Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pierre Martin, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd’hui à nous prononcer, en deuxième lecture, sur la proposition de loi visant à encadrer la profession d’agent sportif déposée en 2008 par notre collègue Jean-François Humbert. Je dois avouer ma satisfaction de constater que l’Assemblée nationale ne l’a modifiée que très marginalement.

Le sport professionnel a besoin d’un tel texte, et force est de constater, une fois encore, que le Sénat, notamment notre commission, est à l’avant-garde en matière de moralisation du sport. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Je remarque à cet égard que le Gouvernement a choisi d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour dans le cadre des semaines qui lui sont réservées par priorité, ce qui témoigne d’un engagement fort de sa part. Je souhaite que le Sénat l’adopte aujourd'hui sans modification, ce qui permettrait de la faire entrer rapidement en application.

Rappelons à grands traits l’économie du dispositif proposé pour moraliser la profession d’agent.

Il s’agit, tout d’abord, de durcir l’accès à la profession. Les personnes morales ne pourront plus avoir de licence, ce qui devrait permettre de mieux identifier les agents qui gravitent autour des sportifs français.

Le régime des incompatibilités et des incapacités est aussi très fortement renforcé, afin d’éviter les conflits d’intérêts et les risques de collusion entre les agents et les autres acteurs du monde du sport.

Les agents de l’Union européenne auront à respecter certaines règles spécifiques, en conformité avec les dispositions sur la liberté d’établissement et la liberté d’entreprendre fixées par le droit européen.

Enfin, les agents extracommunautaires ne devront plus disposer obligatoirement d’une licence ; il leur faudra en revanche forcément conclure une convention de présentation avec un agent détenteur de la licence en France. Sur ce point, comme sur d’autres, la proposition de loi n’est pas maximaliste, elle est pragmatique.

Il convient aussi de s’appuyer sur les pratiques existantes pour prévoir un encadrement adapté, réaliste et efficace. Nous en reparlerons à l’occasion de l’examen de l’amendement présenté par M. Jean-Jacques Lozach et ses collègues sur ce sujet.

Il s’agit, ensuite, de rendre plus transparent l’exercice de la profession. Il a été fait le choix, contesté par certains mais nécessaire à mes yeux, d’autoriser les clubs à payer les agents. C’est aujourd’hui interdit et cela pousse les clubs et les joueurs à faire comme si les agents n’existaient pas et à les rémunérer de manière officieuse, d’où le développement des circuits d’argent sale.

La réglementation actuelle est en fait vicieuse, absurde et sans fondement : il n’y a pas de logique de fond à s’opposer à ce que le club paie directement l’agent plutôt qu’il ne le paie indirectement via le salaire des joueurs. C’est ce qui se passe naturellement pour les agents immobiliers et pour les agents d’artistes sans que quiconque le conteste.

Parallèlement, l’ensemble des contrats, notamment ceux qui sont passés avec les agents, sera transmis aux fédérations pour améliorer la transparence du système.

Je suis satisfait à cet égard que l’Assemblée nationale ait imposé que les contrats passés entre les agents et les sportifs mineurs, qui ne peuvent, quant à eux, donner lieu à rémunération, soient également transmis à la fédération concernée.

Il s’agit, enfin, d’aggraver les sanctions, notamment financières, prises à l’encontre des agents exerçant dans l’illégalité.

L’Assemblée nationale a souhaité que les sanctions décidées par les fédérations dans l’exercice de leur pouvoir de contrôle soient publiées. Cet effort de transparence est à la fois louable et utile. On ne viendra en effet à bout du problème que si l’ensemble des acteurs du sport sont concernés.

Aujourd’hui, plus encore qu’en 2008, l’adoption de cette proposition de loi est nécessaire. En novembre 2009, une étude réalisée par la Commission européenne sur les agents sportifs dans l’Union européenne indique en effet que le seul moyen pour la Commission d’intervenir sur ce sujet est la voie des recommandations. Je ne doute pas que les éventuelles propositions qu’elle fera iront dans le sens du projet d’encadrement qui nous est soumis aujourd’hui. En attendant, la France doit avancer en la matière.

Alors qu’il n’y a jamais eu autant d’argent dans le sport et que les transferts se multiplient pour des sommes faramineuses, le Parlement devait se saisir de cette question.

Un point semblait cependant achopper entre les deux assemblées : les députés ont souhaité autoriser les avocats à devenir agents de joueurs, ce que nous avions formellement interdit. Il faut savoir que les avocats souhaitent pouvoir devenir agents sans même disposer de licence, ce que permet l’actuel règlement de la FIFA.

À mon sens, le choix de l’Assemblée nationale est finalement assez équilibré et le maintien d’une licence d’agent pour tout le monde est la garantie que le régime spécifique applicable aux agents sera pleinement respecté.

En conclusion, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a adopté cette proposition de loi sans la modifier. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.

M. Jean-Jacques Lozach. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans quelques jours s’ouvrira sur le sol sud-africain la Coupe du monde de football, événement planétaire s’il en est, qui sera suivie par des centaines de millions de téléspectateurs. Cet événement est, à bien des égards, révélateur de la manière dont le sport est perçu dans nos sociétés.

La Coupe du monde, apparue dès 1930, est d’abord une grande fête, une rencontre des peuples. À la façon des jeux Olympiques de l’antiquité, il s’agit aussi d’une sorte de trêve, à l’évidence idéalisée, entre les nations. La compétition a ainsi vu à certains moments s’affronter des pays « en froid », par exemple l’Iran et les États-Unis en 1998.

Au-delà, et le phénomène s’est accentué au fil des décennies, cette compétition constitue aujourd’hui un enjeu économique et financier tout à fait considérable. L’événement génère plusieurs milliards d’euros de dépenses et de recettes : communication, publicité, marketing, tourisme... la liste est longue ! Et je ne parle même pas des investissements que les pays hôtes doivent réaliser pour accueillir la Coupe du monde dans de bonnes conditions.

Voilà ce que représente en particulier le sport aujourd’hui. Si les valeurs morales sont toujours fortes, l’aspect purement financier prend peu à peu le dessus, notamment dans des disciplines comme le football, qui draine des sommes d’argent considérables, le tennis et, dans une moindre mesure, le rugby ou le basket-ball. Nous sommes entrés depuis plusieurs années dans l’ère du sport-spectacle et du sport-business. Autour de ce marché se presse une foultitude d’acteurs : entraîneurs, dirigeants, intermédiaires, journalistes, industriels, supporters...

La professionnalisation du sport s’est elle aussi accélérée. Les ligues professionnelles sont ainsi apparues pour gérer les intérêts des clubs les plus importants. Parallèlement à ce mouvement, le sport s’est mondialisé. L’arrêt Bosman, rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 15 décembre 1995, a ainsi ouvert la boîte de Pandore et donné lieu à d’incessants échanges de joueurs entre tous les pays. Les footballeurs sont devenus des marchandises qui passent d’un club européen à l’autre. Le même phénomène se développe peu à peu dans le rugby, mais les sommes d’argent en jeu restent, pour le moment, bien moindres.

Je ne cherche pas ici à m’opposer à ce mouvement ni au sport professionnel en général, bien au contraire. Le sport professionnel est une vitrine formidable, notamment pour nos jeunes, qui s’inspirent de la « gestuelle » de nos champions et rêvent de réaliser des carrières aussi belles que les leurs. Et c’est justement parce que le sport et les sportifs ont une valeur d’exemple pour notre jeunesse qu’ils se doivent d’être irréprochables.

Or j’observe avec regret que ce texte, comme d’autres avant lui, traite le sport sous un angle principalement marchand. Il ne prend pas que peu en compte, voire pas du tout, les valeurs séculaires du sport. Il n’aborde pas assez les aspects sociaux, pourtant essentiels. On ne fait là que creuser le fossé apparu depuis quelque temps déjà entre le sport d’élite et le sport de masse. On prend le risque de couper le lien, pourtant essentiel, comme je viens de le dire, entre les sportifs occasionnels et une minorité de sportifs professionnels et d’acteurs qui gravitent autour d’eux.

Plusieurs affaires retentissantes ont considérablement nui à l’image du sport professionnel, et donc du sport en général. Je pense notamment aux transferts douteux à l’Olympique de Marseille et au Paris-Saint-Germain, sanctionnés par la justice. Je pense également aux différentes affaires de corruption qui éclatent régulièrement dans les pages « sport » de nos quotidiens, la dernière en date concernant la Fédération internationale de football.

Ces scandales créent l’éloignement avec une opinion publique déjà échaudée par les salaires exorbitants des sportifs les mieux payés. En Ligue 1 de football, le salaire moyen s’élevait, en 2009, à 47 000 euros mensuels nets. Au Paris-Saint-Germain, certains joueurs touchent plus de 260 000 euros par mois, quand un célèbre milieu de terrain bordelais gagne, lui, environ 310 000 euros ! Et encore convient-il d’ajouter à ces salaires les primes et les revenus tirés des contrats publicitaires.

Il s’agit non pas de blâmer les sportifs – ils ne sont que l’un des maillons d’un système qui brasse des sommes d’argent bien plus importantes que leurs salaires –, mais simplement de démontrer le décalage de plus en plus marqué entre le monde professionnel, qui vit dans une dimension financière très spécifique – une « bulle », diront certains –, et le monde amateur, qui se sent bien étranger à tout cela et s’inquiète de devenir le parent pauvre du mouvement sportif.

Nous avions déjà ressenti ce décalage ici même, voilà quelques semaines, lorsque notre assemblée a adopté la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne. J’avais alors eu l’occasion, à cette même tribune, d’exprimer des réserves sur le contenu de cette loi, que je juge dangereuse, car elle peut potentiellement entraîner l’addiction des joueurs, et inégalitaire en matière de financement du sport. Déjà, le Gouvernement n’abordait le sport que par le petit bout de la lorgnette. Sur le fondement de ce texte, on pouvait légitimement s’inquiéter pour l’avenir et la pérennité des moyens dont devrait à juste titre disposer le mouvement sportif français, mais surtout pour la solidarité devant présider à leur répartition.

Le texte qui nous intéresse aujourd’hui a sans doute suscité moins de discussions parmi nos collègues, ainsi que dans l’opinion publique ou dans la presse. Cependant, dans l’approche, beaucoup de similitudes existent.

Entendons-nous bien : je ne nie pas le fait qu’une loi visant à réguler le statut des agents sportifs était nécessaire. L’opacité de la profession et de certaines de ses pratiques la rendait indispensable. La loi du 6 juillet 2000 modifiant la loi du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives encadrait jusqu’alors l’activité d’agent sportif selon le modèle de la profession d’agent artistique. Cette loi, malgré les avancées qu’elle comportait, a rapidement montré ses limites. Il était donc urgent d’intervenir afin de clarifier l’exercice de la profession et les transactions auxquelles elle est associée. Les députés socialistes avaient demandé, dès la fin de 2006, la création d’une commission d’enquête parlementaire, ce qui leur avait étonnamment été refusé. En février 2007, une mission d’information sur les conditions de transfert des joueurs professionnels de football et le rôle des agents sportifs, constituée sous la présidence du député UMP Dominique Juillot, avait proposé plusieurs pistes dans son rapport.

Force est de constater que, malgré l’urgence du sujet, le rythme de travail s’est sérieusement ralenti, car le texte qui nous est aujourd'hui soumis a été examiné en première lecture au Sénat voilà presque deux ans jour pour jour. Mon collègue Serge Lagauche avait alors souligné que la proposition de loi était incontestablement porteuse d’améliorations. La gradation des sanctions disciplinaires, l’aggravation des sanctions pénales ou encore le renforcement du régime des incapacités et incompatibilités constituent autant d’avancées que l’on se doit de saluer. L’interdiction de délivrer la licence d’agent à des personnes morales va également dans le bon sens.

Pourtant, le groupe socialiste votera clairement contre ce texte, comme il l’avait déjà fait en première lecture, à moins que des modifications significatives y soient apportées. La discussion est devant nous, même si l’intervention de M. le rapporteur ne nous a guère laissé d’espoir à cet égard ! Ce n’est donc pas un « oui, mais » que je prononce ici, mais plutôt un « non, malgré » : non, malgré les avancées que je viens d’évoquer à l’instant. Ce texte aurait pu et aurait dû aller beaucoup plus loin en termes d’encadrement de la profession. En outre, des aspects essentiels de cette problématique sont totalement laissés de côté, ce qui ne peut que nous étonner.

L’opacité des transferts est ainsi oubliée, alors même que les transactions entre clubs, joueurs et agents sont la source de quasiment tous les maux du système. Chaque année, plusieurs centaines de millions d’euros transitent, essentiellement entre les clubs de football, à l’occasion des échanges de joueurs. Même M. Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel, la LFP, en a convenu lorsqu’il a été interrogé par Dominique Juillot : « Globalement, le football français est un milieu relativement propre, sauf précisément dans un domaine : celui des transferts. » La logique des transferts rejoint l’intérêt des agents, lesquels poussent à une rotation toujours accélérée des joueurs. En effet, chaque transfert permet à l’agent de toucher une commission, qui représente en général environ 7 % du montant total de la transaction. Ce système est parfois à la source d’un blanchiment d’argent gravissime et mafieux.

C’est justement parce que de nombreux transferts sont réalisés de manière irrégulière et sans contrôle que, par exemple, quelques agents peuvent toucher des rétrocommissions. Je dis bien « quelques » agents : en effet, il ne s’agit pas de céder à la rhétorique du « tous les mêmes, tous pourris » pour parler de cette profession. Pour la plupart, les agents exercent leur activité avec une licence, conformément aux textes légaux, et agissent dans la transparence. Comme bien souvent, quelques rares brebis galeuses jettent le discrédit sur le troupeau tout entier. C’est alors au berger de régler le problème. Or, à nos yeux, l’État ne se donne pas tous les moyens de lutter contre les principaux défauts du système.

La mission Juillot avait publié une liste de propositions tout à fait intéressantes : il était ainsi envisagé de dédier des comptes bancaires spécifiques aux opérations de transfert afin d’assurer leur traçabilité, d’organiser un véritable suivi comptable de l’activité d’acquisition et de cession des contrats des joueurs, de renforcer les moyens de contrôle de la Direction nationale du contrôle de gestion, la DNCG – grande oubliée de ce texte –, ou encore de centraliser les flux financiers relatifs aux transferts auprès de cette même instance. Ces différentes pistes, si elles avaient été considérées avec plus d’intérêt lors de l’élaboration du texte, contribueraient à freiner sérieusement les dérives financières d’un système extrêmement opaque, système qui vit d’ailleurs largement au-dessus de ses moyens. On a ainsi récemment appris que la dette cumulée des clubs de football européens atteignait plus de 7 milliards d’euros. Vous le voyez, il y a largement matière à réguler !

De plus, et c’est là une grande déception, la proposition de loi ne considère les agents sportifs qu’en termes purement mercantiles et financiers. Là encore, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, on limite le sport à cette seule dimension, alors que son essence même est tout autre. L’agent sportif n’est conçu que comme un simple maillon d’une transaction financière, alors que tel n’est pas originellement son rôle. Il ne faut pas s’en tenir à l’article L. 222-6 du code du sport, qui définit l’intermédiaire sportif comme « toute personne exerçant à titre occasionnel ou habituel, contre rémunération, l’activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ».

Dominique Juillot l’a bien souligné dans son rapport, l’activité de conseil et d’assistance au joueur représente la mission première des agents sportifs. C’est ce à quoi ils devraient se consacrer en priorité. Michel Platini, actuel président de l’UEFA, témoigne en ce sens : « Je crois pour ma part que les agents jouent un rôle important. Ils peuvent aider les joueurs, qui sont jeunes – ils ont entre quatorze et trente ans – à se défendre contre les présidents de clubs […] » Les agents doivent avant tout servir les intérêts des joueurs, et non le contraire.

Toujours au rayon des oublis de ce texte, je regrette que la responsabilité des clubs ne soit pas suffisamment engagée. Ceux-ci disposent la plupart du temps de leurs propres bataillons de recruteurs parcourant l’Afrique ou l’Amérique du Sud à la recherche de jeunes joueurs prometteurs. À cet égard, ils sont fréquemment les initiateurs d’une véritable « traite » moderne. On ne compte plus les exemples de jeunes sportifs à qui l’on promet monts et merveilles et qui se retrouvent finalement laissés de côté une fois débarqués des centres de formation, souvent sans papiers ni ressources. Ce sont également les clubs qui, bien souvent, se satisfont des relations floues qu’ils entretiennent avec les agents ; nous aurons l’occasion d’y revenir. Je regrette d’ailleurs que le texte ne prévoie pas plus de sanctions, pénales mais aussi sportives, contre les clubs.

Outre ce dont il n’est pas question dans le texte, il y a également matière à discuter de ce qui y figure. J’aborde là le nœud gordien de la proposition de loi, à savoir le double mandatement. Dans ce domaine, la loi est pourtant claire. L’article L. 222-10 du code du sport prévoit : « Un agent sportif ne peut agir que pour le compte d’une des parties au même contrat, qui lui donne mandat et peut seule le rémunérer. » En clair, lorsqu’un agent et un joueur signent un contrat, c’est bien le cocontractant, le joueur, qui doit rémunérer l’autre contractant, l’agent. En aucun cas le club ne devrait intervenir dans la rémunération de l’intermédiaire. C’est pourtant là une pratique courante, voire généralisée.

Il était possible de donner plus de moyens aux fédérations, mais aussi à la DNCG, afin de mieux contrôler ces flux et de faire respecter les termes de la loi. Au lieu de cela, la puissance publique a rendu les armes en légalisant la pratique du double mandatement. On légalise l’illégalité ! Le Gouvernement reproduit ainsi le schéma que nous avions déjà observé lors de la discussion sur la régulation des jeux d’argent et de hasard en ligne : lorsqu’un problème devient trop lourd à gérer pour les pouvoirs publics, on simplifie l’équation en légalisant des pratiques pourtant condamnables.

Par son essence même, la loi est là pour corriger les abus et les dérives, quand elle n’a pas su les anticiper. Je pense par exemple au problème du dopage, dossier sur lequel la France est en pointe depuis plusieurs années. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les agents sportifs ? La France gagnerait à promouvoir sur les scènes nationale et internationale une certaine éthique du sport. Notre pays doit défendre son modèle et en faire un exemple en termes de déontologie sportive. Ce texte va-t-il y contribuer ? J’en doute !

Certes, le double mandatement est largement répandu, car chaque acteur y trouve son compte. L’agent est certain d’être payé à temps par le club, alors que le joueur a apparemment plus de mal à lui régler ses honoraires. Ce dernier n’a pas à se préoccuper de cette dépense, estimant que c’est au club d’assurer ce type de prestation. Il souhaite que son salaire soit net d’impôts et de toutes charges de cette nature. Le club, de son côté, exerce ainsi encore plus d’emprise sur le joueur et l’agent, et conserve une marge de manœuvre et de négociation non négligeable en cas de conflit. Cependant, on ne peut accepter que des pratiques si frauduleuses deviennent légales, car elles sont sources de transactions d’argent opaques et risquent fort de donner lieu à corruption. Le joueur doit rester le seul payeur de l’agent, comme cela était explicitement prévu jusqu’ici par l’article L. 222-10 du code du sport.

Il est également tout à fait regrettable à nos yeux que soient étendus dans ce texte les pouvoirs des ligues professionnelles. Jusqu’à présent, seules les fédérations disposaient d’un pouvoir de contrôle sur les contrats passés entre clubs et sportifs, afin que ces contrats « préservent les intérêts des sportifs ». Or, aux termes du nouvel article L. 222-10-1, ce pouvoir sera désormais partagé avec les ligues.

Vous me permettrez, madame la secrétaire d’État, de douter du bien-fondé de cette mesure : comment en effet ne pas craindre de sérieux conflits d’intérêts, lorsque l’on sait que les ligues sont l’émanation directe des clubs ? La plupart des membres du conseil d’administration de la Ligue de football professionnel sont d’ailleurs des présidents de clubs de Ligue 1. La LFP n’a donc pas intérêt à s’opposer aux clubs, concernant le double mandatement par exemple.

À cet égard, je citerai de nouveau Michel Platini, qui, lors de son audition devant la mission Juillot, a déclaré : « Pourquoi les présidents de ligue souhaitent-ils que les agents soient rémunérés par les clubs ? Parce qu’étant élus par les clubs, ils ne peuvent pas vouloir autre chose que ce que veulent les clubs. Or, ceux-ci veulent rémunérer les agents, afin d’avoir du pouvoir sur les agents et sur les joueurs. »

On porte ici un nouveau coup à l’unicité du mouvement sportif. Donner un tel pouvoir aux ligues, c’est les éloigner un peu plus du monde du sport amateur, sans lequel elles ne sauraient vivre. Plutôt que de donner des pouvoirs supplémentaires aux ligues, il eût été plus pertinent de renforcer les pouvoirs des fédérations. Dois-je rappeler que, selon les termes de l’article 17 de la loi du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, seules les fédérations sont délégataires ?

Comment également ne pas regretter le contenu des dispositions relatives aux agents extracommunautaires ? Il suffirait donc d’une simple convention passée avec un agent licencié en France pour exercer la profession d’agent sportif sur notre territoire ? Il ne faut faire preuve d’aucune forme de complaisance dans ce domaine. On doit exiger une licence ou un diplôme équivalent à ce qui existe en France pour les agents ressortissants de pays extérieurs à l’Union européenne et à l’Espace économique européen.

De la même façon, même si le texte apporte des avancées sérieuses en termes d’incompatibilités et d’incapacités, il aurait été à mon sens indispensable d’interdire à un agent d’exercer pour le compte d’un joueur et d’un entraîneur faisant partie du même club. Imaginez en effet les dérives auxquelles un tel triumvirat pourrait donner lieu ! L’entraîneur, même inconsciemment, sera souvent amené à favoriser le joueur ayant signé avec le même agent que lui.

Avant de conclure, je tiens à souligner qu’il est tout à fait regrettable que les pouvoirs publics ne s’engagent pas davantage sur ce sujet, qui est loin d’être mineur.

D’une part, en ne considérant les agents que d’un point de vue financier, on renforce le processus de marchandisation du sport, déjà à l’œuvre, et on met de côté ses vertus et ses valeurs essentielles.

D’autre part, on ne se donne pas les moyens de s’attaquer aux véritables enjeux, à savoir au système des transferts ou à l’exploitation des jeunes joueurs étrangers, source de transactions nombreuses et plus que douteuses.

L’État sait pourtant s’investir lorsqu’il le désire : nous avons récemment constaté l’activisme du ministre de l’intérieur sur la question de la sécurité dans les stades. La problématique des agents sportifs n’est certes pas aussi médiatique, mais elle n’est pas à négliger pour autant.

À l’heure d’entamer les discussions sur ce texte, c’est un sentiment de frustration et de déception qui prédomine. La France aurait pu affirmer de grandes ambitions et se poser en modèle de la régulation des agents sportifs et des transferts en Europe.

Au lieu de quoi, malgré quelques améliorations apportées, cette proposition de loi est encore bien loin du compte. Plus grave, elle tend à introduire des dispositions, comme la légalisation du double mandatement, qui me paraissent tout à fait incompatibles avec l’idée que je me fais du sport et de sa déontologie, idée partagée, je l’espère, par nombre d’entre nous.

Je me prends parfois à craindre que le Gouvernement ne soit en train d’oublier ce qui fait la force et la beauté du sport.

Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne ne m’avait pas rassuré. Je suis encore plus inquiet à la lecture de ce texte, que mes collègues et moi-même rejetterons, sauf si des aménagements significatifs lui sont apportés : c’est tout le sens des amendements que nous avons déposés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’arrivée massive d’argent dans le sport nous conduit à légiférer de plus en plus, pour essayer de moraliser certaines pratiques contestables.

Une série de scandales, qui ont été évoqués par ailleurs, rendent cette proposition de loi nécessaire. À cet égard, je remercie Jean-François Humbert, Pierre Martin, ainsi que nos collègues de l’Assemblée nationale.

Certains intervenants ont souligné les insuffisances du texte. Bien évidemment, pour rétablir l’esprit originel du sport, il aurait fallu des mesures plus importantes et de plus grande ampleur.

Cependant, l’idéal est une chose et la réalité en est une autre, d’autant que les faits sont têtus. Des usages que nous n’avons pas encouragés se sont développés.

Aujourd’hui, nous nous attaquons au problème des agents sportifs. L’opacité de leurs pratiques et les scandales récurrents donnent de cette profession une image peu conforme à l’esprit du sport.

Les agents de joueurs ont mauvaise réputation, liée à la façon dont ils gèrent, parfois plus ou moins honnêtement, la carrière des sportifs. Tous ne sont cependant pas à mettre dans le même sac !

Malgré les renforcements successifs de notre législation, les pratiques frauduleuses perdurent et les affaires impliquant des agents sportifs se multiplient : certains exercent encore leur activité dans des conditions irrégulières et le contrôle pratiqué par les fédérations sportives demeure insignifiant, pour ne pas dire complaisant. Tout cela a déjà été largement souligné ce matin.

Cette proposition de loi, qui permettra à un club de payer directement l’agent sportif, fait preuve de pragmatisme – je le dis même si j’ai entendu s’élever certaines critiques –, puisqu’elle vise à légaliser une pratique interdite, mais d’utilisation constante.

Certes, nous pouvons nous interroger sur l’état de santé d’une démocratie qui ne parvient pas à faire appliquer la loi et qui en est réduite à modifier sa législation pour officialiser des dérives qu’elle n’arrive plus à contrôler. Je ne sais pas si cette démarche suffira à mettre un terme aux pratiques frauduleuses ; mais une chose est sûre, elle permettra une plus grande transparence puisque toutes les transactions financières seront connues des fédérations sportives.

Il est vrai que nous aurions pu profiter de l’occasion offerte par ce texte pour mieux encadrer, et ainsi assainir, les opérations financières qui s’effectuent autour des contrats, des transferts et des achats de joueurs dans certains sports professionnels. Comme une simple valeur marchande, les joueurs figurent au bilan des sociétés sportives, ce qui est parfois, certains de mes collègues l’ont souligné, difficilement défendable sur le plan intellectuel.

Cependant, force est de constater que la proposition de loi renforce les sanctions pénales : les contrats passés avec les mineurs devront impérativement être déclarés auprès de la fédération concernée et ne donneront lieu à aucune retombée financière pour les agents. C’est un pas en avant important.

Même si les objectifs d’encadrement et de moralisation de la profession sont loin d’être atteints, le texte a le mérite, notamment, d’instaurer l’impossibilité pour une personne morale d’obtenir une licence d’agent, d’encadrer l’activité des agents étrangers, d’interdire la rémunération des agents pour tout contrat passé avec un sportif mineur, de renforcer le champ des incompatibilités afin d’éviter tout risque de collusion entre les agents et les autres acteurs du sport. Il s’agit d’autant de mesures nécessaires pour assainir les pratiques de la profession.

Il est vrai que ce texte présente des insuffisances, mais gardons à l’esprit que le problème à traiter n’est pas uniquement français. La France n’est qu’un acteur parmi d’autres, et elle est souvent pionnière en la matière par rapport aux autres pays. Elle ne peut pas non plus s’autopénaliser en s’imposant des cadres et des carcans, si légitimes fussent-ils, qui ne vaudraient que pour elle !