Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas le cas !

M. Jean-Louis Carrère. Vous ne l’avez pas, ce courage !

M. Éric Woerth, ministre. À une époque où il y a un consensus en faveur du développement durable, je pense que c’est le développement durable de notre modèle social que nous devons promouvoir en priorité.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est mal parti !

M. Éric Woerth, ministre. Cette réforme n’est donc pas la victoire d’un camp, c’est une réforme pour tous les Français. Ce n’est pas une réforme de circonstance, c’est une réforme qui touche à l’essentiel,…

M. Jean-Louis Carrère. Une réforme pour les riches !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Une réforme pour combler vos déficits !

M. Éric Woerth, ministre. … parce que c’est une réforme qui prend acte d’une réalité incontestable, celle de l’allongement de la vie.

Quand on regarde ce que sont devenues les précédentes réformes des retraites, qui ne couvraient pas un champ aussi large, on constate qu’elles ont fini par être acceptées, et elles l’ont été parce qu’elles étaient tout simplement nécessaires.

Je suis donc convaincu que cette réforme pourra bientôt nous rassembler au-delà des clivages partisans…

M. Guy Fischer. Bien sûr…

M. Jean-Louis Carrère. Je vous promets que non !

M. Éric Woerth, ministre. … et que, dans quelque temps, beaucoup de nos adversaires d’hier oseront reconnaître qu’elle représente une avancée majeure pour sauvegarder notre modèle social. (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur certaines travées de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, avec le projet de loi portant réforme des retraites, nous avons connu un débat riche qui a permis à chacun d’exprimer ses idées, parfois avec vivacité, mais toujours avec conviction.

La lecture des conclusions de la commission mixte paritaire nous conduit à l’exercice de comparaison entre le texte entré au Parlement en juillet dernier et le texte sorti du Parlement. Pour la fonction publique, cette lecture comparative me conduit à deux conclusions.

Premièrement, l’équilibre du texte, qui repose sur le principe de convergence entre privé et public, est respecté.

M. Guy Fischer. Mieux vaut être sourd que d’entendre ça !

M. Georges Tron, secrétaire d'État. Deuxièmement, le texte a connu des améliorations qui s’appliquent également à la fonction publique.

Le principe de convergence ne nie pas les spécificités de la fonction publique. Comme j’ai eu l’occasion de vous le dire lors de la discussion sur le projet de loi, Eric Woerth et moi-même avons retenu comme principe fondamental la convergence des règles entre régimes privés et régime de la fonction publique. C’est un thème particulièrement sensible pour nos concitoyens. Leur demande, exprimée auprès des élus ou tout simplement dans les enquêtes d’opinion, c’est l’application de règles identiques, quel que soit le statut ou l’employeur : « à carrière égale, retraite égale ».

Ce principe de convergence a motivé une grande partie de la réforme de 2003. Avec la réforme de 2010, nous franchissons une nouvelle étape.

Je ne rappelle pas l’ensemble des dispositions qui ont été prises, mais vous vous souvenez que l’augmentation de la durée de travail de deux ans concerne la fonction publique au même titre que le secteur privé.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On avait bien compris !

M. Georges Tron, secrétaire d'État. Le projet de loi porte l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans en 2018.

Les taux de cotisation acquittés par les fonctionnaires seront alignés sur le taux de cotisation du secteur privé, passant ainsi en dix ans de 7,85 % à 10,55 %.

M. Guy Fischer. 35 % de plus !

M. Georges Tron, secrétaire d'État. Le dispositif de départ anticipé sans condition d’âge pour les parents de trois enfants ayant quinze ans de service sera fermé à compter de 2012. Ce dispositif, dont le Conseil d’orientation des retraites avait relevé les imperfections et qui est sans équivalent dans le secteur privé, sera donc supprimé progressivement.

Par ailleurs, la Commission européenne a ouvert une procédure qui concerne, entre autres, ce dispositif. Du fait de la fermeture progressive de ce dernier, les agents disposeront d’un délai suffisant pour arrêter leur choix dans les meilleures conditions.

Dernière mesure de convergence, le minimum garanti sera désormais soumis à la même condition d’activité que dans le secteur privé.

Je tiens d’ailleurs à souligner que nous n’avons pas procédé à une convergence stricte concernant le minimum garanti afin de ne pas en baisser le montant.

M. Guy Fischer. Il va régresser !

M. Georges Tron, secrétaire d'État. Le projet de loi, grâce au débat parlementaire, a connu des améliorations qui s’appliquent également à la fonction publique.

À l’issue du débat parlementaire dans les deux chambres, force est de constater que, pour la fonction publique, l’équilibre du projet de loi, qui repose sur le principe de convergence, n’a pas été remis en cause. Les principales mesures ont été maintenues, voire améliorées, et quelques amendements sont venus compléter le texte de la réforme.

M. Jean-Louis Carrère. Pas beaucoup !

M. Georges Tron, secrétaire d'État. Parmi ces améliorations, je citerai les plus importantes.

S’agissant des parents de trois enfants, à la suite du débat en commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale, les députés ont adopté un amendement du Gouvernement qui exclut des nouvelles règles les personnes qui sont à cinq années de l’âge d’ouverture des droits à la retraite de leur corps. Ainsi, les agents disposeront d’un délai suffisant pour arrêter leur choix dans les meilleures conditions.

M. Guy Fischer. Heureusement !

M. Georges Tron, secrétaire d'État. Le Sénat a prolongé cette avancée avec une disposition qui maintient à 65 ans l’âge d’annulation de la décote pour les mères de trois enfants nées entre 1951 et 1955 et qui ont interrompu leur activité pour s’occuper d’un de leurs enfants.

M. Guy Fischer. 25 000 femmes par an !

M. René-Pierre Signé. Ce sont des réformes qui ne coûtent pas cher !

M. Georges Tron, secrétaire d'État. Cette mesure concernera les mères tant du secteur privé que du secteur public.

La situation des polypensionnés a donné lieu à des discussions approfondies avec les organisations syndicales puis avec les parlementaires.

Un amendement a été adopté à l’Assemblée nationale et confirmé par le Sénat s’agissant des personnes qui exercent moins de quinze ans dans la fonction publique. Aujourd’hui, ces personnes, lorsqu’elles quittent la fonction publique, sont affiliées rétroactivement au régime général avec, à la clé, une régularisation de cotisations en raison d’une différence d’assiette et de taux. Désormais, dès deux ans de services effectifs, les fonctionnaires civils pourront bénéficier d’une retraite de la fonction publique. Tout le monde est gagnant : l’agent, l’employeur et l’administration.

Ainsi, l’accord du Gouvernement démontre à la fois l’écoute des organisations syndicales et sa volonté d’avancer sur le dossier complexe des polypensionnés qui nécessite par ailleurs un travail approfondi.

Concernant les personnes handicapées, nous avons continué à travailler à une plus grande équité de notre texte. De nombreuses avancées en faveur des personnes handicapées et de leurs aidants ont été réalisées, grâce au travail des parlementaires de la majorité en particulier. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Le Gouvernement a déposé un amendement qui a fait l’objet d’améliorations à la suite du travail des parlementaires. Une mesure pérenne permettra ainsi aux parents d’enfants handicapés qui ont besoin d’une présence auprès d’eux de conserver un âge d’annulation de la décote à 65 ans.

Le dispositif de départ anticipé pour handicap a également été élargi aux assurés qui ont travaillé en bénéficiant de la reconnaissance de travailleur handicapé.

Enfin, une disposition transitoire pour le minimum garanti des militaires a été adoptée. Grâce au travail des sénateurs, le Gouvernement a revu le dispositif du minimum garanti pour les militaires. L’amendement concerne les militaires ayant atteint ou dépassé la durée minimale de quinze ans de service au 1er janvier 2011 : ils conserveront le bénéfice des règles actuelles pour l’obtention du minimum garanti. C’est une mesure d’équité vis-à-vis des fonctionnaires.

Mesdames, messieurs les sénateurs, au moment où se clôt ce débat, je voudrais à mon tour, après Eric Woerth, vous remercier toutes et tous pour le travail qui a été accompli au cours de ces trois semaines. Je remercie tout particulièrement la présidente de la commission des affaires sociales, le rapporteur et chacun des groupes.

Je crois que nous avons atteint l’objectif que nous nous étions assignés,…

M. Jean-Marc Todeschini. Eh oui : tuer les retraites !

M. Georges Tron, secrétaire d'État. …c’est-à-dire que les principes d’équité, que nous avions mis en exergue, soient effectivement respectés. Ils l’ont été grâce à la convergence des régimes du secteur public et du secteur privé. Celle-ci a été abordée avec le souci de préserver les spécificités de la fonction publique, eu égard notamment, je le rappelle, aux durées de référence : 25 ans d’un côté, 6 mois de l’autre.

Comme vous le voyez, aucun dogmatisme n’a inspiré cette réforme. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Celle-ci participera au grand chantier de modernisation de la fonction publique, auquel nous nous sommes attelés et dans lequel cette réforme des retraites prend toute sa place. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde et M. Guy Fischer applaudissent également.)

Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans ce débat qui s’achève, nous avons tous eu au moins un point de convergence : une réforme des retraites est nécessaire.

Pourtant, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je voudrais citer à votre attention le secrétaire de Diderot, Joseph Joubert, qui écrivait ceci : « la justice est le droit du plus faible ». Quoi de plus vrai ?

Dans le contexte républicain qui est le nôtre, cette phrase renvoie à la mission de l’exécutif : inscrire son action dans une constante recherche de justice. Je l’ai dit lors de la discussion générale. Durant ces semaines d’examen, cet impératif de justice a sans cesse commandé notre travail, nos propositions, nos amendements. Aussi, comment ne pas être choqué par cette décision de vote unique ? Par là même, vous avez empêché sciemment de débattre d’amendements aussi importants que la suppression du bouclier fiscal, de la niche « Copé » sur les successions ou de la taxation des retraites chapeaux.

Pour notre groupe, il ne s’est agi à aucun moment de verser dans la contestation systématique. Il en a d’ailleurs été de même hier à l’occasion de la commission mixte paritaire. Le sujet est bien trop important, et ce parce que les conséquences du texte renvoient à la conception que nous avons, les uns et les autres, de notre société, de son avenir, de la solidarité et de la justice.

Selon l’adage, on ne convoque pas l’effort sans la justice. Or, c’est ce qu’impose ce texte à l’ensemble de nos concitoyens. Ils l’ont bien compris et sont une majorité à le rejeter : 57 % d’entre eux sont contre le report de l’âge de la retraite à 62 ans et 65 % contre le passage à 67 ans pour bénéficier d’une retraite sans décote.

M. Éric Woerth, ministre. Nous n’avons pas les mêmes sondages !

Mme Christiane Demontès. L’inquiétude est telle que la mobilisation touche désormais toutes les générations de notre pays.

Partout en France, depuis des semaines, nos concitoyens manifestent leur opposition à cette nouvelle régression sociale. C’est la France d’aujourd’hui mais aussi celle de demain qui rejettent l’avenir que vous voulez leur imposer.

Dans cette situation, il revenait au Président de la République d’ouvrir enfin le dialogue, car son rôle consiste non pas à engendrer le désordre, mais à harmoniser les inévitables contradictions et à agir pour l’intérêt général.

C’est dans cet état d’esprit que nous avons déposé hier en commission mixte paritaire un amendement visant à ouvrir immédiatement des négociations, amendement que, accompagnés des députés de l’UMP, vous avez balayé d’un revers de main, messieurs les sénateurs de l’UMP !

Les syndicats, que le Gouvernement a jugé bon de ne pas consulter durant les travaux préparatoires et qui ont tout juste été informés des choix gouvernementaux, demandent l’ouverture de négociations depuis des semaines. Le Président de la République et le Premier ministre ont choisi de les ignorer et de passer en force. Par là même, vous avez choisi sciemment de dégrader le climat économique et social de notre pays, de pénaliser « la France qui se lève tôt » et l’ensemble de nos entreprises.

C’est dans ce cadre dégradé – il est la conséquence de votre bilan, car vous êtes au pouvoir depuis plus de huit ans – que vous avez décidé d’imposer cet ajustement paramétrique. Pour notre part, nous estimons que les mots « brutalité », « inefficacité » et « injustice » résument le principal de nos observations.

La brutalité est née du fait que, sur un sujet aussi important, vous n’avez pas travaillé en concertation. Brutalité aussi lorsque je pense à la médecine du travail que vous avez sciemment réduite à presque rien, pour mieux servir les intérêts du MEDEF, mais pas ceux des salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du groupe CRC-SPG. – Protestations sur les travées de lUMP.)

M. Guy Fischer. C’est la vérité !

Mme Christiane Demontès. C’est la vérité ! On l’a bien vu hier en commission mixte paritaire, où vous avez démontré, chers collègues de l’UMP, votre drôle de conception du paritarisme, selon laquelle, dans le roulement et les présidences tournantes, c’est un employeur qui remplace un employeur.

Mme Christiane Demontès. L’inefficacité est d’ores et déjà avérée puisque ce texte n’est même pas bouclé financièrement. Pis, vous videz les fonds de réserve destinés aux jeunes générations. Cette inefficacité, vous la reconnaissez avec cet amendement tardif qui prévoit d’entamer des discussions visant à assurer la pérennité de nos régimes à partir de 2013. Terrible aveu d’échec !

Cette inefficacité se révèle aussi dans votre manière d’appréhender les questions de l’emploi. Vous l’avez dit souvent, monsieur Woerth, dans un système de retraite par répartition, les actifs payent pour les retraités. Mais quand les actifs ne travaillent pas, cela devient compliqué.

Or, du côté tant des seniors que vous voulez faire travailler plus longtemps que des jeunes qui n’accèdent pas à l’emploi, les taux de chômage ne cessent d’augmenter. Le nombre de jeunes au chômage de longue durée –  je l’ai déjà dit mais il faut à mon avis le rappeler – est en constante augmentation. Et je ne parlerai pas – mais les élus locaux le savent bien – des contrats aidés, dont on nous dit qu’ils ne seront plus financés.

Quant à l’injustice, elle constitue le socle de vos mesures. Nous n’acceptons pas, et les Français non plus, que 90 % des mesures soient financées par les revenus du travail quand vous protégez scandaleusement les revenus du capital. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Enfin, je veux parler du sort que vous réservez aux femmes : il est tellement révoltant que vous avez cru bon de procéder à quelques aménagements. Un abus de langage vous a d’ailleurs fait présenter ces dispositions comme des « avancées ». Il n’en est rien, puisque vous dégradez la situation d’une très grande majorité des mères de famille.

Il en va de même pour ceux qui ont commencé à travailler tôt, mais aussi – et je veux insister sur ce point – pour les fonctionnaires, que vous ne cessez d’assimiler à des charges alors qu’ils sont aussi la richesse de notre République et de ses services publics. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste. – M. Robert Tropeano applaudit également.)

Quant aux infirmières – les infirmiers, devrais-je dire – vous êtes revenus hier sur l’amendement que nous avions adopté et qui abrogeait l’article 37 de la loi du 5 juillet 2010.

L’injustice est aussi au rendez-vous quand vous confondez pénibilité et invalidité.

À cette logique de régression sociale, nous opposons une politique alternative fondée sur le partage équitable de l’effort entre les revenus du capital et ceux du travail, une prise en compte des spécificités de chaque parcours professionnel, gage de reconnaissance de la pénibilité.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, la retraite n’est pas une aumône ; elle est un droit. Vous venez de gagner la bataille de la légalité – et encore… –, mais pas celle de la légitimité. (Murmures sur plusieurs travées de lUMP.)

Quant à nous, nous saurons répondre aux millions d’hommes et de femmes qui n’ont cessé d’espérer et de vouloir la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC-SPG et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde. (Applaudissements sur plusieurs travées du RDSE et du groupe socialiste.)

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour commencer, je souhaiterais dénoncer les conditions dans lesquelles notre assemblée a été contrainte de travailler sur un texte aussi important que la réforme des retraites.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Croyez-vous vraiment à ce que vous dites ?

Mme Françoise Laborde. J’y crois !

Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce projet de loi, nous privant ainsi d’une possible seconde lecture. Nous avons dû examiner les articles dans le désordre. Vous avez utilisé l’arme constitutionnelle de l’article 44, troisième alinéa, pour esquiver le débat démocratique.

Enfin, à peine ce texte est-il voté par le Sénat que l’on nous demande de nous prononcer sur les conclusions de la commission mixte paritaire, réunie en urgence dès hier matin et dont le texte n’a été disponible qu’hier soir ! Or il ne restait pas moins de quatre-vingt-dix articles en discussion. Je pense principalement à la disposition sur la retraite des infirmières contenue dans la loi relative à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique, que nous avions abrogée en adoptant un amendement du groupe socialiste.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est scandaleux !

M. Guy Fischer. Véritablement scandaleux !

Mme Françoise Laborde. La question des retraites méritait pourtant que l’on s’y attarde et qu’on laisse le Parlement faire son travail. Le président du Sénat n’avait-il pas souhaité que la Haute Assemblée prenne tout le temps nécessaire à un débat serein ?

M. Charles Gautier. C’est fichu !

Mme Françoise Laborde. Non seulement vous méprisez le travail parlementaire, mais, en outre, vous ignorez les millions de Français qui se mobilisent avec force depuis des semaines pour vous manifester leurs craintes quant à l’avenir de leur retraite et leur désaccord avec cette réforme profondément injuste.

M. Jean-Louis Carrère. Ils ne les voient pas, ils ne les entendent pas !

Mme Françoise Laborde. Leurs contestations sont légitimes, car cette réforme pose de nombreux problèmes. Pourtant, ils n’ont pas été entendus. Pas encore !

L’ampleur indéniable de la mobilisation dans les rues prouve, s’il en était besoin, que cette réforme a été imposée au forceps, au mépris des partenaires sociaux, des partis politiques, des parlementaires et des concitoyens de ce pays. Vous avez en effet choisi de passer en force. Pourtant, un texte qui touche au patrimoine commun de tous les Français méritait beaucoup mieux que cela, messieurs les ministres.

La réforme des retraites, parce qu’elle touche à l’un des piliers de notre République, est un enjeu majeur pour notre société et pour les générations à venir.

Mes chers collègues, rares sont nos concitoyens qui ne souhaitent pas réformer les retraites. La situation parle d’elle-même : le vieillissement de la population et l’allongement de l’espérance de vie rendent nécessaire une refonte du système actuel.

Une réforme doit avoir lieu. Mais pas celle-ci. Et surtout pas dans ces conditions ! Pas sans prendre en compte les positions et les propositions des partenaires sociaux, des partis politiques, des groupes parlementaires de tous bords et celles des Français. Cela s’appelle rechercher le consensus et faire vivre une démocratie sociale et politique apaisée.

Le Président de la République a fait un choix, celui de diviser et d’opposer les Français. C’est même devenu sa marque de fabrique ! (Murmures sur plusieurs travées de lUMP.)

Les Français veulent bien d’une réforme si elle est juste et équitable et si les efforts sont partagés.

Selon un récent sondage, 59 % des Français se disent favorables à ce que les syndicats poursuivent leurs appels à des mouvements de grève et à des manifestations après l’adoption du texte par le Parlement. (C’est exactement l’inverse ! au banc du Gouvernement.) Ils souhaitent que le Gouvernement engage une discussion pour élaborer un autre projet de réforme des retraites. Mais le Gouvernement est sourd à l’exigence de justice sociale exprimée par nos concitoyens.

Parce que le Président de la République avait promis qu’il ne toucherait pas à la retraite à 60 ans, faute d’en avoir reçu le mandat du peuple français, et parce que cette réforme, véritable débat de société, aura des conséquences pour l’ensemble de nos concitoyens, elle doit se faire avec eux et non contre eux.

Ce dossier aurait donc mérité un vrai travail en profondeur, davantage de temps et de dialogue. La concertation engagée a été malheureusement très insuffisante. Pourquoi avoir traité un sujet aussi grave selon la procédure accélérée ? Pourquoi craindre les Français ? Pourquoi avoir, dès le début, organisé un simulacre de concertation, à grands renforts de plans de communication payés par le contribuable ? Pourquoi ne pas faire confiance aux partenaires sociaux, aux forces politiques et aux parlementaires de ce pays ? Pourquoi vouloir à tout prix faire cette réforme, préparée et écrite à l’avance ?

Suivant la volonté du chef de l’État, le Gouvernement n’a pas hésité à organiser un Grenelle de l’environnement et un grand débat sur l’identité nationale. Deux sujets, avec des succès très différents ; deux sujets sur lesquels vous avez convié chaque Français à s’exprimer. Cette semaine se tiendront des états généraux... du football ! Et sur le dossier des retraites, rien : pas de grand débat national, surtout pas de Grenelle ou d’états généraux des retraites ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Françoise Laborde. Manifestement, vous ne vous êtes volontairement pas donné les moyens d’associer les Français à votre réforme.

Mme Françoise Laborde. Vous avez refusé d’engager le débat alors que cette réforme touche au patrimoine commun de tous. Comment, aujourd’hui, s’étonner que nos concitoyens descendent par millions dans la rue ? Quelle erreur majeure de gouvernance ! Et surtout, quel gâchis !

Au lieu d’imposer le vote bloqué, qui restera, comme l’a dit Yvon Collin, une faute politique, vous auriez dû accepter de suspendre les travaux et d’organiser des tables rondes avec les partenaires sociaux et les partis politiques ; vous auriez ainsi évité une escalade dans la tension sociale. C’est ce que nous vous demandions très solennellement ici, mercredi dernier, par la voix des présidents du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et du RDSE.

Je le répète, messieurs les ministres, votre réforme est injuste. Vous prétendez rétablir l’équilibre financier de notre régime de retraite. Mais au terme de quels sacrifices ? Votre réforme frappe d’abord les salariés les plus fragiles : ceux qui ont commencé à travailler très tôt, ceux qui ont eu des emplois pénibles et dont l’espérance de vie est écourtée, ceux qui, enfin, ont eu des emplois précaires.

Je pense aux femmes, grandes perdantes de cette réforme, malgré les quelques avancées que vous avez consenties.

M. Guy Fischer. Une aumône !

Mme Françoise Laborde. Les retraites des femmes sont, encore aujourd’hui, inférieures de 38 % à celles des hommes. Plus de la moitié des femmes touchent une pension inférieure à 900 euros, ce qui est inacceptable.

Mais cette inégalité n’est finalement que la retranscription des inégalités professionnelles qui se cumulent tout au long de la carrière entre les hommes et les femmes : inégalité de salaires, inégalité au niveau des responsabilités, précarité, temps partiel subi. En reculant l’âge légal de la retraite et l’âge d’annulation de la décote, vous condamnez les femmes à une plus grande précarité : elles sont actuellement plus nombreuses à liquider leurs droits à la retraite à 65 ans, faute de n’avoir pu rassembler le nombre de trimestres nécessaires pour toucher une retraite à taux plein.

Or le taux d’emploi des femmes de plus de 60 ans est très faible. Elles sont donc nombreuses à connaître, avant 65 ans, une situation de chômage ou de précarité.

Votre réforme frappe également de plein fouet les seniors. Jusqu’à présent, les seniors étaient de jeunes retraités. Demain, ils deviendront de vieux chômeurs. Messieurs les ministres, laissez-moi vous rappeler qu’aujourd’hui encore près de 70 % des Français qui liquident leur retraite sont sans emploi.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qui va financer l’assurance chômage ?

M. Guy Fischer. Les travailleurs !

Mme Françoise Laborde. En repoussant l’âge de départ à la retraite, vous risquez d’augmenter le chômage et la précarité et, par conséquent, de diminuer le niveau des pensions. Car encore faut-il pouvoir effectivement travailler jusqu’à 60 ou 62 ans ! En réalité, plus de 50 % des personnes qui touchent leur pension à 60 ans étaient déjà au chômage ou en inactivité. Et ce ne sont pas les salariés eux-mêmes qui décident de quitter leur emploi ; leur employeur le fait souvent pour eux ! Par ailleurs, si la perte du travail a lieu après 50 ans, il est très difficile de retrouver un emploi.

N’oublions pas que, par ailleurs, le chômage des jeunes est particulièrement élevé. Ceux-ci ont bien des difficultés à trouver un emploi stable, enchaînant souvent des contrats précaires.

L’espérance d’activité professionnelle s’élève aujourd’hui à 37 ans, et cette période d’activité comprend non seulement le travail, mais également les périodes de chômage.

En réalité, la réforme aura de graves conséquences pour bon nombre de nos concitoyens : elle devrait participer très certainement à une montée du chômage des jeunes et des seniors au cours des prochaines années et engendrer une diminution des pensions pour de nombreux travailleurs – les plus fragiles –, qui devront passer deux années supplémentaires à attendre pour pouvoir liquider leur retraite.

Votre réforme est vouée à l’échec. Les Français n’y croient pas, les Français n’en veulent pas ! Seul un système juste permettrait de trouver les moyens de son financement. Et ces moyens dépendent notamment du retour à la croissance. C’est avant tout en sortant de la politique d’austérité générale et en activant la croissance que nous pourrons augmenter le nombre d’emplois, et donc celui des cotisants. Or, à aucun moment, votre réforme ne prend en compte ces paramètres. Toute autre solution serait pourtant insuffisante et sans réelle ambition pour sauver le système par répartition.

Messieurs les ministres, chers collègues de la majorité, vous avez refusé d’entendre les millions de Français qui manifestent depuis plusieurs semaines et expriment avec force leurs inquiétudes.