interprofessions. Je vous ai indiqué, monsieur le ministre, qu’il faudrait en bonne logique que ces interprofessions se constituent par territoires pertinents de bassin de production. Le risque existe de se retrouver avec des contrats différenciés d’une organisation de producteurs à une autre, ce qui introduirait des distorsions ingérables sur un territoire. Voyez ce qui se passe en Suisse !

Il ne s’agit pas là d’une vue de l’esprit et une telle situation s’est déjà rencontrée chez nous, avec les tensions que cela implique. Tel est le cas, actuellement, des producteurs d’Entremont.

De même, quelle sera, le cas échéant, l’obligation d’un industriel à contractualiser ? Quelles solutions pour les laissés-pour-compte éventuels de la contractualisation ? Si un industriel ne veut pas de contrat avec un producteur, comment sort-on de cette impasse ? Cette situation peut se présenter en cas de présence exclusive ou hégémonique d’un industriel sur un territoire, et l’on pense évidemment encore à la production laitière.

Un autre risque est possible : si le contrat devient économiquement défavorable à l’industriel en raison des écarts de prix à la production entre pays européens, en particulier dans les régions frontalières, rien ne pourrait empêcher celui-ci d’aller s’approvisionner sur un marché voisin dans un contexte plus favorable. Quelles assurances peuvent recevoir les producteurs que de telles pratiques ne pourront avoir cours en dépit des contrats ? Dans tous les cas, le Gouvernement ne peut espérer traiter ce problème sans prendre en compte la réalité du marché européen.

De même, si l’idée est de garantir un prix juste et un revenu décent aux producteurs, les contrats doivent alors garantir un prix couvrant au moins les coûts de production et comprenant la rémunération du travail. Monsieur le ministre, il serait intéressant que vous nous disiez quelle est votre conception du contenu du contrat et des éléments pris en compte dans son élaboration.

Notre conviction est que le contrat ne peut pas, à lui seul, être la réponse au besoin manifeste de réintroduire la régulation. Il ne peut être qu’un élément s’intégrant à une vraie politique de l’agriculture et ne peut en tenir lieu.

Qu’adviendra-t-il de l’après-2015, c’est-à-dire demain, si les quotas disparaissent, ainsi que vous l’avez confirmé tout à l’heure, laissant chacun libre de développer sa production ? Le risque est là : sans régulation durable des volumes, la contractualisation sera inopérante, et cette régulation des volumes ne peut avoir lieu qu’au niveau européen, car, en dehors de ce cadre, nos marges de manœuvre sont forcément réduites.

En somme, monsieur le ministre, c’est d’une politique globale, d’une vraie politique agricole que nous avons besoin, c’est de retrouver un projet européen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, sur l’article.

M. Claude Bérit-Débat. Nous avons jusqu’à présent débattu de la mise en place d’une politique publique de l’alimentation. Cet article 3 nous amène au cœur du sujet.

Cet article vise en effet à renforcer, voire à rendre obligatoire, la contractualisation des relations entre les producteurs et les acheteurs. Ces dispositions me paraissent fondamentales en ce qu’elles conditionnent l’avenir économique de nos agriculteurs.

Il n’est nullement besoin de faire état de la situation actuelle, tant elle est bien connue. En bref, les prix payés aux producteurs baissent constamment, tandis que le prix offert au consommateur augmente sans cesse. Il importe donc d’élaborer un canevas législatif assurant une juste rémunération aux producteurs.

Le titre II dans lequel s’inscrit l’article 3 vise à renforcer la compétitivité de l’agriculture française.

Avant même d’aborder la notion de compétitivité, nous devons nous interroger sur les notions élémentaires de justice et d’équité.

En effet, il est toujours possible d’accroître la compétitivité sans que cela soit économiquement viable pour les producteurs, ni humainement supportable. Mais comment admettre qu’une production agricole rapporte moins à un agriculteur que ce qu’elle lui coûte ? Qui accepterait de travailler pour perdre de l’argent ?

Il convient donc d’élaborer un texte assurant la conciliation de deux objectifs, l’équité de la rémunération du travail d’une part, la compétitivité économique d’autre part. La situation dramatique que connaissent nombre de nos agriculteurs nous impose de penser la LMA dans cette perspective.

La contractualisation doit reposer sur ces deux pieds que sont l’équité et la compétitivité, sans quoi elle risque de marcher sur la tête ! Nous devons toujours garder à l’esprit ces deux dimensions pour construire le modèle de croissance du monde agricole.

Loin d’être simplement une demande légitime des agriculteurs, c’est une exigence sociale au moins aussi importante que les contraintes économiques qui pèsent sur cette profession.

Ainsi, comme le souligne l’exposé des motifs, « le contrat doit être régulé par l’État pour accompagner une relation loyale et équilibrée au sein des filières agricoles ».

Cette idée de loyauté est en effet centrale. S’il en est fait mention dans l’exposé des motifs, c’est bien parce qu’un problème se pose. Ce problème, ce sont les contrats léonins que doivent accepter les producteurs. Pour cette raison, il nous appartient de moraliser et de rendre « loyales » ces relations au sein des filières agricoles.

La situation actuelle est proprement inique. Chacun est conscient et, je l’espère, convaincu, qu’il est nécessaire d’y mettre un terme. Force est de constater toutefois que le texte ne va pas assez loin dans ce sens.

La démarche est bonne, mais la conviction est-elle suffisante ? Cette question est légitime : un petit quelque chose semble faire défaut.

Ce petit quelque chose, c’est simplement la mention selon laquelle un producteur ne peut vendre sa production en dessous de son prix de revient. C’est l’idée selon laquelle les producteurs ont droit à une rémunération décente.

Nous nous sommes accordés, à l’occasion du titre I, sur la nécessité de reconnaître que l’accès à l’alimentation devait se faire dans des conditions économiquement acceptables par tous.

Dans le prolongement de cette idée, il nous semble indispensable, logique et juste de prévoir qu’un producteur a droit à un niveau de rémunération décent. Dire cela, ce n’est pas nier l’idée de compétitivité. Dire cela, c’est considérer que la compétitivité peut aussi avoir un visage humain.

Nous vous proposons donc, mes chers collègues, plusieurs amendements visant à donner corps à cette ambition.

Cela me semble indispensable si l’on veut effectivement répondre aux attentes des agriculteurs et leur offrir autre chose que de sombres perspectives d’avenir.

C’est pourquoi je vous invite, monsieur le ministre, à admettre le bien-fondé de nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, sur l'article.

M. Didier Guillaume. Le Gouvernement a fait de cet article la « tête de gondole » de son projet de loi. La contractualisation y apparaît comme l’alpha et l’oméga de son ambition !

La contractualisation est censée sauver les producteurs et mettre fin tant aux prix indécents imposés par les acheteurs qu’à l’irresponsabilité des transformateurs en matière de péremption des produits. La position de faiblesse des producteurs face à leurs acheteurs ne serait alors plus qu’un vague souvenir !

C’est ainsi que nous est présenté ce texte. Toutefois, la réalité apparaît tout autre. Au demeurant, on a déjà pu constater des avancées notables entre le texte présenté par le Gouvernement et celui qui est issu de la commission.

Le consensus dégagé en commission pour donner à la contractualisation un cadre interprofessionnel, via l’extension ou l’homologation d’un accord interprofessionnel, constitue une évolution positive.

Le groupe socialiste a toujours été favorable à la contractualisation. Toutefois, celle-ci pourrait être envisagée sous un angle quelque peu différent. Comme cela a été dit sur tous les bancs, il s’agirait de permettre aux producteurs de vivre dignement de leur travail.

Si cette idée fait consensus, le texte, en l’état actuel, ne permettra pas malheureusement aux agriculteurs de vivre des fruits de leur travail.

C’est pourquoi nous souhaitons qu’il soit bien affirmé que, dans le cadre contractuel, le prix de vente ne pourra être inférieur au prix de revient de l’agriculteur. Or, je crains que ce ne soit pas la volonté du Gouvernement.

Nous avons souvent évoqué les contraintes nationales et européennes. Au risque de m’attirer les foudres ou les sourires de certains de nos collègues, je souhaiterais rappeler à votre mémoire une expérience réussie de contractualisation mise en place par l’un de vos prédécesseurs, celle des contrats territoriaux d’exploitation, les CTE.

Jamais autant de contrats n’avaient été signés jusqu’alors ! Certes, il s’en signe dix fois moins aujourd’hui qu’à l’époque. En effet, les CTE, devenus trop bureaucratiques, engendraient trop de paperasse ! Ils ont cependant assuré le redéploiement de l’agriculture et la valorisation de la multifonctionnalité, en même temps qu’ils permettaient à chaque agriculteur, comme le voulaient les ministres Le Pensec et Glavany, de vivre de son travail.

Tel n’est pas le cas aujourd’hui.

Que nous disent les agriculteurs ? D’après les arboriculteurs de mon département, il suffirait qu’on leur achète les abricots dix centimes de plus, et les pêches vingt centimes de plus, pour que cela soit rentable !

Monsieur le ministre, vous évoquiez récemment ces pommes d’Amérique du Sud, vendues sur le territoire national à un prix moins élevé que les pommes produites localement. Cela démontre, s’il était besoin, que la contractualisation est indispensable, mais également que ses contours doivent être plus clairement définis.

Cette contractualisation ne doit pas s’imposer aux producteurs et mettre ceux-ci devant le fait accompli sans qu’ils aient voix au chapitre. En l’absence d’une démarche partagée et volontaire, la contractualisation sera impuissante à assurer l’avenir et la survie de nos agriculteurs.

Si nous souhaitons suivre cette voie, nous sommes conscients que ce combat doit être mené au niveau européen.

La France doit peser dans les discussions. Il faudra faire preuve de volontarisme, comme le souligne fréquemment le Président de la République. Vous disiez pourtant tout à l’heure, monsieur le ministre, ne pas vouloir présenter de proposition aux instances européennes si vous deviez être battu. Nous vous encourageons au contraire à présenter des propositions au niveau européen et à vous assurer une majorité par des négociations volontaristes !

Vous soulignez souvent des divergences de points de vue entre la majorité et l’opposition, comme précédemment sur l’amendement de M. Le Cam. Mais l’avenir de l’agriculture, sa survie même, n’est affaire ni de droite ni de gauche. Au-delà de nos divergences, de notre volontarisme plus ou moins grand, il importe que la contractualisation soit ambitieuse, forte et appliquée sur tout le territoire.

C’est pourquoi le travail que vous devez accomplir au niveau européen pour réunir une majorité revêt une telle importance. Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer !