M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel, sur l'article.

M. Yannick Botrel. Après le contrat, la place et le rôle des interprofessions, l’Observatoire des prix et des marges, notre assemblée entame, avec cet article 9, l’examen de ce qui constitue le quatrième pilier de votre projet, monsieur le ministre, et qui porte sur la gestion des risques en agriculture. C’est, vous nous l’avez dit, l’un des moyens que vous promouvez afin de redonner à notre agriculture la compétitivité dont elle manquerait.

Il est vrai que la profession agricole est exposée par nature à quantité de risques de toutes sortes. Il est non moins vrai que l’étendue de ces risques est plus importante que par le passé, liée à la globalisation des échanges et à des événements climatiques très signifiants.

Plusieurs tempêtes majeures en une dizaine d’années, d’ailleurs toutes qualifiées de « tempête du siècle », ont affecté le territoire national de façon importante. Quant aux épisodes sanitaires, en dépit d’un système performant d’épidémiosurveillance, ils ont touché nombre de productions. On peut à ce dernier sujet observer que les pertes constatées par les éleveurs ont été moins le résultat des épizooties que des campagnes médiatiques qui les ont suivies.

Ainsi, dans la filière bovine, avec l’encéphalopathie spongiforme bovine, l’ESB, ou dans la filière avicole, avec la grippe aviaire, les producteurs ont été plus affectés par la mévente de leurs produits que par la perte de cheptels directement liée à l’apparition d’un foyer de la maladie.

L’idée suivant laquelle la garantie pourrait être améliorée et étendue par le biais des assurances est donc de celle que nous pouvons partager.

À ce titre, le groupe socialiste s’est pleinement investi dans le travail de la commission, et nos propositions ont été retenues sur deux points.

C’est le cas, tout d’abord, en ce qui concerne l’implication de l’État dans la définition des règles régissant l’établissement et le fonctionnement des fonds de mutualisation par décret.

De même, les missions dévolues au Comité national de la gestion des risques ont été précisées, sans toutefois que celui-ci puisse s’investir davantage dans la définition des modalités de fonctionnement des fonds de mutualisation et de lutte préventive et curative contre les risques.

Certains points demeurent cependant en suspens. Fondamentalement, l’État garant de la solidarité doit continuer à jouer le rôle qui est le sien. Il ne peut donc substituer à l’action publique qu’il incarne une privatisation de la solidarité nationale. Celle-ci s’exprime à travers l’action de l’État lorsque surviennent des catastrophes naturelles.

Par ailleurs, chacun a pu mesurer les conséquences de la crise agricole sur les trésoreries des exploitations. Nombreux sont aujourd’hui les agriculteurs qui traquent toutes les économies possibles de leurs charges de fonctionnement ; nombreux sont ceux qui ont rejoint les rangs des agriculteurs en difficulté. Parmi ceux-là, combien sont aujourd’hui dans l’incapacité de faire face à leurs charges assurantielles, au moment où 40 000 d’entre eux sont au RSA, selon les chiffres communiqués par Martial Bourquin !

Fragilisés par la crise, ils courent le risque d’être davantage déclassés encore s’ils ne peuvent accéder à une couverture des risques acquise à leurs collègues.

Il paraît donc essentiel, monsieur le ministre, que les dispositions que vous défendez fassent plus que jamais appel à la mutualisation et à la solidarité. C’est l’expression de cette solidarité, utile et nécessaire au pays, qui doit se manifester dans la conclusion de notre travail.

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, sur l'article.

Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je pense que mes propos ne vous étonneront pas. Les canicules, les sécheresses, les tempêtes, le gel et bien d’autres choses encore exposent les agriculteurs à des situations dramatiques.

Se pose dès lors la question de la solidarité nationale – un mot qui semble quelque peu banni du vocabulaire politique à l’heure actuelle – pour soutenir les professionnels du secteur, et ce en raison du rôle essentiel qu’ils jouent en nourrissant la population.

Rappelons que le régime des calamités agricoles a été mis en place en 1962, et qu’il lui a été adjoint en 1982 le régime des catastrophes naturelles.

Depuis, divers rapports analysant le fonctionnement du régime ont été confiés à la section agricole du Conseil économique, social et environnemental, et au président de Groupama. L’accent a toujours été mis sur le développement d’un système d’assurance volontaire primant sur le recours au dispositif de solidarité, qu’il s’agisse d’assurance récolte pour certains ou d’assurance chiffre d’affaires pour d’autres. En 2006, comme aujourd’hui, la majorité parlementaire n’a cessé de vouloir faire évoluer le système dans l’intérêt d’une agriculture qui n’est pas celle que nous privilégions.

Nous pensons au contraire, aux côtés de nombreux agriculteurs, qu’il est nécessaire de défendre un système basé en priorité – ce qui ne veut pas dire exclusivement – sur la solidarité, et destiné à protéger en premier lieu les petites et moyennes exploitations agricoles et les cultures les plus vulnérables.

L’article 9 se situe aux antipodes de nos propositions en ce qui concerne la gestion des risques en agriculture. Il est nécessaire de faire en sorte que les petits et moyens exploitants, y compris les polyculteurs-éleveurs, puissent bénéficier d’une indemnisation en cas de sinistre, et il convient de ne pas compartimenter les risques.

Ensuite, compte tenu de la situation de précarité à laquelle les plus petits exploitants sont confrontés – ils sont nombreux à ne gagner que le SMIC, ou même à franchir le seuil de pauvreté –, il est vital d’augmenter de manière sensible les niveaux d’indemnisation.

Il serait également intéressant d’agir en amont. Pour inciter les agriculteurs à mettre en œuvre tous les moyens techniques reconnus efficaces pour lutter contre les aléas climatiques, on pourrait prévoir qu’une caisse mutuelle attribue des aides financières aux investissements en complément des aides nationales et européennes existantes. Elle pourrait ainsi jouer un rôle de caisse pivot pour coordonner l’ensemble des aides aux investissements de prévention.

La solidarité s’impose pour sauver les agriculteurs des conséquences d’un sinistre climatique, et elle ne passe pas par l’assurance privée au profit des plus riches et des cultures les moins vulnérables.

M. le président. La parole est à M. Michel Teston, sur l'article.

M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les nombreux agriculteurs ardéchois que j’ai rencontrés m’ont fait part de leur souhait que l’assurance récolte soit rendue obligatoire pour tous les agriculteurs, et qu’elle demeure un système mutualisé au sein duquel l’État continue à prendre toute sa part, notamment en termes de régulation des relations entre les agriculteurs et les assureurs.

Au sujet de l’assurance récolte, lors de l’examen du projet de loi en commission, M. le ministre nous a indiqué préférer la voie de l’incitation forte à celle de l’obligation, cette dernière risquant selon lui – ce qui n’est pas certain à mon sens – de nous faire perdre les aides européennes, qui s’élèvent à 100 millions d’euros.

Le président Jean-Paul Emorine laissait entendre pour sa part que l’instauration d’une assurance récolte « butterait » sur la mauvaise volonté des céréaliers.

Il est donc logique de s’interroger sur la véritable raison des réticences du Gouvernement à mettre en place une assurance récolte obligatoire.

Quoi qu’il en soit, je rejoins notre collègue Didier Guillaume quand il affirme qu’il s’agit avant tout d’une question de volonté politique à l’égard de l’Union européenne et des céréaliers.

Par ailleurs, en ce qui concerne les engagements de l’État, nous avons été attentifs aux explications de M. le ministre sur la réassurance publique intervenant en ultime garantie en cas de circonstances exceptionnelles.

L’élargissement du recours à l’assurance nécessite un tel dispositif ; j’aurais cependant préféré, à titre personnel, une inscription plus explicite dans le texte.

L’État doit aussi s’engager pour garantir un fonctionnement équilibré des fonds de mutualisation. Le groupe socialiste proposera un amendement en ce sens.

Au final, je ne conteste pas que le dispositif proposé marque un pas important. Mais ce n’est qu’un pas vers l’assurance récolte obligatoire pour toutes les filières. Je suis convaincu qu’il faudra aller plus loin, à l’avenir, afin que les agriculteurs puissent enfin bénéficier d’un système assurantiel solide, entièrement mutualisé, et qui constitue une base pérenne de garantie de leurs revenus.

C’est aussi le souhait exprimé par de nombreux agriculteurs qui travaillent dur au sein des filières parmi les plus exposées aux aléas, comme l’arboriculture et l’élevage, et qui sont aussi les moins bien garanties par les assurances, en raison d’un faible taux de couverture au regard du montant élevé des primes versées.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l’article.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le ministre, les lois sont faites pour répondre à des situations concrètes. En tant que président de la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia, et au nom de mes collègues qui sont membres de cette mission, je crois utile de vous interpeller sur les suites de cette catastrophe, à l’occasion de l’examen de l’article 9 relatif aux régimes assurantiels et aux calamités agricoles.

Au lendemain de la tempête, vous vous êtes rendu très rapidement sur place et vous avez émis le souhait que soit mis en place un régime d’indemnisation dérogatoire, qui permette la prise en compte, pour le calcul des indemnisations, du plus grand préjudice possible, notamment en termes de pertes de fonds.

Je me suis déplacé, lundi dernier, dans le nord des départements de Charente-Maritime et de Vendée, et j’ai constaté que bien des exploitants agricoles étaient absolument désespérés. Après le premier choc causé par la tempête et la submersion marine, ces exploitants avaient retrouvé l’espoir, car ils ont vu les graines germer. Or, lorsque le système racinaire a atteint les couches du sous-sol gorgées de sel, ces mêmes plantes, qu’il s’agisse de céréales ou des arbres des vergers, ont commencé à mourir. Il faut aller sur place pour constater l’ampleur du désespoir de ces familles, amplifié par le contexte de crise agricole et de sécheresse que nous connaissons.

Ces agriculteurs n’ont malheureusement pas encore reçu, pour l’instant, un seul euro du Fonds national de garantie de calamités agricoles. La France doit en effet obéir à une règle que je trouve, en l’occurrence, particulièrement kafkaïenne : elle a l’obligation de notifier à la Commission européenne le régime des aides qu’elle verse à ses agriculteurs !

J’ai rencontré à Bruxelles, toujours dans le cadre de la mission commune d’information que je préside, plusieurs commissaires européens et des représentants de la direction générale de l’agriculture : nous sommes suspectés de vouloir surcompenser nos agriculteurs au travers du régime indemnitaire que nous appliquons !

M. Jean-Jacques Mirassou. Si c’était le cas, ils n’en seraient pas là...

M. Bruno Retailleau. C’est un comble, dans la mesure où l’indemnisation est plafonnée, en fonction de la surface des exploitations concernées, entre 35 % à 75 % des dommages subis. Point n’est besoin d’être un grand mathématicien pour comprendre que 75 %, c’est moins que 100 % ! Malgré tout, Bruxelles entretient cette suspicion...

Monsieur le ministre, vous souhaitez attendre l’accord formel de la Commission européenne avant de verser les premières indemnisations. Mais, depuis le 28 février dernier, date à laquelle la tempête a déployé son cortège de peines, de souffrances et de décès, trois mois se sont écoulés, et le Fonds national de garantie des calamités agricoles n’a toujours rien versé aux agriculteurs !

Je sais quels efforts vous consacrez à ce dossier. Mais comment comptez-vous faire comprendre à ces familles d’agriculteurs – je rappelle que 152 exploitations vendéennes et 350 exploitations de Charente-Maritime sont concernées ! – qu’il faut avant tout respecter des procédures administratives qui sont censées protéger l’édifice de la construction européenne d’une atteinte au droit de la concurrence ? Comment pouvons-nous leur expliquer que ces procédures sont plus légitimes que l’indemnisation auxquels ils ont droit et qui devrait être versée rapidement, car elle est vraiment légitime et urgente ? C’est absolument impossible à expliquer !

Si Bruxelles continue à tarder, je vous demande, monsieur le ministre, de prendre des mesures politiques. En, effet, on ne peut répondre à une situation aussi terrible que celle-ci par des procédures administratives. Il faut une réponse politique ! Il faut prendre le taureau par les cornes et accorder aux agriculteurs un pourcentage, une sorte d’avance sur les futures indemnisations, dont je rappelle qu’elles ne représenteront pas plus que 75 % des préjudices subis, dans le meilleur des cas.

Vous devez entendre, monsieur le ministre, la souffrance de ces exploitants agricoles, qui ont subi trois chocs : la crise agricole, la tempête Xynthia, puis la ruine de leurs plantations. Je vous supplie de leur apporter une réponse concrète et rapide en débloquant les aides du Fonds national de garantie des calamités agricoles.

On ne répondra pas à la détresse de ces exploitants en leur opposant des procédures communautaires qui paraissent dénuées de tout bon sens ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Je souhaite intervenir, à mon tour, sur cet article relatif à la gestion des risques en agriculture.

Je tiens à dire, tout d’abord, que je souscris totalement à l’intervention de Bruno Retailleau. Nous ne pouvons que compatir à la situation des exploitants agricoles de Vendée et de Charente-Maritime. Malheureusement, si cet article traite d’une question essentielle, le régime assurantiel des agriculteurs, il ne permet pas de résoudre en totalité le problème qui vient d’être soulevé.

Le monde agricole connaît deux difficultés majeures.

La première est la question des prix, à laquelle nous avons tenté de répondre en partie, dans ce texte, au travers de la contractualisation, de la réforme de l’interprofession, et de l’évolution des interprofessions comme des filières.

La deuxième difficulté majeure, qui perturbe l’activité agricole depuis des décennies, voire des siècles, est celle des aléas climatiques ou sanitaires, qui sont à l’origine de véritables sinistres au sein des exploitations agricoles.

En 1998, mon collègue Marcel Deneux et moi-même avions établi un rapport sur l’évolution de la politique agricole commune. Pour résoudre ce problème des aléas, qui touche cycliquement l’ensemble des agriculteurs, nous avions proposé, en nous inspirant du modèle en vigueur des États-Unis, où nous avions effectué un déplacement, que soit mise en place une « assurance récolte » ; on parlerait plutôt aujourd’hui d’une « assurance aléa ».

Quelle est la situation de l’assurance dans notre pays ?

Les contrats d’assurance se sont développés grâce à l’aide de l’État, qui s’élève à 35 millions d’euros. Sur les 300 000 exploitations agricoles implantées sur le territoire national, qui couvrent une surface de 30 millions d’hectares, et dont la taille moyenne est donc de 100 hectares, 70 000 exploitations sont couvertes par des contrats d’assurance. Comme ces exploitations sont celles qui sont les plus exposées aux risques, le retour de la cotisation sur les indemnisations est toujours déficitaire, ce qui pose un problème majeur.

Nous devons profiter de la proposition qui nous est faite aujourd’hui par M. le ministre, à qui je veux rendre hommage. Je rends également hommage à son prédécesseur, Michel Barnier (M. le rapporteur opine) qui, en lançant le bilan de santé de la politique agricole commune, a convaincu les autres États membres d’apporter leur concours pour assurer le financement des primes d’assurance. Il s’agit d’une aide importante, de 100 millions d’euros, disponible chaque année, que l’Union européenne peut apporter afin de favoriser le développement de l’assurance. Gérard César développera le sujet ultérieurement.

Il vous est proposé de mettre en place, au sein du fonds de mutualisation, trois sections.

Je m’adresse à mes collègues du groupe du RDSE, et notamment à Jean-Pierre Plancade, qui figurait parmi les signataires d’une proposition de loi tendant à généraliser l’assurance récolte obligatoire : comme vous le confirmera M. le ministre, l’Europe n’accepte pas que l’assurance aléa soit obligatoire. Nous pouvons, en revanche, tendre vers sa généralisation.

Ce projet de loi nous permet d’apporter une réponse à ce problème. Nous y avons beaucoup travaillé, avec le rapporteur ; même si nos discussions au sein de la commission ne sont pas toujours publiques, Michel Teston a eu tout à fait raison d’en rendre compte devant vous.

Il nous reste aujourd’hui à convaincre les céréaliers, qui demeurent réticents, d’adopter le régime assurantiel.

J’ai beaucoup d’admiration pour les céréaliers, je tiens à le dire devant Alain Vasselle ; leurs exploitations agricoles sont sans doute mieux structurées que d’autres, ce qui est tout à leur honneur.

Le projet de loi propose deux formules.

La dotation pour aléa, tout d’abord, représente aujourd’hui 1 million d’euros au niveau national. Chaque agriculteur, s’il dégage un revenu, peut en bénéficier : il suffit pour cela qu’il soit assuré.

Une question se pose, ensuite : quid de la dotation pour investissement ? Je l’ai posée au ministre, ainsi qu’aux organisations professionnelles. Je trouvais naturel, pour ma part, de lier cette dotation à l’existence d’une assurance. Sans doute suis-je dans le vrai ; mais avoir raison tout seul ne présente que peu d’intérêt...

Je connais, mes chers collègues, la portée et les enjeux politiques de ce problème. Il ne semble toutefois pas irrationnel qu’un agriculteur bénéficie d’une dotation pour investissement en vue d’investissements futurs. J’ai moi-même fait ce choix dans le cadre de mon exploitation.

Il n’en reste pas moins que la dotation pour investissement est une niche fiscale, même si, pour ma part, je la trouve légitime. Je m’interroge donc : ne serait-il pas envisageable de lier cette dotation à l’existence d’une prime d’assurance ? Un exploitant agricole qui a réalisé des investissements risque en effet de subir, au cours de l’année suivante, une calamité. Qu’adviendra-t-il s’il n’est pas assuré ? Il ne s’agit pas de caricaturer, mais de s’appuyer sur des exemples concrets !

Je n’oublie pas, cependant, quels sont les contraintes et les enjeux existants. La dotation pour investissement représente 238 millions d’euros, soit beaucoup plus que la dotation pour aléa. Mais n’ayez crainte ! Je ne déposerai pas d’amendement tendant à lier la dotation pour investissement à l’existence d’une prime d’assurance. Je tiens, malgré tout, à encourager tous les agriculteurs de France à adopter le régime assurantiel.

Il s’agit là d’une opportunité de financement exceptionnelle. Le projet de loi permet en effet un financement à hauteur de 65 % de la prime d’assurance, qui est la prime de base, et cette mesure est autorisée par Bruxelles.

Dans le système américain, le gouvernement finance la prime de base, pour les pertes de récolte à hauteur de 28 % ou de 30 %. Mais l’agriculteur peut toujours souscrire une assurance complémentaire pour assurer son revenu d’exploitation.

J’encourage donc le monde agricole à profiter de cette opportunité.

En 2013, la politique agricole commune sera réformée ; je souhaite qu’une grande partie des exploitations agricoles de France adoptent, dans cette perspective, le régime assurantiel. N’oublions pas que, dans de nombreux pays européens, comme l’Espagne, les agriculteurs seront assurés, comme ne manquera pas de le relever l’Observatoire des distorsions de concurrence. Si nous voulons que notre agriculture soit compétitive au niveau européen, nous devons expérimenter cette solution.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter les amendements qui iront dans ce sens. Je garde à l’esprit les futures réformes que nous pourrons faire en ce domaine, même si elles semblent pour l’instant prématurées. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre. Je souhaite prolonger les propos de M. le président de la commission. Je rappellerai l’enjeu du présent projet de loi, qui a pour objet non pas de servir de boîte à outils, mais de permettre à l’agriculture de prendre un tournant majeur.

Le système actuel de prévention et d’indemnisation des risques agricoles est à bout de souffle. Il n’est adapté ni à la réalité ni à la mesure des risques.

En la matière, quelle position adopter ?

Une première attitude consiste à conserver le système tel qu’il est, avec le Fonds national de garantie des calamités agricoles, et à « mettre des rustines » ici ou là, sans développer davantage l’assurance. Bref, on attend de voir ce qui va se passer.

Un tel comportement serait totalement irresponsable, et je pèse mes mots. Face à des risques qui ne cessent d’augmenter – je l’ai déjà indiqué à plusieurs reprises et malheureusement l’actualité le démontre tragiquement –, on ne peut pas garder un système qui prend l’eau de toutes parts. Je rappelle que le FNGCA ne compte au total que 180 millions d’euros par an pour faire face à toutes les calamités agricoles qui peuvent survenir. À la moindre calamité agricole – et je suis bien placé pour le savoir –, 120 millions d’euros ou 150 millions d’euros sont nécessaires pour indemniser une toute petite partie d’une seule filière. Le système est donc totalement inadapté. Il n’est pas à la mesure des risques existants.

Une deuxième attitude consiste à se demander si l’on augmente sans réserve les fonds du FNGCA ou si l’on essaie plutôt de développer parallèlement des dispositifs assurantiels. À mes yeux, le choix est évident, sauf à trouver dans le budget de l’État 1 milliard ou 2 milliards d’euros destinés à alimenter le fonds, option qui me paraît illégitime et peu souhaitable du point de vue des finances publiques. La seule solution – et tous nos partenaires européens l’ont compris – est un développement de l’assurance s’appuyant, comme l’a fort bien rappelé Jean-Paul Emorine, sur le dispositif de subventions mis en place fort opportunément par mon prédécesseur Michel Barnier.

Si l’on accepte un tel développement, faut-il assortir le dispositif d’un caractère obligatoire ou facultatif comme c’est actuellement le cas ? Je me réjouis de constater que la réflexion a beaucoup progressé dans cet hémicycle. Chacun a compris que, par le biais du présent projet de loi, il fallait instaurer un nouveau dispositif d’indemnisation des agriculteurs en raison de la multiplication des risques.

Pour ma part, j’en reste à une philosophie plus incitative qu’obligatoire. Il y va de notre intérêt financier. En effet, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous confirme que, dès lors que le dispositif serait inscrit dans la loi et rendu obligatoire par l’État, il déclencherait le principe de subsidiarité. Dans cette hypothèse, l’Union européenne se retirerait et ne verserait plus à la France les subventions qu’elle lui accorde actuellement à hauteur de 100 millions d’euros. À cet égard, mes services tiennent toutes les notes que vous souhaitez à votre disposition.

Que la situation puisse évoluer à terme, je ne l’exclus pas, mais dans l’immédiat, il faut s’en tenir à un dispositif incitatif.

Monsieur Retailleau, je me suis rendu à deux reprises en Vendée et en Charente-Maritime. La détresse des agriculteurs, qui ont toute ma sympathie, m’a bouleversé. Je suis conscient de la nécessité de réagir de la manière la plus efficace possible. Je continue à suivre ce dossier au jour le jour et j’exerce une pression maximale afin que les aides nécessaires soient débloquées. J’irai à nouveau en Vendée dans les prochains jours pour apporter des solutions, pour montrer la mobilisation du Gouvernement et pour expliquer à quel point il se bat pour obtenir des réponses.

Mais – et cette restriction n’est pas négligeable – il faut tirer toutes les leçons du drame qui est survenu dans ce département et qui illustre le caractère inadapté de notre système. La plupart des 5 % de céréaliers et d’agriculteurs assurés ont perçu leur prime d’assurance depuis quelques jours et ont donc été indemnisés. L’indemnisation des 95 % de producteurs restants dépend du Fonds national de garantie des calamités agricoles, lequel, malheureusement, est totalement inadapté. En effet, en cas de calamités, ce fonds ne résout que 20 %, 25 % ou 30 % des problèmes, ce qui est insuffisant. Les malheureux exploitants agricoles touchés demandent plus. Or l’indemnisation totale n’a pas été prévue et les fonds ne sont pas disponibles. De plus, seule les pertes de fonds et les pertes de récoltes réelles, et non à venir, peuvent être indemnisées, ce qui n’intéresse pas les exploitants agricoles de Vendée qui ont été frappés.

Nous avons donc dû « bricoler » – appelons un chat un chat – pour trouver une indemnisation plus généreuse, répondant aux attentes des exploitants agricoles et, dans le même temps, conforme aux réglementations européennes.

Nous avons voulu prendre en compte deux éléments essentiels : d’une part, le gypsage permettant d’absorber le sel des terres inondées dont le montant est évalué à 10 millions d’euros, et, d’autre part, l’indemnisation de la perte de récoltes futures. Personne n’avait prévu qu’il faudrait un jour indemniser ce type de perte. Le Fonds national de garantie des calamités agricoles a pour objet de dédommager les exploitants de la perte de récoltes due à la grêle ou à une inondation et non pas de celle de récoltes futures résultant de l’infertilité des sols gorgés de sel ou d’un rendement moindre.

Il a donc fallu inventer un dispositif, qu’il a fallu notifier à Bruxelles. La négociation est difficile. Non seulement nous proposons des indemnisations sous forme de forfait à l’hectare, dispositif que la Commission n’aime pas, mais encore nous voulons indemniser des pertes futures, concept inconnu à ce jour de la Commission. Nous devons donc fournir des explications.

Je pourrais débloquer l’argent tout de suite et faire fi de la Commission. Mais je n’agirai pas ainsi, et j’assume ma décision. Si un ministre de l’agriculture a dû « repêcher » des aides d’État – je n’ose même pas, mesdames, messieurs les sénateurs, vous indiquer leur montant – accordées à toutes les filières des différentes productions agricoles, c’est bien celui que vous avez devant vous. Je ne changerai pas ma position, je suis catégorique : je ne donnerai plus un euro d’aide d’État qui n’ait pas été validé par Bruxelles, c’est-à-dire qui soit susceptible de devoir être remboursé ensuite par les agriculteurs. Lors de dizaines de réunions, j’ai dû expliquer, les yeux dans les yeux, aux pêcheurs, aux ostréiculteurs, aux céréaliers, aux producteurs de fruits et légumes qu’ils devaient rembourser les aides qui leur avaient généreusement été accordées cinq ans ou dix ans auparavant. Je n’exposerai pas l’un de mes successeurs à une telle situation.

Monsieur Retailleau, évidemment, je perçois l’urgence absolue des aides. Les discussions sur ce sujet sont permanentes. Demain, je demanderai par téléphone à Dacian Cioloş d’accélérer la procédure. Je préfère néanmoins prendre un jour ou deux de plus, m’assurer que les aides ne devront jamais être remboursées et offrir ainsi aux agriculteurs un dispositif le plus solide possible.

Par ailleurs, je vais veiller à ce que les autres aides nationales prévues soient très rapidement versées : la contribution du Fonds d’allégement des charges à hauteur de 5 millions d’euros, les prêts bancaires, l’indemnisation des calamités agricoles sur les pertes de fonds à hauteur de 2 millions d’euros. Il n’est effectivement pas normal que ces sommes n’aient pas été débloquées.

J’assume totalement ma position que j’irai l’expliquer sur le terrain.

J’exercerai une pression maximale sur la Commission européenne pour obtenir son autorisation de mettre en œuvre le dispositif totalement novateur que nous avons dû inventer et j’espère pouvoir annoncer le plus rapidement possible cette décision aux exploitants agricoles.

Tirons les leçons de cet événement dramatique. Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous êtes confrontés à des agriculteurs totalement désespérés. On ne peut pas s’en tenir au dispositif d’indemnisation des calamités tel qu’il existe aujourd’hui. C’est un véritable panier percé à travers lequel passent toutes les calamités. Il est temps de le refonder, ce que nous vous proposons aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)