Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Voynet.

Mme Dominique Voynet. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, oserai-je prendre la parole devant un aréopage aussi érudit d’éminents spécialistes et de techniciens émérites des finances locales, alors que je n’appartiens pas à ce sérail ?

Je ne suis pas membre de la commission des finances du Sénat, mais, en tant que maire d’une commune de Seine-Saint-Denis, je pense être une élue locale assez représentative de la grande majorité de ces élus qui, sans faire preuve d’une particulière malveillance, ont ressenti, et ressentent encore, une grande perplexité au vu des conséquences de la réforme des finances locales conçue hâtivement, et dont les impacts ont été mal évalués.

Comme tous ces élus, je suis confrontée quotidiennement, et plus intensément encore en cette période de l’année, aux questions de nos concitoyens. Ceux-ci ne comprennent pas que la fiscalité locale pèse davantage sur les territoires déshérités que sur ceux qui sont bénits des dieux de l’économie et de la finance, et, au sein de ces territoires, sur cette catégorie de contribuables desquels on attend un financement solidaire des services publics dédiés aux plus fragiles et auxquels on demande de se substituer à une solidarité nationale défaillante, alors même que les services publics locaux ne sont pas exempts de critiques justifiées, faute de moyens.

Nous sommes donc invités, sur l’initiative du Gouvernement, à nous exprimer sur la péréquation. En vérité, on ne compte plus les débats, les rapports, les conférences sur ce sujet, qui devient, faute de décisions, une sorte de « marronnier parlementaire » (Sourires sur les travées du groupe socialiste.), un simple objet de colloque.

Ce débat supplémentaire sera forcément un peu vain, car il a fallu renoncer, faute de volonté politique, à l’adoption, avant le 31 juillet 2010, d’un projet de loi censé permettre la mise en place de mécanismes de péréquation pourtant prévu par la clause de revoyure introduite dans la loi de finances de 2010.

Mme Nicole Bricq. On ne le dira jamais assez !

Mme Dominique Voynet. À n’en pas douter, c’est une nouvelle déception pour les collectivités territoriales, après l’adoption d’une réforme qui n’a répondu ni à leurs attentes ni aux objectifs annoncés initialement par le Gouvernement.

La situation des collectivités est grave, et parfois désespérée. Transferts de compétences non accompagnés des moyens budgétaires correspondants, réforme de la fiscalité locale qui plonge les élus, leurs administrations, les acteurs locaux et les habitants dans le brouillard le plus épais (M. Roland Courteau opine) : tel est le tableau auquel les collectivités, notamment les plus fragiles, devraient se résigner et dont la conséquence est d’importantes et douloureuses coupes dans les budgets des politiques publiques locales.

Certains orateurs ont décrit la situation inextricable dans laquelle se débattent les départements, qui sont contraints de procéder à des coupes sévères dans certains budgets sensibles pour nos populations, comme la culture ou le sport. Savez-vous, madame la ministre, que nous subissons la double peine ? En effet, les départements n’ont pas d’autre choix que de répercuter sur les communes les conséquences de cette sévérité budgétaire.

Vous avez dressé un tableau idyllique de la mise en œuvre de cette réforme,...

M. Roland Courteau. Comme d’habitude !

Mme Dominique Voynet. ... mais vous avez néanmoins admis qu’elle était complexe. Vous ne pensiez pas, évidemment, qu’elle vous coûterait si cher... Vous auriez dû ajouter que tous ses impacts n’avaient pas été sérieusement anticipés.

Que répondez-vous, par exemple, aux communes de Seine-Saint-Denis qui découvrent que le transfert de la part départementale de la taxe d’habitation, perçue hier par le département, s’accompagnera soit d’une augmentation considérable des impôts locaux, subie par les habitants, soit d’une baisse importante des ressources des communes ? Ces collectivités sont confrontées à un choix cornélien ! Avez-vous prévu un mécanisme de compensation ?

Ne dites pas que je force le trait : dans ma communauté d’agglomération, cette mesure coûtera 1,8 million d’euros sur une seule année !

Plus que jamais, nous avons besoin d’une péréquation juste et efficace. Nous savons bien qu’elle ne sera qu’un instrument parmi d’autres du rééquilibrage nécessaire, qu’elle ne pourra compenser les inégalités fiscales liées à l’archaïsme du dispositif de fixation des bases, et qu’elle ne suffira pas non plus à justifier l’érosion des outils de solidarité entre les territoires et l’inégale répartition des ressources, dont témoigne notamment l’examen quantitatif et qualitatif de certains contrats de projets.

La mise à contribution des collectivités pour financer des programmes ou des infrastructures, comme le TGV ou les chantiers universitaires, qui relèvent de la responsabilité de l’État, et de lui seul, contribue à amplifier les inégalités. (M. Roland Courteau opine.) Qu’adviendra-t-il des collectivités incapables de « mettre au pot » pour assurer ces financements ?

Chaque orateur précédent a rappelé la situation dans laquelle nous nous trouvons et qui est liée en particulier à la limitation en 2010 de l’augmentation de la DGF à 0,6 % et au gel en valeur des concours financiers de l’État aux collectivités à partir du budget triennal 2011-2013.

Dans ce contexte particulièrement préoccupant, la péréquation n’implique que des sommes très modestes au regard des enjeux et des défis auxquels sont confrontés les territoires : avec un volume de 6,27 milliards d’euros, elle représente à peine 3 % des ressources des collectivités territoriales.

Nous avons besoin de plus de péréquation et d’une péréquation plus efficace, comme le montre le rapport de Jacques Mézard et Rémy Pointereau.

Certains territoires bénéficient de programmes spécifiques, qui sont parfois considérables. Certains de ces programmes sont menacés, dans leur volume ou leur principe, par exemple les contrats urbains de cohésion sociale, les CUCS ; d’autres sont maintenus. Mais au lieu de renforcer et de compléter l’intervention de l’État dans des domaines prioritaires ou des territoires déshérités, on substitue de plus en plus ces programmes aux financements de droit commun, qui eux aussi font défaut, comme en matière de renouvellement urbain ou de logement social. C’est également le cas pour les services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, qui ont été évoqués. On aurait pu citer, par ailleurs, le financement des agences postales, la contribution des polices municipales à des tâches qui, hier encore, relevaient de l’État, le cofinancement des réseaux de haut débit, les équipements de cabinets médicaux...

M. Alain Fouché. C’est excessif !

Mme Dominique Voynet. La liste est longue des brèches qu’il faut colmater, jour après jour ! (Murmures d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Si ce chantier est complexe, les solutions à apporter ne doivent pas l’être. C’est un enjeu démocratique majeur et une condition sine qua non de l’acceptation de l’impôt par nos concitoyens que l’adoption de règles simples et justes, et de dispositifs compréhensibles par des non-spécialistes n’ayant pas accès aux contorsions rhétoriques et à l’ébriété technique que nous déployons parfois.

C’est pourquoi je fais miennes les réflexions et les propositions de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, ainsi que celles du Conseil national des villes et de Ville et banlieue. Émises par des praticiens du quotidien, elles sont attendues par tous ceux qui ne se résignent pas au décrochage des territoires, car alors, dans ces derniers, les valeurs de la République ne seraient plus que de la littérature. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, je souhaite intervenir sur deux points.

J’évoquerai, dans un premier temps, le principe de la clause de revoyure, souhaité par un certain nombre de parlementaires autour de Jean-Pierre Raffarin, et que nous avons adopté.

Le Gouvernement s’était engagé, à l’époque, sur ce sujet ; malheureusement, la suite qu’il y a donnée n’est pas tout à fait conforme à ce que nous attendions.

Il s’agissait, pour nous, d’instaurer un vrai débat en séance avec un vote à la clé, afin de revenir éventuellement sur certaines dispositions de la réforme de la taxe professionnelle. Or je constate, madame le ministre, qu’au bout du compte, vous nous proposez un simple échange,...

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Alain Fouché. ... même s’il n’est pas dépourvu d’intérêt.

Je ne suis pas certain que vos services aient adressé aux collectivités des simulations sur les années à venir aussi détaillées que nous le souhaitions. L’inquiétude de ces collectivités, qui craignent de voir disparaître une ressource importante pour leur budget, en est renforcée d’autant. En effet, qu’en sera-t-il en 2014, en 2015, voire au-delà ?

Il en est de même des simulations portant sur la taxe d’habitation qui ne semblent pas tout à fait au point. Les communes seront-elles dans l’obligation d’augmenter cet impôt, au détriment des contribuables ?

Le Gouvernement a décidé de renvoyer notre appréciation au vote du budget. Madame le ministre, un certain nombre d’entre nous aviseront alors, en fonction de ce que vous nous proposerez.

Le second point sur lequel il me semble essentiel de revenir concerne le devenir de la taxe professionnelle sur les grandes entreprises, notamment celles qui sont liées au nucléaire. Je pense en particulier à EDF, fleuron du nucléaire français.

Lors de la construction des centrales nucléaires, des engagements ont été pris par l’État. En effet, les communes d’accueil ont mis en place et continuent de réaliser d’importants programmes destinés à répondre aux besoins constants des nouveaux habitants : écoles, stations d’épuration, espaces sociaux et culturels, etc. Qu’en sera-t-il en 2014 et en 2015 ? La Nouvelle République de ce jour fait ainsi état d’une commune d’accueil de mon département qui doit réaliser d’importants travaux de construction d’un groupe scolaire, et qui n’est pas assurée d’obtenir les financements nécessaires dans les prochaines années.

Actuellement, la partie de la taxe versée aux communes permet de rembourser les emprunts contractés et d’assurer les coûts de fonctionnement des nouveaux équipements. Cette répartition du Fonds de péréquation de la taxe professionnelle des centrales nucléaires s’est avérée indispensable pour un grand nombre de collectivités, car elle profite aussi – et c’était la volonté du législateur ! – aux moins aisées d’entre elles.

Sont concernés 22 départements français. Dans la Vienne, le conseil général répartit les recettes issues de la taxe professionnelle entre 250 des 283 communes du département. Étant donné le nombre de départements intéressés, nous devons donc être très attentifs et veiller à l’équilibre des finances locales.

Nous souhaitons que les mêmes sommes soient allouées à toutes les communes et que les conseils généraux déterminent la répartition du fonds en fonction de critères établis. La logique veut que cette attribution leur revienne, car ni l’État ni les régions ne connaissent mieux que nous la situation des communes.

Faut-il changer les critères de répartition entre communes ? À l’heure actuelle, dans mon département, les communes dites « d’accueil » en bénéficient à hauteur de 40 % et les communes dites « défavorisées » à hauteur de 60 %. Toutefois, le montant global reversé ne doit pas changer.

Sur ces différents points, madame le ministre, je souhaite obtenir une réponse ferme et des engagements précis de votre part. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, à quelques jours de la présentation du projet de loi de finances pour 2011, notre débat, comme celui qui s’est déroulé au mois de juin, tient lieu de la fameuse clause de revoyure que certains d’entre nous avaient voulu inscrire dans la loi.

Si nous avons souhaité cette clause, il faut le rappeler, c’est parce que la réforme inquiétait sur toutes les travées de la Haute Assemblée et angoissait plus largement encore l’ensemble des élus locaux.

Certes, par nature, tout changement inquiète. Mais, dès lors qu’il s’agissait de bouleverser l’équilibre fragile des finances locales, en pleine crise financière et au moment où s’ouvrait, de manière séparée, le débat relatif à l’organisation de nos collectivités et à leurs compétences, il était certain que les inquiétudes seraient grandes.

Aujourd’hui, avec le temps et compte tenu des simulations réalisées, la réforme se révèle de plus en plus positive : pour nos entreprises d’abord, et principalement pour celles qui investissent le plus, mais aussi pour nos collectivités, à condition que nous apportions les ajustements nécessaires pour le bloc communal, que nous trouvions une solution pour permettre aux départements de faire face à l’augmentation de leurs charges, et que nous allions, sans faiblir, au bout des intentions affichées, en refondant les mécanismes de péréquation.

Des ajustements nécessaires, il y en a. Le meilleur exemple concerne la taxe d’habitation, transférée en totalité au bloc communal.

Le texte adopté prévoit le transfert non pas du produit de l’ancienne part départementale, mais de celui qui résulte de la prise en compte de la base et du taux départemental, déduction faite des abattements que la commune applique à ses propres bases. Ce dispositif, a priori anodin, instaure un véritable traitement inéquitable entre collectivités et entre contribuables, qui relèvent de catégories justifiées uniquement par l’histoire des départements.

Ainsi, dans le cas où les abattements communaux sont plus généreux que ceux du département, certains contribuables verront le montant de leur taxe d’habitation diminuer ; dans le cas inverse, ce montant augmentera mécaniquement, sans que la commune intervienne de quelque manière que ce soit.

De ce fait, certains maires seront paradoxalement salués eu égard à la baisse de la pression fiscale qu’ils ont permise dans leur commune alors que les recettes seront préservées – ce n’est tout de même pas banal ! –, tandis que d’autres seront incriminés, bien qu’ils ne soient pas davantage responsables de la décision adoptée… Cerise sur le gâteau, ces derniers élus n’auront d’autre choix, pour échapper à ce piège, que de diminuer les ressources de leur collectivité en alignant à la hausse leurs abattements sur ceux du département !

Madame le ministre, cette réforme, à travers le FNGIR, doit être neutre non seulement pour les communes, mais aussi pour les contribuables. Il n’est donc pas possible à mon sens d’en rester là : il nous faudra trouver un dispositif susceptible de corriger le tir.

À cet égard, monsieur Guené, la proposition que vous avez formulée est bien sympathique, mais elle revient, je me permets de vous l’indiquer, à répartir la pénurie entre les contribuables d’une même collectivité ! Pour ma part, telle n’est pas mon point de vue. Nous devons examiner l’ensemble des communes pour savoir qui gagne et qui perd, et trouver un mécanisme de compensation.

Je souhaite maintenant aborder un deuxième point : la réforme de la péréquation financière. Celle-ci est nécessaire, car les anciens dispositifs – les FDPTP, les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle, et le FSRIF, le fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France – sont devenus inopérants, notamment en termes de péréquation horizontale et à l'échelon communal. Il nous faudra également réinventer un potentiel financier.

Or ce délicat problème ne peut être abordé que de deux manières. Nous pouvons éventuellement nous contenter de replâtrer pour la énième fois les dispositifs existants, sous le prétexte que nous ne pourrions pas changer les règles du jeu à trois ans des prochaines échéances municipales, ou que sais-je encore ! Tous ces arguments ont été maintes fois entendus et n’ont en fait qu’une finalité : repousser toujours à demain une véritable réforme de la péréquation !

M. Philippe Dallier. Nous ne pouvons plus accepter ces arguments et nous contenter de ces replâtrages, et cela d’autant moins que la réforme a vu s’opérer, entre collectivités, des transferts de bases très importants, qui ont souvent renforcé les territoires déjà les plus avantagés, notamment en termes de valeur ajoutée. C’est particulièrement flagrant en Île-de-France !

Madame le ministre, au nom de l’égalité républicaine, nous ne pouvons plus accepter que les recettes fiscales par habitant, d’une collectivité locale à l’autre, varient de 1 à 17 !

Nous ne pouvons plus accepter que les taux d’imposition soient les plus élevés dans les territoires les plus pauvres, alors que le niveau de service y est souvent très inférieur à la moyenne nationale !

M. Jacques Mézard. Très bien !

M. Philippe Dallier. Aujourd’hui plus qu’hier, il y va de la cohésion sociale et nationale, car la faiblesse de nos dispositifs de péréquation et la pression fiscale qui en découle sont un formidable accélérateur de ségrégation territoriale.

Il nous faudra également réviser les critères de la DSU, en concentrant les moyens – je n’hésite pas à le dire – sur les villes les plus pauvres, et donc sortir du dispositif un certain nombre de communes qui, à mon sens, n’en relèvent pas.

M. Jacky Le Menn. Tout à fait !

M. Philippe Dallier. Il nous faudra aussi revoir la DGF, qui est devenue, au fil du temps, par sédimentation, très inégalitaire, et cela en tenant compte de critères de charges qui doivent également être redéfinis.

Prendre en considération le caractère balnéaire ou montagnard des communes me paraît tout à fait justifié, de même qu’il me semblerait légitime d’intégrer désormais, par exemple, les sommes que les communes sont priées de consacrer à la sécurité – un domaine qui relève tout de même d'abord de la compétence de l’État ! – à travers la police municipale ou la vidéosurveillance.

M. Jacky Le Menn. Très bien !

M. Philippe Dallier. Nous savons bien, là aussi, que ce sont souvent les communes les plus pauvres qui sont confrontées aux difficultés les plus grandes et qui paient le plus cher pour que leur sécurité soit assurée.

Oui, cette réforme sera difficile, et certaines collectivités locales – les plus riches – verront leurs recettes diminuer. Je ne sous-estime pas la difficulté que cette baisse de ressources représentera pour elles, ni la nécessité de trouver une solution de lissage. Toutefois, ce dernier devra s’opérer dans un temps relativement court, et nous devrons prendre en compte à la fois le stock et le flux de richesses pour réaliser cette réforme.

Enfin, je n’oublie pas dans mes souhaits la réforme des valeurs locatives, dont on a tant parlé, depuis tant d’années, et qu’il faudra également mener à terme,…

M. Yvon Collin. C’est urgent !

M. Philippe Dallier. … afin, là aussi, tout simplement de revenir à une véritable équité fiscale. En effet, cette dernière n’existe même pas entre les collectivités de niveau identique, alors qu’elle constitue une obligation constitutionnelle !

Madame le ministre, il faudra de l’audace et du courage politique pour proposer et mener à bien une telle réforme. Je ne doute pas un instant que vous ayez l’une et l’autre. C’est pourquoi j’attends avec impatience et confiance l’examen des nouveaux dispositifs que vous nous annoncez. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Claude Frécon. C’est très bien ! Ce sont de très bonnes intentions.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame la présidente, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de remercier Mme la ministre, qui est encore parmi nous alors qu’elle doit honorer des engagements, ce soir, à Bruxelles.

Le débat que nous venons de tenir a été utile, me semble-t-il. Il a ouvert des perspectives intéressantes. Il a aussi montré quelques limites !

Ce débat a été utile parce qu’il nous a apporté des éléments précis sur les intentions du Gouvernement s'agissant des relations financières entre l’État et les collectivités territoriales et parce qu’il nous a éclairés sur les suites de la réforme de la taxe professionnelle. À ce titre, il tient lieu du débat d’orientation budgétaire sur les collectivités territoriales, qui se déroule traditionnellement dans les délais très contraints de l’examen de la première partie du projet de loi de finances. Nous aurons ainsi, en quelque sorte, véritablement anticipé cette discussion dans le cadre d’une meilleure organisation de nos travaux. Naturellement, il va de soi que ce débat général ne nous dispensera pas d’un examen très détaillé des mesures qui figureront dans les articles du projet de loi de finances.

Ce débat a été utile aussi parce qu’il a mis en œuvre la clause de rendez-vous que le Sénat avait inscrite dans la loi de finances de 2010 et que nous avions renoncé à appliquer au début de l’été dernier, faute de données suffisantes pour apprécier les effets de la réforme de la taxe professionnelle. Depuis lors, nous avons eu connaissance de deux rapports, celui des inspections générales et celui des parlementaires en mission, mais aussi des préconisations de la commission des finances de la Haute Assemblée et des réflexions menées dans les ministères concernés, c'est-à-dire celui des finances et celui de l’intérieur.

Enfin, ce débat a été utile en ce qu’il a permis, sur toutes les travées de cette assemblée, d’exprimer satisfactions, inquiétudes ou interrogations, ou encore de formuler des propositions. Je pense en particulier à celle que nous a soumise Philippe Marini et qui porte sur le financement des services départementaux d’incendie et de secours. En effet, nous savons que les contingents prévus par les communes et les établissements publics de coopération intercommunale ont été gelés par la loi du 13 août 2004. Or il y a forcément injustice, car les paramètres qui servaient de base à la répartition, et qui étaient liés à la démographie et au potentiel financier, ont évolué depuis lors, tandis que les contingents n’étaient réévalués qu’en proportion de l’inflation.

M. Jean-Jacques Lozach. Tout à fait ! Les départements paient à la place !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame la ministre, plusieurs éléments nous donnent satisfaction.

En premier lieu, je crois que chacun a pris conscience du bien-fondé du gel en valeur des concours de l’État aux collectivités territoriales, qui avait été annoncé dès le 6 mai dernier par le Premier ministre, puis confirmé dans le cadre de la Conférence nationale sur les déficits publics. Comment pourrait-il en être autrement, compte tenu de la situation actuelle particulièrement dégradée de nos finances publiques ? Il va de soi que les collectivités territoriales ne peuvent rester à l’écart de l’effort qui est demandé à tous.

Mme Nicole Bricq. Oui, à tous ! Vraiment à tous !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. En effet, il est clair que l’État, qui a affiché un déficit budgétaire de 138 milliards d’euros en 2009, ne peut continuer à accroître, comme par le passé, le montant des concours financiers qu’il verse chaque année aux collectivités territoriales. La période durant laquelle ces concours augmentaient à un rythme supérieur à celui de l’inflation est révolue, car la situation financière de l’État ne le permet plus.

Nul ne peut dire combien de temps durera ce gel des dotations versées par l’État aux collectivités, ni si un jour celles-ci ne diminueront pas… Mes chers collègues, ayons à l’esprit que, sur les 210 milliards d'euros de dépenses des collectivités territoriales, l’État contribue à hauteur de près de 100 milliards d'euros !

La reconnaissance d’un statut particulier pour le Fonds de compensation de la TVA constitue pour moi un second élément de satisfaction. Ce mécanisme se trouve écarté de l’enveloppe normée, qui ne concerne que les dotations et compensations d’exonérations. Il évolue donc distinctement, en lien avec le volume des investissements des collectivités territoriales. C’est d'ailleurs heureux, car l’effet du plan de relance joue au surplus.

Toutefois, madame la ministre, si nous avons des motifs de satisfaction, nous restons sur notre faim à plusieurs titres.

Tout d'abord, nous ne connaissons pas précisément les mesures qui figureront dans le prochain projet de loi de finances. Celles qui concernent les collectivités territoriales seront dévoilées demain au Comité des finances locales. Pour notre part, nous devrons attendre mercredi prochain et l’adoption du projet de loi de finances en conseil des ministres pour en prendre connaissance.

Manifestement, les mesures qui nous seront proposées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011 seront pour une large part la prorogation du statu quo. Faute de données fiables et d’une analyse approfondie des conséquences de la réforme de la taxe professionnelle, un certain nombre de décisions, notamment celles qui concernent la péréquation au sein du bloc communal, seront remises à plus tard.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Une crainte peut être exprimée à cet égard, celle que nous soyons de nouveau entrés dans un cycle perpétuel d’ajustements et de rectifications de la législation qui rappellerait les soixante-dix modifications successives subies en trente-cinq ans par la taxe professionnelle… (Sourires.)

Madame la ministre, à ce propos, alors que Jean-Pierre Fourcade avait pu proposer au Parlement d’instituer une taxe professionnelle dont le dispositif tenait en trois pages, vous avez dû nous présenter un texte de 135 pages pour réformer cette imposition !

J’en viens à une question particulièrement sensible : le Gouvernement a-t-il mesuré combien la situation financière des départements était difficile ? Pris en tenaille entre la réduction de leurs ressources, la perte de leurs marges de manœuvre fiscale et l’explosion incontrôlée des dépenses liées aux prestations individuelles – revenu de solidarité active, allocation personnalisée d’autonomie et prestation compensatrice du handicap –, les départements sont confrontés à un double risque.

Tout d'abord, ils sont menacés de devenir de simples opérateurs de l’État. Dans ce cas de figure, on peut imaginer que soient créés à l’échelon territorial des établissements publics, opérateurs de l’État, chargés du versement des trois allocations précitées. Pourquoi ne pas établir un budget annexe dans les budgets des départements ?

Ensuite, les départements courent un risque financier, madame la ministre : il se pourrait que, demain, les agences de notation considèrent que leur situation est si délicate que leurs notations doivent être dégradées, ce qui ne manquerait pas d’augmenter les taux d’intérêt qu’ils ont à subir et de les placer devant de plus grandes difficultés encore.

Nous ne pouvons plus nous contenter de mesures conjoncturelles, qui ne règlent pas le problème de fond. Il faut désormais à la fois isoler ces dépenses, par exemple en les regroupant dans un budget annexe, et identifier un mode de financement dont l’État serait le garant et qui, à mon sens, doit prendre la forme d’un prélèvement sur l’enveloppe globale des dotations de l’État aux départements.

Je rappelle que la seule dotation globale de fonctionnement des départements s’élève, en 2010, à 12,188 milliards d’euros… À mon avis, madame la ministre, il faudrait étudier la possibilité de soustraire de cette somme les quelque 4,5 milliards d’euros correspondant aux trois allocations que je viens de citer. L’État s’engageant chaque année à compenser aux départements le montant effectif versé, cette dotation serait adaptée en fonction de la réalité. Le reste, c'est-à-dire les 7,7 milliards d’euros, pourrait faire l’objet d’ajustements, selon des critères que nous aurions à définir.

De manière plus générale, madame la ministre, je crains que vos propositions n’aillent pas assez loin. Certes, vous améliorerez les mécanismes de péréquation horizontale. Pour les départements et les régions, les fonds de péréquation de la contribution sur la valeur ajoutée, qui avaient été institués, il est vrai bien rapidement, par le biais d’amendements du Gouvernement aux conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2010, verront leur efficacité renforcée.

Le fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux sera, lui aussi, mis en place. Je m’en réjouis.

Madame la ministre, nous vous faisons également confiance pour trouver des solutions satisfaisantes pour les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle et pour le Fonds de solidarité de la région d’Île-de-France. Mais ces avancées n’auront de sens que si nous nous attaquons enfin aux injustices flagrantes des dotations de l’État aux collectivités territoriales, dont la répartition est manifestement trop inéquitable.

De ce point de vue, le constat est alarmant. Ainsi, la dotation globale de fonctionnement continue d’intégrer des variables historiques qui la rendent totalement injuste ; il en résulte des variations des montants versés par habitant qui me semblent aujourd’hui totalement incompréhensibles. L’injustice de ce système, qui pouvait être supportable à l’époque où, chaque année, l’ensemble des dotations augmentaient, ne le sera plus pour les collectivités les plus défavorisées, à l’heure où les concours financiers sont figés.

M. Dallier a rappelé l’écart des recettes fiscales qui existe entre les communes et qui peut varier par habitant de 1 à 17 ! Prenons l’exemple de la dotation globale de fonctionnement des départements. Selon les informations dont je dispose, et si l’on exclut le département de Paris, les dotations par habitant en 2010 oscillent entre 104,41 euros et 481,22 euros. Est-ce admissible ? Certainement pas ! J’aurais également pu exclure le département le mieux doté, au risque de choquer notre collègue Jacques Blanc,...