M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, face à l’ampleur des crises financières à répétition que traversent les pays de la zone euro et à leurs multiples conséquences, économiques, sociales mais aussi institutionnelles, le groupe CRC-SPG avait demandé, en urgence, un débat parlementaire extraordinaire. Nous regrettons profondément qu’il nous ait été refusé par la conférence des présidents et par le Gouvernement.

À rebours de l’argumentation qui nous a été opposée, nous pensons que, loin de gêner le Gouvernement et d’inquiéter ou de provoquer les marchés, un tel débat aurait au contraire pu montrer la détermination de la représentation nationale à vouloir trouver des solutions communes avec nos partenaires européens et conformes à l’intérêt général communautaire. En effet, les maux principaux dont souffre l’Union européenne en cette période de crise inédite sont l’action en ordre dispersé, le repli sur les égoïsmes nationaux et, surtout, la défense des intérêts économiques privés, au détriment des populations.

De fait, ce débat, nous l’avons aujourd'hui, à la veille d’un Conseil européen décisif pour l’avenir de l’Union européenne et de sa monnaie.

Monsieur le ministre, vous ne vous étonnerez pas que je ne partage pas le relatif optimisme dont vous avez fait preuve, et ce parce que je suis fondamentalement en désaccord avec vos explications sur les raisons de la crise – ce sont aussi celles du Président de la République – et avec les propositions de solutions que vous défendrez avec lui lors du prochain Conseil européen. Vous examinerez essentiellement la nécessité de prolonger, au-delà de 2013, le mécanisme adopté les 28 et 29 octobre dernier destiné à juguler la crise des dettes souveraines qui a déstabilisé la Grèce et qui s’attaque désormais, sous une autre forme, à l’Irlande.

De profondes divergences existent entre les pays d’Europe, en particulier entre la France et l’Allemagne, sur la raison d’être et l’utilisation du Fonds européen de stabilité financière. À cet égard, je ne suis pas convaincu que le sommet franco-allemand, qui s’est tenu à Fribourg à la fin de la semaine dernière, a réellement levé tous nos désaccords.

Mais, au-delà des divergences apparentes, il existe, sur le fond, un accord de tous nos partenaires pour appliquer des solutions qui, pourtant, ne permettront pas de nous prémunir contre ces crises à répétition.

La recette que vous utilisez est simple : il s’agit ni plus ni moins que de continuer à renflouer ceux qui sont directement responsables de la crise. Car ce qui est présenté comme un bras de fer entre les marchés financiers et les institutions de la zone euro n’est qu’un théâtre d’ombres. En effet, ces derniers en demandent toujours plus.

Les prétendus plans d’aide ou de sauvetage de la Grèce et de l’Irlande, le Fonds européen de stabilité financière, les interventions massives de la Banque centrale européenne sur le marché des obligations des États attaqués, le projet de mécanisme permanent de résolution des crises ont été inefficaces à rassurer les marchés et n’ont pas empêché la crise de faire tache d’huile. Au contraire, tous ces dispositifs, qui ont aussi révélé la faiblesse et le retard des États à réagir, les ont rendus plus exigeants.

Plutôt que d’épouser cette logique aveugle et destructrice, cette logique de soumission, il faut en adopter une autre : cesser cette fuite en avant et faire prévaloir, grâce à des solutions politiques, l’intérêt général sur les intérêts privés.

Jacques Delors, qui n’est pourtant pas tout à fait ma référence en ce domaine, a fort justement analysé la situation voilà quelques jours dans un entretien au Monde, estimant que « ce n’est pas aux banquiers qui ont reçu des États, comme prêts ou garanties, 4 589 milliards d’euros, de dicter aux gouvernements leur comportement. [...] la politique doit être l’ultime référence et je refuse que ces banquiers fassent trembler les gouvernements de la zone euro ! »

Lorsque les règles du marché sont à l’origine de la faillite des banques, ce n’est pas aux peuples d’Europe de renflouer ces établissements. C’est pourtant exactement ce qui a été fait pour l’Irlande. Le plan de l’Union européenne et du Fonds monétaire international a voulu sauver de la faillite un secteur bancaire qui était précisément à l’origine de la fragilisation de l’État irlandais.

C’est en profitant de la dérégulation financière et de bas taux d’intérêt offerts par l’euro que les banques ont consenti des prêts très risqués, qui ont provoqué une bulle immobilière. Lorsque cette dernière a éclaté, le système bancaire n’a pu éviter la faillite qu’au prix d’une garantie de 50 milliards d'euros de recapitalisation sur fonds publics.

Mais le tonneau des Danaïdes financier que représente le renflouement des banques a de lourdes conséquences sur la réalité économique et sociale du pays. Tout cet argent public – il s’agit de sommes colossales ! – est autant de moins consacré aux dépenses sociales. Alors, pour les populations, tout s’enchaîne avec une logique implacable : augmentation du chômage, aggravation de la pauvreté et de la précarité, casse des droits sociaux et des services publics. Tel est le contexte dans lequel l’Union européenne et le Fonds monétaire international, le FMI, sont intervenus pour tenter de mettre l’Irlande à l’abri des attaques spéculatives des marchés.

La logique de ce plan de sauvetage est simple : faire payer les pertes à la collectivité tout en préservant les profits du secteur privé. Cependant, ce type de solution ne rassure même pas les marchés. Déjà, les agences de notation désignent la liste des prochains pays auxquels s’attaquer. Certains experts avancent même l’hypothèse que la France ne soit pas à l’abri.

Il faut avoir le courage politique de tirer les enseignements de cette impasse et ne pas persister à vouloir appliquer les mêmes solutions, même édulcorées, comme le souhaite l’Allemagne, qui voudrait faire contribuer quelque peu les marchés aux pertes de ses investissements.

Ajoutons à tout cela que l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, qui a coïncidé avec la crise de la dette en Grèce, a révélé que le traité de Lisbonne, en raison de ses dysfonctionnements, était caduc. L’Europe a notamment découvert qu’elle était tout simplement impuissante à protéger sa monnaie.

Si vous aviez prioritairement le souci de l’intérêt général communautaire, tous ces éléments devraient vous inciter à poser de nouveaux principes et à proposer de nouvelles orientations.

Notre pays pourrait préconiser, par exemple, de modifier les objectifs du pacte de stabilité, qui rationne les dépenses publiques.

Il devrait aussi avoir l’audace de proposer de favoriser les investissements utiles à l’emploi, à la formation et au développement des territoires, grâce à un crédit sélectif, et bien sûr de taxer sérieusement les mouvements de capitaux pour dissuader la spéculation.

Pour notre part, nous soutenons le projet récemment soumis par plusieurs partis de gauche représentés au Parlement européen.

Ces derniers préconisent, à l’inverse du Fonds européen de stabilité financière imposant une cure d’austérité aux pays affichant un déficit public trop élevé, la création d’un « fonds européen pour le développement social ».

Celui-ci aurait vocation à financer des investissements publics en matière d’emploi, de formation, de recherche, d’environnement et d’infrastructures publiques. Il serait abondé par une sérieuse taxation des transactions financières et nécessiterait impérativement de modifier les missions de la Banque centrale européenne.

Telles sont, monsieur le ministre, les quelques réflexions dont le groupe CRC-SPG souhaitait vous faire part à la veille du prochain Conseil européen.

M. le président. La parole est à M. Denis Badré.

M. Denis Badré. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Europe est-elle en crise ?

Oui, comme toujours, dirais-je, puisqu’elle est réputée progresser de crise en crise, ou plutôt de résolution de crise en résolution de crise.

D’ailleurs, le mot grec « krisis » ne signifie-t-il pas « moment décisif ? » Oui, nous sommes de nouveau au temps des décisions, celles dont nous sommes en droit d’attendre qu’elles offrent à l’Europe de vraies stratégies pour le long terme.

Les coups de boutoir des mouvements spéculatifs, qui affectent les dettes souveraines des États de l’Union, doivent être clairement, financièrement et politiquement, découragés.

L’Union européenne ne peut plus se contenter de passer le cap irlandais après avoir franchi les écueils grecs, en se préparant à affronter de nouvelles tempêtes. Il y va de l’intérêt général, celui de l’Union, donc de tous ses membres, qu’ils soient immédiatement menacés ou non.

Commençons par cesser d’écouter avec une complaisance assez irresponsable ceux qui préconisent la fin d’un euro qu’ils n’ont jamais accepté. Ils font directement le jeu des spéculateurs, qui misent précisément sur toutes les formes d’agitation ou de déstabilisation monétaire. Ils ne voient pas que les dévaluations compétitives, qui nous ont tant affectés dans les années quatre-vingt, seraient d’aimables distractions à côté des drames dont l’euro nous a protégés et dont souffrent toujours les plus faibles.

Sauf pour Gribouille, il ne peut être question de repartir en arrière. Imaginons ce que deviendrait le poids de notre dette, déjà beaucoup trop lourd, si nous devions rembourser celle-ci en francs dévalués, à des taux qui s’envoleraient ! Les analystes sérieux ne peuvent imputer à l’euro ni la crise grecque, ni les difficultés de l’Irlande, ni même les déficits français.

Dès lors, euro il y a et continuera à y avoir, et nous devons regarder la situation en face.

Nous avons des politiques budgétaires nationales, que le pacte de stabilité et de croissance est censé contrôler. Ce pacte est de nature intergouvernementale et se révèle, à l’usage, trop peu contraignant.

Nous avons un budget européen dont les dépenses sont en principe de nature communautaire, mais dont les recettes restent pratiquement intergouvernementales, puisqu’elles sont votées à hauteur de 85 % par les parlements nationaux.

Certes, nous avons une politique commerciale et une politique de concurrence communes. Tout cela ne fait pas une politique économique commune, loin s’en faut.

Nous disposons d’une monnaie unique, quant à elle parfaitement communautaire.

Dans un domaine économique très inachevé, en friche, l’euro existe !

Sa mise en place a même représenté une réelle perte de souveraineté pour les États, puisque frapper monnaie constitue l’un des premiers privilèges de souveraineté. Malheureusement, cette démarche, authentiquement communautaire, a été engagée dans des conditions assez confuses et de manière insuffisamment assumée, quasi honteuse, devrais-je dire.

« L’Europe se construira petit à petit et par des réalisations concrètes », disait Robert Schuman. Nous y sommes. Une percée heureuse a été réalisée, presque par surprise. Mais il faut que l’armée suive, et rapidement si possible.

Le traité de Maastricht, qui a porté l’euro, aura bientôt vingt ans. Il est plus que temps de regrouper nos forces vers l’avant, autrement dit les éléments avancés, dangereusement exposés, le gros de l’armée restant dans ses quartiers. Nous n’avons plus le choix, car il ne peut être question de replier les éléments de pointe sur les bases arrière.

Prenons, par exemple, un sujet d’actualité assez controversé, les euro-obligations. Selon l’idée qui a été lancée par le président Juncker, elles seraient émises solidairement par les États de l’Union européenne. Voilà une démarche intergouvernementale : le taux de telles obligations et leur notation s’établiraient autour de la moyenne de ce qu’ils pourraient être pour chaque État participant au « collectif » de lancement.

Nous pouvons comprendre la réaction de l’Allemagne, qui préfère évidemment continuer à opérer seule et pour son compte avec un taux moindre et une meilleure notation.

La solution, en théorie économique, pourrait être de faire agir non pas l’ensemble des États, mais leur Union, c’est-à-dire de passer à une démarche communautaire.

Cependant, le budget de l’Union européenne, qui n’est pas vraiment communautaire, je le notais à l’instant, ne permet pas actuellement d’emprunter.

S’il était possible de faire sauter ce verrou, si l’Union européenne pouvait emprunter, c’est elle qui apporterait la meilleure garantie, sans dérapage de taux ni décote de notation. Ce serait l’alignement sur les meilleurs, et non plus sur la moyenne.

À nouveau, c’est non pas l’euro qui est en cause, mais le caractère inachevé de la démarche de la construction économique européenne.

Le Fonds européen de stabilisation financière marquait une volonté. S’il était nécessaire de le créer, il ne constitue pas la solution miracle.

Des mesures de supervision financières doivent être introduites pour éviter qu’un défaut de paiement n’entraîne des conséquences systémiques. Le fonds ne peut jouer son rôle hors d’une réforme profonde du pacte de stabilité, sans coordination et surveillance des politiques budgétaires des États. Il doit suffire à endiguer les crises, à l’expresse condition toutefois que tout ait été fait pour les prévenir.

À cet égard, il faut d’urgence concrétiser les propositions adoptées par le Conseil des ministres du mois d’octobre dernier qui visaient en particulier à obliger les États à se doter d’un cadre budgétaire pluriannuel – la France est engagée dans cette voie –, à accélérer les procédures contre ceux qui ne respectent pas le pacte, à conditionner les financements communautaires à son application. Oui, il faut trouver le bon équilibre entre l’autonomie budgétaire des États et une nécessaire discipline collective.

Le choix de ne pas appliquer de sanctions à la France et à l’Allemagne, en 2003, a porté un coup à la crédibilité du pacte, il faut bien le dire. La crise de 2008-2009 a souligné l’inadaptation de ce dernier en révélant que les dangers pouvaient provenir du secteur privé, comme du dérapage des finances publiques. Enfin, le choix de la solidarité avec la Grèce ou l’Irlande, qu’il fallait faire et assumer, confirme que les difficultés financières d’un État sont désormais bel et bien devenues l’affaire de tous.

Dans un tel contexte, une réforme du pacte, même si elle est incontournable, ne représente elle-même qu’une solution de court terme.

Elle maintiendra les apparences de la souveraineté, mais en corsetant les choix de politique économique. Elle accordera un rôle central à des experts, au détriment de la légitimité démocratique. Enfin, elle continuera à se focaliser sur les seuls comptes publics, en perdant de vue les risques majeurs liés aux disparités de compétitivité des États et aux endettements privés.

Au-delà du pacte, il faudra bien accepter d’aller vers une souveraineté partagée. Celle-ci supposera des choix collectifs prenant en compte la conjoncture et la situation de chaque pays. Pour instaurer une confiance réelle entre les États, elle exigera un système crédible d’incitations et de sanctions financières. Elle devra couvrir l’ensemble du champ de l’économie. L’engagement de tous dans ce sens préfigurerait enfin ce « gouvernement économique européen », objet jusqu’à présent de tant de sympathiques, mais vaines incantations.

Je ferai quelques observations à ce point de mon exposé.

Qui dit « rigueur partagée » commence par dire « rigueur », monsieur le ministre. Cette dernière va devoir être comprise et acceptée par tous les Européens.

Des décisions aussi lourdes pour l’avenir ne peuvent plus être arrêtées simplement dans le secret des Chancelleries et de réunions à haut niveau. Les Parlements, le Parlement européen comme ceux de nos États – le vote des budgets nationaux reste bien l’une de leurs prérogatives essentielles –, doivent y être associés. Le débat de ce jour nous engage dans cette voie qu’il ne faudra donc plus quitter.

Comme les enjeux sont lourds et la matière compliquée, ne faut-il pas en outre envisager immédiatement, monsieur le ministre, un grand effort de pédagogie, qui serait mené conjointement par les pouvoirs législatifs et exécutifs nationaux et communautaires ?

Qui, parmi nos concitoyens, sait ce que signifie et ce que suppose une supervision financière, ce qu’impliquent une coordination et une surveillance des budgets nationaux ?

J’en viens à l’affaire du budget européen pour 2011.

Vous l’avez dit, monsieur le ministre, mercredi, en séance plénière, le Parlement européen devrait approuver, nous l’espérons en tout cas, le compromis préparé la semaine dernière sur le budget européen.

Le Conseil qui se tiendra le lendemain pourrait alors en prendre acte. Ce serait tant mieux, car une impasse budgétaire aujourd’hui compromettrait, notamment, le lancement du service européen pour l’action extérieure et le financement d’ITER, c'est-à-dire le réacteur thermonucléaire expérimental international, sans arranger, loin de là, tout le reste.

Notons donc que cette autre « crise annoncée » va sans doute pouvoir se dénouer, mais elle laissera ouvert le débat délicat sur la nature du budget européen, sur son financement à partir de ressources propres, sur le nécessaire recentrage de ses dépenses sur les compétences de l’Union européenne, débat qui va interférer avec celui qui s’engage sur les perspectives financières 2014-2020, autre grand et beau sujet.

Je ne développerai pas ces thèmes, monsieur le ministre, mais je suis évidemment à votre disposition pour les aborder, en tant que rapporteur spécial de la commission des finances.

Si les parlements nationaux doivent désormais accepter un regard communautaire sur les budgets nationaux, le Parlement européen devra lui aussi admettre celui des parlements nationaux sur toutes les questions touchant à un budget européen dont, après tout, nous votons toujours l’essentiel des dépenses.

À nous de dégager les voies qui permettront aux parlements nationaux et au Parlement européen de vivre ensemble leurs responsabilités européennes respectives, responsabilités consacrées de part et d’autre par le traité de Lisbonne. De leur capacité à nouer un dialogue constructif et équilibré dépendra une bonne prise en compte des intérêts nationaux et de l’intérêt commun.

Plus que jamais, l’Europe, c’est nous ! À nous de revenir à l’essentiel, de retrouver le sens de l’avenir et l’esprit communautaire. À nous de conforter, comme vous venez de le faire à Fribourg, monsieur le ministre, un couple franco-allemand qui ne soit ni dominateur ni donneur de leçons, un couple franco-allemand qui rappelle simplement à tous pourquoi et au service de quelles valeurs a été lancée la construction européenne. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.

M. Simon Sutour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette période de turbulences budgétaires et monétaires, la maison Europe n’en finit pas de trembler.

Toutefois, dans une Europe unie par la monnaie, mais non unie fiscalement, sans budget important et sans volonté de coopération en matière économique pour obtenir davantage de croissance, les intérêts égoïstes et les trajectoires purement nationales dominent, au risque de saper peu à peu les bases mêmes du projet européen.

La présente crise a révélé bien des paradoxes, qui, s’ils ne sont pas résolus au plus vite, risquent de remettre en cause la légitimité de la construction européenne dans son ensemble. J’en soulignerai deux, majeurs à mes yeux.

Tout d’abord, les gouvernements annoncent vouloir régler le problème de l’instabilité monétaire et budgétaire sans pour autant remonter à ses origines mêmes.

Les failles de l’Union économique et monétaire sont pourtant apparues au grand jour dès le mois de janvier dernier : dérive budgétaire grecque, crise du système bancaire irlandais, éclatement de la bulle immobilière espagnole.

Lors du prochain Conseil européen, les chefs d’État et de gouvernement vont se mettre d’accord sur la création d’un mécanisme européen de stabilité. Il aura donc fallu attendre mi-décembre pour qu’un mécanisme permanent de traitement des crises de dette souveraine soit adopté par l’Union européenne, après de nombreuses tergiversations, hésitations et déclarations intempestives de part et d’autre. Et encore, ce mécanisme est loin de régler le problème.

En effet, d’une part, les gouvernements refusent d’aller plus loin dans l’intégration européenne et s’opposent à tout nouveau transfert de souveraineté. L’intervention du FMI et de son excellent directeur général, Dominique Strauss-Kahn, …

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Ah !

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. À souligner !

M. Simon Sutour. … montre à quel point l’Union européenne ne dispose pas de l’autorité nécessaire pour imposer les conditions de prêts à un État et, donc, des procédures permettant une réelle coordination, voire une intégration des politiques budgétaires nationales.

Or, dans une Union européenne dominée par des États frileux et conservateurs, toute vision d’une Europe politique intégrée est rejetée. Comment alors garantir l’efficacité du nouveau mécanisme de surveillance européen, si l’on n’assume pas définitivement que, dans une union économique et monétaire, un certain nombre de règles doivent s’imposer aux États ?

D’autre part, ces règles doivent prioritairement viser la reprise de la croissance et l’harmonisation fiscale, notamment de l’impôt sur les sociétés, tout autant que l’assainissement des finances publiques. L’austérité ne doit en effet pas se transformer en récession et le mécanisme européen de stabilité, en outil européen de casse sociale. Ce serait tout simplement catastrophique en soi, mais également pour l’image de l’Union européenne auprès des citoyens.

Enfin, pour être véritablement crédible, il est impératif que ce mécanisme s’accompagne d’une réforme plus globale de la zone euro et de l’Union européenne.

Qu’en est-il, monsieur le ministre, de la création d’euro-obligations ? Je reprendrai à cet égard les observations formulées par Denis Badré. Faut-il préférer que la zone euro continue à mettre en concurrence les taux d’intérêt des dettes souveraines pour le plus grand profit des marchés financiers ?

Qu’en est-il de la création d’un véritable budget européen, doté de ressources nouvelles et permettant d’utiliser les effets de levier dont on se prive aujourd’hui sur le plan économique ?

Qu’en est-il de l’harmonisation fiscale ou de la proposition de taxer les profits financiers, afin de faire payer, en toute transparence, les vrais responsables de la crise actuelle ?

Les socialistes demandent un projet ambitieux et global pour l’Union européenne et non un énième rafistolage, peu à même de rétablir la confiance dans l’euro, et, plus généralement, dans l’Union économique et monétaire.

J’en viens au second paradoxe, et non des moindres, que je veux souligner. L’Union européenne s’est dotée, sur le plan intérieur comme à l’échelon mondial, de nouvelles ambitions, mais elle ne semble pas prête à se doter des moyens nécessaires pour les assumer.

La stratégie Europe 2020, adoptée au printemps dernier, dote l’Union européenne de priorités claires en faveur de politiques d’innovation, au service de la croissance et de l’emploi. Je ne peux que me réjouir de l’adoption d’objectifs chiffrés en matière d’éducation et de réduction de la pauvreté.

Pour autant, les politiques d’austérité mises en œuvre risquent fort de mettre à mal la réalisation de ces objectifs. De ce point de vue, des inquiétudes ont été exprimées lors de la journée syndicale européenne du 29 septembre dernier.

À cet égard, l’exemple de l’Irlande est frappant : alors que la stratégie Europe 2020 met l’accent sur l’éducation et la formation et vise une réduction du taux de pauvreté de 25 %, les mesures annoncées en contrepartie du plan d’aide prévoient, entre autres, une réduction du salaire minimal, une diminution des prestations sociales et une hausse des coûts de scolarité pour les étudiants universitaires ! Le taux d’imposition sur les sociétés reste, en revanche, inchangé ! Dans ce contexte, quel crédit peut-on donner à la stratégie Europe 2020, monsieur le ministre ?

En outre, les financements manquent. Et aujourd’hui, la tentation est grande d’utiliser, pour financer cette nouvelle stratégie économique, l’enveloppe des fonds de cohésion auxquels nos collectivités locales, en général, et nos communes, en particulier, sont très sensibles. En matière économique et sociale, l’ambition de l’Union européenne pour 2020 risque donc de tourner court !

Autre exemple de ce paradoxe, le traité de Lisbonne entérine la vision d’une Union européenne actrice du jeu mondial, capable d’affirmer et de diffuser ses valeurs. La création du service européen pour l’action extérieure, ou SEAE, et du poste de Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité en témoignent et sont susceptibles de créer une véritable dynamique.

L’une des cinq priorités de la Commission européenne pour 2011 est également que l’Union européenne « pèse de tout son poids » sur la scène internationale. Nous nous félicitons de cette ambition, concrétisée par la mise en place officielle du SEAE au 1er décembre dernier.

Pour autant, nous savons tous combien l’émergence de l’Union européenne en tant qu’acteur politique mondial dépendra de l’attitude et de la bonne volonté des États membres à agir de concert sur le plan diplomatique comme économique.

Or dans le domaine de l’énergie, force est de constater que chaque État membre poursuit son propre intérêt stratégique. Au lieu de construire une véritable communauté européenne de l’énergie, comme l’a proposé Jacques Delors, que j’approuve, nous nous enfermons dans des relations bilatérales, au risque d’y perdre influence, sécurité d’approvisionnement et argent ! Alors que la Commission européenne vient d’émettre une communication sur ce sujet, quelle sera l’ambition de la France en la matière ?

Au risque de paraître un peu cruel, je citerai comme nouvel exemple, et non des moindres, l’Union pour la Méditerranée. Le Président de la République en avait fait l’un des projets phare de son programme. Mais deux ans et demi après son lancement en fanfare, force est de reconnaître que ce projet tourne au fiasco. Preuve en est l’annulation du sommet de Barcelone qui devait se tenir le mois dernier. En définitive, le processus de Barcelone semble avoir été tué, sans pour autant être remplacé, l’Union européenne étant parallèlement affaiblie. Beau résultat !

L’Union pour la Méditerranée est un projet essentiellement intergouvernemental, qui a dépossédé les institutions européennes des relations avec la rive sud de la Méditerranée. Si le processus de Barcelone était imparfait à de nombreux égards, il n’en demeure pas moins qu’il avait le mérite d’exister et de proposer, dans un cadre intégré, une relation entre les deux rives de la Méditerranée.

Aujourd’hui, face au fiasco de l’Union pour la Méditerranée, Mme Ashton souhaiterait que ce projet revienne dans le giron de l’Union européenne. Monsieur le ministre, la France saura-t-elle satisfaire la demande, toute légitime, de la Haute Représentante et apporter ainsi son soutien aux nouvelles institutions créées par le traité de Lisbonne en matière de politique extérieure ?

En conclusion, au-delà des grandes déclarations, bien françaises, sur l’« Europe-puissance », il est aujourd’hui prioritaire de renouer avec les principes qui ont fait le succès de l’Union européenne : l’intégration, la solidarité, la défense des intérêts communs et la coopération. On ne pourra pas réconcilier les citoyens avec le projet européen si l’Europe se résume à des décisions économiques injustes et à des ambitions sans moyens. La responsabilité des chefs d’État et de gouvernement est, à cet égard, immense. Nous espérons qu’ils en ont conscience et qu’ils sauront, dans quelques jours, en tirer toutes les conséquences. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)