M. le président. La parole est à M. Robert Laufoaulu.

M. Robert Laufoaulu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’égalité des chances est un objectif difficile à atteindre, mais c’est un idéal vers lequel chacun doit tendre de toutes ses forces, car il est le plus bel acquis de la République.

L’égalité des chances dans l’enseignement est le principe qui doit corriger toutes les inégalités de fait, celles, territoriales, familiales et sociales, qui sont liées à la naissance.

Promouvoir l’égalité des chances doit être une préoccupation permanente de ceux qui ont choisi la carrière d’enseignant, car c’est la noblesse de leur vocation. Nombreux sont celles et ceux qui y travaillent durement. Tous méritent d’être salués, mais on comprendra que j’aie une pensée particulière pour les enseignants de mon territoire, qui, depuis le passage du cyclone Thomas, au mois de mars dernier, exercent leur métier dans des conditions difficiles.

Les conditions d’une véritable réussite scolaire sont multiples : une pédagogie adaptée, un environnement affectif solide, la présence et le soutien d’une communauté éducative, un minimum de moyens, etc.

Monsieur le ministre, permettez-moi d’évoquer, dans le cadre de ce débat sur l’égalité des chances dans l’enseignement primaire et secondaire, les conditions matérielles qui prévalent à Wallis-et-Futuna, s’agissant en particulier du bâti scolaire, sachant que par ailleurs l’éducation nationale fait le nécessaire pour mettre en place les dispositifs d’aide pour faire face aux différentes difficultés, notamment pédagogiques, que rencontrent nos enfants.

Le cyclone Thomas, qui a ravagé nos îles voilà trois mois, a remis en évidence une réalité bien connue des responsables du territoire et des personnels de l’enseignement, à savoir l’état dégradé, voire dangereux, des bâtiments, tant dans le primaire que dans le secondaire. Plusieurs rapports font état de cette situation.

Un problème certain de sécurité s’est posé après le passage du dernier cyclone. Les parents d’élèves, craignant pour la sécurité de leurs enfants, ont bloqué des établissements pendant plusieurs semaines. On peut dire que, à Futuna, tout le premier trimestre de l’année scolaire 2010 a été perdu, puisque, je le rappelle, le calendrier scolaire est inversé dans l’hémisphère sud.

Le climat très humide, la proximité de la mer, l’air iodé, sans parler de drames épisodiques comme les tremblements de terre ou les cyclones, sont bien sûr en partie responsables de cette dégradation du bâti scolaire, mais il ne faut pas oublier les problèmes liés aux défauts de construction, aux malfaçons et au manque d’entretien.

Un plan de rénovation et de reconstruction, réclamé par l’ensemble des responsables du territoire, sera engagé par l’État. Je vous remercie, monsieur le ministre, de m’en confirmer les conditions et le calendrier. Toutefois, il semble que ce plan se limitera aux établissements détruits de Futuna et au lycée de Wallis. Or certains collèges de Wallis sont également gravement dégradés. Il serait désolant de devoir attendre qu’un prochain cyclone mette en évidence, avec tous les risques afférents, qu’il aurait fallu aussi les rénover. Le principe de précaution doit prévaloir lorsqu’il s’agit de la sécurité physique de nos enfants.

M. Victor Brial, président de l’Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna, a demandé à l’administrateur supérieur du territoire de procéder à un examen approfondi de tous les établissements afin que ce plan de rénovation et de reconstruction prenne en compte l’ensemble des bâtiments scolaires. Peut-être faudra-t-il aussi envisager la création d’une structure spécifique pour le suivi des bâtiments scolaires de Wallis-et-Futuna. Je tiens à rappeler ici que la décentralisation ne s’appliquant pas à notre territoire, l’État assume toujours seul la responsabilité des bâtiments scolaires du primaire et du secondaire.

Monsieur le ministre, au nom de l’égalité des chances, qui, comme je l’ai souligné, tient aussi aux conditions matérielles, je vous demande de porter une attention particulière à cette situation de dégradation et de fragilisation des bâtiments scolaires de la collectivité la plus enclavée et la plus éloignée de la métropole. En améliorant le bâti scolaire, vous rendrez plus effective pour les enfants de Wallis-et-Futuna cette égalité des chances que nous appelons tous de nos vœux. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. – M. Daniel Marsin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons aujourd’hui l’occasion de rappeler que notre modèle républicain se veut garant de l’égalité des chances, afin de permettre à chacun de réaliser ses ambitions.

Or le constat est sans appel : l’école aggrave l’inégalité des chances ! Le système institutionnalise le déterminisme social et, par une forme de « délit d’initiés », garantit les meilleures places aux mieux nés.

Toutes les études le montrent, c’est dès la première année du primaire que se joue l’avenir de notre pays. Or 40 % des élèves sortent du système éducatif sans maîtriser les compétences censées être acquises à la fin du primaire. À cet égard, je vous invite à lire Prévenir l’exclusion scolaire et sociale des jeunes, ouvrage publié sous la direction de Danielle Zay qui montre combien ces deux dimensions de l’exclusion sont liées.

L’école primaire va mal, beaucoup d’orateurs l’ont dit : organisation par cycles non effective, lourdeur des programmes, manque de formation des enseignants, affectations parfois non désirées, défaut de coordination et de pilotage du système.

Malheureusement, c’est une logique comptable qui anime la politique du Gouvernement, quand la priorité devrait être de remettre à plat toute l’organisation du temps scolaire, en prenant enfin en compte les rythmes biologiques de l’enfant et de l’adolescent, sans la caler sur des intérêts sociaux et économiques.

Une articulation des différents temps de vie de l’enfant s’impose : temps éducatifs, consacrés aux apprentissages fondamentaux ou non formels, et temps sociaux.

Le passage du CM2 à la sixième n’arrange rien. Au contraire, il s’avère difficile et souvent lourd de conséquences. L’élève et ses parents ne sont pas suffisamment accompagnés dans cette transition déterminante. La difficulté de ce passage est accentuée quand les familles cumulent difficultés scolaires et sociales. Les zones d’éducation prioritaires deviennent, hélas ! soit des zones de stratégies familiales par excellence, où les « sachants » contournent allègrement les mesures de mixité sociale voulues à l’origine pour les ZEP, soit des zones de stratégies politiques visant simplement à « exfiltrer » les meilleurs éléments.

Finalement, l’approche par zonage entérine la ghettoïsation des populations. Comment s’étonner alors de l’absentéisme et de la recrudescence des violences scolaires ?

Le comble est que votre ministère se désengage des actions partenariales pour laisser la place à une politique de la ville aléatoire, empilant les dispositifs sans lisibilité et consacrant les inégalités territoriales. Ainsi, l’égalité des chances devient un enjeu à géométrie variable, alors que notre système éducatif a besoin de justice sociale.

Le collège unique ne peut évidemment rétablir la situation. L’hétérogénéité des classes suppose en effet une formation des enseignants adaptée aux besoins spécifiques des élèves, y compris ceux qui sont en situation de handicap. Or l’affaiblissement de la formation professionnelle des maîtres éloignera encore plus ceux-ci des réalités de la classe…

Une réflexion approfondie sur le temps scolaire des adolescents est également nécessaire. Certes, vous l’avez entamée, monsieur le ministre, en envisageant de consacrer l’après-midi au sport, mais cette vision est assez restrictive. Outre qu’elle laisse de côté les activités culturelles, environnementales ou caritatives, elle recouvre des problèmes annexes mal évalués : qui paiera les transports ? Quid de l’encadrement, de la disponibilité des équipements, de la gestion des partenariats ? Beaucoup de questions restent posées.

La France mérite un vrai projet éducatif de qualité, fondé sur une stratégie nationale déclinée par territoire et laissant toute sa place aux initiatives locales. Pour cela, il faut définir une véritable gouvernance, garantir l’autonomie et la stabilité des équipes afin qu’elles aient toute latitude pour travailler à une pédagogie de projet, réorganiser les moyens en fonction des besoins, faire confiance aux enseignants tout en leur assurant une formation initiale et continue adaptée.

« Faire sortir l’école de l’école » : ces mots prennent tout leur sens si l’on met en place de solides partenariats locaux et si l’on intègre des temps de vie et d’échanges entre tous les acteurs impliqués dans l’école et autour d’elle, comme devaient le permettre les établissements publics d’enseignement primaire.

Monsieur le ministre, les élèves sont l’avenir et la richesse de notre pays, même si, aujourd’hui, ils coûtent cher à l’État. « La grande affaire est de donner à l’enfant une haute idée de sa puissance, et de la soutenir par des victoires », disait le philosophe Alain.

Mes questions sont donc simples et complexes à la fois : quelle est votre vision du service public de l’éducation ? Quels sont les objectifs et les missions que vous lui assignez aujourd’hui ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.

M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’école primaire peine à assurer ses missions. Chaque année, 300 000 enfants sortent du CM2 avec des manques et 100 000 avec des lacunes graves, de l’ordre de l’illettrisme. C’est dès le primaire que l’on peut identifier les premiers signes de décrochage. Le fait que celui-ci touche une large proportion d’enfants d’employés, d’ouvriers ou d’inactifs illustre l’incapacité de l’école à gommer les retards initiaux.

En outre, en milieu rural, les communes, particulièrement fragiles, sont confrontées chaque année à des fermetures de classes ou d’écoles, ce qui freine leur développement, les ramenant au rang de hameaux. La question de l’organisation scolaire et de son lien avec la réussite se pose alors de façon aiguë.

La réussite scolaire ne devrait pas être corrélée aux origines sociales et territoriales. Par ailleurs, la sélection dès le primaire génère, dans les familles modestes, la peur d’une relégation scolaire précoce, souvent irréversible. Le redoublement, qui est d’ailleurs inefficace, est mal vécu, même s’il est moins utilisé dans les classes uniques.

Cette sélection inquiète et conduit les familles les plus huppées à recourir à l’enseignement privé. Or l’égalité des chances devrait être l’égalité effective d’accès, indépendamment de l’origine sociale, à l’éducation, à la formation, à la culture, à la qualification : autant de voies qui mènent à la réussite.

La vision urbaine d’un cours par classe avec une organisation hiérarchisée ne correspond pas à la situation des territoires ruraux, où persiste l’image rétrograde des classes à cours multiples. Ce sont de mauvaises raisons qui poussent à considérer les écoles rurales comme des réservoirs de postes à récupérer. L’école rurale a ses spécificités : une organisation particulière du temps scolaire avec les classes multi-niveaux, un autre rapport à l’espace et au temps dans la construction de l’autonomie, les différences d’âge, en particulier dans les classes uniques.

Les résultats des enfants issus de ces écoles sont pourtant identiques, voire meilleurs, que ceux des enfants scolarisés en milieu urbain. Les regroupements pédagogiques ont eu leurs mérites, mais ils atteignent leurs limites dans les régions où l’habitat est dispersé, ce qui entraîne des trajets longs pour le ramassage des élèves.

En outre, la différence de coût entre une école centralisée et des écoles éparpillées dans les villages est très faible. Certes, dans le premier cas, les enseignants sont moins nombreux, mais le bénéfice pour le contribuable n’est pas grand si l’on prend en compte les coûts de transport des élèves. D’ailleurs, l’éparpillement n’est plus un facteur d’isolement, grâce au développement des techniques de l’information et de la communication, qui permettent aux petites structures de se constituer en équipes pédagogiques.

Les avancées techniques liées aux nouveaux supports pédagogiques permettent une plus grande circulation des informations, des savoirs, des connaissances et, plus généralement, de la culture. Des outils tels que le tableau numérique, les vidéoconférences, les manuels scolaires sur ordinateur accroissent la motivation et la participation des élèves et facilitent le processus d’apprentissage et de mémorisation, grâce à des cours plus animés.

Monsieur le ministre, le système éducatif est à revoir. Nous avons l’année scolaire la plus longue d’Europe en termes d’heures, mais la plus courte en termes de nombre de jours scolarisés. Le résultat est négatif. Il faut donc refondre les rythmes scolaires et réorganiser l’école en cycles d’apprentissages cohérents, revoir les congés, leur nombre, leur durée.

Parallèlement, il convient de repenser la formation des enseignants et de leur donner des outils pédagogiques pour gérer la disparité des classes, de tendre vers une formation en alternance pour la maîtrise des savoirs et des pratiques tout au long du parcours professionnel.

L’éducation et la formation sont des leviers d’action essentiels pour construire une société solidaire d’égalité. Certes, les qualités d’un individu ne se résument pas à ses performances scolaires, mais, sur le marché du travail, le diplôme joue toujours un rôle de sésame tout au long de la vie.

Après trois ans d’une politique éducative brutale par les choix budgétaires et idéologiques qui la sous-tendent, le défi qui s’impose à vous est de mettre au point un projet cohérent et ambitieux permettant la réussite de tous, ne négligeant pas le fait que l’école doit être intégrée dans les projets de développement communal et créer un lien social porteur du nécessaire concept du « vivre ensemble ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.

M. Yannick Bodin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’évoquerai pour ma part la situation de l’enseignement au collège, qui, nous le savons, est au cœur du problème du décrochage scolaire. Il faut donc travailler à une réforme profonde visant à la reconstruction du collège, tant dans ses objectifs que dans ses pratiques. C’est ma vision de cette réforme que je voudrais exposer ici.

La conception même du collège doit changer : en effet, celui-ci ne doit pas être considéré comme le premier cycle du lycée. La rupture entre l’école primaire et le collège est trop brutale ; le collège doit d’abord être le prolongement de l’école élémentaire. Sachant qu’un des objectifs fixés par la loi d’orientation est que 80 % d’une classe d’âge parvienne au niveau du baccalauréat, je souhaiterais que l’on ne parle plus de classe de sixième à l’entrée au collège, mais tout simplement de première année de collège.

Concernant l’organisation temporelle, l’enseignement au collège devrait être découpé en deux cycles et se dérouler sur quatre ou cinq ans, en fonction de la capacité de progression des élèves : plus de découpage par classe ni par année scolaire, mais une prise en compte de la progression de l’élève par cycle et par discipline ; plus de redoublement. Le socle commun des connaissances et des compétences jouerait alors pleinement son rôle de préparation à la poursuite de l’enseignement général ou à l’entrée en formation professionnelle ou en apprentissage.

La place et la mission des enseignants doivent être repensées. Ils ne devraient plus être affectés à une classe, quelle que soit leur discipline, mais intégrés dans une équipe pédagogique et éducative par niveau. Les établissements devraient bénéficier d’une certaine autonomie et obtenir des postes à profil correspondant au projet de l’équipe.

Cette équipe comprendrait quatre ou cinq enseignants au maximum, mais associerait aussi un éducateur, un psychologue, une assistante sociale, une infirmière et un chargé d’orientation. La constitution de l’équipe, nécessairement pluridisciplinaire, implique donc un retour à la bivalence pour certains professeurs, comme dans l’enseignement professionnel, où les choses se passent assez bien.

Cette organisation nouvelle devrait amener l’équipe pédagogique à réaliser un projet pour chaque cycle, avec un droit à l’autonomie s’inscrivant dans le cadre des orientations définies à l’échelon national, qui devraient inclure un suivi personnalisé des élèves. Les enseignants pourraient alors organiser leur travail en équipe pour accompagner, par groupe ou individuellement, les élèves en difficulté selon un rythme adapté.

En outre, la carte scolaire doit être revue pour éviter la constitution de ghettos et favoriser la mixité socioculturelle.

Un dernier point essentiel, au titre de la création de ce nouveau collège, est la mise en place, au cours du second cycle, d’une véritable orientation des élèves. Il existe trois directions : l’enseignement général, l’enseignement professionnel et l’apprentissage. L’orientation devrait privilégier les contacts individuels avec les élèves, un suivi personnalisé, l’association des familles et des enseignements adaptés. Là encore, il s’agit d’éviter une nouvelle rupture, entre le collège et le lycée. L’élève ne doit en aucun cas se sentir déclassé ou rejeté, quelle que soit son orientation, car c’est souvent dans une telle situation qu’il décroche. Toutes les voies offertes doivent être des voies d’excellence : l’orientation par l’échec doit être exclue.

Pour les élèves décrocheurs, chaque collège devrait mettre en place un dispositif de réintégration et de mise à niveau, avec un enseignement individualisé et adapté.

Mes chers collègues, le modèle que je vous propose est innovant. Il vise à supprimer ce qui ne marche pas et à le remplacer par des dispositifs qui, pour certains, ont déjà fait leurs preuves dans le cadre d’expérimentations locales ou dans d’autres pays, reconnus comme des références. Il est temps maintenant de globaliser ces dispositifs et de les mettre en œuvre dans notre système éducatif. Pour lutter contre l’échec scolaire, il faut reconstruire un autre collège : monsieur le ministre, c’est un chantier urgent ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier M. Lagauche d’avoir posé une question aussi importante pour l’avenir de notre système éducatif, et l’ensemble des orateurs pour l’esprit constructif et ouvert dans lequel se déroule ce débat.

L’école de l’égalité des chances chère à Jules Ferry, cette école vecteur d’ascension sociale, permettant aux enfants issus de milieux modestes, méritants, travailleurs, de s’élever dans la société, d’être portés vers l’excellence uniquement grâce à leur mérite, n’a sans doute pas résisté à la massification du système éducatif que nous avons connue depuis trente ans.

M. Legendre a eu raison d’indiquer que l’école peinait aujourd'hui à réduire les inégalités sociales, mais aussi les inégalités territoriales.

M. Signé a ainsi évoqué les inégalités dont peut pâtir le monde rural, sujet auquel je suis particulièrement sensible, en tant qu’élu du département de France qui perd le plus d’habitants chaque année.

M. Laufoaulu, pour sa part, a évoqué la problématique de nos départements et collectivités d’outre-mer, en invoquant la solidarité nationale. Je ne manquerai pas, naturellement, de répondre précisément à sa question.

Quand je suis arrivé au ministère de l’éducation nationale, il y a tout juste un an, j’ai été particulièrement frappé par ces quelques données sociologiques : dans une classe de sixième, on compte 55 % d’élèves dont les parents sont ouvriers ou employés, et 15 % dont les parents sont cadres ; dans une classe préparatoire aux grandes écoles, les proportions sont exactement inverses, c'est-à-dire que 55 % des élèves ont des parents cadres, et 15 % seulement des parents ouvriers.

C’est dire le défi que nous devons aujourd'hui relever, défi qui justifie l’action que le Gouvernement mène en faveur de ce que l’on appelle les publics prioritaires et de l’égalité des chances.

Je voudrais rappeler les actions que nous menons aujourd’hui au bénéfice de ces publics prioritaires, avant d’aborder trois sujets qui me tiennent particulièrement à cœur : la personnalisation de l’enseignement, le système d’orientation et l’autonomie des établissements. Il conviendra à mon sens d’actionner ces trois leviers, dans les prochaines années, pour répondre au défi que j’évoquais à l’instant.

S’agissant tout d’abord de notre politique à destination des publics prioritaires, je rappellerai que, le 11 janvier dernier, le Président de la République a demandé aux grandes écoles de jouer pleinement leur rôle dans le renouvellement et la diversification de nos élites. Il a fixé un objectif extrêmement ambitieux de 30 % de boursiers dans chaque grande école.

Quand neuf ingénieurs sur dix dans le monde sont formés en Extrême-Orient, notre pays ne peut plus se contenter de recruter ses élites parmi 10 % de sa population, en se privant ainsi de 90 % de son intelligence.

Cette exigence ne vaut pas seulement pour l’enseignement supérieur. Pour progresser dans la voie de la diversification des élites et de l’égalité des chances, nous avons inventé plusieurs dispositifs destinés à accompagner les élèves issus de milieux défavorisés vers toutes les filières d’excellence.

Désormais, chaque lycée doit proposer la candidature d’au moins 5 % de ses élèves à l’entrée en classes préparatoires. Cet objectif est d’ores et déjà atteint, puisque seuls dix-neuf lycées n’ont pas satisfait à cette prescription l’année dernière. C’est là une avancée qu’il convient, me semble-t-il, de souligner.

Bien sûr, il nous faut faire plus dans ce domaine. C'est la raison pour laquelle, lors du dernier comité interministériel à l’égalité des chances, le 23 novembre 2009, le Gouvernement s’est engagé à multiplier l’offre de classes préparatoires, notamment technologiques. D’ici à deux ans, une centaine de classes préparatoires supplémentaires seront ainsi créées, leur répartition sur l’ensemble du territoire faisant l’objet d’une attention particulière.

Nous avons également lancé les « cordées de la réussite », opération qui consiste à associer des lycées implantés dans des zones défavorisées, qui n’avaient pas vocation, jusqu’à présent, à diriger leurs élèves vers l’enseignement supérieur et les classes préparatoires, à de grands lycées préparant aux grandes écoles. Aujourd'hui, plus de 125 cordées de la réussite relient, sur l’ensemble du territoire, quelque 800 établissements.

Nous avons en outre ouvert à Sourdun, à la rentrée dernière, le premier internat d’excellence. Nous souhaitons ainsi proposer une pédagogie innovante et un accompagnement personnalisé renforcé à des élèves issus de milieux modestes, mais présentant un grand potentiel de réussite scolaire. C’est vraiment là un retour à l’esprit républicain de notre école : il s’agit d’offrir à des élèves talentueux un cadre plus propice à leur réussite que leur environnement habituel. La République doit leur fournir un climat de travail favorable. Nous ouvrirons onze nouveaux internats d’excellence à la prochaine rentrée. À terme, ce sont ainsi 20 000 places en internats d’excellence qui seront proposées.

Vous avez été nombreux à évoquer la question de l’éducation prioritaire. Je vous rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous n’avons pas supprimé la carte scolaire ; nous l’avons assouplie, car nous pensons que c’est la carte scolaire telle qu’elle existait qui amenait la création de ghettos. J’ai d'ailleurs noté que M. Bodin, même s’il ne cautionne pas forcément notre action, était favorable au principe d’un tel assouplissement.

La carte scolaire a été instaurée à une époque – les années soixante – de forte expansion démographique, qui a nécessité la construction de nouveaux quartiers et entraîné une massification progressive du système éducatif, laquelle a justifié une régulation totale. Près de quarante ans plus tard, on constate que le système a été totalement dévoyé, détourné et qu’il a abouti à une ghettoïsation, contre laquelle nous nous devons de lutter.

C’est donc avec beaucoup d’intérêt que j’ai écouté vos propositions : il s’agit d’évaluer les établissements scolaires en toute transparence, de présenter aux parents les résultats objectivement quantifiables de chaque établissement et de réfléchir à la suppression de la carte scolaire, tout en veillant naturellement à ne pas accroître la ghettoïsation. Nous travaillons en ce sens. J’attends de l’inspection générale les résultats de certaines évaluations et j’évoquerai dans un instant un dispositif qui sera prochainement expérimenté en matière de carte scolaire, le programme CLAIR, « collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite ».

Mettre en place une politique à destination des publics prioritaires est une chose, mais j’ai la conviction profonde que l’éducation nationale est en mesure d’agir sur d’autres leviers pour favoriser l’égalité des chances et permettre aux enfants issus des milieux les plus modestes d’accéder à l’excellence, ou en tout cas de quitter le système éducatif avec un diplôme, une qualification, pour s’insérer dans la société.

Le défi majeur, compte tenu de la massification du système éducatif à laquelle nous sommes confrontés, c’est la personnalisation des parcours. Alors que 65 % d’une classe d’âge obtient aujourd'hui le baccalauréat, nous ne pouvons pas travailler comme nous le faisions il y a vingt-cinq ans seulement – soit une génération –, époque à laquelle moins de 25 % d’une génération atteignait le niveau du baccalauréat.

Pourtant, l’organisation du système éducatif a peu changé depuis vingt-cinq ans. Tous les enseignants, tous les chefs d’établissement le disent : il faut s’orienter vers une personnalisation du système éducatif.

C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de commencer par le plus jeune âge. Vous avez été nombreux à souligner l’importance de l’école maternelle et de l’école primaire. Le plan de prévention de l’illettrisme que j’ai annoncé le 29 mars dernier est d’abord centré sur la lecture, sur l’apprentissage méthodique du vocabulaire et sur le travail avant le cours préparatoire, c’est-à-dire la maternelle.

J’ai décidé de créer cent postes d’inspecteurs de l’éducation nationale spécifiquement chargés de la maternelle. Leur feuille de route prévoit qu’ils doivent précisément travailler sur la question de la maîtrise du vocabulaire et sur les fondamentaux, avant le passage en cours préparatoire et l’apprentissage de la lecture.

Depuis 2008 et la réforme de l’école primaire, nous avons également mis en place une aide personnalisée pour les enfants qui rencontrent des difficultés dans l’apprentissage des fondamentaux, à savoir la lecture, l’écriture et le calcul. Plus d’un million d’élèves bénéficient de cette aide personnalisée – deux heures par semaine – au sein de l’éducation nationale. Elle est assurée par des personnels compétents formés par les enseignants de l’éducation nationale.

En plus de cette aide, les élèves de CM1 et de CM2 qui rencontrent des difficultés scolaires peuvent bénéficier de stages de remise à niveau en français et en mathématiques, pendant les vacances scolaires. Ces stages sont encadrés par des professeurs volontaires. Ils sont proposés sur cinq jours, à raison de trois heures d’enseignement quotidien, à l’occasion des vacances de printemps ou au début du mois de juillet. Certains stages auront lieu dans les prochains jours, d’autres à la fin du mois d’août. En 2009, 214 500 élèves au total ont suivi ces stages dans notre pays.

L’aide personnalisée doit être adaptée au parcours des élèves. C'est la raison pour laquelle l’accompagnement éducatif au collège est proposé entre seize heures et dix-huit heures à tous les élèves qui ne bénéficient pas chez eux d’un encadrement et d’un soutien propices à la réussite. Nous proposons dans tous les collèges de France, mais également dans les écoles de l’éducation prioritaire et, à compter de la rentrée prochaine, dans toutes les écoles de l’outre-mer, un accompagnement éducatif dans le prolongement du temps scolaire.

Cet accompagnement peut prendre des formes très distinctes. Il peut s’agir d’une aide aux devoirs, mais également de la pratique d’un sport, d’une langue vivante ou d’activités culturelles. Près d’un million de collégiens bénéficient de ce dispositif, dans plus de 6 400 collèges, dont un millier dans l’éducation prioritaire.

Au-delà du collège, nous avons réformé l’enseignement professionnel à la rentrée dernière. Le baccalauréat professionnel se prépare désormais en trois ans au lieu de deux. L’objectif – nous avons augmenté le niveau général – est de permettre à plus d’élèves d’obtenir ce type de baccalauréat, alors qu’un élève sur deux arrêtait sa scolarité en voie professionnelle au niveau du BEP.

Nous avons créé des passerelles entre les voies professionnelle, technologique et générale afin de favoriser une réorientation en cours de cursus des élèves. Un accompagnement personnalisé de deux heures et demie par semaine a été mis en place pour tous les élèves de la voie professionnelle afin de les aider à réussir.

Par ailleurs, la réforme du lycée général et technologique, qui entrera en vigueur dès la rentrée prochaine, a aussi pour objectif d’assurer la réussite de chacun. L’une des mesures phare de cette réforme est, là aussi, la mise en œuvre d’un accompagnement personnalisé de deux heures par semaine afin d’aider les meilleurs élèves à atteindre l’excellence et d’apporter un soutien scolaire à ceux qui ont des difficultés.

J’évoquerai maintenant la question de l’orientation, qui doit nous permettre de progresser en matière d’intégration des enfants issus des milieux défavorisés et d’assurer un meilleur brassage.

La question de l’orientation est absolument majeure dans notre système éducatif. C’est sans doute l’un des domaines dans lesquels l’inégalité sociale est la plus forte. La situation n’est pas la même pour un enfant issu d’une famille favorisée ou qui, tout simplement, connaît le système éducatif – celle-ci sera en mesure d’aider son enfant à décrypter le système et de l’accompagner tout au long de sa scolarité – et pour le fils d’une mère célibataire totalement éloignée du système éducatif et vivant dans un quartier difficile.

Il y a là une inégalité criante et un énorme gâchis. En effet, de nombreux élèves qui ont du talent et des qualités, parce qu’ils ne sont pas pris en charge, parce qu’ils ne sont pas conseillés et parce qu’ils ne sont pas accompagnés tout au long de leur scolarité et au moment de l’orientation, échouent. Jacques Legendre évoquait une orientation par défaut, subie.

Nous avons décidé, dans le cadre de la réforme du lycée, de passer à un système d’orientation volontaire, choisi et progressif. Il faut en effet mettre fin au système qui oblige les élèves à décider, à quatorze ans, du métier qu’ils exerceront plus tard. Un tel système n’est plus possible. Il faut envisager une évolution beaucoup plus progressive. Un élève a le droit d’être médiocre à quatorze ans, puis très épanoui et très investi dans un projet d’enseignement à dix-sept ans une fois qu’il a trouvé sa voie, et de réussir pleinement dans une filière professionnelle à vingt-deux ans.

Là est toute la difficulté, mais aussi la grandeur du métier des enseignants : ils doivent repérer le talent, les qualités et les goûts des jeunes afin de favoriser l’éclosion d’une passion et d’un engagement et de permettre à ceux d’entre eux qui sont en situation difficile, parfois en échec scolaire – voire, malheureusement, comme cela arrive trop souvent, en rupture avec le système éducatif et en décrochage – de quitter le système éducatif avec un diplôme.

La réforme du lycée prévoit d’abord un tutorat, avec l’accord des parents. Tous les élèves ne bénéficieront pas de cet accompagnement. Nous proposons aux familles qui en ont besoin une prise en charge des élèves par des enseignants. En effet, qui, après les parents, connaît le mieux les élèves si ce n’est les enseignants ?

Les enseignants auront la possibilité d’exercer un tutorat auprès des élèves. Ils les accompagneront tout au long de leur parcours d’orientation afin de répondre à leurs questions. Ils pourront leur faire rencontrer des conseillers d’orientation, faire venir au lycée des anciens élèves qui évoqueront leur parcours et sa pertinence. Ils pourront également leur présenter des parents d’élèves afin de leur permettre de mieux connaître un métier ou une filière précise. C’est là une avancée significative, qui sera mise en œuvre à partir de la rentrée prochaine.

À mon sens, l’Office national d’information sur les enseignements et les professions, l’ONISEP, a réalisé des efforts considérables en la matière.

D’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous encourage à aller visiter les plates-formes de l’ONISEP. De bonne mémoire, nous en avons inauguré sept. Je viens d’inaugurer celle de Bordeaux, après avoir visité celle d’Amiens, où des conseillers compétents répondent en temps réel, par téléphone, par internet à travers un « tchat », aux questions posées par les parents ou les élèves, avec un système de géolocalisation des formations.

Ainsi, nous prenons en compte les données de l’aménagement du territoire pour montrer aux élèves qu’il y a parfois à proximité de chez eux un métier ou une formation auxquels ils n’avaient pas pensé, parce qu’ils avaient une image un peu négative ou une vision déformée de telle ou telle filière professionnelle.

Autre exemple de l’action que nous menons en faveur de l’orientation : sur ma proposition, un nouveau délégué interministériel à l’orientation, M. Jean-Robert Pitte, ancien président d’université, a été nommé hier en conseil des ministres. Il sera chargé de l’application de la loi que vous avez adoptée à l’automne dernier sur la formation professionnelle, et donc investi de responsabilités importantes. Il aura notamment pour mission d’améliorer la coordination de tous les services de l’État en matière d’orientation.

En outre, je voudrais évoquer devant vous – vous avez été nombreux à y faire référence – l’évolution de la gouvernance de notre système éducatif, en particulier de nos établissements.

Oui, monsieur Lagauche, je suis favorable à une déconcentration et à une autonomie renforcée pour nos établissements ! Et j’ai été heureux d’entendre, sur toutes les travées, des propositions en matière, par exemple, de recrutement de professeurs sur profil dans certains établissements où nous avons besoin d’équipes mobilisées, préparées face à certaines situations, et pérennes.

Je lancerai demain à Marseille le programme CLAIR, que j’ai évoqué à l’instant. Ce dispositif expérimental, que j’avais annoncé au cours des états généraux de la sécurité à l’école, prévoit une expérimentation portant sur les ressources humaines, sur l’innovation pédagogique et sur la vie scolaire dans 106 établissements scolaires à partir de la rentrée prochaine.

En l’occurrence, nous laisserons la liberté aux chefs des établissements concernés – ce sont des établissements d’éducation prioritaire – de recruter leur équipe, afin de disposer d’enseignants motivés et partageant les orientations du projet pédagogique de l’établissement. Ces projets s’inscrivant dans la durée, les enseignants seront nommés pour cinq années. De tels établissements ont besoin d’équipes pérennes, et non d’enseignants arrivés là par défaut – parce qu’ils n’avaient pas suffisamment de points pour obtenir le poste qu’ils souhaitaient, par exemple – et uniquement désireux d’en repartir. Nous voulons des équipes motivées qui partagent les orientations du projet. L’expérimentation débutera à l’automne.

En outre, des innovations pédagogiques sont prévues, afin que puisse être totalement appliquée la loi de 2005 en la matière. Le programme CLAIR a vocation à se substituer à l’ensemble des dispositifs existants en matière d’éducation prioritaire, dès lors qu’il aura apporté la preuve de son efficacité.

D’ailleurs, monsieur Bodin, la proposition que vous avez évoquée en la matière pour le collège me semble tout à fait intéressante.

Parallèlement au dispositif expérimental CLAIR, nous allons également progresser en matière d’autonomie des lycées à la prochaine rentrée. La réforme des lycées prévoit plus de place pour les conseils pédagogiques, ainsi qu’une autonomie et une marge de manœuvre renforcées pour les chefs d’établissement en matière de dotation horaire. Désormais, ce sont les établissements qui décideront de la répartition des dotations dans les dédoublements de classes et pour l’accompagnement personnalisé. Entre les huit heures de dédoublement de classe en seconde et les deux heures d’accompagnement personnalisé, ce sont au total une dizaine d’heures d’enseignement, soit le tiers de l’emploi du temps d’un élève, qui seront laissées à l’appréciation du chef d’établissement et de son équipe, via le conseil pédagogique.

Bien entendu – vous l’avez rappelé à juste titre, monsieur Lagauche –, le cadre demeure national. En tant que ministre de l’éducation nationale, je suis le garant du caractère national de l’enseignement. En même temps, nous voyons bien qu’il faut aujourd'hui donner plus de marges de manœuvre à nos chefs d’établissement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis d’un naturel optimiste, et je crois au sursaut. C'est la raison pour laquelle je ne reprendrai pas l’expression de M. Lagauche, qui faisait référence aux « bataillons d’élèves en échec ». Pour ma part, je préfère aborder les choses de manière positive.

Monsieur le sénateur, le rétablissement des conditions d’une réelle égalité des chances pour lutter contre les hasards de la naissance est au cœur de la politique de l’éducation que nous menons ! Il faut donner sa chance à chaque élève, parce que notre pays a besoin de l’intelligence et des talents de tous ses enfants ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)