M. Jacques Muller. Cela dit, nous avons déposé quatre amendements destinés à stimuler les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables. Nous espérons, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, qu’ils seront intégrés dans la loi. Ce serait bien le minimum minimorum pour un texte dont l’ambition affichée est la réorganisation du marché de l’électricité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous aurons bien évidemment l’occasion, au cours de la discussion, de revenir précisément sur l’ensemble des questions que vous avez posées. Cependant, je souhaiterais vous apporter sans attendre quelques précisions.

La première question essentielle est celle que vous avez soulevée, monsieur le rapporteur, au sujet de la prolongation des contrats d’obligation d’achat pour les petites installations hydroélectriques.

À la suite de la convention pour le développement d’une hydroélectricité durable, nous avons d’ores et déjà engagé des travaux avec les professionnels afin de définir les conditions de prolongation de ces contrats dans le cas où les exploitants feraient de nouveaux investissements afin de moderniser leurs installations.

En ce qui concerne le deuxième point, plus central, que vous avez évoqué dans votre conclusion – la possibilité offerte aux fournisseurs alternatifs de participer, aux côtés d’EDF, aux investissements nécessaires à la prolongation de la durée de vie des centrales existantes –,…

M. Jacques Muller. Trente-cinq milliards !

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. … je souhaiterais rappeler que la loi encourage, au-delà de l’ARENH, les fournisseurs et EDF à conclure, de gré à gré, des partenariats allant dans cette direction.

Le principe de la loi consiste à donner, avec l’ARENH, un cadre a minima de régulation du marché entre le fournisseur historique et les nouveaux entrants. Cela dit, nous encourageons les uns et les autres à conclure des contrats de gré à gré sur plusieurs années, avec un prix spécifique qui prévoira certaines obligations d’investir dans l’outil de production du côté de l’alternatif. Dans ce cadre-là, naturellement, rien n’interdit d’aller dans le sens que vous évoquiez.

Au sujet du prix de l’ARENH, évoqué par Philippe Marini, Jean-Claude Danglot et Roland Courteau, je souhaiterais revenir sur les interprétations qui ont été faites de la notion de « prix cohérent avec le TARTAM ». Ce prix est celui qui permet à un fournisseur de faire une offre à un client à un prix comparable à celui du TARTAM. Concrètement, ce n’est pas égal au TARTAM, mais bien « cohérent » avec celui-ci, ce qui n’est pas la même chose. Il y a une nuance non négligeable !

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Pour le dire autrement, et contrairement à ce que vous indiquiez, monsieur Courteau, le TARTAM est aujourd’hui un prix. Demain, le prix de l’ARENH ne correspondra pas au TARTAM actuel majoré d’un complément de fourniture et une marge ; il s’agira bien de fixer un prix de l’ARENH qui, ces deux éléments complémentaires inclus, corresponde peu ou prou au TARTAM et soit donc cohérent par rapport à lui. (M. Roland Courteau s’exclame.)

De la sorte, les bénéficiaires du TARTAM profiteront d’une transparence totale entre le TARTAM actuel et l’ARENH.

Je voudrais également revenir sur la question non moins centrale de l’ouverture à la concurrence et des directives européennes, abordée ce soir par Jacques Mézard, Jean-Claude Danglot, Jean-Claude Merceron, Roland Courteau, Benoît Huré et, à l’instant, Jacques Muller.

Comme vous l’a très bien expliqué votre collègue Philippe Marini, dont je reprendrai les termes, le projet de loi prévoit la régulation la plus forte qui soit dans un contexte juridique donné, réaffirmé par la Commission européenne, contexte qu’il ne m’appartient pas aujourd’hui de juger.

Nous devons tenir compte de ce contexte juridique de l’Union européenne, et adapter notre législation en conséquence.

Certes, nous pourrions débattre pendant des heures des bienfaits et des méfaits du libéralisme. J’ai entendu certains d’entre vous lui intenter un procès général assez classique : ainsi, le libéralisme, depuis trente ans, n’aurait produit que des horreurs !

M. Roland Courteau. En matière d’électricité, c’est bien le cas !

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Vous avez peut-être raison, chacun peut porter un jugement en la matière ! Mais j’aurais souhaité que d’autres idéologies, aujourd’hui totalement disparues, fassent, elles aussi, l’objet de procès similaires et répondent, en leur temps, des méfaits bien plus puissants qu’elles ont infligés à l’ensemble de nos économies – sans parler des quelques millions de morts dont elles ont malheureusement été la cause… (Vives exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. Martial Bourquin. Ce n’est pas comparable !

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Alors, de grâce, évitons ces procès qui me semblent dépasser largement votre propre pensée ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

M. Roland Courteau. C’est scandaleux !

M. Martial Bourquin. Vous êtes hors sujet, monsieur le secrétaire d’État !

M. Jean-Claude Danglot. Et 1946, c’est idéologique, peut-être ?

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Puisque vous m’y invitez, je préciserai encore que c’est la gauche qui, en 2000, a voté la loi d’ouverture du marché de l’électricité. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Roland Courteau. C’était une ouverture a minima !

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Et je rappelle au passage que c’est la droite, et plus précisément cette majorité, qui a mis en place tous les garde-fous actuels ! (Rires et exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Les tarifs sociaux, qui c’est ? C’est la droite ! Le TARTAM, qui c’est ? C’est cette majorité. (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Daniel Raoul. Et les congés payés, qui c’est ? (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. C’est nous qui avons mis en place toutes les régulations ; c’est vous qui, en 2000, avez mis en œuvre la première loi de libéralisation du marché !

M. Roland Courteau. C’est M. Juppé qui l’avait négociée en 1996 !

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Mais, pour tenter de dépasser les caricatures éculées, des uns et des autres, d’ailleurs (Nouveaux rires sur les mêmes travées.), revenons, si vous le voulez bien, à la réalité de ce texte.

M. Martial Bourquin. Provocateur !

M. Roland Courteau. Vous dérapez !

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Mais non ! J’essaie simplement de répondre à la hauteur de votre propre provocation ! (Sourires.)

M. Martial Bourquin. Et nous vous répondrons !

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Quoi qu’il en soit, ce projet de loi NOME est avant tout un texte qui nous permet de créer une nouvelle régulation des marchés de l’électricité dans notre pays, en fonction d’un cadre juridique donné, défini par l’Union européenne.

Je voudrais également revenir sur la question du « ciseau tarifaire » soulevée par Jean-Claude Merceron. Nous aurons, là aussi, l’occasion d’y revenir au cours des débats. Cependant, je voudrais immédiatement préciser qu’il faut non pas considérer uniquement le prix de l’ARENH, mais tenir compte aussi de l’ensemble des conditions d’approvisionnement, notamment le volume et le profil de livraison, pour s’adapter aux différentes catégories de clients, comme le prévoit d’ailleurs explicitement la loi.

En ce qui concerne la sortie du dispositif de l’ARENH, évoquée par Jean-Claude Merceron et Yvon Collin, je souhaiterais indiquer que notre priorité est d’investir dans le parc nucléaire existant afin d’en restaurer les performances et d’en prolonger la durée de vie.

Je précise que la programmation pluriannuelle des investissements, qui constitue en quelque sorte notre feuille de route énergétique, démontre qu’avec le développement actuel des ENR et les économies d’énergie, il ne sera pas nécessaire, avant 2020, de construire de nouvelles tranches nucléaires au-delà des deux projets déjà lancés. Nous avons donc, me semble-t-il, tout le temps de mener ce débat-là ; il me paraîtrait prématuré de l’engager à l’occasion de l’examen de ce texte.

À propos des ELD, je voudrais répondre à Xavier Pintat que le projet de loi NOME les préserve, d’une part, grâce au maintien du tarif de cession pendant un certain nombre d’années, d’autre part, par les mesures dérogatoires que nous avons mises en place, qui leur permettront de se regrouper pour accéder à l’ARENH et satisfaire à l’obligation de capacités qui sera désormais la leur.

Concernant les électro-intensifs, évoqués notamment par M. Jean-Pierre Vial, le projet de loi NOME leur garantit, comme aux autres consommateurs, un prix de l’électricité fondé sur les coûts. De plus, comme vous le savez, l’Assemblée nationale a ajouté, avec l’accord du Gouvernement, un dispositif de rémunération de « l’interruptibilité » qui bénéficiera aux plus gros sites industriels de production.

Par ailleurs, l’obligation de capacités leur permettra de valoriser leur capacité d’effacement. Dans l’attente de la mise en place de ce mécanisme, nous appuierons l’amendement que vous soutenez demandant à RTE de faire des appels d’offres pour l’effacement des grands sites industriels.

Enfin, monsieur Muller, vous avez fait une erreur sur un point : les charges de long terme du nucléaire sont provisionnées et payées dès aujourd’hui. Elles sont d’ailleurs incluses de façon totalement explicite dans le prix de l’ARENH.

M. Jacques Muller. On ne connaît pas le coût du démantèlement...

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. La politique nucléaire que mène la France est évidemment responsable et aucune charge ne sera reportée sur les générations futures.

Mesdames, messieurs les sénateurs, pour l’ARENH comme pour les retraites, nous ne souhaitons pas reporter sur les générations futures des décisions que nous devons prendre et assumer aujourd’hui, et c’est ce que nous faisons dans l’un et l’autre cas ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.- Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Odette Terrade. M. Fillon avait déjà dit cela en 2003 !

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité
Exception d'irrecevabilité (interruption de la discussion)

Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Danglot, Mme Didier, M. Le Cam, Mmes Schurch, Terrade et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche, d’une motion n° 22.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (n° 644, 2009-2010).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Mireille Schurch, auteur de la motion.

Mme Mireille Schurch. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les membres du groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche ont souhaité, en effet, déposer une motion d’irrecevabilité sur le présent texte.

Force est de constater que le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité présente des dispositions manifestement contraires au droit national comme au droit communautaire. Pour autant, et je vous le dis d’emblée, l’inconstitutionnalité de ce projet de loi n’est pas le pire de ses défauts.

Si nous avons fait le choix de ce moyen de procédure, c’est pour mettre en lumière les contradictions de ce gouvernement au regard des directives européennes, voire ses errements en matière de politique énergétique, et la mise en cause des principes de justice et de solidarité régissant notre République.

En effet, depuis plusieurs décennies, l’Europe et ses institutions se sont fixé pour but ultime la construction d’un espace totalement libéralisé, au sein duquel la concurrence libre et non faussée est le prisme de toute politique publique, et ce dans tous les domaines d’activités humaines, qu’ils relèvent de l’intérêt général ou du simple commerce.

Il en est ainsi du secteur de l’énergie : les directives successives de 1996, 2003 et 2009 ont permis d’instaurer un marché de l’énergie européen, cassant les monopoles publics et le caractère intégré de l’offre, et favorisant l’apparition de nouveaux acteurs privés, appelés à profiter des bénéfices que pouvait engendrer ce marché.

Cette organisation qui, dans le mirage capitaliste, était censée apporter une amélioration de l’offre pour les consommateurs, s’est révélée particulièrement inopérante, puisque ceux qui ont fait le choix d’entrer dans ce marché libre ont vu les tarifs exploser sans que la qualité de l’offre soit améliorée.

Pourtant, ce projet de loi permet d’aller encore plus loin pour stimuler le marché énergétique, quitte à fausser la concurrence pour faire émerger artificiellement de nouveaux opérateurs. Vous avez la mémoire bien courte ! Avez-vous oublié le désastre californien, ou encore le scandale d’Enron ?

Alors que la pertinence d’un marché libéralisé par la multiplication des acteurs est, chaque jour, réfutée par les faits, vous nous demandez aujourd’hui de soutenir une aide d’État aux opérateurs privés du secteur énergétique. Une nouvelle fois, vous mettez l’argent public au service d’intérêts privés.

Je vous rappelle que toute aide d’État est prohibée par les traités, et notamment par l’article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Une aide d’État désigne, en effet, l’intervention d’une autorité publique par le biais de ressources publiques, pour soutenir certaines entreprises ou productions. Il me semble que nous nous situons exactement dans ce cas de figure.

Pour illustrer mon propos, je vous propose d’établir un parallèle intéressant.

Comme vous le savez, la Commission européenne a engagé un recours en manquement contre la France en 2006, au motif que le TARTAM mis en place par la loi de privatisation de GDF constituerait une aide d’État pour les consommateurs en bénéficiant. Or le présent projet de loi tend à mettre en place l’ARENH, dont la tarification devrait se rapprocher de celle du TARTAM, puisqu’il est clairement stipulé que « le prix de l’ARENH est fixé initialement en cohérence avec le tarif visé à l’article 30-1 de la loi du 9 août 2004 ».

Certes, les bénéficiaires ne sont pas les mêmes : d’un côté, le TARTAM bénéficiait essentiellement aux professionnels afin de préserver la compétitivité économique des entreprises françaises, tandis que l’ARENH bénéficiera aux opérateurs alternatifs d’électricité. Cependant, les mécanismes sont les mêmes, ce qui laisse craindre que l’ARENH ne soit également qualifiée d’aide d’État, et ce sans la justification d’intérêt général que portait le TARTAM.

Disons-le tout net : vous souhaitez contraindre EDF, société anonyme détenue à majorité par des capitaux publics, à céder à ses concurrents, quasiment à prix coûtant, l’électricité d’origine nucléaire qu’elle produit. Nous n’avons jamais vu, dans l’histoire, de procédé aussi contraignant à l’égard d’une entreprise, qu’elle soit publique ou privée. Vous maltraitez ainsi le principe de la liberté d’entreprendre qui, vous le savez, n’est pas l’une de nos références préférées.

Il s’agit du choix délibéré de mettre la société EDF en difficulté afin de faire partager ses bénéfices, alors même que les entreprises qui achèteront de l’énergie nucléaire ne seront soumises à aucune contrainte réelle en termes d’obligations de service public, qu’elles concernent les tarifs ou la sécurité d’approvisionnement, malgré le dispositif mis en place à l’article 2 de ce projet de loi.

De plus, si la concurrence libre et non faussée repose sur une multiplication des offres, ce projet de loi ne permet que de renforcer les intermédiaires, la production nucléaire restant, pour sa part – et c’est heureux ! –, monopole d’EDF, notamment au regard des enjeux de sécurité, celle des installations comme celle des personnels.

Aujourd’hui, vous organisez une concurrence faussée en spoliant EDF au profit de ses concurrents. Notons que cela revient à spolier les Français, puisque ce sont eux qui ont permis, en acquittant leur facture énergétique, la réalisation d’investissements lourds, nécessaires à cette activité particulière qu’est la production d’énergie nucléaire.

De plus, ce projet de loi est contraire à notre pacte républicain. Le préambule de la Constitution de 1946, composante du « bloc de constitutionnalité » qui rassemble l’ensemble des valeurs constitutionnelles de notre République, dispose, comme l’a rappelé Jacques Mézard, que « tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».

Cette qualification est notamment permise pour EDF, grâce au monopole d’exploitation de l’énergie nucléaire dont elle dispose. Or cette propriété publique d’EDF, justifiée par l’exercice d’un service public national, ne peut être utilisée par l’État pour nourrir les autres opérateurs au détriment de son outil public. Nous trouvons cette utilisation d’un service public national doté d’une mission de service public particulièrement troublante, puisque sa finalité serait de répondre non pas à l’intérêt général, mais aux intérêts privés de Suez, POWEO et autres Direct Energie.

Fondamentalement, les Français perçoivent EDF non pas comme une entreprise autonome opérant avec sa propre ambition sur un marché mondial, mais comme un service public dont la mission unique est de pourvoir à leurs besoins au moindre coût. Ainsi, 96 % des Français sont restés fidèles aux tarifs réglementés de leur opérateur historique, EDF.

Venons-en au deuxième point, qui me semble particulièrement contestable du point de vue de la constitutionnalité. Il s’agit de la fameuse clause de destination, évoquée par Roland Courteau, et prévue à l’article 1er du texte.

J’ai bien compris que, s’agissant de cette clause, les analyses divergeaient.

Voici ce que le député Jean-Claude Lenoir note dans son rapport : « Si la clause de destination n’est pas explicitement édictée dans le projet de loi, plusieurs dispositions techniques du projet de loi indiquent qu’est garanti le fait que l’ARENH bénéficiera in fine aux seuls consommateurs situés sur le territoire national ». Cette affirmation entre absolument en contradiction avec le courrier, daté du 15 septembre 2009, adressé par François Fillon, Premier ministre du Gouvernement français, à la commissaire européenne à la concurrence : « Le dispositif ne limiterait en aucune manière le potentiel d’exportation d’électricité puisque les fournisseurs qui auront acquis des volumes d’électricité de base à prix régulés resteront libres de les revendre à des clients finals en France, comme sur d’autres marchés ».

Que devons-nous penser de ces contradictions ?

Comme le note très justement le député Lenoir, cette « clause de destination peut apparaître comme une restriction injustifiée des exportations, incompatible avec le droit communautaire ». D’ailleurs, la Commission a condamné GDF-Suez et E.ON, le 8 juillet 2009, au motif qu’ils avaient conclu un accord similaire avec Gazprom.

Au final, ce projet de loi, censé répondre aux injonctions de la Commission et mettre le droit français en conformité avec le droit communautaire, aura pour conséquence de nous mettre une nouvelle fois en infraction avec celui-ci. Si d’aventure un recours était formé auprès de la Cour de justice des Communautés européennes, il y a fort à parier que cette clause serait déclarée incompatible avec le principe de libre circulation des biens et des marchandises, et avec la prohibition de tout obstacle aux frontières.

Pourtant, la suppression de cette clause entraînerait sûrement le marché de l’électricité nucléaire, aujourd’hui préservé, sur la pente redoutable de la spéculation financière. Nous sommes alors en droit de nous interroger : monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement a-t-il pris la mesure de la crise économique et sociale que nous traversons ?

Je souhaite également revenir sur la question des tarifs, essentielle pour les sénateurs de mon groupe, car elle concerne l’accès de tous à ce bien de première nécessité.

La première justification de ce projet de loi, selon le Gouvernement, est d’apporter des réponses aux actions engagées par la Commission européenne, qui poursuit la France, depuis le 15 décembre 2006, pour non-transposition de directive européenne. Ainsi a-t-elle engagé contre notre pays deux procédures d’infraction, l’une pour défaut de transposition de la directive de 2003 et visant les tarifs réglementés, l’autre plus récente, ouverte le 13 juin 2007 au motif que le TARTAM constituerait une aide d’État.

Or, sur ces questions, rien n’est encore réglé de manière définitive.

Certes, le TARTAM a vocation à disparaître : il sera éteint dès le 31 décembre de cette année et les tarifs réglementés dits « vert » et « jaune » seront supprimés en 2015. Cependant, le choix, que nous approuvons, de maintenir provisoirement les tarifs réglementés liés aux particuliers correspond, de fait, à une infraction au droit communautaire.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a été très clair dans sa décision du 30 novembre 2006 : « Le maintien sans limite de temps des tarifs réglementés impose aux opérateurs historiques du secteur de l’énergie, et à eux seuls, des obligations tarifaires permanentes, générales et étrangères à la poursuite d’objectifs de service public ». Il considère que cette disposition méconnaît, par là même, le principe d’ouverture des marchés concurrentiels de l’électricité et du gaz naturel fixé par les directives.

Le Conseil constitutionnel met ainsi en cause, notamment, le caractère général de cette tarification, qui aurait dû être limitée aux seuls contrats en cours au moment de la libéralisation, c’est-à-dire ceux qui ont été passés avec des consommateurs n’ayant pas déménagé ou changé de situation personnelle.

Or les mécanismes créés par cette loi méconnaissent une nouvelle fois ces principes, ce qui expose le texte à une censure du Conseil constitutionnel.

Force est donc de constater que, en voulant satisfaire avec zèle à vos obligations, non seulement vous soulevez de nombreux problèmes juridiques nouveaux, comme je vous l’ai montré, mais encore vous ne répondez pas à l’injonction européenne !

Ce projet de loi ressemble donc à un arrangement entre amis, un arrangement juridiquement précaire mais qui a tout de même pour vous l’avantage de faire sauter le tabou de l’exploitation monopoliste de l’énergie nucléaire par EDF.

Mme Mireille Schurch. Or, depuis toujours, l’acceptabilité du nucléaire a reposé sur sa maîtrise publique et sur la transparence qui entourait la production de cette énergie !

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Mireille Schurch. Nous estimons que cette maîtrise publique est aujourd’hui remise en cause et que ce projet de loi constitue un premier pas vers la multiplication des opérateurs nucléaires sur le sol national, seul véritable espoir pour les Européens libéraux convaincus que vous êtes de se mettre en conformité avec le droit communautaire. Les appétits sont aiguisés et les opérateurs déjà dans les starting-blocks !

Lorsque l’on sait que des opérateurs participent d'ores et déjà à des centrales et que GDF Suez témoigne d’un grand appétit pour exploiter des centrales en France, nous ne pouvons que nous interroger sur le maintien, à terme, du monopole d’exploitation et craindre que l’actuel projet de loi ne soit qu’une étape vers le démantèlement total d’EDF en tant qu’entreprise intégrée.

Ne soyons pas dupes : ce projet de loi, avec les incertitudes qu’il comporte, appelle de nouveaux textes, qui iront encore plus loin dans le démantèlement du service public.

À ce titre, notons que vous avez vendu la mèche, monsieur le rapporteur, en exprimant tout à l'heure très clairement votre regret que « le Gouvernement n’ait pas exploré la piste de l’ouverture du capital des centrales nucléaires ».

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. J’assume totalement !

Mme Mireille Schurch. Pourtant, à notre avis, les garanties de sécurité des installations et des personnels ne peuvent être données que par des opérateurs publics, non par des opérateurs privés.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Non ! Par l’Autorité de sûreté, madame !

Mme Mireille Schurch. Je parle bien des opérateurs privés, monsieur le rapporteur ! Or l’objectif premier de ces derniers restera toujours la rationalisation des coûts.

Actuellement, la dénaturation de l’entreprise EDF a déjà abouti à un recours accru à la sous-traitance, avec les conséquences que nous connaissons.

Pour conclure, force est de constater que les auteurs de ce projet de loi, tout en voulant satisfaire de la manière la plus zélée au droit communautaire, continuent de se placer en infraction avec ce dernier et n’apportent aucune réponse au triple défi énergétique, écologique et social d’un grand service public de l’énergie.

À notre sens, tout le problème réside dans cette contradiction : les directives européennes imposent l’instauration d’un marché énergétique libre, alors même que ce modèle libéral est contre-productif dans un secteur si particulier.

Nous souhaiterions donc que le Gouvernement, au lieu de faire du bricolage juridique, s’engage dans la voie d’une remise à plat des objectifs nationaux, voire européens, dans le secteur de l’énergie.

Nous avions un modèle qui fonctionnait avec des tarifs abordables. Pourquoi renier tout cela ?

Comment imaginer pouvoir se passer de ce caractère public, alors même que les investissements à réaliser dans le secteur sont aujourd’hui colossaux, notamment au regard du nécessaire renouvellement du parc nucléaire ?

Nous proposons depuis de très nombreuses années une remise à plat des règles européennes et une réorientation de la construction de l’espace communautaire, en mettant au cœur de la réflexion les questions des services publics et du développement durable, alliant efficacité économique, efficacité sociale et efficacité environnementale.

C'est pourquoi nous demandons sans relâche l’abandon des traités européens, notamment celui de Lisbonne,…