M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 1976, dans ses Mémoires, Jean Monnet nous enseignait que « les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité, et ils ne voient la nécessité que dans la crise ».

Avec lucidité, ce père fondateur de l’Europe avait compris que c’est dans l’adversité que l’Union avance. L’ordre du jour du Conseil européen des 28 et 29 octobre démontrera – je l’espère – qu’il avait raison.

Assurément, il voyait juste en affirmant que nous ne voyons la nécessité que dans la crise.

La gouvernance économique et budgétaire de l’Union était insuffisante, nous le savions. Depuis plusieurs années déjà, nous savions que le seuil de 3 % de déficit public fixé par le pacte de stabilité et de croissance était trop rigide pour s’adapter à la diversité des situations économiques des États membres.

Nous savions que la surveillance prévue par le pacte se focalisait sur les seuls comptes publics – tout particulièrement sur le niveau des déficits. Elle n’accordait pas assez d’attention aux autres risques majeurs liés notamment aux écarts de compétitivité des États membres, à l’endettement privé ou aux bulles de prix d’actifs.

Nous savions que l’absence de toute incitation en haut du cycle économique incitait au laxisme budgétaire dans les périodes de croissance.

Nous savions également que l’application du pacte était défaillante.

Mais il a fallu la crise grecque, comme le disait le président Bizet, et la menace d’un éclatement de la zone euro pour voir réellement la nécessité d’améliorer la gouvernance économique de l’Union.

La nécessité, nous la voyons désormais : il s’agit d’un vrai régime de gouvernance économique, adaptée aux périodes de prospérité comme aux périodes de crise. C’est la condition indispensable à la solidarité communautaire, à la cohésion de la zone euro et à la crédibilité de la monnaie unique.

Aujourd’hui, pour assainir les finances publiques des États membres et protéger la cohésion communautaire, il faut repenser les règles, les pratiques et les mentalités.

Je tiens à saluer la force d’initiative dont le Gouvernement français a fait preuve aux côtés de nos partenaires allemands. Les propositions opérationnelles qui ont été formulées conjointement par le président Sarkozy et Mme Merkel vont dans le bon sens. Elles ont utilement pesé sur les propositions qui seront soumises aux chefs d’État ou de gouvernement lors du prochain Conseil européen.

Je salue notamment les propositions franco-allemandes relatives aux sanctions. Premièrement, par nature, la décision d’imposer des sanctions doit rester intergouvernementale. Il faut soutenir la capacité d’initiative de la Commission, mais certaines décisions relèvent des États. En l’affirmant sans détour, on ne porte pas atteinte à l’esprit des pères fondateurs de l’Europe, bien au contraire.

Deuxièmement, la perspective d’une modification du traité de Lisbonne pour autoriser l’imposition de sanctions politiques est intéressante. Cette modification pourrait offrir l’occasion de faciliter les coopérations volontaires afin que les États les plus vertueux puissent s’imposer des règles plus strictes avec ceux qui en sont d’accord, sans que d’autres puissent s’y opposer par leur droit de veto. Les pistes dégagées par notre collègue Pierre Fauchon en mars 2009 dans un rapport fait au nom de la commission des affaires européennes et intitulé Les coopérations spécialisées : une voie de progrès de la construction européenne pourraient utilement inspirer ces évolutions.

J’aimerais attirer votre attention, mes chers collègues, sur deux problématiques d’avenir dont l’Union ne pourra pas faire l’économie si elle veut être une puissance mondiale.

La première, c’est la convergence économique des États membres de l’Union et, en tout premier lieu, des économies française et allemande. Cela fait des années que nous appelons cette convergence de nos vœux.

En décembre dernier, je vous interpellais, monsieur le secrétaire d’État, sur la nécessité pour la France de parvenir à mettre en place une impulsion économique commune avec l’Allemagne.

Dans cette affaire, la responsabilité de notre pays me semble aujourd’hui déterminante. La France est en retard par rapport à son voisin d’outre-Rhin. L’Allemagne a initié bien avant nous son ajustement économique.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. C’est vrai !

M. Yves Pozzo di Borgo. Faute pour notre pays de procéder aux ajustements structurels qui s’imposent, le couple franco-allemand demeurera un « attelage bancal », pour reprendre une expression de Christian Saint-Etienne que j’ai déjà employée.

C’est la France que le couple franco-allemand attend pour repartir !

Le Président de la République semble en avoir pleinement conscience, comme en témoigne l’effort de réflexion sur la convergence fiscale qu’il a confié au Premier président de la Cour des comptes. Tout simplement, notre vote d’il y a quelques instants sur le projet de loi portant réforme des retraites montre aussi que nous sommes dans cet état d’esprit.

La seconde problématique d’avenir sur laquelle j’aimerais insister concerne les conditions de la croissance de demain, tout simplement parce qu’il serait vain de vouloir instaurer une véritable gouvernance économique et budgétaire européenne sans réunir les conditions de la croissance.

La première de ces conditions, mes chers collègues, c’est la recherche scientifique et technologique. On sait que le savoir est le principal moteur de l’économie. Sans recherche scientifique et technologique, il ne peut y avoir ni innovation, ni investissement, ni croissance. En ne finançant pas assez la recherche publique, en n’encourageant pas assez la recherche privée, la France s’affaiblit depuis une quinzaine d’années.

Le résultat de cette situation est la baisse de notre compétitivité et le déséquilibre de notre balance commerciale. En dix années, entre 1998 et 2008, la France a perdu un tiers de ses parts de marché à l’export.

Une simple comparaison résume le retard que la France accuse : selon l’OCDE, en 2009, notre pays consacrait 42 milliards à la recherche et développement, secteur public et secteur privé confondus, alors que l’Allemagne y investissait 76 milliards et les Etats-Unis, près de 400 milliards.

Je prendrai un seul exemple pour illustrer l’importance stratégique du financement de la recherche. Il s’agit de l’exploration spatiale. J’en parle car je me trouvais hier à Bucarest avec l’ensemble des parlementaires européens et M. Dordain, directeur général de l’ESA, l’Agence spatiale européenne.

Ma question est simple : sommes-nous prêts à mobiliser les ressources nécessaires pour relever ce défi ?

Le 27 octobre dernier, lorsque je vous ai interpellé une première fois sur ce point, monsieur le secrétaire d’État, vous avez reconnu que le budget de l’Union européenne pour la recherche spatiale représentait le quart du budget américain dans ce domaine.

Mais vous aviez jugé que tout allait pour le mieux en vantant le succès du programme Galileo et en assurant au Sénat que les moyens nécessaires étaient mobilisés.

Un an après, et compte tenu de l’information que j’ai obtenue hier, je soulève de nouveau la question, monsieur le secrétaire d’État, car, premièrement, il n’est pas question de Galileo – l’un des quatre systèmes mondiaux avec le chinois, le russe et l’américain – et, deuxièmement, les moyens nécessaires ne sont pas mobilisés pour l’instant.

Galileo est un projet européen de positionnement par satellites. J’évoque pour ma part l’importance stratégique non pas du positionnement, mais de l’exploration spatiale. En effet, cette dernière a des incidences sur tout notre quotidien.

Par ailleurs, à propos des moyens, il manque aujourd’hui 5 milliards pour financer la poursuite des projets engagés dans ce domaine. Je sais que la situation des finances publiques impose de réduire les dépenses, mais ce serait une erreur très grave de sacrifier l’avenir.

J’aimerais souligner à quel point ce domaine de recherche est stratégique. À propos du climat par exemple, puisqu’il en sera question lors du Conseil européen, nous avons besoin d’un système d’exploration spatiale pour être en pointe sur le sujet.

Savez-vous que c’est en explorant l’atmosphère de Vénus que l’on a pu comprendre l’effet de serre ? Savez-vous également que c’est en explorant l’atmosphère de Mars que l’on pourra comprendre et maîtriser les conséquences du réchauffement climatique, que nous ne maîtrisons pas encore ? Mars est la planète dont l’environnement est le moins différent de celui de notre planète, et, avant d’être désertique, elle a connu dans le passé des conditions en surface assez proches des nôtres. C’est en sachant ce qui s’est passé sur Mars que nous pourrons savoir ce qui se passera dans le monde. Ne sous-estimons pas l’importance des découvertes que nous y ferons quand nous nous en donnerons les moyens !

Je crains que, par manque de culture scientifique et par manque de scientifiques dans des positions de décideurs en France et en Europe, nous ne passions à côté d’un rendez-vous absolument essentiel pour l’avenir. C’est vrai pour l’espace, c’est vrai aussi pour d’autres domaines scientifiques et technologiques.

Je souhaite donc que la France porte le projet spatial européen et soit une force d’impulsion dans ce domaine.

Le constat de Jean Monnet était d’une grande lucidité, mais il n’est pas une fatalité. N’attendons pas la prochaine crise pour agir et pour préparer l’avenir !

Pour terminer, monsieur le secrétaire d’État, je tiens à dire que j’ai été très heureux de cette rencontre à Deauville entre le président français, la chancelière allemande et le président russe. J’ai moi-même rédigé il y a trois ans, à la Commission européenne, un rapport sur la nécessité de l’existence de relations entre l’Union européenne et la Russie. Il s’agit d’un élément fondamental pour l’Europe. Alors que le président russe était au Sénat, il disait d’ailleurs au président Larcher qu’il était nécessaire de relancer les relations entre la Russie et l’Union européenne par le biais de la France et de l’Allemagne. La réunion de Deauville constitue un élément fondamental et je souhaite qu’elle éveille plein d’espoir. Merci encore pour votre action, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

(M. Guy Fischer remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’interviendrai aujourd’hui sur ce qui apparaît comme la question la plus importante du prochain Conseil européen, à savoir la gouvernance économique européenne. La crise financière puis la crise économique ont projeté cette question à l’avant-garde de l’actualité. Nous en étions conscients depuis longtemps, mais nos concitoyens ont touché ici du doigt le fait qu’il était impossible de disposer d’un marché unique et d’une monnaie unique sans politique économique coordonnée.

M. Yvon Collin. Ça fait longtemps que nous le disons !

M. Richard Yung. Ce point est suffisamment important pour que la commission des affaires européennes ait demandé à notre collègue Pierre Bernard-Reymond et à moi-même de rédiger un rapport, qui vient d’être publié et qui, je l’espère, nourrira les réflexions du Gouvernement.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Si vous me l’envoyez, oui ! (M. le président de la commission des affaires européennes remet un exemplaire de ce rapport à M le secrétaire d’État.)

M. Richard Yung. S’agissant de ces questions, il est difficile de s’y retrouver. Trois séries de propositions sont sur la table.

Tout d’abord, vient une série de propositions faites de façon anticipée par la Commission. Cinq projets de textes législatifs sont sur la table, la Commission les a publiés de façon anticipée avant la sortie du rapport Van Rompuy. Ensuite, nous disposons du rapport Van Rompuy lui-même. Enfin, vient la déclaration de Deauville.

Comment s’y retrouver ?

Ma première question est la suivante, monsieur le secrétaire d’État : considère-t-on que les propositions de la Commission ont vocation à être classées verticalement, à disparaître de nos « écrans radars » ? C’est l’impression que donne la situation actuelle. On ne parle en effet aujourd’hui que de l’accord de Deauville.

S’agissant du rapport Van Rompuy, ce dernier a proposé une prise en considération de la dette dans le mécanisme de surveillance budgétaire, et nous nous en réjouissons puisque cela signifie que les critères pris en compte sont élargis. Cela relève du bon sens et aurait dû être fait bien plus tôt.

Monsieur le secrétaire d’État, je profite de ce sujet pour évoquer le problème des déficits, que vous avez vous-même abordé. Je ne prends pas part à la nouvelle adoration du « veau d’or ». La pensée est en effet aujourd’hui unique, la seule chose ayant de l’importance en économie étant la ligne des 3 % du déficit budgétaire. Il n’y a plus rien d’autre ! Bien entendu, personne ne pense qu’il soit bon que nous connaissions des déficits trop importants. Il faut bien sûr les réduire. Mais nous devons aussi prendre en compte d’autres éléments dans la conduite des affaires, en particulier le problème de l’emploi et le problème de l’investissement dans la recherche et l’innovation – excellemment abordé par notre collègue Pozzo di Borgo –, les investissements schumpetériens, ceux qui préparent l’avenir. Il existe de bons déficits comme il en existe de mauvais. En investissant dans la recherche, vous faites un bon déficit, qui vous sera rendu plus tard, pour prendre une image biblique.

Dans l’état actuel des choses, comme les rats de la légende, nous suivons le joueur de flûte de 3 % et nous courons nous jeter dans la mer de la déflation. Or, la déflation existe déjà au Japon, elle menace aux États-Unis. La France, pour sa part, danse sur le volcan ! Je veux donc relativiser l’approche des déficits budgétaires.

Par ailleurs, nous considérons que le pacte de stabilité et de croissance devrait prendre en compte un certain nombre de critères économiques, notamment la politique d’investissement dans la recherche et le niveau de l’emploi, pour ne citer que les deux plus importants.

La politique économique est un ensemble, et rien n’est plus essentiel que la croissance et la création d’emplois. Nous devons aussi distinguer les différents types de déficits.

La task force de M. Van Rompuy n’a pas fixé d’objectifs chiffrés pour évaluer la trajectoire de réduction de la dette, mais a seulement fait référence à des critères quantitatifs et à des dispositions méthodologiques. Monsieur le secrétaire d’État, la France proposera-t-elle de prendre en considération certains autres éléments, par exemple le niveau de la dette privée ainsi que l’impact de la réforme des retraites sur les finances publiques ?

Quant aux sanctions financières et politiques, je partage les propos de M. Bizet : l’accent est trop mis sur l’aspect « sanction » et pas assez sur l’aspect « prévention ».

La palette des sanctions est essentiellement de nature financière : dépôt sur un compte bloqué rémunéré – très faiblement –, puis non rémunéré – cette dernière mesure devient douloureuse, surtout si sont concernés 3 milliards d’euros, comme cela a été dit – avant une amende. Pour ma part, j’estime qu’il sera très difficile de mettre ces dispositions en œuvre. Un accord devra être passé autour d’une table. Or nous savons à quel point les États sont timorés lorsqu’il s’agit d’infliger une amende à un autre État en raison de son mauvais comportement. Dans un tel cas de figure, nous nous cachons derrière notre petit doigt…

Par ailleurs, la task force propose de frapper au portefeuille, en quelque sorte. Cette politique semble surtout d’affichage. La politique agricole commune est intouchable. Elle ne se prête pas à ce type d’exercice. Reste alors les fonds structurels. Mais réduire les fonds accordés dans ce cadre à des pays déjà en difficulté est tout de même paradoxal. Il s’agit plutôt de mesures déclaratives.

J’en viens à la déclaration de Deauville, qui m’inspire une réaction ambivalente. Certes, je me réjouis qu’un accord soit intervenu entre la France et l’Allemagne, le moteur franco-allemand…

Mme Nicole Bricq. Le moteur a des ratés !

M. Richard Yung. Par expérience, nous savons que si un tel accord n’est pas trouvé, rien n’avance. Mais la forme, plus que contestable, a suscité des réactions, notamment dans les pays nordiques. Le Luxembourg, si j’ai bien compris, devient, pour sa part, un ennemi de la France. Faut-il envisager le pire ?...

En Belgique, M. Verhofstadt a qualifié la déclaration susvisée de « compromis de casino ». Visait-il l’utilisation d’une martingale ou simplement la présence d’un casino à Deauville ? Je n’ai pas très bien compris.

Quoi qu’il en soit, on constate que les autres pays trouvent la pilule un peu amère. Sans doute acceptent-ils, par nécessité, un accord entre la France et l’Allemagne qui permette d’avancer, mais ils voudraient qu’un tel accord soit un peu plus entouré de précautions et qu’eux-mêmes soient préalablement consultés.

J’en viens au problème des sanctions politiques, qui a été abordé. Mais on est en plein rêve ! Comment allons-nous pouvoir modifier les traités ? Monsieur le secrétaire d’État, vous nous présentez cela comme une chose acquise. Or, pendant dix ans, nous avons tous vécu la longue bataille de Lisbonne ! Vous savez très bien qu’un certain nombre de pays ne seront pas d’accord sur les sanctions. Quel que soit le véhicule utilisé – traité d’adhésion avec la Croatie ou autre –, on se heurtera à l’opposition de certains pays, à l’organisation nécessaire d’un référendum en Irlande, ce qui n’est pas une tâche facile, comme vous le savez. Croyez-vous que les Tchèques nous ouvriront les bras et voteront les yeux fermés ? Non, ce ne sera pas le cas !

Il ne faudrait pas, de surcroît, rater l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne, en mêlant ce sujet à d’autres questions.

En réalité, il est peu envisageable que les États réunis autour d’une table suspendent les droits de vote, donc les droits politiques, d’un État. Cette sanction est tellement lourde, tellement forte. Elle constitue une telle claque politique. C’est l’arme nucléaire ! Elle ne sera par conséquent pas utilisée.

M. le président. Vous avez épuisé le temps de parole qui vous était imparti, mon cher collègue.

M. Richard Yung. Le temps de parole dont je disposais étant épuisé, eu égard aux nécessités du travail parlementaire, et bien que j’eusse aimé évoquer d’autres sujets, je m’arrêterai là. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur plusieurs travées de l’Union centriste et de l’UMP. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai écouté votre intervention avec attention, mais je n’y ai pas trouvé la réponse claire que j’attendais aux questions que je me pose.

J’aborderai deux sujets essentiels : d’abord la politique économique, puis les questions monétaires.

Sur ces deux points, je ne vois aucun signe d’embellie : d’un côté, le renforcement de la rigueur, réclamée par la Commission européenne, soutenue par l’Allemagne ; de l’autre, la poursuite de la glissade du dollar, même après les déclarations de Mme Lagarde, qui aboutit à la revalorisation de l’euro. L’Europe est menacée par un retour de la récession.

M. Richard Yung. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Chevènement. M. Yung a évoqué le joueur de flûte de la bonne ville de Hameln, mais nous courons derrière, avec les rats. Nous allons nous jeter dans le précipice.

M. Jean-Pierre Chevènement. Ce serait se tromper lourdement de ne pas faire le lien entre ces perspectives, peu réjouissantes, et le mécontentement social qui s’exprime dans le pays et qui dépasse le problème des retraites. La France est un pays très politique.

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement. Elle comprend intuitivement l’impasse dans laquelle elle est engagée.

On peut reculer l’âge de la retraite et augmenter le nombre d’annuités de cotisations, mais si l’offre de travail, si la croissance économique ne sont pas au rendez-vous, le problème des retraites ne sera pas résolu.

M. Yvon Collin. Absolument !

Mme Annie David. Exactement !

M. Jean-Pierre Chevènement. La langueur de l’économie surdétermine le reste. La zone euro est la lanterne rouge de la croissance à l’échelle mondiale. Et le choix de la monnaie unique, fait voilà plus de deux décennies, a mis la France sur une mauvaise route, il faut le dire : l’euro, dans la guerre des monnaies, apparaît comme une simple variable d’ajustement. La monnaie unique creuse les différences entre les économies industrielles à forte intensité technologique – tel est le cas de l’Allemagne – et les pays dont les exportations sont plus sensibles à l’élasticité prix, c’est-à-dire à la concurrence par les prix, comme la France ou les pays méditerranéens.

Cela, le pays le sent et, croyez-le bien, je ne m’en réjouis pas du tout, car cette impasse à quelque chose de tragique.

Les initiatives du Président de la République sont souvent pertinentes. Le discours de Davos, par exemple, est remarquable. Encore faut-il que de telles interventions soient suivies d’effets. Est-ce le cas ?

Prenons la politique économique.

La Commission européenne a formulé des propositions de nature législative mais celles-ci ont un caractère surréaliste.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Qu’ai-je dit tout à l’heure ?

M. Jean-Pierre Chevènement. Elles ne comportent rien sur la relance de la demande intérieure, rien sur l’augmentation des salaires, rien sur un emprunt européen qui pourrait servir à financer un plan d’infrastructures ou le développement de la recherche.

Le plan de rigueur européen est totalement contraire à la politique américaine de relance de l’économie ou même au soutien de la demande intérieure que semble instaurer la Chine. La politique européenne est à contre-courant, si l’on raisonne à l’échelle mondiale.

La Commission européenne propose de durcir le pacte de stabilité. Sur ce point, je ne suis pas tout à fait d’accord avec Richard Yung. Il me semble que la réduction à 60 % de la dette – pour arriver à cette norme de dette, cela signifie clairement un excédent annuel de 1,25 % du PIB pour la France pendant vingt ans –, considérée ainsi à égalité avec le plafonnement du déficit budgétaire à 3 % du PIB, est une pénitence beaucoup trop dure que notre pays s’infligerait à lui-même. Je vous demande d’y réfléchir.

Inacceptable, et même franchement ubuesque, est la taxation des pays en difficulté : les États les plus prospères se partageraient le montant des amendes fixé à 0,2 % du PIB des pays concernés ainsi que le produit des intérêts des sommes mises en dépôt imposés à ces derniers. On croit rêver !

Je m’interroge sur la proposition de la Commission de faire voter le Conseil « à la majorité inversée » pour l’application des sanctions – vous n’avez pas évoqué ce point, monsieur le secrétaire d’État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Si, je l’ai évoqué !

M. Jean-Pierre Chevènement. Dans ce cas de figure, 35 % des voix au Conseil et l’accord de 45 % des États suffiraient. Mais le traité de Lisbonne prévoit l’accord de 55 % des États et 65 % des voix au Conseil. Si un vote par consensus peut survenir, c’est parfait ! Mais le traité est ce qu’il est. Vous savez très bien que je n’ai pas voté le traité de Lisbonne qui reprend le texte de la Constitution européenne, rejetée par le peuple français. Néanmoins, ce traité pose des règles qui doivent être appliquées. Il n’est pas possible d’agir autrement. Je reviendrai sur ce sujet dans quelques instants.

La Commission formule d’autres propositions qui peuvent s’avérer dangereuses, voire attentatoires et contraires à la démocratie : ainsi en est-il de la prise en compte des exigences du pacte de stabilité à travers les règles d’élaboration des budgets nationaux. C’est ce que M. Trichet appelle le « fédéralisme budgétaire », c’est-à-dire le retrait aux Parlements nationaux du soin d’approuver le budget. La légitimité démocratique des institutions européennes en prend un coup.

Plus raisonnable est la procédure d’évaluation des risques de déséquilibres macroéconomiques ex ante, comme M. Yung l’a rappelé tout à l’heure.

J’en viens à l’accord franco-allemand. Je vous ai écouté, monsieur le secrétaire d’État, mais je ne vous ai pas bien compris. Expliquez-nous ce qui s’est passé à Deauville le 18 octobre dernier.

Les termes de l’accord franco-allemand sont très ambigus : les sanctions devraient être « plus automatiques ». Que signifie cette expression ? Soit les sanctions sont automatiques, soit elles ne le sont pas.

Mme Nicole Bricq. Cette formulation est idiote !

M. Jean-Pierre Chevènement. Et l’accord poursuit ainsi : « tout en respectant le rôle des différentes institutions et l’équilibre institutionnel ». Ce dernier était-il menacé et par qui ?

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Vous venez de le dire, monsieur le sénateur.

M. Jean-Pierre Chevènement. Oui ! Par conséquent, vous m’avez compris, monsieur le secrétaire d’État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. On s’est compris !

M. Jean-Pierre Chevènement. Quoi qu’il en soit, vous nous avez insuffisamment précisé le sens de toutes ces formulations, qu’il s’agisse du volet préventif, qui devrait être privilégié, comme l’ont dit MM. Bizet et Yung, par rapport au volet coercitif.

La déclaration franco-allemande souhaite réviser les traités sur deux points : d’abord l’implication du secteur privé dans la résolution des crises et la pérennisation du mécanisme de stabilité financière. Mais il s’agit de deux notions contradictoires. Dans quelle mesure les banques seront-elles amenées à renoncer à leurs créances ?

D’autre part, vous nous proposez une révision du traité, tendant à suspendre les droits de vote d’un État qui aurait violé les principes de base de l’Union.

En quoi cette procédure très grave se différencie-t-elle fondamentalement de la proposition d’exclusion d’un pays de la zone euro faite par Mme Angela Merkel, au printemps dernier ? Imagine-t-on un pays, tant soit peu soucieux de sa dignité, acceptant de faire partie d’une Union européenne qui lui aurait retiré voix au chapitre ?

Cette proposition est irresponsable ! Je prends, sans doute dans un sens différent, l’adjectif employé par Mme Viviane Reding, avec laquelle je ne me solidarise pas outre mesure. Cet adjectif qualifie bien la proposition d’exclusion d’un pays de l’Union européenne dont je viens de parler.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Je vous répondrai !