M. Yvon Collin. Nous sommes ambitieux !

M. Charles Guené, rapporteur. La taxe sur les transactions financières défendue par notre pays est une taxe de rendement dont le produit doit permettre de financer des biens publics mondiaux, le développement ou encore la lutte contre le changement climatique.

Est-ce à dire que la France abandonne l’idée de lutter contre l’instabilité financière ?

M. Charles Guené, rapporteur. Non, bien sûr ! Mais les instruments doivent être adaptés aux objectifs recherchés.

S’agit-il de lever des fonds ? Nous venons de le voir, une taxe sur les transactions financières au niveau international est pertinente.

S’agit-il de faire rembourser aux banques le coût de la crise ou bien de limiter les risques qu’elles prennent ? Une taxe sur les banques semble opportune.

Je me félicite que Christine Lagarde ait annoncé hier son intention d’instaurer une telle taxe à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2011.

Mme Nicole Bricq. Nous avions vainement interrogé Mme Idrac hier sur ce sujet à l’occasion des questions cribles thématiques : les droits du Parlement ont été foulés aux pieds !

M. Charles Guené, rapporteur. La taxation des institutions financières sera à l’ordre du jour du G20 qui se tient ce week-end. Les Européens devraient présenter un front uni pour « définir une stratégie à l’échelle de la planète visant à l’instauration de systèmes de prélèvements et de taxes sur les établissements financiers ». Nous en avons d’ores et déjà l’illustration avec la déclaration commune des gouvernements français, britannique et allemand, hier.

Les réflexions sur les aspects fiscaux de la régulation financière vont bon train. Outre le G20, le Fonds monétaire international, l’Union européenne, notamment la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Hongrie, ont d’ores et déjà exprimé leurs points de vue sur le sujet.

C’est pourquoi, même en cas de désaccord au sein du G20, trois grands États européens mettront effectivement en œuvre une taxe sur les banques. Il va de soi néanmoins qu’un accord international renforcerait la portée de cet impôt !

Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas ce qu’indiquent les dépêches de l’AFP !

M. Charles Guené, rapporteur. Dans le même esprit, la Commission européenne retient le principe du pollueur-payeur et souhaite présenter un texte à l’automne afin de mettre en œuvre des fonds de résolution nationaux alimentés par des taxes nationales. Celles-ci seraient toutefois définies à l’échelle communautaire pour ce qui est de leur taux et de leur assiette, afin d’éviter des distorsions d’application entre les États membres.

Je pourrais dérouler tout un inventaire à la Prévert des initiatives internationales mais je souhaite m’intéresser plus spécifiquement au cas français.

En France, deux taxes ont été créées. La première, votée en loi de finances pour 2010, est destinée à financer la supervision du secteur bancaire et assurantiel : il s’agit de la contribution pour frais de contrôle.

La seconde est une taxe exceptionnelle sur les bonus des opérateurs de marché, payée par les banques au titre des bonus versés en 2009. Si elle permet de faire participer le secteur financier au redressement des finances publiques, elle ne constitue pas un outil durable de stabilisation.

Je le disais à l’instant, un nouveau pas devrait être franchi à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2011. À cet égard, madame la secrétaire d’État, j’espère que vous pourrez, en avant-première, nous en dire un peu plus sur les intentions du Gouvernement.

La commission des finances a également apporté sa contribution à la réflexion en cours. Elle a suggéré qu’une taxe sur les banques vienne en substitution de la taxe sur les salaires. Nous pourrions ainsi rendre un impôt existant plus intelligent puisque son produit augmenterait à due proportion des risques pris par les banques et non des embauches qu’elles réalisent ! Une telle taxe contribuerait à prévenir – plutôt qu’à guérir - le risque systémique. Un rapport sur ce point devra en principe nous être rendu par le Gouvernement d’ici à la fin du mois de juin, conformément à l’article 6 de la loi de finances pour 2010.

Sachant que les banques devront faire un important effort de recapitalisation, la commission a le souci de ne pas augmenter démesurément les charges imposées aux banques. La légitime préoccupation d’éviter d’autres crises ne doit pas nous conduire à perturber le financement de l’économie.

Au final, au terme de cette analyse, si je partage les préoccupations exprimées par Yvon Collin et les membres de son groupe, je ne pense pas que la proposition de loi puisse être adoptée par le Sénat : elle ne permet pas d’atteindre l’objectif qu’elle se fixe et, à défaut d’être adoptée au niveau international, elle risquerait de pénaliser gravement la place de Paris. Comme je vous l’ai montré, d’autres instruments sont envisageables pour réduire l’instabilité financière. Des progrès importants ont d’ores et déjà été accomplis, par exemple sur la question des bonus et, comme je l’ai précisé, d’autres travaux suivent leur cours.

Par ailleurs, sur la question des paradis fiscaux, le texte prévoit des taux différenciés et plus élevés pour les transactions avec ces juridictions. Il s’agit d’un objectif partagé tant par le Gouvernement que par la commission. Toutefois, l’article 22 de la loi de finances rectificative pour 2009 a permis de doter notre pays d’un dispositif exhaustif de lutte contre les paradis fiscaux qui repose sur l’établissement de notre propre liste de territoires non coopératifs. Il importe, pour l’instant, de le laisser vivre.

Enfin, une ultime position de principe me conduit à émettre un avis défavorable. La dernière conférence sur le déficit a posé le principe selon lequel les questions fiscales relèveront désormais du domaine exclusif des lois de finances. Je sais que cet argument vous gêne, mon cher collègue. Toutefois, notre commission a longtemps milité pour une telle initiative. C’est pourquoi nous devons, avant même l’adoption d’une loi constitutionnelle, nous l’appliquer à nous-mêmes avec constance et persévérance.

En conclusion, vous l’aurez compris, je ne suis pas favorable à l’adoption de la proposition de loi présentée par nos collègues du groupe du RDSE. Je vous propose donc de ne pas en adopter les articles, ce qui entraînera de facto son rejet. (M. Simon Loueckhote applaudit.)

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord, au nom du Gouvernement, remercier Yvon Collin et les membres du groupe du RDSE d’inviter le Sénat et le Gouvernement à réfléchir « à point nommé », pour reprendre l’expression de Charles Guené, sur deux sujets essentiels pour la stabilité internationale : la régulation du système financier international, d’une part, et le financement du développement, d’autre part, à la faveur, selon votre proposition, d’une taxe sur les transactions financières internationales. J’aborderai cette proposition de loi sous ces deux angles conjoints.

S'agissant de la régulation du système financier international, vous me semblez quelque peu excessif, monsieur le sénateur, …

M. Yvon Collin. C’est rare !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. … quand vous indiquez que tout reste à construire. Il serait tout aussi abusif d’imaginer que quiconque, sur ces travées ou au sein du Gouvernement, serait pour la spéculation.

L’action de la France au cours des derniers mois, que ce soit au niveau international, communautaire ou intérieur, est manifeste. Des initiatives ont été prises, qui placent la France à la pointe de ces combats. D'ailleurs, un certain nombre de résultats apparaissent déjà, en particulier depuis que le Président de la République a ancré au cœur de l’action du G20 la réforme du système financier et la régulation financière.

D’ores et déjà, je voudrais rappeler un certain nombre de points acquis ou dont le succès est en bonne voie.

Vous avez fait allusion, monsieur le rapporteur, à la question de l’encadrement de la rémunération des opérateurs de marchés. Sous l’impulsion de la France, le G20 a adopté des règles fortes que nous avons été le premier pays à mettre en œuvre, dès le mois de novembre dernier.

Vous avez également évoqué la question des juridictions non coopératives, autrement dit les « paradis fiscaux ». Depuis l’année dernière, à la suite des dispositions prises sous l’impulsion du G20, notamment dans le cadre de l’OCDE, plus de 400 accords permettant l’échange d’informations fiscales ont été signés dans le monde. Ils ont ainsi été multipliés par plus de quatre en quelques mois. Le secret bancaire opposable jusqu’à présent dans ces territoires ne peut plus servir d’excuse.

La France, là encore, a été en avance sur ce combat puisque, par la loi de finances rectificative pour 2009, ont été mises en place des mesures de rétorsion très sévères à l’encontre des paradis fiscaux.

Nous avons par ailleurs régulé les agences de notation. À compter du 7 décembre prochain, les agences de notation devront être agréées et contrôlées au niveau européen. Le projet de loi de régulation bancaire et financière qui sera examiné à la fin du mois de septembre par votre Haute Assemblée donnera pouvoir à l’Autorité des marchés financiers pour sanctionner les agences en cas de besoin.

Parallèlement, le G20 de Washington a décidé de réguler les marchés dérivés. Toutes les transactions seront désormais enregistrées dans des bases de données transparentes et accessibles aux pouvoirs publics. Il est également prévu que les transactions sur dérivés seront compensées dans des chambres de compensation. À ce titre, pour être efficace, la Commission européenne proposera à l’automne un règlement européen pour mettre en œuvre ces décisions sur les marchés dérivés.

Quant à la question des fonds alternatifs, le G20 de Londres, toujours sous l’impulsion de la France, a décidé que ces fonds feraient l’objet d’un agrément et seraient soumis à des règles de transparence. Au mois de mai dernier, les ministres européens des finances ont adopté un projet de directive européenne qui comprend des mesures fortes et permettra aux autorités nationales d’être dotées de réels pouvoirs, avec notamment la possibilité d’intervenir en cas de circonstances exceptionnelles.

Enfin, j’évoquerai la question des ventes à découvert et des marchés dérivés. Le projet de loi de régulation bancaire et financière renforce un certain nombre de dispositifs par lesquels l’Autorité des marchés financiers pourra imposer la transparence et, en cas de circonstances exceptionnelles, interdire certaines pratiques ainsi que les ventes elles-mêmes.

Comme vous pouvez le constater, la France est à la pointe du combat en matière de régulation du système financier. Ce combat est à la fois international, communautaire et national. Évidemment, il sera d’autant plus efficace qu’il sera partagé par nos partenaires.

Avec ce texte, vous allez au-delà de ces mesures en proposant d’instituer une taxe destinée à contribuer à l’objectif de meilleure régulation.

L’excellence du rapport de Charles Guené me permet de ne pas reprendre l’analyse point par point. Je voudrais toutefois vous confirmer plusieurs éléments, comme je l’avais déjà annoncé puisqu’il se trouve que les questions cribles thématiques au Gouvernement portaient hier sur des sujets proches.

Tout d’abord, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont fait une déclaration commune – dont je vous ai donné communication hier – par laquelle ils s’engagent à mettre en œuvre une telle taxe. Les chefs d’État de ces trois pays seront des forces de proposition pour avancer sur ce point au sommet du G20 qui se tiendra à Toronto à la fin de la semaine. Le Président de la République a été particulièrement clair sur ce sujet, au côté, en particulier, de la présidence canadienne.

Il est évidemment très important que la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne puissent éventuellement rallier d’autres pays.

De surcroît, à l’échelon national, je vous confirme que nous avons l’intention d’inscrire dans le projet de loi de finances pour 2011 une taxation des activités les plus risquées du secteur financier, afin de lutter contre les phénomènes spéculatifs et leurs risques.

Nous avons procédé à de premières simulations depuis que la décision a été annoncée en fin de journée hier et il pourrait s’agir de plusieurs centaines de millions d’euros. Nous en débattrons bien évidemment avec le Sénat, en particulier avec la commission des finances. L’assiette comme le taux devront faire l’objet d’examens approfondis auxquels, j’en suis sûre, le Sénat contribuera très positivement.

Nous sommes déterminés à conduire l’ensemble de ces travaux en parfaite coordination avec nos partenaires européens, je viens d’en donner le témoignage factuel. Comme l’a justement indiqué M. le rapporteur, en matière de régulation financière, nous savons bien, hélas, qu’il est possible d’échapper assez facilement à des régulations strictement nationales.

Par ailleurs, je souligne que nous avons un intérêt collectif à renforcer la confiance dans l’Europe et en Europe. Cela passe, entre autres, par une attitude commune d’opposition, ferme et coordonnée, à l’exubérance et à la volatilité des marchés, ainsi qu’à la spéculation.

Votre proposition de loi, monsieur le sénateur, est également intéressante en termes de financement du développement. Elle fait écho à notre propre volonté de développer des solutions innovantes pour financer le développement et les mesures de lutte contre le changement climatique.

La conférence de Paris de 2006 – M. le rapporteur et vous-même y avez fait allusion – avait marqué une étape très importante. La France avait alors eu l’idée d’instaurer une taxe sur les billets d’avion,…

Mme Nicole Bricq. Nous étions les seuls à vouloir la voter au départ !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. … idée qu’elle était parvenue à faire partager. Nous sommes un peu dans la même situation aujourd'hui. En pionnier, notre pays a réussi à démontrer que les financements innovants, en l’occurrence la taxe sur les billets d’avion, constituaient une réponse crédible aux défis de dimension planétaire.

De fait, cinquante-neuf pays ont adhéré au Groupe pilote sur les contributions de solidarité en faveur du développement que nous avions proposé ; vingt-neuf pays ont d’ores et déjà décidé de mettre en œuvre la contribution de solidarité sur les billets d’avion ; douze d’entre eux l’ont déjà introduite dans leur législation nationale.

Depuis son lancement, la taxe a rapporté plus de 600 millions d’euros, qui ont permis de financer la vaccination de quatre millions d’enfants, ainsi que 21 millions de traitements, en particulier contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Cela a été dit, la taxe, d’un montant modeste, mais dont l’assiette est très large, est efficace et n’a pas créé de distorsions, car elle est mise en œuvre dans de nombreux pays.

Le Gouvernement réfléchit aujourd'hui à d’autres propositions. Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous travaillons sur deux plans : nous envisageons, d’une part, une taxation des banques – elle sera mise en œuvre au moins dans trois pays européens dès l’année prochaine – et, d’autre part, une taxe sur les transactions financières internationales. Les recettes de ces taxes seraient affectées au financement de biens publics mondiaux, je pense en particulier à la lutte contre le changement climatique et contre la pauvreté et à des mesures en faveur du développement.

Il nous semble que le rendement de telles taxations sera d’autant plus élevé et les inconvénients qui y sont associés d’autant plus réduits que celles-ci seront appliquées à l’échelon international.

Au mois de décembre dernier, M. le ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, et Mme la ministre de l’économie, Christine Lagarde, se sont exprimés ensemble et publiquement en faveur de cette initiative.

Plus récemment, afin de préparer la réunion du G20, Mme la Chancelière Angela Merkel et M. le Président de la République Nicolas Sarkozy ont adressé au Premier ministre canadien une lettre dans laquelle ils appellent à la création d’une taxe internationale sur les transactions financières.

Sans attendre, plusieurs types de travaux internationaux ont été lancés. Sur l’initiative de la France, un groupe d’experts a été constitué au mois d’octobre 2009 afin d’étudier les taux et les assiettes des différentes taxes envisagées, leurs avantages et inconvénients respectifs, et de faire des propositions concrètes.

La France préside également un groupe de travail sur les taxes sur les transactions financières et autres mécanismes non climatiques – les taxes qui ne sont pas assises sur le taux d’émission de CO2, par exemple – chargé de faire des propositions en vue de trouver de nouvelles ressources pour financer la lutte contre le changement climatique.

Comme vous pouvez le constater, monsieur le sénateur, le Gouvernement partage les objectifs de votre proposition de loi et adhère à sa philosophie. (M. Yvon Collin s’exclame.) Cela étant dit, nous pensons que la taxation des transactions financières doit être mise en œuvre dans toute la mesure possible au niveau international. Nous pensons également que les propositions que la France défend dans les institutions internationales ont valeur d’exemplarité.

Je tiens néanmoins à remercier une nouvelle fois M. Collin et le groupe RDSE d’avoir suscité ce débat. Je remercie également M. Guené, dont l’analyse et le rapport éclairent admirablement les sujets dont nous traitons.

En conclusion, je vous confirme que l’engagement du Gouvernement et du Président de la République sera absolu, que ce soit lors de la réunion prochaine des chefs d’État et de gouvernement lors du G20 ou dans le cadre de la présidence française de ce même G20 en 2011. (M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur applaudissent.)

M. le président. Avant que se poursuive la discussion générale, je tiens à féliciter le président du groupe RDSE, car il a su rassembler en séance aujourd'hui plus de 50 % des membres de son groupe ! Ce fait mérite d’être souligné.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bravo !

M. Yvon Collin. Nous sommes majoritaires en séance ! Et si nous votions à main levée ? (Sourires sur les travées du RDSE.)

M. François Marc. Seuls les présents en séance devraient voter !

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de nos collègues du groupe RDSE présente au moins un intérêt : elle met en lumière les enjeux véritables de la crise financière systémique que le monde traverse depuis l’été 2008, crise dont les tenants, les aboutissants et les répliques doivent être plus clairement identifiés.

Dans son rapport, notre collègue Charles Guené, arc-bouté sur la défense des positions les plus libérales, ne dit d’ailleurs pas autre chose. (Rires sur les travées du RDSE.)

Il ne dit pas autre chose quand il indique que les périodes de crise sont propices à l’émergence de propositions tendant à mettre certains des acteurs et des « fauteurs de crise » face à leurs responsabilités.

Tout d’abord, les « fauteurs de crise » ont-ils effectivement pris leur part de responsabilité dans les solutions mises en place pour atténuer les conséquences de la crise et pour en sortir ? Vous savez bien que non ! Ils ont au contraire continué sur la même voie.

Les différentes décisions prises depuis le mois d’octobre 2008 – le plan de sauvetage des banques, la constitution de la Société de financement de l’économie française et de la Société de prises de participation de l’État, ainsi que, dernièrement, le plan dit « de sauvetage de la Grèce » – montrent bien que la crise n’a pas été enrayée, alors que ceux qui en portent la responsabilité s’en sortent plutôt bien.

Le « sauvetage » de la Grèce n’a servi qu’à garantir aux banquiers créanciers de la République hellénique qu’ils rentreraient dans leurs fonds, tandis qu’un plan d’austérité sans équivalent en Europe était imposé aux 11 millions d’habitants de ce pays.

En France, les établissements financiers et les banques n’ont pas eu à respecter – le Gouvernement a eu tort contre tous les autres – le moindre engagement ferme en contrepartie des dispositions qui ont été prises en leur faveur. En conséquence, leurs pratiques n’ont pas varié d’un iota.

Comme le rappellent nos collègues dans l’exposé des motifs de leur proposition de loi, le Gouvernement avait indiqué que l’aide accordée par l’État aux banques devait s’accompagner d’une reprise des activités de crédit à destination tant des entreprises que des ménages. Or l’accès au crédit a été rendu de plus en plus difficile, pour les petites et moyennes entreprises comme pour les ménages, ce qui a entraîné en 2009 une récession économique près de quatre fois plus importante que la récession mondiale !

En outre, les pratiques de rémunération exorbitante n’ont pas disparu. En effet, moins d’un an après avoir perçu de l’État, via la Société de prises de participation de l’État, 5 milliards d’euros en quasi-fonds propres, la BNP a décidé de distribuer 1 milliard d’euros de bonus et de primes à ses traders et à ses cadres !

Enfin, profitant de la crise et tirant parti de la fragilisation des opérateurs concernés, le Gouvernement a décidé de fouler aux pieds les règles de fonctionnement spécifiques du réseau des caisses d’épargne et des banques populaires. Il est plus que temps que les banques et les compagnies d’assurance de notre pays soient soumises à de nouvelles obligations vis-à-vis de la société tout entière.

La commission des finances est majoritairement défavorable à cette proposition de loi, ce qui n’est guère étonnant compte tenu de l’attitude qui a été la sienne lorsque cette question a été soulevée à d’autres moments. En effet, pendant des années, la commission a défendu la disparition de toute fiscalité sur les opérations boursières. Elle a appelé de ses vœux la libéralisation des transactions financières, voire le développement de l’industrie financière.

Pourquoi refuser une telle taxation alors qu’elle ne vise tout simplement qu’à rendre le système bancaire plus efficace et à lui rappeler que nous ne voulons pas de la spéculation financière ?

Qui a envahi le marché avec des produits dérivés, encourageant une spéculation effrénée, toujours plus consommatrice de liquidités ?

Qui a inventé, perfectionné et mis en œuvre la titrisation ?

Qui, via l’intervention de filiales implantées à l’étranger, parfois dans des paradis fiscaux, spécule contre la dette publique des États, contre l’euro, cette monnaie unique qui devait nous protéger des crises monétaires ?

Qui propose à de généreux contribuables, émigrés fiscaux sans considération pour leur patrie d’origine, des produits financiers toujours plus rémunérateurs, comme le montre le recours croissant aux ventes à découvert, aux CDS, Credit Default Swaps, ces fameuses assurances pour défaut de paiement ? Et je ne parlerai même pas des titres de dette publique française !

Ce sont nos banques et nos compagnies d’assurance, celles-là mêmes que la commission des finances entend préserver de toute nouvelle taxation !

Il ne faudrait ainsi faire aucune peine, même légère, aux tenants du capital et aux spéculateurs. En revanche, il faut mettre la dépense publique au régime sec et allonger la durée de cotisation ouvrant droit à une retraite à taux plein. Tous les arguments avancés dans le rapport ou en commission ne tiennent pas. Ils ne sont que prétextes pour balayer d’un revers de la main la proposition de loi relative à la taxation de certaines transactions financières.

La taxation des transactions financières, on le voit bien, est une question de volonté politique, de choix de société. Dénoncer le décrochage entre le système financier spéculatif et l’économie réelle ne suffit pas. Nous avons besoin d’actes concrets.

L’attitude de la majorité de la commission des finances est d’autant plus surprenante que – Mme la secrétaire d’État vient de le confirmer – le Président de la République souhaite qu’un débat sur la taxation des transactions financières ait lieu lors du G20. L’adoption de la proposition de loi donnerait donc du poids à la voix du Président de la République lors de ce sommet.

Les temps changent. Écoutez par exemple le chef de la première puissance économique du monde : il exprime la volonté de faire payer le prix fort à l’une des compagnies pétrolières les plus puissantes de la planète pour les dégâts qu’elle occasionne sur les côtes du golfe du Mexique. Quand on connaît le poids du lobby pétrolier, on mesure le chemin parcouru ! Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les taxations des transactions financières ?

Mes chers collègues, il est plus que jamais légitime de débattre de la proposition de loi relative à la taxation de certaines transactions financières, et ce sans attendre une nouvelle loi de finances rectificative. Pour notre part, nous l’appuierons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise profonde qui a débuté en 2008 a pris racine dans un ensemble de dérèglements majeurs : les errements des fonds spéculatifs non réglementés, l’opacité des paradis fiscaux, la dissimulation et la dissémination du risque par voie de titrisation.

Ces dérèglements sont liés à un déséquilibre plus profond du système économique et financier. Les multiples transactions et titrisations à caractère spéculatif nous ont conduits à la situation, à peine croyable, que nous connaissons aujourd’hui, à savoir la financiarisation de l’économie.

En termes de flux, la valeur originelle des biens et des services réellement créés est aujourd'hui multipliée par cinquante. Cela signifie que lorsqu’un euro de valeur est créé, il donne lieu à 50 euros d’échanges dans la sphère financière, ce qui est considérable.

La course fiévreuse aux profits spéculatifs à court terme a, de fait, créé une bulle financière déconnectée de l’économie réelle. On sait aujourd’hui les dégâts humains et sociaux considérables engendrés par l’éclatement de cette bulle.

L’encadrement du secteur financier et des banques est, dès lors, absolument nécessaire. Il importe de remettre le système financier au service de l’économie réelle. Afin d’éviter la répétition de ce type de crise, nous devons faire émerger des dispositifs sérieux de régulation et de dissuasion.

C’est dans cette perspective qu’une taxe sur les transactions financières apparaît comme un instrument de justice et d’efficacité, et la proposition de loi de M. Collin a l’avantage de nous proposer une avancée législative en la matière.

Certains considèrent aujourd’hui que cette taxe est inapplicable et doutent de son efficacité. Pourtant, les taxes dites « distorsives » existent. D’autres exemples de fiscalité visant à corriger des comportements nocifs sont déployés ici et là. La taxe sur le tabac illustre cette action dissuasive que l’autorité publique peut décider de mettre en œuvre.

Le texte que nous étudions aujourd’hui vise à enrayer l’explosion des comportements spéculatifs. Eu égard à leurs conséquences négatives avérées, on peut, par la loi, tenter de renchérir le coût des actes spéculatifs et donc aboutir à une dissuasion améliorée.

Or, sur ce plan, on ne peut manquer de déplorer le manque d’activisme gouvernemental ; certes, il y a beaucoup de déclarations. Il est possible de faire le parallèle avec la libéralisation des jeux d’argent et de hasard en ligne récemment adoptée par le Parlement. La mise en parallèle du comportement du joueur et de celui du spéculateur ne manque pas de fondements.

En renchérissant sans attendre le coût de la spéculation, la France serait en capacité de donner un signal fort à la communauté internationale. Adopter cette proposition de loi illustrerait notre volonté d’aller de l’avant. Cela ne nuirait pas à l’image du Sénat, contrairement à ce que certains pourraient ici prétendre !

N’est-il pas important, aujourd’hui, d’établir clairement les responsabilités des différents acteurs dans la déstabilisation de nos économies ?

Je vous indique qu’une proposition de résolution en ce sens a récemment été déposée par nos collègues socialistes à l’Assemblée nationale. Inscrite à l’ordre du jour de la séance publique de demain, elle a pour objet de demander la création d’une commission d’enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement de nos économies.

C’est dans cet état d’esprit que notre groupe apporte donc son soutien à cette proposition de loi visant à créer une taxe sur « certaines transactions financières ». La proposition de loi de M. Collin est légitime et vient à point. Faut-il attendre une loi de finances dans six mois ? Pourquoi s’interdire d’adresser à nos concitoyens les signaux nécessaires, dès à présent ?

Sur le fond, j’en conviens, il est difficile d’aller seul à la bataille. Mais il s’agit surtout d’envoyer un signal fort à l’approche des discussions du G20 dans trois jours au Canada. À titre d’exemple, on observe que l’Allemagne a pris seule l’initiative d’interdire les ventes à découvert à nu. Dans un premier temps, Mme Lagarde a porté une appréciation critique sur cette démarche isolée. Trois semaines plus tard cependant, notre pays a rejoint l’Allemagne sur ce projet. Rien n’empêcherait la France d’être sur ce sujet, à son tour, en pointe devant les autres pays européens.

L’on pourrait rappeler l’exemple de la taxe sur les billets d’avion qui a été cité tout à l’heure par Mme la secrétaire d’État. Les socialistes avaient été parmi les premiers à soutenir cette initiative. On nous opposait alors les mêmes arguments : « c’est dangereux », « nous serons les seuls à le faire », « peut-être est-il trop tôt ». Mais le fait est que – et Mme la secrétaire d’État l’a confirmé – la France a eu raison d’être en pointe sur ce sujet. D’autres pays ont suivi, et le mécanisme rapporte aujourd’hui plusieurs centaines de millions d’euros.

Où en sommes-nous, aujourd’hui, dans le débat entre les autorités publiques sur le sujet de la taxation des transactions financières ? Malgré un discours de façade, la position des institutions européennes et internationales montre que la partie n’est pas gagnée, loin de là ! Le 10 mars dernier, avec une majorité de 283 contre 278, le Parlement européen a demandé une taxation sur les flux financiers.

Pour la première fois, en mai dernier, les ministres des États membre de l’Union européenne ont, eux aussi, officiellement envisagé l’intérêt d’une telle taxe. Créée au niveau mondial, elle permettrait de « garantir que le secteur financier assume à l’avenir sa part de responsabilités en cas de crises ».

Au début de juin, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, s’est lui aussi prononcé en faveur d’une taxe sur les transactions financières, tout en jugeant néanmoins « extrêmement difficile » de l’imposer au niveau mondial dès à présent.

Mais, hélas, voilà quelques jours, les ministres des finances réunis à Busan en Corée du Sud – le ministre français s’y trouvait – ont, quant à eux, écarté cette perspective. Pourtant, lors du conseil européen des 17 et 18 juin dernier, les dirigeants européens ont, pour leur part, décidé de promouvoir lors du G20 la mise à l’étude d’une taxation sur les transactions financières.

Alors, à qui se fier ? Les autorités publiques mondiales sont-elles véritablement décidées à agir sur ce terrain ? Tout le monde sait que les chances d’accord seront quasi nulles au G20 en raison de l’opposition de nombreux pays. Tout cela laisse donc très perplexe.

La taxe sur les transactions financières est, à nos yeux, une idée généreuse que les socialistes soutiennent depuis des années. Suggérée en 1972 par le prix Nobel d’économie James Tobin, elle était déjà au programme de la campagne du candidat Lionel Jospin en 1995. Le 21 novembre 2001, le gouvernement Jospin fit voter une loi instituant une taxation financière. Son taux de 0 % en faisait essentiellement un signal fort adressé aux autres États. Mais il avait été bien indiqué que le gouvernement Jospin était prêt à en augmenter le niveau si d’autres États la mettaient en place.

Il n’est donc pas déraisonnable de chercher à aller plus loin aujourd’hui. La justification économique d’une taxe sur les transactions financières commence avec la reconnaissance des effets néfastes de la spéculation à court terme. De par son effet stabilisateur sur les marchés financiers, une augmentation mesurée et contrôlée du coût des transactions ralentirait, à coup sûr, le volume des transactions spéculatives.

À l’avenir, le sauvetage du secteur financier et bancaire ne doit plus être uniquement supporté par les citoyens. Une juste contribution du secteur financier à l’économie réelle doit donc être recherchée.

Cet outil fiscal libérerait, en outre, de nouvelles sources de financement pour les États. Chaque année, il dégagerait des ressources nécessaires pour payer les coûts sociaux de la crise, pour financer les biens publics mondiaux, tels que la santé ou la lutte contre la pauvreté et le changement climatique.

Les obstacles à une régulation ne sont plus d’ordre technique mais d’ordre politique. Nous soutenons donc l’adoption d’une telle taxe qui permettrait d’entrer dans le débat de la régulation avec une approche plus globale. Derrière cette taxe sur les transactions financières se profile, en définitive, une réorientation souhaitable d’un modèle économique et financier qui risque, conservé en l’état, de mener le monde à sa perte.

Mes chers collègues, est-il trop tôt pour agir ? Notre réponse, aujourd'hui, est claire : il n’est jamais trop tôt pour agir. Nous souhaitons donc, dès à présent, que ce signal soit donné par le Sénat. C’est pourquoi nous voterons la proposition de loi présentée par notre collègue Yvon Collin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et du RDSE.)