M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question. Le dernier point de mon intervention concerne le volet financier. Nous aurons également l’occasion d’en reparler lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.

Vous le savez, monsieur le ministre, depuis 2003, les charges du FCAATA sont supérieures aux produits et, depuis 2005, le déficit du régime ne cesse de se creuser. L’année dernière, dans son rapport sur la branche accidents du travail-maladies professionnelles, mon collègue Gérard Dériot tenait des propos rassurants et faisait des prévisions optimistes pour 2009 et 2010. Elles se sont malheureusement révélées infondées – mais vous n’y êtes bien entendu pour rien, mon cher collègue ! (Sourires.)  si l’on en croit les chiffres fournis par le rapport annuel d’activité de 2009 du FCAATA.

En 2009, le résultat net annuel qui ne devait être négatif que de 1 million d’euros l’a finalement été de 11 millions d’euros, et le déficit cumulé qui devait se stabiliser à 273 millions d’euros s’établissait finalement fin 2009 à 284 millions d’euros.

Pour 2010, le fonds ne prévoit a priori pas d’amélioration, avec un résultat négatif de 14 millions d’euros et un déficit cumulé de 300 millions d’euros.

S’agissant du FCAATA, je voudrais également revenir sur la question de la participation financière des grands groupes responsables.

En 2005, le Gouvernement avait créé une contribution à la charge des entreprises ayant exposé leurs salariés à l’amiante pour alimenter le FCAATA ; cette contribution a été supprimée en 2009, officiellement en raison de son faible rendement et de l’obstacle qu’elle pouvait constituer pour la reprise d’entreprises en difficulté. C’était pourtant une application limitée, mais intéressante, du principe pollueur-payeur et de responsabilisation des employeurs. J’aurais aimé en la matière que le Gouvernement soit un peu moins prompt à réagir et que l’on prenne le temps nécessaire pour adapter le dispositif et le rendre plus efficace.

La situation financière du FIVA est, elle, plus saine que celle du FCAATA dans la mesure où les dotations qu’il a obtenues ont excédé ses dépenses jusqu’en 2004, ce qui lui a permis d’accumuler d’importantes réserves. Mais celles-ci ont largement fondu ces dernières années.

En 2009, les dépenses d’indemnisation ont été de 359 millions d’euros ; en 2010, elles devraient s’élever à 512 millions d’euros. La dotation prévue cette année sera-t-elle suffisante pour couvrir ces dépenses d’indemnisation en constante augmentation ? Je m’interroge !

Comme le soulignait l’année dernière le rapport de notre collègue Gérard Dériot, l’évolution de l’équilibre du FIVA est difficile à prévoir à moyen terme du fait de la part croissante des maladies malignes dans les demandes d’indemnisation. J’espère seulement que le sous-financement actuel du fonds n’aura pas de conséquences pour les victimes.

Vous le voyez, monsieur le ministre, il y avait de quoi consacrer un débat spécifique à l’amiante. Je remercie d’ailleurs M. le président de m’avoir autorisé à dépasser quelque peu mon temps de parole, mais les sujets de préoccupation sont nombreux. Du reste, je n’ai pas eu le temps d’aborder des thèmes tels que le suivi médical des victimes de l’amiante, le procès pénal de l’amiante, etc.

J’espère surtout vous avoir convaincu, monsieur le ministre, qu’il est aujourd’hui urgent d’agir afin de rendre plus justes les conditions d’attribution des allocations « amiante », mais aussi de rendre plus pérennes les modalités de financement des fonds « amiante ». C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir nous indiquer vos intentions en la matière. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet que nous abordons aujourd’hui est douloureux et difficile.

La mission d’information présidée par Jean-Marie Vanlerenberghe et dont Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy étaient rapporteurs a montré les négligences, les erreurs et les dénis qui ont abouti au drame de l’amiante.

Trop longtemps, la question de la santé au travail a été reléguée à l’accessoire, alors même que la notion légale de maladie professionnelle existe en France depuis 1919.

L’amiante, utilisé durant plus d’un siècle, est à l’origine de la forte croissance du nombre de maladies professionnelles reconnues depuis dix ans. En 2009, elle a causé 66 % des décès liés à une maladie professionnelle en France et 80,7 % des cancers professionnels en Europe.

Face à ce drame, des mesures ont été prises. La création du dispositif de cessation anticipée d’activité des travailleurs exposés à l’amiante a constitué une réponse que chacun reconnaît comme positive et qui place la France parmi les pays les plus avancés en matière de prise en charge des victimes. Comme nous venons de le voir, les dépenses d’indemnisation, à travers le FIVA, ont atteint 2,4 milliards d’euros depuis 2000 : il s’agit, là aussi, d’un effort sans précédent.

Mais ces dispositifs montrent aujourd’hui certaines limites. Plusieurs rapports officiels, cités par notre collègue Jean-Pierre Godefroy, les ont précisément mises en lumière et ont formulé des recommandations.

Les premières concernent les conditions d’éligibilité au FCAATA.

Tous les rapports s’accordent à dire que le système actuel n’est pas satisfaisant. Il crée surtout des inégalités, qui s’ajoutent aux drames humains engendrés par le développement de maladies trop souvent mortelles.

Comment, en effet, justifier qu’entre deux salariés exposés à l’amiante, l’un ne puisse prétendre au bénéfice d’une réparation simplement parce que l’entreprise qui l’employait n’est pas répertoriée sur une des listes fixées par arrêté ministériel ou parce que la période à laquelle il a été exposé n’est pas cataloguée, ou encore parce qu’il n’est pas affilié aux régimes visés par le dispositif ? Certes, la justice peut imposer de lui accorder le bénéfice de l’ACAATA, mais il lui revient alors de prouver le caractère fondé de sa demande.

Ces victimes exclues ne comprennent pas qu’à situation identique il n’y ait pas traitement similaire.

Le Gouvernement a envoyé des signes positifs en revalorisant de 20 % le montant minimum de l’ACAATA et en acceptant de maintenir les conditions actuelles d’âge de cessation d’activité et de perception d’une retraite à taux plein pour les anciens travailleurs de l’amiante. Ce dernier point a fait l’objet d’un large débat dans le cadre de la réforme des retraites, et je me félicite du résultat.

Cela étant, monsieur le ministre, je crois qu’il convient aujourd’hui d’aller plus loin et d’étudier sérieusement les propositions de réforme qui ont été faites. Il faut prendre en compte la question de la sous-traitance et uniformiser les règles de prise en charge entre les différents régimes de sécurité sociale.

La mission d’information de l’Assemblée nationale proposait d’établir une liste de bénéficiaires du FCAATA croisant une liste de métiers et de secteurs d’activité à risque, sur la base de travaux d’experts, notamment de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail. Un amendement du député Guy Lefrand a été déposé en ce sens dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011. Quelles suites y avez-vous données ?

Par ailleurs, a été maintes fois évoquée la possibilité de créer une voie d’accès individuelle au FCAATA. C’est en effet une solution, mais il est clair qu’il faut connaître le nombre de personnes concernées. L’exemple de l’Italie, qui, après avoir mis en place un tel dispositif, s’est retrouvée complètement engorgée, avec plus de 240 000 demandes déposées, doit nous inciter à la prudence. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 prévoyait un rapport pour le 30 septembre 2010. Qu’en est-il de ce rapport ?

Monsieur le ministre, tous ceux qui sont ici présents conviennent que le système a permis de venir en aide à beaucoup de salariés, mais il comporte des failles. Saisi de nombreuses réclamations, le Médiateur de la République lui-même demande avec constance depuis plusieurs années qu’il soit réformé. Je mesure bien entendu toute la difficulté de la tâche dans un contexte financier contraint, mais la valeur humaine ne se discute pas et impose des responsabilités.

Toutefois, je reconnais que des avancées ont eu lieu depuis un an sur le dossier de l’amiante.

Vous avez notamment pris différentes mesures pour réorganiser le fonctionnement du FIVA et créé une « cellule d’urgence » chargée d’apurer le stock des dossiers. Les délais de traitement étaient en effet très préoccupants dans la mesure où les victimes touchées par les pathologies les plus graves ont malheureusement une espérance de vie très courte.

Dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, vous revenez sur une récente décision de la Cour de cassation en créant un délai de prescription de dix ans propre aux demandes d’indemnisation présentées devant le FIVA. Cela va dans le bon sens.

Le renforcement des effectifs de la « cellule amiante » de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique est également un point positif.

S’agissant du suivi médical des victimes d’expositions professionnelles, l’article 25 de la réforme des retraites consacre le carnet de santé au travail et la création d’une fiche individuelle. La Haute Autorité de santé avait par ailleurs préconisé la mise en place d’un suivi professionnel spécifique pour les personnes exposées à l’amiante, avec, comme examen de référence, le scanner thoracique. Cette recommandation a-t-elle été suivie ?

Enfin, s’agissant des fibres courtes et fines présentes dans les bâtiments publics, des études complémentaires ont-elles été conduites ? Le décret d’application précisant les modalités de réalisation des constats d’amiante, obligatoires depuis la loi HPST du 21 juillet 2009 a-t-il été pris ?

Je vous saurai gré, monsieur le ministre, de répondre à toutes ces questions. De nombreux chantiers ont été ouverts depuis l’an dernier et soyez convaincu que nous en suivrons avec attention la mise en œuvre. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec satisfaction et une profonde humilité que nous abordons ce débat sur la nécessaire réforme des dispositifs « amiante ».

Encore aujourd’hui, d’après les dernières estimations de l’Organisation mondiale de la santé, l’amiante tue 107 000 personnes par an, soit un mort lié à l’amiante toutes les cinq minutes. En France, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, estime que ce fléau aura fait 100 000 morts d’ici à 2025. L’ampleur de la catastrophe est telle que le mois dernier, dans une déclaration, les Nations unies ont confirmé leur souhait de voir cesser l’utilisation de l’amiante de par le monde.

Car n’oublions pas, mes chers collègues, qu’aujourd’hui encore, pendant que l’industrie tire profit de l’utilisation de l’amiante, les travailleurs, eux, la paient de leur vie !

En raison des propriétés – résistance à la chaleur et aux agressions chimiques – et du faible coût de ce matériau, l’utilisation de l’amiante a perduré, malgré le lien positif établi entre l’inhalation de fibres d’amiante et le déclenchement de pathologies spécifiques.

La révolution industrielle en a même généralisé l’usage dans de nombreux domaines, particulièrement dans le secteur du bâtiment. Ainsi, le drame de Condé-sur-Noireau, près de Caen, que Jean-Pierre Godefroy a évoqué tout à l’heure, a été signalé dès 1906 par l’inspecteur du travail Denis Auribault. Cela n’aura pas suffi à une prise de conscience des pouvoirs publics : ce n’est qu’en 1945 que les pathologies liées à l’amiante font l’objet d’une première reconnaissance !

Toutefois, au cours des cinquante années qui suivent, les intérêts économiques priment sur la santé des travailleurs et le Comité permanent amiante, puissant lobby des patrons de l’amiante, empêche la reconnaissance de son caractère mortifère et son interdiction. Nos collègues Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy, dans leur rapport intitulé « Le drame de l’amiante en France : comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l’avenir » et daté d’octobre 2005, ont d’ailleurs bien dénoncé les mécanismes mis en place, dans le but de manipuler l’opinion publique, par ce comité qui faisait même du chantage à l’emploi !

Enfin, en 1996, l’amiante cesse d’être considéré comme un risque professionnel qu’il faut gérer et devient une matière qu’il faut interdire. En 1999, sont créés le FCAATA et son corollaire, l’ACAATA, suivis du FIVA.

C’est la première fois, en France, que la perte d’espérance de vie provoquée par une exposition professionnelle à une substance cancérogène ouvrait droit à une cessation anticipée d’activité. Il s’agissait là d’une mesure de justice sociale : celles et ceux qui risquent de mourir plus tôt du fait de leur exposition à l’amiante dans le cadre de leur travail doivent pouvoir partir plus tôt en retraite.

S’il a constitué un progrès considérable pour les personnes exposées, le FCAATA reste malgré tout source d’injustices, car il exclut de fait des salariés tout autant exposés, mais ne travaillant pas dans les secteurs répertoriés. Cette situation est due à sa gestion par le ministère au moyen d’arrêtés fixant des établissements éligibles et au manque de souplesse du dispositif.

Par exemple, un calorifugeur peut en être exclu, simplement parce que l’établissement dans lequel il travaille n’est pas éligible.

L’exemple d’Arkema, dans mon département, l’Isère, est représentatif de cette injustice. En effet, le site Arkema à Jarrie est inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit à l’ACAATA, alors que celui de Brignoud ne l’est pas. Pourtant, ces deux établissements ont réalisé des fabrications communes. Sur les 200 salariés que comptait celui de Brignoud, 106 ont été reconnus comme ayant été exposés à l’amiante. Parmi eux, 84 salariés sont suivis médicalement pour leur exposition et 4 salariés sont décédés ! La bataille pour la reconnaissance de ce site date de 1998 et continue, malgré la fermeture du site et sa démolition presque totale.

Un espoir est d’ailleurs donné à ces hommes et à ces femmes avec l’annulation, prononcée par le tribunal de Marseille, d’une décision du ministère visant à ne pas classer un site équivalent à celui de Brignoud : mêmes donneurs d’ordre, mêmes produits, mêmes procédés… Un espoir, monsieur le ministre, de voir votre décision également annulée par le tribunal de Grenoble.

Ainsi, depuis 1997, l’amiante est interdit d’utilisation, mais force est de constater que la législation n’est pas toujours bien respectée. Une étude de 2006 a révélé que 76 % des chantiers de désamiantage ne se trouvaient pas, eux-mêmes, en conformité avec la réglementation.

Plus grave encore, en 2009, le rapport d’information de M. Guy Lefrand sur la prise en charge des victimes de l’amiante évoque « des certificats d’exposition à l’amiante rarement délivrés » et les difficultés des médecins du travail pour les remplir. II fait écho au rapport de nos collègues Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy mettant déjà en avant ces manquements graves à la loi.

En outre, les procès civils de l’amiante sont de plus en plus nombreux : le FIVA estime qu’environ 1 000 procédures civiles sont menées chaque année.

Enfin, en juillet 2009, un arrêt de la Cour de cassation a rappelé aux employeurs qu’ils étaient tenus, envers leurs salariés, d’une obligation de résultat en matière de sécurité. Manquer à cette obligation revêt un caractère inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale.

Par ailleurs, les victimes et leurs familles demandent qu’un procès pénal soit enfin ouvert pour que tous les responsables de cette catastrophe sanitaire soient renvoyés devant un tribunal correctionnel.

Mais des obstacles juridiques à la tenue de ce procès persistent : il existe un vide juridique entre la qualification d’empoisonnement, qui ne peut être retenue dans le cas d’espèce car elle suppose l’existence d’un élément intentionnel, et le délit de blessures et d’homicide involontaire. Pourtant, si l’on ne peut pas reprocher aux responsables de la catastrophe d’avoir eu l’intention de tuer des travailleurs, il est évident qu’ils avaient conscience de la dangerosité du matériau et des conséquences de son exploitation.

À la suite de la rencontre entre des victimes de l’amiante, des veuves de victimes de l’amiante et des parlementaires, un groupe de travail devrait être mis en place. Il a notamment pour but de faire évoluer la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, dite « loi Fauchon », qui est un véritable obstacle à cette reconnaissance et, donc, à la tenue de ce procès. Je vous invite, monsieur le ministre, à veiller à la création rapide de ce groupe de travail.

Ainsi, en dépit des dernières mesures législatives, le scandale de l’amiante continue. La législation doit donc évoluer.

C’est dans cette perspective que nous avons déposé une proposition de loi, datée du 23 octobre 2007, qui a été débattue ici même le 22 janvier 2008, mais que votre majorité a repoussée ! Nous demandons, par exemple, que soit élargi le champ de l’ACAATA et du FIVA à l’ensemble des travailleurs et anciens travailleurs exposés à un titre ou à un autre aux poussières d’amiante. Vous le savez, les fibres d’amiante lorsqu’elles ont été inhalées sont très difficiles à éliminer et une seule exposition, même courte, suffit à faire apparaître certaines pathologies.

J’ai assisté vendredi soir à la projection du documentaire de José Bourgarel 100 000 cercueils, le scandale de l’amiante, dont vous avez sans doute entendu parler, monsieur le ministre. Cette projection était suivie d’un débat, organisé par des anciens salariés du site Arkema de Brignoud. De nombreux salariés d’autres entreprises étaient présents : leur colère, que je partage, face à votre décision de ne pas revoir la liste des sites classés « amiante » est forte, mais leur désarroi face aux risques qu’ils encourent est encore plus grand. C’est le cas de ce technicien de réparation d’ascenseurs, souvent confronté à des poussières d’amiante, mais qui n’a pas le matériel adapté pour s’en protéger !

Alors, que faire ? Refuser de travailler ?

C’est bien l’exposition à l’amiante qui doit être le critère premier d’attribution de la cessation anticipée d’activité. Nous souhaitons ainsi ouvrir, au côté de la voie collective, la voie individuelle d’accès au dispositif de l’ACAATA. Un rapport voté à l’occasion de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 devait d'ailleurs être rendu le 30 septembre dernier, mais il n’est toujours pas achevé.

Nous avons d’autres propositions que je n’ai malheureusement pas le temps de développer s’agissant de la responsabilité des entreprises, la gestion des listes des établissements ou la revalorisation de l’ACAATA.

Mais nous devons aller plus loin, en élargissant le débat à d’autres produits, car il ne faudrait pas que le drame de l’amiante se reproduise à travers l’utilisation des produits CMR – cancérogènes, mutagènes, reproductibles –, par exemple. Il est de votre responsabilité de ne pas laisser l’intérêt économique des entreprises prendre le pas sur la santé des travailleurs, comme ce fut le cas pour l’amiante !

Il en va de même dans de nombreux secteurs, tels l’agriculture, le nucléaire ou encore les nanotechnologies, qui représentent peut-être un danger pour les travailleurs.

Si le XXe siècle est celui qui a connu les plus grandes mutations technologiques, à mesure que nos connaissances scientifiques avancent, nous prenons conscience des risques que le travail fait subir aux travailleurs. L’actualité des suicides, la poursuite du scandale de l’amiante, les prévisions inquiétantes relatives à l’utilisation des éthers de glycol, l’exposition aux CMR sont là pour nous le rappeler.

Aussi, pour conclure, je dirai que le PLFSS pour 2011, en l’état, n’est pas à la hauteur des attentes en matière de santé des salariés, hormis l’article 49 qui apporte une bonne réponse pour le FIVA, mais qui c’est une goutte d’eau au regard de toutes les mesures à revoir.

Chers collègues, vous le savez, nous n’avons pas la possibilité de proposer des amendements augmentant les dépenses de l’État. Aussi, monsieur le ministre, en écho à la question de notre collègue Jean-Pierre Godefroy et aux propos que vous avez tenus ici même lors du débat sur les retraites, nous souhaitons savoir quelles propositions vous entendez formuler concrètement pour faire évoluer le droit des travailleurs victimes de l’amiante. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, du groupe socialiste, du RDSE et de l’Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Dériot.

M. Gérard Dériot. Monsieur le ministre, si vous ne le saviez déjà, ce débat vous montrerait combien la question de l’amiante est, au Sénat, un sujet tout à fait prégnant. Une nouvelle preuve en avait été apportée avec la création de cette mission commune d’information, à laquelle mes collègues ont été nombreux à participer, notamment parmi les membres de la commission des affaires sociales, mission chargée de dresser un bilan sur cette question, notamment sur les conséquences de la contamination par l’amiante.

Nous avons tous constaté que les dégâts qui en découlaient avaient été extrêmement importants, qu’ils continuaient à se faire sentir et que bon nombre de nos concitoyens mouraient d’avoir été en contact avec ce produit que l’on trouvait merveilleux il y a un certain nombre d’années en raison de sa grande résistance au feu et de son faible coût. Malheureusement, quelques années plus tard, nous nous retrouvons face aux dégâts que l’on sait.

Cette question orale de notre collègue Jean-Pierre Godefroy intervient quelques jours après qu’un débat important sur l’indemnisation des victimes de l’amiante a eu lieu dans le cadre de l’examen par notre assemblée de la réforme des retraites. La question alors posée était celle des personnes éligibles à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante. À l’unanimité, et avec votre accord, monsieur le ministre, notre assemblée a décidé d’adopter les amendements identiques que nous avions déposés avec Jean-Pierre Godefroy, afin d’exonérer ces personnes des conséquences du report de l’âge de la retraite.

Le dispositif, tel qu’il figure dans le texte définitif retenu par la commission mixte paritaire, permet de préserver sans changement le système actuel, tant pour les victimes de l’amiante que pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles.

En effet, au moment où l’on décidait qu’un taux d’incapacité de 10 % permettrait de partir en retraite à 60 ans et alors que la réforme des retraites se fondait sur l’augmentation de l’espérance de vie, nous pensions qu’il n’aurait pas été équitable d’imposer aux travailleurs de l’amiante de continuer leur activité après cet âge, un auquel certains d’entre eux n’ont, hélas, même pas pu parvenir. De nombreux sénateurs ont noté combien ce débat reflétait la manière dont nous approchons collectivement le drame de l’amiante au sein de notre assemblée.

Le Sénat est en effet particulièrement sensible à la situation des travailleurs de l’amiante puisque cette mission commune d’information que présidait Jean-Marie Vanlerenberghe, et dont j’étais, avec Jean-Pierre Godefroy, rapporteur, a fait ressortir les négligences, les erreurs et les dénis qui ont abouti à ce drame.

Heureusement, tous les travailleurs de l’amiante ne développeront pas de maladie, et certaines des victimes ne développeront que des maladies bénignes. Mais je crois utile de rappeler une nouvelle fois qu’il suffit d’une seule fibre d’amiante pour provoquer un mésothéliome.

D’après l’INSERM, entre 1997 et 2050, nous devons nous attendre à un nombre de décès par mésothéliome compris entre 44 480 et 57 020. L’espérance de vie, une fois la maladie déclarée, est de douze à dix-huit mois. En outre, on estime que, chaque année, entre 1 800 et 4 000 cas de cancer broncho-pulmonaire sont attribuables à l’amiante.

Je rappellerai encore que 90 % des cancers professionnels sont liés à l’amiante et que ces cancers sont responsables de la hausse du taux de mortalité par suite d’une maladie professionnelle que nous avons eue à déplorer en 2009, après cinq années de baisse.

Ces chiffres sont connus, mais ils méritent d’être répétés, car, sans eux, sans une bonne appréhension de la réalité des contaminations, on ne saurait débattre en connaissance de cause des évolutions des dispositifs de compensation ou d’indemnisation.

La mise en place du FCAATA, qui est en pratique un dispositif spécifique de préretraite, est destinée à compenser la perte d’espérance de vie des personnes exposées. Les 32 000 allocataires du FCAATA et les victimes de l’amiante qui y sont éligibles ont, en effet, indéniablement subi un préjudice réel qui amputera leur qualité et leur espérance de vie.

Quelles que soient les imperfections du système mis en place au travers du FCAATA, qui prend en charge les salariés d’entreprises limitativement énumérées, il apparaît clairement qu’il n’est pas souhaitable de lui apporter des restrictions.

En effet, ce dispositif, qui compte désormais plus de sorties que d’entrées, devrait atteindre l’équilibre financier en 2017, puis progressivement disparaître. En un sens, c’est heureux, car cela veut dire que les mesures qui ont été prises auront permis de restreindre dans une certaine mesure le nombre de victimes et donc d’entrées, mais il faut aussi se rendre à l’évidence et reconnaître que, s’il y a aussi plus de sorties, c’est malheureusement parce que, entre-temps, des personnes sont décédées.

Limiter les compensations accordées aux victimes de l’amiante relèverait donc d’une vision à court terme, contraire au choix des partenaires sociaux et de l’État de faire assumer le coût de la prise en charge de la cessation anticipée d’activité par l’ensemble des entreprises.

À ce sujet, et pour répondre à la question soulevée tout à l'heure par Jean-Pierre Godefroy, je voudrais rappeler que, si j’avais proposé de supprimer la participation des entreprises, c’est parce qu’il était tellement difficile de recouvrer les sommes demandées que, à la limite, il valait mieux y renoncer. Les procès duraient si longtemps que le coût du recouvrement excédait en définitive les sommes que l’on pouvait récupérer. D’ailleurs, un an auparavant, j’avais proposé d’augmenter la participation des entreprises et, finalement, le rendement avait été moindre que l’année précédente. Cette solution n’en était pas une et c’est la raison pour laquelle j’avais proposé de supprimer cette participation.

Cette participation des entreprises aux indemnisations n’aurait été que justice, c’est certain, mais, comme la vie elle-même, comme tout ce qui existe dans notre société, les entreprises sont en constante évolution : elles naissent, vivent et meurent et, lorsque les mesures ne sont pas prises à temps, on ne peut plus demander aux entreprises qui ont disparu de payer.

Des adaptations sont néanmoins toujours possibles. Je pense, par exemple, à un amendement issu des recommandations du Médiateur de la République, que je vous présenterai lors du débat sur le PLFSS. Il tend à ce que soit enfin pris le décret promis pour harmoniser la prise en charge de l’ACAATA par les différents régimes. Cette participation des différents régimes me paraît, comme à mes collègues qui sont intervenus avant moi, indispensable : ce n’est que justice. Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour prendre ce décret.

Plus largement, la seule réforme envisageable serait l’ouverture d’un droit d’accès individuel par profession, ainsi que les orateurs précédents l’ont également souligné. Sa faisabilité est en cours d’étude par l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, à la suite de l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, amendement que nous avions confirmé.

Il ne faudrait pas, cependant, que cette réforme se traduise par l’application de critères stricts au point de limiter encore plus le nombre de personnes éligibles. C’est ce qui s’est passé en Italie, et cela n’a fait qu’aggraver l’incompréhension, mais aussi, bien sûr, la souffrance.

Nous risquons, dans ce domaine, d’être pris entre deux feux, partagés entre notre volonté de secourir nos concitoyens contaminés par l’amiante et la nécessité de tenir compte des problèmes financiers qui peuvent se poser. Il faut donc, me semble-t-il, avancer par étapes, de manière à satisfaire progressivement l’ensemble des demandes qu’ont rappelées les différents intervenants. À cet égard, je partage les propos de Jean-Pierre Godefroy, Annie David et Gilbert Barbier, et je pense qu’il est absolument nécessaire d’aller dans le sens qu’ils ont indiqué.

Je propose d’ailleurs qu’ensemble, à vos côtés, monsieur le ministre, nous essayions de voir ce qui peut être fait, à partir des propositions formulées dans le rapport de notre mission, qui, finalement, a permis de mettre au jour la totalité – la totalité ou presque, restons modestes ! – des problèmes liés au drame de l’amiante. Je suis persuadé que nous sommes tous prêts à aider à la résolution des problèmes qui se posent.

Plus qu’à une réforme du FCAATA, c’est, à mon avis, à un renforcement du FIVA qu’il faut nous attacher. Le prochain PLFSS comporte, de ce point de vue, une avancée considérable puisqu’il prévoit de porter à dix ans le délai de prescription pour les demandes des victimes.

Sous réserve de certaines précisions, il me semble que c’est dans cette voie que nous devons nous engager. La prudence et le pragmatisme sont, sur cette question complexe et douloureuse, les meilleurs alliés de la justice.

Il est vrai que l’égalité de traitement des personnes qui ont été en contact avec l’amiante doit être réalisée au mieux et tout ce qui pourra être fait dans ce sens devra être engagé. Nous comptons bien sûr sur vous, monsieur le ministre, pour faire tout ce qui sera possible. (Applaudissements.)