M. Alain Vasselle. C’est le bon sens !

Mme Nicole Bricq. Ce débat sur la place de l’individuel et celle du collectif est d’autant plus noble, monsieur Fourcade, qu’il a été, il y a une petite dizaine d’années, au cœur des échanges entre nous, socialistes français, et nos amis travaillistes anglais du New Labour. Nous avons toujours défendu l’idée qu’il fallait être capable, dans les temps modernes, d’articuler l’individuel et le collectif.

M. Charles Revet. L’un n’empêche pas l’autre !

Mme Nicole Bricq. J’en veux pour preuve que le groupe socialiste du Sénat, suivi en cela par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, puis par le parti socialiste, a pris l’initiative de défendre l’action de groupe en matière de responsabilité civile. En effet, nous reconnaissons aux individus le droit de se regrouper pour défendre ce qu’ils estiment être leurs droits. Face à nous, le Gouvernement a toujours refusé cette possibilité – alors qu’il prétend défendre les droits de l’individu – parce que, comme cela a été dit encore aujourd’hui, le MEDEF n’en veut pas !

Une autre différence nous sépare, précisément au sujet des retraites. Nous établissons, nous, un lien entre la retraite et la pénibilité, alors que vous, vous vous interrogez encore sur l’interaction entre la pénibilité et l’avenir des retraites, car vous ne prenez pas vraiment en compte l’espérance de vie.

Mme Nicole Bricq. Vous prenez une mesure d’âge, mais vous ne prenez absolument pas en compte le fait qu’un ouvrier vit moins longtemps qu’un cadre !

À partir de là, il est évident qu’un désaccord de fond nous oppose sur ce projet de loi, et je ne crois pas qu’il tienne à une idéologie quelconque : il tient à la réalité, aux faits, qui sont têtus, à l’objectivité des situations. Vous avez refusé, depuis le début de l’examen de ce projet de loi, d’entendre la voix des travailleurs, aussi bien au Parlement que dans la rue : ils vous disent pourtant que certains vivent moins longtemps que d’autres et qu’il faut en tenir compte pour la retraite !

Il existe évidemment un lien entre la manière dont on vit le travail, la pénibilité révélée par des maladies bien identifiées – elles le sont du reste, tout le monde le sait – et l’espérance de vie. Mais vous ne voulez pas l’entendre !

Comprenez que nous ayons pris le temps de défendre des amendements, et nous continuerons de le faire lorsque nous entamerons l’examen des articles suivants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Godefroy. Mon propos sera très bref, puisque je veux simplement indiquer le sens du vote de notre groupe : de même que nous sommes abstenus sur les amendements de suppression, nous nous abstiendrons sur l’article.

Nous avons essayé d’établir un dialogue pour que ce texte soit amélioré. Certaines de nos propositions ont été retenues, nous vous en remercions, mais l’ensemble n’est pas suffisamment significatif pour nous amener à voter cet article et mes collègues vous ont exposé toutes les raisons pour lesquelles un tel vote n’est pas possible.

Puisque je dispose de quelques instants, je voudrais revenir sur la question de savoir si la réparation doit être individuelle ou collective. Je défendrai toujours l’idée que les deux possibilités doivent être envisagées et je ne veux pas me laisser enfermer dans un débat entre individuel et collectif. Il faut évidemment qu’une réparation collective soit possible, mais une réparation individuelle doit aussi pouvoir être obtenue. Pourquoi ?

Je reprendrai le cas de l’amiante, que je connais un peu. La justice a reconnu la responsabilité de l’employeur, sur le terrain de la faute inexcusable, et estimé que, dans le cas de la Direction des constructions navales, par exemple, l’entreprise en tant que telle était concernée. Certains contestent parfois ce dernier choix ; je ne le conteste pas, quant à moi, parce que je connais les conditions de travail et je sais que tout le monde était exposé à l’amiante.

En revanche, puisque seule l’entreprise a été retenue comme responsable, tous les salariés des entreprises sous-traitantes qui venaient y travailler n’arrivent pas à faire valoir leurs droits et ne sont pas reconnus comme ayant été exposés à l’amiante. C’est pourquoi l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante, l’ANDEVA, demande une procédure d’indemnisation individuelle depuis longtemps. Mais, chaque fois, elle se fait « retoquer ».

Comment les choses se passaient-elles ? Dans ces ateliers, travaillaient non seulement les salariés des sous-traitants, mais aussi des femmes de ménage. Elles sont souvent dans l’incapacité de reconstituer leur carrière, parce que les entreprises qui les employaient ont disparu. Quand bien même elles arriveraient à obtenir cette reconstitution, elles ne pourraient pas faire valoir qu’elles ont été exposées à l’amiante parce que les entreprises qui les employaient ne figurent pas parmi celles qui sont reconnues comme ayant exposé leurs salariés.

J’ai donc la conviction profonde qu’il ne faut pas opposer les deux modes de réparation. Dans certains cas, c’est peut-être une branche professionnelle dans son ensemble qui devra être reconnue comme ayant exposé ses salariés à un risque, dans d’autres cas, il faudra ouvrir la possibilité d’engager des procédures individuelles.

Il serait bon de remettre ces questions à l’étude, afin que, lors de la rédaction des décrets et en fonction de l’évolution de cette loi, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, on réfléchisse bien à « mixer » ces deux possibilités pour ouvrir des droits à la retraite anticipée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.

M. Guy Fischer. Cet article 25, qui entame la discussion sur la question de la pénibilité du travail et de son éventuelle prise en compte dans le calcul du droit à la retraite, ne peut décemment être présenté comme une avancée sociale fondamentale pour les salariés.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Guy Fischer. Le texte de cet article constitue une nouvelle régression et, pour cette raison, nous voterons contre.

La discussion déjà entreprise a largement montré que les attendus de la réforme de 2003, tels que nous les avons rappelés dans une autre intervention, n’ont pas conduit à autre chose qu’à constater un « surplace » remarquable de la négociation collective sur la question des conditions de travail. On sait que les entreprises ont poussé jusqu’au bout pour que cette négociation n’aboutisse pas et qu’il s’agit, pour elles, d’un point fondamental.

Ainsi, la position initiale du ministre des affaires sociales de l’époque, François Fillon, appelé depuis à d’autres fonctions, s’est traduite dans les faits par une négociation inachevée dans la plus grande partie des branches professionnelles. Dire que c’est avec la « carotte » de la pénibilité et l’inextricable dispositif des « carrières longues », dont la portée a été largement réduite par le décret du 30 octobre 2003, que le gouvernement de l’époque avait gagné, grâce à la division du front syndical !

La pénibilité, dans la loi Fillon, était cantonnée au domaine de la négociation collective et l’on devait, pour rester dans l’esprit de la réforme, ouvrir un round de négociations, mais sans la moindre obligation de résultats, ce qui nous a valu d’assister au pénible spectacle des parties patronales repoussant sans cesse toute conclusion d’accord convenable du point de vue des objectifs fixés.

Ce qui va être mis en place avec l’article 25 et les suivants, notamment l’article 25 quater, va-t-il suffire à améliorer la situation ? En partie, peut-être. Mais, sur le fond, permettez-moi d’en douter puisque tout est fait, dans le texte, pour individualiser – voilà le problème ! – le plus possible la question de la réparation et entretenir une confusion entre pénibilité et handicap, dont la motivation profonde est de placer un nombre croissant de salariés en situation de devoir prolonger plus que de raison leur activité professionnelle, et au seul motif que ni leur dossier médical personnel ni les services de santé au travail n’auront validé la prise en compte d’une telle situation.

À l’absence de négociations porteuses de résultat, nous allons désormais ajouter l’arbitraire du suivi personnalisé.

Nous avions un socle : un pacte social que personne ne remettait en cause parce qu’il affirmait les garanties collectives : il y avait une prise en compte collective de la pénibilité par branche et une véritable volonté de globaliser les problèmes.

Eh bien, avec cet article 25, vous supprimez la prise en compte de la pénibilité d’un point de vue collectif, vous supprimez aussi la possibilité de rechercher la responsabilité collective des entreprises. Il n’y a pas de doute ! Aujourd’hui, en fait, vous abaissez le seuil des garanties collectives. C’est le « détricotage » qu’annonçait M. Kessler !

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cet article 25. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour explication de vote.

Mme Raymonde Le Texier. C’est avec cet article que s’ouvre le titre IV du projet de loi, consacré à la pénibilité, et dont le premier chapitre est intitulé « Prévention de la pénibilité ». Au regard des dispositions qu’il contient, je ne saurais dire s’il s’agit d’une formulation particulièrement optimiste ou tout à fait provocatrice, mais je ne m’étendrai pas sur le sujet pour l’instant, car nous aurons l’occasion d’y revenir.

Concernant l’article 25, deux mesures sont prévues et toutes deux nous semblent problématiques.

Première mesure : la création d’un carnet de santé au travail devenu, grâce à M. le rapporteur, un « dossier médical en santé au travail ». Soyons honnêtes : l’idée est intéressante, d’autant que la rédaction de ce dossier est confiée précisément à un médecin du travail.

Jusque-là, monsieur le ministre, rien à redire… À ceci près que, pour remplir ce dossier, encore faudrait-il qu’il y ait suffisamment de médecins du travail ! Pour qui connaît l’état déplorable de cette profession, en manque de reconnaissance, de moyens et surtout d’effectifs, vos dossiers médicaux risquent de rester dans leurs cartons ! Comment pourrait-il en être autrement, alors qu’aujourd’hui chaque médecin du travail suit 3 000 salariés ?

Seconde mesure prévue par cet article : les fiches d’exposition. Il s’agit de l’exposition « à des contraintes physiques marquées, à un environnement agressif ou à certains rythmes de travail susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur [la] santé »... Pourquoi tant de critères si précis et, de fait, trop restrictifs ?

Quand vous précisez que ces fiches seront non seulement rédigées par l’employeur, mais qu’en outre elles ne seront pas transmises au médecin du travail, qui en a été explicitement écarté, toute hésitation est levée : on sait qui a passé commande de cette disposition et on sait, du même coup, pourquoi les critères sont si restrictifs. La patronne des patrons pourrait bien ne pas être seulement la patronne des patrons !

Nous nous inquiétons également de la confidentialité de ces fiches qu’aucune disposition ne garantit. Au moment où, par exemple, l’avidité des assurances atteint des sommets pour connaître, par tous les moyens, chaque recoin de nos dossiers médicaux, afin de pouvoir mieux rejeter nos demandes ou les surtaxer, on peut craindre que cette absence totale de confidentialité ne soit, pour elles, pain bénit !

Fait bien plus grave encore, ces fiches peuvent être prétextes à refuser des embauches ultérieures, ce que M. Philippe Dominati, je crois, a appelé la « pénibilité portable ».

En réalité, nous avons présenté des amendements garantissant plus d’efficacité à la fois sur la traçabilité et sur la confidentialité. Il s’agissait vraiment d’amendements a minima, qui auraient pu lever nos craintes et nos suspicions.

Vous les avez rejetés, chers collègues de la majorité. Nous restons donc avec nos interrogations, nos craintes et nos suspicions et nous nous abstiendrons sur cet article 25.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. À travers ces quelques interventions, monsieur le ministre, nous sommes revenus sur l’ensemble du débat et sur les questions essentielles que soulèvent vos propositions sur le sujet qui nous occupe.

On peut être beau joueur et, parce qu’on préfère être toujours positif, considérer certaines dispositions comme étant des bonnes idées. Mais, bizarrement, la bonne idée s’agissant de médecine du travail – avec, notamment, ce suivi médical – surgit non pas dans le cadre d’un texte de loi sur le travail ou sur la médecine du travail, mais à un moment où elle pourra servir d’outil essentiel pour remplacer, pour ce qui est de la pénibilité, le critère collectif par l’individualisation des critères.

Il y a bien entendu entre nous une grande différence politique. Vous pouvez dire « idéologique », ce terme entraînant immédiatement, à l’heure actuelle, une belle criminalisation des propos. Mais, de l’idéologie, vous en faites toute la journée ! En tous les cas, nous avons un désaccord politique et d’approche.

M. Charles Revet. Vous l’avez dit plusieurs fois ! On le sait !

M. Guy Fischer. Mais c’est vrai !

M. David Assouline. Votre approche est celle du MEDEF !

M. Laurent Béteille. Le MEDEF, vous dis-je ! (Sourires sur les travées de lUMP.)

M. David Assouline. Certains ont parlé pendant longtemps de la question de la pénibilité, notamment à partir d’un élément : en 2003, la proposition d’allongement de la durée de cotisation de François Fillon a pu emporter l’adhésion, y compris celle d’un syndicat important, sur la base de l’engagement majeur d’une contrepartie en termes de pénibilité, conçue comme une négociation collective avec des critères collectifs.

M. Guy Fischer. C’était une manœuvre !

M. David Assouline. D’ailleurs, les quelques discussions entamées à l’époque visaient à essayer de définir des critères collectifs ; elles n’étaient pas orientées vers le choix d’un suivi personnel ou l’observation des dégâts commis sur la santé de tel ou tel individu salarié.

Mes chers collègues, je vous demande un peu d’attention, car je vais vous lire un extrait des propos d’un membre du MEDEF, le PDG de Spie Batignolles, François-Xavier Clédat.

M. Alain Vasselle. C’est de la redite !

M. David Assouline. Arrêtez un peu d’aboyer !

« Un système de départ automatique, outre un coût trop élevé, […] reviendrait à créer des régimes spéciaux par profession ».

L’accusation est la suivante : en définissant, dans le cas d’une négociation collective, des critères liés, notamment, à la durée de vie en vue d’une possibilité de départ anticipé à la retraite – un an de moins, deux ans de moins ou encore des trimestres en moins –, on créerait un régime spécial par profession.

C’est exactement la position de fond du MEDEF !

M. Clédat ajoute : « Il ne doit pas suffire d’avoir exercé un métier pénible pour avoir le droit de partir en retraite plus tôt ». Il dit bien que la pénibilité n’est pas le critère ! « Il faut aussi des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé des salariés. » Les trois cumulés !

En gros, le salarié doit être à l’article de la mort pour qu’on lui dise : « Tu vas pouvoir partir un peu plus tôt. » C’est exactement ce qui est écrit et c’est un PDG qui parle !

M. Nicolas About. Caricature !

M. David Assouline. Je ne caricature pas, je lis des propos qui sont retranscrits entre guillemets ! Je ne peux pas faire mieux ! (Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. François-Noël Buffet. C’est de l’interprétation, et de l’interprétation malveillante !

M. David Assouline. À ce stade de notre débat au Sénat, je veux rappeler qu’une fois passée la borne des 62 ans, le Gouvernement s’est mis à parler de pénibilité au pays. Il a même mené des campagnes de communication à la télévision, montrant par exemple une femme fatiguée à 60 ans et expliquant que, elle, elle pourrait partir. Du coup, certains ont cru qu’ils échapperaient au système des 62 ans et des 67 ans. Mais, on le voit dans ce débat, personne ne peut considérer aujourd’hui que la pénibilité de son travail lui vaudra des années en moins.

Vous avez beau dire, monsieur Woerth, le temps d’une interview pour laquelle vous êtes juste sorti de cet hémicycle avant d’y revenir, qu’il y avait sensiblement moins de monde aux manifestations, mais qu’il y avait tout de même suffisamment de monde et que, donc, il fallait expliquer plus… Sur cette question, il n’y a pas seulement des explications à donner : il y a des ouvertures à faire ! Eh bien, ces ouvertures, vous pouvez les faire, ici, au Sénat, pour montrer que, effectivement, vous prenez en compte la pénibilité.

M. le président. Concluez, s’il vous plaît !

M. David Assouline. Mais vous ne voulez pas ! Vous préférez vous en remettre, demain, à quelques décrets et à un dispositif qui tracera l’individu, plutôt que d’établir des droits collectifs.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Caffet. Nous arrivons au terme de ce débat sur l’article 25, qui est effectivement un article particulièrement important dans ce projet de loi.

Il est vrai que le ministre a effectué un certain nombre d’avancées, notamment sur l’alinéa 4 et sur un point qui était extrêmement important pour nous : non seulement l’accès du travailleur à la fiche individuelle sur son exposition, mais également son droit, défendu par Jean-Pierre Godefroy, à la contester et à la faire rectifier.

Cela étant dit, nous sommes très déçus du rejet des amendements que nous avions présentés sur le début de cet article, notamment sur l’alinéa 2 tendant à définir le dossier médical. Nous avions demandé un certain nombre de précisions sur ce dossier et, très franchement, nous ne comprenons toujours pas pourquoi elles n’ont pas été acceptées par le Gouvernement.

De ce fait, le texte sur le dossier médical est particulièrement flou et n’offre pas de véritables garanties pour les salariés en matière de pénibilité du travail.

Sur le fond, je voudrais m’inscrire dans la lignée des interventions précédentes, notamment celles de Nicole Bricq et de Jean-Pierre Godefroy. (Bourdonnement sur les travées de lUMP.)

M. le président. Je vous prie d’écouter l’orateur, mes chers collègues…

M. Jean-Pierre Caffet. Si je vous dérange, madame Procaccia, vous pouvez toujours faire comme nous : sortir. Je vous réexpliquerai après ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Catherine Procaccia. Mais je vous écoute avec beaucoup d’intérêt, mon cher collègue ! (Sourires sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Pierre Caffet. La grande ligne de partage qui existe entre vous, membres de la majorité, et nous, membres de l’opposition, c’est la reconnaissance collective d’un certain nombre de facteurs de pénibilité du travail.

M. Bruno Sido. On l’avait compris !

M. Jean-Pierre Caffet. Tout simplement parce que le MEDEF n’a pas voulu aboutir sur des accords collectifs avec les organisations syndicales, vous épousez sa thèse et restez sur des facteurs individuels.

D’ailleurs, quand on examine l’amendement de notre collègue Philippe Dominati, sur lequel le Gouvernement a émis un avis favorable,… (Les bavardages se poursuivent sur les travées de l’UMP.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous demande encore quelques minutes de patience…

M. David Assouline. Vous n’êtes pas obligés de rester !

M. Jean-Pierre Caffet. C’est vraiment incroyable !

M. Charles Revet. C’est le cinquième orateur socialiste !

M. Jean-Pierre Caffet. Je disais donc que cet amendement de notre collègue Philippe Dominati pousse cette logique jusqu’à l’absurde.

Je comprends son souci de faire en sorte que cette fiche ne soit pas à charge pour l’employeur. Mais il nous dit aussi que l’employeur va expliquer, dans ce document, ce qu’il a mis en œuvre pour réduire la pénibilité.

Mes chers collègues, nous avons tous visité, par exemple, des chantiers de construction ou de travaux publics. Il est clair qu’il y a, sur chaque chantier, des dizaines d’ouvriers qui font exactement le même métier et accomplissent les mêmes tâches. Selon la logique qui nous est proposée, le patron de l’entreprise de BTP concernée va donc devoir expliquer ce qu’il a fait, pour chaque salarié pris individuellement, afin de remédier à ses conditions de travail, alors que celles-ci sont rigoureusement identiques pour tous les salariés.

On voit bien que cet article 25 débouche sur une logique d’individualisation à outrance et on démontre, par là même, l’absurdité de pousser cette logique jusqu’à l’extrême, jusqu’à un système complètement...

M. Jacky Le Menn. Caricatural !

M. Jean-Pierre Caffet. Voilà !

Tel est donc le clivage qui existe entre vous et nous.

Je suis intimement convaincu que ce débat n’est pas clos et qu’il se poursuivra. Monsieur le ministre, la société française ne pourra pas rester sur la logique que vous avez imposée dans ce texte, une logique totalement individuelle. Un jour ou l’autre – très prochainement, je l’espère –, nous pourrons déboucher sur des mécanismes collectifs de reconnaissance de la pénibilité du travail, sur ce que Jean-Pierre Sueur appelait, au début de la discussion de cet article, des « facteurs objectifs ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Mes chers collègues, il ne faut jamais séparer un concept du contexte dans lequel il peut évoluer.

M. Bruno Sido. Cela se discute !

M. Jean Desessard. On pourrait donc dire, au départ, que le dossier médical personnel est une bonne chose, en ce sens qu’il prend en considération les difficultés de la personne et son parcours professionnel. Mais nous avons assisté à une dérive de la fiche.

Celle-ci, au départ, devait être un élément collectif objectif, un document d’analyse. Est alors intervenu M. Philippe Dominati, qui est toujours en charge de la défense des dirigeants d’entreprise.

M. Philippe Dominati. Des entreprises !

M. Jean Desessard. Il l’assume d’ailleurs… Vous pouvez lui poser la question, il ne prend pas du tout cela pour une insulte !

Il a fait en sorte que cette fiche n’ait plus maintenant de réalité. C’est simplement une appréciation… D’autant que – M. Dominati ne l’a peut-être pas précisé – il y a les sous-traitants. Comment un sous-traitant, une petite boîte, pourrait tenir à jour une telle fiche ? Il y a aussi les règles de sécurité qui ne sont pas toujours respectées. Et puis, il y a la fierté ouvrière. On a souvent vu des personnes, plutôt des jeunes, dire : « Ce n’est pas grave, je peux le faire. Je n’ai pas peur de m’exposer. Je n’ai pas peur de prendre des risques. Je n’ai pas peur de me confronter à des travaux pénibles ! »

Tout cela fait que cette fiche ne va pas exister.

De la même façon, on a refusé – M. Fourcade a été assez clair sur ce point – d’avoir une vision globale. Quels seraient les pesticides qui posent problèmes pour l’ensemble de la profession agricole ? Quels seraient les produits toxiques utilisés dans la chimie ?

Dès lors que nous ne disposons pas de cette vision collective globale, il est évident que le dossier personnalisé pâtira de cette absence d’appréciation générale des conditions de travail. Il devient alors un dossier à charge de la personne et se transforme en « boulet » pour elle.

Si l’on ne replace pas la pénibilité dans l’ensemble d’une profession, certains salariés n’oseront pas parler de leurs difficultés, car elles apparaîtront dans leur dossier, dans leur parcours professionnel. Nous aboutirons ainsi à un outil qui se retournera contre le salarié, alors que la volonté première était de l’aider.

Sans vision collective, sans reconnaissance du travail dans sa dimension sociologique – notamment au travers des branches professionnelles –, on a une vision médicale du social. Ce n’est pas ma vision ; ma vision du social, c’est garantir l’égalité de tous et, donc, reconnaître la pénibilité globalement, par branches professionnelles.

Par conséquent, je voterai contre cet article 25.

M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin, pour explication de vote.

M. Thierry Repentin. Depuis cet après-midi, nous tentons de légiférer par rapport au fait que, dans notre pays, des femmes et des hommes assument une activité professionnelle difficile, qu’ils n’ont pas choisie. Ils l’assument et, parfois, la subissent, parce que leurs origines, qu’elles soient sociales ou géographiques, leur manque de qualification professionnelle initiale, leur absence de cursus universitaire, voire un parcours scolaire erratique les cantonnent dans des métiers aux conditions d’exercice éprouvantes, sachant que, dans le même temps, souvent, leur rémunération ne leur permet aucun excès de dépense dans leur vie quotidienne. C’st aussi cela la réalité d’une partie de notre pays !

Ces travailleurs composent d’ailleurs paradoxalement cette France dont on dit qu’elle leur appartient puisque, souvent, en plus, ils se lèvent tôt !

Mais, pour eux, peu d’espoir de voir leur situation prospérer ou de s’épanouir dans l’acte de travail. Leur seule motivation, c’est leur fin de mois et, à plus ou moins longue échéance, la perspective d’une retraite dès que possible, pour ne plus subir un quotidien éreintant qui ne leur apporte aucune reconnaissance.

Par les services qu’ils assument, ces femmes et ces hommes nous permettent de vivre comme nous l’entendons ou le désirons.

Monsieur le ministre, essayez, de vous les représenter !

Ce sont les rippeurs, qui, au petit matin, par tous les temps, débarrassent nos rues.

Ce sont les agents d’entretien, qui nettoient les escaliers des immeubles des grandes cités où plus personne ne veut aller.

Ce sont les pêcheurs qui jettent leurs filets dans le froid tranchant. (Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. David Assouline. C’est insupportable pour vous, n’est-ce pas, d’entendre parler de ces réalités ?

M. Bruno Sido. Les pêcheurs sont surtout heureux quand ils peuvent les jeter, leurs filets !

M. Thierry Repentin. Ce sont les ouvriers en travail posté, qui produisent de la valeur pour notre pays, en effectuant des gestes répétitifs, tandis que nous vaquons, cher collègue Sido, à nos occupations.

Ce sont aussi les métiers du bâtiment ou des grands chantiers que seules les grandes intempéries protègent d’une exposition à des conditions de travail trop pénibles.

Ce sont tous ces visages de femmes et d’hommes que nous croisons trop souvent sans les voir, alors même qu’ils nous ont gratifiés d’un service, dans une station-service, une administration surchargée – faute de moyens – ou une grande surface commerciale, généralement avant même les horaires d’ouverture

Et bien d’autres mériteraient d’être cités.

En légiférant sur le report de l’âge de la retraite et les conditions d’obtention du droit à pension, nous devrions toujours avoir à l’esprit la portée de nos décisions pour celles et ceux qui subissent un emploi pénible sans que cela se traduise par un certificat d’invalidité ou de handicap. Pour autant, monsieur le ministre, ces travailleurs seront usés physiquement et je ne peux croire que vous souhaitiez leur infliger deux ans de plus !

Pour contourner la réalité de ce recul social, vous inventez, aux articles 25 et suivants, des dispositions qui masquent l’agression physique supplémentaire que vous proposez au Parlement d’adopter à l’encontre de ces salariés.

Nous allons continuer de débattre du contenu du dossier médical et des fiches d’exposition, mais je tenais à vous dire que nous ne sommes pas dupes et que nous n’oublions pas l’essentiel de ce texte.

Sans doute, ces salariés ne vous interpelleront-ils pas vertement lorsque vous les rencontrerez dans votre commune, monsieur le ministre. Mais quand vous les croiserez sur le marché ou bien à l’occasion d’une inauguration, d’une fête d’école, et que vous leur direz : « Comment allez-vous ? », n’oubliez pas que, grâce à vous, ils en auront « repris » pour au moins deux ans de plus, parce que vous n’aurez pas voulu accepter une réalité qui n’est pas contestable, celle de la pénibilité, de l’usure du corps soumis à des travaux, des horaires et des lieux d’exercice d’une profession ayant des caractères spécifiques !

Refuser cette réalité, c’est leur refuser aussi une reconnaissance que nous leur devons tous. En leur disant : « Comment allez-vous ? », vous leur témoignerez localement un intérêt que, en tant que ministre, vous leur refusez dans un texte de portée nationale.

C’est à toutes ces femmes et ces hommes, qui vivront, monsieur le ministre, moins longtemps et beaucoup moins bien que vous-même, que nous penserons au moment de nous prononcer sur l’ensemble de ce texte et c’est déjà à elles et à eux que nous pensons en abstenant sur l’article 25. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)