M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, sur l'article.

Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où nous abordons ce point si important de la pénibilité, je souhaitais vous rappeler quelques réflexions de Noëlle Lasne, qui est médecin du travail :

« Est-ce pénible de travailler quarante ans sur la voie publique en étant soumis aux vibrations d’un marteau-piqueur ? Est-ce pénible de soulever des bornes de 200 kilos ? Est-ce pénible de ramper dans un vide-sanitaire, ou de réparer une carrosserie ? Un enfant de cinq ans saurait répondre à cette question. Il saurait montrer du doigt, sur les pages d’un abécédaire, les métiers difficiles : il reconnaîtrait le maçon, le déménageur, le couvreur, le plombier, l’aide-soignante, le pompier, l’égoutier, la femme de ménage. Il remarquerait que ces corps-là, au travail, ne sont pas assis sur un siège, mais sont accroupis à genoux sur la voie publique, pliés sous un chauffe-eau, perchés en haut d’une échelle, courbés en avant sur un évier.

« Ces gestes du travail qui définissent la pénibilité de certains métiers sont parfaitement décrits par les chercheurs, les ergonomes, les médecins du travail, les médecins-conseils, les ingénieurs en prévention, les médecins généralistes, et figurent dans toutes les publications professionnelles. Même le législateur les connaît, qui les a répertoriés et décrits en détail dans les tableaux de maladies professionnelles.

« Le projet de loi de réforme des retraites ignore ce savoir. Pour juger de la pénibilité d’un métier, il est prévu, en bout de chaîne, de mesurer l’usure professionnelle d’un travailleur. On crée, pour ce faire, une commission d’“usurologues”.

« Peu importent les gestes devenus impossibles, les mouvements limités par la douleur, le manque de souplesse, le vieillissement forcé du corps. Seuls comptent la lésion et son score. L’amputation des gestes reste invisible. L’incapacité permanente partielle ne mesure que les séquelles d’une blessure au travail.

« Peu importent aussi les effets retards, liés à certaines expositions : cancers professionnels liés aux goudrons, benzène, solvants, amiante. Ces expositions qui distinguent radicalement certaines catégories de travailleurs, qui sont à l’origine d’une inégalité repérée devant la santé, le vieillissement, la maladie et la mort, sont ignorées.

« On renverra donc au travail, et le plus souvent au chômage, des personnes usées par les gestes du travail, mais aussi des personnes multi-exposées, dont on sait de façon scientifique et statistique qu’elles développeront des pathologies qui raccourcissent leur espérance de vie. »

Ces oubliés de votre réforme, monsieur le ministre, on les redécouvre dans la rue à l’occasion des manifestations contre la réforme des retraites, avec un écriteau laconique comme celui-ci : « Je vieillis plus vite que mon âge » !

Dans le texte actuel, ce n’est pas la pénibilité du métier qui donne droit à la retraite à 60 ans, c’est l’infirmité du salarié. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, sur l'article.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le président, messieurs les ministres, je voudrais d’abord apporter une précision : l’article 25 porte exclusivement sur la pénibilité ; c’est l’article 25 quater qui traite de la médecine du travail.

Ce progrès ne mérite pas les procès d’intention que vous faites. Le groupe UMP estime que, avec ce chapitre, le Gouvernement institue un nouveau droit social ; nous en sommes fiers ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Ensuite, sans préjuger de l’avenir, comme l’a dit Nicolas About tout à l’heure, nous devons nous féliciter d’avoir à cette occasion un vrai débat sur la médecine du travail, dont l’objectif exclusif est d’« éviter toute altération de la santé des travailleurs, du fait de leur travail ». Madame Tasca, ce qui importe, lorsqu’ils partent à la retraite, c’est de leur donner un droit à la vie, et non à la survie !

Lorsqu’ils travaillent, l’entreprise leur permet, par le biais de la médecine du travail et d’une politique de prévention,…

M. Robert Hue. Vous la cassez !

Mme Marie-Thérèse Hermange. … de ne pas subir d’altération de leur santé.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est le paradis !

Mme Marie-Thérèse Hermange. Ils pourront avoir, par la prise en charge (Vives protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Fourcade. Nous vous avons écoutés ; laissez Mme Hermange s’exprimer !

M. le président. Chers collègues de l’opposition, veuillez écouter les intervenants qui ne sont pas de votre avis. Les membres de la majorité vous ont écoutés en silence !

Mme Marie-Thérèse Hermange. Je disais qu’ils pourront avoir, par la prise en charge de la pénibilité de leur travail, une meilleure vie à la retraite. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

M. le président. S’il vous plaît, respectez l’orateur !

Mme Marie-Thérèse Hermange. Enfin, au moment où certains, y compris dans la majorité, se sont interrogés sur le fait que le dossier médical personnalisé n’arrivait pas à son terme, nous ne pouvons que nous féliciter que le dossier médical en santé au travail ait ici une valeur législative. Nous estimons que c’est un progrès.

Telles sont les quelques observations que je souhaitais formuler. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn, sur l'article.

M. Jacky Le Menn. Ce sujet de la médecine du travail, sans doute l’un des plus importants que nous ayons eu à aborder à l’occasion de ce débat sur les retraites, mérite que la sérénité regagne nos travées, monsieur le président.

Je ne vous cache pas notre surprise de le voir ainsi surgir au détour de ce texte. En effet, comme tous les experts, et comme les médecins du travail eux-mêmes, nous nous attendions, à la suite des discussions qui se sont engagées depuis deux ans, à ce qu’un grand texte soit préparé sur cette question. Cela explique en partie le malaise qui entoure ce dossier. Toutefois, maintenant qu’il est ouvert, nous devons en parler.

Nous ne pouvons pas limiter la réflexion sur la médecine du travail à une question de dossiers qui touchent les travailleurs dans les entreprises. L’inquiétude globale qui s’exprime est révélatrice de ce que de nombreux experts appellent la grande misère de la médecine du travail. Nous l’avons rappelé : les médecins du travail ne sont pas suffisamment nombreux ; ils forment un corps vieillissant, ce qui nous laisse entrevoir des lendemains extrêmement difficiles ; enfin, leur perception dans la société n’est pas à la hauteur de ce qu’elle devrait être compte tenu de la place qu’ils occupent ou qu’ils devraient occuper dans les entreprises. Ce constat relève sans doute du lieu commun, mais, en dépit de la complexité et de la difficulté de leur tâche, les médecins du travail sont loin de se situer au faîte des professions médicales. Ce ne sont pas les plus privilégiés en termes d’émoluments, ils ne bénéficient pas d’une très grande reconnaissance sociale, sont peu nombreux et travaillent dans des conditions difficiles, alors même qu’ils jouent un rôle déterminant dans l’entreprise.

Leur rôle de suivi des travailleurs, s’il est important, n’est pas exclusif. Ils doivent aussi savoir très précisément comment sont aménagés les lieux de travail et pouvoir détecter dans les process de production ce qui risque de créer des difficultés pour les travailleurs et donc, par ricochet, pour l’entreprise. Ces missions, parfois considérées comme « annexes », sont extrêmement importantes, pour les travailleurs comme pour l’entreprise.

Pour la productivité de leurs sociétés, les chefs d’entreprise ont tout intérêt à avoir un personnel en bonne santé et des conditions de travail optimales. Dans le cas contraire, le retour financier ne sera pas satisfaisant. Chacun dans cet hémicycle qui, à un moment ou à un autre de sa vie, a eu à diriger des entreprises publiques ou privées, ne peut qu’être d’accord avec ce constat.

Or, lorsqu’on discute des process et de l’organisation du travail, on entre dans une sphère de haute conflictualité entre les chefs d’entreprise et les représentants du monde du travail, notamment ceux qui siègent dans les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT. Dans ces conditions, le médecin du travail est le seul qui puisse obtenir un consensus.

Encore faut-il, pour cela, que l’indépendance de ce dernier soit strictement garantie. J’ai rencontré nombre de médecins du travail au cours de ma carrière, j’ai discuté avec certains d’entre eux encore très récemment, et je peux vous affirmer que, plus que de l’argent, ils veulent, bien évidemment, être reconnus socialement, mais, surtout, pouvoir poser des actes de vérité quand ils découvrent une situation préjudiciable aux travailleurs et à l’entreprise.

Pour qu’ils remplissent au mieux cette mission, ils doivent avoir une garantie totale d’indépendance, ce qui est difficile à assurer. Nous avons eu l’occasion d’en parler, monsieur le ministre, devant la commission des affaires sociales : ce texte, comme les autres qui suivront nécessairement – je pense notamment à la promesse d’une grande loi de santé publique –, doit offrir un maximum de garanties. Il y va de l’intérêt de nos concitoyens comme de celui des entreprises et du monde du travail. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.

M. Yves Daudigny. Cet article 25, premier du titre IV, ouvre deux débats d’importance, l’un fort opportun sur la pénibilité au travail – ce d’autant plus que ce projet de loi contourne et dénature la question pour éviter d’avoir à la traiter –, l’autre sur les services de santé au travail ; apparemment intempestif, ce dernier a été introduit in extremis par voie d’amendement.

Pourquoi avoir ajouté le second au premier ? Parce la pénibilité existe, qu’elle est établie et que vous n’avez plus la possibilité de l’ignorer. Il vous fallait donc, tout en la reconnaissant, trouver le moyen d’en circonvenir les conséquences. Il vous a suffi pour cela de recopier mot à mot le texte rédigé par le MEDEF.

Le projet de loi que vous présentez confirme que ce gouvernement n’a simplement jamais eu, et n’a nullement l’intention de prendre réellement en considération la pénibilité au travail.

Votre peu de considération à l’égard de la réalité du monde du travail est d’ailleurs étrangement similaire à la manière dont vous traitez – ou plutôt maltraitez – le budget de l’État. La question de la pénibilité, comme celle du bouclier fiscal, échappe bizarrement à votre frénésie réformiste. Il faut tout changer, mais surtout pas cela ! Et lorsque la position devient intenable, vous sortez la carte de l’ISF pour l’une et celle de la médecine du travail pour l’autre.

Un simple regard rétrospectif prouve que vous n’avez jamais eu l’intention de prendre en compte la pénibilité dans le recul des bornes d’âge de la retraite, puisque vous n’avez jamais tenu les engagements que vous aviez pris en 2003, sauf à vous cacher derrière l’alibi facile des dissensions entre partenaires sociaux.

Vous n’en aviez tellement pas l’intention que, si les négociations, auxquelles vous avez aisément renvoyé, n’ont en effet pas abouti sur les volets de la compensation et de la réparation, un accord a été trouvé sur la définition des critères de la pénibilité et sur le volet de la prévention.

Or, si ces critères – contraintes physiques ou psychiques, environnement agressif et rythmes contraignants – figureront bien dans le dossier de santé du travailleur, ils ne serviront pas à son examen, qui se limitera simplement à l’appréciation de son état de santé tel qu’il est au moment où il consulte le médecin.

La différence d’espérance de vie à 35 ans entre un cadre et un ouvrier est de 7 ans, et même de 10 ans pour ce qui est de l’espérance de vie sans incapacité. Cette inégalité, qui résulte des conditions de travail, est un fait, une donnée établie et une injustice avérée.

Ce sont celles et ceux qui travaillent dans les conditions les plus dures qui vivent le moins longtemps et dans les moins bonnes conditions. Là encore, nous sommes confrontés à des données établies, incontestables.

Peut-on, dans ces conditions, envisager d’allonger de deux années encore leur durée de travail ? C’est pourtant ce que vous aviez prévu, sans état d’âme, comme si ces personnes-là n’existaient pas pour vous, votre projet initial ne comportant aucune disposition à leur intention.

Vous avez franchi là une limite, celle de l’humiliation. La dignité est partie prenante de tout exercice professionnel. Reconnaître la pénibilité particulière de certaines professions, c’est faire preuve de considération à l’égard de celles et ceux qui la subissent. En leur refusant cette reconnaissance, vous leur déniez votre considération et portez atteinte à leur dignité.

Vous aviez, en revanche, le projet de casser la médecine du travail, les dispositions ajoutées au dernier moment à l’Assemblée nationale étant prêtes de longue date. Le 12 janvier 2009, votre prédécesseur, monsieur le ministre, me répondait ici même que le Gouvernement n’avait nullement ce projet. Et le voici brusquement sur la table ! Certes, « la maîtrise du temps est un impératif absolu dans la conduite de la guerre », et nous avons vu que vous en usiez et abusiez dans la manière dont ont été bousculés nos débats.

II est regrettable que cette politique « ne réponde pas aux attentes des salariés qui doivent bénéficier d’une prise en charge globale de leur santé, ni aux nécessités de l’exercice des médecins du travail dans le respect de leur indépendance technique ». Tel est l’avis on ne peut plus averti – vous ne le contesterez pas – du Conseil national de l’ordre des médecins.

Et ce projet organise en effet incontestablement la démédicalisation de la santé au travail : il détourne en partie des ressources devant permettre aux employeurs de répondre à leur obligation de résultat en matière de prévention, soumet l’action du médecin du travail à la contrainte économique de l’entreprise, en l’isolant dans un service, en diluant sa responsabilité et en subordonnant son indépendance, passant ainsi de la prévention à la gestion des risques, aboutit même à remettre en cause le mode de reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles alors qu’elles sont présumées dès lors que la pathologie est inscrite au tableau officiel des maladies professionnelles.

Une pensée me vient à l’esprit : « Ils n’en mourront certes pas tous, mais tous seront frappés… » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, sur l'article.

M. Gérard Longuet. À cet instant du débat, l’un des nôtres nous manque tout particulièrement : j’ai nommé Gérard Larcher.

M. Jean-Pierre Sueur. Il est à la manifestation ! (Sourires.)

M. Gérard Longuet. En effet, lorsqu’il était ministre du travail, il fut à l’initiative de l’un des premiers plans de santé au travail.

Son expérience personnelle aurait permis d’éclairer ces débats et de répondre à l’interrogation que se posent mes amis de la majorité : pourquoi diable dix-sept de nos collègues de l’opposition, sur vingt-quatre présents, se sont-ils inscrits sur cet article 25, si ce n’est pour cacher une évidence, à savoir que cette disposition apporte une réponse au travail collectif qui, depuis plusieurs années, mobilise les syndicats et le patronat sur la réforme et la rénovation de la médecine du travail, laquelle en a effectivement le plus grand besoin. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Cet article 25 met en forme, pour l’essentiel, le rapport Dellacherie, adopté à la quasi-unanimité du Conseil économique, social et environnemental.

M. Robert Hue. Vous mettez surtout en forme les idées du MEDEF !

M. Gérard Longuet. Nous sommes sur le terrain de l’action, de la responsabilité et de l’engagement, dans un domaine où, jusqu’à présent, vous vous contentez de l’incantation.

Mme Nicole Bricq. C’est un conte de fées que vous nous décrivez !

M. Jean-Pierre Caffet. Allez demander aux syndicats ce qu’ils en pensent !

M. Gérard Longuet. En revanche, je voudrais rendre hommage à notre collègue Jacky Le Menn, dont l’intervention était extrêmement mesurée, et qui a restitué la vérité de ce sujet : des médecins du travail en nombre insuffisant, une pyramide des âges vieillissante, un problème pour identifier la finalité de la médecine du travail aujourd’hui.

Je viens d’une région ouvrière, sidérurgique et minière, la Lorraine.

La médecine du travail, qui est aujourd’hui organisée de façon systématique, procédait de l’inexistence, dans les années cinquante, d’une véritable médecine accessible aux ouvriers. Heureusement, la généralisation de la sécurité sociale et les changements de comportement ont permis à nos compatriotes, quel que soit leur statut, d’accéder à la santé.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Certainement pas grâce à vous !

M. Gérard Longuet. Aujourd’hui, la médecine du travail s’intéresse aux pathologies issues du travail et joue un rôle de prévention, afin que les pénibilités que nous connaissons puissent progressivement disparaître en adaptant, par une ergonomie étudiée, les conditions de travail aux possibilités de chacun d’entre nous.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Encore faut-il que la médecine du travail soit indépendante !

M. Gérard Longuet. Je voudrais, pour terminer, dénoncer votre mépris sur la déontologie des professions libérales. On peut appartenir à une profession libérale, être salarié et respecter une éthique. Les avocats qui sont salariés de compagnies d’assurance ne perdent pas pour autant leur indépendance. Les médecins salariés de services interentreprises – ma mère a été assistante sociale pendant quarante ans dans un tel service – restent d’abord et avant tout des médecins : ils ont fait le serment d’Hippocrate et, même s’ils sont salariés, ils sont avant tout des hommes libres, responsables de leur engagement personnel au service des patients qu’ils ont vocation à soigner. Vous avez tendance à l’oublier, chers collègues de l’opposition.

Nous mettons en forme ce que le Conseil économique, social et environnemental a souhaité, nous sommes sur le terrain de l’action, de la vérité et de l’engagement ! Vous êtes sur le terrain du conservatisme, de l’imprécation et, en définitive, du refus de prendre vos responsabilités ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. Robert Hue. Dans ce cas, pourquoi le Conseil de l’ordre est-il contre ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. Nous sommes à un moment important de ce texte  –même s’il y en a beaucoup d’autres – car l’approche de la pénibilité est l’une des clefs de lecture qui nous conduit à penser que ce projet de loi est juste.

Il ne s’agit ni d’un texte d’imprécation ni d’un texte d’estrade. Nous avons eu le courage de prendre des décisions.

Quiconque se trouve dans une situation de pénibilité doit pouvoir bénéficier d’une retraite avant les autres. La justice commande que cette situation soit comprise par tous, et que chacun soit traité de manière équitable.

C’est ce que nous faisons dans ce texte, en prévoyant une retraite pour pénibilité fondée sur un critère dont l’opposition conteste la pertinence, à savoir son évaluation. La pénibilité n’existe pas si elle ne laisse pas de trace et, à un moment donné, il faut l’évaluer à travers cette empreinte.

Les lignes ont bougé sur ce sujet, puisque, d’un taux d’incapacité de 20 % prévu dans le projet de loi initial du Gouvernement, nous sommes passés à un taux de 10 %, constaté par un médecin. Non, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, les médecins ne sont pas cette caste absolument épouvantable de la société française que vous vous plaisez parfois à décrire : « Mon Dieu, un médecin ! Surtout pas de médecin ! Cela peut être dangereux pour la santé… » (Sourires.)

Mme Christiane Demontès. On n’a pas dit ça !

M. Jean-Luc Fichet. C’est vous qui pensez cela !

M. Éric Woerth, ministre. Ne m’interrompez pas ! Nous ne vous avons pas interrompus ! Dès que l’on dit quelque chose, cela déclenche un cœur de protestations… Laissez-nous parler et nous pourrons débattre !

Il est logique que ce soient les médecins qui vérifient le taux d’incapacité. On est donc passé de 20 % à 10 % de taux d’incapacité en considérant que les cas doivent être individualisés car chacun à son propre parcours professionnel. On ne peut pas nécessairement établir la traçabilité, c’est exact. C’est d’ailleurs toute la question de la pénibilité différée. Il y aura donc une commission locale qui précisera les choses et étudiera le cas de la personne.

Le taux de 10 % prend en compte une des maladies du siècle – certains l’ont très bien expliqué –, les troubles musculosquelettiques, qui sont la conséquence des postures pénibles, des vibrations – vous l’avez évoqué tout à l’heure –, de l’ensemble des facteurs d’exposition qui ont été isolés et qui figurent dans les tableaux des maladies professionnelles. Et, s’ils n’y sont pas tous, il est toujours possible de prouver que tel facteur d’exposition a entraîné une incapacité physique. Dans ce cas, l’âge de la retraite n’est pas décalé, il reste fixé à 60 ans.

Dans les années quatre-vingt, quand vous avez instauré la retraite à 60 ans, vous ne preniez pas en compte la pénibilité des métiers. Lionel Stoléru l’avait fait sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing en 1975, en indiquant que, dans un certain nombre de professions ouvrières, on avait la possibilité de prendre sa retraite à 60 ans, c’était une sorte de préretraite.

Lorsque vous avez instauré la retraite à 60 ans, de nombreux Français étaient déjà à la retraite à 60 ans par le biais de préretraites, notamment grâce ce dispositif.

Vous ne vous êtes pas demandé combien de temps travaillait le couvreur. S’il avait commencé à 15 ans, il pouvait cotiser pendant quarante-cinq ans avant d’arriver à l’âge fatidique de 60 ans.

M. Jean-Pierre Sueur. Il a gagné cinq ans : avant, c’était 65 ans !

M. Éric Woerth, ministre. Quand on lit les travaux préparatoires de l’ordonnance de 1982 – ils sont très intéressants – on voit que, finalement, à cette époque la gauche abandonna l’idée de prendre en compte la pénibilité et en resta à l’âge de 60 ans.

Quand on avait commencé à travailler très tôt dans un emploi très pénible, on prenait tout de même sa retraite à 60 ans, et on avait pendant longtemps assumé et subi cette pénibilité.

Les autres pays ne prennent pas en compte la pénibilité de cette façon-là.

M. Éric Woerth, ministre. L’Italie ne le fait pas, la Pologne a considérablement réduit sa vision des choses. En Allemagne  – on aime toujours se comparer à l’Allemagne – il existe, c’est vrai, un dispositif de retraite pour invalidité. Quand vous avez une rente pour invalidité, vous avez la possibilité de prendre votre retraite, mais à 62 ans. Quand vous avez 60 ans, vous ne prenez pas votre retraite pour invalidité ou pour incapacité.

Je le répète, nous avons introduit dans ce texte une avancée sociale, qui est de prendre en compte la pénibilité, de la mesurer, parce que c’est un critère de justice, de le faire à partir de données connues, incontestables et de permettre aux populations exposées à des risques de partir à la retraite plus tôt que les autres.

Peut-on aller plus loin ?

M. Éric Woerth, ministre. C’est la vraie question ! Évidemment, vous répondez « oui » !

Peut-on aller plus loin, disais-je, et prendre en compte la pénibilité différée ?

Dans le programme du parti socialiste, il est indiqué qu’il y aura des bonifications par année d’exposition et qu’y seront consacrés 5 milliards d’euros, sans dire d’où ils proviendront.

Nous pensons, quant à nous, que nous ne disposons pas aujourd’hui des éléments permettant de prendre en compte la pénibilité différée d’une façon juste, c’est-à-dire d’une façon exacte, dans la société française telle qu’elle est. En effet, nous n’avons pas la traçabilité des facteurs d’exposition.

Nous les connaissons puisque des listes ont été établies ; je précise qu’elles seront, bien évidemment, évolutives. Nous connaissons les risques cancérogènes, qui sont très importants, mais nous n’avons pas la traçabilité des carrières. Allez dans les services de santé au travail, vous le verrez très bien ! D’où notre volonté, et la très bonne idée de M. le rapporteur, d’introduire dans le texte un chapitre « Prévention de la pénibilité ».

On ne peut lire nos propositions sur la pénibilité qu’en prenant en compte le fait que la meilleure façon de lutter contre la pénibilité, c’est de la prévenir. Nous serons, me semble-t-il, tous d’accord sur ce point. Il est relativement inhumain de se poser toujours la question de la réparation. Celle-ci est très importante, mais elle implique d’une certaine façon que l’on a le droit de continuer à mettre des personnes en danger.

La meilleure façon de faire, dans une société moderne comme la nôtre, c’est d’annuler la pénibilité par des conditions de travail qui la prennent en compte.

Tant qu’on n’en est pas là, il faut la réparer, mais il faut tout faire pour la prévenir et, dans ce chapitre sur la prévention de la pénibilité, on inclut la médecine du travail.

Or, sur ce point, vous avez pris des postures idéologiques.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Arrêtez de parler de postures idéologiques !

M. Éric Woerth, ministre. Permettez ! Vous n’avez pas lu notre texte et vous l’avez tellement caricaturé… Je peux tout de même dire ce qu’il en est, comme l’ont fait Gérard Longuet et Marie-Thérèse Hermange !

Franchement, ce texte représente une avancée très importante pour la médecine du travail. Il a fait l’objet d’une concertation qui a duré plusieurs années. Il a donné lieu à de nombreux rapports, notamment celui de MM. Dellacherie, Frimat et Leclercq ou celui de M. Lasfargues. Nombre de personnes ont travaillé au sein du Conseil économique, social et environnemental, d’opinions politiques extrêmement différentes, allant des représentants de la CGT à des personnes de droite. Tout cela a donné des rapports de très bonne qualité, mais qui ont abouti au même type de conclusions et de vision de la médecine du travail : on ne peut pas se satisfaire de la médecine du travail d’aujourd’hui.

Vous dites qu’il ne faut rien changer à la médecine du travail :…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On n’a pas dit cela !