M. David Assouline. Cet article relève de 65 à 67 ans l’âge du taux plein. Comme nous n’avons eu de cesse de le dire, il s’agit d’une grave injustice sociale.

Cette disposition pénalisera particulièrement les salariés précaires et les femmes. Il n’est pas juste que les mêmes conditions de départ en retraite s’appliquent à tous, s’en tenir compte des parcours de chacun et des perspectives d’espérance de vie.

Des alternatives existent pourtant, comme la prise en compte de la pénibilité ou la retraite choisie. Nous aborderons ces pistes dans la suite de cette discussion.

Les salariés précaires et ceux qui sont exposés à des travaux pénibles pourront difficilement travailler deux années supplémentaires.

Comment expliquer aux salariés qui ont travaillé avec des horaires décalés, qui ont été exposés au bruit, aux vibrations ou au port de charges lourdes, qui ont manipulé des substances toxiques, cancérigènes, qui ont travaillé dans des conditions extrêmes de froid, dans les abattoirs, par exemple, qu’ils devront travailler deux années supplémentaires ?

La pénibilité du travail n’est pas reconnue dans ses conséquences sur l’espérance de vie des salariés qui y ont été exposés. Or ces mêmes salariés ont une espérance de vie plus courte, puisque l’on sait, par exemple, que celle d’un ouvrier est en moyenne inférieure de sept années à celle d’un cadre.

Il y a pire : à 35 ans, un ouvrier peut statistiquement espérer connaître encore vingt-quatre ans de bonne santé, soit dix ans de moins qu’un cadre. Comment expliquer à ces salariés précaires, qui n’ont pas été déclarés inaptes au travail, qu’ils devront travailler deux années supplémentaires ?

Par ailleurs, ce report va entraîner un prolongement du chômage pour les nombreux salariés qui ne sont plus en activité lorsqu’ils partent à la retraite, ce qui les pénalisera financièrement tout en reportant les charges financières sur d’autres comptes sociaux.

Les femmes, qui ont majoritairement des carrières morcelées et précaires, devront attendre jusqu’à 67 ans pour partir en retraite. Sans quoi, elles subiront l’application de la décote, donc une baisse du niveau des pensions pouvant aller jusqu’à 25 %, alors que leurs pensions sont toujours inférieures de 30 % à celles des hommes…

Les femmes ont des carrières morcelées à cause de l’éducation des enfants. En effet, seulement 1,5 % des pères ayant un emploi cessent ou réduisent leur activité après la naissance d’un enfant, contre 35 % des mères. Et cela ne concerne pas que celles qui ont eu trois enfants, je le dis en réponse à l’amendement d’aumône que vous avez annoncé hier.

Certes, le taux d’activité féminin baisse beaucoup après la naissance du troisième enfant : alors que le taux d’activité des mères d’un jeune enfant est de 81 %, il est de 36 % pour les mères de trois enfants de moins de trois ans. Ce taux passe à 51 % quand les enfants sont tous scolarisés.

Par conséquent, 44 % des femmes retraitées valident une carrière complète, contre 86 % des hommes retraités. Et un tiers des femmes avaient validé moins de vingt-quatre ans d’assurance.

Cela a un impact direct sur le montant des retraites : 1617 euros pour les hommes et 1011 euros pour les femmes, pensions de réversion incluses. Et ce sont des moyennes, ce qui signifie que la moitié des femmes perçoivent une pension inférieure à la pension équivalente au seuil de pauvreté défini par la Communauté économique européenne, soit 880 euros.

De plus, la faiblesse des pensions féminines n’est que partiellement corrigée par les droits familiaux, soit l’assurance vieillesse des parents au foyer, AVPF, la majoration de durée d’assurance, MDA, et les majorations de pension pour trois enfants, qui représentent, en moyenne, 16 % des pensions pour les générations actuellement à la retraite. Sans l’apport de ces droits familiaux, la pension moyenne de droit propre des femmes représenterait non pas 48 %, mais seulement 42 % de celle des hommes.

Les femmes souffrent de carrières précaires à cause du chômage, du temps partiel et des emplois peu qualifiés qui les touchent en majorité

Les femmes sont plus frappées par le chômage que les hommes, et ce à tous les âges. En 2007, le taux de chômage des femmes âgées de 25 à 49 ans était encore supérieur de 1,5 point à celui des hommes.

Par ailleurs, les femmes sont les premières concernées par le développement du temps partiel depuis les années quatre-vingt.

La plupart des femmes occupent durablement des emplois peu qualifiés : 60 % des employés non qualifiés sont des femmes.

Par conséquent, dans le secteur privé comme dans la fonction publique, les femmes liquident leurs droits à la retraite en moyenne plus tardivement que les hommes ; la mesure visant à reculer à 67 ans la seconde borne d’âge les touche donc particulièrement : 61,5 ans pour les femmes et 60,1 ans pour les hommes de la génération née en 1938. En particulier, les anciennes salariées du secteur privé nées en 1938 ont été 40 % à faire valoir leurs droits à 65 ans ou plus, contre 16 % des hommes de cette génération.

Si c’est une injustice pour tout le monde, ce passage de 65 ans à 67 ans frappe de plein fouet une majorité des femmes dans ce pays. C’est insupportable !

M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, sur l’article.

Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez la conviction que le déplacement du curseur de 60 ans à 62 ans induira une remontée de l’emploi des personnes de plus de 55 ans. Nous vous avons démontré le contraire tout au long de nos interventions.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : six Français sur dix sont sans emploi lorsqu’ils partent à la retraite. Voilà, malheureusement, la réalité de l’emploi des seniors !

Or, que nous proposez-vous avec cet article 6, particulièrement injuste ? Attendre non plus 65 ans, mais 67 ans pour partir en retraite sans décote, pour partir avec une retraite à taux plein.

En matière de dépenses, où est l’économie que vous défendez ?

L’allongement de deux années supplémentaires de la période de précarité dans laquelle vivent un grand nombre de nos concitoyens va les obliger à recourir aux minima sociaux. Le RSA pourrait ainsi devenir la variable d’ajustement.

Vous gagnez, d’un côté, deux années de pension des Français mais cette prétendue économie va peser en partie sur les collectivités locales. Encore une fois, l’État alourdit au passage la barque des collectivités, notamment les départements !

Cette mesure est tout aussi contestable sur le plan humain.

Obliger un grand nombre de nos concitoyens à vivre ces deux années supplémentaires de la solidarité nationale n’est pas acceptable.

Cette situation de chômage est subie. Ces Français recherchent un emploi depuis des années et ne demanderaient qu’à contribuer à augmenter la richesse nationale, à vivre de leur travail, à transmettre leur savoir.

Les femmes sont particulièrement concernées. Parmi celles qui liquident leur pension à l’âge de 65 ans, la grande majorité est, en fait, éloignée du marché du travail depuis de nombreuses années. Elles liquident leur retraite à 65 ans pour éviter l’application d’une décote sur une pension déjà faible, trop faible. Et on en connaît les raisons : carrières interrompues, chômage, temps partiel, emplois précaires, emplois non qualifiés.

Cette mesure est injuste ! Vous accentuez les inégalités envers les salariés qui attendaient 65 ans, principalement les femmes, je le redis, pour liquider leurs droits à retraite, et ceux qui devront attendre d’avoir 67 ans.

Certes, la question se pose de savoir si le système de retraite peut corriger des injustices ancrées depuis longtemps dans notre société. Mais les chiffres sont sans équivoque et ils doivent encore et encore être rappelés. Les femmes ont, en moyenne, une retraite inférieure de 40 % à celle des hommes. Elles ne sont que 44 % à effectuer une carrière complète, contre 86 % des hommes.

Cette inégalité trouve aussi son origine dans la disparité des rémunérations entre hommes et femmes. Elle est estimée à 23 %. Allons-nous attendre que l’égalité soit un jour réalité ? Non ! Et ce ne sont pas les annonces que nous avons entendues ces derniers jours qui changeront quoi que ce soit, malheureusement, pour les femmes de notre pays.

Pour toutes ces raisons, vous devez renoncer à élever l’âge auquel les salariés pourront prétendre à une retraite à taux plein. Vous devez renoncer à cet article 6. C’est impératif ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, sur l’article.

M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis quelques années, nous assistons à un changement de notre modèle républicain. À l’instant, nous avons même assisté, en direct, à l’une des plus grandes récessions sociales que la France ait connues ces dernières années, je veux parler du vote de l’article 5 revenant sur l’âge de la retraite à 60 ans et le portant à 62 ans.

Mais, je le redis ici, le débat n’est pas fini au Parlement, le débat n’est pas fini avec les citoyens ! Tant que l’arbitre n’a pas sifflé la fin du match, on peut encore y croire !

Avec cet article 6, appelé par priorité, nous abordons le relèvement de 65 ans à 67 ans de l’âge de la retraite à taux plein.

Je voudrais simplement évoquer le problème que rencontrent les personnes les plus âgées, celles qui s’entendent dire, à 45 ans, qu’elles sont trop vieilles pour pouvoir être embauchées. Et, dans le même temps, les jeunes, eux, s’entendent dire qu’ils n’ont pas assez d’expérience pour pouvoir être embauchés.

Ce pays ne sait ni accueillir ses enfants ni garder ses seniors au travail.

Les personnes dont je veux parler sont celles qui ont la cinquantaine et que l’on ne veut ni recruter ni garder dans l’entreprise parce qu’elles seraient trop vieilles. Eh bien, demain, il leur faudra, à elles qui auront déjà travaillé longtemps, attendre d’avoir 67 ans pour toucher la retraite à taux plein, c’est-à-dire parfois dix à quinze ans après avoir arrêté de travailler. C’est de cela qu’il s’agit !

Alors, l’avenir qu’annonce le ministre aux plus âgés d’entre nous, ce n’est pas deux ans de travail de plus, c’est deux ans de galère de plus !

M. Didier Guillaume. Ils ne vont pas gagner en tranquillité et en sérénité, mais attendre deux ans encore avant de toucher la retraite à taux plein.

Et nous parlons des personnes qui ont aujourd’hui 55 ans. Ne me dites pas qu’on va leur demander d’attendre deux ans de plus pour toucher leur retraite sans décote, alors qu’elles auront, pour la plupart, travaillé longtemps et dur avec des cotisations qui n’étaient peut-être pas celles qu’elles auraient dû être ! Ne me dites pas que c’est ainsi que l’on va les remercier d’avoir travaillé pour la France et d’avoir fait leur devoir de citoyen !

Ce modèle de société que vous nous présentez, monsieur le secrétaire d’État, et qui est soutenu par la majorité, nous n’en voulons pas ! Nous voulons un modèle où la France intègre ses enfants et garde ses seniors au travail. Nous voulons un modèle qui permette une retraite décente à ceux qui ont travaillé toute leur vie.

Nous aurons l’occasion, la semaine prochaine, d’évoquer les retraites agricoles, les retraites des commerçants, les retraites des artisans. Mais si, comme nous le constatons aujourd’hui, le montant des pensions versées est trop faible, qu’en sera-t-il alors demain ? Et il faudrait attendre encore plus longtemps avant de les toucher à taux plein ? Eh bien non, nous ne voulons vraiment pas de ce modèle de société !

Tout à l’heure, notre collègue Bernard Angels a évoqué clairement, après d’autres, le financement de la réforme que nous voulons. Et vous essayez de nous faire croire que les socialistes n’ont pas de projet alternatif. Car, à vous entendre, les communistes auraient un projet - tant mieux, tant mieux pour eux ! - mais les socialistes n’en auraient pas…

Mme Raymonde Le Texier. Diviser pour régner !

M. Didier Guillaume. C’est, en effet, une vieille habitude, que de diviser pour régner ! Mais vous ne nous diviserez pas, parce que nous sommes solidaires dans le combat face à ce projet de loi ! Nous sommes solidaires des millions de Françaises et de Français qui ne veulent pas de ce texte !

Nous voulons une réforme de la retraite, mais nous voulons une réforme juste et équitable. Votre réforme est injuste, inéquitable, et inefficace, aussi. Si la loi était appliquée, ce serait déjà une vraie régression sociale, car il faudrait travailler jusqu’à l’âge de 62 ans. Mais franchement, n’est-ce pas plus injuste encore de devoir attendre 67 ans avant de toucher les fruits du travail de toute une vie ?

C’est vraiment injuste et scandaleux pour celles et ceux de nos concitoyens qui en sont là !

Malheureusement, je crains que vous ne persistiez dans l’erreur. Quant au groupe socialiste et apparentés, il propose une autre réforme, une réforme qui est financée, une réforme qui n’augmente pas les impôts, une réforme plus juste.

Comme le disait tout à l’heure Jacky Le Menn, nous voulons respecter les travailleurs, respecter les salariés. Et si, en 2012, nous sommes de nouveau au Gouvernement, aux responsabilités, nous reviendrons sur cette réforme très injuste parce que nos concitoyens les plus âgés ont droit à un repos bien mérité et, surtout, le droit de pouvoir vivre de leur retraite. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, sur l’article.

M. Jean-Pierre Caffet. Je vais continuer dans le droit fil des propos que j’ai tenus il y a un instant en disant au Gouvernement que, quand nous nous référons à des exemples étrangers, nous ne sommes pas suffisamment stupides pour en demander la transposition absolument intégrale dans notre pays ! Une fois pour toutes, cessez de caricaturer sans arrêt nos propos !

Je faisais allusion à la méthode qu’ont utilisée nos voisins. Vous avez dit, monsieur le ministre – et c’est là votre erreur, peut-être même votre perversité – qu’il faut relever de 65 à 67 ans l’âge permettant de bénéficier d’une pension de retraite à taux plein en raison de l’espérance de vie à 65 ans et de l’augmentation de cette espérance de vie, qui est aujourd’hui à 84 ans.

Je le répète, monsieur le ministre, ce n’est pas le bon critère !

Le bon critère, c’est celui qu’ont utilisé nos voisins : c’est l’espérance, à 50 ans, d’une vie sans limitation physique ou mentale, c’est-à-dire, je le répète une fois encore, ce qui reste à vivre à 50 ans dans une santé à peu près correcte.

Or, que constate-t-on, monsieur le ministre ? Que, dans tous les pays européens, et la France ne fait pas exception, ce reste à vivre en bonne santé à 50 ans est inférieur à vingt ans, soit une espérance de vie en bonne santé inférieure à 70 ans. Ce que vous faites ici, c’est que vous rapprochez l’âge de la retraite à taux plein, 67 ans, du terme de cette période d’espérance de vie en bonne santé dont je parle.

M. Jean-Pierre Caffet. C’est exactement cela ! Elle sera même inférieure en France.

La conséquence est très facilement imaginable : ceux qui seront obligés de travailler au-delà, de 65 à 67 ans, subiront des conditions de travail beaucoup plus difficiles, et, d’ailleurs, vous aurez non pas de nouveaux retraités, mais des chômeurs en plus.

M. Jean-Pierre Caffet. Ce que vous gagnerez peut-être sur les régimes de retraite en faisant passer la retraite sans décote de 65 à 67 ans, vous le retrouverez en charges dans les comptes de l’UNEDIC ou dans les dispositifs de solidarité nationale.

M. Roland Courteau. C’est ça !

M. Guy Fischer. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Caffet. C’est donc une absurdité totale du point de vue de l’efficacité !

Vous auriez pu, je le répète, vous y prendre autrement, c’est-à-dire « donner du temps au temps », selon l’expression consacrée.

Évidemment, monsieur le ministre, cela vous aurait obligé à trouver des ressources nouvelles. Vous auriez pu les trouver, par exemple, en taxant les revenus du patrimoine et du capital, mais vous vous y refusez de manière catégorique et c’est la raison pour laquelle le système que vous nous proposez est, je le répète, le plus rétrograde et le plus régressif pour la France.

J’ajoute un dernier élément : la situation faite aux femmes.

Monsieur Woerth, vous le savez sans doute, le volet français de l’enquête sur les conditions de vie et des revenus des Européens, qui date de 2007, montre précisément que depuis 2005, le « reste à vivre en bonne santé » stagne pour les femmes. Il est exactement de 19,6 années après 50 ans, c’est-à-dire 69 ans et demi. Vous allez obliger des femmes à travailler jusqu’à 67 ans alors que statistiquement, en moyenne, elles seront en mauvaise santé à 69 ans et demi.

Vous leur appliquez la triple peine, c’est-à-dire qu’aux carrières courtes et aux pensions réduites, vous ajoutez maintenant la durée raccourcie de pension sans handicap et en bonne santé !

Monsieur le ministre, vous auriez pu vous y prendre autrement, en traitant, par exemple, la question de la pénibilité, nous y reviendrons. Vous la traitez quand elle est constatée, c’est-à-dire quand l’incapacité est là.

Monsieur le ministre, vous auriez pu également renforcer les moyens de la médecine du travail. Vous avez préféré lui retirer son indépendance et la faire passer sous la tutelle du patronat, ce qui me fait dire à la fin des fins que cette réforme est non pas la vôtre, mais celle du MEDEF ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, sur l'article.

M. Roland Courteau. Avec cet article 6, nous sommes franchissons, sur le plan humain, un degré supplémentaire dans l’injustice de la réforme.

Nous sommes effectivement dans le noyau dur de l’injustice. Qui atteindra l’âge de 65 ans sans avoir cotisé le nombre de trimestres suffisant ? Qui ? Les personnes qui auront eu les carrières les plus difficiles et les plus fragmentées et, parmi elles, une très grande proportion de femmes, cela vient d’être dit. En effet, elles ne sont que 44 % à effectuer une carrière complète, contre 86 % pour les hommes.

Les mères de deux enfants ont, je le rappelle, une retraite inférieure de 25 % à celles qui n’ont pas d’enfant, et ce alors que l’ensemble des femmes perçoivent des retraites inférieures de 40 % à celles des hommes.

Une chose est donc certaine : le report de 65 à 67 ans de l’âge auquel le bénéfice d’une retraite à taux plein est ouvert affectera particulièrement les femmes. C’est le résultat de l’amoncellement des inégalités qui se sont cumulées tout au long de leur vie professionnelle.

Autre constat : vous allez contraindre les personnes dont 70 % à 80 % n’ont pas d’emploi, à rester deux années de plus au chômage ou aux minima sociaux. Car votre projet, avec le passage de 65 à 67 ans ne correspond pas à la réalité de la politique menée par les entreprises en matière de maintien des seniors dans l’emploi.

Comment peut-on nous faire croire que cette réforme vise à faire travailler plus longtemps les seniors, alors même que ces derniers sont renvoyés chez eux par leur patron ?

En contraignant celles et ceux qui sont sans emploi à prendre leur retraite sans décote à 67 ans, vous allez donc les maintenir deux ans de plus au chômage. Certes, ce n’est plus, comme cela vient d’être dit, l’assurance vieillesse qui paiera, ce sera l’assurance chômage.

Drôles d’économies, surtout lorsque l’on sait que, avec votre réforme, plusieurs dizaines de milliers de personnes resteront au chômage au lieu de basculer dans la retraite ! Coût supplémentaire pour l’assurance chômage : plusieurs centaines de millions d’euros, m’a-t-on dit.

Vous faites payer une partie de votre réforme non seulement par les salariés, mais aussi par les organismes sociaux.

Autre problème et autre constat : avec cet article 6, le risque est grand de voir le RSA devenir le passage obligé de fin de carrière pour de nombreuses personnes qui devront attendre 67 ans avant de bénéficier d’une retraite à taux plein. Va-t-on avoir dès lors un RSA transformé en véritable salle d’attente du départ à la retraite…

M. Guy Fischer. C’est ce qui va se passer !

M. Roland Courteau. … et quel en sera le coût, pour les départements notamment ?

Quant aux seniors qui ont encore la chance d’avoir un travail et qui se sont usés, qui sont fourbus, qui sont parfois brisés, mais qui n’ont pas cotisé un nombre de trimestres suffisant, ils devront rester et faire face au rythme de travail que leur entreprise leur impose depuis des années.

En fait, par cet article, vous prolongez le processus de fragilisation de certaines catégories de nos concitoyens par plus de précarité et plus de pauvreté.

Parmi tous les facteurs qui sont à l’origine de l’augmentation de l’espérance de vie, il en est un qui est loin d’être négligeable, c’est le droit accordé sous la présidence de François Mitterrand par le Gouvernement de Pierre Mauroy, le droit à la retraite à 60 ans, qui permet à nombre de nos concitoyens de vivre aujourd’hui en meilleure santé.

Les bornes d’âge telles qu’elles sont proposées par le Gouvernement vont à contresens de la longue marche de l’humanité impulsée depuis longtemps par la gauche et par le mouvement syndical. C’est l’une des plus belles conquêtes sociales, avec la réduction du temps de travail, que vous voulez abattre.

Quoi que l’on nous dise, il y a derrière ces mesures de relèvement de la retraite à taux plein de 62 à 67 ans une cohérence idéologique qui prime tout le reste, notamment le pacte social et républicain de ce pays : coups de canif au code du travail, remise en cause idéologique des 35 heures, démantèlement des services publics, baisse du niveau des pensions de retraite suite aux réformes Balladur et Fillon. Et je pourrais continuer la liste…

Avec votre réforme, vous prenez aux Français des années de bien-être et vous entamez leur espérance de vie.

Mais je conclus.

Certes, le travail est l’un des éléments principaux d’intégration sociale des hommes et des femmes, mais il n’est pas le seul facteur d’épanouissement de l’individu : il y a aussi ce que l’on appelle le temps libre – je l’évoquais tout à l’heure -, le temps libéré, le temps conquis sur le temps de travail, c’est-à-dire le temps de la rencontre, de l’échange, du partage, du repos, le temps de la culture, aussi, le temps du sport et des loisirs, le temps de la solidarité, le temps consacré aux autres, à sa famille, bref, tout ce qui fait le lien social, la vie ensemble, en somme, la vie. C’est aussi à cela que s’attaque – que vous le vouliez ou non – votre réforme.

Voilà pourquoi nous nous opposerons vigoureusement à cet article 6. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Gillot, sur l'article.

M. Jacques Gillot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le recul de l’âge légal de 60 ans à 62 ans et celui de l’âge de départ à taux plein de 65 ans à 67 ans, le Gouvernement pénalise fortement les Français d’outre-mer où le niveau des retraites est nettement plus faible qu’en métropole et où les carrières sont morcelées, incomplètes.

Avec un taux de chômage endémique sur nos territoires, il n’est pas très difficile d’imaginer les difficultés de la majorité de nos populations pour obtenir le nombre de trimestres nécessaires à la perception d’une retraite à taux plein. Le report de deux ans de l’âge de la retraite sans décote sera dramatique.

Je rappelle que l’écart entre le montant moyen des pensionnés en Guadeloupe et en métropole est de 250 euros par mois, en défaveur du retraité guadeloupéen.

Une des explications tient aux modalités de calcul de la revalorisation annuelle des pensions, puisqu’elles dépendent de l’évolution de l’indice des prix métropolitain.

Or, je rappelle qu’entre 2001 et 2008 le différentiel de progression de l’inflation entre la métropole et la Guadeloupe a été de 26 % en défaveur de la Guadeloupe.

Il est donc nécessaire de prendre en compte l’évolution locale de l’indice des prix plutôt que l’évolution nationale dans le calcul de la revalorisation annuelle des pensions. Nous devons tenir compte de l’évolution de l’indice des prix propre à ces départements.

Ainsi, double injustice pour les Français d’outre-mer : la faiblesse du niveau des pensions de retraite outre-mer est accentuée par la hausse des prix.

Face aux situations de monopole sur nos territoires d’outre-mer, dénoncées récemment par l’Autorité de la concurrence, et dans la mesure où l’État ne contrôle pas les prix en outre-mer, doit-on continuer à ignorer cette réalité, singulièrement pour les retraites des Français d’outre-mer ?

Aussi, la prise en compte de l’évolution de l’indice local des prix, l’extension du régime de retraite complémentaire obligatoire aux salariés agricoles ou encore la reconnaissance de la pénibilité pour les ouvriers agricoles exposés au chlordécone sont quelques-unes des corrections que nous vous proposerons d’apporter à ce projet de loi, qui pénalisera sinon prioritairement les travailleurs les plus fragiles sans aucune garantie pour la pérennité de notre système par répartition.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l'article.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je voudrais particulièrement insister, encore une fois, sur la « propagande » – je ne trouve pas d’autre mot – déployée autour des aménagements de cet article 6 que vous proposez concernant les femmes.

D’aucuns ont dit que la proportion de femmes ne parvenant pas à un nombre de trimestres suffisant en fin d’activité était aujourd’hui de 44 %. Et, par un tour de prestidigitateur, monsieur le ministre, vous sortez de votre chapeau quelques avantages que vous consentez à des femmes nées entre 1951 et 1955, qui ont eu trois enfants - 130 000 femmes sont concernées, dites-vous -, et vous les présentez comme une « concession » ou un « aménagement », on a tout entendu.

Les centristes se sont faits fort d’ailleurs de s’approprier cette avancée. Je remarque qu’ils ne sont même pas là pour expliquer leur vote.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Nous sommes deux !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En effet, vous êtes présente, mais en votre qualité de présidente de la commission des affaires sociales. Je sais ce que je dis…

Monsieur le ministre, en matière de prestidigitation, quand on a compris le tour, il n’y a plus de magie, et, en ce qui concerne vos différents développements sur la question, personne n’est dupe.

En effet, vous nous avez expliqué que, prochainement, les femmes auraient autant de trimestres de cotisation que les hommes. Nous n’avons donc pas de souci à nous faire, toutes ces considérations sur les disparités entre les femmes et les hommes seront obsolètes et, bientôt, il ne sera plus nécessaire de donner un quelconque avantage aux femmes pour qu’elles perçoivent une retraite à taux plein.

Or, aujourd’hui, quand on embauche des femmes jeunes, jusqu’à 35 ans environ, on leur dit qu’on les paiera moins cher, avec une moindre qualification reconnue et moins de responsabilités, parce qu’elles sont susceptibles d’avoir des enfants. Elles commencent donc déjà très mal.

Bien évidemment, vu le nombre de chômeurs dans notre pays, en particulier chez les jeunes, elles ne sont pas embauchées en priorité, toujours pour les mêmes raisons : elles sont susceptibles d’avoir des enfants.

Ensuite, certaines ont des enfants, ce qui est d’ailleurs très utile parce qu’elles assurent le renouvellement des générations : on aurait du mal à le faire sans les femmes !

Enfin, on les somme de prendre du temps pour s’occuper de leurs enfants. En général, on constate que les femmes le font, plus que les hommes, et arrêtent éventuellement de travailler. Et parce qu’elles ont des enfants, elles sont discriminées dans leur travail et dans leur évolution de carrière. Tout cela aboutit au fait qu’elles ont des salaires de 27 % inférieurs à ceux des hommes.

Et combien de femmes, de tout bord, y compris de la majorité, à l'Assemblée nationale, à l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, ou ici, d’ailleurs, n’ai-je pas entendu dire tout le bien qu’elles pensaient des avantages qui pourraient être accordés aux femmes eu égard à la discrimination dont elles font l’objet ! Tout le monde y a été de son petit couplet…Et combien d’articles parus dans la presse sur ce sujet ! Résultat ? Ce que vous proposez, monsieur le ministre, est insultant pour la grande majorité des femmes !

Il est évident que, après 62 ans, les femmes vont devoir continuer à travailler davantage encore – surtout avec vous ! –, car elles n’auront pas cotisé suffisamment. Pourtant, à l’heure actuelle, le patronat ne veut plus des personnes âgées de 55, 56 ou 57 ans, qu’il s’agisse des femmes ou des hommes, d’ailleurs ! Or les femmes qui cherchent à travailler au-delà de 55 ans, parce qu’elles y sont obligées, sont légion. Mais elles ne sont pas embauchées : on les pousse dehors, à l’instar des hommes, prétextant qu’elles doivent laisser la place aux jeunes, car elles ne seraient plus bonnes à rien !

Monsieur le ministre, il faut être clair. Une fois de plus, vous avez essayé de nous « entourlouper » avec les prétendus avantages que vous octroyez aux femmes ! Mais il n’en est rien ! L’article 6 porte un coup terrible à toutes les femmes, et pas seulement à celles qui ont eu trois enfants ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur quelques travées du groupe socialiste.)

M. Nicolas About. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. Nicolas About.

M. Nicolas About. Je tiens simplement à dire à Mme Borvo Cohen-Seat de s’occuper du groupe CRC-SPG ! Pour ce qui concerne le groupe centriste, il fait son travail, et n’a jamais récupéré celui du Gouvernement ! Nous n’avons pas besoin d’être « inspirés » pour faire nos propositions !

Et, croyez-moi, même si nous ne sommes pas en séance publique, nous suivons les débats et nous vous écoutons ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. François Autain, sur l'article.