M. Claude Lise. Je veux saisir l’occasion de l’examen de cet article pour attirer l’attention sur un problème concernant les travailleurs agricoles du secteur de la banane aux Antilles. Ces travailleurs ont été pour la plupart exposés pendant de nombreuses années aux effets toxiques de pesticides, tout particulièrement le chlordécone, pesticide largement utilisé pour le traitement des bananiers contre le charançon.

Dès 1968, la Commission d’étude de la toxicité des produits pharmaceutiques, des matières fertilisantes et des supports de culture, avait préconisé l’interdiction de ce polluant organique extrêmement rémanent et particulièrement toxique. Au milieu des années soixante-dix, des employés d’une usine de production aux États-Unis avaient été victimes de graves troubles neurologiques. En 1979, le Centre international de recherche sur le cancer avait déclaré le chlordécone cancérigène pour l’homme.

Cependant, par des homologations ministérielles et des moyens détournés, le chlordécone a continué à être utilisé à la Martinique et à la Guadeloupe jusqu’en 1993, alors même qu’il était interdit dans l’Hexagone depuis 1990 ! Mal informés, dotés – quand ils l’étaient – d’équipements de protection impossibles à porter sous la chaleur tropicale, les salariés, tout comme les petits producteurs, ont souvent utilisé cet insecticide dans les pires conditions : sans gants, sans combinaison, sans masque.

Or, on observe de plus en plus une fréquence particulière d’affections cancéreuses chez ces personnes. Un rapport, paru l’année dernière, de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les impacts de l’utilisation du chlordécone relève une surincidence de myélomes multiples chez l’homme dans la zone bananière du Nord Atlantique de la Martinique. Il évoque l’hypothèse d’une relation entre ces cancers et une exposition prolongée au chlordécone.

Une étude de l’INSERM sur le risque de fertilité masculine avait déjà montré, en 2004, que l’exposition professionnelle et l’ancienneté à ce produit favorisaient la présence de chlordécone dans le sang. En réalité, nous ne connaissons pas encore toute l’étendue des conséquences sanitaires de cette exposition professionnelle, dont les effets sont d’ailleurs difficilement séparables d’usage d’autres pesticides, passés et présents.

Certains scientifiques considèrent que le chlordécone pourrait être un facteur causal du cancer de la prostate, cancer dont la fréquence est particulièrement élevée aux Antilles. Il s’agit là d’un problème d’autant plus aigu que ces travailleurs agricoles percevront pour la plupart une retraite très faible, inférieure au minimum vieillesse et, en conséquence, risquent de ne pas être à même de suivre les parcours de soins adéquats.

Pourtant, ils ont souvent commencé à travailler très jeunes. Mais ils risquent d’avoir des retraites modestes, du fait de l’absence d’affiliation obligatoire à un régime de retraite complémentaire pour les salariés agricoles, de l’inexistence d’un tel régime pour les exploitants agricoles, de l’absence de mutualité sociale agricole, de la faiblesse ou de l’absence de cotisations versées au régime général.

C’est pourquoi il me semble nécessaire que le Gouvernement puisse présenter un rapport sur ce problème. Ce rapport aurait pour objet de faire le point sur l’état de la recherche médicale et de prévoir la mise en place, pour les travailleurs ayant été exposés au chlordécone, d’un système adapté à leur situation particulière.

Celui-ci pourrait s’inspirer des travailleurs de l’amiante, en prévoyant, par exemple, une allocation anticipée de retraite. Il paraît souhaitable qu’un tel rapport soit présenté avant la fin de juin 2011. Car, il faut en avoir bien conscience, il s’agit là de milliers de travailleurs antillais, mais aussi de petits exploitants agricoles, qui, après avoir été longuement exposés à une substance dont on connaissait pourtant la haute toxicité et que l’État a autorisée chez nous pendant plusieurs années, qui ne voudraient pas être les oubliés de l’actuel débat sur les retraites.

M. le président. L'amendement n° 444, présenté par M. Godefroy, Mme Demontès, MM. Bel, Teulade, Le Menn, Daudigny et Desessard, Mmes Le Texier, Jarraud-Vergnolle, Schillinger et Printz, MM. Cazeau, Jeannerot et Kerdraon, Mmes Ghali, Alquier, Campion et San Vicente-Baudrin, MM. Gillot, S. Larcher, Domeizel, Assouline et Bérit-Débat, Mmes M. André, Blondin, Bourzai et Khiari, MM. Bourquin, Botrel, Courteau, Daunis, Guérini, Guillaume, Haut, Mahéas, Mirassou, Sueur et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Annie Jarraud-Vergnolle.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Cet article s’inscrit dans la droite ligne de la disposition précédente et s’adresse aux personnes salariées agricoles, en étendant le champ d’application de l’article 26. Selon les statistiques de la MSA, et dans l’attente du résultat du recensement agricole débuté en septembre dernier, nous pouvons estimer que les salariés agricoles représentent 1,4 million de personnes, soit l’équivalent de 578 000 emplois à temps plein.

L’enquête SUMER menée par la DARES en 2003 est, du point de vue de la pénibilité, révélatrice. Cette enquête a été menée sur l’ensemble du territoire national, par 1 792 médecins du travail, soit plus de 20 % des médecins du travail en exercice, qui ont tiré au sort 56 345 salariés dont 49 984 ont répondu. Le taux de réponse est donc impressionnant.

Ainsi, il apparaît que la proportion des salariés exposés à une mauvaise organisation du travail est de 20 %. La part des salariés qui connaissent une mauvaise prévention des contraintes physiques est de 34 %, de 38 % pour les risques biologiques et de 47 % pour les risques chimiques. Concernant les contraintes physiques par exemple, il ressort que 80 % des salariés sont exposés à au moins une contrainte posturale ou articulaire.

Pour la minorité des salariés qui utilisent de façon délibérée des micro-organismes généralement naturels, ce type d’exposition se rencontre plus fréquemment dans le secteur de la culture et de l’élevage. Les micro-organismes manipulés présentent un risque infectieux ou immuno-allergique et toxinique dans respectivement 57,8 % et 31,6 % des cas.

L’exposition à au moins un produit concerne 16,8 % des salariés agricoles, contre une moyenne de 13,5 % des salariés du champ général, et 21,9 % de l’agriculture. Parmi les salariés agricoles exposés à des produits cancérogènes, 28,8 % le sont à deux produits, et 8,5 % à au moins trois produits chimiques. Quant aux moyens de protection collective et individuelle, ils sont le plus souvent inexistants. Aucune protection collective n’existe pour 85 % des expositions et une protection individuelle fait également défaut dans 84 % des cas.

La conclusion de cette enquête est sans appel : « Les salariés du régime agricole sont globalement plus exposés aux nuisances que l’ensemble des salariés. Les expositions aux pénibilités physiques – vibration, port de charges,… – ainsi qu’aux agents biologiques et chimiques sont les plus importantes chez les salariés de la production et de la coopération agricole ».

Cette enquête induit que la reconnaissance de la pénibilité doit à la fois conjuguer prévention en amont et bonification de cotisations ou départ à la retraite anticipée en aval. En effet, comme nous l’avons déclaré à plusieurs reprises, l’enjeu que pose la pénibilité réside dans l’inégalité de l’espérance de vie qu’elle occasionne.

Nous l’avons également dit précédemment, des efforts importants sont effectués. La MSA, principal acteur dans ce secteur, a par exemple mis en œuvre une surveillance médicale des salariés.

Reste que nous ne pouvons nous satisfaire de la réponse que vous proposez, à savoir faire coïncider la prise en compte de la pénibilité avec la reconnaissance des possibles conséquences de cette pénibilité, à savoir l’invalidité. Nous nous opposons à votre logique. C’est pourquoi nous avons déposé cet amendement de suppression de l’article 27 ter AG.

Mme Gisèle Printz. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Par cet amendement, ma chère collègue, vous refusez l’extension aux salariés agricoles du dispositif de prise en compte de la pénibilité prévue pour les salariés du privé.

La commission a bien évidemment émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Même avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 444.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 27 ter AG.

(L'article 27 ter AG est adopté.)

Article 27 ter AG (Nouveau)
Dossier législatif : projet de loi portant réforme des retraites
Articles 27 ter, 27 quater et 27 quinquies

Article 27 ter A

I. – À titre expérimental, jusqu’au 31 décembre 2013, un accord collectif de branche peut créer un dispositif d’allègement ou de compensation de la charge de travail des salariés occupés à des travaux pénibles.

Les salariés peuvent bénéficier de ce dispositif s’ils ont été exposés pendant une durée minimale définie par l’accord à un des facteurs de pénibilité définis à l’article L. 4121-3-1 du code du travail et ont cumulé pendant une durée définie par le même accord deux de ces facteurs. Ils doivent ne pas remplir les conditions pour liquider leur retraite à taux plein.

L’allègement de la charge de travail peut prendre la forme :

– d’un passage à temps partiel pour toute la durée restant à courir jusqu’à ce que le salarié puisse faire valoir ses droits à retraite, durée pendant laquelle le salarié bénéficie d’une indemnité complémentaire fixée par l’accord ;

– de l’exercice d’une mission de tutorat au sein de l’entreprise du salarié, mission au titre de laquelle le salarié bénéficie d’une indemnité complémentaire fixée par l’accord.

La compensation de la charge de travail peut prendre la forme :

– du versement d’une prime ;

– de l’attribution de journées supplémentaires de repos ou de congés.

Les droits attribués au titre de la compensation de la charge de travail peuvent être versés sous la forme d’un abondement au compte épargne-temps du salarié, dans les conditions prévues à l’article L. 3152-2 du code du travail.

L’accord définit les conditions dans lesquelles il est créé, au sein de la branche concernée, un fonds dédié à la prise en charge des dispositifs d’allègement ou de compensation de la pénibilité. Il fixe aussi les modalités de l’institution, au profit de ce fonds, d’une contribution à la charge des entreprises de la branche et les modalités de la mutualisation du montant de la collecte ainsi réalisée entre les entreprises de la branche. L’accord prévoit, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, une exonération de la contribution à ce fonds pour les entreprises de la branche couvertes par un accord collectif d’entreprise mentionné au II.

Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 30 septembre 2013, un rapport procédant à l’évaluation de ce dispositif.

II. – Il est créé jusqu’au 31 décembre 2013 auprès de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés un fonds national de soutien relatif à la pénibilité, destiné à contribuer aux actions mises en œuvre par les entreprises couvertes par un accord collectif de branche mentionné au I. Peuvent également bénéficier de l’intervention de ce fonds les entreprises couvertes par un accord collectif d’entreprise créant un dispositif d’allégement ou de compensation de la charge de travail pour les salariés occupés à des travaux pénibles mentionné au I. Les recettes de ce fonds sont constituées par une dotation de l’État, une dotation de la branche accidents du travail et maladies professionnelles et par le produit de la pénalité définie à l’article L. 138-29 du code de la sécurité sociale.

Les modalités d’application du présent II sont fixées par décret en Conseil d’État.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, sur l'article.

Mme Raymonde Le Texier. Créer un dispositif d’allégement ou de compensation de la charge de travail des salariés occupés à des travaux pénibles et le faire en instaurant un fonds au sein des branches concernées, c’est reconnaître implicitement que la pénibilité pose la question des conditions de travail et impacte donc directement la responsabilité de l’employeur, une responsabilité dont celui-ci peut se tirer à bon compte.

Le dispositif d’allégement permet au salarié un passage à temps partiel ou l’exercice d’un tutorat, assorti d’une indemnité complémentaire définie par l’accord. Or rien ne dit que cette indemnité couvrira la différence avec le salaire à temps plein.

Le fait que le salarié doive être volontaire afin que l’accord puisse être passé n’offre pas de garantie suffisante. Il est probable que l’état d’usure du salarié le rendra tributaire de la seule proposition du patron.

Ce type de situation, que nous avons dénoncé à de nombreuses reprises, n’est jamais une avancée pour le salarié. Dans le cadre profondément inégalitaire qui définit les rapports entre patron et employé, l’accord de gré à gré entérine le déséquilibre relationnel et permet le plus souvent de résoudre les problèmes de l’employeur, pas celui du salarié.

Le mécanisme de compensation n’est pas plus convaincant. Il peut se traduire, soit par le versement d’une prime, soit par l’attribution de journées supplémentaires de repos ou de congés, qui pourront être placées sur un compte épargne-temps.

Le risque est grand de voir ces salariés, souvent mal payés, faire le choix de la prime au détriment de leur santé ou stocker des jours de repos pour permettre un départ anticipé, alors que le risque auquel ils sont exposés nécessiterait plutôt que les temps de récupération soient pris tout au long de l’année.

Le fonds dédié à la prise en charge de ces dispositifs expérimentaux a fait l’objet d’une rude bataille entre les branches « accidentogènes », comme le bâtiment ou la chimie, et les autres branches, telles que les banques, par exemple. Celles qui sont accusées de casser les salariés auraient souhaité mutualiser les risques entre les différentes branches, ce qui aurait été un bon moyen de ne rien changer à leurs pratiques tout en diluant leurs responsabilités.

Ce n’est pas ce qui a été prévu, au grand dam de la fédération du bâtiment. Reste que, pour certains, le Gouvernement sait offrir une deuxième chance. La puissante fédération du bâtiment a donc su récupérer d’une main ce qu’elle abandonnait de l’autre.

Le Gouvernement a en effet ajouté à cet article, tiré d’un amendement introduit à l’Assemblée nationale par Pierre Méhaignerie, une rédaction de son cru. Il a ainsi créé auprès de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés un fonds national de soutien relatif à la pénibilité, destiné à contribuer aux actions mises en œuvre par les entreprises couvertes par un accord collectif de branche créant un dispositif d’allégement ou de compensation.

Quelles recettes pour un tel fonds ? On imagine que, pour inciter les entreprises à prendre en considération la santé de leurs salariés, celles-ci devraient assumer la charge des dégâts qu’elles créeraient. Eh bien non, l’État versera une subvention pour alimenter ce fonds, et ce sont les recettes de la branche accidents du travail et maladies professionnelles qui serviront de complément !

Pour les employeurs des branches « accidentogènes », c’est réussir à faire payer par l’ensemble des salariés la casse physique de leurs employés, et ce avec la complicité de l’État. Mieux encore, ils récupéreront une partie de l’argent versé à la branche AT-MP sous forme de subvention afin que le coût de la pénibilité leur soit le plus léger possible.

Le principe pollueur-payeur, dont on a critiqué la tendance à se transformer en droit à polluer, n’est même pas appliqué ici. Non seulement le droit de casser les salariés est reconnu, mais tout est fait pour que la responsabilité de l’employeur soit diluée et que l’addition soit édulcorée.

Voilà pourquoi le groupe socialiste ne votera pas un tel article. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, sur l'article.

Mme Odette Terrade. Monsieur le ministre, le travail à en perdre la vie, voilà ce que vous nous proposez avec cet article.

Permettre à tous de travailler et de vivre mieux est un choix de société. Cependant, votre projet n’accroît pas les libertés ; au contraire, il les asphyxie.

La prise en compte de la pénibilité devrait entrer dans le cadre d’un choix d’avenir et de progrès et non dans un projet comme celui que vous nous proposez qui consiste à soumettre les conditions de vie des travailleurs aux diktats des marchés financiers. Ce n’est pas acceptable !

La bonne nouvelle est que l’on est en passe de reconnaître qu’avoir peiné au travail a des effets sur la qualité et la longueur de la retraite. La mauvaise nouvelle est que votre article limitera cette reconnaissance par le biais d’une définition médicale restrictive de la santé au travail.

C’est une réalité : certaines professions et certaines formes d’organisation du travail rendent de plus en plus malades.

Le travail ne s’est pas allégé ces dernières années et la dureté est restée imposée avec force. Quand il ne salit pas ou n’use pas les mains, bien que les troubles musculo-squelettiques aient fortement augmenté, le travail n’en contraint pas moins les salariés à des atteintes répétées, parfois peu visibles ou identifiables par les autres, mais fortement ressenties par les intéressés.

Dans le travail d’aujourd’hui, on a l’impression de se donner, de se vider, d’y épuiser son énergie sans que rien ni personne vienne y opposer de limites.

L’occasion vous était donnée avec cet article de définir une solidarité collective de la pénibilité au travail et non, comme vous le faites, une définition individuelle. Pour vous, le mot « pénibilité » est un terme qui sert à contenir le risque de débordement budgétaire d’une compensation qui concernerait trop de salariés qui souffrent quotidiennement dans leurs professions.

Les salariés souffrent, et l’objectif principal de cet article devrait être de répondre à cette souffrance par le retour au centre de l’entreprise du facteur humain, comme un contrat social.

Il faut en finir avec les pénibilités au travail, qui transforment le monde professionnel en épreuve quotidienne. Néanmoins, pour y arriver, il faut d’abord en finir avec la pénibilité du travail, qui empêche la discussion sur la façon dont les entreprises exploitent les travailleurs de nos jours et des limites à imposer au patronat pour la sollicitation des corps et des esprits. En résumé, redéfinissons les conditions de travail !

Préserver la retraite et consolider la notion collective de la prise en compte de la pénibilité sont des nécessités, non seulement pour donner aux retraités un revenu satisfaisant, mais aussi pour aller vers une organisation collective du temps de travail qui permettrait à tous de travailler et de vivre mieux.

Comme il n’y a pas de solution individuelle à la retraite, il n’y a pas de solution individuelle à la pénibilité.

Avec cet article, vous transformez la prise en compte de la pénibilité en un supermarché de l’usure au travail au cas par cas. La santé et le droit à la retraite feraient l’objet d’un sordide marchandage contingenté avec un nombre maximum à ne pas dépasser. Tant pis pour ceux qui n’ont pas eu la chance de pouvoir partir à la retraire avant d’être complètement usés !

Il y a une certaine honte à aborder ainsi la santé et l’ordre public social. Cette honte est inscrite dans cet article et notre groupe refuse de la partager.

M. Guy Fischer. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon, sur l'article.

M. Ronan Kerdraon. Le dispositif institué par l’article 27 ter A, qui vise à inciter à la conclusion d’accords sur la pénibilité, a été introduit à l’Assemblée nationale par notre collègue – breton ! (Sourires) – Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales.

Le débat sur cette disposition s’est déroulé de façon indigne d’une démocratie parlementaire, l’opposition n’ayant pas eu le droit de contester de façon argumentée les modifications apportées par le Gouvernement sur cet article. Ainsi va la vie en « Sarkozie » !

J’aimerais rappeler la philosophie initiale de ce dispositif, tel que M. Méhaignerie l’avait présenté.

Pour tous les salariés qui ont commencé à travailler tôt, à 18 ans, dans des secteurs pénibles, tels que le bâtiment, et qui ne relèvent donc pas du dispositif « carrière longue », et qui ne souffriraient pas d’une incapacité, il faudrait laisser la possibilité aux entreprises de conclure des accords prenant en compte la pénibilité. L’amendement prévoyait donc que, à titre exceptionnel, l’allégement de la charge de travail pourrait prendre la forme d’une cessation d’activité ou d’une compensation sous forme de prime ou d’une attribution de journées supplémentaires de repos ou de congés. Le texte précisait même que ces droits pourraient être versés sur un compte épargne-temps permettant un départ anticipé.

Or le Gouvernement a refusé toute compensation. Je rappelle pourtant que ce dispositif, dans sa rédaction initiale, était facultatif et expérimental. Ce petit coin dans la porte du monde merveilleux des entreprises a dû faire figure de menace insupportable pour le Gouvernement et d’une forme de jurisprudence inacceptable pour le MEDEF, qui s’est empressé de supprimer la possibilité de cessation anticipée, sous prétexte qu’il ne faudrait pas créer de nouveaux régimes spéciaux. Pourtant, avec cette réforme, vous créez un régime très spécial, dont vous ne vous vantez pas, celui des salariés à espérance de vie réduite devant cotiser 44 ans !

Vous avez dit, monsieur le ministre, qu’il était contradictoire de vouloir favoriser le travail des seniors et de mettre en place la possibilité facultative, expérimentale et négociée de cessation anticipée. Vous faites là un amalgame scandaleux : ce n’est pas la même chose que d’empêcher les entreprises de se défaire de leurs salariés ayant passé la cinquantaine que de permettre à ceux ayant commencé tôt et ayant travaillé dur de pouvoir partir à la retraite en bonne santé ! La question des seniors est une chose, celle de la pénibilité en est une autre.

Au final, ce dispositif se contente d’aménager les conditions de travail de fin de carrière des salariés à titre expérimental et facultatif. Faut-il rappeler que beaucoup d’entreprises se sont engagées dans cette voie ?

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 445 est présenté par M. Godefroy, Mme Demontès, MM. Bel, Teulade, Le Menn, Daudigny et Desessard, Mmes Le Texier, Jarraud-Vergnolle, Schillinger et Printz, MM. Cazeau, Jeannerot et Kerdraon, Mmes Ghali, Alquier, Campion et San Vicente-Baudrin, MM. Gillot, S. Larcher, Domeizel, Assouline et Bérit-Débat, Mmes M. André, Blondin, Bourzai et Khiari, MM. Bourquin, Botrel, Courteau, Daunis, Guérini, Guillaume, Haut, Mahéas, Mirassou, Sueur et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 1069 est présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Roland Courteau, pour présenter l’amendement n° 445.

M. Roland Courteau. La conclusion d’accords en vue d’alléger ou de compenser la charge de travail des salariés occupés à des travaux pénibles devrait être considérée comme une chose positive. Des accords en ce sens ont d’ailleurs déjà été conclus, dont les plus connus concernent Rhodia et Arkema, EADS, IEG ou encore la SNCF.

Il ne vous aura pas échappé que les noms d’entreprises que je viens de citer sont ceux de groupes de taille internationale. Ceux-ci ont la possibilité de mettre les moyens pour parvenir à signer un accord avec les syndicats présents dans leur entreprise. D’ailleurs, il y a des syndicats, ce qui n’est évidemment pas le cas dans les petites entreprises. Est-ce à dire que les travailleurs présents dans les petites entreprises ne sont pas soumis à des travaux pénibles ?

Est-ce à dire que les sous-traitants des grands groupes ne sont pas soumis à la pénibilité ? Non, bien entendu ! C’est là que sont souvent externalisés les travaux pénibles et dangereux. Aujourd'hui déjà, ils ne sont pas concernés par des accords de prévention et de compensation.

Votre texte propose des accords de branche. C’est une possibilité d’extension des accords d’entreprise, sur lesquels il est calqué et dont il reprend les principes, mais ce n’est toujours que partiel.

Surtout, quelles branches signeront des accords ? Nous savons tous que certaines branches usent les salariés à tel point que des accords de compensation seront très difficiles à obtenir. Ils le seront d’autant plus que les entreprises de ces branches sont essentiellement des PME et des TPE.

La question est la suivante : que contiendront ces accords de branche ? Si l’on prend la peine de lire les accords d’entreprise existants, on constate que les conditions posées pour accéder à une cessation anticipée d’activité financée par l’entreprise sont drastiques. Elles sont en tout cas plus dures que les conditions d’accès aux cessations anticipées d’activité des travailleurs salariés – les CATS – qui existaient auparavant pour les mêmes publics.

Par exemple, aujourd’hui, ces accords proposent qu’un salarié de 58 ans qui a été pendant vingt-deux ans en travail posté bénéficie de six mois de préretraite.

L’accord SNECMA, d’une grande complexité, prévoit un système par points, avec des catégories de pénibilité, qui peuvent permettre d’obtenir jusqu’à cinq ans de préretraite à partir de 55 ans dans les pires cas.

On voit bien qu’il existe de grandes disparités entre ces textes en fonction des types de travaux, des pyramides des âges, des moyens disponibles et aussi de la force des syndicats et de la qualité du dialogue social dans l’entreprise.

Ces inégalités vont donc se répandre, se systématiser selon les branches. Le mode de financement proposé l’entérine d’ailleurs puisque chaque branche aura son propre fonds de financement. C’est un premier point qui nous amène à être opposés à votre méthode, monsieur le ministre.

Cet article est en réalité la conséquence de votre refus d’une prise en considération générale de la pénibilité, d’une vraie négociation sur le sujet qui aboutisse à des résultats cohérents et applicables sans discrimination pour toutes les professions et sur l’ensemble du territoire.

Par ailleurs, nous avons un désaccord de fond avec vous sur les modes de compensation que vous proposez. Ce sera l’objet de nos prochains amendements.

Comme pour le reste de ce texte, il faut revenir autour de la table des négociations pour aboutir à un texte juste et efficace ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour présenter l'amendement n° 1069.

Mme Annie David. Je vais ajouter quelques arguments à ceux qui ont été développés par notre collègue Courteau afin de vous inciter à supprimer l’article 27 ter A.

Cet article est issu d’un amendement parlementaire et entend compléter le volet « compensation » de la pénibilité. Le rapport nous apprend qu’il s’inspire d’un dispositif mis en œuvre par le groupe Rhodia à la suite de la signature de l’accord du 30 juin 2010 sur la pénibilité du travail des salariés postés.

Première remarque : c’est une étrange façon de procéder que de nous dire que cet accord est celui de Rhodia. Mais soit, ce n’est pas la première fois que des accords d’entreprise propres à un groupe deviennent un standard qui est ensuite étendu aux autres salariés. Toutefois, c’était du temps de l’acquisition de nouveaux droits. Ici, rien de tel ; c’est juste une marche à suivre qui nous est donnée et aucun droit nouveau n’est créé.

Deuxième remarque : cette origine interne explique son caractère, celui d’un véritable inventaire à la Prévert ! Dans le texte que vous nous proposez, la pénibilité peut donner lieu à toute une série de « compensations » ou « d’allègement de la charge de travail », qu’il s’agisse de passages à temps partiel, de l’exercice d’une mission de tutorat au sein de l’entreprise, du versement de primes ou de l’attribution de journées supplémentaires de congé, mais aussi de l’abondement d’un compte épargne-temps.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’éventail est vaste, mais nulle part il n’est écrit que la pénibilité pourrait donner droit à l’acquisition de trimestres pour permettre un départ anticipé.

Troisième remarque : ces accords pourraient être mis en place « à titre expérimental », jusqu’au 31 décembre 2013. On s’interroge encore aujourd'hui sur cette date butoir.

Au final, cet article paraît bien confus et nous estimons qu’il apporte une mauvaise et dangereuse réponse à la question de la prise en compte de la pénibilité. Ce dispositif serait générateur de nombreuses inégalités entre les salariés. En effet, selon les branches professionnelles, selon l’état de leurs finances et le rapport de forces qui y existe, ces accords seront ou non mis en place.

Vous pourrez me rétorquer que des accords professionnels existent déjà dans des branches et que, par définition, ils sont sectoriels et inégalitaires. Oui, mais pour un ministre qui se targue de créer un droit nouveau et unifié dans la loi, renvoyer ainsi à nouveau aux accords de branche procède d’une logique que nous avons du mal à saisir.

Enfin, un dernier point, et non des moindres, nous rend très circonspects face à cet article : ne risque-t-il pas de remettre en cause les accords de branche déjà conclus en matière de prise en compte de la pénibilité ? Même si, juridiquement, la réponse semble négative, nous savons qu’un nouvel environnement juridique a de grands effets sur les accords de branche existants.

C’est un appel d’air et un signal fort envoyé en direction des branches. Certaines organisations patronales pourraient profiter de cet article pour tenter de tout remettre à plat et de revenir sur des acquis.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous demandons la suppression de cet article.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?