M. Laurent Béteille, rapporteur. Mais, plus encore, elle n’est pas compatible avec ces recommandations.

Mme Nicole Bricq. C’est excessif !

M. Laurent Béteille, rapporteur. C’est la réalité, malheureusement ! Bien que nous ayons les mêmes objectifs, ma chère collègue, certains points de la proposition de loi nécessiteraient d’être complètement repris.

Mme Nicole Bricq. Libre à vous de l’amender !

M. Laurent Béteille, rapporteur. Tout d’abord, le recours collectif tel qu’il est conçu ici – encore que le texte ne soit pas toujours très clair sur ce point -, concerne tout litige entre un consommateur et un professionnel, ce qui est potentiellement très vaste, d’autant que le domaine d’application n’est pas défini, pas plus que le type de dommage. Aucun caractère expérimental, avec clause de rendez-vous, n’est prévu, à la différence de ce que nous proposons.

Ensuite, le recours collectif est initié par une association agréée, certes locale, mais sur la base de mandats sollicités auprès des consommateurs par voie de publicité : la logique du mandat propre à l’action en représentation conjointe, pourtant cause de l’échec de cette procédure, avec sa lourdeur et ses responsabilités, est donc conservée. En outre, cette publicité organisée pour la collecte des mandats peut porter atteinte à l’image de l’entreprise, alors même qu’aucune décision sur sa responsabilité n’a été rendue.

Cette collecte des mandats est également prévue par voie de démarchage par des avocats, ce qui remet en cause la déontologie de la profession.

Une fois la responsabilité du professionnel reconnue par le juge, après un éventuel recours qui n’apporte pas les meilleures garanties en termes de droits de la défense, la publicité destinée à informer les victimes potentielles pour leur permettre de se joindre au groupe est à la charge de l’association, ce que nous avons précisément voulu éviter. Le démarchage par avocat est encore prévu à ce stade, ce qui représente autant de coûts supplémentaires imposés à l’association.

Enfin, les modalités d’indemnisation après la constitution du groupe ne sont pas très cohérentes : le juge fixe le montant des dommages et intérêts dus à chaque victime, alors que le groupe n’est pas encore constitué, à charge ensuite pour l’association qui reçoit du professionnel la globalité des dommages et intérêts de les répartir entre les consommateurs, dans un délai fixé à trois ans. On pourrait dire que la procédure, après avoir commencé par un opt in, s’achève sur un opt out !

Le problème du financement du recours collectif n’est donc pas clairement résolu, mais l’exposé des motifs de la proposition de loi évoque les honoraires au résultat pour les avocats, ce qui est à rapprocher, là aussi, de la pratique américaine, avec tout ce que l’on peut en penser.

À mon sens, une procédure d’action de groupe véritablement à la française doit respecter deux impératifs, tout en demeurant prudente : d’une part, mettre en place une voie de droit efficace pour le traitement des petits litiges ; d’autre part, préserver la compétitivité de nos entreprises, a fortiori dans le contexte actuel de crise économique.

Or, force est de le constater, l’impératif de mise en place d’un accès à une voie de droit efficace n’est pas pleinement respecté, en raison notamment de la logique du mandat et de la mise à la charge des associations de dépenses supplémentaires. L’impératif de préservation de la compétitivité des entreprises n’est pas mieux respecté : absence de définition précise du litige, champ trop large, publicité portant atteinte à la réputation, insuffisance des voies de recours, modification des pratiques de la profession d’avocat…

Compte tenu de ces divergences, et alors même qu’elle est aujourd’hui favorable à l’action de groupe, la commission, je le dis très clairement, n’a pas pu émettre un avis favorable sur les dispositions de cette proposition de loi.

Sur un sujet aussi sensible pour nos entreprises, nous avons, mes chers collègues, besoin d’un certain temps pour concevoir un texte, en poursuivant avec toutes les parties intéressées, ainsi qu’avec les administrations compétentes, le dialogue initié par le groupe de travail. Les délais qui nous ont été imposés par l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour ne nous ont pas permis de réaliser ce travail, loin de là.

J’affirme néanmoins à cette tribune que je souhaite présenter un texte sur la base de nos conclusions communes, conjointement avec Richard Yung s’il le désire, afin de rouvrir cette discussion.

Mme Nicole Bricq. Fort bien ! Quand le texte sera-t-il déposé ?

Mme Odette Terrade. On l’attend !

M. Laurent Béteille, rapporteur. Sur cette question, comme sur d’autres, d’ailleurs, dont la commission des lois a à connaître, il nous appartient de nous inscrire dans la démarche vertueuse qui conduit d’un travail d’information approfondi et reconnu – ce fut le cas pour notre groupe de travail – à une initiative législative pertinente et de qualité. Je sais que cette méthode tient particulièrement à cœur au président de notre commission des lois, notre collègue Jean-Jacques Hyest, qui nous a encouragés dans ce sens.

Mme Nicole Bricq. À l’œuvre, maintenant !

M. Laurent Béteille, rapporteur. Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des lois ne peut qu’inviter le Sénat à ne pas adopter les articles de cette proposition de loi.

Ce rejet traduit le refus non pas de l’action de groupe, mais d’un dispositif qui reste à adapter. Je prends cependant l’engagement devant vous que, le moment venu, nous déposerons un texte et nous demanderons son inscription à l’ordre du jour de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, cher Jean-Jacques Hyest, monsieur le rapporteur, cher Laurent Béteille, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui prévoit d’introduire dans notre droit un mécanisme de recours collectif. Elle s’inscrit dans des réflexions sur les dispositifs d’action de groupe qui, vous le savez, ont donné lieu ces derniers mois, et même ces dernières années, à de nombreux travaux, au niveau national comme au niveau européen. Certains sont de très grande qualité, et je tiens tout particulièrement à saluer ici le rapport que viennent de produire Laurent Béteille et Richard Yung sur « l’action de groupe à la française ».

Je vous le dis tout net : je suis favorable à l’instauration, à terme, d’une telle action de groupe à la française. Je l’ai dit et je le répète, et c’est évidemment bien mieux que de dire l’inverse ! (Sourires.)

M. Pierre Fauchon. Et même beaucoup mieux : c’est inespéré ! (Nouveaux sourires.)

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Ces réflexions correspondent au souci légitime, auquel je suis bien évidemment sensible, en tant que secrétaire d’État chargé de la consommation, de protéger le consommateur et de l’indemniser, le cas échéant, en cas de litige de masse.

Certes, plusieurs procédures permettent déjà d’assurer une réparation des dommages commis par une même personne et affectant une pluralité de consommateurs. Il s’agit notamment de l’action civile dans l’intérêt collectif des consommateurs, qui peut être intentée par une association agréée.

Ces associations agrées peuvent également agir pour obtenir la cessation d’agissements illicites ou pour faire supprimer des clauses abusives.

L’action en représentation conjointe permet enfin à un groupe de consommateurs de donner mandat à une association de consommateurs pour exercer l’action en justice, même si cette procédure est peu pratiquée.

Comme l’a rappelé Mme Bricq, j’ai déjà eu l’occasion, lors des assises de la consommation, en octobre dernier, étant donné, premièrement, que les litiges nés des conditions de formation et d’exécution des contrats de consommation peuvent concerner un très grand nombre de consommateurs et, deuxièmement, que les consommateurs renoncent parfois à toute action individuelle sur le terrain judiciaire eu égard à la faiblesse des montants sur lesquels portent un grand nombre de litiges de consommation, il apparaît nécessaire de développer ou de mettre en place des mécanismes complémentaires assurant le traitement effectif de ces litiges. C’est indiscutable, et personne ne le conteste.

En effet, le recours individuel en justice du consommateur ou le recours d’une association de consommateurs en son nom sont des solutions qui existent, je viens de l’indiquer, mais qui se révèlent insuffisantes lorsque les contrats sont très complexes – c’est le cas souvent avec les nouvelles technologies, comme la téléphonie mobile, Internet ou les cartes de crédit – et lorsque les litiges concernent un très grand nombre de consommateurs.

Eu égard au faible montant d’indemnisation possible, les consommateurs renoncent parfois à toute action individuelle en justice. Or, compte tenu de l’ampleur des pratiques en cause et de la multiplicité du nombre de victimes, la somme totale des préjudices individuels peut être considérable.

Il y a donc bien une demande insatisfaite de droit en raison de la lourdeur et du coût des procédures judiciaires traditionnelles. Je le dis très clairement, les droits des consommateurs doivent être garantis, notamment le plus important d’entre eux, comme l’a très bien rappelé M. le rapporteur, le droit à réparation en cas de préjudice causé par le comportement fautif du professionnel.

Le Gouvernement est donc parfaitement conscient que le droit actuel ne couvre pas la totalité des besoins de recours des consommateurs et il est convaincu de la nécessité de développer ou de mettre en place des mécanismes complémentaires de règlement des litiges de consommation.

Mais j’ai une autre conviction : les préalables à la création de l’action de groupe ne sont pas aujourd'hui levés.

Le Gouvernement n’est pas favorable à l’introduction, dans notre droit, aujourd’hui, d’une action de groupe et il n’est donc pas favorable à l’adoption de cette proposition de loi, je le dis avec regret mais fort d’une certitude.

Mme Nicole Bricq. C’est une surprise !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. D’une part, la voie extrajudiciaire de traitement des litiges de masse, notamment la médiation, vous l’avez rappelé, madame Bricq, me semble plus opportune et doit être renforcée dans un premier temps. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

Intrinsèquement d’abord, la médiation constitue un bon dispositif de traitement extrajudiciaire des litiges de masse de consommation. (Mme Odette Terrade s’exclame à son tour.) Elle vise au même but que les actions judiciaires collectives (On en doute sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG),…

M. Pierre-Yves Collombat. Voilà : il faut être gentil, bien gentil…

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. … mais elle présente l’avantage de permettre de résoudre, sans procédure judiciaire lourde et sans les frais d’une action judiciaire, des litiges du même ordre.

M. Pierre-Yves Collombat. C’en est comique !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Ainsi, les intérêts individuels des consommateurs peuvent être pris en charge collectivement par le médiateur, qui définit une réponse commune lorsque ceux-ci sont victimes de pratiques illicites ou abusives du fait d’un même professionnel.

Le développement effectif de la médiation – je vous rends attentifs à cela, mesdames, messieurs les sénateurs – n’est donc pas contradictoire avec la mise en place de l’action de groupe, mais ce développement en est un préalable. Bien employée, la médiation est susceptible de rendre exceptionnelle la nécessité d’une action judiciaire. C’est le but du Gouvernement.

M. Pierre-Yves Collombat. Mais c’est un véritable sermon !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Sur ce point, il me semble que la réflexion entamée par le groupe de travail devrait être poursuivie. L’action de groupe trouvera d’autant plus vite sa place qu’elle concernera des litiges prioritaires et sera coordonnée aux modes de résolution extrajudiciaires de conflits consuméristes.

J’avais pris l’engagement en octobre dernier de renforcer la médiation en France, puisque c’était pour moi l’un des préalables à l’introduction d’une action de groupe à la française. Ce chantier a marqué de réels progrès.

Ce n’est pas un enterrement de première classe, comme certains pourraient le laisser entendre.

M. Pierre-Yves Collombat. C’est en effet un enterrement de deuxième classe !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. C’est pour moi un préalable et je me suis mis en situation de le lever prochainement.

Je rappelle que la transposition de la directive 2008/52/CE sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale doit être menée à terme avant mai 2011 – c’est demain ! – ce qui confère au développement de la médiation un caractère prioritaire. En effet, il faudra bien transposer et, si l’on veut aller vite, il faut poursuivre cette installation de la médiation au cœur de notre économie.

Le Conseil d’État a été saisi en mai dernier en vue d’examiner les conséquences de la transposition en droit interne de cette directive sur les dispositifs juridiques existants. Il doit rendre ses conclusions à la fin du mois de juillet.

À la suite de l’adoption du projet de loi portant réforme du crédit à la consommation, j’avais souhaité qu’il soit créé, au sein de l’Institut national de la consommation, une commission de la médiation. Tel est désormais le cas.

M. Pierre Fauchon. Très bien !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Cette commission est chargée d’émettre des avis et de proposer des mesures pour évaluer, améliorer et diffuser les pratiques de médiation non judiciaires en matière de consommation. Je m’engage à ce que le décret fixant son fonctionnement et son organisation soit publié d’ici à la fin du mois de septembre.

M. Pierre Fauchon. Très bien !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Avec cette nouvelle commission, nous nous dotons d’un outil important pour développer et assurer la qualité de la médiation dans les litiges de consommation.

Je réunirai à l’automne prochain cette commission de la médiation afin de faire le point des démarches entreprises par les représentants des entreprises pour encourager le développement de la médiation dans des secteurs prioritaires.

Vous l’avez compris, nous nous attachons à aller vite sur la médiation pour lever l’un des préalables posés à l’introduction de l’action de groupe à la française.

Cependant, je l’avais indiqué également lors des assises, d’autres préalables sont à lever avant l’introduction dans notre droit d’une procédure d’action de groupe.

Premier préalable : la conjoncture économique – nul ne peut le nier – induit un sentiment de fragilisation de nos entreprises, et sans doute plus que cela. Je le redis, pour installer dans notre droit une action de groupe à la française, il faut bénéficier d’une conjoncture économique plus favorable…

M. Pierre-Yves Collombat. La France est en récession !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. … pour ne pas ajouter à cette fragilité une incertitude supplémentaire pour nos entreprises.

Mme Odette Terrade. Le coup du bout du tunnel, on nous l’a déjà fait !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Dans cette situation, il faut donner et rétablir un certain nombre de priorités, notamment la priorité au développement économique.

Personne ne peut nier ici que la situation économique est aujourd’hui particulièrement difficile pour les petites et moyennes entreprises. Le calendrier n’est donc pas optimal et nos entreprises n’ont vraiment pas besoin d’une incertitude supplémentaire.

Deuxième préalable : le mouvement consumériste – associations et institutions de soutien aux associations – doit mieux se structurer pour ne pas déclencher de manière désordonnée des actions de groupe, ce qui finirait par se retourner contre les consommateurs, et les associations doivent disposer de la logistique nécessaire pour une bonne gestion de ces actions.

Or, aujourd'hui, les associations de consommateurs agrées sont au nombre de dix-sept. Il faut donc recentrer l’agrément pour ester en justice au titre de cette action de groupe sur quelques associations à définir.

Troisième préalable, qui me semble très important : le dispositif national doit être en cohérence avec les projets européens, et nous avons sur ce point une légère divergence avec M. le rapporteur.

J’avais pris l’engagement, lors des assises de la consommation, d’instituer une reconnaissance spécifique pour les associations agrées les plus représentatives. J’ai tenu cet engagement et j’ai contresigné ce matin le décret mettant en place ce « super agrément ».

Les associations concernées pourront solliciter cet agrément spécifique dans les prochains mois. Si les actions de groupe doivent être créées - et quand elles le seront -, il me paraît légitime qu’elles soient réservées aux associations les plus représentatives.

Vous le voyez, nous nous mettons peu à peu en ordre de marche pour pouvoir sérieusement et sereinement installer ces actions de groupe à la française.

J’en reviens au dispositif national et sa compatibilité avec les projets européens.

Comme cela a été rappelé, les institutions communautaires se sont, en effet, emparées du sujet depuis plusieurs années. Elles ont ainsi publié un Livre vert sur les recours collectifs pour les consommateurs.

Les initiatives de la Commission européenne, un temps ralenties, ont repris. La Commission travaille à l’élaboration d’une proposition commune qui serait susceptible d’être présentée à l’automne.

L’automne, c’est proche, mesdames, messieurs les sénateurs. Il est donc plus sage, me semble-t-il, de ne pas se mettre en décalage avec cette démarche et, au contraire, de s’appuyer sur ces nouvelles réflexions qui seront publiées à la rentrée.

Enfin, je souhaite à mon tour, et après l’avis de la commission, donner l’avis du Gouvernement sur le plan technique car, à notre sens, les auteurs de cette proposition de loi effectuent des choix juridiques et procéduraux tout à fait contestables.

Outre les préalables, qui, je le disais précédemment, ne sont pas levés, les dispositions de la présente proposition de loi ne répondent pas à toutes les exigences de sécurité juridique.

D’abord, le champ et la qualité à agir sont peu clairs et ne sont pas assez délimités, M. le rapporteur l’a déjà relevé.

Plutôt que de concerner tous les préjudices, qu’ils soient matériels, corporels ou moraux, il me semble indispensable de réserver l’action de groupe aux préjudices matériels. Les dommages corporels et les questions de santé doivent être, à mon sens, exclus du champ de l’action de groupe : il s’agit de domaines où existent déjà des dispositifs d’assurance ou des fonds d’indemnisation et où le montant souvent élevé des préjudices peut justifier des actions individuelles devant le juge. Pourquoi s’encombrer avec une action supplémentaire ?

Par ailleurs, le champ des matières concernées par cette procédure largement dérogatoire mérite également d’être limité aux seules matières pour lesquelles elle peut être nécessaire, c’est-à-dire les litiges d’un faible montant entre professionnels et consommateurs.

Cette procédure n’a pas vocation à se substituer au droit commun dans les cas où le demandeur aurait de toute façon agi en justice. Cela pose la question du plafond pour agir, qu’il est manifestement nécessaire de fixer.

S’agissant de la qualité à agir, elle n’est pas définie assez strictement dans votre texte, madame Bricq. L’action de groupe devrait être réservée aux seules associations de consommateurs bénéficiant de l’agrément spécifique et représentatives sur le plan national : cela permettra d’éviter les abus dans l’usage de cette action.

En outre, la procédure retenue par la proposition de loi n’est pas celle qui aurait nos préférences en cas d’introduction d’une action de groupe.

Il serait préférable de privilégier l’introduction d’une phase préalable obligatoire de tentative de règlement amiable – on voit bien la logique de la construction –, mais aussi une spécialisation des juridictions pour ces recours particuliers.

Enfin, les étapes de la procédure devraient être précisément fixées, ce qui n’est pas le cas, par exemple sur les conditions de sollicitation des mandats – M. le rapporteur l’a rappelé – ou sur les délais.

Vous le voyez, la cohérence de l’action du Gouvernement est claire.

Mme Nicole Bricq. Oui, il ne reste rien !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Nous posons peu à peu les pierres qui permettront à terme de couronner l’édifice en faveur des consommateurs, en l’occurrence par l’action de groupe, mais, auparavant, il nous faut généraliser la médiation, avoir une conjoncture économique plus sereine et nous assurer des intentions des instances communautaires.

Pour toutes ces raisons, et quelques autres encore, le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Denis Detcheverry.

M. Denis Detcheverry. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de nos collègues socialistes prévoit l’introduction en droit français d’une action collective au bénéfice des consommateurs, plus communément appelée « class action » ou « action de groupe ».

Cette procédure, susceptible de recouvrir des réalités très différentes, correspond à une action de procédure civile permettant à un ou plusieurs requérants d’exercer, au nom d’une catégorie de personnes, une action en justice. Elle permet une mutualisation des moyens et une économie de coûts procéduraux qui lui confèrent, dans certains cas, l’attractivité que les actions individuelles n’ont pas.

Cette idée de l’action de groupe, c’est un peu l’Arlésienne de la procédure française : on l’attend depuis des années, mais on ne la voit toujours pas venir ! Il est vrai qu’elle pose un épineux dilemme dont il conviendra de sortir un jour ou l’autre : d’une part, la crainte des dérives de l’action de groupe et de leur effet négatif sur l’économie ; d’autre part, la volonté d’apporter au consommateur victime la réparation à laquelle il a droit et dont il est de fait privé, sans mettre en danger les activités de nos entreprises.

Il convient de rappeler que d’autres États, et non des moindres, l’ont déjà intégrée dans leur législation. C’est le cas, en Europe, de l’Allemagne, de l’Angleterre, de l’Italie, des Pays-Bas, du Portugal et de la Suède. Les États-Unis et le Canada l’ont également mis en place depuis bien longtemps.

Au sein de l’Union européenne, l’action de groupe est une innovation récente, voire, parfois, expérimentale. Selon les cas, le champ de cette procédure peut être restreint ou peut s’étendre à l’ensemble des actions civiles. Si certains États européens ont choisi de conférer une compétence générale aux tribunaux ordinaires, d’autres ont limité le jugement des actions de groupe à quelques juridictions. Les conditions de recevabilité des demandes sont, dans tous les États, encadrées de façon stricte : l’Allemagne et l’Angleterre, par exemple, ont institué un système spécifique d’« action modèle », qui permet aussi d’éviter la multiplication des recours dans des affaires portant sur des objets analogues.

Enfin, il convient d’insister sur le fait que les mécanismes d’action collective mis en place dans ces législations européennes n’ont pas entraîné de faillites significatives ou d’effets notables sur la vie des affaires.

L’exemple américain ne saurait constituer en l’occurrence un modèle à suivre. Si l’action de groupe, du fait de son ancienneté, est reconnue comme partie intégrante du système juridique américain, elle fait l’objet de nombreuses critiques, du point de vue tant de la procédure que de certaines dérives découlant de son usage.

Sur le plan procédural, elle est difficilement transposable dans notre droit du fait de profondes différences entre nos systèmes juridiques. En outre, le coût de ces actions est également jugé exorbitant et leur croissance aurait des effets directs sur l’économie américaine, notamment en termes de faillites d’entreprises. Enfin, le système de rémunération des avocats américains - un pourcentage sur les indemnités obtenues - profiterait plus aux avocats qu’aux victimes et, dans ce cas, l’action de groupe serait source de conflits d’intérêt.

Forte de l’expérience étrangère, mais convaincue aussi de la nécessité de protéger davantage les consommateurs, la commission des lois de notre assemblée a mis sur pied un groupe de travail dont les conclusions ont été récemment publiées.

Tout en soulignant la particularité de l’action de groupe, ces conclusions dénoncent l’immobilisme de notre droit et de notre système judiciaire, qui n’offrent actuellement aucun mécanisme satisfaisant pour assurer, par la mutualisation des coûts de procédure, la juste réparation des dommages à laquelle ont droit les consommateurs.

Il est donc nécessaire d’instituer une procédure d’action de groupe à la française, encadrée par les principes de la procédure civile française et les règles déontologiques de la profession d’avocat. Outre une protection effective accrue des consommateurs, cette procédure nouvelle permettrait de prendre en compte les évolutions tant européennes qu’internationales en matière d’action collective.

L’absence d’action de groupe en droit français empêche trop souvent la réparation des préjudices de faible montant subis par les consommateurs dans les actes de la vie quotidienne. L’action individuelle demeure trop coûteuse, en raison des frais d’avocat occasionnés par une procédure judiciaire, au regard du montant attendu des dommages et intérêts. En mutualisant le coût de l’action entre tous les consommateurs lésés dans le cadre d’un préjudice de masse, l’action de groupe remédierait au découragement à agir.

En réalité, le consommateur se limite plutôt à une tentative de règlement amiable avec le professionnel concerné, sans envisager d’aller plus loin et d’entamer une action judiciaire. Un grand nombre de préjudices de faible montant sont ainsi susceptibles de demeurer, en pratique, sans aucune réparation, tandis que la responsabilité des professionnels concernés ne peut être concrètement engagée. Cette situation ne peut plus durer, nous sommes tous d’accord sur ce point-là.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui, tout en tenant compte des travaux déjà effectués par la commission des lois, tend à bousculer l’immobilisme juridique actuel en transformant l’action en représentation conjointe, qui avait été créée et définie par la loi du 18 janvier 1992, en action de groupe au service exclusif des consommateurs.

Aujourd’hui, l’action en représentation conjointe est la seule action que les associations de consommateurs peuvent exercer en vue d’obtenir la réparation de préjudices individuels : c’est elle qui, dans notre droit, se rapproche le plus de l’action de groupe stricto sensu. Elle n’a cependant connu que de trop rares applications du fait du nombre limité d’appels aux victimes et de l’absence de voies efficaces de collecte des mandats pour agir en justice, mandats qui ne peuvent être sollicités que par voie de presse.

La proposition de loi confirme l’enjeu des recours collectifs dans l’évolution de notre droit en visant à lutter contre les pratiques illicites de certaines entreprises. La question qui se pose est donc non pas celle de son intérêt, mais bien celle de son efficacité.

La majorité du groupe du RDSE estime que le texte proposé ouvre une brèche innovante, respectueuse de la tradition juridique française comme de la compétitivité des entreprises françaises, et qu’il est susceptible de répondre à l’exigence de renforcement de la protection des consommateurs. La plupart des consommateurs choisissant de ne pas se défendre judiciairement compte tenu des coûts et de la complexité de la procédure, la proposition de loi favorise l’investissement des citoyens dans l’action publique, dont l’efficacité et la crédibilité seraient ainsi renouvelées.