M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis de nombreuses années, les collectivités sont confrontées à des défis de plus en plus lourds, qu’elles peinent à relever.

Plusieurs raisons expliquent ce phénomène.

Les dernières lois de décentralisation n’ont pas permis le transfert des moyens nécessaires à l’accomplissement des missions, toujours plus importantes.

Par ailleurs, force est de constater que le désengagement de l’État s’est accentué, tant pour des raisons budgétaires que pour des raisons de politique nationale. On fait peser sur les collectivités les charges que l’État ne peut plus ou ne veut plus assumer, à savoir un éventail toujours plus large de services et de prestations, par ailleurs particulièrement coûteux, répondant aux besoins et aux attentes de nos concitoyens.

Le désengagement de l’État contraint souvent les collectivités à se substituer à lui, et l’évaporation des services déconcentrés de l’État oblige régulièrement ces dernières à intervenir à sa place.

Cela s’est traduit par une augmentation très forte – de l’ordre de 100 milliards d’euros par an – et constante des dépenses. Depuis les premières lois de décentralisation, ces dépenses ont progressé plus rapidement que le produit intérieur brut, hors transfert de compétences. Cette évolution a connu plusieurs phases : forte croissance d’environ 3,5 % par an entre 1980 et 1991, ralentissement entre 1991 et 1998, puis reprise de la hausse au cours des dix dernières années.

Même s’il s’agit d’un lieu commun, il convient de rappeler que les collectivités locales sont les principales contributrices de l’investissement public. Elles y consacrent 20 % de leurs dépenses, voire plus.

Ces différents facteurs, notamment le désengagement de l’État, entraînent une forte croissance des impôts locaux : entre 1982 et 2008, le poids des recettes des collectivités locales dans le produit intérieur brut est passé de 3,6 % à 5,8 %.

Cette situation est donc relativement déséquilibrée, étant précisé, en outre, que la part de la fiscalité directe dans les finances locales diminue, la moitié des recettes provenant désormais de transferts du budget de l’État. Le lien entre les recettes et les dépenses locales se défait, ce qui est assez malsain. Certains experts estiment même que les impôts locaux sont souvent peu lisibles, économiquement inefficaces– tout le monde l’admet – et socialement injustes.

Au-delà des problèmes financiers, qu’il ne faut pas nier, un certain empilement des normes, une certaine inflation législative et réglementaire ont également une large part dans les difficultés constatées. Cela dit, mes chers collègues, n’oublions pas que nous en sommes responsables en tant que législateur, tout comme l’État l’est par ailleurs.

À ce titre, la loi relative au renforcement de la protection de l’environnement, qui introduit le principe de précaution, est une loi quasi scélérate (Sourires sur les travées de lUMP.), car elle a eu pour conséquence néfaste d’accentuer les dépenses, d’accroître les exigences de nos concitoyens et de surexposer les élus face à l’appareil judiciaire. Nous aurions très bien pu nous passer de cette loi, que personne ne demandait au demeurant !

S’agissant de l’empilement des normes, nous faisons parfois preuve d’un zèle extrême et nous allons au-delà des préconisations de l’Union européenne. Ainsi, on demande à un agriculteur de détruire son pédiluve au motif que celui-ci est profond de 8 centimètres et non de 10 centimètres ! N’y-a-t-il pas là quelque chose d’aberrant ? Certes, ces tracasseries peuvent finir par s’évaporer grâce à l’« intelligence territoriale » évoquée par M. Mézard, mais ce n’est pas toujours le cas.

Enfin, je dirai un mot de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, l’ONEMA. Cet organisme emploie un certain nombre de cerbères galonnés et armés, qui sillonnent nos campagnes en faisant passer les élus locaux pour des délinquants parce qu’ils ont perturbé le rythme de reproduction des crapauds accoucheurs ou d’une quelconque espèce de salamandre ! (Sourires et marques d’approbation.)

Je présente sans doute tout cela de manière plaisante, mais la réalité l’est moins !

M. le président. Tout à fait !

M. François Fortassin. Si la solidarité sociale qui existe dans notre pays est exemplaire à l’échelle mondiale, la solidarité territoriale, au-delà des clivages politiques, peut beaucoup progresser. Certes, elle n’est pas totalement à inventer, mais elle reste largement embryonnaire.

La péréquation que nous appelons tous de nos vœux est fondée sur un grand principe : apporter plus à ceux qui ont moins. L’idée est simple, mais sa mise en œuvre exigera que l’on touche au pactole dont disposent certains de nos collègues dirigeant des collectivités et qu’ils n’entendent pas abandonner !

Nous demandons à l’État de se porter garant d’une solidarité territoriale et d’un développement harmonieux et équilibré du territoire national !

M. Yvon Collin. Très bien !

M. François Fortassin. De la même façon, qui pourrait être opposé aux pôles de compétitivité, que les fonds européens ont longtemps financés ? Pourtant, ceux-ci se sont beaucoup plus développés dans des zones telles que Labège, en région toulousaine, que dans des zones telles que Berbérust-Lias, charmant patelin situé au sud de Lourdes, où il y a peu de chance qu’une telle structure s’implante un jour ! (Applaudissements.)

M. Yvon Collin. Hélas !

M. le président. Il peut y avoir un miracle ! (Sourires.)

Je suggère que M. Fortassin dépose une proposition de loi sur la protection de l’espèce menacée que sont les parlementaires ! (Sourires.)

La parole est à M. René Vestri.

M. René Vestri. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, j’ai pratiqué la mutualisation sans m’en rendre compte, des décennies durant, à la tête de structures communales ou intercommunales.

Pourtant, nos collègues MM. Détraigne et Mézard l’indiquent dans leur rapport sur la mutualisation des moyens dans le cadre intercommunal : « Curieusement, aucun des termes “intercommunalité” ou “intercommunal” et “mutualisation”, qui figurent à de si nombreuses reprises dans nos textes législatifs et réglementaires, n’a aujourd’hui reçu l’onction de l’Académie française. »

Aussi, j’évoquerai la mutualisation qui se pratique hors des communautés de communes, des communautés d’agglomération ou des communautés urbaines.

Permettez-moi d’emblée d’apporter une précision : maire d’une petite commune de 2 007 habitants, élu d’un canton de 22 000 habitants regroupant six communes, ma latitude à mettre en œuvre la mutualisation depuis plus de vingt-cinq ans a été plus forte, sans doute, que si j’avais eu en charge une grande collectivité. Je pratiquais la mutualisation bien avant que l’on ne contraigne certaines communes à se regrouper dans des EPCI, qui éloignent les élus de la réalité du terrain. La principale raison du succès de certaines actions mutualistes qui ont précédé la possibilité de regroupement au sein des communautés de communes est à rechercher dans la motivation des élus et des agents.

L’implication des personnels, attachés à leurs villages et à leurs terroirs, a certainement été un gage de réussite : ils se sentent fortement concernés et, dans les petites communautés, l’esprit de chapelle règne moins qu’on ne le croit habituellement.

Depuis plus de vingt ans, avec mes collègues maires du canton, nous avons mis en commun des moyens financiers, des biens immobiliers et du personnel de nos établissements respectifs afin de gérer au mieux nos budgets, de réaliser des économies, de pratiquer des synergies et de mettre en place des financements croisés, plus faciles à obtenir du département, de la région, de l’État, voire de l’Europe, si l’on est plusieurs à les demander. Nous nous enorgueillissons de certains résultats positifs, mais nous avons également connu quelques désillusions.

Ainsi, les communes concernées ont profité, soit dans leurs budgets, soit dans les services offerts à la population, des avantages procurés par les économies réalisées et les moyens supplémentaires dégagés ou mis en œuvre grâce à la mutualisation telle qu’elle se pratiquait avant les regroupements forcés dans les nouvelles structures.

Cette mutualisation, qui a permis, par exemple, d’édifier sur des terrains mitoyens à deux communes l’un des plus beaux stades de mon département, géré de manière souple et efficace par une simple convention avec la commune voisine, trouve à présent ses limites puisqu’il faut désormais utiliser l’espace public autrement qu’en le mettant simplement à la disposition d’associations. Quoi qu’il en soit, cette pratique existe depuis soixante-dix ans ! Nous n’avons rien inventé. Nos prédécesseurs, par pragmatisme et sans souci de formalisme superflu, se donnaient les moyens d’agir efficacement.

Leur efficacité devait aussi quelque chose au fait qu’ils se posaient moins de questions que nous et que les élus n’étaient pas suspectés par avance de tout et de n’importe quoi ! Ils pratiquaient un certain laisser-faire, voire un certain laisser-aller, principe cher aux physiocrates emmenés par François Quesnay, qu’ils appliquaient à la gestion de la chose publique. Permettez-moi de vous rappeler ce que disait ce bon François Quesnay, philosophe et économiste du temps des Lumières : « Les prohibitions restreignent le travail, les taxes le renchérissent et le surchargent, les privilèges exclusifs le font dégénérer en monopole onéreux et destructeur ; il ne faut donc, sur ce travail, ni prohibitions, ni taxes, ni privilèges exclusifs. »

Je vous propose de vous inspirer de ce programme pour laisser aux collectivités, quelle que soit leur taille, la liberté de s’associer pour mutualiser les moyens qu’elles jugent utiles, sans plus de formalisme.

Il y a toutefois un inconvénient à réussir la mutualisation : lorsqu’on demande des moyens complémentaires, on se les voit parfois refuser parce qu’on a su dégager des excédents !

La mutualisation est, certes, une incitation à la vertu et à la coopération, mais elle offre également une possibilité aux collectivités d’un échelon supérieur, et surtout à l’État, de moins s’engager.

La pratique mutualiste des petites communes n’est pas récompensée. J’ai lu avec attention les dispositifs proposés par MM. les rapporteurs. Je formulerai deux objections : d’une part, dans les EPCI communautaires, ce sera toujours la plus grande collectivité qui prendra l’initiative ; d’autre part, ce sera toujours elle qui bénéficiera des dotations obtenues, par simple effet mécanique des pourcentages.

C’est la raison pour laquelle je vous demande de retenir l’idée d’un débat d’orientation budgétaire annuel entre les responsables des EPCI et l’ensemble des communes, proposée par nos collègues dans leur rapport, et de l’intégrer sous forme de mesure dans la réforme des collectivités territoriales.

Je m’attarderai un moment sur les services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS. Aux termes de l’article L. 1424–3 du code général des collectivités territoriales, « les services d’incendie et de secours sont placés pour emploi sous l’autorité du maire ou du préfet, agissant dans le cadre de leurs pouvoirs respectifs de police ».

Pourtant, les députés Georges Ginesta, Bernard Derosier et Thierry Mariani ont noté dans un récent rapport : « On peut se demander s’il faut continuer à inclure la sécurité civile dans la compétence du maire et du préfet en matière de police, alors que les SDIS sont désormais financés majoritairement par les conseils généraux. »

Ce constat est largement partagé par les membres de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Comme l’a rappelé M. le rapporteur Bruno Sido lors de la réunion de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du 25 mai 2010, les missions des SDIS en matière d’incendie et de secours relèvent de l’État tandis que leur financement provient en majorité des départements.

C’est la raison pour laquelle M. Sido souhaite que le statut des SDIS et les relations de ces derniers avec l’État et les départements soient clarifiés. Mes chers collègues, une fois de plus, mutualisation ne signifie pas raison, encore moins efficacité. Aujourd’hui, les SDIS sont présidés par des élus conseillers généraux. Demain, seront-ils présidés par des conseillers territoriaux ?

Les SDIS sont financés par les conseils généraux, dont la participation est majoritaire puisqu’elle s’élève à 54 %, par les collectivités et par l’État. Tout cela est bien. Mais sous l’autorité de qui sont placés les SDIS dans l’exercice de leurs pouvoirs de police ? Sont-ils placés sous l’autorité du préfet ou du maire ? Car c’est ce que prévoit l’article L. 1424-3 du code général des collectivités que citent les auteurs du rapport. S’il y a bien une rationalisation des moyens par le financement, la mutualisation n’est pas évidente en ce qui concerne le commandement, et ceux qui décident de l’engagement des capacités sur le terrain sont souvent éloignés des lieux de sinistre ou de prévention.

Ne pourrait-on pas, avec la réforme des collectivités territoriales, décider une fois pour toutes de faire des SDIS des directions départementales placées sous l’autorité du préfet et du maire ? Il serait ainsi prévu que les SDIS s’équipent, s’entraînent et se gèrent sous la responsabilité du président du conseil général, mais qu’ils interviennent sous la direction du préfet et du maire.

M. Jean-Luc Fichet. C’est le cas !

M. René Vestri. Une telle organisation simplifierait la compréhension, l’organisation et la gestion des SDIS, devenus des directions départementales de secours et de lutte contre les incendies.

Par ailleurs, les activités portuaires des communes du littoral pourraient être mutualisées au sein d’une structure qui leur serait propre. Plutôt que de transférer ces compétences à des EPCI qui, pour certains, ont plus de superficie montagneuse à gérer que de littoral à administrer, laissons faire les personnes qui savent diriger leurs installations au profit des usagers !

Dans tous les cas de figure, une mutualisation réussie est gage d’économies et de saine gestion. Il faudrait donc inciter les collectivités à mettre en œuvre cette pratique en prévoyant, par exemple, de bonifier les excédents et de placer l’épargne née de cette mutualisation. Pourquoi ne pas inviter les organismes auprès desquels les collectivités placent leurs bénéfices à majorer les placements excédentaires, sur avis conforme des services placés sous l’autorité des trésoriers-payeurs départementaux ?

Parfois, ce ne sont pas des économies que les communes réalisent, mais elles mettent simplement en place des synergies, donc des solidarités. Cet état d’esprit, favorable à une meilleure prise en compte des besoins des contribuables et des usagers, doit être encouragé par une simplification des structures de coopération ou par un toilettage des textes qui rendent possible cette collaboration. (Applaudissements au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.

M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne peux commencer mon intervention sur l’optimisation des moyens des collectivités territoriales sans rappeler les contraintes qui pèsent sur ces collectivités, plus particulièrement sur les intercommunalités, auxquelles je consacrerai l’essentiel de mon propos.

Je rappelle tout d’abord avec force, après un certain nombre d’orateurs, que la suppression de la taxe professionnelle, et donc de la TPU, va se traduire par une diminution des recettes fiscales, notamment pour les communautés d’agglomération – j’en préside une depuis plusieurs années – puisque c’était notre seule recette.

Le dispositif qui la remplace, outre qu’il est moins dynamique, nous éloigne des entreprises et ne nous incite pas à mettre en œuvre des politiques pouvant les attirer.

Par ailleurs, le nouveau dispositif intègre une ligne « fiscalité des ménages », ce qui signifie que ces derniers financeront désormais les opérations menées par les communautés d’agglomération, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.

Je souhaite également insister sur les contraintes qui affectent l’exercice des compétences des collectivités territoriales. En raison de ces contraintes, les collectivités sont incitées à mutualiser ou à optimiser, deux termes qui n’ont pas la même signification sur le terrain.

Je veux dire un mot du désengagement très fort de l’État. La révision générale des politiques publiques, la RGPP, et la mise en place de mesures telles que le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite conduisent les services, désormais réorganisés, à ne plus disposer de personnel pour accompagner les politiques menées par les collectivités.

Je pense aux services de l’État auxquels nous faisions appel en matière d’urbanisme, notamment pour l’instruction des permis de construire, comme cela a été rappelé tout à l’heure, ou en matière de maîtrise d’ouvrage pour l’assainissement et l’eau. Aujourd’hui, soit ces services n’existent plus, soit les délais d’attente sont tels qu’un certain nombre de communes sont incitées à reprendre ces structures à leur compte.

On nous dit qu’il faut mutualiser. Certes, mais nous le ferons sous la contrainte. De plus, la mise en place d’une nouvelle logistique se traduira obligatoirement par des surcoûts dans la mesure où les services mutualisés étaient auparavant assurés par des fonctionnaires de l’État. Le rapport d’information le souligne : mutualisation ne signifie pas forcément moindre coût ! Les exemples qui l’attestent sont nombreux.

La communauté d’agglomération que je préside, comme beaucoup d’autres intercommunalités, a mutualisé le service des déchets ménagers, auparavant assuré par les communes, et a réengagé le personnel municipal. Cette transformation et la création d’un vrai service de déchets ménagers ont néanmoins pris un certain temps, le personnel ayant d’abord été mis à disposition.

De surcroît, nous avons dû procéder à des mises à niveau de matériels, car un certain nombre de communes, sachant que la compétence allait être mutualisée, n’avaient pas réalisé les investissements nécessaires.

Ensuite, les citoyens ont demandé la mise en place de services supplémentaires. Nous sommes ainsi passés d’une collecte simple de déchets ménagers à une collecte sélective des déchets recyclables, puis à une collecte sélective des déchets verts, puis à la mise en place de déchetteries. La prise de compétence, qui constitue, comme l’a fort bien indiqué M. Mézard, l’aboutissement ultime de la mutualisation, ne s’est absolument pas traduite par des économies d’échelle ; elle a au contraire entraîné des surcoûts, même si aujourd’hui nous avons réussi à les lisser.

Il faut donc le dire haut et fort : d’une part, le contexte est extrêmement contraint, en grande partie en raison de la politique menée par le Gouvernement aujourd’hui ; d’autre part, la mutualisation n’engendre pas forcément une réduction des coûts.

Je remercie les rapporteurs – Alain Lambert, Yves Détraigne, Jacques Mézard, Bruno Sido – de leur travail, ainsi qu’Edmond Hervé, qui a enrichi cette réflexion par sa parfaite connaissance de l’intercommunalité et des systèmes de péréquation et de mutualisation, même s’il n’est pas cosignataire du rapport d’information. Un certain nombre de propositions qui figurent dans le rapport sont intéressantes. Pourront-elles être mises en œuvre au regard des contraintes que j’ai précédemment signalées ?

Ainsi que l’a demandé M. Lambert, il faut mettre l’accent sur la sécurisation juridique, particulièrement en ce qui concerne la mutualisation ascendante. Prenons le cas de ma communauté d’agglomération : compétente pour l’aménagement des bords d’une rivière, l’Isle, elle a installé le long des berges des pistes cyclables et des jardins. Bien qu’elle n’ait pas la compétence voirie, elle est chargée de l’entretien des pistes cyclables et piétonnes, ainsi que des jardins. La communauté d’agglomération a confié l’entretien de ces espaces, notamment le balayage de la piste verte et de la voie cyclable, aux communes qui ont leurs propres services d’entretien : toutefois, le procédé n’est pas tout à fait légal.

Monsieur le secrétaire d'État, si je ne devais formuler qu’une seule demande concernant le projet de loi en cours d’examen, c’est qu’il offre une sécurité juridique à la mutualisation ascendante. Nous sommes tous à peu près d’accord sur la mutualisation descendante, pour laquelle nous trouvons des solutions, mais la mutualisation ascendante pose problème. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.

M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je remercie tout d’abord MM. les rapporteurs. Le document qu’ils ont rédigé est de nature à nous inspirer de manière très intéressante pour faire évoluer la législation dans le sens d’une meilleure optimisation et d’une plus grande mutualisation.

Le système est-il perfectible ? Pourquoi la mutualisation est-elle accueillie avec une telle frilosité ? Je cite le rapport : « Les seigneurs qui, au temps de la féodalité, rassemblaient les armées de leurs vassaux, ne la pratiquaient-ils pas déjà ? L’union des communautés villageoises contre le brigandage n’était-elle pas une forme de mutualisation ? » J’espère que le brigandage a disparu ! Pourtant, à entendre les propos de certains de nos collègues sur les injustices et les irrégularités qui existent, nous pourrions manifestement, si nous les recherchions, trouver des formes modernes de brigandage… Mais là n’est pas le sujet !

Comme le soulignent les auteurs du rapport, l’intercommunalité et la mutualisation visent « à assurer des services qu’une collectivité n’a pas ou plus les moyens d’accomplir seule » et « à améliorer les services existants ».

L’optimisation et la mutualisation, messieurs les rapporteurs, devraient permettre de donner une ambition et un souffle nouveaux. J’entends beaucoup parler de péréquation. Ne serait-il pas logique que, sur certains points au moins, nous allions vers une meilleure cohérence territoriale et une plus grande harmonisation fiscale ?

La suppression de la taxe professionnelle, qui était l’impôt unique, impose l’ouverture d’un débat sur la fiscalité que nous souhaitons mettre en place afin de fixer non seulement les grands équilibres, mais également les moyens d’y parvenir.

Je voudrais citer l’exemple de la communauté d’agglomération d’Annecy, à laquelle j’appartiens : la ville-centre a un taux de fiscalité – taxe d’habitation et taxe foncière sur les propriétés bâties – supérieur à 16 %, alors que certaines communes membres de l’intercommunalité ont une fiscalité inférieure à 7 %. Comment faire dans ce cas puisque nous allons vers une fiscalité locale partagée, mixte ou mutualisée, selon les différents noms qui lui sont donnés ?

Nous ne pouvons pas lancer le débat, ou du moins faire évoluer la péréquation, si nous ne nous penchons pas sur ce problème. Il faut essayer de trouver les moyens d’aller vers l’harmonisation en tenant compte des obligations et des contraintes législatives, normatives et réglementaires, avec pour objectif le taux unique à terme.

Monsieur le secrétaire d'État, l’harmonisation, qui est en marche, est l’un des sujets que le projet de loi devra traiter. Il faudra prévoir un calendrier évitant les évolutions trop rapides, les chocs et, bien entendu, les polémiques qui pourraient s’ensuivre.

Par ailleurs, il faut rassembler dans des syndicats mixtes des collectivités faisant partie d’un périmètre territorial cohérent et pertinent, pour une gestion commune optimisée d’un certain nombre de services : l’eau, l’assainissement, les déchets, les transports publics de voyageurs.

En matière de transports publics, sans exclure les agglomérations qui, de par la loi d’orientation des transports intérieurs, bénéficient d’une autonomie d’organisation de transports, il faut prévoir cette gestion en relation avec les départements, qui ont reçu cette compétence, mais qui l’utilisent de manière plus ou moins égale selon le type de territoires – ruraux, péri-urbains –, et souvent sans connexion suffisante avec les services urbains organisés.

Je rappelle que la réussite de La Poste est due au tarif unique du timbre : que vous écriviez à votre voisin ou à une personne habitant à l’autre bout du pays, l’affranchissement est le même.

Pour des collectivités situées sur un territoire cohérent, qui ont décidé de se regrouper pour leur avenir, la logique est donc d’aller vers l’harmonisation, grâce aux syndicats mixtes et aux intercommunalités, et vers un tarif unique des services.

Certaines communes ont des taux de fiscalité bas, qui s’expliquent par l’absence de services, les communes en question n’ayant pas ou plus les moyens d’organiser ces derniers.

Mais nous ne devons pas oublier que d’autres communes ont des taux de fiscalité bas parce qu’elles ont eu une bonne gestion, qu’elles ont été très attentives aux dépenses de fonctionnement, qu’elles ont choisi de privilégier l’investissement et qu’elles sont allées vers des intercommunalités intelligentes, au périmètre territorialement cohérent, constituées d’un mélange entre communes à gros moyens, ayant d’importantes assiettes fiscales ou techniques – volume d’eau, tonnage des déchets, densité des transports à organiser, notamment scolaires –, et communes moins bien dotées.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, tous ces problèmes méritent une analyse approfondie. Le rapport d’information de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation a le grand mérite de nous éclairer avant d’aborder un projet de loi rendu indispensable par la suppression, que nous avons largement soutenue sur ces travées, de la taxe professionnelle, suppression qui rend nécessaire une évolution urgente vers une harmonisation fiscale dont j’ai essayé d’ébaucher les grandes lignes aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.

M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, mes chers collègues, avec ce Gouvernement, nous ne sommes pas à un paradoxe près ! Nous défendons aujourd’hui dans l’hémicycle, grâce au formidable travail de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, l’idée de développer la mutualisation dans les politiques territoriales. Or tout a été mis en œuvre par le pouvoir actuel pour que cette mutualisation, qui existait, disparaisse !

Il est d’ailleurs intéressant de comparer les propositions essentielles que contient le rapport de la délégation pour améliorer les politiques publiques avec celles qui sont mises en œuvre par le Président de la République et qui ont pour seul objectif de réduire à néant ces mêmes politiques publiques.

Ce débat ne peut être détaché du contexte dans lequel il se déroule. La vie des collectivités territoriales est aujourd’hui bouleversée par les projets du Gouvernement. Le projet de loi de réforme des collectivités territoriales est injuste, recentralisateur et inefficace.

J’en viens à notre débat.

Messieurs les rapporteurs, vous définissez la mutualisation des moyens des collectivités territoriales comme « la mise en place, temporaire ou pérenne, d’une logistique commune à deux ou plusieurs collectivités ». Où est la nouveauté ? Vous n’inventez rien ! Il faudrait plutôt dénoncer la mise à mal des mutualisations existantes.

Prenons l’exemple de l’expertise au service des collectivités. La réduction, sans contrepartie, que l’on fait subir aux services déconcentrés – je pense notamment aux directions départementales de l’équipement – fait aujourd’hui revenir sur le devant de la scène l’idée d’une mutualisation de l’expertise.

De fait, disposer d’une étude neutre et impartiale des projets est essentiel à la dynamique des collectivités territoriales et à leur bonne gestion. Nous souhaitons tous ici la mise en place de politiques mutualisées au service de l’intérêt général, mais, comme l’a précisé Edmond Hervé, de nombreuses collectivités n’auront pas la capacité « de se doter de certains services experts pour jouer leur rôle de maîtrise d’ouvrage ». Malheureusement, les élus locaux que nous sommes sont confrontés à ce manque d’expertise neutre et impartiale depuis que les services de l’État ne jouent plus ce rôle essentiel.

Je retiens donc de la proposition de M. Hervé l’idée « de créer entre les collectivités des services d’expertise pour venir en aide aux petites collectivités dans trois domaines : la fiscalité, l’environnement et l’urbanisme ».

Le projet de loi de réforme des collectivités territoriales permet au département de contribuer au financement des opérations dont la maîtrise d’ouvrage est assurée par les communes ou leurs groupements, et c’est là un point positif.

Mais nous devons aller plus loin. Cette expertise doit être non seulement neutre et indépendante, ainsi que je l’ai souligné, mais également accessible à l’ensemble des collectivités pour lesquelles le fait de contractualiser de manière récurrente avec un cabinet de conseil privé a un coût important, voire exorbitant. Il faut donc recréer un service d’expertise neutre pour assister les collectivités.

Je voudrais parler ici du désarroi des élus dans leurs relations vis-à-vis d’entreprises multinationales avec lesquelles, en l’absence de tiers objectif, ils signent des contrats parfois léonins. Les collectivités territoriales sont sans protection quand les entreprises viennent « se partager le gâteau » sur leur dos.

On le voit dans nos communes avec les contrats d’affermage en matière d’assainissement, de gestion de l’eau potable ou des ordures ménagères. Aujourd’hui, ces contrats sont la seule solution dont disposent ces collectivités. Or elles sont démunies face aux entreprises concernées qui, il faut le dire, se sont bien souvent réparti le territoire.

La commune a beau vouloir lancer un nouvel appel d’offres en cas de renouvellement du contrat, ce n’est pas elle, en définitive, qui a la haute main sur cette question. Or la mutualisation pourrait s’entendre comme une régie, afin que les collectivités se voient offrir une véritable alternative et que soient réunies les conditions d’une vraie concurrence.

Je me félicite de ce que les rapporteurs ne fassent pas de la nécessité de réaliser des économies d’échelle l’objectif premier de la mutualisation. La mutualisation peut et doit favoriser l’optimisation des coûts, mais elle n’est pas la réponse à la crise financière.

Je souhaiterais enfin élargir la réflexion à la mutualisation des moyens autour d’un projet politique. La mutualisation en matière d’administration territoriale est un concept très fort. Il s’agit non plus d’être les uns à côté des autres, mais bien d’être tous intéressés par ce que fait l’autre. Il s’agit d’une authentique solidarité territoriale. C’est cela qui a été à l’origine de l’intercommunalité et c’est cela qui permet de dépasser les rivalités entre communes.

Cependant, il faut prendre garde : la mutualisation ne peut pas être un pansement destiné à couvrir les manquements de l’État.

On le voit, par exemple, pour la mise en place du haut débit sur tout le territoire : la liaison numérique est devenue une nécessité de service public et, pourtant, l’État ne joue pas son rôle en la matière. Dans les agglomérations attractives, les opérateurs privés se précipitent, mais il n’en va pas de même dans les zones les plus éloignées. Lâchées par l’État et par les opérateurs privés, les communes ne peuvent pas financer seules cette nouvelle charge. C’est alors que la mutualisation se met en œuvre. On le constate dans le Finistère, avec le projet haut débit du département.

La mutualisation qui s’impose par défaut est toujours regrettable. Or j’estime que la mutualisation peut être pour les responsables des collectivités territoriales une nouvelle façon de penser. Il s’agit de travailler mieux et au plus près des besoins. Il s’agit de donner un avenir à chacune des collectivités. Il ne s’agit pas, pour les communes périphériques ou éloignées, de se défier de la ville-centre, mais plutôt de se donner les moyens de mieux travailler ensemble et de faire émerger ce qu’il y a de plus fort dans chaque entité.

La mutualisation doit s’apprécier entre tous les niveaux de collectivités. Notre réflexion dépasse la seule vision intercommunale et ne doit pas s’arrêter à un niveau territorial. Ce débat doit se poursuivre... si le Gouvernement nous en donne les moyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)