M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis de l’occasion qui nous est donnée aujourd’hui de débattre du fret ferroviaire au détour de la proposition de résolution déposée par mes collègues du groupe CRC-SPG. C’est une préoccupation majeure, parce que le fret est frappé par deux crises.

La première, la crise économique, conjoncturelle, a terriblement affecté les volumes de trafic entre 2008 et 2010. Les indicateurs semblent heureusement repartir à la hausse.

La seconde crise que connaît le fret est plus grave, car elle est structurelle.

En effet, le secteur du fret ferroviaire connaît, depuis sa séparation des activités de transport de voyageurs, des déficits structurels. Le maillage territorial autour de grands axes souffre à la fois d’un retard dans les investissements du réseau et d’un manque d’ambition pour le report de l’activité de transport de marchandises longue distance de la route, grande productrice de CO2, vers le rail.

Certes, des réformes ont été engagées, que ce soit en matière de déploiement du personnel, de rationalisation de la carte des dessertes, d’ouverture théorique à la concurrence, mais nous sommes loin, très loin, d’une réforme d’ampleur, ambitieuse, telle que l’Allemagne l’a conduite ces dernières années.

Il est donc urgent de porter une ambition nationale pour le fret, ce que le Grenelle avait amorcé, pour deux raisons principales.

La première raison est que le développement du fret est une réponse à la problématique environnementale. En effet, sur les longues distances, il est nettement moins polluant que le transport par camions. En outre, en reportant sur le rail une partie du transport routier de marchandises, on améliore sensiblement la fluidité du trafic sur les grands axes autoroutiers, et donc la sécurité routière.

La deuxième raison qui fonde le nécessaire développement d’une politique publique forte en faveur du fret relève d’une approche globale.

En effet, le fret ferroviaire constitue un levier pour développer une politique cohérente de développement industriel, en améliorant le transport des produits chimiques ou encore des produits industriels lourds ou volumineux.

Monsieur le secrétaire d’État, je ne peux m’empêcher, vous le comprendrez, de penser au transport des déchets nucléaires qui, un jour, seront stockés dans mon département. On s’apercevra peut-être qu’il est plus sûr de profiter d’un transport par le rail...

Le fret ferroviaire est aussi un vecteur important d’aménagement économique du territoire. En effet, le fret doit servir le désenclavement des bassins de production, industrielle, agricole, sylvicole, en les reliant aux métropoles nationales et aux grandes infrastructures, telles que les ports de marchandises, les aéroports, en France comme dans les pays frontaliers.

D’ailleurs, réciproquement, le développement des ports fluviaux et maritimes favorisé par l’internationalisation des échanges ne se fera pas sans l’intermodalité du rail.

Bref, la politique publique en faveur du fret est un levier considérable de développement économique et d’aménagement du territoire, à condition qu’on lui donne les moyens de se développer. En ce sens, les propositions du groupe CRC-SPG ne me semblent pas complètement satisfaisantes.

En effet, d’une part, la restructuration profonde de ce secteur va nécessairement de pair avec une rationalisation des emplois, de la carte des dessertes. Les syndicats allemands ont d’ailleurs participé à la détermination des mesures assez radicales – fermeture d’un tiers des gares de fret, diminution de la moitié des effectifs du principal opérateur, flexibilisation accrue du temps de travail –, afin de réaliser les gains de productivité indispensables à la relance de l’activité.

Certes, c’est un coût social qu’il faut assumer, mais, aujourd’hui, le fret allemand est solide, en croissance ; il embauche de nouveau et se déploie dans l’ensemble de l’Europe.

En outre, je ne partage pas complètement votre point de vue sur le wagon isolé. Oui, il est nécessaire de conserver, à titre de service public, le wagon isolé, ainsi que les embranchements sur site. Mais la revitalisation du fret passe, en premier lieu, par le développement économique de ses acteurs et par une remise aux normes de son réseau.

Or, la première priorité est de redonner confiance aux entreprises et donneurs d’ordres en améliorant la fiabilité et la qualité du réseau. Dans ce domaine, le défi est sans précédent !

En outre, si le maintien du wagon isolé est une préoccupation importante en termes d’aménagement du territoire, il faut accepter que celle-ci ne soit pas forcément la première mesure de sauvetage du fret.

Il faut fiabiliser le réseau dans son ensemble pour redonner confiance au secteur du transport par fret. Pendant les travaux de rénovation, et peut-être même au-delà, les trains de marchandises pourraient d’ailleurs emprunter, la nuit, les axes structurants de transports de voyageurs. Actuellement, même les TGV parcourent des distances importantes sur des réseaux existants, dans l’attente de la construction de réseaux nouveaux.

Ce n’est pas sans raison si, pour le nord de la Lorraine, dont je suis, l’acheminement se fait par Rotterdam et Anvers, qui ont une gestion humaine et rationnelle de l’emploi dans ce secteur désormais concurrentiel.

En revanche, l’idée d’une taxe sur les poids lourds pour financer la rénovation des infrastructures de fret est, selon moi, souhaitable. Dans le cadre d’un rapport que j’avais conduit, en collaboration avec Mme Alquier, notre collègue socialiste, sur le niveau d’équipement de la France en infrastructures de transports et ses conséquences sur le désenclavement des régions françaises, nous avions proposé une « taxe au kilomètre », qui aurait remplacé la taxe à l’essieu payée uniquement par les entreprises françaises. Elle aurait été payée par tout le monde, son application étant contrôlée par satellite, et aurait apporté à l’AFITF, outre des mesures portant notamment sur des plus-values, des compléments de financement non négligeables.

Malheureusement, si la délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire du Sénat – je me tourne vers vous, monsieur le président de la commission de l’économie – a unanimement adopté ce rapport, ses propositions n’ont jamais franchi les portes de l’Assemblée nationale, ce que, bien sûr, je regrette.

Nous avons mené une tentative identique, par le biais du groupe de travail sur l’avenir du fret ferroviaire, dont le président, M. Grignon, s’est exprimé tout à l’heure. Or, nous sommes contraints de le constater, la situation est de nouveau difficile, et les voies – politiques, cette fois-ci ! – se resserrent. Nous cherchons encore à trouver le bon créneau pour évoquer ce problème de manière efficace.

Malgré une ambition commune pour développer le fret ferroviaire, notre point de vue diverge de celui du groupe CRC-SPG sur les mesures à prendre et la priorité qu’il convient de donner à chacune d’entre elles.

Telles sont les observations que je souhaitais formuler au nom du groupe de l’Union centriste, qui estime que cette proposition de résolution devrait être amendée afin de pouvoir être soutenue et adoptée.

Au demeurant, nous comptons sur vous, monsieur le secrétaire d’État, pour que la voie du fret ferroviaire ne soit jamais barrée. (Sourires. – Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au sein des modes de transport de marchandises, la part du fret ferroviaire et fluvial est tombée de 42 % en 1984 à 14 % en 2007. Depuis, cette part a encore baissé, le fret ferroviaire ne représentant plus en France, en 2008, que 40 milliards de tonnes-kilomètres, soit 10 % de tous les modes de transport intérieur confondus.

L’activité fret de la SNCF a été divisée par deux. Elle a entraîné chaque année des pertes importantes conduisant à plusieurs plans de relance et à deux refinancements au moins.

L’ouverture à la concurrence, depuis 2006, s’est traduite pas l’arrivée de nouveaux opérateurs, qui détiennent désormais une part de marché de 16 %. Le développement de leur activité s’est fait essentiellement au détriment de Fret SNCF.

Cet état des lieux nous conduit à nous poser plusieurs questions. Quelles sont les causes du déclin des transports de marchandises par le train ? Les pouvoirs publics ont-ils pris conscience de cette situation ? Quelles sont les mesures à prendre pour relancer l’activité du fret ferroviaire en France ?

Je commencerai par évoquer les causes principales du déclin du fret ferroviaire.

La première, c’est le mauvais état d’un certain nombre de lignes sur lesquelles circulent des trains de fret.

La deuxième cause, ce sont des règles du jeu qui pénalisent le mode ferroviaire par rapport au mode routier. Actuellement, en effet, tous les coûts externes du transport routier de marchandises – pollution de l’air, CO2, insécurité routière, usure et congestion des réseaux routiers – ne sont pas intégrés à sa tarification. Il en résulte un avantage important pour le transport routier de marchandises, pourtant globalement plus coûteux pour la collectivité nationale que les autres modes de transport.

La troisième cause, c’est la désindustrialisation de la France et la faiblesse en tonnage des ports maritimes français.

Les pouvoirs publics ont-ils pris conscience de cette situation ? La loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite « Grenelle 1 », a mis l’accent sur un développement performant et sobre en carbone du transport des marchandises. Il s’agit de faire passer de 14 % à 25 % à l’échéance 2022 la part modale du non-routier et du non-aérien, avec une première étape à 17,5 % en 2012. Cette croissance serait assurée par le fret ferroviaire pour 85 % et par le transport fluvial pour 15 %.

En 2009, l’État a arrêté un engagement national pour le fret ferroviaire d’un montant de 7 milliards d’euros. On pouvait donc penser que les pouvoirs publics avaient pris conscience de la nécessité de relancer le fret ferroviaire. Cette impression ne résiste toutefois pas à l’analyse.

En effet, la loi dite « Grenelle 2 » est très en retrait par rapport aux bonnes orientations du Grenelle 1. Quant à l’Engagement national pour le fret ferroviaire, son financement n’est pas réellement assuré. Le Gouvernement vient, en outre, de repousser la mise en place de l’eurovignette et de la taxe carbone.

En revanche, la SNCF, qui, dans le cadre de cet engagement national, doit investir 200 millions d’euros par an pendant cinq ans pour conforter son activité fret, a tenu, à ce jour, son engagement.

Le constat de la faible motivation de l’État nécessite donc de prendre des initiatives à sa place. C’est la mission que s’est assignée le groupe de travail sur l’avenir du fret ferroviaire mis en place par la commission de l’économie du Sénat, qui a, notamment, organisé une table ronde réunissant de nombreux acteurs œuvrant dans le ferroviaire. Il convient de noter, monsieur Bussereau, que le secrétariat d’État chargé des transports n’y était pas représenté.

La proposition de résolution déposée par nos collègues du groupe CRC-SPG, dont nous débattons aujourd’hui, constitue une autre initiative intéressante, approuvée par le groupe socialiste.

En effet, les ambitieux objectifs du Grenelle 1 nécessitent la mise en place d’un plan volontaire en matière de développement du fret ferroviaire.

Dans le contexte de libéralisation voulue par la Commission européenne, libéralisation que le groupe socialiste désapprouve, mais qui est une réalité, ce plan doit nécessairement comporter les trois actions suivantes.

Première action, il faut fixer des règles du jeu qui ne pénalisent pas un mode de transport par rapport à un autre, ou un ou des opérateurs ferroviaires par rapport à son ou leurs concurrents.

En effet, le constat est le suivant : tous les coûts externes – pollution de l’air, CO2, insécurité routière, congestion du trafic et détérioration des réseaux routiers –, qui pourraient représenter, selon la Commission européenne, 210 milliards d’euros à l’horizon 2020, ne sont pas intégrés. L’instauration de l’eurovignette, d’ailleurs prévue par la législation européenne, serait un bon moyen d’internaliser dans la tarification l’ensemble des coûts externes du transport routier de marchandises. Il en va de même pour la taxe carbone, qui devrait s’appliquer à tous les engins thermiques polluants, qu’ils soient routiers ou ferroviaires. Malheureusement, le Gouvernement a repoussé la mise en œuvre de ces deux mesures.

De fait, bien que bon nombre d’entre eux y soient réticents, les transporteurs routiers français auraient intérêt à ce que soit mise en place une fiscalité écologique leur permettant de lutter à armes égales avec les transporteurs routiers des autres États, lesquels peuvent effectuer des acheminements intérieurs en profitant de la possibilité ouverte par le cabotage.

Au sein du mode ferroviaire, il apparaît que la SNCF est plus chère que la concurrence, en raison, notamment, de coûts d’organisation plus élevés.

Comme il n’est pas envisageable d’égaliser « par le bas » les conditions sociales des personnels, il convient d’œuvrer en faveur d’une harmonisation sociale européenne et française « par le haut », seule susceptible de créer des conditions équitables de concurrence.

Dans l’attente de cette harmonisation, qui ne pourra intervenir qu’à moyen ou à long terme, pourquoi ne pas mettre en place un dispositif qui, à l’instar de ce qui existe en Allemagne, permettrait de faire supporter le différentiel financier, tant qu’il existera, par une structure ad hoc ?

Le transport par wagon isolé est essentiel pour assurer un bon maillage du territoire. Son coût est cependant jusqu’à deux fois plus élevé que celui du transport par la route. Il apparaît en outre que les nouveaux opérateurs se limitent au transport de trains entiers, laissant la SNCF supporter les pertes du transport par wagon isolé.

C’est pourquoi le groupe socialiste estime qu’il est indispensable d’adopter des mesures favorisant le développement de la demande de transport en wagon isolé, de manière à soutenir l’offre de service et l’augmentation de la qualité. Il pourrait être prévu, par exemple, d’octroyer des primes, ou des avantages fiscaux, aux entreprises qui ont recours aux services ferroviaires pour acheminer leurs produits.

La Commission européenne pourrait en outre réfléchir à d’autres mesures de soutien. Malheureusement, dans la proposition de règlement, actuellement en discussion, relative aux réseaux ferroviaires européens pour un fret compétitif, centrée essentiellement sur la mise en place de mécanismes de marché, cette possibilité n’est pas évoquée.

Pourtant, le Grenelle de l’environnement a montré qu’une approche fondée sur la seule pertinence économique n’est plus tenable. Une autre logique, qui s’appuie sur la dimension « aménagement du territoire » est nécessaire. Elle repose sur la reconnaissance du caractère d’intérêt général du fret ferroviaire, reconnaissance permettant le recours à la procédure de la délégation de service public. Cela permettrait au fret ferroviaire de bénéficier d’un modèle économique solide autorisant les aides non seulement à l’investissement, mais également, si nécessaire, à l’exploitation.

Deuxième action, il convient de mettre à niveau le réseau ferré existant afin d’assurer le développement du fret ferroviaire, dans le respect du Grenelle de l’environnement.

Entre 1980 et 2008, l’évolution des réseaux autoroutier et ferroviaire a été diverse : le réseau autoroutier est passé de 4 800 kilomètres à plus de 11 000 kilomètres et le réseau ferroviaire, de 34 362 kilomètres à 29 473 kilomètres.

Voilà cinq ans, le rapport de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, dit rapport Rivier, a pointé le mauvais état d’un certain nombre de lignes, particulièrement celles des groupes UIC 7 à 9, sur lesquelles circulent essentiellement les TER, mais aussi des trains de fret.

Depuis quelques années, un effort important a été consenti par RFF, qui a augmenté le montant des crédits consacrés à la régénération, mais sans atteindre le niveau préconisé par le rapport Rivier. Certaines régions sont également intervenues, et interviennent encore aujourd’hui, pour améliorer les infrastructures ferroviaires sur lesquelles circulent des TER.

Le programme de régénération doit donc être amplifié. Il convient d’électrifier un certain nombre de lignes – je pense en particulier à la ligne Serqueux-Gisors en région parisienne – en vue de constituer des corridors dédiés ou principalement affectés au fret.

La question est posée, en outre, de savoir s’il ne faudrait pas rendre obligatoire la connexion au réseau ferroviaire des zones d’activités le justifiant.

Pour réaliser cette mise à niveau, il incombe à l’État d’arrêter rapidement un plan de résorption de l’énorme dette de RFF, qui atteignait 27,8 milliards d’euros en 2009.

Quant aux enveloppes financières mises à disposition de l’AFITF, elles doivent être pérennisées.

J’en viens à la troisième action du plan de développement du fret ferroviaire : le développement de nouveaux services à côté des services existants. Je me bornerai à décrire quelques exemples de services envisageables.

Premier service envisageable : les trains longs. Un protocole d’accord a été signé, le 25 mars 2010, entre RFF, les acteurs du fret ferroviaire et les chargeurs afin d’expérimenter ce type de trains. En prévoyant de porter à 1 000-1 500 mètres la longueur moyenne des trains et de 2 000 à 4 000 tonnes le poids moyen, contre 750 mètres et 1 400 tonnes actuellement, le train long devrait rendre le transport de fret moins coûteux en sillons pour le transporteur.

Deuxième service envisageable : le soutien aux opérateurs ferroviaires de proximité, notamment dans les ports. Si le fait que sept sociétés européennes de fret ferroviaire ont conclu l’alliance X-Rail pour accroître la qualité et la compétitivité du transport européen par wagon isolé face au transport routier est une bonne chose, il est dommage que la SNCF ne fasse pas partie de cette alliance. Elle s’en tient pour le moment à son projet d’activité « multi-lots multi-clients », organisée autour de onze sites seulement, et s’oriente vers des accords bilatéraux.

La SNCF doit prendre sa part de ce défi, rejoindre cette alliance, conserver ses gares de triage et s’engager dans le capital des opérateurs de proximité, reconnus par la loi. Dans le même temps, le rôle et les missions des opérateurs ferroviaires de proximité doivent être circonscrits à leur zone de chalandise, pour éviter qu’ils ne deviennent des opérateurs ferroviaires en tant que tels. On a cité tout à l’heure le port de La Rochelle ; je crois, monsieur le secrétaire d’État, que vous avez bien compris ce que je voulais dire. Une nouvelle loi est par conséquent nécessaire pour définir avec précision les missions de ces opérateurs ferroviaires de proximité.

Troisième service envisageable : le développement du transport de messagerie à grande vitesse. J’insiste sur cette notion de messagerie, qui ne doit pas être confondue avec celle de transport lourd. Il s’agit donc du développement du TGV fret et du développement des trains de messagerie à vitesse élevée sur les lignes classiques réaménagées.

Cela étant, les services traditionnels comme le transport combiné – qui associe le rail et la route – sont essentiels. Cela passe notamment par le renforcement des autoroutes ferroviaires. La liaison entre Bettembourg, ville du Luxembourg, et Rivesaltes étant concluante, il convient d’étendre la liaison entre Aiton et Orbassano, ville italienne, à la liaison Lyon-Turin, et d’ouvrir de nouvelles autoroutes ferroviaires, notamment sur la façade ouest de la France entre le Nord et la Méditerranée, ainsi qu’en provenance du Havre.

En conclusion, le développement du fret ferroviaire nous paraît constituer l’une des priorités européennes et nationales. Il exige donc la mise en place et la réalisation de toutes les actions que je viens de décrire et qui devraient être inscrites dans un plan global.

La question est la suivante : la volonté politique existe-t-elle au niveau de l’État ? Comme nous en doutons, nous demandons un moratoire sur l’abandon partiel de l’activité « wagon isolé » et la préservation des installations ferroviaires en attendant l’organisation d’états généraux, ou d’un « Grenelle », du fret ferroviaire, que nous appelons de nos vœux dans un avenir proche.

Quant à la Commission européenne, elle devrait, avant toute révision du premier paquet ferroviaire – actuellement en cours d’examen –, dresser un bilan objectif et contradictoire des effets de l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, et accepter de modifier sa position en autorisant des mesures de soutien.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste est favorable à l’adoption de la proposition de résolution du groupe CRC-SPG. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Marsin.

M. Daniel Marsin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la résolution relative au développement du fret ferroviaire, sur laquelle nous devons nous exprimer cet après-midi, permet de rappeler combien le transport ferroviaire de marchandises correspond à une activité d’intérêt général. Elle propose, pour ce faire, l’instauration d’une taxe sur les poids lourds pour tenir les engagements pris lors du Grenelle de l’environnement, en termes de réduction d’émission de gaz à effet de serre dus aux transports et pour soutenir réellement l’activité du fret ferroviaire. Elle prévoit également un moratoire sur l’abandon partiel de l’activité « wagon isolé » et la préservation des installations ferroviaires.

En effet, dès la mise en place des protocoles inhérents au Grenelle de l’environnement, le Gouvernement s’était engagé à diminuer la pollution – notamment l’émission de gaz à effet de serre – provoquée par le transport de marchandises par les poids lourds. Plus exactement, il s’agissait de faire passer les modes de transports alternatifs à 25 % au moins à l’horizon 2012. Pour cela, il était prévu de mettre en place une taxe sur les camions, taxe qui n’a toujours pas vu le jour en raison sans doute des risques de conflits sociaux et de blocages économiques qu’elle ferait courir au pays.

Simultanément, pour des raisons de rentabilité, Réseau Ferré de France et la SNCF ont décidé de geler leurs investissements relatifs à l’augmentation du fret ferroviaire. En chiffres, cela s’est traduit par une régression du nombre de kilomètres de voies réservés à ce type de transport. En 1980, notre pays disposait de 34 000 kilomètres de voies ; en 2009, il n’en comptait plus que 29 000. On le voit bien, le réseau ferré souffre ainsi d’une dégradation évidente de ses infrastructures.

Réseau Ferré de France est aujourd’hui un établissement étouffé par la dette contractée à sa création qui obère ses capacités d’investissement et de rénovation du réseau. Il est évident que d’un strict point de vue économique la route reste donc plus compétitive que le rail.

Aujourd’hui, quel constat peut-on faire ? Nous sommes tous d’accord dans cet hémicycle pour affirmer, avec force et vigueur, qu’il est urgent de donner un nouveau souffle au fret ferroviaire par un programme de grande ampleur en faveur d’un nouveau réseau de transport écologique de marchandises. De la même façon que nous sommes passés il y a quelques années, pour le transport de voyageurs, du Corail au TGV, nous devons donner au plus vite corps à une réelle ambition nationale pour le transport de marchandises et passer à une nouvelle étape favorisant l’innovation et la créativité.

Pour cela, les axes de proposition peuvent être multiples. Il peut s’agir de la mise en place d’autoroutes ferroviaires, du développement du transport combiné, voire de la multiplication des opérateurs ferroviaires de proximité, ou même de la suppression progressive des principaux points de congestion du réseau ferré national.

Quoi qu’il en soit, les entreprises ferroviaires opérant en France doivent se développer au niveau européen pour proposer des offres de transports performantes et innovantes, et renforcer ainsi leur compétitivité par rapport aux transports routiers.

Cet engagement national, que nous appelons tous de nos vœux, doit impérativement se traduire par un investissement public massif de la part de l’État et des établissements concernés. Il importe donc que RFF et la SNCF se mobilisent pleinement pour atteindre ces objectifs. Cet engagement national pour le fret ferroviaire doit correspondre à terme à une réduction annuelle drastique du nombre de poids lourds en circulation sur nos routes. Cet objectif ambitieux ne pourra être atteint qu’avec la mobilisation et la participation de tous les acteurs économiques concernés. L’État devra obligatoirement accompagner fortement la SNCF par des mesures significatives, pour que celle-ci se positionne au mieux dans le transport du fret du XXIe siècle.

Nos collègues du groupe CRC-SPG demandent au Gouvernement d’instaurer rapidement une taxe poids lourds dont les recettes doivent être fléchées pour les investissements sur le réseau ferré. Cette taxe contribuerait fortement à une politique de « croissance verte », de création d’activités économiques de substitution et, par conséquent, d’emplois, ainsi que de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

C’est un fait, l’État ne doit pas se contenter d’un rôle de régulateur et de soutien aux initiatives favorisant le fret ferroviaire, il ne doit pas se soustraire à ses responsabilités en arguant du fait que la concurrence entre les acteurs pourrait encourager de telles initiatives. Non, nous pensons que l’État doit aller encore plus loin en utilisant intelligemment et à bon escient tous les outils se trouvant à sa disposition, singulièrement l’outil fiscal, qui pourrait être un instrument de régulation.

C’est pourquoi le groupe RDSE, dans sa grande majorité, apportera son soutien à cette proposition de résolution dans la mesure où elle permettrait à notre Haute Assemblée d’affirmer combien le fret ferroviaire doit constituer une priorité pour notre politique nationale de transports. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – M. Michel Teston applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Mireille Schurch vient de rappeler notre attachement au développement du fret ferroviaire dans l’intérêt de la population et de l’aménagement du territoire, pour la qualité de notre environnement. Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, le fret ferroviaire est une question qui concerne éminemment le développement économique de notre pays.

Je me suis adressée à vous le 9 octobre 2007 à propos de la fermeture de deux cent soixante-deux gares de fret, puis le 14 septembre dernier à propos de l’intérêt économique, social et écologique du « wagon isolé ».

En 2007, je tirais la sonnette d’alarme en m’appuyant sur l’inquiétude exprimée par les entreprises de ma région. Je vous rappelais que là où l’économie repose sur le dynamisme des petites et moyennes entreprises, dans le Grand Ouest, vous organisiez le vide. J’insistais en ces termes : « Avant d’avoir à déplorer la désindustrialisation de notre région, il serait bon de préserver les principales dessertes ferroviaires. »

Au nom des chefs d’entreprise concernés je vous invitais à apporter des solutions pérennes. Aussi, c’est avec intérêt que j’ai écouté votre réponse, monsieur le secrétaire d’État, le 14 septembre dernier. Vous affirmiez : « Concernant l’activité « wagons isolés », ce schéma s’appuiera sur une organisation de transport qui comportera, d’une part, des services sur mesure pour les produits industriels lourds, encombrants et dangereux et, d’autre part, des trains composés de wagons « multi-lots multi-clients ». Dans ce cadre, les clients grands comptes dans un premier temps, puis les PME-PMI dans un second temps, ont été rencontrés afin de préciser leurs besoins. »

Or, monsieur le secrétaire d’État, j’ai voulu vérifier sur le terrain la mise en œuvre des facilités accordées aux PME pour qu’elles puissent continuer à faire transporter leurs produits par le rail. J’ai constaté que les entreprises concernées se comptaient à peine sur les doigts d’une main.

Les « multi-lots multi-clients » me semblent en effet appropriés pour certains chargeurs. Or, j’ai remarqué que pour ceux à qui cela pouvait convenir, malgré les efforts effectués au niveau local par les services de la SNCF, l’aboutissement et la réalisation étaient bien souvent difficiles, et pour une durée bien incertaine.

Les entreprises vont être assujetties à des surtaxes ou des augmentations dont le coût risque d’être dissuasif. Ces chargeurs vont être poussés vers la route, alors que de nombreux routiers eux-mêmes commencent à être acquis à l’idée que ce mode de transport n’est véritablement pertinent et rentable que pour les derniers ou les premiers kilomètres, dans un rayon de cent cinquante kilomètres maximum. Quant au transport des matières dangereuses dont chacun s’accordera, je pense, à estimer que nous avons tous intérêt à ce qu’il se fasse par le rail, j’apprends que, comme pour les wagons isolés, la SNCF lance un véritable ultimatum à ses interlocuteurs. Je vous parle de la situation dans laquelle se trouve la société Primagaz, et il s’agit de 130 000 tonnes transportées sur le territoire national chaque année depuis vingt ans.

Nous sommes loin de la négociation dont vous parliez dans votre réponse à ma question orale.

Je pense donc, monsieur le secrétaire d’État, qu’il est urgent de retravailler avec la SNCF pour qu’une réponse véritablement adaptée aux besoins des entreprises soit enfin apportée. Aussi, je vous demande que, avant la fin de l’année, une étude précise des flux ferroviaires soit réalisée par la SNCF. C’est la seule solution pour que l’économie locale de nos régions puisse se développer en respectant des critères sociaux, économiques et écologiques.

J’ai voulu vérifier comment une gare de fret SNCF comme celle de Saint-Pierre-des-Corps fonctionnait aujourd’hui après les différents plans et réformes. Ma collègue Evelyne Didier aurait pu vous faire part de l’état de la situation sur le site de Conflans-Jarny.

Lors d’une visite effectuée lundi dernier, j’ai pu me rendre compte des conséquences des mesures prises ces dernières années. La dégradation des voies est impressionnante. Sur les trente-quatre voies de l’ex-gare de triage, vingt sont complètement inutilisables. Avec les quatorze autres voies, « on se débrouille », comme le disent les responsables du site. Compte tenu de l’état dans lequel j’ai pu les voir, je me demande même si elles seront encore en activité l’année prochaine. C’est un véritable gâchis ! Surtout quand on sait que quatorze cents wagons passaient sur ce site chaque jour jusqu’en 2007. Qu’est-ce qui justifie un tel abandon ? Des critères de rentabilité immédiate, un refus de prendre en compte l’importance de cet outil dans un plan relatif aux transports, que vous avez préféré développer par la route – la décision concernant les poids lourds de quarante-quatre tonnes va bien dans ce sens.

Je dois vous le dire, si je ne m’attendais pas à ce que la dégradation matérielle du site soit aussi importante, j’ai en revanche été très impressionnée par une équipe de direction fortement impliquée dans son travail, et convaincue qu’il est encore possible de faire vivre du fret ferroviaire, particulièrement sur le site de Saint-Pierre-des-Corps. Ils savent, et ils sont bien placés pour le savoir, que c’est un carrefour, un nœud, actuellement sous-exploité économiquement.

La remise en état des voies serait la première mesure à prendre pour réactiver cette gare de fret. Si la SNCF veut véritablement jouer son rôle, RFF doit pouvoir engager les investissements nécessaires.

Le 14 septembre dernier, monsieur le secrétaire d'État, vous proposiez de faire de Saint-Pierre-des-Corps la plateforme dont le Grand Ouest a besoin. Comme le dit ma collègue Mireille Schurch, il faut donc entrer dans le concret dès maintenant !

De l’avis de nombreux professionnels, il y a moyen de réactiver et de développer un trafic Nord-Sud, que tout le monde reconnaît comme dynamique. Pourquoi ne pas étudier également les possibilités sur l’axe Ouest-Est, qui, de Nantes à Lyon, pourrait déboucher sur l’Est européen ?

Des études doivent être rapidement mises en place. Mais, monsieur le secrétaire d'État, comment une entreprise telle que la SNCF peut-elle développer son action commerciale en n’ayant plus que quatre commerciaux sur la très grande région Ouest, laquelle est, de surcroît, dirigée par ou depuis Paris ?

Aujourd’hui, c’est à partir des demandes des entreprises, à partir des capacités de développement de nos territoires, que peut être relancée l’activité fret, en particulier celle des wagons isolés. C’est pourquoi je ne comprends toujours pas pourquoi la France s’est retirée du projet européen X-Rail.

Je prends de nouveau l’exemple de Saint-Pierre-des-Corps. Vous savez que nous rachetons les anciens magasins généraux. C’est un site de seize hectares embranchés qui pourrait donner un véritable coup de fouet à notre économie. Mais comment progresser sur un tel projet pour que des entreprises s’intéressent à des liaisons ferrées si, en même temps, le site de triage devient un cimetière de wagons laissés à l’abandon ?

J’ai été intéressée par les propos que vous teniez le 14 septembre dernier concernant les plateformes « multi-lots multi-clients ». Vous déclariez ceci : « Elles seront principalement approvisionnées par le mode ferroviaire. Les décisions concernant leur localisation seront arrêtées à l’issue de la concertation en cours. » Vous ajoutiez pour illustrer votre propos : « La SNCF s’est ainsi engagée à mettre en place, en concertation avec les acteurs économiques et politiques locaux, des dispositifs d’accompagnement de son schéma directeur pour le transport de marchandises au service des territoires, dont Saint-Pierre-des-Corps, qui est une plaque tournante importante. »

Ne pensez-vous pas, monsieur le secrétaire d'État, qu’il est temps que le Gouvernement concrétise les choix qu’il a décidé d’inscrire dans le Grenelle de l’environnement et qu’il s’en donne les moyens ? Vous avez décidé d’abandonner les recettes des autoroutes, préférant que de grands groupes privés en fassent profiter leurs actionnaires. La mise en place de la taxation sur les poids lourds devait alimenter l’AFITF, mais elle est encore retardée. Pourtant, une telle taxation a déjà été mise en place en Suisse, en Allemagne et en République tchèque.

Au travers de notre projet de résolution, nous affirmons notre volonté politique de faire le choix du rail pour le transport de marchandises, le choix de la SNCF comme entreprise intégrée. Ce choix ne se réduit pas aux aspects techniques ; il est celui d’une autre conception d’organisation de notre vie économique, du respect de l’environnement, et il est aussi celui d’un autre type de société. De plus, il est urgent de prendre des décisions. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – M. Michel Teston applaudit également.)