compte rendu intégral

Présidence de M. Roland du Luart

vice-président

Secrétaires :

Mme Michelle Demessine,

M. Alain Dufaut.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Saisines du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel une lettre par laquelle il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi par M. le Premier ministre :

- d’une part, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution de la loi organique relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution (articles 46, alinéa 5, et 61, alinéa 1, de la Constitution) ;

- d’autre part, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution de la loi relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution (article 61, alinéa 2, de la Constitution).

Acte est donné de cette communication.

Le texte de ces saisines du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

3

Dépôt d’un rapport du Gouvernement

M. le président. M. le Premier ministre a communiqué au Sénat le rapport évaluant les effets de la réforme de la taxe professionnelle sur la fiscalité des collectivités locales et sur les entreprises, établi en application de l’article 76 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.

Acte est donné du dépôt de ce document.

Il a été transmis à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.

4

Débat sur l'optimisation des moyens des collectivités territoriales

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’optimisation des moyens des collectivités territoriales, organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

La parole est à M. le président de la délégation.

M. Alain Lambert, président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour sa première demande de débat en séance publique, notre toute jeune délégation, qui a la chance de compter parmi ses membres le président de séance, a choisi un sujet non pas théorique qui ferait controverse, mais, au contraire, un sujet concret qui vise à organiser la poursuite d’un objectif d’intérêt général : l’optimisation de l’action publique locale, à partir d’idées, de pistes d’évolution, d’attentes, de pratiques émanant de nos territoires, lesquels sont en forte demande sur cette question.

À l’heure où les ressources sont comptées, où les finances sont tendues, où des dépenses inéluctables se profilent, telles celles liées au vieillissement, qui pourrait être contre l’optimisation des moyens des collectivités territoriales ? Qui pourrait regretter la recherche de leur meilleure efficacité, de leur meilleur rendement ? Qui pourrait ne pas souhaiter une amélioration constante des services rendus à nos concitoyens au meilleur rapport coût-efficacité ? Personne, évidemment, sauf peut-être le droit existant, réel ou supposé !

C’est dans cet esprit, serein et constructif, que notre délégation s’est longuement penchée sur une question clef de la problématique de l’optimisation, celle de la mutualisation des moyens.

Cinq sénateurs, membres de quatre groupes politiques différents, se sont régulièrement rencontrés, ont procédé à des auditions, auxquelles se sont souvent joints d’autres sénateurs, et ont échangé des idées.

Cinq sénateurs ont travaillé ensemble afin de parvenir à un rapport transpartisan, qui formule treize propositions et qui prend en considération, je le crois, les points de vue de chacun.

Cinq sénateurs, pour quatre signatures, Edmond Hervé n’ayant pas souhaité figurer formellement en qualité de rapporteur. Cependant, je peux témoigner de la part active qu’a pris notre collègue à nos réflexions, tout particulièrement à la partie dont je suis signataire relative à « la problématique générale de la mutualisation des moyens des collectivités territoriales », qui s’est largement nourrie de ses observations.

Pour ce qui me concerne, afin d’éviter toute redondance avec les interventions de mes corapporteurs, je me bornerai à un point, dont vous mesurez tous l’importance dans le débat sur la mutualisation, point que j’ai appelé « la donne communautaire ».

Cette donne, comme l’indique le rapport écrit, a notablement évolué au cours de la période récente, à tel point que, selon la délégation, on ne peut plus appréhender aujourd’hui la question juridique mutualisation-droit communautaire comme on le faisait il y a encore dix-huit mois. En effet, bien des portes se sont entrouvertes, et il est de notre devoir – je le dis avec solennité – de les pousser.

N’est-il pas temps d’ailleurs d’en revenir à une autre évidence, qui semble avoir été oubliée : le droit de la commande publique est non pas une finalité en soi, mais un outil ? Celui-ci est au service de valeurs essentielles, qui constituent sa raison d’être : l’éthique, d’abord, en fournissant des critères objectifs à la sélection des candidats ; l’efficacité de l’action locale, ensuite, grâce à la mise en concurrence, laquelle permet à une collectivité de retenir l’offre la plus intéressante.

Lorsque ni l’éthique ni l’efficacité ne sont menacées, recourir à un marché public revient à administrer un remède à une personne bien portante : c’est toujours inutile, souvent coûteux, parfois même nocif.

Or en quoi la mise en commun des moyens et la suppression de doublons inutiles menacent-ils l’efficacité ? En quoi le fait qu’une collectivité publique puisse demander à des agents publics de participer à l’accomplissement de tâches d’intérêt public en collaboration avec une autre collectivité publique dans le cadre d’une convention de droit public menace-t-il l’éthique ? Si j’insiste sur l’épithète « public », c’est pour bien marquer le fait que je me situe dans le cadre de tâches qui ne relèvent pas de l’initiative privée, soit parce que celle-ci n’a pas vocation à les accomplir – je pense bien sûr avant tout aux services publics administratifs –, soit parce que celle-ci n’existe pas.

Ainsi conçue, circonscrite et encadrée dans les conditions prévues par la délégation, la mutualisation des moyens des collectivités territoriales bénéficiera à chaque citoyen et ne portera atteinte à aucun intérêt, qu’il soit public ou privé.

Je comprends que certains hauts fonctionnaires européens hésitent à franchir le cap, bien que la Cour de justice, selon nous, ait été suffisamment claire. Je ne conteste pas que le droit des marchés publics, pour reprendre la formule de certains avocats généraux, soit « l’un des instruments politiques les plus influents » de l’intégration européenne. Néanmoins, comme le disent ces mêmes personnes ô combien autorisées, « il [cet instrument] ne peut pas être utilisé de manière inconsidérée ». De surcroît, ce n’est qu’un instrument, ce n’est pas une valeur en soi. Par parenthèses, je me dis parfois que, dans les sociétés développées, l’on en arrive à confondre « valeur » et « instrument », ce qui est la pire perversion de l’esprit. Le droit des marchés publics ne saurait être mis sur le même plan que le droit à l’autonomie locale ou que le principe de bonne administration, tous deux consacrés comme valeurs – non comme instruments ! – sur le plan européen.

Enfin, ai-je besoin de rappeler à nouveau ici la nécessité et l’urgence de faire face aux évolutions démographiques, sociologiques et économiques auxquelles sont aujourd’hui confrontées les collectivités territoriales ?

Notre collègue Bruno Sido, qui ne peut être des nôtres ce matin, a parfaitement mis l’accent sur la situation des départements, mais c’est pour toutes les collectivités que la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation vous lance aujourd’hui cet appel, monsieur le secrétaire d’État : agissons !

Nous demandons donc instamment au Gouvernement de ne pas céder à la tentation d’une prudence excessive au regard du droit communautaire. Ne laissons pas la Commission européenne s’enfermer dans une contradiction qui verrait l’une de ses directions générales engendrer des dépenses inutiles pour les collectivités territoriales pendant qu’une autre nous rappellerait à nos devoirs de maîtrise des dépenses publiques ! Ce ne serait pas un comportement européen.

Monsieur le secrétaire d’État, ne nous abandonnez pas dans notre combat. Nous ne le menons pas au nom d’une quelconque idéologie, mais tout simplement parce que, pour nous, cela relève de notre devoir et de notre responsabilité. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Yves Détraigne, rapporteur de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de l’intercommunalité, on constate que l’objectif principal de celle-ci a toujours été de mutualiser des moyens au service d’un territoire.

Cependant, si l’intercommunalité est aujourd’hui très développée et si l’on se dirige même vers la généralisation au cours des prochaines années de l’intercommunalité à fiscalité propre sur l’ensemble du territoire, il est clair que l’on n’est pas allé au bout de la logique de mutualisation. Plusieurs raisons permettent d’expliquer cet état de fait. D’une part, les intercommunalités étant des personnes morales distinctes des communes qui les composent, elles doivent logiquement posséder leurs propres services. D’autre part, en exigeant que tout transfert de compétence des communes vers un établissement public de coopération intercommunale, un EPCI, s’accompagne du « transfert du service ou de la partie de service chargé de sa mise en œuvre », l’article L. 5211-4-1 du code général des collectivités territoriales a en quelque sorte provoqué un cloisonnement entre l’intercommunalité et ses communes membres : à chacun ses services et ses moyens, quand bien même ceux-ci feraient doublons.

Pour autant, en prévoyant que « les services d’un établissement public de coopération intercommunale peuvent être en tout ou partie mis à disposition d’une ou plusieurs de ses communes membres, pour l’exercice de leurs compétences, lorsque cette mise à disposition présente un intérêt dans le cadre d’une bonne organisation des services » – je cite à nouveau le code général des collectivités territoriales –, le législateur a permis que les services supports d’une commune, tels que les services gérant le personnel, les marchés publics, les finances ou l’informatique, puissent intervenir également pour la communauté. La mutualisation que l’on pourrait qualifier de « verticale » entre intercommunalité et communes membres est donc possible dans certains cas.

Néanmoins, une forme de mutualisation pose encore problème au sein de l’intercommunalité : celle que l’on pourrait qualifier d’« horizontale » : il s’agit de la mise en commun de moyens entre deux ou plusieurs communes de la même intercommunalité pour l’exercice de compétences qui n’ont pas été transférées à celle-ci. Cette forme de mutualisation est très importante si l’on veut que le territoire intercommunal soit de plus en plus vécu comme un véritable espace de coopération, au-delà de la coopération institutionnelle qui s’exerce au travers de la communauté de communes, et pour renforcer les relations entre communes voisines.

Pourquoi, par exemple, ne pas permettre à la cuisine centrale d’une commune, sans mise en concurrence et dans un simple cadre conventionnel, de fournir les repas pour la restauration scolaire d’une autre commune de la même intercommunalité ? Pourquoi ne pas permettre aux services chargés du fleurissement ou de l’entretien des bâtiments dans une commune membre d’intervenir sans formalisme particulier dans la petite commune voisine de la même intercommunalité qui ne possède pas elle-même les services compétents ?

Si ce type de coopération conventionnelle semble pouvoir se mettre en place sans difficulté pour la gestion des services publics administratifs, en raison de la proximité de ce concept très français avec la notion européenne de service non économique d’intérêt général, il n’en est pas de même en matière de coopération pour les services communaux pouvant être qualifiés de services industriels et commerciaux et dont la gestion, en vertu de la règlementation européenne relative aux services économiques d’intérêt général, ne peut pas être attribuée sans mise en concurrence.

Si la jurisprudence européenne dans ce domaine évolue et donne lieu aujourd’hui à des interprétations nuancées, comme M. Lambert vient de le rappeler à l’instant, il semble que toute mutualisation entre personnes morales de droit public pour l’accomplissement d’un service public autre qu’administratif ne puisse être conforme au droit communautaire de la commande publique que si elle se traduit par une véritable coopération entre les cocontractants, coopération qui est distincte d’une prestation de services dans laquelle l’une des deux collectivités se contenterait d’une participation financière. Or nous sommes convaincus de l’intérêt de favoriser ce type de coopération entre communes à l’intérieur d’une même intercommunalité, d’une part parce que cela permet d’optimiser l’utilisation des services existants, d’autre part parce que, pour de nombreuses petites communes, la complexité, le formalisme et le coût des démarches de mise en concurrence sont souvent décourageants.

Il est d’ailleurs intéressant de constater que les exemples de coopération entre communes à l’intérieur d’un territoire intercommunal tendent à se multiplier dans des domaines très divers, comme nous avons pu le constater au cours des auditions auxquelles nous avons procédé ces dernières semaines et comme l’a démontré la journée d’échanges et de témoignages organisée le 1er juin dernier à la Caisse des dépôts et consignations. Ces coopérations se traduisent par une optimisation des moyens humains et matériels de la commune qui en dispose. Nous avons donc tout intérêt à avancer dans cette direction, compte tenu des reproches qui ont été faits à l’intercommunalité, cette dernière étant accusée, non seulement par la Cour des comptes, mais également par d’autres organismes, de multiplier les services au lieu de les rationaliser,

Voilà pourquoi nous proposons, notamment, d’élargir le champ des mutualisations purement conventionnelles en autorisant, outre la mutualisation des services fonctionnels pour la satisfaction de besoins d’intérêt général à caractère administratif, les mutualisations pour la satisfaction de besoins d’intérêt général à caractère industriel ou commercial, à condition qu’il s’agisse de véritables coopérations entre cocontractants.

Nous proposons également de permettre aux communes membres d’un même EPCI d’avoir des agents communs pour l’exercice de leurs missions de service public dont la compétence n’a pas été transférée. Par ailleurs, pour tenir compte des faibles moyens de nombreuses communes et du montant souvent limité des prestations pouvant faire l’objet de ce type de mutualisation, nous proposons de saisir nos partenaires européens de la possibilité d’édicter une règle de minimis applicable à la mutualisation des moyens affectés aux services économiques d’intérêt général. À titre de comparaison, je rappelle que les règles communautaires de mise en concurrence ne s’appliquent pas aux aides d’État d’un montant n’excédant pas 200 000 euros sur trois ans. En effet, l’article 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne permet de déroger aux règles de concurrence pour un service économique d’intérêt général dès lors que « cela n’entrave pas le développement des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union ». Convenons que, en règle générale, pour ne pas dire dans la totalité des cas, la coopération et la mutualisation des moyens à l’intérieur d’une intercommunalité n’entravent pas « le développement des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union » !

Voilà, monsieur le secrétaire d’État, quelques-unes des propositions que nous souhaiterions voir se concrétiser. Mon collègue Jacques Mézard évoquera dans quelques instants d’autres pistes dans le domaine de la mutualisation à l’intérieur des intercommunalités. Comme l’a dit le président de la délégation, nous espérons véritablement pouvoir compter sur l’appui du Gouvernement pour mettre en œuvre ces propositions, car, outre le fait qu’elles conforteront l’intercommunalité – c’est l’un des volets centraux de la réforme des collectivités territoriales actuellement en discussion au Parlement –, elles permettront de simplifier la gestion de nos communes et constitueront un élément de réponse à l’intention de ceux qui reprochent trop facilement aux intercommunalités d’augmenter inconsidérément leurs services. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le vice-président de la délégation.

M. Jacques Mézard, vice-président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il est une première conclusion que nous pouvons tirer du travail réalisé par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, c’est que la mise en œuvre de la mutualisation n’a pas été facilitée par les règles européennes et nationales. Or il est grand temps de développer cette notion, dans l’intérêt de nos collectivités, et donc de nos concitoyens.

Je ne reviendrai pas sur l’excellente intervention du président de la délégation, M. Lambert, qui a posé la question de la jurisprudence européenne et de son évolution. Cette évolution, que nous avions déjà constatée lors du récent débat, empreint d’unanimité, sur la proposition de loi pour le développement des sociétés publiques locales, est positive depuis un peu plus de deux ans. Nous ne doutons pas des effets de l’action favorable sur ce point du Gouvernement auprès des autorités européennes.

À l’échelon national, notre réflexion s’est poursuivie à l’occasion du débat sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales. Le Sénat, grâce à un amendement déposé par M. Lambert à l’article 34, a facilité la mutualisation. Le texte en discussion prévoit l’insertion de deux nouveaux articles dans le code général des collectivités locales : les articles L. 5211-4-2 et L. 5211-4-3. Il y est clairement affirmé que les EPCI à fiscalité propre et une ou plusieurs communes membres peuvent se doter de services communs. Il s’agit là incontestablement d’un progrès.

Yves Détraigne et moi-même considérons naturellement que la mutualisation des moyens dans le cadre intercommunal, question sur laquelle nous avons travaillé pour la délégation, est un moyen de développer l’intercommunalité.

Certes, l’aboutissement de l’organisation intercommunale, c’est le transfert de compétences accompagné du transfert de charges permettant une gestion du service au niveau de l’EPCI et, le plus souvent, de l’extension de nouveaux services à des communes membres. C’est l’apogée et la fin de la mutualisation. Mais quelle belle fin !

Cependant, la mutualisation a un intérêt de plus en plus évident : elle peut être une étape transitoire vers cet apogée ou, tout simplement, un instrument de gestion plus efficace compte tenu de la mise en place de services communs.

À ce stade de la discussion, il paraît important de relever un point fondamental. Yves Détraigne et moi-même avons considéré que l’objectif réaliste de la mutualisation était non pas de dépenser moins – et encore moins de dépenser plus, monsieur le secrétaire d’État (Sourires.) –, mais de dépenser mieux et donc de gérer mieux. Pour autant, cela ne signifie pas qu’aucune économie ne puisse être espérée. Mais nous n’en réaliserons vraisemblablement pas à court terme. Il est plus sage selon nous de considérer la mutualisation comme un moyen d’éviter à terme des dépenses supplémentaires.

N’oublions pas non plus la vocation fortement « péréquatrice » de l’intercommunalité et de la mutualisation, lesquelles permettent de fait à des communes de bénéficier de services dont elles ne disposaient pas. Cette péréquation qualitative, monsieur le secrétaire d’État, ne se mesure pas dans un bilan comptable, mais elle constitue l’essentiel de l’amélioration des services rendus à nos concitoyens.

Nous avons compris que, pour un temps certain, il était peu réaliste d’envisager des incitations financières de l’État pour développer intercommunalité et mutualisation. Dire autre chose ne serait pas très réaliste ! En revanche, l’État doit selon nous supprimer les obstacles en mettant en place un dispositif juridique sécurisant et responsabilisant, facilitant la mutualisation. Dans la foulée, monsieur le secrétaire d’État, peut-être pourrait-on indiquer au contrôle de légalité que la mutualisation n’est pas une espèce nuisible ? (Sourires.) Cela pourrait être utile !

Yves Détraigne a décrit cinq propositions de notre rapport, qui vont de l’élargissement du champ des mutualisations purement conventionnelles pour les services fonctionnels à la mutualisation des services opérationnels des communes dans l’attente de leur transfert à l’EPCI, jusqu’à l’édiction d’une règle de minimis applicable à la mutualisation des moyens destinés à accomplir des services d’intérêt économique général.

Pour ma part, j’insisterai plus fortement sur la réflexion que nous avons développée quant à la mise en place éventuelle d’un dispositif financier à la fois incitatif et neutre pour le budget de l’État. Comme vous le voyez, monsieur le secrétaire d’État, nous faisons des efforts considérables ! (Sourires.)

Nous avons écarté la solution d’un prêt de l’État pour mutualisation, le moment n’étant peut-être pas le bienvenu pour faire une telle proposition. En outre, les inconvénients techniques nous paraissaient plus forts que les avantages.

En revanche, nous avons considéré qu’il serait intéressant d’avancer vers l’instauration d’un dispositif de bonus-malus pour les dotations de l’État sous la forme d’un « coefficient d’intégration fonctionnelle ».

Nous connaissons le fonctionnement du coefficient d’intégration fiscale qui, s’il est certes très compliqué, présente finalement quand même un certain nombre d’avantages.

Ce coefficient d’intégration fonctionnelle mesurerait le rapport entre des moyens, évalués de manière objective, en se référant au temps de travail des personnels. Dans un premier temps, ce coefficient pourrait être calculé pour la prise en compte des seuls services fonctionnels.

Ce coefficient serait donc calculé en fonction du rapport entre, d’une part, les équivalents temps plein affectés à des services fonctionnels ayant donné lieu à mutualisation, et, d’autre part, l’ensemble des équivalents temps plein affectés à des services fonctionnels au sein de toutes les communes membres et de l’EPCI. Il servirait donc à augmenter proportionnellement la dotation générale de fonctionnement des EPCI situés au-dessus de la moyenne et à diminuer celle des EPCI situés en-dessous, selon un critère et une méthode de fonctionnement déjà mis en place dans d’autres secteurs.

Enfin, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons considéré qu’il n’était pas souhaitable de choisir la voie d’un dispositif contraignant, érigeant la mutualisation en obligation de résultat dans le cadre intercommunal.

Cependant, nous avons proposé d’instaurer le principe d’un débat annuel d’orientation budgétaire – mais peut-être serait-il plus sage de se limiter à deux débats au cours d’une mandature, l’un au cours de la première année et l’autre au cours de la quatrième ou de la cinquième par exemple, afin de ne pas surcharger de débats nos exécutifs – entre l’exécutif de l’EPCI et les exécutifs des communes membres, avec inscription obligatoire à l’ordre du jour de l’examen d’un schéma de mutualisation des services.

Cela ne coûterait rien et ce serait un moyen de faciliter, par la concertation et l’échange approfondi d’informations entre exécutifs, la réflexion et les démarches de travail en commun qui ne sont pas toujours évidentes et qui nécessitent cette rencontre.

C’est aussi de cette manière, monsieur le secrétaire d’État, que nous ferons confiance à l’intelligence territoriale chère au Sénat de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le discours sur l’optimisation des moyens des collectivités territoriales a un caractère assez incantatoire.

En effet, qui pourrait être opposé à l’idée d’utiliser au mieux les moyens à disposition des collectivités territoriales, de rationaliser l’usage des ressources apportées par le contribuable local, ne serait-ce que pour libérer des moyens financiers en vue de répondre plus efficacement aux nouveaux besoins qui s’expriment et de permettre la création et le développement des services publics qui permettent d’y faire face ?

Répondre aux besoins collectifs tels qu’ils s’expriment au niveau local n’implique-t-il pas de savoir trouver les voies et moyens d’une juste et efficace allocation des recettes, fiscales comme budgétaires, dont disposent les élus locaux ?

Nous pouvons prêter au rapport de nos collègues de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation toute l’attention qu’il mérite, ne serait-ce que pour partager le constat d’une tension particulière des budgets locaux, notamment depuis la loi relative aux libertés et responsabilités locales de 2004, bien souvent appelée « acte II de la décentralisation », mais qui en est bien loin.

Cependant, c’est surtout à un accroissement des transferts des responsabilités de l’État vers les collectivités que nous avons à faire face. Ce mouvement ne fait que s’amplifier du fait de la volonté de faire participer les collectivités locales à la réduction des déficits publics, l’État n’hésitant pas, en même temps, à les solliciter, comme en 2009, pour donner un « coup de pouce » à l’économie.

Pour autant, faut-il, ainsi que nous y invite le rapport, mettre en œuvre tout ce qui pourrait permettre de réaliser des « économies d’échelle », en passant par une mutualisation accrue des moyens matériels et humains ? Je ne le pense pas, comme je l’ai rappelé en avril dernier.

Cette attitude, me semble t-il, dessaisit peu à peu les collectivités les plus petites de leurs capacités à assumer leurs missions et leurs choix politiques auprès de la population. Cela peut, à terme, mettre en cause la clause de compétence générale pourtant inscrite dans la loi de décentralisation de 1982.

J’ai bien lu les propositions de nos collègues sur la mise en place d’un dispositif financier incitatif et neutre pour le budget de l’État. Le projet de faire varier la dotation globale de fonctionnement des communes et des groupements en fonction de la proportion des effectifs mutualisés par rapport aux effectifs totaux des collectivités concernées, c’est-à-dire, en quelque sorte, de désigner les bons et les mauvais élèves en matière de coopération intercommunale et de mutualisation, ne peut recueillir mon soutien et suscite plutôt mon profond désaccord. C’est refuser de reconnaître la diversité des situations des collectivités. Ce serait refuser que les collectivités maintiennent des services publics là où d’autres ont fait le choix de les externaliser. Les bons élèves, ceux qui font des gains de productivité en réduisant l’importance de leurs équipes de terrain, seraient récompensés.

Ces propositions procèdent de l’idée que le contexte financier « pousse inéluctablement au développement de la mutualisation et de l’intercommunalité ».

La vérité des faits, c’est que le bilan de la décentralisation et des transferts de compétences est si déséquilibré qu’il convient de faire quelque chose, ou, en tout cas, de proposer autre chose. Or, ceux qui, depuis 2004, ont voté tous les textes accompagnant le mouvement de désengagement de l’État et d’accentuation du transfert de charges sur les collectivités veulent inciter ces dernières à se « serrer la ceinture » et à participer, d’une certaine manière, à la mission de réduction des dépenses publiques que le gouvernement actuel entend mener au niveau de l’État.

Cette proposition incitative à la mutualisation ressemble fort – c’est en tout cas ainsi que je l’ai ressentie – à une anticipation de la réforme des collectivités territoriales, alors que le vote de notre assemblée n’a pas encore eu lieu. Elle témoigne d’une volonté de créer ces communes nouvelles dont l’objet est, en fin de compte, la fin de nos communes actuelles.

Si nos collectivités souffrent aujourd’hui, c’est parce qu’elles n’ont plus les moyens de faire face aux obligations transférées par la loi ou, comme l’a dit l’un des rapporteurs, pour pallier le désengagement de l’État dans des secteurs de plus en plus nombreux. Je crois que tout le monde peut le constater.

En effet, vous le savez, le bilan est lourd. Un certain nombre de départements – une vingtaine, nous dit-on – sont au bord du gouffre ou en quasi-cessation de paiement. Tout le monde sait combien il est difficile pour les conseils généraux de prendre en charge l’entretien et la mise aux normes d’une route nationale importante lorsque l’État n’a jamais pensé à financer son passage à quatre voies ! Mais notre collègue Bruno Sido n’étant pas présent, nous n’aurons sans doute pas de réponse à ce sujet.

Comment faire face à la croissance continue des dépenses liées au RSA ou à l’autonomie des personnes âgées dans un département frappé par l’exode des jeunes et la désindustrialisation pilotée par les grands groupes et les fonds spéculatifs ?

À tout cet ensemble pour le moins déstabilisant s’ajoute la réforme des finances locales, notamment la suppression de la taxe professionnelle. Cette réforme fait perdre toute visibilité aux élus locaux sur l’avenir des services publics qu’ils assurent et qui, comme l’a bien rappelé le ministre du budget, M. Woerth, ont pourtant permis d’amortir les conséquences de la crise dans notre pays.

À cela s’ajoutent encore des situations pour le moins incohérentes : certaines collectivités confrontées à des besoins sociaux particuliers seraient aujourd’hui mises à contribution pour compenser les pertes de ressources entre la taxe professionnelle et la contribution économique territoriale.

Ma collègue Gélita Hoarau m’a fait remarquer que la Réunion, en tant que département et région, serait soumise à contribution au bénéfice du fonds national de garantie individuelle des ressources, ce qui est quand même étonnant pour une collectivité dont moins de 30 % de la population résidente paie l’impôt sur le revenu.

Or, l’éloignement de la fameuse « clause de revoyure », cette « carotte » offerte l’automne dernier aux parlementaires réticents, risque de plus en plus de s’apparenter à l’Arlésienne et de nourrir l’inquiétude sur le terrain.

Un fait nouveau va dégrader encore davantage la capacité des collectivités à répondre aux besoins de leur population : il s’agit du gel des dotations budgétaires des collectivités locales annoncé dans la loi de finances pour 2011.

Cette simple reconduction en euros courants va faire des élus locaux de simples partenaires obligés de la réduction des déficits publics, les contraignant à de faux choix entre hausse des impôts et des tarifs et baisse du service public local.

Pourtant, leur contribution est essentielle à la dynamique économique dont notre pays aurait bien besoin dans ce paysage morose pour les demandeurs d’emploi.

Proposer la mutualisation, pour optimiser nos moyens, au moment où l’État ne projette pas de mutualiser ses propres moyens avec ceux des collectivités mais les supprime tout simplement, n’est-ce pas accepter de nouveaux transferts ?

Regardons avec attention toutes les mesures qui fleurissent depuis quelque temps s’agissant par exemple de la petite enfance.

Cela a commencé par la réduction des impôts au bénéfice de ceux qui font assurer la garde de leurs enfants à domicile. On sait bien que ce ne sont pas les plus modestes qui en bénéficient.

Cette première mesure a été suivie d’une proposition de jardin d’éveil prenant en charge les jeunes enfants, du même âge que les élèves des écoles maternelles, le jardin d’éveil étant assimilé à l’école et justifiant ainsi la participation des collectivités locales à son fonctionnement. Il n’y aurait aucune contribution de l’État, mais le service rendu aux familles serait payant.

En même temps, les ouvertures de classes en école maternelle deviennent de plus en plus difficiles. L’accueil des plus jeunes, âgés de deux ans et demi, s’amenuise. Autre nouveauté, les assistantes maternelles peuvent maintenant accueillir quatre enfants à domicile. Parallèlement, on assiste à des coupes claires parmi les personnels de l’éducation nationale.

Pendant ce temps, le Gouvernement demande aux caisses d’allocations familiales de réduire leurs dépenses en faveur des contrats Petite enfance passés avec les collectivités territoriales.

Pourtant, cela ne semble pas encore suffire. Le Gouvernement voudrait aujourd’hui regrouper quatre assistantes maternelles en un même lieu mis à disposition par les collectivités. Ainsi, seize enfants de l’âge d’élèves d’écoles maternelles pourraient être regroupés dans un même espace. Ce ne serait pas une crèche et l’encadrement ne serait pas le même.

Cet exemple montre, s’il en est besoin, comment, sous prétexte de réduire des coûts et de maîtriser la dépense publique, l’État brise une formidable organisation grâce à laquelle la France a aujourd’hui le meilleur taux de renouvellement de la population en Europe, celle de la prise en charge de la petite enfance y ayant largement contribué.

C’est une autre conception de la société que le Gouvernement veut mettre en place à marche forcée, détruisant toute cette richesse qui a pourtant permis à des milliers et des milliers d’enfants de développer leurs capacités dans de meilleures conditions. Je pense à tous les enfants des quartiers populaires, issus ou non de l’immigration, qui ont trouvé ainsi des possibilités d’épanouissement les préparant à leur future scolarité.

Cette logique d’une société où, peu à peu, est brisé tout ce qui peut contribuer à construire dans de meilleures conditions l’avenir des plus modestes, nous ne pouvons l’accepter.

Cette logique, c’est celle qu’impose le système capitaliste dans lequel nous sommes, avec cette exigence de rémunération des capitaux au détriment du développement industriel, de l’emploi, et dont on voit la nocivité avec plus de clarté depuis deux ans.

Une autre optimisation doit à mon avis être au cœur de notre réflexion : celle qui permettra que les richesses produites servent au développement humain, à la protection de notre environnement, plutôt qu’à l’enrichissement de quelques-uns.

Quant à la mutualisation, laissons la possibilité aux élus locaux de la décider sur la base de leurs projets. Le choix éventuel de la mutualisation ne doit pas être fondé sur la base de mesures incitatives.

Vous me direz sans doute que j’ai été sélective dans les mesures que j’ai ciblées, par rapport aux préconisations de mes collègues. Mais c’est la réponse la meilleure aux besoins des habitants qui doit à mon avis guider notre action. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)