Sommaire

Présidence de M. Roland du Luart

Secrétaires :

Mme Christiane Demontès, M. Marc Massion.

1. Procès-verbal

2. Désignation d’un sénateur en mission

3. Candidature à une commission

4. Questions orales

application du régime du mécénat aux sociétés de capitaux des collectivités territoriales

Question de M. Alain Anziani. – MM. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique ; Alain Anziani.

ratification de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires

Question de M. Robert Navarro. – MM. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique ; Robert Navarro.

extension de la présence du loup sur le territoire drômois

Question de M. Didier Guillaume. – MM. Thierry Mariani, secrétaire d'État chargé des transports ; Didier Guillaume.

assimilation du mariage d'un couple homosexuel marié à l'étranger au pacs en france

Question de Mme Claudine Lepage. – M. Thierry Mariani, secrétaire d'État chargé des transports ; Mme Claudine Lepage.

inscription de la rn 2 au schéma national des infrastructures de transport

Question de M. Yves Daudigny. – MM. Thierry Mariani, secrétaire d'État chargé des transports ; Yves Daudigny.

renouvellement du dispositif des contrats d'accompagnement dans l'emploi

Question de M. Marcel Rainaud. – Mme Nadine Morano, ministre chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle ; M. Marcel Rainaud.

5. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire du Japon

6. Questions orales (suite)

disparités de traitement existant entre les salariés pacsés et mariés

Question de Mme Maryvonne Blondin. – Mmes Nadine Morano, ministre chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle ; Maryvonne Blondin.

conséquences de l'arrêt en cours d'année des aides de l'état aux cae

Question de Mme Mireille Schurch. – Mmes Nadine Morano, ministre chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle ; Mireille Schurch.

Suspension et reprise de la séance

regroupement des plateaux de qualification biologique des dons de l'établissement français du sang

Question de M. Guy Fischer. – Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé ; M. Guy Fischer.

le thermalisme de santé

Question de Mme Anne-Marie Payet. – Mmes Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé ; Anne-Marie Payet.

dangers de l'aluminium dans l'alimentation

Question de Mme Nathalie Goulet. – Mmes Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé ; Nathalie Goulet.

désertification médicale dans les zones rurales

Question de M. André Trillard. – Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé ; M. André Trillard.

recrutement des médecins généralistes

Question de M. René-Pierre Signé. – Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé ; M. René-Pierre Signé.

haut débit

Question de Mme Josette Durrieu. – M. Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique ; Mme Josette Durrieu.

financement d'une partie de la suppression de la taxe professionnelle par le contribuable ou la collectivité

Question de M. Bernard Piras. – Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer ; M. Bernard Piras.

expérience professionnelle pour l'enseignement de la conduite

Question de Mme Anne-Marie Escoffier. – Mmes Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer ; Anne-Marie Escoffier.

restructuration des zones de police et de gendarmerie en gironde

Question de Mme Françoise Cartron. – Mmes Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer ; Françoise Cartron.

réforme du bac sti

Question de M. Jean-Luc Fichet. – Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer ; M. Jean-Luc Fichet.

7. Nomination d’un membre d’une commission

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

8. Décision du Conseil constitutionnel

9. Rappel au règlement

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le président.

10. Débat sur des questions de politique étrangère

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.

M. Jean-Marie Bockel, Mmes Michelle Demessine, Nathalie Goulet, MM. Jean-Louis Carrère, Jacques Gautier, Yves Pozzo di Borgo.

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

MM. Jacques Berthou, Robert del Picchia, Jean-Etienne Antoinette, Jacques Blanc.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

11. Questions cribles thématiques

Outre-mer et Europe

Mmes Gélita Hoarau, Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer.

M. Adrien Giraud, Mmes la ministre, Anne-Marie Payet.

M. Daniel Marsin, Mme la ministre.

M. Éric Doligé, Mme la ministre.

M. Serge Larcher, Mme la ministre.

M. Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mme la ministre.

M. Georges Patient, Mme la ministre.

M. Jacques Gillot, Mme la ministre.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat

12. Communication du Conseil constitutionnel

13. Orientation et programmation pour la performance de la sécurité intérieure. – Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture (Texte de la commission)

Discussion générale : MM. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ; Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois.

M. Jacques Mézard, Mme Éliane Assassi, MM. François Zocchetto, Alain Anziani.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

Mmes Catherine Troendle, Virginie Klès, M. Louis Nègre, Mme Alima Boumediene-Thiery, M. Marc Laménie.

M. le ministre.

Clôture de la discussion générale.

Question préalable

Motion no 3 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.

M. le président.

Article 1er et rapport annexé

Mmes Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ; Josiane Mathon-Poinat.

Amendement n° 74 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le ministre, Mmes Michèle André, Virginie Klès. – Rejet.

Amendement n° 4 de M. Alain Anziani. – M. Alain Anziani.

Amendement n° 5 de M. Alain Anziani. – M. Alain Anziani.

MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet des amendements nos 4 et 5.

(Rapport annexé)

Amendement n° 124 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le ministre. – Adoption.

Amendement n° 125 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le ministre. – Adoption.

Amendement n° 126 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le ministre. – Rejet.

Adoption de l’ensemble de l'article et du rapport annexé, modifié.

Article 1er bis. – Adoption

Article 2

Amendement n° 6 de M. Alain Anziani. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.

Amendement n° 77 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi.

Amendement n° 75 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi.

Amendement n° 76 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi.

MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet des amendements nos 77, 75 et 76.

Adoption de l'article.

Article 2 bis (suppression maintenue)

Article 4

Amendements identiques nos 7 de Mme Virginie Klès et 78 de Mme Éliane Assassi. – Mmes Virginie Klès, Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le ministre, Alain Anziani. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 79 de Mme Éliane Assassi. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Amendement n° 8 de M. Alain Anziani. – M. Alain Anziani.

Amendement n° 127 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Jacques Mézard.

MM. le rapporteur, le ministre, Mme Virginie Klès. – Rejet des amendements nos 79, 8 et 127 rectifié.

Amendement n° 10 de M. Alain Anziani. – M. Alain Anziani.

Amendement n° 11 de M. Alain Anziani. – M. Alain Anziani.

MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 9 de M. Alain Anziani. – MM. Alain Anziani, le rapporteur, le ministre. – Rejet.

Adoption de l'article.

Article 5

Amendement n° 68 de M. François Zocchetto. – MM. François Zocchetto, le rapporteur, le ministre. – Adoption.

Adoption de l'article modifié.

Renvoi de la suite de la discussion.

14. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Roland du Luart

vice-président

Secrétaires :

Mme Christiane Demontès,

M. Marc Massion.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Désignation d’un sénateur en mission

M. le président. Par courrier en date du 14 janvier 2011, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L.O. 297 du code électoral, M. Jean-Marie Bockel, sénateur du Haut-Rhin, en mission temporaire auprès de M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration.

Cette mission portera sur la mise en œuvre du plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes.

Acte est donné de cette communication.

3

Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe du Rassemblement démocratique et social européen a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, à la place laissée vacante par M. Jacques Muller, dont le mandat de sénateur a cessé.

Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

4

Questions orales

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

application du régime du mécénat aux sociétés de capitaux des collectivités territoriales

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, auteur de la question n° 1141, adressée à M. le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement.

M. Alain Anziani. Monsieur le secrétaire d'État, ma question porte sur le mécénat d’entreprise dont peuvent profiter les sociétés de capitaux créées par les collectivités territoriales.

L'article 238 bis du code général des impôts contient des dispositions très incitatives, en autorisant toute personne physique ou morale qui fait des dons à ces sociétés de capitaux à en déduire le montant de son impôt. Ces dispositions sont connues et largement appliquées, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.

Dans ma commune de Mérignac, la société anonyme d’économie mixte Mérignac gestion équipement, en charge de la gestion du Pin Galant, centre culturel de première importance dans la région bordelaise, voire au-delà, a voulu appliquer ce dispositif et faire profiter ses donateurs de cette déduction fiscale. Elle s’est vue refuser l’éligibilité au régime du mécénat par les services des impôts au motif que des personnes privées participaient à son capital. Pourtant, c’est la définition même d’une société d’économie mixte que de connaître des actionnaires privés ! En réalité, on dénombre seulement quatre actionnaires privés, disposant chacun d’une action. En d’autres termes, quatre actions sur les 2 500 qui sont distribuées par cette SAEM appartiennent à des personnes privées.

Une autre objection semble invoquée, qui a trait à la transparence. Ainsi, le président du conseil d’administration de cette SAEM, qui est un élu de la ville, bénéficie d’une indemnité.

Pour toutes ces raisons, monsieur le secrétaire d'État, je souhaite connaître votre sentiment et savoir si, oui ou non, la société Mérignac gestion équipement peut bénéficier de ces dispositions fiscales. Dans le cas contraire, que doit-elle faire pour entrer dans le cadre de la loi ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Georges Tron, secrétaire d'État auprès du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, chargé de la fonction publique. Monsieur le sénateur, vous interrogez François Baroin, dont je vous prie d’excuser l’absence ce matin, sur l’éligibilité du régime fiscal du mécénat d’entreprise aux sociétés de capitaux.

Je veux vous rappeler que l’éligibilité des sociétés de capitaux au régime fiscal du mécénat d’entreprise est dérogatoire aux principes de droit commun du mécénat.

En effet, le régime du mécénat repose sur la distinction entre la poursuite d’un objectif désintéressé, légitimant un financement public, et un but d’enrichissement des personnes privées.

La gestion désintéressée et les contraintes qui s’y attachent constituent la garantie que les dons et le financement public, via le mécénat effectué à leur profit, bénéficient intégralement aux activités d’intérêt général, à l’exclusion de tout financement d’intérêts purement privés.

Or les sociétés commerciales, quelle que soit la nature de leur activité, ont par définition pour objectif de réaliser des bénéfices et de les distribuer à leurs associés. Dès lors, ces structures ne présentent pas les garanties de la gestion désintéressée, puisque les bénéfices qu’elles réalisent sont susceptibles de faire l’objet d’une distribution.

En outre, les dirigeants de sociétés peuvent être rémunérés, alors que le bénévolat est en principe la règle s’agissant des organismes sans but lucratif.

C’est pourquoi, afin de ne pas dénaturer l’esprit du dispositif de mécénat, l’éligibilité des sociétés de capitaux a été strictement limitée, par l’article 23 de la loi de finances rectificative pour 2007 et sous certaines conditions, à celles dont le capital est exclusivement détenu par des collectivités publiques, à savoir l’État ou des établissements publics nationaux, seuls ou conjointement avec des collectivités territoriales. Voilà l’élément important que je puis vous apporter dans le cadre de cette réponse.

Cette limitation garantit que ce régime ne permette pas le financement d’intérêts privés.

L’élargissement de ce régime aux entités dont une partie du capital est susceptible d’être détenue par des personnes privées, comme c’est le cas s’agissant des sociétés anonymes d’économie mixte, serait donc trop extensive et contraire aux fondements du régime du mécénat qui ne doit financer que les œuvres d’intérêt général et non les intérêts privés.

Le Gouvernement pense qu’il n’est pas opportun, dans le contexte budgétaire actuel, de procéder à une extension du champ d’application du régime du mécénat d’entreprise. Celle-ci serait par ailleurs de nature à susciter d’importantes demandes reconventionnelles de la part des autres sociétés commerciales.

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Sur ce sujet précis, la rigueur de la loi est regrettable. Je la déplore d’autant plus qu’il s’agit de sociétés d’économie mixte, dont le capital est par nature détenu à la fois par des personnes publiques et des personnes privées, qui sont soumises à des rigueurs budgétaires et souffrent d’un déficit de recettes. Avec le régime du mécénat, nous avions les moyens de leur donner un nouveau souffle et d’agir en leur faveur. Ce ne sera malheureusement pas le cas.

ratification de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires

M. le président. La parole est à M. Robert Navarro, auteur de la question n° 1099, transmise à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Robert Navarro. Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur un jugement qui a été rendu le 12 octobre dernier par le tribunal administratif de la ville de Montpellier et que je regrette. Celui-ci a ordonné à la mairie de Villeneuve-lès-Maguelone, commune du département de l’Hérault, de retirer ses panneaux bilingues français-occitan aux entrées de la ville.

J’interroge donc le Gouvernement sur le traitement en France des langues régionales ou minoritaires.

Plusieurs propositions de loi destinées à protéger et à favoriser les langues régionales sont actuellement déposées, notamment celle de mon ami Roland Courteau que j’ai cosignée.

L’exemple de Villeneuve-lès-Maguelone montre que la France doit enfin ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires pour que des initiatives de ce type ne soient plus sanctionnées.

Comme son nom l’indique, cette charte est destinée à protéger et à promouvoir les langues régionales ou minoritaires dans les différents États signataires. Or la France ne l’a pas ratifiée, à l’inverse de la plupart des membres de l’Union européenne ; même un pays comme l’Ukraine, qui a parfois connu des gouvernements autoritaires, l’a fait. Alors que Lionel Jospin, alors Premier ministre, l’avait signée, le Président de la République de l’époque avait refusé d’engager le processus de ratification, considérant que cette charte était incompatible avec la Constitution de notre pays.

Depuis, un nouvel article a été ajouté à la Constitution, qui précise que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».

Monsieur le secrétaire d'État – et en vous interrogeant, c’est au Président de la République, Nicolas Sarkozy, que je m’adresse –, ne pensez-vous pas qu’il est désormais temps que notre pays fasse le pas suivant et ratifie la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, outil indispensable à la sauvegarde et à la promotion des langues régionales en France ? Il s’agit là de notre patrimoine, que nous devons protéger et valoriser !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Georges Tron, secrétaire d'État auprès du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, chargé de la fonction publique. Monsieur le sénateur, vous interrogez Frédéric Mitterrand sur la question de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Le ministre de la culture et de la communication, dont je vous prie d’excuser l’absence ce matin, est profondément attaché au patrimoine et à la pluralité linguistique de notre pays. De là à rouvrir le débat sur la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, à partir du jugement rendu par le tribunal administratif de Montpellier ordonnant à une commune de retirer des panneaux indicateurs bilingues, il y a là un pas que le Gouvernement ne saurait franchir : un obstacle rédhibitoire s’y oppose.

Je vous rappelle en effet que le Conseil constitutionnel a rendu, le 15 juin 1999, un avis contraire à cette ratification, pour des raisons de principe. Dans son préambule, la charte comporte des dispositions visant à reconnaître à chaque personne « un droit imprescriptible » à « pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique », qui plus est sur des territoires déterminés, ce qui, selon le Conseil constitutionnel, porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français.

L’amendement constitutionnel adopté en 2008, qui a permis l’insertion dans notre loi fondamentale de l’article 75-1 précisant que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France », exprime la simple reconnaissance d’un état de fait et n’a pas à lui seul d’effet normatif. Il ne saurait donc apporter de rectificatif à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, invoquée et confirmée au demeurant par plusieurs décisions de justice, notamment le jugement du tribunal administratif de Montpellier que vous avez rappelé.

Par conséquent, c’est sans doute vers d’autres voies qu’il convient de s’orienter pour envisager la visibilité et le développement des langues dites « régionales » dans notre pays. Que la charte européenne n’ait pas été ratifiée n’empêche pas leur présence dans l’espace public.

Rappelons que l’appareil législatif et règlementaire actuel offre des possibilités qui ne sont pas toujours exploitées : je pense, en particulier, aux actes officiels des collectivités territoriales, qui peuvent être publiés en langue régionale dès lors qu’ils le sont aussi en français, seule langue qui a valeur juridique. Nombreuses sont, par ailleurs, les occasions de manifester un bilinguisme français-langue régionale, quelle qu’elle soit.

Pour ce qui touche directement à la loi de 1994 relative à l’emploi de la langue française, le Gouvernement est prêt à déplorer avec vous qu’elle soit souvent comprise comme un instrument de lutte contre la diversité du patrimoine linguistique français. Telle n’était évidemment pas l’intention proclamée du législateur, comme en témoignent les débats ayant présidé à l’adoption de ce texte.

On pourrait notamment souhaiter que soit parfois pris en considération l’article 21 aux termes duquel « les dispositions de la présente loi s’appliquent sans préjudice de la législation et de la réglementation relatives aux langues régionales de France et ne s’opposent pas à leur usage ».

Cependant, à législation constante, de nombreuses marges de manœuvre existent. C’est dans le cadre d’un principe de responsabilité partagée entre l’État et les communes, départements et régions que le Gouvernement entend placer son action.

Pour sa part, le ministère de la culture et de la communication a illustré concrètement ce principe en engageant un dialogue au sein du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel. Les langues régionales feront l’objet de rencontres programmées dans l’enceinte de ce Conseil avec, pour perspective, leur meilleure intégration dans la vie sociale, dans le cadre constitutionnel existant.

M. le président. La parole est à M. Robert Navarro.

M. Robert Navarro. Monsieur le secrétaire d’État, je prends acte de votre réponse. Je vois que toutes les voies ne sont pas bouchées. Nous allons continuer à nous battre pour la reconnaissance encore plus importante de nos langues régionales. (M. Didier Guillaume applaudit.)

extension de la présence du loup sur le territoire drômois

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, auteur de la question n° 1136, transmise à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.

M. Didier Guillaume. Monsieur le secrétaire d’État, ma question, qui s’adressait à l’origine à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, porte sur la recrudescence des attaques de troupeaux par le loup et sur l’extension de la zone de présence permanente de cet animal dans la Drôme.

Très régulièrement, des troupeaux de chèvres et de brebis sont attaqués dans tout l’Est drômois, que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d'État. Les attaques ont également lieu du Vercors aux Baronnies, en passant par Dieulefit et le Haut-Diois.

En 2010, on a dénombré pas moins de 56 attaques et 269 victimes. Les trois communes de Boulc, Glandage et Lus- la-Croix-Haute concentrent, à elles seules, 52 % des victimes. Des bêtes sont retrouvées éventrées dans des secteurs où ce prédateur n’était plus présent.

Les éleveurs sont à la fois désespérés et en colère. Les fruits de leur travail, de leur passion, les heures consacrées à leurs bêtes sont détruits. Ils n’en peuvent plus ! Trop, c’est trop !

Il faut reconnaître objectivement et de façon apaisée qu’il y a aujourd’hui incompatibilité entre la présence du loup et le pastoralisme. Il faut mettre en place une véritable gestion de ces populations, une véritable régulation. Je rappelle qu’en 2010 aucun loup n’a été prélevé en France.

Ce choix ne menacera d’aucune façon la présence du loup en France, dont la population progresse d’environ 10 % par an pour dépasser 150 bêtes. Aujourd’hui, les objectifs fixés par la convention de Berne concernant le seuil de population du loup à préserver seraient atteints. Les attaques atteignent une fréquence et une intensité jamais rencontrées. La nature des dommages exceptionnels causés sur les troupeaux affecte directement la situation économique et sociale de l’ensemble des éleveurs de la région.

Les dépenses inscrites dans le dernier budget pour la protection des espèces et l’indemnisation des éleveurs s’élèvent à 5,2 millions d’euros, comme cela figure dans le rapport de notre excellent collègue député de la Drôme, Hervé Mariton.

Ces sommes seraient, à mon avis, plus utiles pour aider l’installation des jeunes agriculteurs que pour indemniser les dégâts causés par le loup.

Lors des débats sur la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, le Sénat a souhaité, sur ma proposition, modifier le code rural pour y inscrire la protection du pastoralisme et des troupeaux contre les attaques du prédateur.

Solidaires de ces éleveurs, les 369 maires drômois ont, lors de leur dernier congrès départemental, unanimement voté une motion sollicitant le Gouvernement et les parlementaires pour que des mesures législatives et réglementaires soient prises.

Il faut donner les moyens de prélever à l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, avant que les oppositions ne soient trop fortes, avant que le risque d’actions individuelles d’éleveurs à cran ne soit trop grand.

Monsieur le secrétaire d'État, ne considérez-vous pas qu’il est temps, voire urgent, de prendre des décisions concrètes ? Envisagez-vous notamment de définir des zones dédiées et des réglementations spécifiques, comme cela existe déjà dans d’autres pays européens?

Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est l’avenir de l’élevage dans nos massifs.

M. le président. Monsieur le sénateur, votre question s’adressait certes au ministre de l’agriculture, mais ce dernier l’a transmise au ministre chargé de l’environnement dont dépend la garderie. Le chasseur que je suis regrette beaucoup que la chasse ne soit pas sous l’autorité du ministre de l’agriculture et de la forêt… (Sourires.)

La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports,… ainsi que des migrations lupines. (Sourires.)

M. Thierry Mariani, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé des transports. Monsieur le sénateur, dès le retour naturel du loup en France, l’État s’est notamment donné pour objectif de réduire autant que possible son impact sur les activités d’élevage. La protection de cette espèce sauvage emblématique, organisée dans les cadres internationaux, communautaires et nationaux, se doit ainsi d’être adaptée et intégrée dans les usages de l’économie pastorale et rurale. Sur ce point, je vous rejoins, ne serait-ce que parce que je connais cette région presque aussi bien que vous.

C’est l’un des objets du plan national loup 2008-2013. Co-élaboré par les ministères chargés de l’environnement et de l’agriculture, il comprend un ensemble de dispositions tant réglementaires que budgétaires, destinées à améliorer la cohabitation de l’élevage et du loup.

Ainsi, les mesures de protection des troupeaux et d’indemnisation des dommages s’élèvent à 6,3 millions d’euros, représentant près de 90 % de l’ensemble des dépenses gouvernementales du plan national loup.

Par ailleurs, des dérogations au statut de protection peuvent être accordées, notamment pour prévenir des dommages importants à l’élevage, à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante. Depuis 2009, des évolutions importantes facilitant le recours au tir de défense et au tir de prélèvement ont été mises en place.

Dans ce contexte, il n’est donc pas envisagé de créer une nouvelle catégorie de zones dédiées avec des réglementations spécifiques. Il n’existe pas, en tout état de cause, de consensus scientifique sur la détermination d’un seuil de population minimum viable pour cette espèce en France.

Dans certaines circonstances de persistance de dégâts ou lors d’obstacles pratiques ou techniques à la mise en œuvre de tirs de défense, l’arrêté du 7 juin 2010 fixe les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup pour la période 2010-2011. Il permet toutefois au préfet de déclencher une opération de tir de prélèvement sans conditionner sa décision à la mise en œuvre préalable de tirs de défense à proximité des troupeaux. Un périmètre d’intervention du tir de prélèvement est alors défini.

Le ministre en charge de l’agriculture et la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement ont été informés par le préfet de la Drôme du caractère intense, récurrent et concentré des sinistres ayant affecté le massif de Durbon.

Il a été tenu compte de ces éléments dans la définition du périmètre d’intervention établi en l’espèce par le préfet.

Il importe désormais de réfléchir ensemble à la déclinaison, en 2011, du principe de « gestion différentiée selon les situations », clairement mis en avant par le plan national loup afin de permettre une réactivité optimale pour la défense des troupeaux et d’anticiper l’arrivée du loup dans les nouveaux territoires.

Ce sera l’un des objets de la réunion annuelle de bilan de la campagne loup qui se tiendra ce 19 janvier dans votre département, monsieur le sénateur. J’espère que cette réunion permettra de progresser ensemble pour faire en sorte que nos éleveurs et le pastoralisme soient protégés – c’est un aspect sur lequel je vous rejoins –, tout en permettant au loup de trouver sa place dans cet espace.

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.

M. Didier Guillaume. Monsieur le secrétaire d’État, je ne peux pas dire que je comprenne la position gênée du Gouvernement, mais elle ne m’étonne pas !

Il faut vraiment éviter d’opposer, d’un côté, la biodiversité, la présence du loup, et, d’un autre côté, l’élevage. Sans cela, on ne s’en sortira pas !

À l’heure actuelle, il n’y a pas de problème de sous-population de loups : le nombre de ces derniers est supérieur à 150, voire plus encore. La situation est grave. J’ai rencontré des éleveurs sur le terrain : ils n’en peuvent plus ! Ce sont des gens désespérés, en larmes.

Lorsque l’activité économique va bien, lorsqu’on vend ses ovins et ses brebis, on peut passer sur quelques attaques. Mais, pour quelques dizaines d’attaques en 2006, on en est maintenant à plus de 200, voire 300. Ce n’est plus possible ! Outre qu’elle fragilise l’économie, cette situation pourrait conduire, si des mesures ne sont pas prises, vers des situations vraiment catastrophiques pour la paix civile.

Le préfet a autorisé un prélèvement, mais cela ne fonctionne pas. Il faut donner à l’Office national de la chasse et de la faune sauvage les moyens d’arrêter les tirs de défense et les prélèvements, s’il y en a vraiment.

Je regrette de vous entendre dire qu’il n’est pas envisagé de zones dédiées au pastoralisme. Dans nos massifs préalpins, s’il n’y a pas de telles zones dédiées dans lesquelles le loup ne peut pas accéder, alors, les attaques, les désastres et la désespérance iront croissant. Ce serait dramatique pour notre histoire pastorale et agricole, comme pour l’avenir de l’élevage.

En tout cas, le comité loup fonctionne dans la Drôme. Lors de la réunion que vous avez évoquée, monsieur le secrétaire d’État, nous ferons à nouveau valoir cette position, unanimement partagée par les 369 maires de la Drôme et les 7 parlementaires du département. Il faudrait, à mon avis, que le Gouvernement évolue sur cette question pour aider le préfet à régler le problème.

assimilation du mariage d'un couple homosexuel marié à l'étranger au pacs en france

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, auteur de la question n° 1127, adressée à M. le garde des sceaux.

Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis la légalisation du mariage entre deux personnes de même sexe dans un certain nombre de pays, les couples homosexuels mariés à l’étranger rencontrent des difficultés pour obtenir une équivalence de leur union en France.

À plusieurs reprises, en effet, j’ai été contactée par des couples de même sexe, tous deux Français ou dont l’un des conjoints est de nationalité française, qui se sont mariés à l’étranger durant leur expatriation. À leur retour en France, ils s’interrogent sur la procédure qu’ils devraient suivre pour faire reconnaître leur union en droit français.

En France, le mariage entre deux personnes du même sexe est interdit, mais le PACS existe. Quelle procédure les couples homosexuels mariés à l’étranger doivent-ils suivre pour devenir des partenaires liés par un PACS ? S’agit-il pour eux de se déclarer mariés au moment de conclure ce PACS – cela empêchera de facto l’enregistrement du PACS, qui ne se conclut qu’entre deux personnes célibataires – ou de se déclarer célibataires, au risque de faire une fausse déclaration et d’être dans l’illégalité, ou bien encore de divorcer avant de se pacser ?

Certains pays reconnaissent le PACS français, alors que nous refusons la reconnaissance du mariage homosexuel qu’ils autorisent sur leur territoire. Il est difficilement compréhensible que le mariage autorisé dans ces pays ne produise pas au minimum les effets d’un PACS en France. Le Gouvernement entend-il modifier l’article 515-7-1 du code civil portant sur la reconnaissance en France des effets des partenariats civils enregistrés à l’étranger afin de l’élargir aux mariages de personnes de même sexe enregistrés à l’étranger ?

Aussi je vous demande, afin de simplifier la vie des couples homosexuels qui ont pu conclure à l’étranger un mariage qui ne serait pas autorisé en France, de permettre a minima l’assimilation de ces mariages au PACS français. Cette disposition permettrait ainsi aux couples mariés homosexuels de bénéficier de tous les droits en matière de succession, de protection sociale et d’obligation alimentaire, sans pour autant remettre en cause l’ordre public français.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Thierry Mariani, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé des transports. Madame la sénatrice, vous soulevez la question de la reconnaissance en France des mariages célébrés à l’étranger pour des ressortissants de même sexe dont l’un au moins est Français.

Contrairement à la règle selon laquelle les conditions de validité d’un PACS doivent s’apprécier au regard de la loi du lieu d’enregistrement de ce contrat, la validité du mariage s’apprécie au regard de la seule loi personnelle de chacun des époux. Ainsi, le mariage homosexuel célébré à l’étranger d’un couple de Français ou d’un couple formé d’un ressortissant français et d’un ressortissant étranger ne peut être reconnu en France, ce type d’union étant prohibé sur notre territoire.

Il n’est pas envisagé, à ce jour, de modifier cette règle : si l’on devait apprécier la validité du mariage au regard des règles en vigueur dans le pays de célébration, on pourrait être amené à devoir reconnaître, par exemple, l’union polygame d’un Français contractée à l’étranger.

Il n’est pas envisageable, par ailleurs, d’assimiler ce mariage à un PACS, en raison des différences qui persistent entre ces deux types d’union, s’agissant tant des conditions de leur formation que de leurs effets.

En outre, il n’est pas possible de prévoir qu’une personne mariée à l’étranger dans ces conditions pourra conclure un PACS en France. En effet, le conjoint étranger d’un ressortissant français peut, quant à lui, si son statut personnel le permet, bénéficier des pleins effets du mariage. Comment, dès lors, concevoir qu’il puisse être à la fois marié et pacsé, sauf à contredire expressément les dispositions du code civil prohibant le PACS entre deux personnes dont l’une au moins est engagée dans les liens du mariage ?

Je rappelle que le législateur français, s’il a fait le choix de ne pas permettre le mariage homosexuel, a aussi souhaité créer avec le PACS un cadre juridique adapté, dont le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il supposait, outre une résidence commune et une communauté d’intérêt, une vie de couple.

En tout état de cause, la situation des ressortissants français établis à l’étranger est loin d’être négligée : il leur est en effet toujours possible de contracter un PACS devant nos autorités consulaires et diplomatiques, comme ils pourraient le faire dans notre pays devant les tribunaux, afin de voir reconnaître en France les avantages du pacte conclu.

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse, qui, même si j’en déplore le contenu, a le mérite d’être claire. Aussi serai-je attentive à la décision que rendra le Conseil constitutionnel, qui examine aujourd’hui la question du mariage homosexuel.

inscription de la rn 2 au schéma national des infrastructures de transport

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, auteur de la question n° 1119, adressée à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.

M. Yves Daudigny. Monsieur le secrétaire d’État, en l’état, le schéma national des infrastructures de transport, ou SNIT, occulte la route nationale 2 au titre des investissements identifiés pour les prochaines années et programmés au sein du futur plan d’actions de modernisation du réseau routier national. Or le caractère essentiel et stratégique de cet axe est incontestablement reconnu par l’État, qui l’a inscrit aux précédents contrats de plan État-région, et logiquement décliné au sein du programme de développement et de modernisation des itinéraires routiers 2009-2014, le PDMI, au niveau régional.

À cet égard, le conseil général de l’Aisne et le conseil régional de Picardie ont fait preuve de leur sens des responsabilités en s’engageant largement – à hauteur de 38,25 millions d’euros –, dans le cadre du contrat de développement Aisne-Picardie, aux côtés de l’État.

La RN 2 doit incontestablement figurer dans les orientations stratégiques du SNIT.

C’est avant tout une question vitale pour l’Aisne : axe historique, la RN 2 est l’épine dorsale du département. Sa modernisation autorisera le désenclavement du territoire, stimulera le développement économique, facilitera les liens sociaux, participera au rétablissement de l’équité territoriale, permettra le développement durable… Or tels sont bien les enjeux économiques et sociaux promus par le SNIT.

C’est aussi une question de cohérence de la part du Gouvernement.

Depuis plusieurs décennies, de nombreuses décisions prouvent, si besoin était, l’intérêt porté au devenir de cet axe : décision ministérielle du 27 février 1979 définissant une partie d’aménagement entre l’Aisne et la frontière belge ; décision ministérielle d’approbation de l’avant-projet sommaire d’itinéraire de première phase du 30 novembre 1994 arrêtant la partie d’aménagement en route express à 2X2 voies ; décision ministérielle d’approbation de l’APSI de deuxième phase entre Soissons et Laon du 7 septembre 1995 ; décret du 23 janvier 1997 déclarant d’utilité publique l’aménagement de la RN 2 entre Soissons et Laon ; décision ministérielle d’approbation de l’APSI de deuxième phase entre Paris et Soissons du 10 juillet 2001 ; décret déclarant d’utilité publique l’aménagement de la RN 2 entre Paris et Soissons du 22 octobre 2003 ; décision du CIADT, le comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire, du 18 octobre 2003 portant son classement en grande liaison d’aménagement du territoire entre Paris et la Belgique.

Ai-je besoin d’insister, plus que ne le démontrent toutes ces décisions, sur le caractère fondamentalement structurant de la RN 2 et l’impérieuse urgence de sa modernisation ?

Force est aussi de constater que cette modernisation est l’objet d’un très large consensus, constamment réaffirmé à tous les niveaux, et cela lui confère également le caractère d’orientations stratégiques telles que le SNIT les identifie aujourd’hui.

C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, fort de ce consensus historique, politique et financier, et compte tenu des enjeux économiques et sociaux, je vous demande à nouveau, aujourd’hui, quelles sont vos intentions quant à l’inscription expresse de la RN 2 dans le schéma national des infrastructures de transport, significative alors d’une prochaine et prioritaire programmation des travaux ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Thierry Mariani, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé des transports. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez rappelé, l’aménagement de la RN 2 ne figure pas dans l’avant-projet de SNIT, rendu public à la mi-juillet.

Cette absence ne signifie nullement que l’État entend se désengager de l’aménagement de cet axe essentiel pour la desserte des territoires de l’Est picard, notamment.

Les aménagements qui restent aujourd’hui à réaliser sur la RN 2, pour répondre dans de bonnes conditions aux besoins de mobilité des populations, ne relèvent pas de la catégorie des projets qui ont vocation à figurer explicitement dans le schéma. En effet, seuls les projets de développement dont la réalisation introduit de nouvelles fonctionnalités ou modifie l’offre de mobilité au niveau du système de transport dans son ensemble ont vocation à y figurer. Une ligne ferroviaire à grande vitesse, une autoroute, un contournement de ville venant conforter une continuité autoroutière sont typiquement les projets concernés.

Les projets qui visent à une adaptation des infrastructures existantes – et c’est bien le cas des aménagements à réaliser sur la RN 2 ! – pour répondre à des problèmes régionaux de desserte du territoire, de sécurité, de congestion, de nuisances ou encore d’intégration environnementale, et qui ne viennent pas créer de nouvelles fonctionnalités et influencer à grande échelle les comportements en créant de nouveaux trafics ou des reports modaux, n’ont pas vocation à être évoqués explicitement dans le schéma. Seules les orientations qui doivent les gouverner figureront dans le document.

Cela ne signifie nullement que ces aménagements ne seront jamais réalisés ou qu’ils seront moins prioritaires que d’autres. Ils se feront progressivement dans le cadre des programmes de modernisation des itinéraires routiers, les PDMI, qui succèdent au volet routier des contrats de plan État-région, en cohérence avec les orientations qui auront été retenues dans le schéma.

S’agissant de la RN 2, comme vous l’avez indiqué, le PDMI de la région Picardie prévoit d’ores et déjà 104,9 millions d’euros pour sa modernisation sur la période 2009-2014, ce qui constitue, de loin, la principale opération du programme 2009-2014 du PDMI de cette région, dont le montant total s’élève à 147,5 millions d’euros : 101,79 millions d’euros financés par l’État et 45,71 millions d’euros par les collectivités territoriales.

Une mission a été confiée au conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD, sur les orientations des aménagements à réaliser sur la RN 2. En Picardie et dans le Nord-Pas-de-Calais, ce rapport est attendu à la fin du mois de février.

Nous ne devons pas nous tromper sur la définition du SNIT. Il s’agit d’un document d’orientation dédié à ces nouvelles fonctionnalités. Des dizaines d’axes ne figurant pas dans le SNIT, à l’instar de la RN 2, sont parfaitement pris en compte dans le PDMI.

La route nationale que vous évoquez, monsieur le sénateur, et qui est également chère à Xavier Bertrand, n’a pas vocation à figurer dans le SNIT. Pour autant, l’État ne se désintéresse pas de cet axe important, qui existe depuis longtemps.

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. J’ai bien entendu vos propos, monsieur le secrétaire d’État. S’ils ne sont pas négatifs, ils ne vont néanmoins pas dans le sens de mon intervention.

Les arguments qui motivent, selon vous, la non-inscription de la RN 2 au SNIT font débat. Il en est ainsi notamment de la nouvelle fonctionnalité de cette route qui, une fois rénovée et modernisée, aurait acquis une importance stratégique.

La question de la lisibilité est ici cruciale. En termes d’orientations nationales stratégiques à moyen et long terme, ce choix obère une lisibilité non seulement de mise, parce que le SNIT est un outil de planification, mais également d’opportunité et d’affichage puisque, en tant que tel, il devrait être exhaustif et comprendre l’ensemble des projets érigés au rang de priorités nationales.

C’est pourquoi je crois important, une fois encore, d’appuyer mon propos sur quelques exemples significatifs de l’importance nationale, régionale et départementale de cet axe structurant à vocation évidemment territoriale, économique et sociale. Cette épine dorsale traverse le département du nord au sud, de la frontière belge à la région parisienne, elle innerve cinq des six bassins d’emplois axonais, elle dessert des pôles économiques et des pôles touristiques importants, elle constitue un axe de mobilité et de migration quotidien pour de nombreuses populations, elle est empruntée par les poids lourds qui en font un axe privilégié pour rejoindre la Belgique.

Cela pose d’ailleurs la question de la prise en compte future, et dans la continuité, de la partie nord de cette route nationale 2, entre Laon et la frontière belge, qui mériterait des aménagements de sécurité et des créneaux de dépassement pour améliorer les flux de circulation.

Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de l’attention que vous porterez à ce dossier, dont vous aurez compris à quel point il est crucial pour le développement du département de l’Aisne.

renouvellement du dispositif des contrats d'accompagnement dans l'emploi

M. le président. La parole est à M. Marcel Rainaud, auteur de la question n° 1114, transmise à M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé.

M. Marcel Rainaud. Madame le ministre, la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle a été contrainte, par une instruction en date du 7 octobre 2010, de rappeler à l’ordre ses services déconcentrés afin d’éviter des dépassements de crédits, la dotation prévue pour financer les contrats aidés se révélant insuffisante. Ainsi, la direction de Pôle emploi a demandé aux responsables des services du personnel de nombreux établissements publics et de structures associatives de ne plus renouveler les contrats d’accompagnement dans l’emploi, les CAE, et de ne plus y avoir recours jusqu’à nouvel ordre.

Cette annonce brutale fut un coup dur porté aux personnes qui étaient en attente du renouvellement de leur contrat pour une nouvelle période de six mois.

Au sein de la région Languedoc-Roussillon, ce sont plus de 20 000 personnes qui bénéficient de ce type de dispositif et sont ainsi accompagnées dans leur parcours vers une réelle insertion professionnelle.

Pour le seul département de l’Aude, 3 560 CAE ont été établis ou renouvelés durant l’année 2010, ce qui représente certes un effort financier pour l’État, mais constitue aussi une véritable opportunité de retour à l’emploi et une protection contre l’exclusion pour autant de bénéficiaires.

Le secteur public est lourdement touché puisqu’il est le principal utilisateur de ce type de contrat, qui concerne plus de 2 900 personnes, particulièrement utiles au bon fonctionnement d’établissements tels que des centres hospitaliers, les lycées ou encore les collèges. Le secteur privé est lui aussi concerné dans la mesure où il emploie dans le département de l’Aude près de 600 personnes.

Les bénéficiaires de ce dispositif qui étaient en attente d’un renouvellement se sont retrouvés confrontés à une rupture brutale de leur parcours professionnel.

Dans la conjoncture économique et sociale actuelle, une telle situation est inacceptable, car elle va précariser encore plus des personnes déjà fragilisées. En rupture de contrat, ces dernières vont grossir encore davantage les rangs des bénéficiaires du revenu de solidarité active, le RSA, avec le risque fort de ruptures dans leur insertion professionnelle. Les économies faites sur la non-reconduction de ces contrats aidés se répercuteront donc inévitablement sur la hausse des demandeurs de prestations sociales.

Au moment où le chômage atteint un niveau particulièrement préoccupant, la décision de réduire ces mesures d’accompagnement vers l’emploi est pour le moins malvenue. Elle serait d’autant plus scandaleuse si elle devait se confirmer, car elle exprimerait de façon encore plus forte le manque d’attention du Gouvernement vis-à-vis des plus fragiles. Quel contraste, en effet, entre la façon dont vous vous désintéressez de la situation des plus fragiles et l’énergie que vous déployez pour protéger les plus fortunés !

Il serait plus opportun de revoir les estimations relatives au nombre de bénéficiaires des contrats aidés en tenant compte de la réalité de la conjoncture économique et sociale de notre pays, afin de veiller à ne pas abandonner les plus fragiles au moment où ils ont le plus besoin d’un accompagnement vers l’emploi.

Madame le ministre, je vous serais reconnaissant de bien vouloir m’indiquer la position que vous entendez adopter sur cette question et la façon dont vous prendrez en compte la réalité de la situation sociale et économique des bénéficiaires des contrats aidés.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nadine Morano, ministre auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Xavier Bertrand, qui ne peut être présent au Sénat ce matin et m’a demandé de vous répondre.

Les contrats d’accompagnement dans l’emploi sont des contrats aidés qui ont pour objectif de faciliter l’insertion professionnelle grâce à des emplois répondant à des besoins collectifs non satisfaits. C’est pourquoi ils jouent un rôle important notamment pour de nombreuses associations ayant des moyens humains et financiers limités.

Les CAE, comme les contrats initiative emploi ou CIE, permettent à des personnes qui sont éloignées de l’emploi et rencontrent de réelles difficultés sociales ou professionnelles de remettre le pied à l’étrier. Ils ont été conçus pour que ces personnes ne décrochent pas du marché du travail pendant une longue période.

Le recours ciblé aux contrats aidés, par exemple pour les personnes en situation de chômage de longue durée, est en effet un moyen de redonner à ceux qui en ont le plus besoin un contact réel et suivi avec le marché du travail.

En 2010, alors que le taux de chômage augmentait, le Gouvernement a voulu développer fortement le recours à de tels contrats. Il a mobilisé au total, je le rappelle, 400 000 contrats d’accompagnement dans l’emploi et 120 000 contrats initiative emploi.

Pour le Languedoc-Roussillon, ce sont 21 869 contrats dans le secteur non marchand qui ont été financés, soit 35 % de contrats en plus par rapport à 2008.

Le Gouvernement a tenu à mettre en place cette politique volontariste en grande partie pour que les personnes qui avaient perdu leur emploi pendant la crise ne restent pas durablement éloignées du marché du travail ; rien n’aurait en effet été pis qu’un tel éloignement.

Pour 2011, dans un contexte de sortie de crise et alors que l’activité économique redémarre progressivement, la mobilisation du Gouvernement demeure très importante puisqu’elle atteint un niveau quasiment équivalent à celui de 2009.

Le budget des contrats aidés pour 2011 est ainsi de plus de 2 milliards d’euros et prévoit la mobilisation de 340 000 contrats d’accompagnement dans l’emploi et de 50 000 contrats initiative emploi. Ces chiffres demeurent très élevés, et vous le savez !

Comme il l’a fait en 2010, le Gouvernement continuera à soutenir le recours aux contrats aidés en 2011, car nous ne pouvons accepter que des personnes restent durablement éloignées du marché du travail.

Cette forme d’exclusion est un drame personnel et une perte sèche pour notre économie, une perte qui n’est pas tolérable.

M. le président. La parole est à M. Marcel Rainaud.

M. Marcel Rainaud. Madame le ministre, je prends acte de votre réponse, même si elle ne me satisfait pas pleinement.

Pour l’avenir, j’espère simplement – c’est encore la période des vœux… – que la dotation prévue pour financer les CAE sera suffisante pour répondre à toutes les demandes.

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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire du Japon

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, au nom du Sénat, la présence dans notre tribune officielle d’une délégation de la Chambre des représentants du Japon, conduite par M. Yoshinori Ohno, président du groupe d’amitié Japon-France, secrétaire de la commission permanente de l’intérieur et des communications, accompagné par deux de ses collègues.

Cette délégation séjourne en France à l’invitation du groupe d’amitié France-Japon de l’Assemblée nationale, présidé par M. Didier Quentin, que je salue également. Elle est reçue aujourd’hui au Sénat par le groupe d’amitié présidé par notre collègue David Assouline.

Nous sommes particulièrement sensibles à l’intérêt et à la sympathie que nos homologues japonais portent à notre institution.

Je me réjouis des liens étroits qui se sont tissés entre nos groupes d’amitié au fil des ans – j’ai moi-même été président du groupe d’amitié France-Japon de 1981 à 1991 – et qui se sont renforcés au cours de l’année écoulée à travers la reprise des échanges parlementaires ; ceux-ci ne peuvent que contribuer au renforcement des relations bilatérales entre la France et le Japon. Je souhaite à M. Yoshinori Ohno et à ses collègues un excellent séjour dans notre pays. (Applaudissements.)

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Questions orales (suite)

M. le président. Nous reprenons l’ordre du jour de ce matin, consacré aux réponses à des questions orales.

disparités de traitement existant entre les salariés pacsés et mariés

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, auteur de la question n° 1017, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé.

Mme Maryvonne Blondin. Madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais interroger aujourd’hui M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé, par l’intermédiaire de Mme la ministre chargée de l’apprentissage et de la formation professionnelle, sur les disparités de traitement existant entre salariés pacsés et salariés mariés.

À plusieurs reprises – en 2008 puis en 2009 –, la HALDE, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, a jugé discriminatoire le refus d’accorder aux salariés pacsés les mêmes droits aux congés pour événements familiaux qu’aux salariés mariés.

Selon l’article L. 3142-1 du code du travail, un salarié bénéficie notamment d’une autorisation de quatre jours d’absence pour son mariage et d’un jour d’absence pour le décès d’un parent de son conjoint. Cette autorisation n’est pas prévue lors de la conclusion d’un PACS, ou pacte civil de solidarité.

La HALDE, comme la Cour européenne des droits de l’homme, retient une acception large de la notion de famille et considère qu’il s’agit là d’une discrimination au sens de l’article L. 1132-1 du code du travail, qui interdit toute discrimination, directe ou indirecte, fondée sur la situation de famille.

La Haute autorité estime aussi que cette différence de traitement peut être considérée comme discriminatoire en raison de l’orientation sexuelle.

En outre, certaines entreprises, par leurs conventions collectives, ont décidé d’aller au-delà de ces obligations légales, ce qui, dans la pratique, crée de nouvelles disparités de traitement.

Les fonctionnaires bénéficient quant à eux d’un régime privilégié, puisqu’une autorisation exceptionnelle de cinq jours leur est accordée en cas de conclusion d’un PACS.

Des disparités de traitement existent donc entre couples mariés et couples pacsés à l’intérieur du secteur privé, mais aussi entre secteur privé et secteur public. Or une telle situation touche de plus en plus de personnes : je vous rappelle qu’en France 175 000 PACS ont été conclus, dont 2 647 dans le Finistère pour 3 394 mariages, et 9 339 PACS en Bretagne pour 12 113 mariages. Le PACS gagne donc évidemment en notoriété.

Par conséquent, madame la ministre, entendez-vous supprimer ces inégalités et étendre aux salariés unis par un PACS le bénéfice de l’ensemble des congés pour événements familiaux réservés aux seuls salariés mariés ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nadine Morano, ministre auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Madame la sénatrice, la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité a instauré un nouveau statut pour les couples qui diffère à la fois de celui des conjoints mariés et de celui des concubins.

En créant ce nouveau statut, le législateur a accordé aux partenaires du PACS certains droits ouverts jusqu’alors aux seuls couples mariés. Ainsi, s’agissant des congés pour événements familiaux prévus à l’article L. 3142-1 du code du travail, la disposition octroyant deux jours de congés rémunérés en cas de décès du conjoint a été étendue aux partenaires du PACS.

Néanmoins, ce nouveau statut n’a pas été conçu pour être identique à celui du mariage, notamment s’agissant de ses conséquences sur la filiation. Il vise seulement la relation de couple, et non les liens au sein de la famille dans son ensemble.

C’est la raison pour laquelle la position du Gouvernement diffère de l’avis de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, exprimé par deux fois, en 2008 et en 2009. Les deux situations ne sont pas comparables en droit et les régimes juridiques peuvent donc différer sans qu’il y ait discrimination.

Je tiens toutefois à rappeler que, dans les faits, les dispositions légales ne représentent bien sûr qu’un minimum et que de nombreux accords de branche ou d’entreprise prévoient aujourd’hui des dispositions plus favorables, dont certaines intègrent des droits supplémentaires par rapport à la loi pour les couples pacsés. De ce fait, une modification législative n’aboutirait pas à créer systématiquement une équivalence des droits entre mariés et pacsés dans toutes les entreprises.

En conséquence, le Gouvernement estime nécessaire de laisser une autonomie suffisante aux partenaires sociaux pour négocier l’octroi de jours de congés rémunérés. Selon un recensement effectué en 2010, près de cinquante conventions collectives nationales ou accords de branche prévoient d’accorder des jours d’absence rémunérés pour signature d’un PACS.

Enfin, s’agissant du congé de paternité, également évoqué dans votre question, la Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 11 mars 2010 qu’il est réservé au père, quel que soit d’ailleurs le lien juridique qui unit ou non ce dernier à la mère. En effet, l’objectif de cette loi est, je vous le rappelle, d’impliquer plus fortement les pères dans l’exercice des responsabilités familiales.

Il n’existe donc pas aujourd’hui de disparités injustifiées qu’il conviendrait de corriger.

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. J’entends bien les réponses de Mme la ministre et je n’en suis pas étonnée.

Néanmoins, en l’état actuel du droit, le seul cadre juridique d’union ouvert aux couples homosexuels est bien celui du PACS. Coïncidence, c’est aujourd’hui que le Conseil constitutionnel examine la question du mariage entre homosexuels.

Faire du mariage une condition préalable au bénéfice des congés rémunérés pour événements familiaux ne peut qu’engendrer une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Les couples hétérosexuels gardent en effet la possibilité de contracter un mariage.

Malgré les propos que vient de tenir Mme la ministre, je constate qu’il y aura, là encore, une discrimination.

conséquences de l'arrêt en cours d'année des aides de l'état aux cae

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch, auteur de la question n° 1115, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé.

Mme Mireille Schurch. Madame la ministre, plusieurs associations et collectivités ont souhaité soutenir la politique d’insertion de l’État en signant un contrat d’accompagnement dans l’emploi de six mois.

Lors de la signature, la possibilité de renouveler le contrat avait été envisagée pour rendre celui-ci plus compatible avec un projet de développement d’activités ou avec l’annualisation budgétaire des structures concernées.

L’instruction du 8 juillet 2010 a conduit à une diminution significative du montant des aides octroyées par l’État.

En Auvergne, par exemple, le taux de financement du CAE est passé de 90 % à 75 %, la prise en charge hebdomadaire étant plafonnée à vingt heures. Le cumul de ces diminutions correspond donc en réalité à une baisse qui peut représenter jusqu’à 47 % de l’aide de l’État !

De nombreux employeurs du secteur non marchand n’ont pu, dans ces conditions, renouveler le contrat à la rentrée de septembre.

En octobre, les services gestionnaires de Pôle emploi ont signalé qu’il n’y avait plus de moyens financiers disponibles pour initier ou reconduire des CAE. Cet arrêt soudain a fait surgir un problème lié à l’engagement des formations professionnelles, et c’est sur ce point précis que je vous interrogerai, madame la ministre.

En effet, de nombreux employeurs avaient inscrit le titulaire du CAE dans un cursus de formation professionnelle, assurés que les renouvellements seraient autorisés pour ajuster la durée de l’emploi à celle de la formation, dans les limites prévues par les arrêtés.

Ainsi, en Auvergne, un premier recensement dans les secteurs sportifs et socioculturels fait état d’une cinquantaine d’associations dans ce cas.

Dans le secteur particulier de l’animation, les formations en alternance réclament une expérience préalable, ce qui porte à deux ans la durée moyenne nécessaire à l’obtention d’un brevet professionnel ou d’un diplôme d’État. Le non-renouvellement du CAE a conduit dans ces cas à l’arrêt de la prise en charge du parcours de formation, donc à l’abandon de cette dernière.

Certains employeurs, s’ils en avaient la possibilité financière, ont pu proposer un CDD transitoire à leur employé pour éviter la perte du bénéfice de la formation déjà engagée.

Se pose alors la difficulté d’obtenir un nouveau CAE en 2011, l’employé n’étant plus éligible au dispositif au regard des critères retenus.

Comme vous le voyez, mes chers collègues, le changement des modalités de l’aide de l’État en cours d’année puis l’arrêt brutal des reconductions de contrats ont entraîné de grandes difficultés pour les jeunes en formation. Or les mêmes problèmes peuvent se poser à nouveau en 2011, d’autant plus que, dans un contexte de rigueur budgétaire, le nombre de contrats est en baisse.

À la lumière de ce qui s’est passé en 2010, je vous demande, madame la ministre, de prendre en urgence toute mesure adéquate pour éviter la perte des formations professionnelles engagées.

Serait-il possible d’élargir la priorité de renouvellement des contrats accordée aux assistants de vie scolaire et aux ateliers et chantiers d’insertion aux associations ou collectivités qui inscrivent des salariés en formation professionnelle ?

Enfin, quelles dispositions comptez-vous adopter afin d’éviter, en cours d’année, un changement des modalités de l’aide financière attribuée aux associations et aux collectivités dont les budgets sont contraints ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nadine Morano, ministre auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Madame le sénateur, en 2010, dans un contexte économique marqué par le redémarrage de l’activité, le Gouvernement a recouru de façon très importante aux contrats aidés.

Comme je viens de l’indiquer à votre collègue Marcel Rainaud, les engagements inscrits au budget de l’État ont été complètement respectés. Au total, le Gouvernement a mobilisé 400 000 contrats d’accompagnement dans l’emploi, CAE, et 120 000 contrats initiative-emploi, CEI, soit le niveau le plus élevé depuis dix ans, rappelons-le.

En Auvergne, par exemple, 7 145 contrats signés dans le secteur non marchand ont été financés, soit 70 % de plus qu’en 2008 !

Madame le sénateur, vous avez évoqué le cas particulier d’une cinquantaine d’associations sportives ou socioculturelles qui ont sollicité un renouvellement de contrat au mois d’octobre dernier. Les moyens financiers disponibles pour conclure de nouveaux CAE ou pour reconduire les contrats existants étaient alors insuffisants.

Vous avez raison de le souligner, l’arrêt des financements des contrats en cours d’activité risquait de poser d’importants problèmes aux associations et aux bénéficiaires des contrats aidés. Ces difficultés étaient liées au fait que, ayant dû faire face à des besoins plus importants que prévus, certaines régions avaient consommé leur enveloppe annuelle dès le mois d’octobre.

Sachez que, sur ce dossier, le Gouvernement a fait preuve de la plus grande réactivité possible, afin de ne pas interrompre brutalement les recrutements. Tout a été fait pour ne pas pénaliser les employeurs qui mettent en œuvre ces outils d’insertion professionnelle.

Des enveloppes complémentaires ont donc été attribuées aux régions déficitaires. L’Auvergne, par exemple, a bénéficié, dès le mois de décembre, d’une enveloppe supplémentaire exceptionnelle afin de prendre en charge 550 contrats.

Pour 2011, le Gouvernement a également tenu à maintenir un effort très important, presque équivalent à celui qui a été réalisé en 2009, car il est entièrement déterminé à se mobiliser pour l’emploi.

C’est pourquoi, je le rappelle de nouveau, en 2011, le budget dévolu aux contrats aidés dépasse 2 milliards d’euros. Le Gouvernement prévoit cette année 340 000 contrats d’accompagnement dans l’emploi et 50 000 contrats initiative-emploi.

Vous le constatez, madame le sénateur, l’effort de solidarité nationale en direction des personnes éloignées de l’emploi est poursuivi. C’est de cette manière que nous accompagnerons le rebond de l’économie et que nous agirons efficacement pour l’emploi.

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. Madame la ministre, ma question portait sur un point très particulier, à savoir l’adéquation entre la durée des contrats et la formation professionnelle engagée. En mettant brusquement fin à la conclusion de nouveaux contrats d’accompagnement dans l’emploi ou à la reconduction de contrats existants, vous avez placé en difficulté des jeunes qui avaient commencé une formation professionnelle dans le cadre d’un CAE et qui n’ont pas pu la poursuivre.

Comme vous, nous sommes sensibles aux effets en termes d’insertion que peut avoir la signature de tels contrats. C’est pourquoi je vous demande d’être particulièrement attentive à l’avenir à ce point.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants, afin de permettre à Mme la secrétaire d'État chargée de la santé de rejoindre l’hémicycle.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures trente-cinq, est reprise à dix heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

regroupement des plateaux de qualification biologique des dons de l'établissement français du sang

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, auteur de la question n° 1139, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé.

M. Guy Fischer. Madame la secrétaire d'État, j’ai souhaité attirer l’attention sur la fermeture annoncée de dix laboratoires de qualification biologique des dons sur les quatorze que compte actuellement l’Établissement français du sang, l’EFS.

Le contrat d’objectifs et de performance signé au mois de septembre dernier entre l’EFS et le ministère de la santé prévoit, en effet, un regroupement sur quatre sites seulement des plateaux de qualification biologique des dons, qui sont actuellement au nombre de quatorze, soit un par établissement régional de l’EFS.

Cette décision, très contestable sur le plan tant de l’emploi que de la sécurité sanitaire, a été annoncée brutalement aux représentants du personnel. Si elle était appliquée, nous assisterions à la disparition des laboratoires de Marseille, Strasbourg, Bordeaux, Saint-Étienne, Besançon, Rennes, Tours, Rungis, Nancy et Rouen, qui emploient 260 salariés.

Les tubes-échantillons provenant de toute la France seraient acheminés par fourgons spécialisés dans les quatre laboratoires restants, soit Montpellier, Angers, Lille et Annecy, qui totaliseraient, après regroupement, 190 emplois, contre 159 aujourd’hui. Il est en effet impossible d’utiliser une poche de sang non validée par un laboratoire de qualification biologique des dons.

Les conséquences négatives de ce regroupement seraient considérables. Relevons, notamment, la suppression de près de 250 postes occupés par des salariés hautement qualifiés ; la généralisation du travail en 2x8, de quatre heures à vingt et une heures ; la transformation de ces quatre laboratoires en énormes usines avec le risque, si un incident grave survenait dans l’une d’elles, de voir un quart de la collecte quotidienne nationale bloqué ; des difficultés particulières pour ce qui concerne les plaquettes, dont la durée de conservation n’est que de cinq jours.

Je ne comprends pas que l’on prenne le risque de transporter, dans des délais très courts, la masse des tubes-échantillons sur 500 kilomètres, voire davantage. De plus, comment serait-il possible aux deux laboratoires restants d’absorber un tel surcroît d’analyses ?

J’estime qu’il est inacceptable et irresponsable de démanteler un service public aussi performant que l’EFS, dont l’activité permet de soigner un million de malades par an.

Je vous demande donc instamment, madame la secrétaire d’État, de surseoir à ce projet, qui ne manquerait pas d’engendrer d’importants risques sanitaires et qui est incompatible avec la raison d’être de l’Établissement français du sang, dont le personnel travaille sur du matériau humain bénévole : les donneurs de sang.

C’est un véritable cri d’alarme que je lance, madame la secrétaire d'État !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Monsieur Fischer, la mutualisation des plateaux de qualification biologique des dons est prévue à l’article 12 du contrat d’objectifs et de performance signé le 2 septembre 2010 par l’Établissement français du sang et les ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et du budget.

Ce contrat comporte une réduction du coût du processus de qualification biologique des dons de 15 % à son échéance.

Les quatorze plateaux existants actuellement relèvent tous d’une organisation différente et nécessitent des mesures d’harmonisation. Le coût de leur fonctionnement est connu ; il est d’autant plus élevé que le maillage territorial est important.

Le contrat d’objectifs et de performance ne définit pas le nombre de plateaux qui devront faire l’objet d’une mutualisation, mais il prévoit, je le répète, une réduction de 15 % du coût de l’organisation réalisant la qualification biologique des dons à l’échéance du contrat.

L’EFS, après avoir mené une étude portant sur plusieurs scénarios comportant un nombre final de plateaux allant de trois à huit, a en dernier lieu retenu l’hypothèse du passage de quatorze à quatre plateaux interrégionaux. Pour ce faire, un groupe de travail a étudié le dossier jusqu’au mois de juillet dernier. Des études complémentaires ont été rendues à la fin du mois d’août et des propositions de localisations géographiques ont enfin été émises au mois d’octobre.

Les régions retenues en raison de leur intérêt logistique sont Pyrénées-Méditerranée, avec Montpellier, Nord-Pas-de-Calais, avec Lille, Rhône-Alpes, avec Annecy, et Pays-de-la-Loire, avec Angers.

Le premier regroupement sur Montpellier aura lieu en deux temps : au cours de cette année seront fermés d’abord le plateau de Saint-Étienne, puis celui de Marseille. Les autres regroupements se feront en 2012 et bénéficieront des enseignements de celui qui aura été effectué à Montpellier.

L’Établissement français du sang a présenté un plan de mutualisation des plateaux de qualification biologique des dons le 10 novembre dernier à son comité des directeurs et l’a transmis le même jour aux organisations syndicales siégeant au comité central d’établissement. Une première information officielle du CCE a eu lieu le 16 décembre 2010.

Le ministère chargé de la santé suit bien entendu de très près les modalités de mobilité des personnels de l’EFS, dont la direction a garanti qu’il n’y aurait ni licenciement ni mobilité forcée du personnel. Toutes les situations seront étudiées au cas par cas et une proposition de reclassement sera faite à chaque personne concernée. L’EFS mettra en place des mesures d’accompagnement pour les candidats à la mobilité, afin de ne pas perdre leur expertise. Les mesures seront définies avec les partenaires sociaux.

Pour les personnels non repris dans les activités de qualification biologique du don, des formations de reclassement seront proposées, notamment en vue d’un renforcement ou d’un développement des activités sur les sites qui perdront leur plateau.

Il faut également souligner que l’activité transfusionnelle va augmenter dans les prochaines années. L’EFS conserve donc des perspectives d’augmentation d’emploi et de budget. Ainsi, 152 emplois supplémentaires seront créés en 2011.

Les amplitudes horaires sur les nouveaux plateaux de qualification biologique des dons seront étudiées dans le cadre des discussions entre la direction et les organisations syndicales, et l’expertise d’un consultant sera requise.

Enfin, les différents scénarios étudiés prévoient tous des situations dégradées qui permettent néanmoins au système de fonctionner même avec un plateau de moins en cas d’incident provoquant sa fermeture. L’EFS est aujourd’hui préparé à ce genre d’exercice ; de tels plans de sécurisation fondent l’autosuffisance en produits sanguins labiles de la France.

D’autres pays européens comparables ont déjà fait l’expérience du regroupement de tels plateaux. Aucune difficulté particulière n’est remontée de ces opérations et la disponibilité des produits est assurée sans problème.

Le plan sera mis en œuvre avec toutes les garanties nécessaires en termes de sécurité et de qualité des produits sanguins labiles.

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Madame la secrétaire d'État, vos propos ne m’ont malheureusement pas convaincu.

Cette suppression de dix laboratoires sur quatorze est un coup très rude porté à l’Établissement français du sang, alors même que notre système garantit tant le respect de l’éthique que le plus haut niveau de sécurité possible. Notre pays est en effet le seul où la collecte soit entièrement médicalisée, ce qui fait la spécificité de la France par rapport aux autres pays de l’Union européenne.

J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer devant notre assemblée différents renoncements, tels que l’acquisition par le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies d’un groupe autrichien qui collecte du plasma sanguin contre rémunération. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)

Ces renoncements préludent la fin du système transfusionnel français, qui est aujourd’hui un modèle international sur les plans éthique et sanitaire, pour le plus grand profit sans doute des multinationales qu’un tel « marché » fait rêver.

Le regroupement des laboratoires de l’EFS me semble également remettre en question les activités de recherche de l’établissement.

En effet, à côté des laboratoires de qualification biologique des dons existe sur chaque site de l’EFS un laboratoire des examens immuno-hématologiques, outil exceptionnel de dépistage et de prévention pour une série de maladies, dont la leucémie.

Trois cents chercheurs y travaillent sur la médecine transfusionnelle du futur en développant des activités d’ingénierie cellulaire et de nouvelles techniques de soins en vue d’élaborer des traitements contre le cancer du sang, le diabète ou la maladie de Parkinson.

Je le redis, il me semble irresponsable de casser un tel outil !

le thermalisme de santé

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, auteur de la question n° 996, adressée à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé.

Mme Anne-Marie Payet. Madame la secrétaire d'État, je souhaite aborder la question de l’efficacité thérapeutique des cures thermales.

Le nombre de curistes – ils ont été près de 500 000 en 2009 – diminue depuis plusieurs années.

S’il est normal que les caisses d’assurance maladie demandent depuis 2008 la preuve du service médical rendu, il est inquiétant que certains médecins, et parfois même des parlementaires, contestent régulièrement l’efficacité du thermalisme.

Le professeur Christian-François Roques, président scientifique de l’Association française pour la recherche souligne pourtant qu’il ressort de deux études abouties, l’une sur les troubles de l’anxiété généralisée, l’autre sur l’arthrose du genou, que la cure « est significativement supérieure aux médications de référence pour soulager les troubles, la douleur et améliorer les capacités fonctionnelles ».

Partagés entre un groupe curiste et un groupe témoin, 462 patients ont été enrôlés dans l’étude « Thermarthrose » ; après six mois de cure, l’état de 50 % des patients du premier groupe s’était amélioré, en termes de douleur et de fonction, soit un taux supérieur de 50 % à celui qui a été observé dans le second groupe.

Ces résultats, qui ont été publiés en septembre 2009 dans la plus importante revue de rhumatologique mondiale, confirment la réalité du service médical rendu par les cures thermales dans le traitement de l’arthrose du genou et leur supériorité par rapport à tous les autres traitements non chirurgicaux.

M. René-Pierre Signé. Et par rapport à la chirurgie ?...

Mme Anne-Marie Payet. Quant aux conclusions de l’étude « Maâthermes » sur les effets du thermalisme sur le surpoids et l’obésité, elles ont été publiées la semaine dernière.

D’autres études sont en cours sur l’insuffisance veineuse, les périarthrites de l’épaule et la bronchite chronique.

Le 1er juillet dernier, le groupe d’études sur le thermalisme et le climatisme du Sénat s’est rendu avec son président, M. Jean-Marc Juilhard, aux thermes de Jonzac, station qui a accueilli en 2009 plus de 9 606 curistes et qui a pour orientation de soins les voies respiratoires, la rhumatologie et la phlébologie.

La délégation sénatoriale s’est félicitée du dynamisme du thermalisme médical de la région Charente-Maritime, laquelle a enregistré la visite de plus de 25 000 curistes en 2009.

Mme Nathalie Goulet. Et l’Orne ?...

Mme Anne-Marie Payet. Le 25 septembre 2010, lors de la quatrième édition des Journées psychiatriques de Saujon-Royan aux thermes de Saujon, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, alors ministre de la santé, a d’ailleurs tenu à délivrer un message de soutien à tous les professionnels du secteur, message qui a été apprécié par tous.

Le Livre blanc publié en 2008 visait à donner une place d’honneur à la médecine thermale dans l’offre de soins et à aider chacun dans son parcours de santé. Il faut en effet construire le thermalisme de santé de demain : une médecine naturelle qui concourt à la prévention, à l’amélioration de la qualité de vie des maladies chroniques et au « bien vieillir ».

C’est pourquoi, madame la secrétaire d'État, je vous demande de bien vouloir me faire connaître les mesures que le Gouvernement entend prendre afin de réinstaurer la confiance de la population à l’égard des cures thermales et, plus largement, de m’informer de sa politique sur le thermalisme.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Madame Payet, la loi de financement de la sécurité sociale de décembre 2006 a fait rentrer le thermalisme dans le droit commun.

Désormais, comme pour tous les actes médicaux, le service médical rendu des soins thermaux devra être évalué par la Haute Autorité de santé ; il conditionnera le remboursement par la collectivité.

Cette réforme constitue un levier majeur pour le secteur thermal puisqu’elle permettra, si le service médical rendu des soins thermaux est reconnu, de mettre en avant la valeur ajoutée de ces soins. Un décret est en cours de préparation afin de concrétiser cette évolution qui fera de la médecine thermale une discipline reconnue et valorisée.

Parallèlement, comme vous l’indiquez, les professionnels du thermalisme se sont engagés dans une démarche visant à prouver scientifiquement le service médical rendu de leur activité.

J’ai eu connaissance de l’analyse scientifique réalisée par l’Association française pour la recherche thermale visant à évaluer le service médical rendu de la cure thermale dans le traitement de l’arthrose ainsi que dans celui du trouble anxieux généralisé.

J’attends maintenant avec intérêt les résultats des études sur les maladies veineuses et sur l’obésité.

En outre, je me réjouis que cette association cherche à démontrer le service médical rendu des cures thermales dans le traitement de maladies aussi prioritaires que le cancer du sein ou la maladie d’Alzheimer.

Je tiens par ailleurs à souligner le dynamisme des stations thermales, qui, à travers leurs actions de communication, sensibilisent les universitaires et les professionnels de santé à l’apport des cures thermales. Je pense en particulier aux stations de Saujon, que vous évoquez, madame la sénatrice, et de Royan, organisatrices de la quatrième édition des Journées psychiatriques, le 25 septembre 2010.

Afin de démontrer la valeur ajoutée de ces soins, j’encourage tant l’Association française pour la recherche thermale que les stations thermales elles-mêmes à continuer dans cette voie.

Néanmoins, et sans remettre en cause la qualité des travaux entrepris, toutes ces études ont été élaborées par les représentants de la médecine thermale. Or, à mon sens, il importe que la reconnaissance du service médical rendu des cures thermales soit, dans un souci de neutralité, également établie de manière contradictoire par les pouvoirs publics. Cette reconnaissance restaurerait pleinement la confiance de la population dans le thermalisme.

Je souhaite que les professionnels du thermalisme soient totalement associés à la réforme en cours qui vise, notamment, à évaluer le service médical rendu des actes thermaux, ce qui est de l’intérêt tout à la fois de l’assurance maladie, des patients et des établissements eux-mêmes.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d'État. Le sujet du thermalisme m’intéresse particulièrement : pour ceux qui ne le sauraient pas, je rappelle que, dans ma commune, Cilaos, se trouve la seule station thermale de l’océan Indien.

Je me réjouis des résultats très positifs des différentes études menées récemment, et notamment de ceux de l’étude publiée jeudi dernier qui est consacrée aux effets du thermalisme sur le surpoids et l’obésité.

Cette étude montre que, quatorze mois après la cure, la perte de poids constatée est un peu plus de deux fois supérieure dans le groupe des curistes par rapport au groupe témoin.

Elle fait aussi apparaître une efficacité comparable à celle des médicaments. Un nutritionniste – donc pas un professionnel du secteur – a même présenté les cures thermales comme des alternatives raisonnables pour prendre en charge le surpoids et l’obésité, de nature à éviter de nouveaux abus comme ceux qui ont été constatés avec le Mediator, antidiabétique utilisé comme coupe-faim et responsable de graves atteintes cardiaques.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

dangers de l'aluminium dans l'alimentation

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, auteur de la question n° 1091, adressée à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé.

Mme Nathalie Goulet. Je souhaiterais attirer votre attention, madame la secrétaire d'État, sur les dangers de l’aluminium pour la santé publique.

Encore un produit dangereux, encore une alerte, encore un principe de précaution, me direz-vous, mais j’ai le souvenir de notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt attirant, ici même, notre attention sur les méfaits du sel dans l’alimentation : il a fallu une quinzaine d’années pour qu’il soit entendu…

Omniprésent dans notre vie quotidienne, l’aluminium est l’un des métaux lourds les plus dangereux pour notre santé. On le retrouve pourtant dans beaucoup d’aliments et dans bien d’autres produits de consommation courante. Il en va ainsi notamment de ces produits que l’on cuit en papillote.

Or plusieurs études laissent penser que certaines maladies seraient favorisées par l’ingestion chronique de petites doses d’aluminium.

Dès 2003, l’Institut de veille sanitaire publiait un rapport spécifiant que « de nombreuses études montrent que l’aluminium peut être toxique pour les plantes, les animaux et l’homme ».

L’aluminium présente aussi une neurotoxicité pouvant entraîner la maladie d’Alzheimer ainsi que d’autres maladies neurodégénératives, comme la maladie de Parkinson.

La principale voie d’exposition à l’aluminium pour la population générale est celle de l’alimentation. Selon l’Autorité européenne de sécurité des aliments, certains consommateurs peuvent en absorber 2,3 milligrammes par kilogramme par semaine, soit plus de deux fois la dose tolérable par l’être humain !

En plus de sa concentration à des taux variables dans les denrées alimentaires, l’aluminium est présent sous forme d’alliages avec différents métaux dans les appareils de consommation, les conditionnements de denrées alimentaires et les ustensiles de cuisine.

Il existe également une contamination des aliments par contact.

Officiellement, les poêles en aluminium recouvertes de polytétrafluoroéthylène, comme celles de la marque Teflon, seraient inoffensives. Cependant, ces poêles, qui résistent à une température de 260°degrés, peuvent se dégrader et laisser ensuite des vapeurs toxiques se dégager.

En Finlande, les fabricants d’ustensiles de cuisine ont d’ailleurs l’obligation de mentionner les risques encourus pour la santé du fait de l’utilisation des casseroles et poêles en aluminium.

Certes, après quarante ans d’études menées sur le sujet, la controverse scientifique sur la toxicité de l’aluminium se poursuit, mais ne conviendrait-il pas, madame la secrétaire d'État, d’informer plus précisément les consommateurs sur les dangers de l’aluminium dans l’alimentation, en particulier du fait des contaminations par contact ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Madame Goulet, vous interrogez le Gouvernement sur les dangers de l’aluminium pour la santé publique.

En effet, l’aluminium est très largement présent dans notre vie quotidienne. Il est notamment utilisé par l’industrie agroalimentaire pour la production, la conservation en tant qu’additif et pour l’emballage des denrées dans les barquettes et les boîtes.

À l’échelon européen, l’aluminium n’est actuellement pas couvert par une législation.

Dans un avis du 22 mai 2008, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, indique que, dans les conditions normales et habituelles d’utilisation, la contribution de la migration à partir de matériaux en contact avec les aliments ne représente qu’une faible fraction de l’apport alimentaire total.

Toutefois, l’AESA fait remarquer qu’en présence d’acides et de sels, l’utilisation de récipients, de plateaux en aluminium ou de papier d’aluminium ménager pour les plats cuisinés et de restauration rapide peut accroître modérément les concentrations en aluminium de certains aliments.

L’AESA confirme par ailleurs que la dose hebdomadaire tolérable provisoire, la DHTP, est de un milligramme par kilogramme de poids corporel par semaine, soit en moyenne 8,5 milligrammes par jour pour un adulte.

En France, l’arrêté national datant du 27 août 1987 relatif aux matériaux et objets en aluminium ou en alliages d’aluminium au contact des denrées alimentaires, produits et boissons alimentaires, définit les critères de pureté pour l’aluminium utilisé pour la fabrication des matériaux et objets en aluminium ou alliages d’aluminium destinés au contact des denrées.

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, a élaboré des fiches documentaires sur l’aluminium, à l’adresse des industriels et destinées à préciser les modalités de vérification de l’aptitude des matériaux au contact alimentaire.

Une évaluation des risques sanitaires liés à l’exposition de la population française à l’aluminium a été réalisée en 2003 par plusieurs agences sanitaires françaises, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l’AFSSA, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l’AFSSAPS, et l’Institut de veille sanitaire, l’INVS.

Cette évaluation des risques sanitaires a notamment porté sur un examen de l’ensemble des études épidémiologiques et toxicologiques disponibles sur le sujet en fonction des différentes sources d’exposition pour l’homme, et sur une analyse de la qualité des preuves disponibles.

Les résultats de ce travail ont permis de préciser les niveaux d’apport pour certaines catégories de populations à risques, ainsi que les différentes spéciations dans les denrées qui conditionnent la biodisponibilité de l’aluminium.

Ce travail a aussi permis d’établir des recommandations dans le but d’améliorer l’état des connaissances. Il a montré qu’en l’état actuel des connaissances une relation causale entre l’aluminium et la maladie d’Alzheimer ne peut être raisonnablement envisagée.

Dans son rapport du 15 juillet 2008 relatif à l’actualisation de l’exposition par voie alimentaire de la population française à l’aluminium, l’AFSSA estime que l’ingestion d’aliments constitue 95 % des apports quotidiens d’aluminium. La teneur en aluminium des produits frais d’origine végétale ou animale est le reflet de la présence naturelle de cet élément dans l’environnement.

Cette présence naturelle se situe le plus souvent dans une gamme de un à dix milligrammes par kilogramme de matière humide brute. Pour d’autres denrées, comme les produits en conserve ou transformés, l’aluminium mesuré peut provenir d’un ajout d’additifs alimentaires ou de la migration à partir des emballages.

L’examen des données d’exposition française à l’aluminium par l’alimentation, au regard de la DHTP, montre que les risques de surexposition possibles sont faibles. En effet, l’apport total estimé, toutes catégories d’aliment confondues, reste inférieur à la DHTP, aussi bien en moyenne qu’au 97,5 percentile, quelles que soient les catégories de la population concernée, y compris les nourrissons.

Sur ces bases et en l’état actuel des connaissances, madame le sénateur, il n’apparaît pas nécessaire de renforcer la réglementation relative à l’aluminium dans l’alimentation.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de votre réponse. Ces problèmes de sécurité alimentaire vont croissant et inquiètent, ce qui est normal, outre les consommateurs vigilants, l’ensemble de la population. À cela s’ajoutent les problèmes de pollution et tout ce qui interfère avec la santé.

Ce débat est important, d’autant que la mission « Sécurité sanitaire » a évolué. Elle regroupe désormais la sécurité sanitaire des animaux et de l’alimentation, alors que l’on aurait pu imaginer que ces domaines seraient maintenus séparés, comme par le passé.

Nous serons vigilants sur ces questions. La migration des emballages ne m’a pas totalement rassurée…

désertification médicale dans les zones rurales

M. le président. La parole est à M. André Trillard, auteur de la question n° 1144, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé.

M. André Trillard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la désertification médicale, principale faiblesse de notre système de santé, a fait l’objet, la semaine dernière, d’un débat très riche auquel je regrette de n’avoir pu participer.

Vous me permettrez de revenir sur un aspect du dossier.

Les chiffres sont connus, je rappellerai simplement que le nombre de médecins en France devrait encore chuter d’ici à 2019, alors que la population augmentera de 10 %.

Maisons de santé pluridisciplinaires, bourses aux étudiants s’engageant à exercer en zone rurale, augmentation du numerus clausus, reconnaissance de la médecine générale comme spécialité, telles sont, parmi beaucoup d’autres, les mesures, souvent innovantes, mises en place par l’État et les collectivités depuis des années.

Si je souscris au parti pris de l’incitation, je crains toutefois que certaines des mesures prises en ce sens ne soient incomplètes pour répondre au défi du vieillissement de la population et du maintien à domicile, souhaitable, des personnes âgées.

C’est un véritable plan ORSEC qu’il faut mettre en œuvre, sous peine de voir se généraliser des situations parfois dangereuses, que nous connaissons déjà dans certains cantons de Loire-Atlantique.

Et que dire de ces maires appelés le week-end sur les lieux de morts violentes ou de suicides, qui ne trouvent aucun médecin pour signer le certificat de décès, puisque cela ne relève pas du 15, c’est-à-dire du SAMU !

Élu de terrain d’un département bien doté mais très déséquilibré, puisque l’essentiel du corps médical se concentre à Nantes, au détriment de quatre zones déficitaires, je m’interroge sur le bien-fondé des seules incitations financières. L’argent n’est pas tout !

Bien des généralistes gagnent mieux leur vie en milieu rural qu’en milieu urbain, eu égard à leur charge de travail considérable.

M. André Trillard. Il est surtout nécessaire de compléter la « carotte » financière par des contreparties en termes d’environnement de travail, d’accueil familial et de qualité de vie.

Au Canada, les jeunes médecins se voient proposer une prime au départ, mais aussi un emploi pour leur conjoint et une maison, en échange de cinq années d’exercice dans une région isolée ou difficile. Ce sont autant de ferments d’enracinement.

Confrontée au même problème pour ses assistantes sociales dans les années soixante, la Mutualité sociale agricole, a réagi en proposant aux candidates issues des zones rurales des bourses couvrant la totalité de leur hébergement en ville et en prenant en compte leurs études pour le décompte des retraites, le montant de la bourse servant de salaire. Et cela a fonctionné !

Pourquoi ne pas mettre en place un système de bourses plus ambitieux, destiné à inciter les bacheliers issus des territoires concernés, qui n’envisagent, pour des raisons financières, qu’une formation bac +2, à choisir la belle profession de médecin ?

Je connais des jeunes qui, s’ils avaient la chance d’être aidés à réaliser un tel rêve, ne quitteraient pas pour un empire leur canton rural une fois devenus médecins !

Ces mesures inspirées de la réalité du terrain, tout comme celles qui sont proposées par Mme Élisabeth Hubert dans son rapport sur la médecine de proximité, sont autant de pistes à explorer.

J’aimerais connaître votre avis, madame la secrétaire d’État, ainsi que les intentions du Gouvernement pour désamorcer ce qui pourrait devenir une véritable bombe à retardement.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Monsieur Trillard, la préoccupation du Gouvernement de garantir à tous l’accès aux soins s’est traduite par l’élaboration progressive d’un certain nombre de dispositifs, de diverses natures, notamment des incitations financières, vous l’avez rappelé, mais aussi un assouplissement des modalités de l’exercice médical.

La loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, qui place l’accessibilité des soins au premier rang de ses priorités, complète ces dispositifs.

Il est vrai, monsieur le sénateur, que nous avons privilégié les mesures incitatives, le ministère ayant réaffirmé sa confiance dans les professionnels médicaux pour faire face à leurs responsabilités et répondre aux enjeux de santé publique. Il convient aujourd’hui de poursuivre les efforts déjà entrepris.

Parmi ces mesures, la loi HPST prévoit notamment en son article 46 un contrat d’engagement de service public, ou CESP, à destination des étudiants et des internes. Les bénéficiaires se verront verser une allocation mensuelle de 1 200 euros jusqu’à la fin de leurs études, en contrepartie d’un engagement d’exercice dans des lieux spécifiques où la continuité des soins fait défaut. Cela fait écho à ce qui a été engagé dans le cadre de la MSA, comme vous l’avez rappelé.

M. Jean-Luc Fichet. Cela ne marche pas !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. La durée de leur engagement est égale à celle qui correspond au versement de l’allocation et ne peut être inférieure à deux ans. À ce jour, 200 étudiants et internes ont été sélectionnés.

En outre, des efforts ont déjà été entrepris pour rendre la médecine générale de premier recours plus attractive et pour sensibiliser les étudiants en médecine à cet exercice, notamment en zone rurale. La loi HPST a défini en son article 36 les missions du médecin généraliste de premier recours.

Par ailleurs, depuis 2008, le Gouvernement encourage la structuration de la filière universitaire de médecine générale et la généralisation du stage de médecine générale chez le praticien libéral en deuxième cycle et au cours de l’internat de médecine générale.

Les actions directes sur le numerus clausus, qui a été doublé au cours des dix dernières années, sur les épreuves classantes nationales, qui permettent de répartir au mieux les postes d’interne selon les régions et les spécialités, sur le post-internat, ainsi que la montée en charge du CESP devraient permettre un rééquilibrage des médecins entre les régions tout en veillant à garantir une offre de soins adaptée aux besoins de soins des territoires.

À ce titre, deux réflexions sont actuellement menées. La première porte sur l’opportunité de modifier le numerus clausus, sachant que toute modification, quel qu’en soit le sens, n’a d’effets sur la densité médicale qu’à un horizon de dix à quinze ans, eu égard à la durée des études de médecine.

La seconde réflexion porte sur l’opportunité de réformer le dispositif actuel du post-internat, afin qu’il puisse mieux répondre aux besoins de formation et de soins présents et à venir.

La promotion de l’exercice regroupé des professionnels de santé, notamment en maisons de santé pluridisciplinaires, répond au souhait des professionnels d’un cadre d’exercice rénové, qui optimise le temps médical et évite l’isolement. Il s’agit d’un cadre d’exercice plus attractif pour les jeunes professionnels et qui contribue ainsi à pérenniser l’offre de santé sur le territoire.

Le regroupement des professionnels participe à la réponse aux besoins de santé de la population et à l’amélioration de la qualité des soins – parcours des patients, continuité des soins et qualité des prises en charge. Un statut juridique spécifique de société interprofessionnelle ambulatoire sera rapidement mis en place pour faciliter le déploiement des maisons de santé pluridisciplinaires.

L’amélioration des conditions d’exercice des professionnels passe aussi par la simplification administrative, pour optimiser le temps médical.

J’attache la plus grande importance à ce que les problèmes que vous évoquez soient pris en compte dans la définition des priorités régionales.

Dans les territoires, les agences régionales de santé ont pour mission de construire, en concertation avec les représentants des collectivités territoriales, les professionnels de santé concernés, y compris les étudiants et les internes, ainsi que les usagers, la stratégie d’organisation des soins ambulatoires, de dégager des axes d’amélioration et d’apporter un soutien aux professionnels de santé porteurs de projets en ce sens.

Vous l’aurez compris, monsieur le sénateur, le Gouvernement partage pleinement les préoccupations qui sont les vôtres et entend faire le nécessaire pour garantir l’accès aux soins de tous, sur l’ensemble des territoires.

M. le président. La parole est à M. André Trillard.

M. André Trillard. Madame la secrétaire d’État, je ne suis pas totalement convaincu.

Le premier problème n’est pas de nature médicale : c’est, dans notre société, celui de l’accès de tous les jeunes à niveau égal au même type d’études. (M. Jean-Luc Fichet acquiesce.)

Dans mon propre canton, les jeunes qui passent le baccalauréat sont presque tous bacheliers, le taux de réussite se situant en effet entre 90 % ou 91 %. Cependant, mis à part ceux qui sont issus des familles un peu aisées, aucun de ces bacheliers, qui ont tous les moyens intellectuels de poursuivre de brillantes études supérieures, n’ira au-delà de bac +2 !

Si vous ne cherchez pas la solution du problème dans une promotion des études à durée longue dans les milieux ruraux, vous ne parviendrez à aucun résultat. En tant que vétérinaire, j’ajouterai que, pour la médecine vétérinaire, vous rencontrerez le même problème.

M. René-Pierre Signé. Il n’y a plus que des Belges !

M. André Trillard. C’est exact, l’école vétérinaire de mon département, la Loire-Atlantique, compte douze étudiants belges !

Il n’est pas normal de faire croire que nous sommes égaux devant les études longues. Des familles doivent payer des chambres dès la première année d’études supérieures ; dans d’autres familles, les parents récupèrent leur progéniture tous les soirs et ces étudiants retrouvent la chambre dans laquelle ils ont toujours vécu. Les choses sont différentes !

Imaginez une famille, non pas même de smicards ou de bénéficiaires de minima sociaux, mais d’agents de maîtrise avec deux salaires, qui aurait trois loyers à payer en même temps, dans des villes aussi diverses que Toulouse, Paris et La Roche-sur-Yon…

J’ai connu cette situation pendant un an. C’est déjà très difficile quand on a un certain niveau de revenus, mais, quand on a des revenus moyens, c’est mission impossible !

C’est là que se trouve la solution d’avenir ! En augmentant le niveau d’études de nos jeunes en milieux ruraux, quelle que soit la profession, de bac +2 à bac +3, bac +4 ou bac +5, on parviendra à des résultats !

Peut-être faut-il adapter les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, les CROUS, pour qu’ils ne soient pas uniquement des outils de nomadisme estudiantin ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Luc Fichet. Très bien !

recrutement des médecins généralistes

M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé, auteur de la question n° 1011, adressée à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé.

M. René-Pierre Signé. Madame la secrétaire d'État, je souscris tout à fait aux propos qui viennent d’être tenus et qui rendent ma question presque superfétatoire.

La pénurie de médecins généralistes, spécifiquement dans les zones rurales, pose un véritable problème. Elle a des conséquences dramatiques en termes de déclin rural. Pour y remédier, la solution la plus souvent utilisée actuellement, ainsi que la plus rapide à mettre en œuvre, à défaut d’être la plus satisfaisante, consiste à aller chercher des médecins dans les pays d’Europe de l’Est, en particulier en Roumanie. Les offres incitatives de soi-disant chasseurs de tête encouragent ces praticiens à venir en France, si bien qu’ils sont nombreux à le faire.

Bien entendu, il ne s'agit pas de mettre en cause la nationalité de ces médecins, qui est tout à fait respectable : loin de moi toute xénophobie, mais leur qualification est tout de même incomplète. Force est de le constater, la formation de ces médecins est bien moins poussée qu’en France et ils arrivent sans préparation d’accompagnement ni assistance à l’installation. En outre, la barrière linguistique constitue un obstacle sérieux à l’exercice du métier.

Le Gouvernement doit prendre conscience de ce problème de santé grave, aux lourdes répercussions locales. Il faut envisager une réorganisation de notre système de santé, comme M. Trillard l’a proposé, en réglementant les installations des médecins comme on l’a fait pour les pharmaciens, afin qu’ils ne s’entassent pas tous dans les villes du Midi, voire en revenant sur le principe du paiement à l’acte. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

En Europe, le paiement à l’acte n’existe plus qu’en France. Or il incite les gens à aller consulter et multiplie les examens superflus. En outre, il faut relever beaucoup le numerus clausus. Vous affirmez, madame la secrétaire d'État, qu’il faudrait de dix à quinze ans pour qu’une telle mesure produise ses effets, ce qui est exact, mais il faut bien commencer un jour ! Or ce n’est pas ce que nous faisons aujourd'hui, bien au contraire.

Dans une faculté comme celle de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 2 500 étudiants sont inscrits en première année et 300 seront reçus. Les jeunes concernés sont titulaires de bacs S avec mention ; ils ont suivi les filières royales du secondaire, comme celle des lycées européens. Ne nous faites donc pas croire, madame la secrétaire d'État, que 2 200 d’entre eux sont incapables de devenir médecins !

Ces jeunes, chassés de la médecine, sont même parfois dégoûtés des études en général, tant ils se sentent victimes d’une injustice : ils ont travaillé, ils ont obtenu de bons résultats dans le secondaire et ils se font rejeter des études supérieures médicales parce que le concours y est fondé essentiellement sur les mathématiques et la physique !

Les compétences exigées n’ont rien à voir avec l’exercice de la médecine. Pour ma part, quand je devais parcourir douze kilomètres dans la neige pour aller mettre une mèche à un grand-père qui saignait du nez on ne me demandait pas si j’avais fait des études de mathématiques !

C’est là qu’est le problème : les gens ne se rendent pas compte de ce qu’est la médecine de campagne. Celle-ci n’exige pas forcément des connaissances extrêmement approfondies dans ces disciplines-là.

Il faudrait donc, madame la secrétaire d'État, que l’organisation du système sanitaire français soit revue et corrigée.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Monsieur le sénateur, prenant en compte les évolutions inéluctables de la démographie médicale, les ministres chargés de l’enseignement supérieur et de la santé ont progressivement augmenté depuis 2000 le numerus clausus des études médicales. Celui-ci, qui concernait 3 850 étudiants en 2000, est passé en 2009 à 7 400, ce dernier chiffre ayant été confirmé depuis lors.

Parallèlement, depuis l’année universitaire 2007-2008, le nombre de places offertes aux épreuves classantes nationales en médecine générale représente plus de la moitié des postes ouverts ; il en constituait 53 % en 2010-2011.

À l’occasion des journées de réflexion sur le numerus clausus organisées en novembre et décembre 2010, il a été souligné que le niveau de ce numerus clausus ne pouvait être modifié par à-coups sans que cela entraîne des conséquences importantes, en particulier sur la qualité de la formation. Par ailleurs, les effets d’une modification du numerus clausus ne commencent à se faire sentir sur la démographie elle-même qu’au bout de quinze ou vingt ans, même si, je sais, monsieur le sénateur, que pour vous l’essentiel est de commencer.

M. René-Pierre Signé. Les changements seraient perceptibles rapidement.

M. Jean-Luc Fichet. Tout à l'heure, vous évoquiez un effet au bout de dix ans !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Tout dépend des études dans lesquelles s’engage l’étudiant : elles peuvent durer de dix à vingt ans.

Le numerus clausus ne peut donc résoudre à lui seul les problèmes démographiques ou de répartition qui se posent à court terme. C’est pourquoi le Gouvernement a mis en œuvre un éventail de mesures permettant d’orienter les flux de formation des médecins, tant pour la répartition géographique que pour la répartition par spécialité.

Rappelons que la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires prévoit la détermination du nombre d’internes à former par spécialité et par subdivision territoriale pour une période de cinq ans. Ces quotas sont établis en fonction des besoins de soins, au vu des propositions de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé, l’ONDPS.

Ainsi, il est désormais possible d’ajuster la proposition de postes d’interne au plus près des besoins de prise en charge spécialisée.

Enfin, la mise en place de la filière universitaire de médecine générale marque la volonté forte du Gouvernement en la matière. Nos efforts continuent de porter sur l’orientation des étudiants et internes vers la médecine générale et sur la valorisation de la filière universitaire de médecine générale.

La généralisation du stage de deuxième cycle de médecine générale permettra à chaque étudiant de découvrir cette spécialité pour, éventuellement, s’orienter dans cette voie ultérieurement. Il est également prévu d’offrir aux futurs internes, pour la période 2010-2014, plus de la moitié des postes en médecine générale, afin de favoriser des vocations dans cette spécialité.

Par ailleurs, la loi HPST prévoit en son article 47 la montée en charge concrète de la filière universitaire de médecine générale, en programmant chaque année, pendant quatre ans, la nomination de vingt professeurs, trente maîtres de conférences et cinquante chefs de clinique des universités de médecine générale.

Voilà, monsieur le sénateur, les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance.

M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.

M. René-Pierre Signé. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse.

On s’est préoccupé bien tardivement de la formation des praticiens qui sont, si j’ose dire, des spécialistes de la médecine générale.

Vous le savez, les étudiants reçus au concours sont si peu nombreux qu’ils se dirigent tous vers les disciplines nobles de la médecine, comme la neurochirurgie ou la chirurgie cardio-vasculaire. En revanche, ils répugnent à travailler dans les zones rurales. C’est d’autant plus vrai que la profession est désormais très féminisée : les jeunes filles n’aiment pas beaucoup vivre à la campagne, et on peut les comprendre.

Ceux qui souhaitent encore s’installer dans les zones rurales sont donc extrêmement rares. C’était le cas a fortiori quand il n’existait pas de formation spécifique pour la médecine générale. On commence à remédier au problème, et il était temps.

De même, il est nécessaire que soient passés entre des étudiants et l’État ou les collectivités locales des contrats – vous les avez évoqués, madame la secrétaire d'État – grâce auxquels des médecins s’installeront peut-être dans quelques années à la campagne. Toutefois, on ne doit pas se contenter de mesures incitatives : il faut des mesures contraignantes !

Madame la secrétaire d'État, un pharmacien peut-il s’établir n’importe où ? Non ! Ce n’est pas possible, car l’ouverture des pharmacies est régulée par la loi. Un médecin peut-il s’installer partout ? Oui ! Peut-on être remboursé dix fois si l’on voit dix médecins dans la journée ? Oui ! Est-ce tolérable ? Comment voulez-vous que la sécurité sociale ne soit pas en déficit !

En outre, il faut mettre fin au paiement à l’acte. Les patients doivent être abonnés à un centre médical. Ceux qui ne sont pas malades, et c’est tant mieux pour eux, contribueront pour ceux qui le sont et allégeront d’autant la tâche des médecins.

Il ne s'agit là que de l’une des solutions envisageables ; plusieurs autres sont possibles, mais il ne faut pas se limiter, comme on le fait aujourd’hui, à quelques mesures incitatives.

On vient, à juste titre d'ailleurs, d’ouvrir un peu la filière de médecine générale, mais ce ne sera pas suffisant. Le numerus clausus permet à 4 000 étudiants de devenir médecins. Or il en faudrait 10 000, quitte à réduire ce nombre dans quelques années, quand l’effectif sera satisfaisant.

Il faut agir, sinon il n'y aura plus personne dans les campagnes. Aujourd'hui, je vous le garantis, madame la secrétaire d'État, ce sont les pompiers qui soignent les gens et qui les transportent à l’hôpital, car il n'y a plus de médecins !

haut débit

M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu, auteur de la question n° 1143, adressée à M. le ministre auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique.

Mme Josette Durrieu. Monsieur le ministre, je vous remercie d’être présent pour me répondre.

Le haut et le très haut débit constituent, à l’évidence, des enjeux essentiels pour certains territoires, notamment ruraux.

L’espace rural – il est toujours utile de le rappeler – représente 70 % du territoire, plus de 14 millions d’habitants - ce n’est pas rien -, 4 millions de foyers et plus de 40 % de l’industrie française, ce point est important. Le département des Hautes-Pyrénées que je représente et dont je préside le conseil général est au cœur de cet espace. Nous refusons toutes les fatalités qui le menacent.

Le département des Hautes-Pyrénées a lancé un grand chantier, qui sera achevé en décembre 2011, donc cette année. Ce projet est objectivement cohérent et ambitieux. Nous avons d'ailleurs reçu en décembre 2010, monsieur le ministre, le prix national des partenariats public-privé, au titre de l’aménagement du territoire.

Nous avons prévu d’alimenter les 122 500 foyers des Hautes-Pyrénées à hauteur de 91,4 % par le système filaire – fibre optique, pour 360 kilomètres, et fil de cuivre –, ce qui constitue un choix ambitieux, à hauteur de 7,3 % par le réseau hertzien – notamment avec le Wimax – et seulement à hauteur de 1,3 % par le satellite.

J'ajoute que nous avons pris auprès des populations un grand engagement : fournir 2 mégabits à tous les usagers et jusqu’à 100 mégabits dans 126 points déterminés et 26 zones économiques.

Le coût global de ce projet, en 2010, est de 29 millions d'euros.

Or, monsieur le ministre, se pose le problème du financement de ce projet. Nous avons même toutes les raisons de craindre que nous ne recevrons pas un euro.

Il semble que 750 millions d’euros aient été débloqués au titre du grand emprunt – guichet B – pour amorcer le processus. Toutefois, ils ne suffiront pas. En effet, nous le savons, ces crédits sont fléchés vers des projets de desserte de l’usager. Or la réalisation des réseaux de collecte est le préalable indispensable à la mise en place d’une telle desserte. C’est par la collecte qu’il faut commencer, et nous nous sommes attelés à cette tâche.

Par ailleurs, un complément de 250 millions d'euros est prévu - guichet C - pour soutenir les investissements qui privilégieraient des solutions alternatives par rapport à la fibre optique. Pourquoi ? Et lesquelles ?

Je poserai trois questions très précises.

Premièrement, dans quelle proportion et sous quelle forme – subvention ou prêt – l’État entend-il prendre en charge la dépense pour la collecte ?

Deuxièmement, la création et le fibrage de NRAZO et l’installation de pylônes Wimax seront-ils éligibles au titre du guichet C, en tant que solutions alternatives par rapport à la fibre optique ?

Troisièmement, enfin, l’État interviendra-t-il dans les projets d’infrastructures précurseurs, c'est-à-dire qui ont déjà été engagés, au-delà du Fonds d’aménagement numérique du territoire, le FANT, fonds dont vous me parlerez probablement, monsieur le ministre ?

Dans la mesure où nous n’avons pas été éligibles au FEADER, le Fonds européen agricole pour le développement rural, et où nous ne sommes pas éligibles au FNADT, le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire, un financement de l’État au titre de la section nationale du FNADT est-il possible pour les projets bénéficiant d’une subvention du FEDER, le Fonds européen de développement régional, que nous n’avons pas encore obtenu, d'ailleurs ?

Par ailleurs, je voudrais évoquer ce que j’appellerai un incident de parcours, un problème rencontré à l’occasion du déploiement du haut débit dans le département des Hautes-Pyrénées.

L’entreprise dédiée à ce chantier, Hautes-Pyrénées Numérique, avait prévu de déployer 50 kilomètres de fibre optique existant sur le réseau aérien haute tension du syndicat départemental d’électricité ; dans cette perspective, elle avait fait appel à ERDF, Électricité réseau distribution France. Or, d’après les calculs permis par la nouvelle version du logiciel CAMELIA d’ERDF, pour supporter un tel poids supplémentaire, tous les pylônes devront être renforcés à 50 %, ces travaux supplémentaires devant naturellement être mis à la charge de l’entreprise, autrement dit du demandeur. Un tel surcoût ôte évidemment à l’opération tout intérêt.

Monsieur le ministre, nous devons prendre acte du fait que l’application de la loi Pintat rencontre au quotidien de nombreux problèmes. Une augmentation du coût du renforcement des supports de 50 % n’aurait pas de sens ; une hausse de 10 % en aurait un. Que pouvons-nous faire, dans ces conditions ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Besson, ministre auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. Madame la sénatrice, il est effectivement nécessaire de prévenir l’apparition d’une fracture numérique dans le très haut débit.

Le programme national « très haut débit », présenté le 14 juin 2010, a ainsi pour objectif l’accès de tous les foyers à un service très haut débit grâce à la technologie la mieux adaptée à leur territoire. Il vise, notamment, à créer un effet de levier sur l’investissement privé et à soutenir, par un cofinancement de l’État, les projets portés par les collectivités locales : c’est ce que l’on a appelé le « volet B ».

Comme vous l’avez souligné, 2 milliards d’euros des investissements d’avenir sont affectés au déploiement du très haut débit. Le volet B bénéficiera de 750 millions d’euros. L’État pourrait ainsi prendre en charge jusqu’à 33 % du montant total de la participation financière publique aux projets, sous forme de subventions directement versées aux collectivités qui assurent la maîtrise d’ouvrage.

Pour être éligibles au soutien de l’État, les projets déjà engagés devraient, en tout état de cause, s’inscrire dans une démarche concertée et, notamment, être envisagés dans les schémas directeurs et s’inscrire en cohérence avec les intentions de déploiement des opérateurs privés, pour créer l’effet de levier que j’évoquais voilà un instant.

Les soutiens porteront principalement sur les réseaux d’accès, car ceux-ci ont vocation à être mutualisés. Des réseaux de collecte pourraient aussi, éventuellement, être soutenus au cas par cas, en l’absence d’une offre de collecte suffisante par des opérateurs de gros, notamment pour desservir des sites d’émission de réseaux mobiles ou dans le cadre de projets de montée en débit par la modernisation du réseau téléphonique.

Enfin, faciliter le déploiement des réseaux de communications électroniques en aérien était l’un des objectifs du plan France numérique 2012.

ERDF a mis en évidence, après l’introduction d’une nouvelle version de son logiciel de gestion de son réseau, l’impossibilité pour les appuis aériens de supporter l’ajout de fibres optiques. ERDF est en train d’analyser les hypothèses introduites dans ce logiciel au début de 2010, qui ont conduit aux résultats que vous mentionnez.

Par ailleurs, un groupe de travail réunissant les acteurs des secteurs de l’électricité et des télécommunications, piloté par le Centre d’études techniques de l’équipement de l’Ouest, cherche également des solutions à ce problème.

Il convient d’attendre les résultats de ces travaux pour en tirer d’éventuelles conclusions quant aux conditions d’utilisation des appuis du réseau d’ERDF pour le déploiement de la fibre optique.

Je tiens donc à vous rassurer, madame la sénatrice : d’une part, le programme national « très haut débit » avec ses aides au déploiement et, d’autre part, les travaux de mes services sur l’usage du réseau d’ERDF vont nous aider à effectuer le déploiement dans votre territoire.

M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.

Mme Josette Durrieu. Je veux remercier M. le ministre qui, sur certains points, m’a rassurée et, sur d’autres, a traduit un engagement de l’État à accompagner localement ce projet. Tant mieux !

À l’évidence, nous ne pouvons qu’adhérer à l’inscription des projets dans les schémas directeurs. Autre élément positif, j’ai cru comprendre, monsieur le ministre, que vous apprécieriez la nature des dossiers au cas par cas, en fonction sans doute du contexte.

Cependant, le projet sur notre territoire est déjà engagé et devrait être achevé dans un an, c'est-à-dire avant la mise en place de vos mesures. Je ne voudrais pas que le fait d’avoir su les anticiper puisse donner lieu à des sanctions financières. Je serai rassurée quand vous m’aurez dit que ce programme engagé sera pris en compte en l’état et au moment où il sera terminé.

En outre, nous avons prévu tout un volet évolutif essentiel pour les vingt ans à venir. Il doit être également pris en considération, car la fin du chantier ne signifie pas que l’évolution est achevée. C’est là une spécificité qui vient s’ajouter à notre cas particulier.

Enfin, nous avons engagé de nombreuses politiques « d’usage ». Il a été question tout à l'heure des stations thermales. J’aborderai plus largement l’ensemble de l’espace rural des Hautes-Pyrénées dédié au tourisme. Cet espace, qui comprend douze stations thermales et quatorze stations de ski, n’a plus d’avenir s’il n’est pas doté d’un équipement numérique intégral, c'est-à-dire couvrant très loin et très haut !

financement d'une partie de la suppression de la taxe professionnelle par le contribuable ou la collectivité

M. le président. La parole est à M. Bernard Piras, auteur de la question n° 1084, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.

M. Bernard Piras. Madame la ministre, je souhaitais en effet attirer l’attention de M. le ministre sur le financement d’une partie de la suppression de la taxe professionnelle.

Au regard des règles actuelles, ce financement sera assuré soit directement par le contribuable, soit par les collectivités, qui verront leurs recettes diminuer.

En effet, la difficulté provient du mode de calcul du montant de la taxe d’habitation, censé attribuer aux communes la part autrefois perçue par les départements.

En fait, cela ne s’est pas traduit par un simple transfert de produit. Ce sont les taux départementaux qui ont été réaffectés aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, ce taux étant appliqué aux bases communales et intercommunales.

Ainsi, n’ont pas été pris en compte deux autres éléments qui conditionnent le montant de la taxe d’habitation : les abattements, d’une part, et les valeurs locatives moyennes, d’autre part. Or les départements appliquaient la plupart du temps une politique d’abattement plus importante que les communes. En outre, leurs valeurs locatives moyennes sont de 30 % à 50 % supérieures à celles des communes.

Il en résulte que les élus sont confrontés à un épineux problème : soit garantir leur ressource fiscale à l’euro près en ne maintenant le statu quo qu’au prix d’une hausse scandaleuse sur les avis d’imposition des contribuables, soit atténuer cette hausse en mettant en place une politique d’abattement, avec pour effet une baisse sensible de leurs recettes fiscales.

En réalité, le financement d’une partie de la suppression de la taxe professionnelle est assuré soit par le contribuable, soit par la collectivité, alors même que cette réforme devait être neutre tant pour le contribuable que pour la collectivité.

Je vous demande donc, madame la ministre, de m’indiquer les mesures que vous entendez prendre pour remédier au non-respect des engagements du Gouvernement, qui se traduit par une nouvelle injustice.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de Brice Hortefeux et de Philippe Richert, qui ont été retenus ce matin et m’ont demandé de vous faire part de leurs réponses.

Monsieur le sénateur, permettez-moi de vous rappeler que, dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle, le produit de la part départementale de la taxe d’habitation est transféré au bloc communal depuis le 1er janvier de cette année. Corrélativement, les abattements déterminés jusqu’à présent par les départements ne trouvent plus à s’appliquer : ils sont dorénavant remplacés par ceux qui sont décidés par la commune ou par l’intercommunalité.

Or, au cours de l’été dernier, de nombreux élus ont exposé des cas particuliers pour lesquels un ajustement de la politique d’abattements mise en œuvre à l’échelon communal se révélait nécessaire.

Comme il s’y est toujours engagé, le Gouvernement a souhaité que la réforme soit neutre, tant pour les collectivités que pour les citoyens.

C’est pourquoi il a déposé un amendement dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2011, qui vise à neutraliser les effets sur les contribuables du transfert de la part départementale de la taxe d’habitation.

Simultanément, les variations de produit fiscal qui en résultent pour la commune ou le groupement sont annulées par un ajustement de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle et du Fonds national de garantie individuelle des ressources.

Ainsi, à politique d’abattement inchangée, aucune variation de l’imposition mise en recouvrement ni des recettes fiscales des communes et intercommunalités n’est constatée.

Cette disposition préserve donc à la fois la garantie individuelle des ressources de toutes les communes et intercommunalités et la neutralité de la réforme pour les ménages, conformément aux engagements constants du Gouvernement.

Par ailleurs, d’autres dispositions ont été assouplies. Ainsi, les communes et intercommunalités ont été autorisées à revenir sur leurs délibérations relatives aux abattements à la taxe d’habitation pour 2011, et ce jusqu’au 1er décembre 2010.

De même, les conditions dans lesquelles les abattements peuvent être décidés ont été assouplies : il est désormais possible de faire varier de 1 % à 15 % les paliers existants de 5 %, 10 % ou 15 %.

Vous le constatez, monsieur le sénateur, le Gouvernement s’est ainsi assuré de la bonne mise en œuvre de la réforme de la taxe professionnelle. Je le répète, il a particulièrement veillé à sa neutralité, tant pour les ménages que pour les collectivités territoriales

M. le président. La parole est à M. Bernard Piras.

M. Bernard Piras. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.

J’ai bien entendu le souci du Gouvernement d’aller dans le sens de l’équité. Nous jugerons de la traduction de ce souci le 15 mars prochain, lorsque les collectivités recevront les dotations qui leur sont destinées.

Peut-être pourrai-je alors vérifier l’exactitude de vos propos ou devrai-je, au contraire, revenir à la charge !

expérience professionnelle pour l'enseignement de la conduite

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, auteur de la question n° 1124, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.

Mme Anne-Marie Escoffier. Madame le ministre, la sécurité routière est une priorité absolue, qui fait l’objet d’un très large consensus et au titre de laquelle tous les gouvernements ont cherché les moyens les plus appropriés pour réduire le nombre d’accidents.

Renforcer la formation des conducteurs et, à cette fin, s’assurer de la qualification des exploitants d’auto-école répond à cet objectif.

L’article L. 213 –3 du code de la route, en son troisième alinéa, prévoit expressément que la possession d’une expérience professionnelle en matière d’enseignement de la conduite est requise pour pouvoir exploiter à titre individuel, diriger ou gérer un établissement d’enseignement et d’animation de stages de sensibilisation à la sécurité routière.

Or, pour se mettre en conformité avec la directive Services 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, il est envisagé de supprimer la condition de possession d’une expérience professionnelle. Tel est l’objet de l’amendement gouvernemental introduit au travers de l’article 27 quinquies de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, lors du débat à l’Assemblée nationale.

Une telle disposition n’a pas manqué d’inquiéter les professionnels de la sécurité routière, qui voient, derrière la suppression de l’exigence d’expérience professionnelle, un risque de retour à des dérives évitées par les dispositions de l’article L. 213 –3 du code de la route.

Elle ne peut aussi qu’inquiéter l’ensemble de celles et de ceux qui, au quotidien, combattent toutes les formes d’atteinte à l’objectif unanimement admis d’amélioration de la sécurité routière.

C’est pourquoi je souhaite interroger le Gouvernement sur ses intentions pour concilier l’obligation de respect de la directive Services et l’absolue nécessité du maintien des règles de qualification des exploitants d’auto-école, règles qui concourent à la moralisation d’un secteur économique et social particulièrement sensible.

Je vous remercie, madame le ministre, des éléments de réponse que vous pourrez apporter pour apaiser l’inquiétude bien légitime de toute une profession et, au-delà, de tous les conducteurs.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie, une nouvelle fois, d’excuser Brice Hortefeux, qui aurait souhaité vous répondre lui-même.

Madame la sénatrice, la directive Services, adoptée par le Parlement européen le 12 décembre 2006, impose désormais aux États membres de ne pas subordonner l’accès à une activité de service à des exigences qui seraient discriminatoires, non justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général et non proportionnelles.

L’exigence d’une expérience professionnelle de deux ans comme enseignant de la conduite pour être exploitant d’une école de conduite, issue de la loi du 18 juin 1999, était donc incompatible avec ces dispositions.

Le maintien de cette obligation aurait fait courir à la France le risque d’être en infraction pour non-transposition de la directive, pouvant aboutir à une condamnation à de lourdes pénalités financières. C’est pourquoi la loi du 5 janvier 2011 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne a supprimé cette condition et a également modifié le régime d’autres professions réglementées.

Toutefois, je souhaite vous rassurer pleinement, madame la sénatrice : le métier d’exploitant d’établissement d’enseignement de la conduite et de la sécurité routière demeure une profession réglementée, soumise, au travers de la délivrance et du renouvellement de l’agrément préfectoral, au contrôle permanent et attentif de l’État.

L’abrogation de l’exigence d’expérience professionnelle ne remet en cause aucune des autres conditions, notamment celles qui ont été voulues par le législateur en 1999, telles que l’obligation d’avoir un casier judiciaire vierge, la capacité de gestion d’un établissement d’enseignement de la conduite, le respect d’un programme national de formation, la libre disposition d’un local et de véhicules conformes à la réglementation.

Ensuite, le préfet dispose d’un pouvoir de contrôle et de sanction qui permet de mettre un terme à l’activité de tout établissement ne respectant pas ces conditions.

Enfin, la garantie financière est obligatoire pour les 4 500 établissements qui participent au dispositif du « permis à un euro par jour ». Elle permet de protéger les élèves d’une école de conduite en cas de défaillance financière de cette dernière.

Le ministre de l’intérieur souhaitait vous rappeler l’importance qu’il attache à une formation de qualité. Ainsi, l’enseignement de la conduite devra naturellement toujours être dispensé par un enseignant diplômé et autorisé par l’autorité préfectorale.

En concertation avec la profession, d’autres mesures sont à l’étude afin de garantir une formation de qualité et une sécurité dans la relation contractuelle, telles que la réforme du diplôme d’enseignant de la conduite ou encore la certification de la qualité des établissements. Plusieurs démarches en ce sens ont d’ores et déjà été mises en œuvre par la profession. Nous entendons les encourager et les coordonner pour que chacun puisse choisir avec confiance et sérénité l’établissement le plus adapté à son besoin de formation.

Madame la sénatrice, le Gouvernement est et restera attentif aux conditions d’exercice des gérants d’école de conduite et de centre de sensibilisation à la sécurité routière. Les professionnels de l’éducation routière que sont les exploitants et les enseignants de la conduite ont une contribution majeure à apporter à la politique de sécurité routière, alors que le nombre de morts sur la route dans notre pays est, pour la première fois, passé sous la barre des 4 000 en 2010.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Je remercie Mme la ministre de sa réponse, précise et complète.

Je me réjouis évidemment des prérogatives reconnues aux préfets, qui pourront vérifier si les professionnels respectent bien la réglementation.

En revanche, je m’inquiète un peu de la garantie financière que vous évoquez, madame la ministre. En réalité, celle-ci concerne seulement les auto-écoles accueillant de futurs jeunes conducteurs au titre du permis à un euro par jour. Or ce ne sont pas les écoles les plus nombreuses. Et, pour toutes les autres, la garantie financière ne me semble pas tout à fait assurée.

Enfin, vous avez beaucoup insisté sur la formation, et je vous rejoins pleinement sur ce point. C’est bien en améliorant la formation des moniteurs comme des élèves que nous pourrons obtenir de meilleurs résultats en matière de lutte contre la criminalité routière.

restructuration des zones de police et de gendarmerie en gironde

M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, auteur de la question n° 1135, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.

Mme Françoise Cartron. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaitais attirer l’attention de M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration sur la restructuration des zones de police et de gendarmerie en Gironde.

C’est en effet par voie de presse que les maires des villes de Gironde concernées ont appris qu’une restructuration des services de police et gendarmerie était en préparation. Ainsi, les villes d’Artigues-près-Bordeaux et d’Eysines, actuellement en zone gendarmerie, passeraient en zone police, alors que la ville de Libourne ferait le chemin inverse, perdant ses effectifs de police au profit de la gendarmerie. Les maires d’Artigues-près-Bordeaux et d’Eysines, qui sont très attachés à leur gendarmerie, regrettent vivement de n’avoir à aucun moment été associés à ce projet.

La ville d’Artigues-près-Bordeaux, commune périurbaine, devrait donc dépendre désormais du commissariat de Cenon, ville classée zone urbaine sensible, ZUS. Or, à ce jour, les effectifs de ce commissariat sont déjà insuffisants pour assurer la sécurité dans les quartiers dits « sensibles ».

En conséquence, je souhaiterais connaître l’état d’avancement du projet de restructuration ainsi que l’évolution prévisionnelle des effectifs de gendarmerie et de police concernés.

Enfin, je m’interroge sur les moyens qui seront désormais mis en œuvre pour assurer la sécurité des villes d’Artigues-près-Bordeaux et d’Eysines.

Ces communes, qui bénéficiaient jusqu’à présent d’un partenariat exemplaire avec la gendarmerie, devront reconstruire une autre collaboration avec la police, si la restructuration a lieu.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer. Madame la sénatrice, vous appelez l’attention de M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration sur le projet de mise en œuvre d’une police d’agglomération sur Bordeaux.

La police d’agglomération représente avant tout une nouvelle approche des problématiques de sécurité.

Il s’agit d’organiser l’action des services de sécurité au sein d’un même bassin de délinquance, en les plaçant sous un seul et même commandement, dans un souci de plus grande performance.

Cette approche correspond bien à la notion d’espace urbain continu et homogène. La police d’agglomération existe en région parisienne depuis le 14 septembre 2009, et donne déjà de très bons résultats. La transposition de cette forme d’organisation et de fonctionnement est en cours à Lille, Lyon et Marseille.

Dans la continuité de telles réorganisations, et après en avoir reçu la proposition des directions générales de la police et de la gendarmerie nationales, le ministre de l’intérieur a souhaité un dispositif analogue à Bordeaux. Une étude a donc été conduite en ce sens, sous l’autorité du préfet de la région Aquitaine, préfet de la Gironde. Les résultats de cette réflexion ont confirmé l’intérêt d’une extension de la zone de compétence de la police nationale sur quatre communes de la proche périphérie bordelaise, dont les phénomènes de délinquance sont homogènes par rapport à ceux qui sont constatés sur Bordeaux. Il s’agit d’Eysines, du Haillan, d’Artigues-près-Bordeaux et de Bouliac.

Parallèlement, d’autres évolutions des zones de compétence de la police et de la gendarmerie ont été étudiées sur le reste du département de la Gironde, avec la même volonté de gagner en cohérence et en efficacité. Dans ce cadre, le transfert en zone de compétence de la gendarmerie de la circonscription de sécurité publique de Libourne, qui est éloignée des autres services de police du département et entourée de nombreuses unités de gendarmerie, a été retenu. Là aussi, il s’agit de mettre en place un dispositif opérationnel efficace, placé sous un commandement unique.

Les modalités de ces transferts font actuellement l’objet d’une étude approfondie à laquelle les élus sont pleinement associés. Les cinq conseils municipaux concernés seront d’ailleurs prochainement amenés à donner leur avis sur ces transferts de zone de compétence, dont la mise en œuvre est envisagée en 2011.

Au plan opérationnel, les services de police et les unités de gendarmerie concernés verront leurs effectifs et leurs moyens matériels adaptés à leurs nouvelles missions. Le service public de sécurité offert à nos concitoyens ne s’en verra pas affecté. Le détail du nouveau dispositif ne manquera pas d’être exposé aux élus par le préfet dans le cadre de la concertation lancée sur ce projet.

Ici comme dans bien d’autres, le ministre de l’intérieur sera pragmatique. Si nous voulons améliorer la cohérence des zones de compétence, c’est d’abord pour être au service de la sécurité de nos concitoyens. Le nouveau dispositif devra donc être plus efficace sans être plus coûteux, et compatible avec les moyens de la police et de la gendarmerie. En toute hypothèse, les élus locaux ne manqueront pas d’être associés à cette réorganisation.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron.

Mme Françoise Cartron. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Toutefois, vous nous avez indiqué qu’une étude était en cours et qu’elle avait déjà donné lieu à des préfigurations de conclusion, ce qui m’oblige à préciser que les maires n’ont jamais été associés, invités ou même informés pendant que ces travaux ont été menés. En tant que maire d’Artigues-près-Bordeaux, je peux en témoigner en toute connaissance de cause.

Or, nous le savons, en matière de sécurité, c’est d’abord vers le maire que se tournent nos concitoyens pour lui demander des comptes et exiger des réponses efficaces quand se posent des problèmes de sécurité. Nous sommes donc devant une contradiction : comment rendre les maires responsables sans les associer à des projets aussi importants que la restructuration envisagée ?

Nous avons, avec les personnels concernés, des habitudes de travail. D’ailleurs, la question des effectifs va se poser. C’est de tout cela que nous souhaiterions débattre. Je crains que notre conseil municipal ne soit invité à délibérer sur un projet déjà finalisé sans avoir été associé à son élaboration.

Je voudrais donc alerter M. le ministre : les maires concernés sont tous demandeurs d’une réunion de travail en amont. Il ne faut pas que des décisions leur soient imposées.

De plus, je voudrais rectifier un peu l’analyse. Certes, les communes concernées par le projet de restructuration se situent toutes dans l’agglomération bordelaise, mais on ne peut pas comparer la situation de villes en zone police, qui sont souvent classées ZUS, avec celle de communes périurbaines à la limite de l’espace rural, comme Artigues-près-Bordeaux et Bouliac, commune dans laquelle, d’ailleurs, est installé le peloton de gendarmerie et où sont logés tous les gendarmes de Gironde.

Aussi, par souci de cohérence, nous aimerions bien comprendre ce qu’il en est.

réforme du bac sti

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, auteur de la question n° 1072, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.

M. Jean-Luc Fichet. Ma question, qui s’adresse en effet à M. le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, concerne les inquiétudes suscitées par la réforme du baccalauréat Sciences et techniques industrielles, ou STI, qui doit être mise en place à la rentrée de 2011.

En Bretagne, comme partout ailleurs en France, les enseignants sont inquiets. Je pense notamment aux personnels des lycées Félix-Le-Dantec, à Lannion, ou Tristan-Corbière à Morlaix. Les craintes sont vives.

Le Conseil supérieur de l’éducation a voté contre les propositions du ministère au mois d’avril 2010, au motif que celui-ci refusait d’accompagner la réforme d’une amélioration du taux d’encadrement. En effet, la réflexion du ministère s’accompagne encore et toujours d’une diminution des postes et des moyens. La rentrée de 2011 s’annonce extrêmement difficile si rien n’est proposé pour revenir sur les suppressions de postes.

Par ailleurs, sur le fond, si une réforme était souhaitable, les acteurs de cette filière craignent que celle-ci ne mette à mal la spécificité de la voie technologique. De leur point de vue, la réforme annoncée a principalement pour conséquence de vider de sa substance tout ce qui faisait l’originalité et l’attractivité de cette filière : fin des dédoublements de classe, fin de toute approche manuelle, plus de travail sur les systèmes réels, plus d’enseignement de la physique appliquée…

La question du contenu de l’enseignement est essentielle, car elle touche à l’emploi des jeunes et à l’avenir des ouvriers qualifiés dans notre pays. La France a besoin de tous les talents. Cette réforme va à l’encontre des discours sur la nécessaire réindustrialisation de la France. Comment peut-on prôner cette réindustrialisation et, dans le même temps, se tirer une balle dans le pied en supprimant la formation des jeunes dans ces domaines ?

Certains patrons de l’industrie ont d’ailleurs déjà anticipé cette moindre formation technique. Ainsi, des secteurs d’activité mettent en place des formations propres à leur métier. Cela revient à privatiser l’éducation nationale ! Ce n’est pas ce que nous voulons !

Le monde du travail a besoin de ces filières techniques et les enfants ont besoin pour leur vie professionnelle d’une formation diplômante, et non d’une formation au rabais.

Enfin, que dire des conséquences de cette réforme pour les établissements scolaires qui, grâce aux collectivités territoriales, ont investi massivement dans l’achat de machines pour leurs élèves ? Va-t-on leur dire que ces investissements n’ont servi à rien ?

Je souhaite savoir quelles réponses vous pouvez apporter face à l’ensemble de ces inquiétudes.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer. Monsieur le sénateur, vous attirez l’attention de mon collègue Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, sur la réforme du baccalauréat STI.

Luc Chatel est retenu ce matin par d’autres obligations, mais sachez que la réforme de la voie technologique constitue pour lui comme pour tout le Gouvernement une initiative fondamentale, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, elle contribue à la diversification des parcours d’excellence au lycée. Ensuite, elle propose une formation riche, gage d’une insertion professionnelle plus large et plus sûre. Enfin, elle donne une nouvelle ambition à la voie technologique.

Vous le savez, les séries STI et STL, Sciences et technologies de laboratoire, n’avaient pas évolué depuis 1993, et demeuraient éclatées entre dix-sept spécialités ou options qui enfermaient les élèves dans des trajectoires souvent irréversibles dès la classe de première.

Cette spécialisation excessive brouillait la distinction entre les séries technologiques et les formations offertes dans le cadre de la voie professionnelle rénovée. Et c’est cette spécialisation excessive qui a en partie entraîné la désaffection qu’ont connue les séries STI, de l’ordre de 20 % en moins de dix ans.

Il fallait redonner toute leur valeur à ces parcours : le Gouvernement a tenu à proposer des séries plus polyvalentes, plus ouvertes et préparant mieux aux études supérieures.

Comme la voie générale, la voie technologique a vocation à conduire tous ses élèves vers l’enseignement supérieur. Bien évidemment, cet objectif doit néanmoins prendre appui sur ce qui constitue la spécificité de cette voie, à savoir une pédagogie fortement ancrée dans des activités pratiques et technologiques.

Ainsi la nouvelle série STI2D, Sciences et technologies de l’industrie et du développement durable, que vous évoquiez dans votre question, monsieur le sénateur, et qui intègre, comme son nom l’indique, la dimension moderne et prometteuse du développement durable, est articulée autour d’un enseignement technologique transversal et ambitieux, commun à tous les élèves, avec notamment deux langues vivantes désormais obligatoires, contre une seule auparavant. C’était un impératif, dans notre monde moderne, que de préparer nos futurs techniciens à la mobilité et à l’échange international.

Cette série assure donc une formation polyvalente à même d’ouvrir des possibilités d’orientation post-baccalauréat. Ce renforcement des exigences dans les disciplines générales va mieux préparer les lycéens à réussir leurs études supérieures.

Ajoutons que cette série est mieux reliée à la voie professionnelle grâce à des passerelles plus nombreuses et qu’elle comporte des enseignements spécifiques propres à chacune des quatre spécialités proposées aux élèves : énergie et environnement ; innovation technologique et éco-conception ; systèmes d’information et numérique ; architecture et construction.

N’oublions pas, également, que chaque lycéen bénéficie désormais d’un accompagnement personnalisé pour l’aider à construire son parcours de réussite.

Vous le constatez donc, monsieur le sénateur, la nouvelle voie technologique conserve la spécificité d’activités pratiques et technologiques, mais elle est plus polyvalente parce qu’elle est nourrie d’une nouvelle ambition et parce qu’elle entend répondre à un enjeu stratégique pour notre pays.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.

M. Jean-Luc Fichet. Madame la ministre, votre réponse ne me satisfait pas pleinement, car elle ne répond pas aux interrogations des enseignants.

Ces derniers ne sont pas opposés à l’évolution de la série technologique, mais ils constatent que les solutions apportées ne sont pas les bonnes. La preuve en est que certaines entreprises privées prennent aujourd'hui l’initiative de former leur propre personnel, considérant que la formation scolaire dispensée n’est plus adaptée à la demande et à l’avenir professionnel des personnes concernées.

Surtout, l’ensemble de ces réformes paraissent obéir au souci de réaliser des économies, ce qui est absolument insupportable. Je citerai, pour ce qui est de la réforme globale de l’éducation nationale, la fin des IUFM, la suppression nette de 16 000 emplois en 2011, la disparition des auxiliaires de vie scolaire, les AVS, et des emplois de vie scolaire, les EVS, la diminution de la scolarisation à l’âge de deux ans dans les écoles maternelles, et j’en passe. Toutes ces mesures nourrissent nos craintes pour l’éducation nationale.

Par conséquent, nous serions heureux que le système soit reconsidéré et que le Gouvernement propose un nouveau pacte éducatif en concertation avec tous les acteurs de la communauté éducative. Ces derniers recevraient ainsi une vraie réponse susceptible de mettre fin à leurs inquiétudes.

7

Nomination d’un membre d’une commission

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe du Rassemblement démocratique et social européen a présenté une candidature pour la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré. La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Jean-Marie Bockel membre de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, à la place laissée vacante par M. Jacques Muller, dont le mandat de sénateur a cessé.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

8

Décision du Conseil constitutionnel

M. le président. Par lettre en date du 13 janvier 2011, j’ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel le texte d’une décision du Conseil constitutionnel de conformité à la Constitution de la résolution tendant à adapter le chapitre XI bis du règlement du Sénat aux stipulations du traité de Lisbonne concernant les parlements nationaux.

Acte est donné de cette communication.

Cette décision sera annexée au compte rendu de nos débats de ce jour.

En conséquence, les modifications de notre règlement sont applicables à compter du 13 janvier 2011, date à laquelle elles ont été déclarées conformes à la Constitution.

Je profite de cette occasion pour remercier MM. Jean-Jacques Hyest, Bernard Frimat et Jean Bizet d’avoir conduit les travaux préparatoires qui ont permis de mener à bien cette réforme de notre règlement.

9

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour un rappel au règlement.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, la « révolution de jasmin » en Tunisie est un événement considérable : pour la première fois dans cette région, un dictateur est chassé du pouvoir par le peuple.

Mes amis et moi avons éprouvé une très vive émotion quand le jeune Mohamed Bouazizi, de désespoir, s’est immolé par le feu, puis quand le peuple tunisien s’est soulevé contre la dictature de Ben Ali. Cette émotion a laissé place à une grande colère lorsque nous avons constaté que le pouvoir faisait tirer sur la foule, tuant des dizaines de personnes.

Le Président de la République et le Gouvernement sont, quant à eux, restés de marbre. Ben Ali, l’ami de la France soutenu indéfectiblement par notre gouvernement – la visite en Tunisie du Président de la République en juillet 2010 en témoigne –, devait rester en place au nom des intérêts économiques et politiques français.

Madame la ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, vous avez enfin pris la parole le 11 janvier dernier, pour proposer d’agir dans le cadre de la coopération entre les deux pays, afin que le droit de manifester puisse être concilié avec le maintien de la sécurité, ajoutant que le savoir-faire de nos forces permettrait de « régler les situations sécuritaires » en Tunisie. Quelle belle leçon de non-ingérence !

Cette attitude est conforme à celle que le gouvernement de la France a adopté depuis des années à l’égard du pouvoir de Ben Ali. Chaque fois que j’ai, avec d’autres, saisi les autorités françaises de graves atteintes aux droits de l’homme dans ce pays, des persécutions dont ont été victimes les intellectuels, les syndicalistes et les démocrates dans leur travail et leur vie privée, des mesures d’emprisonnement qu’ils ont subies, des actes de torture pratiqués à leur égard, la réponse était la même : en raison de la lutte qu’il menait contre les islamistes, le dictateur Ben Ali était considéré comme un bon élève du Maghreb.

Monsieur le président, pour tous ceux qui aspirent à la démocratie en Tunisie, et au-delà dans toute la région, l’attitude de gendarme adoptée par la France est inacceptable. Les propos de Mme le ministre des affaires étrangères, représentante de notre pays, que le Président de la République, par la voix de M. Guaino – c’est un comble ! – qualifie de « maladresses » ou d’« incompréhensions », sont inacceptables. Aussi, nous demandons, pour honorer notre pays, que Mme Alliot-Marie en tire les conséquences et présente sa démission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. Vous ne perdez rien pour attendre !

M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, madame Borvo Cohen-Seat.

10

Débat sur des questions de politique étrangère

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur des questions de politique étrangère, organisé à la demande de la commission des affaires étrangères.

La parole est tout d’abord à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce débat, même si les conditions de son obtention ont été laborieuses.

Nous comprenons fort bien, madame le ministre d’État, que les contraintes inhérentes à vos fonctions rendent souvent difficile le choix d’une date pour nos discussions. Pourtant, les relations extérieures revêtent une importance majeure dans la conduite des affaires de l’État. Il est donc légitime que le Parlement, qui vote les crédits, puisse entendre régulièrement le Gouvernement sur ses priorités et que celui-ci lui rende compte de son action en matière de diplomatie.

À l’occasion de la dernière révision constitutionnelle, il a été décidé qu’une semaine de séance sur quatre serait réservée par priorité au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques. En matière européenne, notre règlement prévoit la tenue de questions orales européennes avec débat. Nous organisons également, de manière coutumière, un débat préalable avant chaque Conseil européen. Ne pourrait-on pas s’en inspirer pour garantir à la représentation nationale, par une loi organique ou par une modification de notre règlement, un débat en séance publique au moins deux fois par an avec le Gouvernement sur les questions de politique étrangère ? Je soumets cette suggestion à la réflexion des responsables de notre assemblée.

Parmi les très nombreux sujets de politique étrangère, je centrerai mon intervention sur la politique de la France en Afrique, tragiquement à l’ordre du jour, sur l’Afghanistan et, enfin, sur la politique étrangère, de sécurité commune et de défense de l’Union européenne.

Je voudrais tout d’abord m’associer à la douleur des familles de nos jeunes compatriotes si lâchement tués au Niger. Ces assassinats nous touchent par le drame de ces vies pleines de promesses si tragiquement fauchées. Ils touchent aussi chaque Français et la France dans son ensemble, puisque c’est à notre pays qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique, AQMI, a déclaré la guerre.

Nous approuvons la politique de fermeté qui a été appliquée à la demande des autorités du Niger. Elle doit marquer un coup d’arrêt aux enlèvements des ressortissants français.

Je veux dire à ceux qui s’interrogent que nous ne devons pas nous tromper d’ennemi. L’ennemi, c’est l’islamisme radical du réseau Haqqani en Afghanistan ou d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. Cet ennemi ne prétend pas négocier. Son objectif est à la hauteur de son fanatisme : il ne vise rien de moins qu’à l’instauration d’un califat mondial où s’appliquerait la charia.

C’est contre cet ennemi que nous luttons en Afghanistan, au Sahel et ailleurs, c’est cet ennemi qui nous a déclaré une guerre asymétrique dont les armes sont les attentats suicides, la terreur, la prise en otage de civils innocents.

Si la France et, plus généralement, l’Occident sont devenus une cible, c’est pour nous faire lâcher prise dans ce combat en déstabilisant les opinions publiques, car il s’agit aussi d’une guerre de communication. Mais les premiers visés par cette stratégie, ce sont les pays et les gouvernements du monde musulman – le Pakistan et les pays arabes –, qu’il faut faire basculer dans l’intégrisme.

Notre soutien et notre appui à ces pays fragiles sont donc essentiels.

Je me félicite à cet égard de la décision, prise lors du Conseil « affaires étrangères » du 25 octobre dernier, de demander au Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité d’élaborer pour le début de l’année 2011 une stratégie pour le Sahel fondée sur trois volets : la sécurité, le développement et le dialogue politique.

Certes, l’intégrisme islamique ne doit pas être – comme le fut la lutte contre le communisme au temps de la guerre froide – l’alpha et l’oméga de toute politique et justifier toutes les complaisances. Mais, précisément, nos exigences en matière de gouvernance, de droits de l’homme, de droit des femmes ou de lutte contre la corruption s’inscrivent dans un chemin, certes difficile et chaotique, vers plus de démocratie : non pas une démocratie jeffersonienne artificiellement plaquée, mais une démocratie qui sera inventée par chaque pays en fonction de son génie et de son histoire, sur un socle de valeurs universelles, tout simplement parce que c’est le meilleur des régimes possibles.

Cette politique s’appuie sur un certain nombre de principes rappelés avec force par le Président de la République : respect des indépendances, transparence et non-ingérence.

De ce point de vue, le renouvellement des accords de défense et de partenariat entre la France et les pays africains me paraît exemplaire. Nous souhaitons d’ailleurs, madame le ministre d’État, que les quatre accords avec le Cameroun, le Togo, le Gabon et la République centrafricaine, dont l’autorisation de ratification a été soumise au Sénat, puissent donner lieu rapidement à un débat devant notre assemblée.

Là encore, le problème qui se pose est celui de l’encombrement de l’ordre du jour législatif. Notre commission, quant à elle, a rapporté ces accords et est prête au débat.

Notre politique africaine s’appuie sur ces lignes directrices et nous ne pouvons qu’être frappés de la continuité qui la caractérise depuis trente ans. Notre commission publiera du reste un rapport d’information sur cette question.

Le continent africain fait certes face à de nombreux défis, comme la mal-gouvernance, le cancer djihadiste, les narcotrafics, le sida ou les changements climatiques. Pourtant, l’Afrique est sur le bon chemin et devrait émerger de son instabilité chronique pour peu que nous continuions à l’aider et à la soutenir.

Nos intérêts sont liés. La sécurité et la prospérité de la France et de l’Europe sont indissociables de celles de l’Afrique. Je rappellerai simplement que, sur 1,8 milliard d’habitants que comptera l’Afrique en 2050, 600 millions seront francophones.

Ce sont ces principes que nous appliquons dans la crise ivoirienne. Il n’y a aucune ingérence de la France dans la politique intérieure de la Côte d’Ivoire. Notre pays, comme l’ensemble de la communauté internationale, à commencer par la CEDEAO, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, et l’Union africaine, condamne de la manière la plus énergique les tentatives du président sortant, Laurent Gbagbo, pour usurper la volonté populaire, remettre en cause l’intégrité de la consultation électorale et l’avancée du processus de paix dans ce pays.

Nous écartons toute intervention militaire de notre force Licorne tant qu’il ne s’agit pas d’assurer la protection de nos compatriotes et des ressortissants étrangers si leur sécurité est menacée. Si le recours à la force devenait inévitable, ce serait celui qui est actuellement étudié par la CEDEAO.

Il est toutefois évident que le temps joue contre le président élu, Alassane Ouattara. La Côte d’Ivoire est devenue schizophrène, avec, d’un côté, Laurent Gbagbo, qui dispose de la force publique et de moyens de communication puissants et qui n’a fait aucune concession, et, de l’autre, un président légitime dont la faiblesse est manifeste.

Les sanctions qui ont été prises ne seront pas immédiatement efficaces. Le temps qui passe, la normalisation qui en découle et dont pourrait s’accommoder une partie de la population profitent incontestablement au clan Gbagbo. L’inaction devient la pire des solutions et la communauté internationale joue sa crédibilité.

Il me semble que cette politique prudente de non-ingérence et d’action collective internationale est unanimement approuvée. Il n’en va pas de même pour la Tunisie, pays ami, si proche de la France, qui vient de vivre de graves événements. Nous entendons ces jours-ci des propos bien tardifs stigmatisant la prudence de notre pays face à ces événements. Depuis vingt-trois ans, tous les gouvernements successifs ont fait preuve, à l’égard du défunt régime, d’une retenue que d’aucuns qualifient de complaisance. Il est toujours facile de prédire le passé ! J’observe toutefois que certains procureurs étaient bien discrets, hier, lorsqu’il s’agissait de la situation en Tunisie,…

M. Jean-Pierre Raffarin. C’est exact !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. … alors qu’ils sont bien diserts, aujourd’hui, dans notre Haute Assemblée.

Au demeurant, il est incohérent de préconiser la non-ingérence en Côte d’Ivoire et d’exiger l’inverse en Tunisie. (M. le ministre chargé de la coopération fait un signe d’assentiment.)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Le président du Sénat, et c’est à son honneur, a su exprimer quand il le fallait notre condamnation des atteintes aux droits de l’homme. Nous devons tous souhaiter que la Tunisie connaisse le retour à la paix civile et puisse établir, dans le calme et l’ordre, un régime démocratique et pluraliste respectueux des libertés publiques, conformément aux vœux de sa population. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. La France doit se tenir au côté du peuple tunisien pour l’aider dans sa marche vers le renouveau. Elle doit continuer à soutenir le développement de la Tunisie. Les liens puissants que nos deux pays ont tissés de part et d’autre de la Méditerranée doivent encore être renforcés à l’avenir.

M. Jean-Louis Carrère. Rohan au Gouvernement !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Un autre sujet de préoccupation tient à la situation au Soudan, pays d’Afrique qui va cristalliser tous les dangers dans les mois à venir. La partition du pays, même si elle est officiellement acceptée par le Nord, peut conduire à des affrontements indirects d’origine ethnique. Le partage des ressources pétrolières, qui n’a pas été réalisé, représente une source potentielle de conflit. L’embrasement de cette partie de l’Afrique pourrait se propager aux pays voisins, le Tchad, le Kenya et l’Ouganda. Nous aimerions connaître les moyens que le ministère des affaires étrangères envisage pour assurer la stabilité dans cette région, stabilité qui est indispensable au maintien de la paix sur le continent africain.

J’en viens à notre politique en Afghanistan. Sur diverses travées de cette assemblée, certains considèrent que le Parlement est mal informé sur les objectifs que nous poursuivons, sur la stratégie et sur la conduite des opérations. Je crois, pour ma part, que nous disposons de très nombreuses informations et que la stratégie est clairement affichée. Je voudrais néanmoins faire une suggestion : à l’instar de ce que font un certain nombre de gouvernements, en Allemagne ou au Canada par exemple, ne pourrait-on pas envisager la présentation d’un rapport annuel au Parlement sur les progrès de notre stratégie et sur son application par la Force internationale d’assistance à la sécurité, la FIAS, et par le gouvernement afghan ?

Ce rapport donnerait lieu à un débat parlementaire sur une question vitale pour notre sécurité, qui engage notre pays et la vie de nos soldats, lesquels paient un lourd tribut. Nous avons, sur ce sujet, besoin du soutien de nos opinions publiques, lequel passe par une information et par un débat régulier devant la représentation nationale.

Quels sont nos objectifs en Afghanistan ? J’en vois trois principaux.

En premier lieu, il faut éviter que ce pays ne redevienne une base pour le terrorisme international, c’est-à-dire mener à son terme l’éradication d’Al-Qaïda.

En deuxième lieu, il faut contribuer à l’établissement d’un Afghanistan durablement sécurisé et stable, c’est-à-dire continuer à lutter contre les réseaux talibans, en particulier la mouvance Haqqani.

En dernier lieu, il faut stabiliser le Pakistan.

Quels sont les moyens envisagés pour atteindre ces objectifs ? Depuis la réunion de l’OTAN à Bucarest, en 2008, la stratégie porte un nom : « l’afghanisation ». Cette stratégie globale, dont la formulation doit beaucoup à la France, consiste à aider les Afghans à prendre progressivement en charge leur propre sécurité et à construire un État.

D’un point de vue militaire, la méthode employée doit également beaucoup à notre pensée stratégique : c’est la stratégie de la contre-insurrection.

La récente réunion de l’OTAN à Lisbonne, les 19 et 20 novembre derniers, a fixé une date pour mener à bien le processus de transition ouvert par les engagements pris lors des conférences de Londres et de Kaboul, en 2010 : « À l’horizon fin 2014, les forces afghanes endosseront pleinement la responsabilité de la sécurité dans l’ensemble de l’Afghanistan. » La déclaration de l’OTAN indique de la manière la plus expresse que « la transition sera soumise au respect de conditions, pas d’un calendrier, et elle n’équivaudra pas à un retrait des troupes de la FIAS ».

Cette transition ne peut connaître le succès si, en parallèle, une réconciliation entre les Afghans n’intervient pas. Il me paraît évident qu’il n’y aura pas de victoire militaire sans solution politique, comme le soulignent nos amis Allemands, et qu’il n’y aura pas non plus de réintégration réussie sans réconciliation véritable. Lors de la conférence de Kaboul, nous avons fixé trois conditions à cette réintégration : la renonciation à la violence, le rejet du terrorisme et la reconnaissance du cadre constitutionnel.

La France, comme les autres pays membres de la coalition, s’inscrit dans ce contexte de transition qui aboutira, nous l’espérons, à la transformation de notre engagement, au-delà de 2014, vers des missions d’assistance civile. Mais ne nous faisons pas d’illusions : même si la transition est une réussite, notre engagement est un engagement de long terme, qui supposera une présence résiduelle de la coalition au-delà de 2014 et la poursuite du soutien économique et financier du pays. Cela a été, du reste, très clairement énoncé par le Président de la République quand il a indiqué que la France restera en Afghanistan, aux côtés de ses alliés, aussi longtemps qu’il le faudra. Fixer des échéances de retrait proches et contraignantes ne peut qu’encourager l’adversaire à gagner du temps en attendant notre départ.

Pour les années à venir, la priorité doit donc être de faire porter l’effort sur la formation et la montée en puissance des forces de sécurité afghanes – armée nationale, police et gendarmerie – afin qu’elles soient, avec la justice, en mesure de prendre en charge la sécurité du peuple afghan.

La qualité opérationnelle des forces de sécurité est évidemment la condition d’un transfert durable et irréversible. Ce transfert devra se faire sur la base de critères sécuritaires, mais aussi de gouvernance et, bien sûr, en tenant compte des conditions sur le terrain. Le président Karzaï devrait annoncer, en mars 2011, la liste des districts et des provinces qui feront l’objet d’une prise en charge par les forces de sécurité afghanes. Le même mois, la Ministérielle de l’OTAN devrait valider cette liste tandis que la conférence prévue en Allemagne en novembre 2011 entérinerait les premiers transferts.

La gouvernance est un aspect particulièrement important pour s’assurer du caractère durable des transferts, donc de la pérennité des efforts que nous consentons. La construction d’un État en Afghanistan est un véritable défi puisque, historiquement parlant, ce pays n’a jamais connu d’autorité centrale. La première perception de l’autorité par les Afghans, la plus importante, dirai-je, est à l’échelle locale, d’où l’importance de la coopération aux niveaux décentralisés.

Nous ne pouvons que déplorer vivement le manque de volonté politique du gouvernement afghan et du président Karzaï lui-même pour lutter contre la corruption. Ce mal endémique s’inscrit dans l’histoire et dans les mœurs, mais lorsque l’on sait que la montée en puissance du réseau Haqqani s’est faite en partie en exploitant le ressentiment de la population face à une attitude du gouvernement central considérée, à juste titre, comme prédatrice, l’on comprend l’importance de la lutte contre la corruption. Nos alliés et nous-mêmes devons faire pression sur le président Karzaï pour que des progrès significatifs interviennent dans ce domaine.

Un Afghanistan pacifié ne peut exister sans un Pakistan stable. La solution de la question afghane passe par un indiscutable renforcement du dialogue régional. Nous ne pouvons qu’être préoccupés par la fragilité du gouvernement pakistanais, par la montée en puissance de l’extrémisme islamiste, comme on l’a vu récemment avec l’assassinat du gouverneur du Pendjab, et par l’ambiguïté – tout le monde aura compris que c’est un euphémisme – de l’armée pakistanaise et de ses services de renseignement envers les talibans, en particulier le réseau Haqqani.

Il me paraît évident que l’on doive faire porter plus d’efforts sur la lutte contre ce mouvement, qui a connu depuis quelques années une radicalisation idéologique très préoccupante l’ayant beaucoup rapproché d’Al-Qaïda. C’est notre adversaire le plus résilient, la force la mieux entraînée et le réseau le plus sophistiqué que nous ayons à combattre. Sa radicalisation lui assure à la fois de très importants financements provenant des milieux arabes extrémistes et un apport de combattants étrangers, qui lui permettent une régénération rapide de ses forces, en dépit des coups sévères que nous lui portons.

Il faut accentuer nos pressions sur les pays arabes pour limiter, voire supprimer, ces sources de financement. Il faut également accentuer la pression sur le Pakistan afin qu’il cesse de soutenir des mouvements armés qui luttent contre les forces de la coalition. L’importance de l’aide qui est apportée à ce pays devrait permettre d’imposer un certain nombre de conditions.

Toutefois, cela n’exonère pas les autres puissances régionales de contribuer, elles aussi, à la stabilité de la zone et à la lutte contre l’islamisme radical. Les pays voisins de l’Afghanistan ont une responsabilité majeure et nous ne pouvons nous satisfaire de la non-implication, ou de l’implication insuffisante, de pays comme l’Inde, la Chine, les républiques d’Asie centrale et, bien sûr, l’Iran. Cela doit être clair : en 2014, ces pays devront s’impliquer dans le dossier et veiller à ce que l’Afghanistan ne soit pas un foyer de troubles permanents, et ce dans leur intérêt bien compris. Nous ne mènerons pas éternellement une guerre en Afghanistan par procuration pour le compte de pays qui refusent de prendre leurs responsabilités.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. La stratégie mise en œuvre est-elle un succès ? Militairement parlant, la coalition a enregistré des résultats importants, en particulier dans le sud du pays. Pourtant, l’insécurité a augmenté ailleurs et, surtout, l’appréhension par la population des progrès réalisés n’est pas suffisamment positive pour enclencher un cercle vertueux. Il n’y aura pas d’amélioration définitive de la situation sécuritaire sans des progrès majeurs du processus de réconciliation, sans une lutte efficace contre la corruption et sans une action déterminée du Pakistan contre ceux des talibans qui se battent contre la coalition et le gouvernement afghan.

Pour conclure sur ce point, la politique que nous menons en Afghanistan me paraît cohérente. Nous défendons dans ce pays des intérêts directs, car la menace est bien identifiée. Notre action s’appuie sur une stratégie clairement énoncée par nous-mêmes comme par nos alliés. Notre commission a pris l’initiative de proposer à nos partenaires britanniques la création d’un groupe parlementaire de suivi de la coopération entre nos deux pays. L’un des thèmes que nous avons retenus pour cette année est précisément le processus de transition. Nous nous rendrons une nouvelle fois en Afghanistan dans le cours de l’année 2011 pour mieux juger de la situation et de la mise en œuvre de notre stratégie sur le terrain, je l’espère avec nos amis Britanniques.

Le dernier point de mon intervention sera consacré à la politique européenne de sécurité et de défense, qui, depuis l’impulsion donnée par la présidence française, marque le pas. Or, dans ce domaine comme dans d’autres, ne pas avancer, c’est reculer.

L’année 2010 a été une année d’effacement pour l’Europe. Je ne prendrai que deux exemples à cet égard.

Premier exemple, l’Union européenne est plus inexistante que jamais dans le cadre des négociations au Moyen-Orient. L’Europe paie, mais ne décide de rien. Son influence est presque nulle et sa crédibilité auprès des autorités palestiniennes est en chute libre. Nous ne sommes certes pas les seuls à ne pas avoir d’influence, puisque les États-Unis eux-mêmes ne sont pas entendus par le gouvernement israélien, qui, pour maintenir sa fragile coalition, donne de plus en plus de gages à ses extrémistes : exigence de la reconnaissance d’un État juif, poursuite de la colonisation, intégration dans l’armée des ultra-orthodoxes…

Or, il est évident pour chacun que cette radicalisation et l’absence de toute perspective d’avancées exacerbent les tensions, favorisent les manipulations et les stratégies du pire des extrémismes en Israël, mais aussi en Iran et parmi ses affidés du Hezbollah et du Hamas, et poussent les populations au désespoir. La persistance de ce conflit et du soutien explicite que constitue notre impuissance autorise toute les déformations et renvoie une image extrêmement négative de l’Occident aux masses musulmanes. Nous en subissons les conséquences au Pakistan, en Afghanistan et ailleurs. Et que fait l’Europe face à ce constat ? Elle s’en tient à des déclarations qui rappellent le caractère illégal de la situation au regard du droit international.

Second exemple, à l’ONU, l’Union européenne, et à travers elle chacun des États membres, a connu un grave échec politique le 14 septembre dernier. Cet échec va rendre encore plus difficile l’obtention d’un statut spécifique pour l’Union européenne dans l’ensemble du système des Nations unies. Il a une claire signification : l’Union européenne, premier contributeur au budget de l’ONU – à hauteur de 40 % –, premier donateur d’aide au développement, n’est pas perçue comme une puissance et ne suscite pas le respect. Si la faiblesse du poids politique de l’Europe et de ses principaux représentants n’est pas une nouveauté, le vote de l’assemblée générale la révèle de manière particulièrement crue.

L’Europe est-elle seulement une impuissance, le « petit cap du continent asiatique » dont parlait Paul Valéry, ou pouvons-nous ambitionner pour elle un autre destin ? Nous avons un impératif : instaurer une politique extérieure européenne plus affirmée. Or nous nous débattons dans de difficiles négociations pour mettre en place le Service européen pour l’action extérieure, le SEAE, et aboutir à un minimum de coordination des politiques des différents États membres.

En ce qui concerne la défense européenne, nous saluons la détermination de la présidence polonaise, qui a fait de cette question l’une de ses priorités. La défense de l’Europe ne semble plus intéresser l’opinion, ni les parlements des États membres. La disparition de l’Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe occidentale, l’UEO, dans l’indifférence générale, est significative à cet égard.

Pendant ce temps, crise économique aidant, l’Europe continue de désarmer. La plupart de nos partenaires, hormis la Grande-Bretagne, semblent démissionner et se réfugient sous le parapluie de l’OTAN. Jusqu’à quand cette situation pourra-t-elle durer ? Devons-nous attendre un retrait des États-Unis et le refus du peuple américain de porter à lui seul le fardeau de la défense pour qu’une réaction se produise ? Ne sera-t-il pas alors trop tard ?

Nous ne pouvons que nous féliciter de l’accord conclu entre la France et le Royaume-Uni pour développer leur coopération de défense. Le texte des traités devra être soumis au Parlement, et cela nous donnera l’occasion d’évoquer les questions de défense européenne.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Si cette coopération doit montrer l’exemple, si elle est l’un des seuls événements positifs pour la défense européenne, nous espérons qu’elle pourra avoir aussi un effet d’entraînement sur les autres pays européens. C’est en tout cas, me semble-t-il, la volonté de la France.

Dans son excellent livre au titre qui interpelle, Jean-Pierre Chevènement pose la question de savoir si la France est finie. Il nous propose « d’organiser la résilience de l’Europe », qu’il définit comme un espace de civilisation, et préconise la convergence inévitable des projets nationaux et la défense du modèle démocratique comme un objectif pour l’Europe.

Je suis d’accord avec lui. La France ne disparaîtra pas au xxie siècle. Elle doit continuer à être, dans tous les domaines, innovatrice, audacieuse, résolue à faire entendre sa voix pour défendre non seulement les valeurs auxquelles elle est attachée, mais aussi ses intérêts légitimes. Loyale à ses alliés, elle ne doit se laisser dicter aucune politique qu’elle n’ait approuvée, aucun engagement auquel elle n’aurait souscrit. La France n’est pas finie. Elle reste dans l’histoire, bien décidée à la faire et non à la subir. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Jean-Louis Carrère applaudit également.)

MM. Jean-Pierre Plancade et Jean-Louis Carrère. Très bien !

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « l’histoire va le plus souvent lentement », disait François Mitterrand, s’adressant au corps diplomatique en 1984. Le Président de la République d’alors faisait le constat de la course aux armements, des guerres qui durent, de celles qui éclatent et du sous-développement persistant.

Aujourd’hui, nous pourrions, hélas ! dresser le même tableau. Peu de continents sont épargnés par les conflits, les guerres civiles ou les violences politiques, que subissent notamment l’Afghanistan, comme vient de le rappeler M. le président de la commission, l’Irak, la Côte d’Ivoire, Israël, la Palestine, la Corée du Nord. J’évoquerai également le Maghreb tout à l’heure.

D’un bout à l’autre de la planète, on ne peut que déplorer les drames, les tensions et surtout les victimes. Quant aux pays en paix, ils se voient tragiquement rappeler, par les actes terroristes qui les frappent, que l’ordre du monde demeure une utopie.

Cependant, quelles que soient les difficultés, la politique étrangère doit ignorer la résignation. C’est le sens de l’engagement de notre pays sur la scène internationale. La France participe à de nombreuses opérations de maintien de la paix : plus de 12 000 militaires français sont déployés actuellement sur des théâtres extérieurs. Un tiers d’entre eux sont stationnés en Afghanistan.

Malheureusement, le 9 janvier dernier, nous avons perdu un sous-officier, ce qui porte à cinquante-trois le nombre de militaires tués depuis le début de l’intervention en 2001.

La France, avec ses alliés, a fait le choix d’aider l’Afghanistan à retrouver la paix. Il y a dix ans, l’ONU a confié une feuille de route à la coalition internationale. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

La zone reste meurtrière, l’actualité illustre trop souvent ce fait : 2 170 soldats étrangers ont été tués depuis 2001, et des milliers de civils assassinés lors d’attentats. Les institutions ne sont pas encore stabilisées : l’État a du mal à s’imposer dans une société foncièrement tribale, sans parler de la corruption et des autres maux.

Même si l’on observe des progrès, l’Afghanistan n’est à ce jour pas encore suffisamment sécurisé. Il faut espérer que, d’ici à 2014, échéance qu’a rappelée M. le président de la commission, les conditions soient réunies pour que les forces afghanes prennent leur destin en main.

Des signes d’espoir apparaissent néanmoins. Plusieurs d’entre nous, y compris moi-même voilà quelques mois, ont pu se rendre compte du travail réalisé sur le terrain par les officiers et cadres, notamment français, auprès des forces afghanes en cours de constitution. Ce travail porte ses fruits et mérite d’être souligné.

Sur le plan politique, il faudra que le dialogue entre Afghans soit renoué, mais aussi que certains pays revoient leur attitude – je pense en particulier au Pakistan. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit tout à l’heure.

En attendant, dans un contexte qui suscite souvent beaucoup d’émotion jusque sur notre propre territoire, il est important que la France rappelle régulièrement ce qui justifie son engagement dans la région.

En effet, les démocraties sont prêtes à payer le prix de la paix si l’emploi de la force s’accompagne d’une stratégie claire et responsable à l’égard non seulement de l’opinion publique, mais aussi du camp d’en face : il est important de ne pas laisser s’installer l’idée d’un enlisement du conflit.

Nous devons donc rappeler toutes les priorités que la coalition a définies pour ce pays, mais aussi réaffirmer notre stratégie plus globale, qui est celle de la lutte contre le terrorisme. Même s’il s’avère long et coûteux en vies humaines, ce combat est l’un de nos plus grands défis. Nous avons l’obligation, à l’égard des générations futures, de débarrasser le monde de ce fléau, dont les méthodes barbares ont fait deux nouvelles victimes au Niger, le 9 janvier dernier.

Hier, des familles françaises ont enterré leurs enfants, parce qu’à des milliers de kilomètres se répand dans la région sahélo-saharienne un terrorisme transfrontalier dirigé par AQMI, qu’il sera difficile d’éradiquer en raison de son caractère diffus et transnational.

C’est la raison pour laquelle nous devons avoir une attitude ferme et déterminée contre cette forme de terrorisme. C’est le choix qu’a fait la France en décidant, avec les autorités nigériennes, de ne pas laisser partir les terroristes avec deux nouveaux otages français. Le dénouement de cette opération a été tragique. Pour autant, quelle autre réponse pouvions-nous apporter ? Nous savons qu’il n’y a aucune discussion possible avec ces organisations criminelles, dont les exigences ne sont compatibles ni avec notre vision de la démocratie ni avec nos valeurs.

Il me semble donc souhaitable de continuer à afficher cette fermeté, qui finira un jour, nous l’espérons tous, par payer.

Nous devons également développer dans cette région la coopération avec les pays concernés contre cette forme de terrorisme, laquelle est distincte, nous le savons bien, de la réalité afghane que nous évoquions tout à l’heure.

Nous connaissons bien les implications de ce terrorisme, qui s’apparente à une forme de criminalité, de banditisme, avec des trafics massifs de stupéfiants provenant du continent sud-américain et à destination de nos contrées. Cet enjeu dépasse la situation tragique des pays concernés.

Parallèlement à la lutte contre cette forme de terrorisme, qui doit nous mobiliser entièrement, il convient de soutenir ces États et de développer des relations bilatérales avec eux. Il est vrai que certaines situations sont de véritables crève-cœurs. Nombre d’entre nous ont noué depuis longtemps, et à différents titres, des rapports avec les pays subsahariens, par exemple le Niger et le Mali. Or, après des décennies au cours desquelles ceux-ci ont accompli de réels progrès en termes de développement, notamment grâce à des coopérations décentralisées fructueuses entre États, ils sont aujourd’hui gravement déstabilisés par ces actions.

L’enjeu va bien au-delà de la lutte contre le terrorisme : il s’agit également de permettre à ces pays, dont certains, je le répète, font de gros efforts depuis longtemps, de retrouver le chemin du développement dans une région aussi stratégique et chère à nos cœurs.

C’est dans cet esprit, notamment, que la France a toujours dialogué avec les pays du Maghreb, mais cette position ne doit pas nous aveugler. Les événements qui viennent de se dérouler en Tunisie démontrent que les Tunisiens avaient atteint une maturité démocratique en décalage avec le régime du président Ben Ali.

Il faut bien le dire, la France a manqué de clairvoyance, même s’il est assez facile de commenter a posteriori la diplomatie française à l’égard de ces pays, comme l’a d’ailleurs rappelé le président de la commission tout à l’heure.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Moi, je ne l’ai pas fait a posteriori !

M. Jean-Marie Bockel. Chacun peut balayer devant sa porte : dans la période actuelle, sachons faire preuve de lucidité et d’humilité. Certes, nous avons avec ces pays un passé commun qui peut souvent nous inciter à la prudence, mais, dans le même temps, nous ne devons pas rester à l’écart des événements qui sont en train de se produire.

Je pense évidemment aux espérances suscitées en Tunisie par la perspective d’élections dans quelques semaines ou dans quelques mois, et, il faut bien le dire, aux espoirs nés dans les pays alentour, au Maghreb et dans le monde arabe.

Cette réalité va au-delà des petits « ratés » de la période récente auxquels je viens de faire allusion et qui nous sont préjudiciables. Mais ne nous y arrêtons pas, et jouons le rôle qui doit être le nôtre dans le contexte actuel ! Je pense par exemple, dans cette nouvelle donne, à la possibilité de réactualiser le concept d’Union pour la Méditerranée, qui tarde à trouver sa place.

Voilà les réflexions que je tenais à formuler : elles s’articulent autour de la démocratie, de la sécurité et du développement, valeurs à partager autour de la Mare nostrum.

Pour conclure, nous devons, au cours de cette période, même si des risques et des dangers existent, considérer la situation avec espoir et engagement, sans sombrer dans l’angélisme. Quand on voit la mobilisation de la jeunesse africaine et maghrébine, notamment dans les rues d’Alger, du Caire ou d’Amman, il apparaît clairement que nous devons relever ensemble ces défis, bien évidemment dans le respect de ces pays.

Mes chers collègues, après ce tour d’horizon, je pourrais évoquer beaucoup d’autres sujets, comme la situation en Côte d’Ivoire, l’Afrique noire, la Françafrique.

M. Jean-Louis Carrère. Cela ne nous porte pas chance !

M. Jean-Marie Bockel. Compte tenu du temps qui m’est imparti, je dirai juste que je suis naturellement en phase, comme, je le crois, la plupart d’entre nous, avec la position de la communauté internationale en faveur d’Alassane Ouattara.

Il faut continuer à faire pression pour que le vote des Ivoiriens soit respecté. Ce n’est pas parce que l’apparition d’autres tensions a mis pendant quelques semaines ce problème au second plan – c’est la loi de l’actualité – que nous ne devons pas maintenir la pression afin que ce pays ne sombre pas au mieux dans la léthargie, au pire dans le chaos ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat de politique étrangère intervient à un moment où l’actualité est marquée par une série d’événements dramatiques qui concernent directement notre pays et nous touchent profondément.

En Tunisie, tout d’abord, face à la répression meurtrière d’un mouvement pour la justice sociale et la démocratie, le Gouvernement a été, jusqu’à la chute de Ben Ali, silencieux et complaisant, Mme le ministre des affaires étrangères allant même – honteusement, il faut le dire – jusqu’à proposer notre savoir-faire en matière de maintien de l’ordre, ce dont, comme le souhaite notre groupe, elle devrait aujourd’hui tirer toutes les conséquences.

Au nom du pragmatisme sans principes de votre realpolitik, et au prétexte que ce pouvoir policier corrompu protégeait, paraît-il, le pays de l’islamisme, vous avez cyniquement refusé de voir la véritable nature de ce régime.

Alors que, près de quatre ans plus tôt, le Président de la République se voulait, dans son discours suivant l’annonce de son élection, le président des droits de l’homme, il est resté silencieux quand les Tunisiens criaient chaque jour leur révolte contre le chômage de masse, l’étouffement des libertés publiques, la corruption ou encore l’accaparement de l’économie tunisienne par la famille du président Ben Ali.

Aujourd’hui, surpris par la tournure inattendue des événements, le Gouvernement essaie de se racheter en déclarant qu’on aurait sous-estimé la gravité de la situation.

J’ose vous dire, monsieur le ministre, que si on avait davantage écouté les nombreux parlementaires, plutôt de gauche, il est vrai, qui entretiennent des contacts étroits avec les forces progressistes tunisiennes et qui n’ont pas manqué de vous alerter sur la situation – je pense en particulier à la présidente de notre groupe, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat –, nous n’en serions peut-être pas là !

J’espère, monsieur le ministre, que les toutes dernières déclarations de soutien au processus démocratique engagé en Tunisie n’arriveront pas trop tard pour corriger cette erreur politique et cette faute morale envers le peuple tunisien.

Plus largement, ce qui se passe en Tunisie, mais aussi, peut-être, la situation en Algérie, sont des révélateurs de l’échec de la politique d’association de l’Union européenne avec les pays du Sud.

Permettez-moi de rappeler que la Tunisie, avec sa stricte application des plans d’ajustement du FMI et la libéralisation de son économie à marche forcée, était présentée par Bruxelles comme un modèle en matière de développement. L’Union européenne doit désormais tirer toutes les leçons de son échec et engager une autre politique de coopération et d’association avec les pays du Sud.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, de l’autre côté de la Méditerranée, c’est un mouvement puissant qui s’est levé et qui a, par la force populaire, chassé une dictature. La France doit soutenir sans réserve les aspirations sociales et démocratiques exprimées, à travers ces événements, par le peuple tunisien. Elle doit tout faire pour que le processus démocratique engagé aille jusqu’à son terme, avec la participation de l’ensemble des forces politiques et sociales tunisiennes, y compris la jeunesse, qui – nous l’avons vu – a joué un très grand rôle.

L’actualité, c’est aussi la mort tragique de deux jeunes Français enlevés la semaine dernière au Niger. Ce drame éclaire d’un jour particulier notre débat de cet après-midi, et je voudrais, de nouveau, m’associer ici à la douleur des familles, comme j’ai pu le faire, hier encore, à l’occasion des funérailles d’Antoine et de Vincent, au cours d’une cérémonie empreinte d’une très grande dignité. Les causes et les conséquences de ce triste événement nous invitent aussi, monsieur le ministre, à nous interroger sur les grandes orientations de la politique que vous menez, sous la conduite du Président de la République. Car tout se tient, et votre politique possède sa propre cohérence.

Lorsque des bandits et un groupe terroriste s’en prennent à de jeunes Français innocents en Afrique subsaharienne, ce n’est probablement pas par hasard ; cet acte a une signification : il s’agit clairement d’un combat contre ce que représentent notre pays, son image, mais aussi ses intérêts.

À travers ces crimes, nous payons le prix de l’image dégradée qu’offre notre pays depuis quelques années. En effet, bien que la France soit membre du Conseil de sécurité des Nations unies, nous devons admettre que, sur le plan économique, nous ne sommes plus une grande puissance. Dès lors, il ne nous reste que notre politique étrangère, ce qu’on peut appeler une politique d’influence, pour promouvoir nos valeurs et défendre les intérêts de notre pays et de notre peuple au niveau international.

Mais comment, et dans quel sens, peser pour exercer de nouveau efficacement cette politique d’influence que Mme la ministre d’État appelle de ses vœux, alors que l’action du Président de la République est principalement guidée par son alignement atlantiste ? La dégradation de l’image singulière qu’avait notre pays dans le monde est en grande partie due au renoncement à une réflexion autonome en matière de politique étrangère, mais aussi de défense et de stratégie.

Je crois, par exemple, que la façon dont nous prétendons mener la lutte contre diverses formes de terrorisme est une illustration concrète de notre suivisme à l’égard de certains aspects de la politique américaine. L’analyse que nous faisons de cette question a évidemment des conséquences sur notre politique étrangère. Celle-ci est fortement imprégnée des thèses américaines qui définissent un nouvel « arc de crise » mondial allant de la Mauritanie à l’Afghanistan, en passant par le milieu de l’Afrique. Cette vision se retrouve, d’ailleurs, dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui a fixé les grandes orientations stratégiques de notre pays.

Confrontés, dans cette région, à des actes terroristes qui nous visent directement, à travers nos compatriotes et nos intérêts économiques, nous risquons pourtant de tomber dans un piège. Il me semble donc légitime de vous demander quelle est désormais la stratégie du Gouvernement et du Président de la République pour assurer la sécurité de nos compatriotes à l’étranger et lutter contre les prises d’otages, car donner la priorité aux actions militaires, comme cela a été le cas ces derniers temps, ne me paraît pas être la bonne manière de répondre à ces menaces. L’échec de l’opération de libération des otages suscite des interrogations légitimes, nul doute que les enquêtes aideront à y répondre.

Mais, plus fondamentalement, je crois que le renforcement de notre implication militaire et de notre dispositif dans ces pays ne fait qu’aggraver la situation à notre détriment et contribue à accentuer le ressentiment des populations à notre encontre entretenu par AQMI, la branche d’Al-Qaïda dans cette partie du monde. Il faut donc soutenir les États faibles de cette région, en privilégiant l’aide à leur développement, et refuser l’engrenage militaire dans lequel nos ennemis souhaitent nous entraîner.

C’est la raison pour laquelle il convient d’accueillir favorablement l’annonce faite par Mme Ashton du lancement d’un programme spécifique d’aide aux pays du Sahel. Si la France est aujourd’hui particulièrement visée par de tels groupes, c’est moins à cause de la politique coloniale que nous avons menée dans cette région qu’en raison de l’image que nous donnons souvent à l’étranger, celle d’un pays dont la politique étrangère est alignée sur la conception américaine de défense des intérêts du monde occidental.

Au Sahel, nous payons aussi le prix de la guerre que nous menons en Afghanistan au sein d’une coalition dirigée par les États-Unis. Nous sommes aujourd’hui engagés dans un conflit qui, au bout de dix ans, a changé de nature, d’objectif et de stratégie, stratégie sur laquelle – il faut bien l’avouer – nous n’exerçons du reste qu’une influence marginale. Un ancien directeur du Collège interarmées de défense a même pu écrire qu’il s’agissait d’une guerre américaine.

Maintenir nos troupes dans un conflit qui n’est plus le nôtre, est-ce là aussi le prix de notre retour dans le commandement militaire de l’OTAN ? Quand bien même nous savons qu’il n’existe pas de solution militaire pour résoudre les problèmes de l’Afghanistan, que, dans le même temps, la situation sécuritaire se dégrade, qu’un État digne de ce nom n’existe toujours pas et que le développement du pays semble, dans ces conditions, être utopique, nous persistons à suivre la voie tracée par les États-Unis !

En effet, alors même que l’année 2010 a été la plus meurtrière pour la coalition, et que nos troupes, auxquelles je rends hommage, ont payé un très lourd tribut, avec vingt-deux soldats français morts cette seule année, le Président de la République, dans ses vœux aux armées, a annoncé qu’elles seraient de nouveau « très sollicitées » en 2011.

Décidément, comme nous vous le demandons depuis longtemps avec nos collègues socialistes, il est maintenant impératif que le Parlement se prononce enfin par un vote sur les raisons et l’opportunité de poursuivre notre engagement militaire en Afghanistan. (MM. Jean-Louis Carrère et Jean-Claude Peyronnet applaudissent.)

La France devrait être à l’origine de prises de position et d’initiatives fortes. En concertation avec d’autres membres de la coalition, il faudrait, par exemple, avoir le courage de dire que cette stratégie n’est pas la bonne, et nous désengager militairement d’un conflit dont les raisons ne sont plus les mêmes qu’initialement. Prévoyons un retrait progressif, mais rapproché dans le temps, de nos forces, ce qui permettrait de faire pression sur le gouvernement Karzaï pour qu’il mette maintenant rapidement en place, s’il en a vraiment la volonté, les outils permettant le développement du pays.

Enfin, et cela concerne directement les affaires étrangères, la France devrait inciter les États de la région à prendre, ensemble, leurs responsabilités pour aider à résoudre ce conflit.

Je sais que j’ai dépassé le temps de parole qui m’était imparti, mais, avec votre permission, monsieur le président, je souhaiterais aborder un autre point important, la situation israélo-palestinienne.

M. le président. Je vous accorde une minute supplémentaire, ma chère collègue.

M. Jean-Louis Carrère. Ils ont tous dépassé leur temps de parole, certains même de quatre minutes !

Mme Michelle Demessine. Face à l’enlisement du processus de paix entre l’État d’Israël et les Palestiniens, nous faisons preuve du même effacement par rapport à la politique que mènent les Américains dans cette région. Nous devons en être conscients, ceux-ci ont renoncé à faire pression sur le gouvernement israélien pour qu’il mette fin à sa politique de colonisation des territoires occupés, principal obstacle à la création d’un État palestinien. Notre pays ne fait plus entendre une voix originale et forte sur ce sujet.

La France, mais aussi l’Union européenne, semblent paralysées et incapables de prendre des initiatives qui leur soient propres pour faire respecter, enfin, les résolutions de l’ONU. Nous continuons à attendre et à nous réfugier derrière l’inefficace consensus qui caractérise les réunions du Quartet. Espérons toutefois que celle du 5 février sera plus fructueuse !

Je n’ai pas le temps de parler du G8 et du G20. Toutefois, eu égard à l’image dégradée de notre pays dans certaines régions du monde, je doute fortement de la capacité du Président de la République à se faire entendre pour réformer le système monétaire international et réguler les marchés agricoles et ceux des matières premières.

Telles sont, monsieur le ministre, les appréciations, certes sévères, mais lucides, que je souhaitais porter, au nom du groupe CRC-SPG, sur quelques aspects de la politique étrangère menée par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sujets ne manquent pas, et ma préférence naturelle, pour ne pas dire mon héritage familial et politique, me conduirait à vous parler de la Palestine. Ce sujet n’offre toutefois que des raisons de désespérer, devant une situation devenue le symbole de l’impuissance et de la vanité du droit international, pour autant que ce mot ait encore un sens dans cette région du monde…

Je pourrais aussi vous parler du Golfe persique et, pour faire le lien avec le sujet précédent, de l’application d’un double standard : la plus grande fermeté à l’égard des uns, la plus grande lâcheté envers les autres.

Mais, ce faisant, monsieur le ministre, je ne ferais que répéter ce qui a déjà été dit, pour ne pas dire rabâcher. J’ai donc choisi un thème qui pourrait me donner l’occasion de vous proposer une innovation dans les relations du ministère des affaires étrangères avec le Parlement.

En effet, ce ministère n’est pas comme les autres : il porte la voix de la France, et les parlementaires qui s’intéressent à la politique étrangère, qui voyagent et sont appelés à la commenter savent, ou devraient savoir, que la France ne doit parler que d’une seule voix.

Je suis volontiers iconoclaste, on le sait, mais pas en cette matière. Nous pouvons avoir des divergences de vues sur tel ou tel dossier, telle ou telle déclaration – c’est souvent le cas –, cependant la France doit, je le répète, parler d’une seule voix sur les sujets délicats.

Le principe de la séparation des pouvoirs ne doit pas vous interdire d’informer les parlementaires du point de vue officiel de la France sur des thèmes qui, sans être très médiatiques, n’en sont pas moins importants. Je citerai quelques exemples à cet égard.

Puisque nous étions dans le Golfe persique, restons-y ! Je voudrais évoquer l’Organisation des Moudjahidines du peuple d’Iran, ou MKO : qui n’a pas vu des grappes de femmes iraniennes bâchées tentant d’arracher une signature au nom d’un Iran libre et démocratique qu’elles et leurs acolytes prétendent incarner ?

On peut penser ce qu’on veut de cette association, mais je rappellerai qu’elle est classée parmi les organisations terroristes aux États-Unis et que, aux yeux de la population iranienne, son action s’apparente plus à la collaboration qu’à la résistance. Souvenons-nous que les troupes du MKO ont fait la guerre aux côtés de l’Irak de Saddam Hussein, contre l’Iran ! Si l’Europe a décidé de suspendre son inscription sur la liste des organisations terroristes, c’est pour des raisons de procédure, et non pour des raisons de fond. Mais a-t-on jamais vu des militants s’intéresser aux motifs d’une décision ?

Il se trouve que le ministère compte parmi ses collaborateurs un spécialiste de cette question : ne croyez-vous pas, monsieur le ministre, que, sur un sujet aussi délicat, il pourrait être utile de rencontrer les parlementaires et de leur communiquer des éléments de langage, de façon à ce que chacun n’accorde sa signature qu’en étant parfaitement informé de tous les tenants et aboutissants du dossier, et que les journaux du monde entier, américains en particulier, ne s’alarment pas de ce que des dizaines d’entre vous aient signé une pétition en faveur du MKO de Mme Rajavi ! (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.) Je ne dis pas qu’il faut empêcher les parlementaires de signer ; je dis simplement qu’il faut les éclairer !

Pour ma part, j’ai eu du mal à dissuader mes collègues, harcelés jusque dans les couloirs lors de la tenue du Congrès à Versailles, de signer. Il faut dire que, connaissant bien l’Iran, j’étais probablement moins crédible que d’autres… Toujours est-il qu’il a fallu le soutien de notre excellent ambassadeur Bernard Poletti pour venir à bout de certaines résistances.

En ce qui concerne le Caucase, ce n’est pas faire injure à nos amis arméniens de la diaspora que de rappeler que la France ne connaît pas et ne reconnaît pas la république autoproclamée du Haut-Karabakh.

Si vous rappeliez ces faits, monsieur le ministre, cela ferait peut-être hésiter les plus motivés de nos collègues à accepter de se rendre en mission officielle dans ce territoire occupé, reconnu comme tel par la population qui y vit comme par la communauté internationale. Ils éviteraient aussi d’aller y contrôler de prétendues élections et d’apparaître dans les journaux comme donnant des gages en notre nom à tous.

La position de la France a été rappelée ici même par Pierre Lellouche le 6 juillet dernier. Elle est sans ambiguïté : la France, pas plus qu’aucun autre État, pas même l’Arménie, ne reconnaît l’indépendance du Haut-Karabakh. La France soutient la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan dans ses frontières internationalement reconnues. Cette position a été rappelée par le Gouvernement à la représentation nationale.

Fidèle à cette position de principe, la France n’entretient naturellement aucune relation avec les autorités de facto du Haut-Karabakh, et cette entité autoproclamée ne dispose d’aucune représentation accréditée auprès du Gouvernement français.

Vous pourriez très bien communiquer ces éléments, comme autant d’éléments de langage, à nos collègues parlementaires qui ne font pas partie de la commission des affaires étrangères, mais qui s’intéressent à ce sujet.

La France copréside le groupe de Minsk et, même si le sujet n’est pas très médiatique, il me semble important que chacun soit informé de ce qui se passe dans ces territoires, d’autant que, en 2010, les négociations sont entrées dans une phase difficile, avec, semble-t-il, une certaine intransigeance du côté arménien, accompagnée, parallèlement, d’un raidissement croissant des positions azerbaïdjanaises.

L’augmentation des dépenses militaires et la réapparition d’une rhétorique belliciste, qui avait été mise en sourdine à l’été 2008, contribuent également à crisper quelque peu le climat des négociations.

Monsieur le ministre, sur ces sujets, il serait intéressant, me semble-t-il, que l’ensemble de nos collègues fussent informés. (M. le ministre acquiesce.)

J’achèverai cette intervention en posant trois questions que vous voudrez bien, j’en suis certaine, transmettre à Mme la ministre d’État.

M. Henri de Raincourt, ministre auprès de la ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération. Elle revient ! Et elle entend tout ! (Sourires.)

Mme Nathalie Goulet. Je n’en doute pas !

Tout d’abord, le Président Sarkozy avait promis de se rendre en Azerbaïdjan : une date est-elle fixée dans son agenda pour tenir cette promesse ? Ensuite, quelle est la place réservée au conflit du Nagorno-Karabakh dans l’ordre du jour chargé du G20 et du G8 ? Enfin, lorsque Mme Alliot-Marie était ministre de l’intérieur, elle s’était engagée à assurer le « service après-vente » de la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public et à prendre l’attache du ministre des affaires étrangères de façon que ce texte fût expliqué dans les pays du Maghreb et les pays arabes : où en est-on sur ce point ? (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.)

Sous le bénéfice des observations que j’ai formulées, vous pouvez compter sur mon soutien. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées de lUMP.)

M. Henri de Raincourt, ministre. Nous y sommes sensibles !

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, madame la ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, tenir à l’écart le Parlement en matière de politique étrangère est une constante sous la Ve République.

Depuis 2007, entre la diplomatie secrète de l’Élysée et la flamboyante passivité de votre prédécesseur, madame la ministre d’État, on a atteint des sommets dans l’art d’infantiliser le Parlement ! (Protestations sur les travées de lUMP.)

En conséquence, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, avoir suscité ce débat sur la politique étrangère est une excellente initiative ! Au nom du groupe socialiste, je vous en remercie.

M. Jacques Blanc. Nous aussi !

M. Jean-Louis Carrère. L’actualité est riche, débordante même, et nombreux sont les faits qui appellent notre attention, nous amènent à nous interroger, nous préoccupent, nous alarment.

Toutefois, je ne me suis pas inscrit dans ce débat simplement pour commenter l’actualité ! Nos concitoyens attendent de nous autre chose : ils souhaitent que le Parlement fasse son travail, qu’il contrôle l’action du Gouvernement, qu’il critique les orientations de la politique étrangère et formule des recommandations utiles ; ils s’attendent à ce que l’opposition vous interroge, madame la ministre d’État, sur les tragiques événements qui ont eu lieu à la frontière entre le Mali et le Niger, sur la mort de ces deux garçons, qui a soulevé une grande émotion dans notre pays, émotion que nous comprenons et que nous partageons.

Nous souhaitons aussi vous questionner sur l’opération militaire déclenchée pour les sauver et qui a malheureusement échoué, sur l’efficacité de la méthode employée, sur la doctrine, la stratégie qui doivent guider ce type de réactions. Poser des questions n’est pas s’opposer ; c’est la latitude normale d’un parlementaire, qu’il soit dans l’opposition ou dans la majorité.

Ces interrogations sont légitimes, surtout dans cette enceinte, d’autant que la politique étrangère de la France pâtit aujourd’hui d’un grand manque de lisibilité et de l’atonie de l’outil diplomatique.

La chute de la dictature tunisienne vous a prise de court. Certaines déclarations auraient dû être évitées et d’autres, exprimant un soutien au peuple tunisien, ne sont pas venues à temps. Pourtant, que ce soit au sein de la commission ou en séance publique, Mme Cerisier-ben Guiga n’avait pas manqué de nous alerter sur la situation en Tunisie.

Madame la ministre d’État, le problème est qu’on ne perçoit plus le sens de la politique étrangère de la France : à l’égard du Maghreb, du Proche-Orient, de l’Afrique, on ne voit rien venir, rien d’original en tout cas ; on suit les mouvements, on tente de les épouser…

Deux de vos prédécesseurs, MM. Védrine et Juppé, lequel siège à vos côtés au conseil des ministres, se sont justement inquiétés de cette situation. Ils se sont élevés contre l’affaiblissement constant de l’appareil diplomatique, victime d’anémie budgétaire et d’une certaine somnolence, privé qu’il est des attributs essentiels de sa fonction par la grâce de l’activisme de l’Élysée et de ses émissaires plus ou moins officiels…

Madame la ministre d’État, vous me connaissez, je n’avance pas masqué et je ne mâche pas mes mots : allez-vous reprendre les dossiers de politique internationale délaissés par votre prédécesseur et traités couramment par M. Guéant et ses conseillers à l’Élysée, qui les ont confisqués ?

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Jean-Louis Carrère. Dans une démocratie moderne, il n’y a pas de place pour un domaine réservé interdit au Parlement.

M. Jean-Louis Carrère. L’idée d’aborder ce sujet m’est venue en relisant l’interview de M. Sarkozy publiée dans la revue Le Meilleur des mondes le 5 octobre 2006.

M. Robert del Picchia. Vous avez de bonnes lectures !

M. Jean-Louis Carrère. Cela m’arrive, en effet !

Je cite les propos qu’avait alors tenus M. Sarkozy :

« L’idée d’un domaine réservé me paraît contraire à la démocratie. À mes yeux, il n’y a pas de domaine réservé. […] Je demande que les tabous soient levés en matière de politique étrangère, je demande que le Parlement puisse en débattre et je conteste l’idée qu’un homme, quelle que soit sa fonction, demeure “propriétaire” de cette question. » On devine qui était visé…

Il avait raison ! Madame la ministre d’État, vous avez le devoir de suivre son conseil ! Le Parlement serait disposé à jouer dans un esprit de responsabilité une nouvelle partition. Pour cela, madame la ministre d’État, il faudrait définir notre politique étrangère, renforcer les capacités d’anticipation et d’influence de notre diplomatie. (M. Didier Boulaud s’exclame.)

Par exemple, la situation au Sahel constitue un très sérieux avertissement. Occupé à suivre les Américains en Afghanistan, le Gouvernement a négligé cette partie de l’Afrique qui nous est si proche. Certes, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale évoque la région sahélienne et la constitution d’une zone de non-droit source de dangers, mais les actes n’ont pas suivi ! L’œuvre de prévention n’a pas été réalisée, et aujourd’hui il faut réagir dans l’urgence, sans avoir l’initiative, en allant sur le terrain choisi par l’adversaire ! Ce n’est pas la meilleure façon d’assurer la sécurité. Sous la conduite du Président de la République, la France a fait preuve d’un curieux strabisme stratégique. Année après année, l’effort diplomatique, militaire, économique de la France s’est détourné de cette zone.

Pourtant, des signes avant-coureurs de la dégradation de la situation n’ont pas manqué de nous alerter, tels que l’émigration massive de personnes choisissant, au péril de leur vie, de quitter leurs terres pour tenter de survivre, la violence, le banditisme, le terrorisme qui ont proliféré depuis des années sur le terreau des États en faillite.

Nous l’avons dit hier, nous le redisons aujourd’hui : il faut tout mettre en œuvre, dans le cadre de la loi, pour lutter contre le terrorisme, se montrer implacables, s’attaquer aux sources de cette menace. La protection de nos ressortissants est une mission essentielle de l’État.

Ne venez donc pas nous accuser d’angélisme ou de je ne sais quelle tolérance malvenue. Au nom du groupe socialiste, je persiste et je signe : l’extrémisme, le terrorisme, la violence aveugle qui tue les innocents sont les fruits de la misère, de l’obscurantisme, de l’injustice et de la non-assistance aux peuples en danger ! Les minorités violentes qui dévoient l’islam pour tenter de justifier leurs actes sont le produit malsain de situations malsaines !

Dans ce domaine, l’action de la France, de l’Europe doit s’exercer avec fermeté, mais aussi avec créativité, en affirmant notre autonomie de décision. Je partage votre analyse sur ce point, monsieur le président de la commission. Hélas ! le tropisme américain du Président de la République nous a portés sur un autre chemin.

Certes, il n’est pas dans notre intérêt que l’Afghanistan redevienne un foyer de terrorisme intégriste, mais pendant que nous nous engagions dans ce pays, nous avons laissé prospérer un autre foyer aux portes mêmes de la Méditerranée. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette diplomatie atlantiste !

Je pense qu’il faut modifier, renouveler, revoir les méthodes et certaines actions de la France en Afrique ! Notre pays ne peut pas agir en 2011 comme si nous étions encore en 1960. Mais il ne fallait pas jeter le bébé avec l’eau du bain, si je puis m’exprimer ainsi ! La méthode frénétique employée par le Président de la République a conduit à abandonner sans recréer une présence, à renoncer à des actions et à des initiatives sans les remplacer par de nouvelles.

Limité dans son action par des moyens financiers en déclin, pressé par une volonté de coller à l’allié américain en Afghanistan, obnubilé par le retour dans le giron de l’OTAN, le Président Sarkozy a négligé, à notre sens, une partie du monde que l’histoire et la géographie ont placée au côté de notre pays.

Plus grave encore, la France n’a pas su non plus, ces dernières années, être un vecteur de démocratie, de progrès économique et social ; elle est restée liée à des élites corrompues et déclinantes, perdant ainsi la confiance des peuples africains.

L’édification de murs bureaucratiques infranchissables en guise de politique anti-immigration, une course effrénée derrière le Front national ont fini de discréditer notre pays et l’Europe. D’autres concurrents viennent ramasser la mise, et il n’est pas sûr que ce soit au bénéfice des populations africaines…

Pour conclure, madame la ministre d’État, je dirai quelques mots sur l’Afghanistan.

Le Parlement doit pouvoir débattre de la poursuite de la participation française à cette guerre. Madame la ministre d’État, comme l’article 50-1 de la Constitution vous y autorise, vous pourriez soumettre au Parlement une déclaration sur l’Afghanistan qui soit suivie d’un débat et d’un vote. Au nom du groupe socialiste, je vous demande de bien vouloir le faire !

M. Didier Boulaud. Elle va bien s’en garder !

M. Jean-Louis Carrère. Bien évidemment, je n’aurai pas l’outrecuidance de vous proposer une date ; je vous demande simplement de bien vouloir organiser un tel débat.

En 2001, le Premier ministre d’alors, Lionel Jospin, avait assorti l’intervention militaire en Afghanistan d’objectifs diplomatiques et politiques précis. Au regard de la situation actuelle, il est essentiel de les rappeler : reconstruire l’Afghanistan sur la base du droit, du dialogue et d’un système représentatif ; apporter une aide matérielle et humanitaire aux nouvelles autorités afin d’asseoir leur légitimité ; assécher le narcotrafic et la contrebande de produits chimiques ; favoriser la solution négociée et juste des conflits au Proche-Orient afin de prévenir toute tentative de légitimation du recours à la violence terroriste.

M. Didier Boulaud. C’est gagné !

M. Jean-Louis Carrère. La lutte militaire contre le terrorisme d’Al-Qaïda s’inscrivait dans le cadre précis de ces objectifs politiques codéfinis par le Président Jacques Chirac et par le Premier ministre Lionel Jospin. Après neuf ans d’intervention, regardez où nous en sommes… Cela ne peut plus durer !

Je l’ai déjà indiqué ici même le 26 novembre dernier : il nous faut aller vers un retrait progressif, calculé et planifié d’Afghanistan. Ce débat doit avoir lieu au Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.

M. Jacques Gautier. Monsieur le président, madame la ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat d’aujourd’hui se situe au cœur de l’actualité. La fin de l’année 2010 et le début de cette année 2011 voient la situation internationale placée sous le signe de vives tensions, et parfois d’explosions populaires.

Il est naturel d’évoquer largement cet après-midi ce qui vient de se passer en Tunisie, en Algérie, en Côte d’Ivoire ou à Niamey, mais nous devons aussi aborder d’autres sujets, moins immédiats mais tout aussi brûlants.

Avant de poursuivre, je souhaite à mon tour m’associer à la douleur des familles des otages français lâchement assassinés la semaine dernière.

Il est nécessaire que nous, responsables politiques, soyons capables de replacer ce dramatique événement dans son contexte général, celui de la guerre terroriste et psychologique que mènent Al-Qaïda et AQMI contre l’Occident et la France.

Chaque prise d’otages, qu’elle ait lieu au Niger, en Afghanistan, en Somalie, dans le golfe de Guinée ou ailleurs, est spécifique, et nous ne pouvons définir une seule et unique stratégie.

Dans certains cas, il faut réagir à chaud, en « flagrant délit », dirai-je ; dans d’autres, la réponse doit être apportée dans la durée. De même, avec certains preneurs d’otages, le dialogue est possible, alors qu’avec d’autres aucun contact ne peut être noué : tel est le cas, malheureusement, s’agissant des ravisseurs de nos ressortissants collaborateurs d’AREVA.

Il appartient donc à l’exécutif et au Président de la République, qui disposent de la totalité des éléments et des informations, de prendre à chaque fois la décision qu’ils pensent être la meilleure pour préserver la vie de nos concitoyens et défendre les valeurs qui sont les nôtres.

Nous devons refuser les affirmations gratuites ainsi que les analyses périlleuses, souvent totalement artificielles, et être solidaires de ceux qui ont la responsabilité de décider. Cela est vrai aujourd’hui, cela l’était hier,…

M. Didier Boulaud. Hélas non !

M. Jacques Gautier. … cela devra être notre ligne de conduite demain, quels que soient les responsables politiques au pouvoir dans notre pays.

M. Jean-Louis Carrère. Vous n’avez jamais été solidaires des gouvernements socialistes ! Jamais !

M. Didier Boulaud. Il est facile de demander aux autres d’être vertueux quand on ne l’est pas soi-même !

M. Jacques Gautier. Force est de constater que la fin de la guerre froide et la disparition des blocs ont laissé place à des risques et à des vulnérabilités, à de nouvelles menaces moins identifiables, plus diffuses, émanant d’acteurs non étatiques. Nous sommes, de fait, dans un contexte de « paix chaude ». La menace nucléaire dans le monde ne répond plus à la rhétorique des deux blocs. Nous savons que les dangers sont ailleurs et qu’il faut ajouter une menace permanente bien plus actuelle, celle du terrorisme mondial.

Al-Qaïda, que nous combattons en Afghanistan, a des ramifications internationales plus ou moins directes, comme AQMI, qui n’existe qu’au travers d’exactions et d’actes odieux et médiatiques dirigés contre les symboles de l’Occident. Le terrorisme bafoue même le droit de la guerre et frappe ses victimes sans considération de nationalité ou de convictions religieuses. Au sein de l’arc sahélien, chacun de nos ressortissants devient une cible potentielle. Mais n’oublions pas, mes chers collègues, les chrétiens d’Irak, les coptes d’Égypte, les musulmans au Pakistan ou les hindouistes à Bombay, victimes de colis piégés, de kamikazes ou d’autres formes d’attentats, et ce quotidiennement.

Les événements actuels au Maghreb, qui peuvent s’étendre, me semblent d’une tout autre nature. En effet, le fait religieux n’apparaît pas comme la pierre angulaire de ces mouvements. Les populations se révoltent parce qu’elles veulent davantage de libertés, mais aussi parce que la crise économique a aggravé, dans ces régions, les problèmes du chômage et de la faim. Si elles sont descendues dans la rue, c’est souvent, au départ, parce qu’une augmentation insupportable du prix des denrées essentielles à la nourriture quotidienne est intervenue. Nous retrouvons depuis 2008 ces émeutes de la faim, qui peuvent devenir le terreau des révolutions, mais aussi des fanatismes.

Les fluctuations sur les marchés des matières premières en général, et des céréales en particulier, affectent directement les plus fragiles. Disons-le ici, la volatilité des cours des céréales à la bourse de Chicago est aussi dramatique que celle des autres marchés. Ne nous masquons pas la réalité : cette situation va s’aggraver, car les greniers à blé de la planète ne sont pas remplis, les récoltes de 2010 ayant été mauvaises en raison de la sécheresse, des incendies et des inondations. Cela augure de futures flambées du prix des céréales, que nous devrons prendre en compte, car elles risquent de provoquer des crises dans les pays les plus pauvres.

La France, en raison de ses liens, issus de la colonisation, avec ces pays, est concernée par ces grands mouvements, mais elle est parfois, à cause précisément de ce passé, la plus mal placée pour donner des leçons aux régimes au pouvoir ou à ceux qui se mettent en place.

Acteur majeur de la scène internationale, la France doit apporter son soutien aux pays de la région dans la gestion de leurs crises, afin d’éviter le plus possible les embrasements. Cependant, tant pour la Côte d’Ivoire que pour la Tunisie, les organisations régionales doivent jouer leur rôle : il y va de leur crédibilité et de la stabilité du continent africain tout entier. Je pense à l’Union africaine, à la CEDEAO, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, ainsi qu’à l’Union pour la Méditerranée, qui peine encore à se réaliser.

M. Didier Boulaud. C’est le moins que l’on puisse dire ! Elle existera dans une autre vie !

M. Jacques Gautier. La partition du Soudan entre le nord musulman et le sud chrétien qui devrait intervenir dans quelques jours représente de nouveaux risques pour la région. Il faut travailler en coopération pour répondre à ces défis.

La Chine est aujourd'hui de plus en plus présente en Afrique. Elle figure parmi les principaux bailleurs de fonds et elle est un acteur de premier plan, notamment dans le secteur de l’extraction des matières premières. Il est donc primordial qu’elle assume sa part de responsabilités dans le maintien de la paix internationale.

Je voudrais évoquer à mon tour l’Afghanistan, pays que vous connaissez bien, madame le ministre d’État, vous qui fûtes ministre de la défense.

Il semble que la sécurisation des grandes zones habitées puisse être en partie assurée vers 2014-2015, ce qui permettrait aux États-Unis et à leurs alliés, dont nous sommes, d’alléger leur dispositif. Nous l’avons déjà fait à Kaboul et nous nous apprêtons à le faire en Surobie. Il appartient à l’armée et à la police afghanes d’assurer elles-mêmes la sécurité, avec bien sûr le maintien du mentoring, ainsi que d’un soutien dans les domaines aérien et du renseignement.

Ce défi semble pouvoir été relevé, mais qu’en est-il, madame le ministre d’État, de celui de la mise en place d’une administration responsable et d’un pouvoir politique audible ? L’État afghan doit créer, le plus rapidement possible, les conditions de l’émergence de la justice, du développement économique, de l’éducation et de la liberté de la femme. Je suis de ceux qui pensent qu’il ne faut pas plaquer notre démocratie occidentale, avec ses constitutions et ses modes de vie,…

M. Didier Boulaud. On y vient !

M. Jacques Gautier. … sur des pays encore soumis au poids de la féodalité et de spécificités tribales, mais il est nécessaire que le Gouvernement afghan progresse pour répondre à l’attente des populations.

En Afghanistan comme ailleurs, la France joue un rôle particulier, elle qui incarne aux yeux du monde la liberté et la démocratie.

M. Jean-Louis Carrère. De moins en moins !

M. Jacques Gautier. Cependant, nous ne pouvons prétendre régler tous les maux de la planète. C’est pour cette raison que les puissances régionales doivent s’impliquer pleinement dans la résolution des tensions ou des conflits locaux.

Au-delà des formules toutes faites et des critiques à l’emporte-pièce, souvent exprimées d’ailleurs a posteriori, il est nécessaire de travailler dans la durée et de faire confiance aux premiers concernés, c’est-à-dire aux populations elles-mêmes. L’ingérence ou toute autre forme de paternalisme doit laisser place à la responsabilisation, qu’il s’agisse de nos amis Tunisiens, Ivoiriens ou Afghans.

C’est donc avec modestie, avec amitié mais aussi avec fermeté, que nous devons accompagner ces peuples sur le chemin de la démocratie. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Soibahadine Ibrahim Ramadani.

M. Soibahadine Ibrahim Ramadani. Monsieur le président, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je tiens avant tout à saluer l’initiative de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui a organisé ce débat parlementaire pour interroger le Gouvernement sur les questions de politique étrangère. Il s’agit d’un sujet essentiel dans un monde de plus en plus globalisé, où les crises se succèdent.

En ce début d’année 2011, il est difficile de ne pas évoquer les événements malheureux qu’a connus le monde au cours de ces derniers mois, notamment l’impasse politique en Côte d’Ivoire, les violences qui secouent le Maghreb, le risque de retour d’un conflit au Soudan, les prises d’otages et les assassinats dont nos compatriotes sont victimes en Afghanistan, au Mali, en Mauritanie ou encore au Niger.

Cependant, j’évoquerai aussi des événements qui ont connu, ou qui devraient connaître, un dénouement plus heureux : je pense à la libération de la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi, à la possible annulation de la condamnation à la peine de mort par lapidation pour adultère prononcée contre l’Iranienne Sakineh Mohammadi Ashtiani, ainsi qu’à l’attribution du prix Nobel de la paix au Chinois Liu Xiaobo, pour son engagement en faveur de la démocratie dans son pays.

Face à tous ces événements, notre diplomatie a su rester mobilisée pour la défense de la justice, du droit, de la démocratie, ainsi que pour la protection de nos compatriotes pris pour cibles dans des zones difficiles.

Ce débat parlementaire me donne l’occasion, madame le ministre d’État, de vous interroger sur les relations entre la France et les Comores, la crise politique à Madagascar et la lutte contre la piraterie maritime dans l’océan Indien.

Tout d’abord, concernant la situation aux Comores, vous le savez, la Cour constitutionnelle a validé l’élection de M. Ikililou Dhoinine comme nouveau président de l’Union des Comores. Il succédera prochainement à M. Ahmed Abdallah Sambi.

À ce propos, je souhaiterais connaître la position du Gouvernement sur ce nouvel exécutif de l’État comorien, vos priorités en matière de coopération avec les Comores, ainsi que l’état d’avancement du dossier de demande d’extradition de M. Ahamada Saindou, auteur présumé du viol d’une magistrate à Mayotte.

Ensuite, tandis que les Comores quittent la zone d’instabilité politique, Madagascar reste, depuis deux ans, plongée dans celle-ci, avec l’éviction de M. Marc Ravalomanana et l’arrivée au pouvoir de l’ex-maire d’Antananarivo, M. Andry Rajoelina, qui préside désormais la Haute Autorité de transition, la HAT, non reconnue par l’ensemble de la communauté internationale.

Malgré les critiques de l’opposition, le président de la HAT a mis en œuvre la feuille de route issue de l’accord d’Ivato du 13 août 2010 et de la Conférence nationale de septembre 2010, en organisant le référendum du 17 novembre dernier, qui a créé la ive République de Madagascar.

Madame la ministre d’État, pourriez-vous nous indiquer quelles initiatives sont prises par la France pour aider ce pays ami à sortir d’une crise qui risque de l’isoler davantage encore et qui a tant de conséquences sur la population malgache et sur la région ?

Enfin, l’un des enjeux de la coopération entre la France, Madagascar et les Comores est la lutte contre la piraterie maritime dans la zone.

Je rappelle qu’un accord de coopération militaire a été signé à ce titre avec le ministère de la défense de l’Union des Comores en septembre dernier, mais les événements de ces dernières semaines doivent nous inciter à la vigilance.

En effet, à la fin du mois de décembre, un navire de pêche mozambicain, le Vega 5, a été saisi par des pirates à environ 200 milles au sud-ouest des Comores avec, à son bord, quatorze marins dont la nationalité n’a pas été révélée à ce jour. C’est la première fois qu’une telle attaque a lieu non loin des côtes de l’archipel, et c’est ce qui rend la situation préoccupante.

Malgré les efforts déployés par la force maritime européenne Atalante, la zone des attaques ne cesse de s’étendre. Ainsi, pas plus tard qu’à la fin de la semaine dernière, un bateau de plaisance en croisière dans la zone, le Spirit of Adventure, battant pavillon britannique, a été pris en chasse par un hors-bord au large des côtes mahoraises, heureusement sans succès. Ce paquebot, qui avait fait escale à Mayotte le 11 janvier, devait y revenir le 22 janvier prochain, mais cette escale a été annulée eu égard aux risques encourus, ce qui met le point final à une piètre saison touristique dans l’île. Certaines sources avancent le chiffre de vingt-six navires et plus de 600 otages détenus par les pirates à ce jour.

Outre qu’il est nécessaire de renforcer les moyens techniques de la force Atalante, le cadre juridique actuellement en vigueur ne permet pas de juger efficacement les auteurs de ces actes de piraterie. La loi du 5 janvier 2011 relative à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police de l’État en mer permet à la France d’améliorer l’efficacité de la lutte contre les actes de piraterie commis en mer, mais, face à la complexité, notamment sur le plan juridique, de la question, comment le Gouvernement coopère-t-il avec les États voisins et dans quelle mesure les forces maritimes disposées à Mayotte et à la Réunion peuvent-elles intervenir contre ce fléau qui semble se rapprocher chaque jour de nos côtes ?

Telles sont, madame le ministre d’État, les questions sur lesquelles je souhaitais attirer votre attention, car la situation très instable dans laquelle se trouve la zone sud-ouest de l’océan Indien ne laisse pas indifférents les Mahorais. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, madame la ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre monde change vite. Ainsi, en l’espace d’un mois et demi, trois événements ont appelé une réponse rapide et appropriée de la diplomatie française, réponse qui doit se rattacher à une ligne directrice forte.

En Côte d’Ivoire, tout d’abord, la France a un rôle à jouer pour favoriser l’émergence d’une solution africaine à la crise. La situation actuelle annonce-t-elle la fin de la Françafrique ? Ne faudrait-il pas, comme M. Dulait, M. Hue et moi-même l’avions suggéré voilà quelques années dans un rapport rédigé au nom de la commission des affaires étrangères, mener une politique plus dynamique à l’égard des grandes puissances africaines que sont le Nigéria, l’Angola et l’Afrique du Sud ?

Par ailleurs, samedi 8 janvier, le décès dramatique de deux jeunes Français enlevés au Niger a bouleversé tous nos compatriotes. Ils ont donné l’image d’une jeunesse française courageuse et curieuse du monde qui nous entoure. La France entière a été profondément touchée par leur sort.

Tous les moyens doivent être mobilisés pour éradiquer la mouvance terroriste qui opère dans la bande sahélo-saharienne et pour que nos concitoyens soient en sécurité dans cette région. Peut-être faut-il s’interroger sur la politique de déstabilisation de cette région entreprise par une grande puissance régionale, pour ne parler que de l’Algérie.

Enfin, en Tunisie, un gouvernement provisoire d’union nationale a été formé hier, trois jours après la fuite précipitée du président Ben Ali, chassé par un mois de contestation dans la rue. Ce fut un beau moment de réaction démocratique. Là encore, la France doit être aux côtés de la nation tunisienne, voisine et amie, pour l’aider à rétablir le calme et à opérer sa transition vers la démocratie. Je pense qu’à ce titre nous devons faire preuve de vigilance, afin que ce nouveau gouvernement ne soit pas le « faux nez » d’un régime tout juste rejeté.

Après la gestion de la crise et de l’urgence, la France, l’Union européenne et les pays du Maghreb devront s’interroger ensemble sur la nature du partenariat qu’ils veulent bâtir. Là aussi, il me semble que l’Algérie détient la clé.

Il n’existe pas réellement d’organisation régionale qui permette aux États du Maghreb de coopérer, de régler leurs litiges et d’entretenir des relations commerciales et politiques mutuellement bénéfiques. Depuis sa création en 1989, l’Union du Maghreb arabe ne s’est pas développée, et elle n’a été que peu soutenue par l’Union européenne au travers du partenariat euro-méditerranéen, ou Euromed, dit aussi « processus de Barcelone ».

En outre, deux ans et demi après sa création, force est de constater que l’Union pour la Méditerranée n’a pas permis le rapprochement attendu avec les pays du pourtour méditerranéen.

M. Didier Boulaud. Elle n’existe pas ! C’est un mythe sarkozien !

M. Yves Pozzo di Borgo. Ce constat appelle une réaction. Comme vous l’avez justement indiqué dès votre prise de fonctions, madame la ministre d’État, le monde d’aujourd’hui se dessine autour de grands pôles, de grands ensembles réunissant chacun environ un milliard d’habitants. Ne comptant que 450 millions d’habitants, l’Europe doit se demander avec quelles régions du monde elle souhaite bâtir un partenariat stratégique et commercial pour faire face aux autres grands ensembles. Pouvez-vous nous indiquer quelles initiatives pourraient être prises pour qu’un partenariat avec les pays du Maghreb se dessine ?

Ces considérations m’amènent à évoquer la construction d’une relation plus étroite avec la Russie, puisque je suis convaincu que c’est l’autre partenariat stratégique que nous devons bâtir pour continuer à peser.

La Russie est le plus grand voisin de l’Union européenne, son troisième partenaire commercial et son premier fournisseur d’hydrocarbures. De son côté, l’Union européenne représente le premier partenaire commercial de la Russie. De toute évidence, il existe une réelle interdépendance. La seule voie d’avenir me paraît donc être celle d’un partenariat stratégique, comme l’ont reconnu les présidents des pays concernés, ainsi que l’Union européenne.

Permettez-moi de vous interroger, madame la ministre d’État, sur ce qui pourra être fait en ce sens aux niveaux bilatéral, communautaire et multilatéral.

Sur le plan bilatéral, pouvez-vous indiquer quelles suites seront données à l’année croisée France-Russie, pour faire en sorte que ce grand succès porte ses fruits et que l’élan ne retombe pas ? Par exemple, je pense qu’il est indispensable de développer la mobilité des chercheurs et des étudiants entre les deux pays.

À l’échelon communautaire, dans le même esprit, je suis partisan de supprimer l’obligation de visa pour les ressortissants russes. J’espère que la France pourra user de son influence pour lever les réticences de nos partenaires européens, notamment de l’Allemagne, à ce sujet. Si le sommet de Deauville a été globalement un beau succès, il a quelque peu échoué sur ce point. Il importe de ne pas attendre cinq ou dix ans, madame la ministre d’État, pour que les citoyens russes désirant se rendre dans un pays de l’Union européenne soient dispensés de visa. Je compte sur votre action et sur celle du Président de la République pour que la situation évolue. Je rappelle que, en 2008, quelque 400 000 Russes sont venus en France : c’est à eux que nous avons accordé le plus de visas, ils ont soif de connaître l’Europe et le monde. Il convient de multiplier les échanges entre l’Union européenne et la Russie.

Enfin, à l’échelle multilatérale, le rôle et la place de la Russie détermineront le succès de trois événements internationaux en 2011. Je suis ainsi convaincu que la réussite de la présidence française du G8 et du G20 dépendra notamment de la place qui sera accordée à la Russie dans ces deux instances. Nous avons récemment eu l’occasion de débattre avec M. Juppé de la défense antimissile : de nombreuses difficultés entre la Russie et l’OTAN sont en germe, malgré l’accord de Lisbonne des 19 et 20 novembre derniers. Comment ce dossier évolue-t-il ? (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

(Mme Monique Papon remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Berthou.

M. Jacques Berthou. Madame la présidente, madame la ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs, en quelques jours, deux événements exceptionnels viennent de secouer le Sahel et le Maghreb.

Le premier, tragique, c’est l’enlèvement et l’assassinat de deux de nos compatriotes à Niamey. Permettez-moi de rendre hommage à leur mémoire, d’adresser une pensée à leurs familles et à leurs proches.

Le second, c’est la fin de la dictature en Tunisie.

Ces deux événements, totalement différents, touchent directement la France et nous obligent à analyser la politique que notre pays mène au Sahel, au Maghreb et, d’une manière générale, en Afrique.

Concernant le Sahel, force est de constater que nous avons complètement perdu pied dans cette région de l’Afrique. Notre présence économique, culturelle, sociale y est réduite à sa plus simple expression, et nos aides diminuent chaque année. Pendant ce temps, la pauvreté progresse, accentuée par les aléas climatiques. Vous le savez bien, madame la ministre d’État, une situation humanitaire critique est le terreau de prédilection des trafics, des activismes et des intégrismes.

Notre absence et notre manque d’ambition nous éloignent de plus en plus des centres de décision, politiques ou économiques, de la plupart des États africains. Aujourd’hui, la Chine tend à remplacer la France. Elle s’implante et investit avec pour seul but le pillage des matières premières, très abondantes dans le sous-sol de ces pays, sans se soucier de l’évolution sociale et démocratique de ces derniers.

Votre politique, madame la ministre d’État, montre bien ses limites. La France a perdu la confiance de millions d’Africains, pour la simple et bonne raison que votre politique en Afrique est inconsistante. Quelques tonnes de riz ne suffisent pas à faire illusion !

Votre politique est faite beaucoup plus de déclarations d’intentions que d’actes de coopération, et ce ne sont pas les propos tenus par le Président de la République en juillet 2007 à Dakar qui ont facilité nos relations avec l’Afrique.

M. Didier Boulaud. Cela restera dans l’histoire !

M. Jacques Berthou. Ce discours a marqué les Africains, particulièrement étonnés, choqués que la France ait encore des idées passéistes et une telle méconnaissance de la société africaine. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Il est donc grand temps, madame la ministre d’État, que la France réagisse, en s’associant avec l’Union européenne, elle aussi concernée par cette partie du monde si proche de l’Europe. La tenue d’une conférence de l’Union européenne avec les États africains du Sahel et du Maghreb est devenue urgente et nécessaire.

S’agissant de la Tunisie, nous saluons, bien sûr, la chute de la dictature. Nous espérons que, dans les prochains jours, ce pays retrouvera le calme et pourra se doter d’un véritable gouvernement provisoire d’ouverture, dans l’attente d’élections législatives vraiment libres et démocratiques. Là encore, que de complaisance montrée par le Gouvernement à l’égard de l’ancien président ! (Protestations sur les travées de lUMP.) Le terme de dictature n’est employé que depuis quelques jours, alors que le népotisme et le pillage du pays par les proches de l’ancien président apparaissent en pleine lumière. Ces faits n’étaient pas ignorés, mais vous avez préféré le silence, pensant que cette dictature était un rempart contre l’intégrisme, fermant les yeux sur l’absence de démocratie et de liberté de la presse,…

M. René Beaumont. Vous aussi !

M. Jacques Berthou. … ainsi que sur le sort réservé aux opposants envoyés en prison ou en exil.

M. René Beaumont. Mémoire sélective !

M. Jacques Berthou. Quant à votre proposition de la semaine dernière, madame la ministre d’État, d’apporter une aide policière au régime tunisien,…

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. C’est complètement faux, vous le savez !

M. Jacques Berthou. … vous conviendrez qu’il s’agit d’une très grave erreur, qui laissera pendant des années des traces indélébiles au Maghreb et en Afrique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Cette déclaration montre combien ce gouvernement est déconnecté des réalités du Maghreb. En fait, votre politique à l’égard de la Tunisie a consisté à accompagner le gouvernement tunisien, jusqu’à la fuite de l’ancien président. Vous avez subi les événements, ne prenant le train en marche que lorsque tout fut joué ! (Protestations sur les travées de lUMP.)

Où est le temps, madame la ministre d’État, où la France avait une politique étrangère qui, par son originalité, ses propositions, ses arbitrages, était écoutée et tenait un rôle majeur dans la diplomatie mondiale ? Que sommes-nous devenus, maintenant que nous nous alignons systématiquement sur la politique des États-Unis ?

M. Jacques Berthou. Comment voulez-vous que notre crédibilité soit reconnue, dès lors que la politique française, au Moyen-Orient par exemple, est en fait celle des États-Unis ? Nous ne pesons plus sur le conflit israélo-palestinien, alors que tout ce qui se passe dans cette partie du monde déstabilise la paix et favorise la continuelle montée de l’intégrisme !

Nous pouvons faire le même constat s’agissant du Pakistan : notre alignement sur les États-Unis nous prive de toute influence, nous interdit toute discussion avec le gouvernement de ce pays, dont on sait le soutien qu’il apporte aux talibans.

La France doit changer sa diplomatie, être une force de proposition avec l’Union européenne et favoriser l’émergence de politiques économiques, sociales et culturelles avec ces pays en voie de développement.

L’Union pour la Méditerranée, souhaitée par le Président de la République, est un échec.

M. Jacques Blanc. C’est une belle ambition !

M. Didier Boulaud. Il n’y a rien, dans ce projet ! C’est une outre vide ! Du pipeau !

M. Jacques Blanc. On ne fait rien sans ambition !

M. Jacques Berthou. Un premier sommet fastueux a été organisé à Paris en juillet 2008, mais le deuxième ne cesse d’être reporté, bloqué qu’il est par le conflit israélo-palestinien.

Pour que nous soyons crédibles, en mesure d’agir et de nous montrer convaincants, nous devons associer à une nouvelle politique l’Union européenne, de la Méditerranée à la Baltique. Il est bien dommage que, là encore, la France passe à côté de l’histoire et ne soit plus à la hauteur des enjeux mondiaux.

Il est grand temps, madame la ministre d’État, que vous réagissiez et que vous redonniez à notre politique étrangère l’influence qu’elle a perdue dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia. Madame la présidente, madame le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, certains propos tenus sur les travées de gauche m’étonnent quelque peu !

M. Jean-Louis Carrère. C’est normal !

M. Robert del Picchia. En effet, en tant que représentant des Français établis hors de France, je ne pense pas que nos compatriotes résidant dans les pays qui ont été évoqués partagent les points de vue exprimés par certains donneurs de leçons semblant se flatter d’avoir tout prévu à l’avance… Mais qui avait prévu la chute du régime tunisien ? Personne !

M. Jean-Louis Carrère. Il fallait écouter Mme Cerisier-ben Guiga !

M. Robert del Picchia. Cela me rappelle un peu la chute du communisme : après coup, tout le monde expliquait avoir perçu tel ou tel signe annonciateur et prévu l’issue finale !

Quant au reproche adressé au Gouvernement de ne pas avoir réagi d’emblée,…

M. Jean-Louis Carrère. On a touché la corde sensible !

M. Robert del Picchia. … je ferai observer que toute prise de position de sa part aurait immédiatement suscité une levée de boucliers et des accusations d’ingérence !

Mme Michelle Demessine. Soyez modestes et reconnaissez votre erreur !

M. Robert del Picchia. Quelle que soit l’attitude du Gouvernement, vous la critiquerez !

M. Didier Boulaud. Si vous n’êtes pas capables d’exercer le pouvoir, laissez-le ! Si cela vous fait peur, abandonnez-le !

M. Robert del Picchia. Nous en reparlerons lorsque vous aurez gagné les élections, si un jour vous les gagnez ! Pour l’instant, vous n’avez pas de leçons à nous donner ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Michelle Demessine. Si vous ne voulez pas qu’on vous en donne, ne nous en donnez pas !

M. Robert del Picchia. Je vous ai écoutés, laissez-moi parler maintenant !

M. Jean-Louis Carrère. Ne nous provoquez pas !

M. Robert del Picchia. Madame le ministre d’État, je vous remercie de l’action de vos services auprès des Français de l’étranger, notamment en matière de sécurité.

S’agissant de la Tunisie, notre politique ne devrait-elle pas être, à l’avenir, d’aider ce pays à cheminer vers la démocratie, une fois le calme revenu, en apportant un soutien à son peuple ? Il a été question d’un fonds d’aide bilatérale : l’Union européenne ne pourrait-elle pas jouer un rôle dans la mise en place d’un tel fonds, ou même envisager la conclusion d’un partenariat avancé, comme il en existe un avec le Maroc ? Ce serait peut-être une façon d’aider la Tunisie, une fois la démocratie en place.

M. Jean-Louis Carrère. Pour faire quoi ?

M. Robert del Picchia. Pour l’heure, je signale que trois ministres issus de l’opposition ont déjà démissionné du nouveau gouvernement.

Madame le ministre d’État, il nous semble difficile, pour une puissance moyenne comme la France, d’exercer toute seule une réelle influence sur une communauté internationale de plus en plus complexe. Agir dans le cadre de l’Union européenne est donc devenu un principe presque absolu de politique étrangère, et il est essentiel, pour notre pays, de jeter les bases d’une nouvelle diplomatie européenne, plus solidaire et indépendante. Il n’y a pas de doute que si les Vingt-Sept adoptent et défendent une position commune sur des problèmes internationaux, l’Europe sera plus forte et mieux entendue dans le monde.

Le service européen pour l’action extérieure, créé par le traité de Lisbonne et opérationnel depuis le 1er janvier dernier, doit être un instrument crucial pour développer la politique étrangère et de sécurité commune, ainsi que les stratégies communautaires à l’égard des États-Unis, de la Chine, de la Russie ou de l’Afrique.

L’Union européenne et la France doivent être déterminées à défendre nos valeurs dans le monde, au travers de la politique étrangère et de sécurité commune. La feuille de route nous semble claire : nous pouvons faire la différence, dans le monde, si nous savons utiliser nos atouts politiques et économiques.

Notre crédibilité diplomatique reposera d’abord sur l’action menée dans les pays voisins, par exemple pour favoriser le dialogue entre la Serbie et le Kosovo, pour aider la Bosnie-Herzégovine à sortir de l’impasse ou pour faire progresser le processus d’intégration européenne des pays des Balkans occidentaux, ainsi que de la Turquie.

Nous savons que l’adhésion de ce dernier pays à l’Union européenne est inopportune pour des raisons à la fois géographiques, institutionnelles, politiques, voire économiques. Toutefois, la Turquie reste le pays tiers le plus étroitement lié à l’Europe, tout en gardant son autonomie et sa liberté d’action, notamment en matière de politique étrangère, et les liens pourraient encore être renforcés. Il ne s’agit donc pas de choisir entre l’adhésion ou rien. Notre diplomatie devrait avoir le courage de dire que si nous devons respecter nos engagements à l’égard des pays tiers, notre devoir est aussi de sauvegarder les acquis de la construction européenne.

On a beaucoup parlé de l’Union pour la Méditerranée, qui, hélas, peine à exister concrètement. Elle ne parvient pas à organiser un sommet. On nous dit que, pour leurs relations avec l’Union européenne, les pays tiers méditerranéens ont des objectifs et des ambitions divergents, et que les conflits entre eux s’amplifient. Cela ne simplifie pas la tâche !

En réalité, l’UPM ne semble guère être une union. Comment l’objectif de créer une zone de libre-échange globale est-il concevable ? Comment parler d’un groupe compact, si chaque pays tiers méditerranéen ou presque aspire à établir des relations spécifiques avec l’Union européenne ?

Pourtant, la coopération entre les deux rives de la Méditerranée est plus que jamais indispensable face aux problèmes réels, très sérieux, qui se posent, par exemple en Tunisie. Notre pays est le plus directement concerné.

Dans tous ces dossiers, la politique étrangère de la France a un rôle majeur à jouer, une voix claire à faire entendre.

Les citoyens européens demandent que l’Union européenne joue un rôle politique plus important dans le monde. Avec l’Allemagne et la Grande-Bretagne, la France peut aider à définir les grandes lignes de sa politique étrangère.

Que ce soit d’un point de vue communautaire ou intergouvernemental, nous pensons que la diplomatie européenne ne peut se concevoir hors l’influence de la France et de sa diplomatie. Soyons clairs, il n’y aura pas de politique étrangère européenne si la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ne sont pas sur la même ligne. Bien entendu, chaque pays devra garder une politique étrangère autonome, mais en l’adaptant à celle des autres.

Le succès du service européen pour l’action extérieure dépendra de la volonté des États membres de coopérer et d’accepter le transfert d’une partie de leur souveraineté nationale en matière de politique étrangère à l’échelon supranational, au profit d’une nouvelle souveraineté collective. Mais n’est-ce pas là la recette de la construction européenne depuis cinquante ans ?

Enfin, comment imaginer que nous puissions apporter, chacun de notre côté et dans la désunion, une réponse crédible, forte et solennelle au cri d’alarme poussé par les chrétiens d’Orient, par exemple ? Les persécutions dont ceux-ci sont victimes exigent que nous ne restions ni inertes ni indifférents. Bien sûr, notre tradition diplomatique nous impose aujourd’hui de protéger les minorités chrétiennes d’Orient et de garantir le libre exercice de leur culte. C’est un combat pour la liberté de conscience et pour la paix que notre pays sait mener, mais il est important que l’Union européenne se joigne à nos efforts.

Avec le départ des chrétiens, c’est tout le Moyen-Orient qui perd de sa substance. Nous savons que la composante chrétienne du Moyen-Orient n’est pas une anomalie de l’histoire.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Robert del Picchia. Nous savons d’expérience, en Europe, quels malheurs ont causé les aspirations à la pureté religieuse, sociale ou raciale. Une fois n’est pas coutume, tirons de notre histoire et des errances du passé les leçons de courage qui guideront notre action diplomatique en Europe et dans le monde. Là encore, c’est un message de la vieille Europe qui me semble d’actualité. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.

M. Jean-Étienne Antoinette. Madame la présidente, madame la ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, en raison de l’actualité africaine, la diplomatie française tourne aujourd’hui naturellement son attention vers le Sahel, la Côte d’Ivoire et la Tunisie.

Toutefois, je vous invite à prendre un peu de recul, pour distinguer les différentes lignes géographiques de la politique étrangère du Gouvernement.

Je constate la priorité donnée à la construction européenne, aux États-Unis, notre allié du nord de l’Amérique, et à l’Afrique, cette « zone d’héritage » unie à la France par des liens complexes.

Je discerne également une volonté de nous tourner vers les puissances de l’Est : la Russie, l’Inde et la Chine, auxquelles le chef de la diplomatie consacre temps et déplacements.

En revanche, un continent fait l’objet de bien moins d’attention : l’Amérique centrale et latine. Que constate-t-on ? Tous les efforts et moyens de la diplomatie française sur ce continent se concentrent sur le partenariat stratégique avec un État, le Brésil, considéré comme une puissance émergente comparable à l’Inde ou à la Chine, et non – j’y insiste – comme un acteur intégré dans une stratégie élaborée pour la région.

En Amérique du Sud, le désengagement de la France est criant. Il demeure certes, presque pour la bonne forme, une coopération scientifique, universitaire et culturelle, au travers, par exemple, des programmes STIC-AmSud, MATH-AmSud ou AMSUD-Pasteur, mais la priorité est manifestement ailleurs.

Quelque 11 000 étudiants d’Amérique centrale et latine sont inscrits dans les universités françaises, contre plus de 45 000 en provenance d’Asie. Alors que la France bénéficie d’une remarquable image, presque 60 % des quelque 140 000 étudiants sud-américains partant à l’étranger s’orientent vers les États-Unis.

Quant à la coopération économique, son ambition est dérisoire : elle ne représente que 2 % de nos échanges commerciaux et concerne pour les trois quarts seulement quatre pays du continent, à savoir le Brésil, à hauteur de plus de 35 %, le Mexique, pour 15 %, le Chili, à concurrence de 11 %, et l’Argentine, pour 9 %.

L’exemple du Chili illustre la faiblesse de l’investissement français au regard de notre rang de cinquième puissance économique mondiale : la France est le seizième fournisseur du Chili, son cinquième fournisseur et investisseur européen derrière l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie…

Or la démocratie, les droits de l’homme, l’organisation multipolaire du monde, thème qui rapproche le Brésil et la France, sont des valeurs que nous partageons avec l’ensemble des États d’Amérique latine, comme en témoigne notre relation ancienne et privilégiée avec eux. Notre diplomatie défend ces valeurs universelles ; notre présence économique ne peut-elle servir à soutenir la même ambition ?

Il est certain que la France ne peut laisser de côté l’Amérique du Sud : elle est, grâce à la Guyane, un pays américain. Le développement des départements français de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane est lié à celui des pays voisins, et rend indispensable un investissement de la France dans la Caraïbe, ainsi que dans l’ensemble, au minimum, du bassin amazonien : un investissement diplomatique et économique, et pas seulement scientifique ou culturel.

Plus spécifiquement, pour la Guyane, il s’agit certes du Brésil, mais également du Surinam et du Guyana. Concrètement, qu’en est-il de la situation des populations du Maroni et de l’Oyapock, dont les territoires ancestraux ne s’arrêtent pas aux rives du fleuve et ne connaissent pas les frontières ? Faire évoluer la situation administrative de ces populations ne représente-t-il pas un enjeu majeur de droit international ?

Quel est notre effort de coopération pour le développement du Guyana, lorsque la présence économique française dans ce pays se résume à une entreprise de production de cœurs de palmier et d’ananas biologiques ?

Par ailleurs, fallait-il attendre qu’un drame survienne à Haïti pour intervenir – et si mal – dans ce pays autrefois français, aujourd’hui l’un des plus sinistrés du monde ? Les ressources consacrées à Haïti sont importantes, mais, un an après le séisme, le constat de carences graves dans la réorganisation et la reconstruction du pays doit être dressé. La France aurait dû jouer un rôle structurant majeur ; elle a abandonné une place qui lui revenait naturellement.

La lutte contre l’immigration clandestine, la gestion durable des ressources forestières sur le plateau des Guyanes et le développement endogène des départements français d’Amérique ne peuvent aboutir sans une stratégie économique régionale viable, une actualisation du droit international et une adaptation de la réglementation européenne.

Madame la ministre d’État, le général de Gaulle traçait comme ligne directrice « le resserrement du rapport entre l’Amérique latine et la France pour aider le monde à s’établir dans le progrès, l’équilibre et la paix ». Certes, le monde a changé depuis, mais ne reste-t-il rien de cette ambition ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je souhaite d’abord remercier M. le président de la commission, Josselin de Rohan, d’avoir organisé ce débat, qui témoigne de la volonté de notre assemblée de se mobiliser sur les problèmes de politique étrangère, que l’actualité rend particulièrement sensibles.

Certes, il est parfois un peu triste de constater que des querelles sémantiques et des positions quelque peu excessives nous conduisent à oublier notre capacité de consensus en ce domaine.

M. Jean-Louis Carrère. C’est son côté giscardien ! (Sourires.)

M. Jacques Blanc. Mes chers collègues, j’ai participé, le 13 janvier dernier, comme un certain nombre d’entre nous, à la réunion du groupe d’amitié France-Tunisie du Sénat. Nous avons alors été capables d’adopter à l’unanimité une résolution rappelant les déclarations énergiques du président du Sénat, M. Gérard Larcher, auquel je tiens à rendre hommage, qui avait condamné, le 12 janvier, la répression en Tunisie. Nous avons dénoncé les effets tragiques de la situation et apporté notre soutien à celles et ceux qui demandent le respect des libertés d’expression et de manifestation et de toutes les libertés publiques, en indiquant que l’avenir de la Tunisie appartenait à son peuple et en demandant que la France et l’Union européenne, dans le cadre de leurs relations avec ce pays, pèsent de tout leur poids pour que celui-ci respecte les droits fondamentaux garantis par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Nous avons alors joué le rôle qu’on peut attendre d’une assemblée.

Le Gouvernement tient incontestablement compte de l’analyse objective des événements survenus en Tunisie, tout en veillant à ne pas prêter le flanc aux critiques relatives à une ingérence éventuelle.

Ne déformons pas les propos des uns et des autres ! L’heure n’est pas à l’analyse de différentes attitudes.

M. Jean-Jacques Mirassou. Tout de même !

M. Jacques Blanc. Retenons simplement que les représentants du Sénat ont voulu manifester leur soutien au peuple tunisien.

Chacun sait ce qui s’est passé. L’important, c’est que nous souhaitions tous, aujourd’hui, permettre au peuple tunisien ami de la France de bénéficier de toutes les libertés et de s’organiser comme il l’entend, dans le respect de la démocratie. Telle est notre mission.

Pour ma part, je veux voir dans ce débat la capacité de notre assemblée d’apporter une contribution, comme l’a d’ailleurs fait le président du Sénat alors que nous nous trouvions ensemble en Turquie.

M. Jean-Louis Carrère. Vous voyagez beaucoup !

M. Jacques Blanc. Si le Gouvernement possède ses propres positions, la Haute Assemblée a aussi la capacité, dans le respect des uns et des autres, de dire ce qu’elle pense.

Revenons-en d’ailleurs au fondement même de notre ambition. Il est en effet faux de prétendre que le Président de la République n’a pas ses propres convictions.

M. Jean-Louis Carrère. Au contraire ! Nous sommes sûrs qu’il en a !

M. Jacques Blanc. Pour preuve, je citerai la volonté qui l’anime concernant l’Union pour la Méditerranée, l’UPM. Je vous invite d’ailleurs à relire ses propos sur ce sujet. Certes, ce grand projet, cette ambition très forte n’a pas pu déboucher immédiatement sur des résultats tangibles. Mais est-ce la faute de la France si le problème israélo-palestinien n’est pas encore réglé ? (Exclamations sur les travées socialistes.)

Mes chers collègues, aucun gouvernement français, qu’il soit de droite ou de gauche, n’a pu modifier, quelle que soit sa volonté, le cours des choses ! Bien sûr, tous ont souhaité favoriser la paix ! Mais soyons honnêtes, les socialistes n’ont pas été meilleurs en ce domaine.

M. Jean-Louis Carrère. Je savais que ça allait venir ! (Sourires.)

M. Jacques Blanc. Au moment de la chute du mur de Berlin et de la réunification allemande…

M. Jean-Louis Carrère. C’est la faute à Robespierre !

M. Jacques Blanc. Je ne parle pas de « faute » ! Je dis simplement que, au travers de l’Union pour la Méditerranée, nous devons affirmer, plus que jamais, notre détermination, pour contribuer au nécessaire développement économique qu’attend la jeunesse de la Tunisie et de l’ensemble du bassin méditerranéen. Oui à l’Union du Maghreb arabe ! Malgré les difficultés qui peuvent surgir, chacun le sait, entre l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, notre mission est de favoriser ce mouvement.

Je crois profondément à l’Union pour la Méditerranée (Applaudissements sur les travées de lUMP.), que nous devons fortement épauler, en soutenant l’action du Gouvernement et de Mme la ministre d’État ou des coopérations sous-étatiques.

J’ai l’honneur d’avoir œuvré, dans le cadre du Comité des régions, des collectivités territoriales des trois rives de la Méditerranée, à la mise en place de l’ARLEM, l’Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne.

Par ailleurs, j’ai le privilège d’être rapporteur de la commission « eau » de l’UPM. Nous portons des messages sur des questions essentielles, qui décideront, demain, de la paix ou de la guerre dans cette région du monde.

Par conséquent, cessons de régler nos comptes ! Cela n’intéresse personne !

M. Jacques Blanc. Ayons la volonté et l’ambition de permettre à la France d’être le pays au monde où l’on porte avec le plus de force et de conviction un message pour la Méditerranée ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre d'État. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord saluer l’initiative prise par le Sénat, sous l’impulsion de M. le président Josselin de Rohan, d’organiser ce débat sur des questions de politique étrangère. Les interventions ont tout à la fois montré l’intérêt que chacun porte à ces sujets et traduit la complexité des enjeux de la politique internationale.

Disposant malheureusement de peu de temps pour vous répondre, mesdames, messieurs les sénateurs, j’essaierai d’aller à l’essentiel, en souhaitant que le débat puisse être un peu plus approfondi une prochaine fois.

Notre politique internationale doit s’articuler autour de trois axes : l’urgence des crises, la cohérence de nos engagements et la mise en œuvre de nos ambitions pour l’avenir.

Pour ce qui concerne les crises, j’évoquerai dans un premier temps la Côte d’Ivoire.

Nous encourageons une issue pacifique et négociée du conflit, privilégiant une solution africaine et, si possible, ivoirienne. À cet effet, face à la complexité de la situation, nous devons maintenir la pression diplomatique, avec l’ensemble des acteurs, pour tenter de peser sur M. Gbagbo.

La France ne fait pas obstacle à la préparation d’une option militaire africaine, mais elle la considère, comme l’a dit M. le président de Rohan, comme le recours ultime. Je privilégie donc les sanctions individuelles et économiques.

Recompter les bulletins ne serait pas une solution. Trop de temps s’est écoulé depuis l’élection et le recomptage ne serait pas fiable. Recommencer l’élection est également à éviter, puisque, dans l’ambiance de tension et de violence qui prévaut aujourd’hui, cela constituerait un risque majeur.

Des options intéressantes se sont fait jour. Espérons que, avec l’aide des chefs d’État africains, nous réussissions à les faire prévaloir.

J’en viens maintenant à la situation des otages français. Les uns et les autres, vous avez souligné le caractère dramatique de la prise d’otage qui a eu lieu au Niger et du sort tragique de nos compatriotes.

Face au terrorisme dans cette région du monde, notre stratégie repose sur une véritable coopération avec les pays sahéliens, qui en sont, M. le ministre Jean-Marie Bockel l’a souligné, les premières victimes.

Des concertations ont également lieu avec les pays d’Afrique du Nord les plus concernés : l’Algérie, la Libye, le Maroc et la Mauritanie.

Trois axes guident notre coopération : renforcer les capacités de sécurité des États concernés ; favoriser le développement de ces pays, de façon à faire disparaître le terreau favorable au terrorisme lié aux difficultés des populations ; enfin, protéger nos ressortissants et nos emprises, en coopération avec les autorités des pays d’accueil.

Tous les intervenants, notamment M. Jacques Gautier et le président de Rohan, ont souligné l’importance de cette action. Il est vrai qu’elle accompagne notre politique.

Je ne peux donc pas être d’accord avec vous, monsieur Berthou, lorsque vous prétendez que notre politique est inconsistante et que la Chine prend seule position dans ces pays. En réalité, la Chine, vous l’avez d’ailleurs très bien dit, s’intéresse uniquement aux ressources. La façon dont elle considère ces pays est de plus en plus perçue par ces derniers, qui se tournent alors vers la France et l’Europe. Je le souligne, s’il nous faut travailler en liaison avec les organisations africaines, il convient également d’associer au maximum l’Europe.

Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, d’évoquer maintenant la crise tunisienne.

Je prendrai quelques instants pour répondre à Mme Demessine concernant les propos que j’ai tenus la semaine dernière lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement à l’Assemblée nationale. Répondant aux deux questions qui m’ont été posées, il me semble avoir été claire. Si mes paroles ont été mal comprises, je le regrette, car elles visaient justement à exprimer ma sensibilité face aux souffrances du peuple tunisien, plusieurs personnes ayant été tuées par la police au cours des manifestations.

Je suis donc scandalisée que certains, y compris cet après-midi, aient pu sciemment déformer mes propos, en les sortant de leur contexte ou en les adossant à des contre-vérités, pour créer une polémique politicienne, qui n’a pas lieu d’être, surtout dans cette période. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

À l’Assemblée nationale, j’avais déploré l’usage disproportionné – ou plutôt « excessif » – de la force. Comme chacun d’entre vous, j’avais été bouleversée par les tirs à balles réelles qui ont fait de nombreux morts parmi les manifestants, dont un professeur franco-tunisien et un photographe franco-allemand.

Ce que j’ai dit, vous le savez bien, c’est que l’on peut gérer des manifestations, mêmes violentes, sans ouvrir le feu ni faire de morts. C’est ce que nous faisons en France depuis plus de vingt ans, y compris dans des situations extrêmement difficiles.

M. Jean-Louis Carrère. C’est une position de complaisance !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. C’est pourquoi j’ai dit que nous étions prêts, dans l’avenir bien sûr, à transmettre par le biais de formations ce savoir-faire, pour aider les forces de l’ordre tunisiennes à permettre l’expression de la liberté, tout en garantissant la sécurité des manifestants.

Il est évidemment inenvisageable – je tiens à le souligner, Mme Demessine ayant évoqué une telle possibilité – que la France prête un concours direct aux forces de l’ordre d’un autre pays. C’est contraire à nos principes et à nos lois. Je ne préconise pas, en tant qu’ancien ministre de la défense, ancien ministre de l’intérieur et ancien ministre de la justice, des solutions contraires à nos lois, car je les connais ! J’aimerais d’ailleurs que ce soit le cas de tout un chacun ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Aujourd’hui, monsieur le président de Rohan, monsieur Robert del Picchia, vous avez évoqué les voix nombreuses qui s’élèvent aujourd’hui pour expliquer a posteriori la crise tunisienne. Je vous remercie de dénoncer ceux qui prédisent le passé.

Monsieur Berthou, je souhaite vous rappeler deux dates. En 1997, M. Jospin a accueilli M. Ben Ali à Matignon, en faisant l’éloge de la situation tunisienne.

M. Bernard Piras. Cela fait treize ans !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Beaucoup plus récemment, en 2008, M. Strauss-Kahn a fait l’éloge, à Tunis, de la réussite du pays. Il a d’ailleurs reçu à cette occasion, des mains de M. Ben Ali, une décoration.

Selon moi, il est inutile de chercher à polémiquer.

M. Roland Courteau. C’est pourtant ce que vous faites !

M. Jacques Berthou. Vous vous dédouanez en accusant les autres !

M. Jean-Louis Carrère. C’est dérisoire ! Vous êtes une polémiste !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Dans ces moments décisifs pour l’avenir de la Tunisie, la France doit montrer qu’elle se tient aux côtés du peuple tunisien. C’est cela qui est important. Nous voulons, dans toute la mesure du possible, aider un peuple ami, sans pour autant interférer dans ses affaires, Jacques Blanc a raison en la matière.

Aujourd’hui, la situation sécuritaire en Tunisie est contrastée. On observe à la fois une reprise du travail et des approvisionnements et, dans le même temps, des pillages et des règlements de comptes.

Le paysage politique lui-même est mouvant. Certains ministres du gouvernement d’union nationale qui vient d’être composé ont d’ores et déjà démissionné.

M. Jean-Louis Carrère. Cela n’arriverait pas ici !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Ce gouvernement va devoir rétablir l’ordre public, convaincre le peuple tunisien de sa crédibilité et préparer les élections. L’aspiration des Tunisiens à plus de démocratie et à plus de liberté ne pourra être satisfaite que si des élections libres sont organisées. Mais, monsieur Pozzo di Borgo, vous avez raison, ces objectifs ne pourront être atteints que si nous savons répondre aux attentes économiques et sociales de la population. De ce point de vue, l’Union du Maghreb arabe est, pour chacun des pays qui la forment, une voie à développer et à consolider.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les engagements de la France s’inscrivent également dans la durée.

Ainsi que j’ai eu l’occasion de le souligner, l’Union européenne demeure aujourd’hui le seul recours possible face à la crise économique et au défi de la mondialisation. Notre première priorité reste la réponse globale qu’elle doit apporter à la crise. Il nous faut maintenant un véritable volet de convergence, en matière fiscale et sociale comme en matière de réduction des écarts de compétitivité. Ce sera l’enjeu des prochains Conseils européens.

L’Union européenne doit ensuite s’affirmer comme un acteur global et une puissance politique dans la mondialisation ; vous l’avez rappelé, monsieur del Picchia.

Pour accroître notre influence, nous devons à la fois nous appuyer sur les nouveaux acteurs stables de l’Union européenne, le président et le Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et les nouveaux outils du traité de Lisbonne. Il nous faut également développer la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD.

L’engagement français en faveur de la défense européenne est intact. Le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, loin de l’amoindrir, l’a au contraire renforcé.

M. Jean Bizet. Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Nous devons donc nous attacher à une réelle relance de la défense européenne autour de cette coopération. Pour que cet objectif soit atteint, nous avons besoin de tous nos partenaires.

Monsieur de Rohan, vous avez insisté sur la situation au Moyen-Orient. J’entreprends demain une tournée dans les principaux pays de cette zone. Il est évident que l’Union européenne doit elle aussi contribuer aux solutions de paix. Une tentative américaine est en cours. Comme je l’ai déclaré au représentant américain que j’ai rencontré, il faut désormais laisser à l’Union européenne comme aux pays arabes modérés la possibilité de mener des actions en faveur de la paix ; sinon, aucune issue ne sera trouvée.

De la même façon, MM. del Picchia, Jacques Blanc et Pozzo di Borgo l’ont rappelé, l’action de la France doit s’appuyer sur la création de l’Union pour la Méditerranée : celle-ci demeure une priorité pour notre pays. Oui, c’est vrai, des difficultés persistent, compte tenu de la situation entre Israël et la Palestine. Mais, comme l’a souligné Jean-Marie Bockel, cette union n’a rien perdu de son utilité.

Précisément, le recentrage de l’Union pour la Méditerranée sur des sujets et des projets concrets peut aider à sortir des blocages.

En ce sens, la mise en place opérationnelle du secrétariat de l’Union pour la Méditerranée à Barcelone, l’adoption du programme de travail et du budget pour 2011 constituent un signal positif. Ce secrétariat a commencé ses travaux, notamment sur l’eau, la recherche et l’enseignement supérieur. Nous pouvons poursuivre dans le domaine de la protection civile et des énergies renouvelables.

Monsieur Pozzo di Borgo, le partenariat avec la Russie peut également nous permettre de constituer un ensemble, à défaut d’un pôle intégré, nous permettant de peser dans le monde. L’année croisée franco-russe a été un succès qui doit être consolidé.

Messieurs Jacques Gautier et Josselin de Rohan, vous avez évoqué l’Afghanistan et le Pakistan. Permettez-moi d’abord de vous indiquer que je suis naturellement à la disposition du président de la commission des affaires étrangères, et plus généralement du Sénat, pour répondre à vos interrogations.

Il m’est difficile, compte tenu du temps qui m’est imparti, de répondre sur tous ces points. Toutefois, un débat pourrait avoir lieu – je le souhaite –, sans qu’il soit nécessairement suivi d’un vote. Aujourd'hui, ce qui importe, c’est la démarche : celle-ci consiste à transférer au fur et à mesure que cela est possible l’ensemble des pouvoirs au gouvernement afghan.

La situation du Pakistan s’est considérablement détériorée depuis quatre ans. Ce contexte doit nous amener à entreprendre une réflexion sur les moyens de soutenir les institutions démocratiques dans ce pays et de les renforcer.

Il a été question du terrorisme qui sévit en Afrique. Toutefois, il ne faut pas oublier la lutte contre la piraterie somalienne. De ce point de vue, l’opération navale Atalante, lancée en 2008 sur notre initiative, a permis de réduire le nombre d’attaques réussies. Pour autant, les actes de ce type se multiplient et s’étendent. Il faut donc agir et faire en sorte que l’impunité des pirates ne nuise pas à la crédibilité de nos actions. C’est la raison pour laquelle une mission chargée de formuler des propositions, notamment en matière judiciaire, a été confiée à M. Lang.

Bien entendu, monsieur Berthou, notre politique en Afrique ne se cantonne pas à la lutte contre la piraterie. Elle se caractérise aussi par un soutien aux organisations régionales – ce qui la distingue des actions antérieures qui reposaient sur une autre conception de nos rapports avec les pays africains –, par la réforme du dialogue entre les deux continents, comme par l’adaptation de notre dispositif de défense ou la mise en œuvre de coopérations multidimensionnelles.

Monsieur de Rohan, j’ai bien noté votre demande de débat sur la ratification des quatre accords de défense déjà conclus : elle est parfaitement légitime. Ce sont d’ailleurs cinq accords, et non pas quatre, qui ont déjà été signés : à ceux que vous avez évoqués, il faut ajouter celui qui a été passé avec les Comores. Par ailleurs, nous sommes en train de finaliser de nouveaux accords avec le Sénégal et Djibouti. Nous pourrons donc les examiner tous ensemble. Il va de soi que nous ne pourrons étudier celui avec la Côte d’Ivoire, qui n’est guère envisageable aujourd'hui.

Monsieur Ibrahim Ramadani, les Comores sont aujourd'hui entrés dans une nouvelle phase. La France, sans avoir aucun commentaire à faire sur les personnes, félicite les candidats vainqueurs. La prise de fonction des nouvelles équipes marque ainsi l’achèvement du processus de transition démocratique. Nous souhaitons que ce soit aussi l’occasion d’un partenariat accru entre la France et les Comores, entre Mayotte et les autres îles de l’archipel.

J’en viens au viol d’une magistrate à Mayotte. Leurs auteurs, au nombre de trois, ont été identifiés à la faveur de prélèvements ADN et ont été arrêtés grâce aux efforts de notre poste à Moroni, de notre ambassadeur et de l’attaché de sécurité intérieure.

Le juge d’instruction s’est rendu pour la cinquième fois aux Comores. Il nous faut maintenant attendre la désignation de la juridiction de jugement saisie du dossier pour que la justice comorienne se prononce sur la demande d’extradition.

À Madagascar, la France s’emploie depuis le début à promouvoir une sortie de crise pacifique et durable. Nous souhaitons aujourd'hui la fin rapide de la période actuelle de transition. Cette approche réaliste est de plus en plus partagée par les uns et les autres.

J’en viens à la question des droits de l’homme. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, depuis l’annonce de la condamnation de Mme Sakineh Mohammadi Ashtiani, la France, avec ses partenaires européens, appelle sans relâche et avec fermeté à sa libération. Nous sommes également très préoccupés par la situation de ses proches.

Enfin, nos ambitions dessinent à long terme les lignes force de notre politique.

Mme Demessine a évoqué la nécessaire politique d’influence de la France. Je suis d’accord avec elle sur ce point, mais je ne le suis plus lorsqu’elle considère que la France est un petit pays économique : c’est vraiment nier la réalité de la place de nos entreprises sur l’échelle des grandes entreprises mondiales !

Pour ma part, j’entends défendre une politique d’influence qui combine tous les facteurs, qu’ils soient économiques, culturels, linguistiques, et les savoir-faire éducatifs. Cette politique, d’ailleurs, est globale : elle doit mobiliser, à côté de l’État et tout particulièrement du Quai d’Orsay, les acteurs publics et privés, les collectivités territoriales, les entreprises et, naturellement, madame Goulet, les parlementaires. Je souhaite pouvoir davantage associer les sénateurs à mes déplacements ainsi qu’à la réflexion globale sur ces questions. C'est la raison pour laquelle j’ai proposé à M. de Rohan la collaboration de diplomates à la commission des affaires étrangères, ce qui enrichira nos échanges.

Cette politique d’influence suppose un ministère modernisé. C’est ce à quoi je m’attacherai. Pour cela, il faut des moyens. Après avoir entendu M. Jean-Louis Carrère, je ne doute pas qu’il votera sans hésiter les suppléments budgétaires que je réclamerai…

Monsieur Antoinette, il est un peu tard pour évoquer l’Amérique latine, mais j’attache une très grande importance à ce sujet. Nous n’avons que trop ignoré ce continent, alors qu’il offre de grandes possibilités et qu’il nous faut tisser avec lui des liens de coopération.

Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, face aux enjeux de la mondialisation, l’unité de la nation française demeure notre premier atout.

Les questions de politique étrangère méritent une approche sereine, constructive, dictée par le seul intérêt général, au-delà même des intérêts partisans.

Cette exigence, je le sais, est la vôtre, quelles que soient les circonstances politiques ; c’est la mienne ; c’est aussi celle de tous ceux qui croient en la grandeur de la France et qui travaillent en ce sens. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec ce débat sur des questions de politique étrangère.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux jusqu’à dix-sept heures, heure à laquelle nous aborderons le point suivant de l’ordre du jour, les questions cribles thématiques sur l’outre-mer et l’Europe.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

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Questions cribles thématiques

outre-mer et europe

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l’outre-mer et l’Europe.

Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.

Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. À cet effet, des afficheurs de chronomètres ont été installés à la vue de tous.

Cette séance de questions cribles thématiques est diffusée en direct sur Public Sénat et sera rediffusée ce soir sur France 3, après Soir 3 et l’émission Ce soir ou jamais.

La parole est à Mme Gélita Hoarau.

Mme Gélita Hoarau. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, les départements d’outre-mer sont parvenus à un moment décisif de leurs relations avec l’Union européenne.

Certaines des dérogations et mesures spécifiques qui leur sont accordées, ainsi qu’aux régions ultrapériphériques d’Espagne et du Portugal, notamment au titre de l’article 349 du traité de Lisbonne, arriveront à leur terme d’ici aux deux prochaines années.

Je veux parler de l’octroi de mer, dont le régime court jusqu’au 1er juillet 2014. Je pense également à l’éligibilité de la plupart des régions ultrapériphériques, les RUP, à l’objectif n° 1 de la politique de cohésion. À ce titre, la Réunion a bénéficié, pour la période 2006-2013, de près de 2 milliards d’euros. On s’inquiète du maintien de ces dérogations et spécificités.

De même, la reconduction en 2013 du marché communautaire du sucre suscite des interrogations.

La question de la pérennisation de ces mesures est d’actualité puisque les négociations sont d’ores et déjà en cours.

Il en est de même pour le Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, ou POSEI, qui représente une aide de 278 millions d’euros aux agriculteurs domiens. La réforme de ce programme est l’occasion de mettre en place une gouvernance de ce règlement plus proche des producteurs ultramarins en les associant à la rédaction des circulaires et annexes définissant les mesures relevant du POSEI.

Vous comprenez, madame la ministre, l’inquiétude des DOM. Il appartient au Gouvernement de jouer un rôle déterminant dans la sauvegarde des intérêts des départements d’outre-mer au sein de l’Union européenne.

Enfin, madame la ministre, se pose le problème des accords dits de « partenariat économique », les APE, qui sont souvent en contradiction avec les stratégies de développement régional. Cette discordance entrave l’intégration des DOM dans leur environnement géographique.

M. le président. Posez votre question, madame !

Mme Gélita Hoarau. La réalisation d’études d’impact figure parmi les axes forts du mémorandum des RUP dont vous êtes signataires. S’agissant des APE, ne faudrait-il pas, madame la ministre, en réaliser un dès maintenant ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer. Madame la sénatrice, vous avez raison de le souligner, l’année 2011 est une année charnière pour l’outre-mer, pour nos régions ultrapériphériques.

Nous devons, en effet, renégocier le budget de l’Union européenne et redéfinir les politiques de cette dernière en direction de nos territoires. Nous aurons à mettre en place les mémorandums, qui sont la stratégie de l’Union en direction de nos territoires. Il faudra engager des dossiers importants, comme la prolongation de l’octroi de mer après 2014.

Nous avons aussi un volet institutionnel non négligeable à lancer, le changement de statut de Mayotte et la réussite de la transformation du statut de Saint-Barthélemy.

S’agissant de l’ensemble des sujets que vous évoquez, notamment l’octroi de mer, nous avons engagé un travail très important avec les services des autres ministères concernés et suivi les dossiers en étroite concertation avec les services de la Commission. Nous avons, en effet, pris en compte les informations complémentaires qui nous ont été données par la Commission et nous allons engager une étude en vue de pérenniser cet outil de développement.

Sur la politique de cohésion, nous avons entrepris une réflexion pour tirer les enseignements des années antérieures et faire en sorte de prendre en compte les acquis communautaires en faveur de nos régions. Il me paraît essentiel de demander, en particulier, le maintien de l’allocation de compensation des contraintes de nos RUP.

Sur l’organisation commune des marchés pour le sucre, la réforme conduite en 2006 a permis d’acter que les aides concernant le secteur sucrier des DOM étaient transférées dans le POSEI. À la date d’aujourd’hui, je n’ai pas d’inquiétude particulière, pas plus sur le principe même du POSEI que sur le maintien de ces aides.

Concernant les accords de partenariat économique dont vous faites état, vous connaissez l’engagement du Gouvernement, particulièrement attentif à la défense des intérêts de nos régions ultrapériphériques. Le chef de l’État a d’ailleurs été amené à saisir la Commission lors des négociations de l’accord de coopération avec les pays andins pour rappeler combien il était important de prendre en compte cette dimension de nos régions ultrapériphériques et de demander des compensations. Surtout, nous avons d’ores et déjà posé le principe d’une étude d’impact systématique, en amont de tous les accords commerciaux.

M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau, pour la réplique.

Mme Gélita Hoarau. Madame la ministre, je prends acte de vos déclarations. Apparemment, tout est mis en œuvre pour nous tranquilliser et faire en sorte que nous démarrions cette année en toute quiétude ! Je veux bien voir, au travers des actes, ce qu’il en sera dans les mois à venir.

M. le président. La parole est à M. Adrien Giraud.

M. Adrien Giraud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de ma dernière intervention à la tribune de notre assemblée, en décembre 2010 à l’occasion de la discussion des deux projets de loi visant à permettre la transformation de Mayotte en département, j’ai réitéré notre demande de participation aux concours des fonds structurels européens, véritable levier de développement économique et social des diverses collectivités.

En décembre 2008, le Président Nicolas Sarkozy s’était engagé « à ce qu’une démarche auprès des institutions communautaires, pour la transformation de Mayotte en région ultrapériphérique, intervienne dans des délais compatibles avec l’accès aux financements européens qui seront mis en œuvre à partir de 2014 », soit au terme du dixième FED – Fonds européen de développement.

Cette ambition, nous savons que vous la partagez, madame la ministre, car je connais votre mobilisation au service des progrès de Mayotte, en vue notamment de l’accession de notre nouveau département au statut de région ultrapériphérique de l’Europe, c’est-à-dire de RUP. Une telle ambition, vous l’avez exprimée lors des différentes réunions et forums sur « l’ultrapériphérie européenne » qui se sont tenus au cours de l’année 2010.

Un travail intense de mise en conformité tenant compte de nos spécificités est désormais engagé. Mais il nécessite encore de nombreuses négociations entre Paris et Bruxelles, afin que la démarche des représentants mahorais aboutisse dans les délais prévus, aussi rapidement que possible.

Madame la ministre, pouvez-vous, dès aujourd’hui, nous indiquer l’état des négociations engagées entre le Gouvernement et la Commission européenne afin que Mayotte bénéficie des concours financiers et techniques de l’Europe communautaire ?

Je vous remercie de votre réponse, très attendue par les Mahorais.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Monsieur le sénateur, vous le savez parfaitement, le Président de la République, lorsqu’il a reçu les élus mahorais pour présenter le pacte de la départementalisation, a annoncé qu’il allait demander la transformation de Mayotte en région ultrapériphérique.

C’est la raison pour laquelle cet engagement a été affirmé lors du conseil interministériel de l’outre-mer présidé par Nicolas Sarkozy le 6 novembre 2009. Nous avons bien évidemment entériné le vœu exprimé par la collectivité départementale en 2005, en 2007 et en 2009.

Comme vous le savez, nous pouvons obtenir la « Rupéisation » de Mayotte en utilisant la procédure simplifiée, conformément à l’article 355-6 du traité de Lisbonne. C’est ce que nous allons faire, et qui nécessite l’accord unanime du Conseil européen.

Je me suis d’ores et déjà entretenue, à plusieurs reprises, de ce sujet avec les commissaires européens en charge de ces questions, aussi bien le commissaire Hahn, en charge de la politique régionale, que le commissaire Piebalgs, en charge du développement. Il s’agit de rassembler des services en mesure de travailler sur ce dossier.

Nous avons obtenu que l’unité RUP au sein de la direction générale régionale soit désignée comme service référent en vue d’engager ce processus. Nous avons tenu régulièrement informés les services de la Commission sur le processus de départementalisation de Mayotte. C’est, en effet, un acte fort pour apprécier la capacité de Mayotte à aller vers ce droit commun.

Ces échanges se sont traduits par des réunions de travail qui ont eu lieu les 30 novembre 2009 et 25 juin  2010. Une autre, très importante, est programmée à la fin de ce mois.

D’ores et déjà, nous avons demandé à associer Mayotte aux travaux concernant les régions ultrapériphériques en tant qu’observateur. Moi-même, lors de la dernière réunion des RUP qui s’est tenue aux Canaries en octobre 2010, j’ai accueilli avec beaucoup de satisfaction les déclarations du commissaire Hahn, qui rappelait que Mayotte devait assister à nos travaux.

Nous tenons nos engagements, déterminés à permettre à Mayotte d’accéder au statut de RUP. Le calendrier sera connu au cours du mois de mai prochain.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, pour la réplique.

Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, madame la ministre, la question de mon collègue Adrien Giraud portait sur la mise en œuvre effective d’un engagement du Président de la République.

Dans le même esprit, je souhaiterais avoir des précisions sur l’entrée en vigueur des mesures tendant à simplifier le régime des visas de court séjour pour l’outre-mer.

Ces mesures très attendues figurent parmi les engagements du premier conseil interministériel de l’outre-mer du 6 novembre 2009. Elles doivent permettre de moderniser le régime actuel en vertu duquel des étrangers titulaires d’un « visa Schengen » doivent obtenir un visa spécifique pour se rendre à la Réunion ou dans chacun des autres territoires d’outre-mer.

Le 19 janvier 2010, le Président de la République jugeait depuis Saint-Denis de la Réunion « qu’il n’est plus acceptable que pour avoir un visa lorsqu’on est d’un pays limitrophe pour visiter la Réunion, on doive demander une autorisation à Paris, qui doit revenir à la Réunion ».

Un an après, madame la ministre, pouvez-vous indiquer au Sénat dans quels délais les mesures d’assouplissement prévues entreront en vigueur ?

M. le président. La parole est à M. Daniel Marsin.

M. Daniel Marsin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est pour moi aujourd’hui l’occasion d’aborder, de nouveau, la question cruciale de l’impact des accords de libre-échange négociés par l’Union européenne avec les pays tiers sur les économies ultramarines et sur l’économie française en général. Je vous avais déjà alerté sur cette question en évoquant la signature de tels accords entre l’Union européenne, la Colombie et le Pérou. À cette époque, ils n’étaient pas encore signés, même si la situation était déjà préoccupante, avec des effets prévisibles destructeurs pour les économies de nos régions ultrapériphériques.

Aujourd’hui, la machine infernale s’est déjà enclenchée ! En effet, lors du sommet de Madrid, cet accord a été paraphé, ce qui a constitué un précédent immédiatement prolongé par la finalisation d’accords commerciaux avec les pays d’Amérique centrale, et qui, dès lors, ouvre un boulevard pour les négociations déjà en cours avec les pays du MERCOSUR. Si l’ensemble de ces accords était conclu, il s’agirait alors d’un véritable coup de grâce pour l’agriculture ultramarine.

Force est de constater que, dans ces circonstances, la voix de l’outre-mer n’est pas entendue et les objectifs communautaires, prenant en compte, en principe, les handicaps structurels de nos territoires ultramarins, sont carrément ignorés. Les parlementaires ultramarins, à Paris comme à Bruxelles, n’ont pourtant pas cessé, depuis plus de six mois, de tirer la sonnette d’alarme.

Que faire, alors, pour enrayer cette spirale infernale ?

D’une part, il faudrait prévenir, en posant les intérêts de chaque région ultrapériphérique comme une contrainte dans les positions adoptées par les négociateurs communautaires, et, d’autre part, intégrer des compensations additionnelles dans la révision du POSEI.

Madame la ministre, de quelle marge de manœuvre disposez-vous réellement, et quelles initiatives comptez-vous prendre afin d’éviter le naufrage programmé de l’agriculture ultramarine ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Avant de répondre à M. Marsin, je veux dire à Mme Payet que, s’agissant de l’assouplissement des visas, le gouvernement de François Fillon, sous l’impulsion du chef de l’État, a souhaité prendre en compte la dimension environnementale de nos régions.

Nous avons respecté les engagements que nous avons pris lors du conseil interministériel de l’outre-mer, puisque 150 mesures d’assouplissement des visas doivent permettre de faciliter la circulation des personnes et des biens. Par ailleurs, nous menons actuellement des négociations afin que la Réunion devienne une destination touristique pour les Chinois et les Sud-Africains. Nous poursuivons actuellement ce travail qui devrait aboutir, je l’espère, dans les prochains mois.

M. Marsin m’a interrogée sur la négociation des accords commerciaux. Nous avons bien évidemment le souci de défendre les intérêts des régions ultrapériphériques, comme nous l’avons déjà prouvé à l’occasion de l’accord de partenariat économique, en obtenant le principe d’une clause de sauvegarde régionalisée permettant de restaurer les droits de douane antérieurs lorsque la preuve est apportée que le marché local d’une RUP a été perturbé.

Depuis 2008, comme vous le savez, nous pouvons ainsi maintenir des droits de douane sur les marchés locaux, par exemple ceux du sucre et de la banane, et ce sur une période équivalente à deux fois dix ans.

C’est un premier pas, mais ce n’est pas suffisant : nous devons aller beaucoup plus loin.

Comme vous le savez également, le Président de la République n’a pas hésité à intervenir personnellement dans le dossier de l’accord andin. Il a en effet écrit au président Barroso qu’il était inimaginable d’imposer à nos régions ultrapériphériques des contraintes aussi fortes, sans envisager de contreparties de même ampleur. Des compensations ont été demandées à ce titre ; ce dossier est en cours d’instruction.

Je le répète, nous devons aller plus loin et faire en sorte que nos régions ultrapériphériques ainsi que notre agriculture ne soient pas des variables d’ajustement. Pour cette raison, nous avons d’ores et déjà exigé que soient menées des études d’impact préalablement à tout accord entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique, en particulier.

M. le président. La parole est à M. Daniel Marsin, pour la réplique.

M. Daniel Marsin. Madame le ministre, je vous remercie de votre réponse, qui semble indiquer que le Gouvernement a parfaitement conscience de la nécessité de préserver les intérêts de l’outre-mer.

En tout état de cause, je souhaite qu’un mandat clair et explicite soit donné à la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne pour assurer, en toutes circonstances, une défense des intérêts des outre-mer lors de la phase de négociation de ces accords commerciaux. Je souhaite, plus généralement, que l’on parvienne à faire admettre l’idée selon laquelle des accords ne peuvent être passés sans que le principe de la défense des intérêts ultramarins ait été posé comme une contrainte.

M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, rapporteur du comité de suivi de la mission commune d’information du Sénat sur la situation des départements d’outre-mer.

M. Éric Doligé. Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur un seul sujet : l’avenir de l’octroi de mer.

Ce régime est spécifique à l’outre-mer. Il revient à frapper les marchandises introduites dans les départements d’outre-mer d’une taxe à laquelle échappent certaines productions locales. Il représente, à la fois, une ressource fiscale majeure pour les collectivités territoriales des départements d’outre-mer et un soutien décisif au développement endogène de ces collectivités.

Ainsi, rapporté à l’ensemble des recettes de fonctionnement des collectivités territoriales, l’octroi de mer représente en moyenne, pour les communes des départements d’outre-mer, un tiers de leurs recettes, et, pour les régions d’outre-mer, entre 17 % et 31 % de leurs recettes. Il est même des communes guyanaises où l’octroi de mer représente 90 % des recettes fiscales !

Ce dispositif, largement perçu dans les instances communautaires comme contraire au principe de non-discrimination, est aujourd’hui menacé. En effet, par une décision de 2004, le Conseil a autorisé la France à maintenir un tel régime d’octroi de mer jusqu’au 1er juillet 2014.

Comme elles s’y étaient engagées, les autorités françaises ont transmis à la Commission un rapport d’étape en 2008, puis un rapport complémentaire en avril 2010, pour lui permettre de juger de l’impact de l’octroi de mer et suggérer des adaptations de ce régime.

La Commission européenne a jugé que les données fournies par la France étaient lacunaires. Elle reconnaît toutefois que les handicaps des départements d’outre-mer persistent, mais elle reste sceptique sur les conséquences d’une taxation différenciée des produits locaux : elle souligne que l’incidence de l’octroi de mer sur l’emploi ou sur les parts de marché des productions locales diffère sensiblement selon les secteurs.

La Commission a néanmoins proposé, le 14 décembre dernier, d’adapter la décision du Conseil de 2004 et d’élargir le bénéfice de l’octroi de mer à une cinquantaine de produits guyanais.

C’est une bonne nouvelle pour la Guyane, notre région ultrapériphérique la plus défavorisée. Mais les interrogations répétées de la Commission européenne sur le bien-fondé de l’octroi de mer et sur son incidence sur le niveau général des prix dans les départements d’outre-mer ne peuvent manquer d’inquiéter pour l’avenir.

Je sais votre mobilisation pour pérenniser l’octroi de mer, mais suffira-t-elle à convaincre la Commission de le proroger après 2014 ? La France sera-t-elle en mesure de fournir les informations étayées qu’attend la Commission et de trouver des alliés au sein du Conseil ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Oui, monsieur le sénateur, j’y crois profondément ! En effet, la Commission a bien pris conscience que l’outil « octroi de mer » était vraiment un outil de développement économique et une façon de protéger l’emploi.

Ainsi, même si la Commission a fait, dans son rapport, un certain nombre d’observations aux termes desquelles la part des marchés prise par les produits locaux n’est pas si importante, ou du moins équivalente aux produits importés, elle a surtout fait remarquer – et c’est un point positif ! – que, sans l’octroi de mer, bon nombre d’activités n’existeraient pas. C’est un signe qu’elle nous envoie !

En outre, le commissaire Semeta m’a personnellement rapporté que la Commission avait adopté les conclusions de ce rapport ; cela montre que la Commission a compris quel était l’intérêt de cet outil pour nos régions ultrapériphériques.

Ce principe étant acté au niveau européen, nous devons pouvoir justifier l’existence de l’octroi de mer : ce doit être notre deuxième objectif. C’est tout le sens de la mission que j’ai lancée sur la base des décisions prises lors du conseil interministériel de l’outre-mer. Nous devons établir des comparatifs entre les prix des produits locaux et ceux des produits importés, et fournir tous les justificatifs permettant d’attester, au travers de cet outil, que nous avons la volonté de développer l’activité, d’asseoir le développement endogène et de préserver l’emploi.

Les collectivités sont associées à cette réflexion. J’ai en effet souhaité qu’elles puissent, dans le cadre de cette étude, participer à l’élaboration du cahier des charges et soient membres du comité de pilotage. Je suis tout à fait disposée à recevoir d’autres éléments d’information. Je note d’ailleurs que les conseils régionaux de la Réunion et de la Guyane ont lancé des études parallèles.

Nous devons, tous ensemble, fournir à la Commission le maximum d’éléments d’information. Ceux-ci nous permettront, j’en suis persuadée, d’obtenir un avis favorable à la pérennisation de l’octroi de mer après 2014.

M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour la réplique.

M. Éric Doligé. Je suis très satisfait de cette réponse !

En 2008, lorsque nous nous sommes rendus à Bruxelles dans le cadre du comité de suivi, nous avions tout lieu de craindre une réaction défavorable de la Commission. Nous avions constaté, à l’époque, en rencontrant nos représentants au niveau européen, qu’il existait un certain flottement sur ce dossier. En effet, ils ne semblaient pas vraiment convaincus de la justesse de la cause qu’ils étaient chargés de défendre.

J’ai le sentiment que les choses ont évolué dans le bon sens et que nous nous acheminons de plus en plus rapidement vers une solution positive, ce qui n’était pas le cas avant 2008.

Je vous remercie, madame la ministre, de nous faire part de façon aussi chaleureuse de votre conviction. Je n’y croyais pas en 2008. Votre intervention m’a rendu confiance !

M. le président. La parole est à M. Serge Larcher, président du comité de suivi de la mission commune d’information du Sénat sur la situation des départements d’outre-mer.

M. Serge Larcher. Madame la ministre, je souhaite revenir sur les accords de libre-échange conclus par l’Union européenne, au printemps 2010, avec certains pays d’Amérique du Sud, et vous interroger sur les mesures de sauvegarde dont la responsabilité incombe au gouvernement français.

En mai dernier, à l’occasion des questions d’actualité, je vous avais alertée sur l’impact potentiellement dévastateur, pour les économies des départements d’outre-mer, de l’accord signé en mars 2010 entre l’Union européenne, la Colombie et le Pérou.

Cet accord lève en effet les barrières douanières en matière de produits industriels et agricoles. Il permet notamment l’entrée dans l’Union européenne, et donc dans les départements d’outre-mer, de certains produits issus des pays aux coûts de production largement inférieurs. Or certains de ces produits, tels que la banane, le sucre, le rhum et l’igname, structurent l’agriculture de ces départements.

Cet accord fragilise donc le secteur agricole, secteur pivot des économies domiennes, et d’ailleurs consacré comme l’un des secteurs clés du développement endogène des départements d’outre-mer par la loi pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM.

Je souhaite vous poser deux questions à ce propos.

D’une part, quelles initiatives avez-vous prises ou comptez-vous prendre, madame la ministre, afin que le préjudice causé aux départements d’outre-mer soit pris en compte au niveau européen et fasse l’objet des compensations nécessaires ? À ce titre, pouvons-nous espérer que la proposition de règlement dite POSEI, que la Commission a soumise au Conseil, soit complétée par des dispositions concrétisant cette compensation ?

D’autre part, de tels accords pourraient, à terme, être étendus à l’ensemble des pays de l’Amérique latine. Parallèlement, les négociations avec le MERCOSUR ont été relancées par la Commission européenne, qui affiche l’ambition de les conclure d’ici à quelques mois.

Quelles initiatives comptez-vous prendre, madame la ministre, afin que le devenir des départements d’outre-mer ne soit pas, une fois encore, sacrifié sur l’autel des intérêts de l’industrie européenne ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Monsieur le sénateur, le Gouvernement prend de nombreuses initiatives pour défendre les intérêts des régions ultrapériphériques dans la période qui s’ouvre.

Je tiens à vous dire, en préambule, qu’il est beaucoup plus difficile de négocier depuis que l’Union européenne compte vingt-sept États, et non plus quinze. Six États membres comprennent désormais des régions ultrapériphériques ou des territoires d’outre-mer. Cette donnée, il nous faut l’intégrer !

Par ailleurs, comme je le disais à Mme Gélita Hoarau, nous sommes actuellement dans une période charnière, dans la mesure où nous devons renégocier toutes les politiques de l’Union européenne, ce qui nous oblige à être particulièrement vigilants.

Quoi qu’il en soit, je ne ménage pas mes efforts. J’ai ainsi fait en sorte que le Gouvernement bénéficie d’une très grande visibilité sur l’action qu’il entend mener pour défendre les régions ultrapériphériques. Je suis donc intervenue afin que soit inscrit dès à présent dans la stratégie que nous nous apprêtons à définir, et qui est basée sur les conclusions du mémorandum, le principe des études d’impact systématiques.

J’ai également fait en sorte que les clauses de sauvegarde, qui existent bien puisque le principe en a été posé dans le cadre des APE, puissent fonctionner. En effet, nous ne savons pas, aujourd’hui, déclencher ce mécanisme. Nous devons donc définir les critères qui nous permettront, à un moment donné, de prévenir la Commission que notre production est en danger. Tel est l’objet de l’expérimentation actuellement en cours à la Réunion sur un certain nombre de produits agricoles. Dès lors que nous pourrons faire valoir les résultats obtenus devant la Commission, je proposerai que cette expérimentation soit étendue à l’ensemble de nos départements et régions d’outre-mer.

Le Gouvernement agit donc pour améliorer la situation de ses régions ultrapériphériques, en coordination avec les autres États membres concernés.

La France est également présente sur d’autres fronts, et le sera durant toute la phase de négociation. La période charnière se situera précisément entre les mois de juin et de juillet, lorsque nous aurons connaissance des grandes orientations de la politique de cohésion territoriale, ainsi que des perspectives budgétaires et financières de l’Union européenne pour la prochaine mandature.

M. le président. La parole est à M. Serge Larcher, pour la réplique.

M. Serge Larcher. Madame la ministre, soyez assurée que vous nous trouverez à vos côtés, sur le pont, pour défendre les intérêts des départements d’outre-mer.

Toutefois, comme disait le sage, il vaut mieux prévenir que guérir. Il aurait donc mieux valu d’emblée exclure les marchés locaux des départements d’outre-mer de l’ensemble des accords de libre-échange.

Par ailleurs, il faut savoir que l’igname et, plus généralement, les productions vivrières et maraîchères sont déjà menacées par celles qui proviennent du Costa Rica et du Brésil aujourd’hui. Les Antilles se situant sur la route qui relie l’Europe à ces grands ensembles, elles vont être inondées par les productions de ces pays, qui vont mettre à mal notre filière agricole et, ce faisant, la détruire et mettre au chômage un certain nombre d’agriculteurs.

Des compensations sont bien sûr nécessaires, et c’est le moins que l’on puisse espérer, mais elles constituent des solutions financières dont, par malheur, le besoin perdure et qui risquent de disparaître. Elles sont comme un pansement appliqué sur un mal qui risque d’être durable.

C’est la raison pour laquelle je vous affirme que l’ensemble des élus de l’outre-mer se tiendront à vos côtés pour défendre l’intérêt fondamental d’une production essentielle pour le développement endogène de nos territoires.

M. le président. La parole est à M. Soibahadine Ibrahim Ramadani.

M. Soibahadine Ibrahim Ramadani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question rejoint celle de mon collègue de Mayotte, Adrien Giraud.

En effet, le pacte pour la départementalisation de Mayotte précise : « L’État engagera très rapidement une démarche auprès des institutions communautaires pour que la transformation de Mayotte en région ultrapériphérique intervienne dans des délais compatibles avec l’accès aux financements européens disponibles à partir de 2014 ».

Madame la ministre, vous avez mené cette démarche et vous êtes engagée à transmettre aux autorités communautaires la demande officielle de la France pour la transformation de Mayotte, qui fait actuellement partie des pays et territoires d’outre-mer, les PTOM, en région ultrapériphérique de l’Union européenne ou RUP dans le courant du second semestre de 2011.

Cette évolution du statut européen de Mayotte permettra à l’île de rattraper ses retards en matière d’infrastructures et d’équipements collectifs, apportera plus de soutiens aux collectivités locales, encouragera la sauvegarde des langues de Mayotte, garantira le respect des droits fondamentaux et favorisera l’insertion de Mayotte dans son environnement régional direct.

J’ai déposé auprès de la présidence du Sénat une demande de constitution et d’envoi d’une mission d’information sénatoriale à Mayotte pour étudier l’impact économique, social et culturel de cette évolution.

Ma question est la suivante : madame la ministre, pourriez-vous nous assurer du respect du calendrier que vous avez évoqué, c’est-à-dire que vous transmettrez à l’Union européenne la demande officielle de la France visant à transformer Mayotte en RUP dans le courant du second semestre de 2011 ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Avant de répondre au sénateur Ibrahim Ramadani, puisque les questions concernent l’Europe, je voudrais apporter une précision au sénateur Larcher, dont la proposition est particulièrement pertinente. Je le renverrai cependant à la lecture du mémorandum, qui aborde cette question.

En effet, les statuts de nos territoires impliquent que ces derniers font partie du marché intérieur et, à ce titre, le droit européen s’y applique. Toutefois, bénéficier de la politique sectorielle est parfois incompatible avec le fait de s’appuyer sur l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui permet de déroger à un certain nombre de dispositions.

C’est d’ailleurs tout le sens de la réflexion qu’a lancée le commissaire Barnier quand il s’est interrogé sur la signification de la notion de marché intérieur au niveau de l’Union européenne et sur la possibilité d’instaurer des marchés intérieurs régionalisés. Un tel débat pourrait être prolongé assez longuement…

S’agissant de Mayotte, et en complément de ce que je viens de préciser, je tiens à vous rassurer, monsieur le sénateur : la France demandera bien la transformation du statut de Mayotte auprès du Conseil de l’Union européenne selon le calendrier qui avait été fixé. Toutefois, nous devons préalablement mesurer les écarts entre le droit applicable à Mayotte et le droit européen.

Bien évidemment, la départementalisation en mars 2011 sera une première étape. D’ailleurs, l’écart existera forcément puisque, au moment où la demande sera formulée, le droit européen ne sera pas complètement applicable à Mayotte. Nous aurons néanmoins la possibilité de déposer notre demande, dans la mesure où nous pourrons faire valoir les dispositions de l’article 349 précité.

Le calendrier est le suivant : des commissions de travail ont été créées entre les services des ministères concernés et les services de la Commission et une troisième réunion entre ces acteurs devrait avoir lieu à la fin du mois. À la fin du mois de mars, nous devons officialiser la demande de la France et, enfin, saisir officiellement le Conseil de l’Union européenne à la fin du mois de mai.

Nous avons réellement la volonté de respecter le calendrier. En effet, et vous le savez mieux que moi, monsieur le sénateur, un tel engagement fait partie du pacte pour la départementalisation : si nous voulons que Mayotte se développe, nous devons faire en sorte que ce territoire puisse bénéficier très rapidement des fonds structurels dans le cadre des prochains programmes opérationnels.

M. le président. La parole est à M. Soibahadine Ibrahim Ramadani, pour la réplique.

M. Soibahadine Ibrahim Ramadani. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis tout à fait satisfait de cette réponse, d’autant plus qu’elle complète celle qui a été apportée à la question de mon collègue Adrien Giraud.

M. le président. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur l’application aveugle des normes européennes dans les départements d’outre-mer, et ce en dépit des dispositions de l’article 349 du traité de Lisbonne, qui leur reconnaît un statut dérogatoire au régime communautaire commun.

J’illustrerai mon propos par quelques exemples révélateurs.

Le premier exemple concerne l’application des normes européennes en matière de carburant en Guyane, application qui a conduit ce territoire à s’approvisionner aujourd’hui en Europe du Nord à un coût jugé excessif localement alors même qu’un approvisionnement dans l’environnement régional de ce territoire serait nettement moins onéreux. Actuellement, le litre d’essence revient à 1,53 euros en Guyane, alors qu’il coûte moins d’un euro au Surinam.

C’est également le cas de la pêche, activité contrainte dans son développement par des règles européennes qui interdisent notamment de subventionner la construction de navires. Or dans les DOM la filière est largement artisanale, la ressource halieutique abondante et la demande conséquente, ce qui n’est pas le cas dans les départements métropolitains.

C’est aussi le cas du secteur rizicole, filière qui, en Guyane, souffre notamment de l’application inappropriée de certifications européennes, alors que le riz produit dans les pays voisins – Guyana, Surinam –, fabriqué avec des semences non homologuées « Europe », est vendu en Europe ! (M. Alain Gournac s’exclame.)

Je pourrais également mentionner la question des déchets, au sujet de laquelle les exemples ne manquent pas et sont loin d’épuiser la liste des nuisances normatives que subit l’outre-mer. Ces contraintes créent des distorsions de concurrence au détriment de secteurs économiques dont l’activité est ouverte sur les pays voisins.

« Renforcer la prise en compte des spécificités des régions ultrapériphériques par l’Union européenne », telle était la proposition n° 62 de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer de 2009. « Améliorer l’adaptation des normes communautaires aux réalités locales, en renforçant la mise en œuvre de l’article 299-2 du Traité CE », voilà également la recommandation qui figurait sur la fiche VI-5 du conseil interministériel de l’outre-mer du 6 novembre 2009.

Pourtant, la Commission européenne n’a pas satisfait votre demande de dérogation pour le carburant de Guyane, madame la ministre, puisqu’elle l’a rejetée en décembre 2009.

Dès lors, au-delà des déclarations de bonnes intentions, existe-t-il de la part du Gouvernement une réelle volonté d’intervenir auprès de la Commission européenne, réticente jusqu’à présent à ce que soient concrétisées les dispositions de l’article 349 ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Monsieur le sénateur, vous savez mieux que moi que l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne constitue en quelque sorte un droit à des mesures spécifiques.

Toute la difficulté aujourd’hui – et nous avons obligation d’agir – réside dans la capacité à s’appuyer correctement sur l’article 349 au vu de l’imbroglio qui veut que certaines régions se situent à l’intérieur du marché européen et se développent dans un environnement régional complètement différent de celui des États membres.

Je me suis entretenue à plusieurs reprises sur ce sujet avec les différents commissaires ; la réflexion avance, notamment sur l’idée d’un marché intérieur régionalisé. C’est grâce à cette notion que nous pourrons travailler différemment, notamment afin d’instaurer des normes spécifiques prévues non pas simplement pour l’Europe occidentale mais aussi pour nos régions ultrapériphériques.

Ces travaux ont lieu dans le cadre des préconisations et propositions qui figurent dans le mémorandum.

Concernant le carburant, la Commission européenne n’a jusqu’à présent émis aucun refus de principe à la mise en œuvre d’un cadre dérogatoire acceptable. C’est la raison pour laquelle nous avons réalisé une étude sur la disponibilité de carburants aux normes européennes à proximité de la Guyane.

Si nous n’avons aujourd’hui aucune garantie sur ce point, nous savons néanmoins que des carburants proches des normes européennes sont disponibles. Nous aurons cependant à apporter à la Commission la preuve qu’un tel choix d’approvisionnement n’aurait aucun impact négatif réel sur l’environnement ou la santé, enjeux qui sont des sujets de préoccupation pour l’Union européenne.

Monsieur le sénateur, je vous invite par ailleurs à prendre en compte la réflexion menée par les trois présidents de région au travers de l’URAG, l’Union régionale des Antilles et de la Guyane, et qui a abouti à la décision du maintien de l’outil industriel SARA. Il faudra donc à un moment donné faire des choix et fixer des priorités.

Concernant la filière rizicole, j’ai bien pris en compte votre observation et nous travaillons avec la Commission européenne sur ce sujet particulier et, plus généralement, sur les productions agricoles.

Comme je l’ai indiqué voilà quelques instants, il faut apprendre à structurer les filières et faire en sorte que l’agriculture et la pêche de nos territoires ne soient pas une variable d’ajustement lors des négociations. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé aux commissaires au développement endogène qui ont été récemment nommés de travailler en lien avec les ambassadeurs pour que cette dimension soit prise en compte lors des différentes négociations d’accords commerciaux.

M. le président. La parole est à M. Georges Patient, pour la réplique.

M. Georges Patient. Madame la ministre, j’ai écouté attentivement votre réponse, mais il faut convenir que l’Union européenne a fait le choix de gommer peu à peu les différences de traitement et les avantages dont bénéficiaient nos territoires, sous couvert de libéralisation des échanges, de restrictions budgétaires et de changements de priorités au profit d’autres zones régionales dans le monde.

Mes collègues ont fait référence voilà quelques instants aux difficultés suscitées par les accords conclus avec le Pérou et la Colombie sur la culture des bananes et de l’igname. À cet égard, madame la ministre, il faut reconnaître que les analyses d’impact que vous avez mentionnées ont fait défaut et que la Commission européenne n’a pas proposé de compensation supplémentaire.

En tout état de cause, on peut douter de la détermination de la Commission européenne et des États de mettre en danger de tels accords pour protéger nos petits territoires d’outre-mer.

Il ne reste plus désormais aux gouvernements français, espagnol et portugais qu’à trouver de nouvelles alliances dans une Europe à vingt-sept et à conditionner leur accord sur les grandes réformes européennes à venir au respect des dispositions des traités en faveur de l’outre-mer comme du principe de solidarité, au fondement du projet européen.

M. le président. La parole est à M. Jacques Gillot.

M. Jacques Gillot. Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur la politique de cohésion pour l’outre-mer.

Nous sommes à la veille de la réforme de la politique de cohésion européenne, qui va intervenir dans un cadre budgétaire européen assurément contraint.

La Commission européenne a annoncé en novembre 2010 les orientations qu’elle entend proposer pour les fonds structurels après 2013. C’est un enjeu important pour nos régions ultrapériphériques, qui reçoivent, pour la période 2007-2013, une enveloppe de 3,2 milliards d’euros au titre de l’objectif « convergence », dit « objectif 1 ».

Les quatre DOM bénéficient ainsi de programmes au titre du Fonds européen de développement régional, le FEDER, et au titre du Fonds social européen, le FSE, en fonction de leur niveau de PIB par habitant.

Il est vrai que le traité de Lisbonne a consacré la triple dimension de la cohésion : économique, sociale et territoriale. Néanmoins, la combinaison des critères d’éligibilité et de la baisse du PIB moyen de l’Union à la suite de l’élargissement suscite l’inquiétude de certaines régions ultrapériphériques susceptibles de ne plus être éligibles, à l’instar de la Martinique.

En outre, il est légitime de se préoccuper de l’avenir de « l’allocation spécifique RUP », qui constitue une dotation complémentaire du FEDER baptisée « allocation de compensation des surcoûts liés aux handicaps structurels ».

Madame la ministre, quelle action entendez-vous mener pour assurer la continuité de ces fonds européens après 2013 et soutenir ainsi le développement de nos départements d’outre-mer ?

Par ailleurs, le taux de consommation des crédits européens dans les DOM reste insuffisant. Certains expliquent ce fait par la rigidité qu’introduit la règle européenne du fléchage des subventions dans l’utilisation de ces fonds outre-mer, appelée earmarking.

Madame la ministre, pouvez-vous m’indiquer dans quelle mesure la contrainte du earmarking pourrait être levée afin de nous permettre, grâce à une meilleure concentration des fonds communautaires, de poursuivre notre rattrapage structurel en équipements de base dans le domaine des déchets, de l’eau ou de l’assainissement ?

Comptez-vous à cet effet prendre des initiatives pour associer les élus locaux ultramarins au pilotage stratégique des fonds structurels ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Monsieur le sénateur, vous abordez l’un des points essentiels pour les régions ultrapériphériques et qui concerne les perspectives financières et budgétaires. Le résultat des discussions actuellement en cours sera connu à partir du mois de juillet.

Dès à présent, je peux cependant vous apporter quelques précisions.

Pour ce qui concerne les régions ultrapériphériques relevant de l’objectif « convergence », le Gouvernement a bon espoir de maintenir les enveloppes actuelles.

Comme vous l’avez souligné, nous devons être particulièrement vigilants pour les territoires qui risquent de sortir du cadre de cet objectif. La France, en liaison avec d’autres États membres dont certaines régions se trouvent dans la même situation que la Martinique, a déjà pris une initiative de façon qu’un traitement particulier permettant à ces territoires de bénéficier des fonds structurels leur soit réservé.

Cependant, nous en avons conscience, la démarche sera difficile. C’est la raison pour laquelle le gouvernement français a d’ores et déjà demandé le maintien de l’allocation de compensation des surcoûts liés aux handicaps structurels pour les régions ultrapériphériques, qui ne peuvent absolument pas en perdre le bénéfice.

Quant à la mobilisation des crédits dont vous avez fait état, monsieur le sénateur, même si les taux d’engagement sont satisfaisants eu égard à la situation, la consommation de ces crédits doit être améliorée si nous voulons maintenir les enveloppes. Les commissaires ont appelé à plusieurs reprises mon attention sur ce point. C’est pourquoi le travail actuellement réalisé dans le cadre de la révision à mi-parcours des programmes traduit la volonté de réorienter les opérations programmées afin d’assurer justement la mobilisation des crédits. La Martinique a même fait le choix de limiter le nombre des opérations et de s’orienter vers un taux d’intervention beaucoup plus important.

Aujourd’hui, la Commission a vraiment la volonté de nous accompagner. On peut sortir du critère de l’économie de la connaissance pour prendre en compte les grandes infrastructures.

Ensemble, nous devons montrer que nous sommes capables de mobiliser les fonds européens pour pouvoir maintenir les enveloppes à destination des régions ultrapériphériques.

M. le président. La parole est à M. Jean-Etienne Antoinette, pour la réplique.

M. Jean-Etienne Antoinette. Si pour sauver le soldat la SARA, la Société anonyme de la raffinerie des Antilles, doit être maintenue une flambée des prix de l’essence en Guyane, rassurez-vous, nous allons la sacrifier, parce que nous ne pouvons pas accepter les prix actuels des carburants.

J’en viens, madame la ministre, à la réponse que vous avez apportée à notre collègue Jacques Gillot.

Force est de constater que si, malheureusement, nous ne pouvons pas consommer un certain nombre de lignes budgétaires, c’est tout simplement parce que les départements d’outre-mer n’ont pas encore réalisé leur transition économique. C’est la raison pour laquelle nous vous demandons de soutenir les différents présidents de région, afin de faire comprendre à l’échelon européen la nécessité de continuer de réaliser des infrastructures de base, par conséquent de désenclaver nos régions, notamment de construire des groupes scolaires de façon à disposer d’une jeunesse formée.

Il est évident que nous devons rendre nos territoires attractifs, afin que les entreprises puissent se positionner sur des activités innovantes, comme le réclame la stratégie de Lisbonne.

Malheureusement, nos régions accumulent toujours des retards infrastructurels importants.

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques.

Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures cinq, sous la présidence de M. Bernard Frimat.)

PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 18 janvier 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-112 QPC)

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

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Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure
Discussion générale (suite)

Orientation et programmation pour la performance de la sécurité intérieure

Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

(Texte de la commission)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure
Question préalable

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (projet n° 195, texte de la commission n° 215, rapport n° 214).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, un peu plus de quatre mois après sa première lecture au Sénat, nous arrivons, avec cette deuxième lecture, au terme de la discussion de ce projet de loi.

Je tiens à remercier les membres de la commission des lois, le président de celle-ci, Jean-Jacques Hyest, et le rapporteur, Jean-Patrick Courtois, ainsi que les présidents des groupes de la majorité d’avoir permis d’aboutir à un texte à la fois équilibré et ambitieux.

C’est un fait : nous nous acheminons, pour la huitième année consécutive, vers une baisse de la délinquance dans notre pays. Ces résultats, nous ne les devons naturellement pas au hasard ! Nous les devons à la mobilisation des policiers et des gendarmes et aux partenariats nombreux et efficaces établis avec les élus locaux et les acteurs de la sécurité.

Pour autant, la délinquance évolue et se transforme en permanence. Nous devons donc nous adapter et renouveler nos approches dans la bataille acharnée qui est menée contre les fauteurs de troubles, les trafiquants et les voyous.

L’adaptation, c’est le sens du projet de loi d’orientation et de programmation que j’ai l’honneur de vous présenter en deuxième lecture aujourd’hui.

Largement enrichi grâce à vos travaux, ce projet de loi contient des dispositions essentielles qui visent à moderniser les moyens opérationnels des forces de sécurité intérieure, à adapter encore la réponse pénale, à créer de nouvelles réponses ciblées aux différentes formes de la délinquance et à développer les partenariats utiles à la sécurité des Français.

À cet égard, je soulignerai d’abord que nous obtenons des résultats contre l’insécurité au service des Français. Je présenterai dans les prochains jours, en détail, les résultats pour l’ensemble de l’année 2010, mais les chiffres des onze premiers mois font d’ores et déjà apparaître les avancées obtenues : par rapport aux onze premiers mois de l’année 2009, la délinquance a globalement reculé de plus de 2 %.

Cela signifie une chose très simple, dont nous devrions tous nous réjouir : l’année dernière encore, l’insécurité a reculé dans notre pays et donc la sécurité progressé.

Au-delà de ces résultats encourageants, il reste cependant de vrais défis à relever auxquels je suis particulièrement attentif.

Je pense d’abord aux atteintes volontaires à l’intégrité physique, qui restent le grand défi de nos sociétés modernes : leur augmentation a été divisée par cinq en France, mais notre pays n’y échappe pas pour autant.

À cet égard, l’exemple des vols de téléphones portables, qui ont augmenté de 40 % sur les onze premiers mois de l’année 2010, est très révélateur.

Grâce au blocage des téléphones portables et de leur carte SIM, désormais juridiquement et techniquement prévu, nous allons, j’en suis convaincu, rendre de tels vols sans intérêt pour les revendeurs, comme cela c’est d’ailleurs déjà produit pour les autoradios, à la suite des changements technologiques opérés voilà quelques années. Comme beaucoup de ceux qui appartiennent à ma génération, je me suis moi-même fait voler au moins trois fois un autoradio dans ma voiture ; aujourd'hui, ce type de délinquance subsiste, certes, mais il est indéniablement en voie de disparition. Je suis persuadé que, pour les vols de téléphones portables, nous allons évoluer dans le même sens.

Pour relever ces défis, nous avons fixé une feuille de route que nous appliquons méthodiquement. Cette feuille de route nous permet à la fois de cibler notre action, d’adapter nos méthodes et de concentrer nos moyens sur l’essentiel.

Des plans opérationnels ont ainsi été mis en place depuis plusieurs mois, en fonction d’un principe simple : dès qu’un problème est identifié, nous devons adopter une stratégie ciblée pour apporter la réponse immédiate la plus appropriée – les résultats, à l’évidence, ne pouvant qu’être inégaux selon les secteurs –, qu’il s’agisse de la lutte contre les cambriolages et contre les trafics de stupéfiants, de la protection des personnes âgées et, plus largement, des personnes vulnérables, de la lutte contre les bandes, contre les violences scolaires, contre les hooligans ou contre l’insécurité dans les transports.

Parallèlement, nous adaptons en permanence nos méthodes de travail.

C’est tout l’enjeu de la mise en place, depuis septembre 2009, de la police d’agglomération dans les départements de la petite couronne de Paris, dispositif que nous allons étendre au cours des prochains mois à Lille, Lyon, Marseille et peut-être Bordeaux.

De là découle aussi notre volonté ou, plus exactement, notre capacité – car, à vrai dire, cette volonté beaucoup l’avait – à affranchir progressivement les forces de sécurité de ces charges dites « indues » qui détournaient policiers et gendarmes de leur cœur de métier.

Concrètement, ce ne sont pas moins de mille gendarmes et policiers qui vont pouvoir être remobilisés sur des missions opérationnelles de terrain en trois ans.

Déjà, depuis le 1er janvier, la police des audiences peut être assurée par des sociétés privées ou des réservistes de la police et la gendarmerie, rémunérés et équipés par le ministère de la justice. Cela ne signifie d’ailleurs pas que les forces de police ou de gendarmerie ne seront jamais présentes : certains cas peuvent présenter des risques particuliers auxquels, naturellement, il faudra s’adapter. Cependant, le principe est bien de réaffecter les forces de l’ordre chargées de la police des audiences au terrain.

Au cours des trois ans à venir, les transfèrements pénitentiaires seront progressivement pris en charge par le ministère de la justice, attente ancienne – je suis pour ma part très sensible à l’attitude positive de la Chancellerie sur ce point.

En outre, même si c’est surtout symbolique et sans grande portée quantitative, je précise que la Place Vendôme prendra désormais progressivement à sa charge la garde statique de ses locaux, effectuée aujourd'hui par les gendarmes, et d’autres allégements sont envisageables, notamment au Palais de justice de Paris.

La remobilisation des forces de l’ordre sur le terrain répond, comme tous ceux qui s’intéressent à ces questions le savent, à une attente forte ; j’estime que nous avons bien discuté, négocié et avancé au cours des derniers mois de l’année 2010 pour parvenir à cette remobilisation.

Au travers de ce projet de loi, nous espérons prendre les mesures les plus efficaces possible pour assurer la protection de nos compatriotes.

D’ores et déjà, vos votes en première lecture ont plus que significativement renforcé nos armes dans le combat contre la délinquance.

Sans revenir dans le détail sur les nombreuses dispositions déjà adoptées et qui font l’objet d’un accord de principe des deux assemblées, sous réserve de quelques précisions rédactionnelles qui restent en débat en deuxième lecture, je dirai que, concrètement, la LOPPSI améliore très sensiblement nos moyens d’action dans quatre domaines.

Le premier de ces domaines est celui des outils opérationnels de la police et de la gendarmerie, lesquels sont considérablement modernisés.

Je pense en particulier à la vidéoprotection, dont je persiste à dire qu’il s’agit d’un outil majeur de prévention, de dissuasion et d’élucidation. Et, mesdames, messieurs les sénateurs, si certains d’entre vous ne sont pas d’accord avec moi, surtout qu’ils ne restent pas silencieux : qu’ils s’expriment afin que l’on comprenne mieux les différences entre les positions des uns et des autres !

Mme Éliane Assassi. Nous, et nous assumons !

M. Brice Hortefeux, ministre. S’agissant des conditions de contrôle de la vidéoprotection, l’équilibre trouvé avec l’Assemblée nationale me paraît, par ailleurs, adapté : d’un côté, la commission nationale de la vidéoprotection conseillera le Gouvernement ; de l’autre, la CNIL, associée aux commissions départementales, pourra proposer aux préfets des sanctions en cas de manquement aux règles fixées par les autorisations d’exploiter des caméras.

De plus, des logiciels de rapprochement judiciaire amélioreront la rapidité des enquêtes et feront progresser l’élucidation des crimes et délits, par exemple celle des vols en série.

Parallèlement, la lutte contre la pédopornographie sera renforcée.

Enfin, la lutte contre le terrorisme ou la criminalité organisée sera facilitée, avec le recours à des outils modernes, à la hauteur des méthodes de certaines organisations criminelles, s’agissant notamment de la captation de données informatiques et des cyberpatrouilles.

Deuxième domaine : la sanction pénale est renforcée.

Les sanctions seront aggravées – j’y tiens particulièrement – en cas de cambriolage et de vol au préjudice d’une personne vulnérable, qu’il s’agisse de personnes âgées, de personnes handicapées ou de femmes enceintes, qui seraient dans une plus grande difficulté pour se défendre.

Les biens saisis appartenant aux trafiquants pourront être vendus ou affectés aux forces de sécurité. C’est un moyen, pour les services de police, de faire arme égale avec les délinquants. Par exemple, en saisissant leur véhicule surpuissant, ils pourront en traquer d’autres à motorisation égale.

Cela ne signifie pas que nous sommes totalement démunis. Certaines voitures de la gendarmerie sont des Subaru, puisque le marché avait été remporté par ce constructeur – très bizarrement, à l’époque, aucun constructeur européen ne s’était manifesté pour répondre à cet appel d’offres. Un certain nombre de trafiquants, qui pratiquent ce que l’on appelle le « go fast », bénéficient de ces bolides. Il serait souhaitable de pouvoir les saisir puis de les vendre ou bien de les réaffecter aux forces de sécurité.

De la même manière, la vente à la sauvette deviendra un délit spécifique et sera mieux réprimée.

Des mesures vigoureuses seront prises afin de renforcer la sécurité de nos concitoyens qui prennent les transports en commun. J’ajoute à cet égard que, comme me l’avait demandé le président de la SNCF, je suis très attaché à la possibilité donnée aux agents des compagnies de transport chargés de la sécurité de conduire eux-mêmes les délinquants devant un officier de police judiciaire.

Je soutiens donc totalement l’amendement présenté en ce sens par M. Jacques Gautier.

Troisième domaine : les moyens de la police administrative sont complétés pour renforcer la prévention et la dissuasion.

Incontestablement, nous avons pu rendre les stades aux familles. Nous connaissions très bien les dérives, assez localisées, pas simplement à Paris mais aussi en région parisienne. Les mesures contenues dans le projet de loi permettront de conforter et d’améliorer les résultats déjà obtenus.

Ce ne sont ni des formules ni des slogans ! Vous vous en souvenez certainement, le 28 février 2010, il y avait eu un mort au Parc des Princes, à la suite de combats. Nous avions pris, dès le lendemain, des mesures immédiates, en créant notamment une division anti-hooligans.

En réalité – je touche volontairement du bois –, nous avons résolu, pour l’essentiel, même s’il existe toujours malheureusement des contre-exemples, la question à l’intérieur des stades. Maintenant, il faut davantage sécuriser l’extérieur des stades, puisque ce phénomène a tendance à se déplacer.

Néanmoins, vous avez certainement vu dans des reportages, comme je l’ai vu dans certains journaux de vingt heures, des personnes déclarer pouvoir enfin revenir en famille profiter d’un spectacle sportif.

Nous avons aussi donné aux préfets la possibilité d’instituer sur un territoire donné, entre vingt-trois heures et six heures du matin, un couvre-feu des mineurs de moins de treize ans. Cette mesure est utile et nécessaire. C’est aussi un moyen de prévenir la délinquance des mineurs.

Comme je l’ai déjà précisé en première lecture, nous donnons aussi aux préfets la possibilité de confisquer immédiatement le véhicule des délinquants de la route, afin de mettre hors d’état de nuire un certain nombre d’irresponsables.

Quatrième domaine, enfin, la sécurité étant la mission de l’État mais aussi l’affaire de tous, nous proposons des mesures pour renforcer les partenariats au service de la sécurité : partenariat avec les élus locaux, d’abord, puisque les prérogatives des polices municipales sont renforcées, en complémentarité avec la police et la gendarmerie ; partenariat avec les acteurs de la sécurité privée, ensuite, puisqu’il faut naturellement accompagner le développement de ce secteur qui est en pleine évolution. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir.

Nous sommes tous soucieux de l’emploi, et je rappelle que le syndicat national des entreprises de sécurité prévoit un recrutement de plus de 100 000 personnes sur les dix prochaines années, voire de 12 000 personnes par an.

En contrepartie, il faut être précis sur la réglementation, les autorisations, les délivrances d’agréments et la possibilité de leur retrait.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Oui !

M. Brice Hortefeux, ministre. Il faut aller un peu plus loin et la LOPPSI le permet, en proposant la création d’un Conseil national des activités privées de sécurité pour répondre à ces questions.

Ces dispositions ont déjà fait l’objet d’un débat de fond. Je pense que nous devons aller encore plus loin dans la lutte contre les violences aux personnes. C’est, à l’évidence, ce que nos compatriotes attendent de nous.

Nous avons souhaité proposer dans la LOPPSI, en parfaite harmonie avec la Chancellerie, quatre mesures nouvelles, spécifiques et ciblées.

La première mesure est le placement sous surveillance électronique, à leur sortie de prison, des multirécidivistes condamnés à au moins cinq ans d’emprisonnement – ce qui n’est pas rien ! Je remercie d’ailleurs la commission des lois d’avoir donné, depuis l’origine, son plein accord sur cette mesure.

La deuxième mesure concerne les peines planchers. J’ai bien compris la position de la commission des lois sur ce sujet. Un accord de principe a été trouvé entre les deux assemblées en première lecture, qui conforte la volonté du Gouvernement d’appliquer les peines planchers aux primo-délinquants et non plus aux seuls récidivistes. C’est une évolution majeure que le Président de la République avait évoquée et souhaitée dans son discours de Grenoble.

Toutefois, un débat technique demeure sur les modalités et la portée de cette évolution. Il est tout à fait opportun et utile que nous établissions une gradation de ces peines pour les violences aggravées. Je serai donc très attentif à vos propositions. J’ai d’ailleurs noté l’intérêt que présente l’amendement de M. Christian Demuynck.

J’en viens à la troisième mesure. Je me réjouis que le Sénat ait approuvé l’idée de permettre à la Cour d’assises d’assortir son verdict de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, s’agissant des crimes et délits commis à l’encontre des agents dépositaires de l’autorité publique, d’une période de sûreté de trente ans.

Cette mesure rejoint, là encore, les souhaits exprimés par le Président de la République à Grenoble. Certes, une nuance existe entre les deux assemblées. À la différence de l’Assemblée nationale et du Gouvernement, le Sénat a souhaité que cette mesure soit restreinte aux seuls de ces crimes qui ont été commis en bande organisée ou avec la circonstance aggravante de guet-apens ou de préméditation.

Selon le Gouvernement, que le crime ait été commis par un individu seul ou en bande organisée, la peine de sûreté devrait s’appliquer. La gravité des crimes en cause – le meurtre de policiers, de gendarmes, de préfets, de magistrats ou de pompiers – exige que l’on se montre particulièrement inflexible.

La quatrième mesure concerne la possibilité de faire comparaître un mineur plus rapidement devant le tribunal pour enfants. Le système actuel doit être amélioré. Aujourd’hui, en effet, dans un certain nombre de cas, cette prise en charge est presque totalement improductive parce que trop tardive

On le sait très bien, le délai important qui sépare trop souvent la commission de l’infraction du jugement contribue au sentiment d’impunité et réduit presque à néant les efforts de pédagogie et de prévention de la récidive qui doivent être au cœur de la prise en charge des mineurs.

Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !

M. Brice Hortefeux, ministre. C’est pourquoi, dans les affaires les plus simples et pour les mineurs déjà connus de la justice, le Gouvernement souhaite donner au procureur la capacité de saisir directement le tribunal, sans passer par le juge des enfants. Cette nouvelle procédure, préparée en étroite liaison avec la Chancellerie, s’appliquera uniquement lorsque le mineur est déjà connu de la justice et que tous les éléments concernant sa personnalité et son environnement familial sont déjà connus. Il s’agit également d’un facteur d’efficacité de notre politique de prévention.

J’ajouterai quelques mots, pour terminer, sur le permis à points.

Ne perdons pas de vue l’essentiel : notre objectif est de faire baisser le nombre de morts, comme le nombre de blessés sur les routes de notre pays. J’imagine que nous sommes tous d’accord.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !

M. Brice Hortefeux, ministre. Il y a près de quarante ans, nous déplorions près de 18 000 morts sur les routes par an. En 2000, nous en étions encore à environ 8 200 tués, selon l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière. En 2010, nous sommes passés sous la barre des 4 000, avec exactement 3 994 tués. C’est beaucoup moins qu’il y a dix ans, mais c’est encore beaucoup trop.

C’est vrai – je m’adresse davantage à la majorité –, le Gouvernement n’avait pas proposé d’évolution sur le permis à points. Les parlementaires du Sénat, comme ceux de l’Assemblée nationale, ont souhaité l’assouplir. Conformément au souhait du Sénat, le délai de récupération des petites infractions entraînant la perte d’un seul point serait réduit d’un an à six mois. Le délai de récupération de la totalité des points passerait à deux ans au lieu de trois actuellement.

Le Gouvernement souhaite clairement qu’en soient exclues les infractions les plus graves, qu’il s’agisse des conduites en état d’ivresse, des grands excès de vitesse ou des infractions dangereuses, comme ces cas, dont nous avons tous entendu parler, de personnes qui font demi-tour sur l’autoroute.

Pour ces infractions très dangereuses, les dispositifs de clémence ne sont pas appropriés. Je vous le dis : il est impératif de ne pas aller au-delà de cette évolution et, en tout état de cause, nous devrons en évaluer, le moment venu, les effets.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, la mission qui m’a été confiée par le Président de la République et le Premier ministre est claire : assurer la sécurité de nos concitoyens, partout et pour tous.

Nous avons des exigences, nous fixons des objectifs, nous obtenons un certain nombre de résultats pour renforcer la sécurité dans le respect des libertés. Cependant, pour pérenniser, conforter et amplifier ces résultats, nous devons en permanence nous adapter. C’est ce que nous proposons à travers ce projet de loi.

La LOPPSI a déjà été débattue durant plus de soixante-douze heures à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il reste incontestablement quelques étapes à franchir. Pour y parvenir, je reste à votre écoute, en espérant aussi pouvoir compter sur votre soutien. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous débutons aujourd’hui l’examen en deuxième lecture du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, ou LOPPSI 2, après son second examen par l’Assemblée nationale au cours du mois de décembre.

De nombreuses dispositions font, à ce stade, l’objet d’un accord entre nos deux assemblées.

Concernant l’encadrement des fichiers d’antécédents judiciaires et d’analyse sérielle, l’Assemblée nationale n’a pas apporté de modification de fond au dispositif adopté par le Sénat.

Il en va également ainsi de la plus grande partie des dispositions relatives à la vidéosurveillance, figurant à l’article 17.

Je vous rappelle qu’alors que le projet de loi déposé par le Gouvernement attribuait le contrôle des dispositifs aux commissions départementales et à la Commission nationale de la vidéoprotection, la CNV, le Sénat avait introduit la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, dans le dispositif, estimant que son expérience en matière de libertés publiques la qualifiait en la matière. Cette modification a été globalement approuvée par l’Assemblée nationale.

De même, une partie non négligeable du chapitre relatif à la sécurité quotidienne et à la prévention de la délinquance, introduit par l’Assemblée nationale, avait été approuvée par le Sénat, et n’a pas été modifiée de manière sensible par l’Assemblée nationale en seconde lecture. C’est le cas des dispositions relatives au couvre-feu de portée générale décidé par le préfet pour des mineurs de 13 ans ou encore de celles qui concernent le règlement intérieur destiné à encadrer les échanges d’informations au sein des groupes de travail des CLSPD, les conseils locaux de sécurité et de la prévention de la délinquance.

Le Sénat avait également adopté en termes identiques ou avec des modifications d’ordre rédactionnel la plupart des articles relatifs à la sécurité routière. L’Assemblée nationale n’a pas opéré de nouvelle modification substantielle, sauf pour un article. Il s’agit des dispositions relatives aux permis à points introduites par notre collègue Alain Fouché. Initialement, le délai de récupération de la totalité des points du permis était abaissé à un an au lieu de trois. La commission des lois de l’Assemblée nationale a décidé d’adopter une position intermédiaire en le portant à deux ans.

En séance publique, un nouvel amendement a été adopté qui vise à introduire une exception pour les délits routiers et les contraventions les plus graves : pour ces infractions, le délai restera fixé à trois ans. Par ailleurs, l’Assemblée nationale a accru les possibilités de faire des stages de récupération de points. Au total, ces dispositions ont paru équilibrées à la commission des lois, qui n’a pas souhaité les modifier une nouvelle fois.

Le Sénat avait par ailleurs globalement donné son accord aux dispositions introduites par la commission des lois de l’Assemblée nationale et relatives à la police municipale. Il avait ainsi approuvé l’attribution de la qualité d’APJ, c'est-à-dire d’agent de police judiciaire, aux directeurs de police municipale, la participation des policiers municipaux aux contrôles d’identité sous l’autorité d’un OPJ, c'est-à-dire d’un officier de police judiciaire, ou encore la simplification des règles d’agrément pour les agents de police municipale.

Le Sénat avait également étendu le champ d’application de la disposition prévoyant la participation des policiers municipaux aux dépistages d’alcoolémie. L’Assemblée nationale n’a apporté en seconde lecture que des amendements rédactionnels à ces articles.

Enfin, de nombreuses dispositions introduites par le Sénat sur l’initiative du Gouvernement ont été approuvées par l’Assemblée nationale. C’est le cas des mesures destinées à lutter contre les violences dans les stades ou dans les transports. Sur ce dernier point, néanmoins, la commission a supprimé une disposition introduite par l’Assemblée nationale en seconde lecture et qui déséquilibrait les règles relatives aux contrôles d’identité fixées par le code de procédure pénale.

Toutefois, l’Assemblée nationale a également profondément amendé certaines dispositions introduites par le Sénat ou refusé les modifications apportées par la Haute Assemblée aux dispositifs qu’elle avait introduits.

Ainsi, lors de l’examen du projet de loi par le Sénat en séance publique, le Gouvernement avait souhaité que le dispositif des peines planchers soit étendu aux primo-délinquants auteurs de violences aggravées ou de délits commis avec la circonstance aggravante de violences.

Notre commission s’y était opposée, considérant notamment que ce dispositif présentait un risque de contrariété à la Constitution. À cette occasion, elle avait également réaffirmé son attachement à la cohérence de l’échelle des peines, ainsi qu’au pouvoir d’appréciation des juges. Pour ces raisons, nous avions émis un avis défavorable sur l’amendement du Gouvernement.

Sensibles à ces arguments, nos collègues Gérard Longuet et Jacques Gautier avaient proposé de sous-amender l’amendement du Gouvernement afin de limiter son champ aux violences les plus graves. Le dispositif, ainsi sous-amendé, avait été adopté par le Sénat.

En seconde lecture, les députés sont largement revenus au dispositif initialement souhaité par le Gouvernement et l’ont même étendu à un certain nombre d’infractions supplémentaires, comme les violences sans circonstance aggravante.

En outre, s’agissant des conditions dans lesquelles les peines ainsi prononcées pourraient être aménagées, les députés ont adopté un amendement de leur commission des lois tendant à revenir au droit antérieur à la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, qui a posé le principe de l’aménagement des peines égales ou inférieures à deux ans d’emprisonnement.

Dans la mesure où cet article présentait en l’état un risque d’inconstitutionnalité, qu’il faisait de l’emprisonnement des mineurs la règle dans de nombreux cas et qu’il remettait en cause certains principes essentiels de la loi pénitentiaire alors même que les décrets d’application de ce texte viennent tout juste d’être adoptés, votre commission des lois est revenue au texte voté par le Sénat en première lecture, lequel réserve le dispositif de peines planchers aux auteurs des violences les plus graves.

L’Assemblée nationale a également souhaité revenir aux dispositions proposées par le Gouvernement et relatives à la possibilité de poursuivre un mineur devant le tribunal pour enfants par la voie d’une convocation par OPJ. En première lecture, ces dispositions avaient été rejetées par notre commission et n’avaient été adoptées par le Sénat qu’après avoir été complétées par un sous-amendement, qui avait eu pour objet de restreindre leur champ d’application.

Compte tenu du retour opéré par l’Assemblée nationale aux propositions rejetées par la commission des lois, celle-ci est également revenue au texte voté par le Sénat.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’article 23 ter relatif à l’allongement de la peine de sûreté pour les auteurs de meurtre ou d’assassinat contre les personnes dépositaires de l’autorité publique, les députés sont revenus à la rédaction proposée initialement par le Gouvernement. En effet, les dispositions introduites par celui-ci avaient été sous-amendées par MM. Jean Jacques Hyest, Gérard Longuet et Nicolas About, afin que, comme tel est le cas pour les meurtres ou assassinats concernant les mineurs de 15 ans, l’allongement de la peine de sûreté ne vise que les crimes accompagnés d’une circonstance aggravante. Il était ainsi précisé que le meurtre devait être commis en bande organisée ou avec guet-apens. L’Assemblée nationale ayant écarté toute référence à une circonstance aggravante, la commission des lois est revenue au texte élaboré par le Sénat en première lecture, en retenant la préméditation comme circonstance aggravante.

Enfin, d’autres désaccords entre nos deux assemblées portent sur les dispositions relatives à la sécurité quotidienne.

Les députés ont ainsi rétabli les dispositions qu’ils avaient introduites en première lecture concernant la possibilité pour le préfet de décider d’un couvre-feu à l’encontre d’un mineur déjà condamné, ou relatives à l’information du président du conseil général et du préfet par le procureur de la République sur les poursuites et les condamnations dont font l’objet les mineurs dans le département.

Dans la mesure où ces dispositions présentaient un risque d’inconstitutionnalité et semblaient en outre d’application très difficile, la commission des lois est revenue au texte du Sénat.

Par ailleurs, les députés ont introduit deux dispositions totalement nouvelles. La première étend l’imprescriptibilité aux crimes se traduisant par une disparition d’enfant. La seconde vise à singulariser la situation des étrangers reconnus coupables d’un crime, en contraignant les jurés des cours d’assises à se prononcer sur leur droit au séjour, dans le respect des limitations édictées par la loi du 26 novembre 2003.

Dans la mesure où elle considère qu’il est préférable de réserver le caractère exceptionnel de l’imprescriptibilité aux crimes contre l’humanité et où le droit positif permet d’ores et déjà de répondre largement aux préoccupations exprimées en la matière, la commission a supprimé la disposition qui étendait l’imprescriptibilité aux crimes se traduisant par une disparition d’enfant.

Voilà tracés, mes chers collègues, les grands axes des modifications adoptées par la commission des lois dans la perspective de la seconde lecture de ce projet de loi, que je vous demande d’adopter. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre de l’intérieur, je vous ai écouté avec intérêt citer des statistiques : je constate que de moins en moins de délits sont commis ; à ce rythme, vous chercherez bientôt des délinquants ! (Sourires.)

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, entre le titre d’un texte législatif et son contenu réel, le fossé devient de plus en plus évident. Les lois de simplification sont devenues des lois de complexification. Qu’en est-il des lois d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ?

Nombreux sont ceux qui le constatent, le projet de loi qui nous est soumis constitue un véritable fourre-tout où se retrouvent, pêle-mêle, des dispositions diverses correspondant pour beaucoup à des réponses médiatiques à des faits divers. C’est ainsi que, récemment, un quotidien a pu titrer : « Quand les faits divers dictent leur loi ». (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)

Certes, il serait absurde et dommageable pour la protection de la société de ne pas être très attentifs à ce qui se passe sur le terrain, dans nos rues, nos cités, nos campagnes, et de ne pas intégrer l’évolution de la délinquance consécutive aux bouleversements sociétaux.

Toutefois, mes chers collègues, la réponse législative à des faits médiatisés est tout aussi dangereuse et dommageable, car elle est créatrice d’une insécurité juridique…

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jacques Mézard. … à laquelle, ces dernières années, nous avons été pleinement confrontés.

M. Jacques Mézard. Elle est le plus souvent à l’opposé de la définition d’une véritable politique pénale, compréhensible par le citoyen et facilement applicable par les magistrats.

Nous le savons tous ici, les magistrats sont excédés par cette avalanche de lois dites « sécuritaires » qui polluent littéralement le difficile exercice de leur mission.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jacques Mézard. La priorité du législateur, c’est d’abord, me semble-t-il, d’examiner si les lois existantes permettent, ou non, de répondre aux préoccupations du moment et aux évolutions sociétales.

Bien sûr, lorsqu’il s’agit de cybercriminalité, le socle du code d’instruction criminelle de 1808 ne saurait suffire, mais nombre de réformes et de textes accumulés ces dernières décennies furent inutiles, parfois redondants et largement inefficaces, si ce n’est à des fins de communication politique. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.) Là encore, chers collègues de la majorité, vous jouez, et avec quelles conséquences redoutables, aux apprentis sorciers.

M. Jacques Mézard. Faudra-t-il souvent rappeler les propos du nouveau président d’honneur d’un parti situé à l’extrême de l’échiquier politique : « Les électeurs préféreront toujours l’original à la copie » ?

Mme Éliane Assassi. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, comme je l’ai déjà dit lors de l’examen du texte en première lecture, je ne doute aucunement de vos sentiments républicains. Toutefois, je reste convaincu que les textes que vous nous proposez, dans leur essence, ne sont de nature ni à rassurer les Français ni à faciliter réellement le travail de ceux qui œuvrent à préserver leur sécurité.

Nous avons dénoncé les errements de la garde à vue. Nous avions raison ! Le garde des sceaux lui-même déclare aujourd'hui qu’il serait positif d’en réduire le nombre à 300 000, car on ne lutte pas contre l’insécurité en jouant sur le sentiment d’insécurité.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jacques Mézard. De la même manière, ce n’est pas la réduction des effectifs de police et de gendarmerie qui constitue la bonne méthode ; la mise en cause de la police de proximité fut un mauvais procès, une erreur.

Ce n’est pas avec seize lois sécuritaires en huit ans que nous construirons un code de procédure pénale performant.

Nous sommes dans une discussion générale, il est donc justifié de mener un débat de fond, de même qu’il serait légitime de discuter de la manière dont est traitée la question de la délinquance financière, sous ses diverses formes, qui pèse de tout son poids dans le sentiment assez généralisé d’insécurité et d’injustice dont découlent certains comportements antisociaux.

En première lecture, puis au travers du travail de sa commission et de son rapporteur, le Sénat a fait entendre son souci de respecter les principes fondamentaux auxquels nous sommes tous attachés, et nous nous en réjouissons.

Le message de la majorité de l’Assemblée nationale est différent, et c’est son droit. Néanmoins, notre groupe dans sa plus grande partie ne saurait le cautionner. À l’Assemblée nationale, un orateur de la majorité évoquait d'ailleurs un « message de fermeté à l’égard d’une délinquance sans scrupule qui fait régner la terreur ». Nous aurons donc appris qu’il y avait deux formes de délinquance : avec et sans scrupule ! Il est vrai que la première constitue déjà un progrès. (Sourires.)

Mme Nathalie Goulet. C’est la morale de l’intention !

M. Jacques Mézard. Plus sérieusement, nous considérons qu’il y a erreur de diagnostic et erreur thérapeutique. Faire croire au laxisme des magistrats est fallacieux,…

Mme Éliane Assassi. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. … et ce n’est pas en augmentant constamment le quantum des peines que vous ferez progresser la sécurité, monsieur le ministre.

M. Jacques Mézard. S’il existe une crise de confiance à l’intérieur de la police, de la gendarmerie et de la justice, les lois successives que nous avons examinées ces dernières années ne l’auront aucunement atténuée, bien au contraire.

Cela étant rappelé, on ne peut que constater, pour le déplorer, que l’Assemblée nationale en a encore rajouté dans le sécuritaire. Ce n’est pas sans raison que plusieurs organes de presse notaient que ce projet de loi était devenu le véhicule législatif des mesures sécuritaires annoncées l’été dernier par le Président de la République. Il s’agit donc d’un texte réactionnel – un mot qui n’a pas le même sens que réactionnaire, je vous l’accorde, chers collègues de la majorité.

Dans l’intérêt de tous, il convient de tempérer le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale. En ce qui concerne la vidéoprotection, qui n’est pas la panacée en matière de sécurité, même si elle peut constituer un progrès dans certains cas, l’article 17 étend les possibilités d’installation et d’usage sur la voie publique à des personnes morales de droit privé, après simple information du maire.

Le Sénat avait prévu que la CNIL, pourrait exercer un contrôle des systèmes installés. L’Assemblée nationale a refusé que le contrôle puisse s’exercer selon les principes de la loi « Informatique et libertés ». Elle a également supprimé la possibilité pour la CNIL, possibilité qui avait été introduite par le Sénat, de mettre en demeure un responsable de traitement de faire cesser un manquement et de prononcer un avertissement public.

Mes chers collègues, ces dispositions sont contraires à la jurisprudence administrative. J’espère que la position du Sénat l’emportera.

L’article 23 bis, introduit par le Sénat contre l’avis de la commission, a pour objet d’étendre aux primo-délinquants auteurs de violences volontaires le dispositif des peines planchers, qui ne sont à l’heure actuelle applicables qu’en cas de récidive.

Si le Sénat avait limité son champ aux violences les plus graves, punies de dix ans d’emprisonnement et ayant entraîné une incapacité temporaire de travail supérieure à quinze jours, l’Assemble nationale a considérablement étendu le champ de l’article et a supprimé le principe d’aménagement des peines inférieures ou égales à deux ans d’emprisonnement, posé par la loi pénitentiaire.

Le durcissement du dispositif pose naturellement la question de la logique poursuivie dès lors que la prison demeure un facteur de récidive et que ne sont pas réunies aujourd’hui les conditions permettant véritablement la réinsertion des détenus, ce que chacun sait.

Se pose également la question de la constitutionnalité du dispositif, puisque, comme cela est rappelé dans le rapport de notre collègue Jean-Patrick Courtois, le Conseil constitutionnel n’avait validé, en 2007, le principe de la peine plancher qu’en raison de la condition de récidive légale.

L’article 23 ter, introduit par le Sénat sur proposition du Gouvernement, tend à allonger la période de sûreté pour les auteurs de meurtre ou assassinat contre les personnes dépositaires de l’autorité publique. Notre assemblée avait subordonné ce dispositif à l’existence d’une circonstance aggravante, disposition supprimée par l’Assemblée nationale.

L’article 23 quinquies vise à étendre le champ d’application de la surveillance judiciaire aux personnes condamnées à une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure ou égale à cinq ans en état de nouvelle récidive.

L’article 23 sexies prévoit de recourir à une procédure de convocation par officier de police judiciaire à l’encontre d’un mineur, ce qui est pour le moment impossible et interdit. On peut déjà s’étonner d’une telle disposition, alors que la Chancellerie travaille aujourd’hui sur une réforme globale du droit pénal des mineurs.

L’article 24 bis tend à instaurer un couvre-feu pour mineurs, y compris individuel. Le Sénat, considérant les risques juridiques toujours importants, avait introduit le recours au juge. L’Assemblée nationale, là encore, est revenue sur cette disposition alors que, s’agissant d’une sanction, cette dernière relève du juge et non pas de l’autorité administrative. Une telle dérive, car il s’agit bien d’une dérive, est particulièrement inquiétante. Il en est d’ailleurs de même, notons-le au passage, de la volonté de mettre en place le principe de l’imprescriptibilité pour certains crimes visés à l’article 24 quinquies.

De la période de sûreté aux peines planchers et, bientôt, aux jurés populaires en correctionnelle, nous avons l’illustration constante d’une méfiance devenue systématique, j’allais dire épidermique, à l’égard de la magistrature, …

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jacques Mézard. … ce qui est grave, le plus souvent injuste, et ne peut que perturber l’équilibre fragilisé de nos institutions.

M. Jacques Mézard. Oui, messieurs les ministres, vous auriez tort de rester sourds au discours prononcé par le procureur général près la Cour de Cassation le 7 janvier 2011. Pour l’avoir lu intégralement, je me doute qu’il ne vous a point fait plaisir. En voici un extrait : « Afficher pour la justice une sorte de mépris, inspirer à l’opinion des sentiments bas, en instillant de manière en réalité extravagante, la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision, [...] tout cela avilit l’institution et, en définitive, blesse la République ».

M. Roland Courteau. C’est exact !

M. Jacques Mézard. Ces propos ne sont pas les miens ! Ce sont ceux qui ont été tenus par le procureur général près la Cour de cassation.

M. Brice Hortefeux, ministre. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Et nous n’en avons pas dit autant jusqu’ici !

Messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes tous dans cette enceinte – je dis bien tous – attachés aux valeurs fondamentales qui constituent le socle de notre République. Or le thème de la sécurité devient un instrument de rupture et de division, alors qu’il devrait être impérativement un thème de rassemblement, de recherche de l’équilibre et de sérénité, de « force tranquille » disais-je en première lecture.

M. Roland Courteau. C’est bien vu !

M. Jacques Mézard. Il faut cesser de justifier l’absence de résultats en matière de sécurité par l’inadéquation des lois, alors que l’essentiel est de mettre les moyens nécessaires à la disposition de ceux qui sont chargés d’appliquer les innombrables textes déjà en vigueur.

Protéger le citoyen, c’est non pas le surveiller et s’en méfier, mais d’abord le rassurer. Majoritairement, nous ne voterons pas ce projet de loi, parce qu’il exacerbe des conflits et des sentiments qui ne sauraient rassurer le plus grand nombre de nos concitoyens ni restaurer la confiance. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, à vous entendre, on croirait que rien ne va plus dans notre pays et, surtout, que vous n’y êtes pour rien !

Vous ne cessez, en effet, de nous assener que, si délinquance il y a, c’est parce que la gauche a été trop laxiste, voire angélique, tout en rejetant la faute sur « les complaisants », qu’ils soient de gauche, magistrats ou autres voyous en instance de « karcherisation ».

C’est à se demander, monsieur le ministre, qui a empilé, depuis bientôt dix ans, pléthore de textes répressifs d’inspiration sécuritaire à la tête du ministère de l’intérieur, puis de la présidence de la République, avec votre irréductible soutien.

Vous persistez néanmoins à nous conter que, si la France va mal, c’est à cause du mal national qu’est la « complaisance », théorie que vous tentez d’infuser dans les consciences pour justifier votre politique ultra-sécuritaire, dispendieuse, inefficace, et qui est un échec sur toute la ligne.

De cette complaisance, tous les acteurs publics et tous les partis politiques, excepté bien évidemment le vôtre et celui du Front national, auraient été coupables. Votre discours se synthétise aisément tant il multiplie les raccourcis.

Puisque les juges ne font pas leur travail, parce que trop complaisants, vous entendez l’effectuer à leur place en les cantonnant au rôle de simples exécutants.

Si le nombre de primo-délinquants augmente, c’est exclusivement la faute des parents, trop complaisants et n’assumant pas leurs responsabilités. Une telle situation n’aurait, selon vous, rien à voir avec la saignée opérée dans l’éducation nationale, qui a subi 66 000 suppressions de postes depuis 2007.

Vous incriminez donc les seuls parents : vous menacez de leur ôter leurs droits à prestations, en leur faisant signer des papiers contractualisant leur choix d’être parents. Au passage, vous rétablissez les maisons de correction, dénommées pudiquement « centres d’éducations fermés », car, si la France va mal, c’est sans doute aussi en raison de la perte de ce que l’on appelle les « valeurs d’antan »…

Mais ce sont là des valeurs contestables, aux relents souvent nauséabonds et xénophobes, que nous ne voulions plus voir à la tête de notre État, et pour cause.

Ainsi, toujours selon votre discours bien ancré, si le nombre de crimes et de délits augmente, c’est bien évidemment aussi la faute des étrangers, envers qui les dirigeants de gauche se sont montrés, encore une fois, trop complaisants.

Vous accusez les migrants de ne rien comprendre aux principes fondamentaux de notre République, contrairement aux « bons Français », qui sont présumés, eux, en être naturellement imprégnés. Les autres doivent s’intégrer ; pis, ils doivent maintenant s’assimiler, selon ce nouveau vocable qui a eu un franc succès sur vos bancs à l’Assemblée nationale.

Et ce n’est pas fini ! Avec près de 12 000 suppressions de postes depuis 2002, la police est à bout de souffle. Dès lors, vous lui offrez quelques armes de nouvelle technologie et d’autres techniques d’investigation en pointe, vous jetez un peu de poudre aux yeux à la police scientifique et technique au bord de l’implosion, en mettant en place un fonds de soutien, lequel ne sera sans doute jamais alimenté, et vous décidez d’installer 60 000 caméras à l’appui de leurs investigations, et tout cela pour un taux d’élucidation allant aujourd'hui de 1 % à 3 %, monsieur le ministre !

Vos équations sont bien trop simplistes ; le compte n’y est pas. La théorie de la complaisance ne prend pas ! Vous semblez peu prompt à comprendre le sens de la politique : cette dernière doit être définie en vue de maintenir un équilibre social et non pas dans le but de le rompre pour mieux régner.

Poursuivant votre politique de division entre les fonctionnaires et les salariés du privé, entre la police et la population, entre les étrangers et les « bons Français », entre les bons habitants des quartiers populaires et les vils délinquants friands de hall d’immeubles, entre les chômeurs et les actifs, la France qui se lève tôt et les profiteurs qui se lèvent tard, vous cherchez maintenant à opposer le peuple à la justice, qui, selon vous, ne rend pas les bonnes décisions, ou plutôt celles que vous souhaitez qu’elle rende.

Les juges ne font qu’appliquer des principes généraux du droit, mais ne servent pas votre projet de société.

Ainsi entendez-vous juger à leur place, en soutenant des policiers reconnus coupables sur preuves de délits, pour mieux laisser place à la vindicte populaire, sous l’appellation de jury populaire. Le comble est que le Président de la République nous annonce qu’il entend par cette mesure vouloir rapprocher la justice du peuple !

Sauf à vous montrer plaisantins, ce que je ne crois pas, nous nous demandons bien ce qui anime alors le dégraissage de la carte judiciaire, ce qui justifie ces déplacements des juridictions à la pelle dans des locaux inappropriés, dans des banlieues lointaines bien souvent fort mal desservies en termes de transports en commun. Ce faisant, vous ne faites que chasser le peuple que vous prétendez défendre.

Votre gouvernement nie le besoin social de justice en supprimant autant de barreaux de province que de banlieues, ce qui contraint la population à des déplacements parfois ubuesques.

Autant dire que tout cela est infiniment dangereux pour un État de droit. Il me semble utile, à moi aussi, de rappeler la déclaration récente du procureur Nadal, qui a été citée tout à l'heure : « Afficher pour la justice une forme de mépris, inspirer à l’opinion des sentiments bas en instillant, de manière en réalité extravagante, la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision, inscrire au débit des cours et tribunaux l’altération du lien social compromis pour une multitude de raisons qui leur sont étrangères, tout cela avilit l’institution et, en définitive, blesse la République ».

Ces propos sont d’une honnêteté que vous devriez envier à leur auteur. Il ne devrait pas être permis d’agiter le code pénal avec si peu de délicatesse.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Éliane Assassi. Pour notre part, nous ne sommes jamais tombés dans un laxisme qui nierait la réalité de la délinquance tant nous sommes attachés à l’idée de contrat social. Mais la guerre que vous engagez n’est pas la nôtre.

À l’occasion de l’examen du présent texte en première lecture dans cette même enceinte, en septembre dernier, vous aviez cité, lors de votre intervention dans la discussion générale, l’Étrange défaite de Marc* Bloch. À l’Assemblée nationale, on a entendu M. Ciotti déclarer que les mesures contenues dans ce projet de loi étaient nécessaires face à une évolution de la délinquance, « les délinquants usant de toutes les techniques pour s’opposer aux contraintes de la loi et aux moyens déployés par les forces de l’ordre » justifiant de « s’adapter pour pouvoir soutenir cette guerre de mouvement contre la délinquance ».

Au nom de la protection de la société contre ses « ennemis » présumés, les mesures dérogatoires au droit commun deviennent la norme, la surveillance et le contrôle social s’étendent massivement et l’objectif de réinsertion assigné à chaque peine disparaît. La question suivante se pose : l’état d’urgence serait-il décrété ?

Vous tentez de faire croire aux Français que votre guerre a été déclarée en leur nom et pour leur bien-être. Un tel argument est tout aussi virtuel que celui invoquant les délinquants « nouvelle génération » qui nécessiteraient que l’on mène « une guerre de mouvement ».

Vous vous efforcez constamment de commenter des faits divers, tous aussi horribles les uns que les autres. Vous légiférez sur ce fondement pour favoriser la confusion entre délits de droit commun et lourdes infractions.

Vous espérez de toutes ces tactiques d’amalgame qu’elles vous permettent non seulement d’entretenir l’hostilité des milieux populaires contre cette catégorie de délinquance, mais aussi de rendre le durcissement de la politique de répression acceptable.

Cependant, nos concitoyens ne sont pas dupes, et nous non plus !

Cette dénonciation constante de la délinquance du petit peuple vous est sans doute bien utile pour masquer la délinquance de la classe dominante. En attestent la dépénalisation du droit des affaires, comme l’abus de bien public. Les sondages le montrent : celui qui a été publié récemment par le Journal du Dimanche est particulièrement révélateur à cet égard, puisqu’il affirmait qu’Éric Woerth était la personnalité politique préférée des Français. Cherchez l’erreur !

Le Front national a usé de la même stratégie de détournement ce week-end, en espérant nous faire croire, dans un but de communication politique et d’électoralisme primaire, qu’il était exorcisé de ses vieux démons.

Ainsi, de la même façon que vous avez repris la théorie de la complaisance à votre compte, ce parti reprend le discours populiste au ton artificiellement ouvriériste tenu par Nicolas Sarkozy en 2007. C’est une belle gageure à deux temps qui nous confirme que vous êtes avec eux, tandis que nous, nous sommes contre eux et contre vous.

Cela dit, il est vrai qu’une guerre de mouvement suppose théoriquement une infanterie légère. C’est précisément sur ce point-là que cette comparaison trouverait un sens.

Malgré le ton et la philosophie martiales du texte, qui soulignent les menaces en tous genres pour justifier l’incohérence des mesures mises en place, police et gendarmerie n’échappent pas à l’arbitraire arithmétique de la révision générale des politiques publiques.

Les deux précédentes lois avaient lancé l’offensive : 3 500 postes de gendarmes supprimés d’ici à 2012, suppression de 4 829 équivalents temps plein dans la police au cours des trois ans à venir, sans oublier, bien évidemment, le gigantesque plan social de la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, qui supprime encore plus de 50 000 postes.

La réduction des budgets de fonctionnement, la baisse des effectifs de la police nationale au profit des polices municipales ou de sociétés de sécurité privées ne se conjuguent que pour aggraver l’insécurité.

La police, prérogative régalienne par excellence, ne se délègue pas. Il s’agit d’un choix de société, car seule une sécurité à la charge de l’État peut s’appliquer de façon identique en chaque endroit du territoire, sans disparité entre municipalités riches ou municipalités pauvres.

Or on compte aujourd’hui plus de 18 000 policiers municipaux. Leur effectif a donc connu une augmentation de 120 % en six ans, à la charge des collectivités, dont les dotations financières, je le rappelle, sont gelées pour les trois ans à venir.

Mme Éliane Assassi. Vous appelez cela du partenariat ; visiblement, nous ne donnons pas le même sens à ce mot…

Cette externalisation se poursuit sans relâche au profit des sociétés de sécurité privées, vaguement encadrées par un Conseil national des activités privées de sécurité, dont nous refusons pour notre part la création.

Il y a aujourd’hui 170 000 agents de sécurité pour 220 000 policiers et gendarmes. Cette substitution dramatique se justifierait par des économies budgétaires.

Lorsque l’on sait ce que coûteront l’installation de 60 000 caméras et les frais de personnel qui y sont liés – raison pour laquelle, d’ailleurs, vous proposez de mettre à contribution les opérateurs privés pour le visionnage des images –, autant dire que ces arguments financiers ne tiennent définitivement pas la route.

Il est vrai que les services de ces prestataires privés coûtent trois fois moins cher, à la différence notable qu’ils sont moins bien formés et que la seule éthique de ces entreprises est le profit et non l’intérêt général, celui-là même dont vous êtes censé être le garant.

Le présent texte demeure cet agrégat hétéroclite de dispositions techniques ou vaste « fourre-tout » législatif, et sa philosophie reste la même. Il est le reflet de valeurs délétères que vous entendez imposer à notre société et qui s’articulent autour de la répression, de l’exclusion, du contrôle fiché ou filmé et de l’enfermement.

Pour notre part, monsieur le ministre, nous considérons que la sécurité est une question transversale qui passe par l’existence et le développement de la qualité des services publics, que ce soient la police, la justice, l’éducation. Autrement dit, notre position est aux antipodes de la politique réactionnaire et répressive que vous vous acharnez à promouvoir malgré les nombreux échecs par lesquels elle se solde. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si le texte qui nous est soumis aujourd’hui a mis longtemps à être examiné successivement par nos deux assemblées, c’est d’abord parce qu’il s’agit d’un texte dense dont le volume n’a cessé de croître. On est bien loin des 46 articles du texte initialement présenté par le prédécesseur de M. le ministre de l’intérieur, puisque, en deuxième lecture, nos collègues députés étaient saisis de 110 articles.

Mais, au-delà de sa « taille », le fond du texte a également beaucoup évolué, notamment grâce aux travaux du Sénat.

On se souvient que la première lecture du projet de loi au Sénat avait été marquée par l’examen d’une série d’amendements déposés par le Gouvernement, amendements qui avaient très sérieusement modifié la tonalité du texte. Ils avaient suscité un vif débat, aussi bien en commission qu’en séance publique. Toujours est-il que, sur l’ensemble de ces sujets, nous étions parvenus, notamment grâce au travail de M. le rapporteur, à un équilibre qui avait permis au Sénat de voter ce texte.

Il faut le reconnaître, cet équilibre trouvé par le Sénat a été mis à mal à l’Assemblée nationale.

Qu’il s’agisse des peines planchers ou des périodes de sûreté, les députés ont écarté les garde-fous que nous avions prévus et les précisions que nous avions apportées. L’Assemblée nationale est même allée au-delà du dispositif initialement proposé au Sénat par le Gouvernement.

Aussi, je tiens à saluer les travaux de la commission des lois et de son rapporteur, Jean-Patrick Courtois, qui ont su faire preuve de persévérance et qui, sur tous ces sujets, ont voulu en revenir à la rédaction initialement adoptée par le Sénat.

Concernant l’application des peines planchers à des primo-délinquants, j’avais déjà fait part de mon scepticisme en première lecture, scepticisme partagé par de nombreux collègues dans divers groupes.

En effet, jusqu’à présent, la législation relative aux peines planchers prévoyait des dispositions spécifiques pour les primo-délinquants. En tant que rapporteur de la loi ayant prévu ce type de peine, je puis témoigner que nous avions eu toutes les difficultés à élaborer un texte recevable sur le plan constitutionnel et acceptable par la magistrature.

De fait, je ne suis toujours pas convaincu par la nécessité de ce dispositif, qui semble difficilement compatible avec l’un des principes importants notre droit pénal, à savoir la personnalisation des peines.

Par ailleurs, il est à craindre que les dispositions contenues dans le présent texte ne soient contraires à la Constitution. Comme le relève notre collègue Jean-Patrick Courtois dans son rapport, le Conseil constitutionnel avait validé le dispositif des peines planchers en 2007 en raison de l’état de récidive légale, qui « constitue en elle-même une circonstance objective de particulière gravité ».

J’approuve donc pleinement les aménagements réintroduits par la commission, qui permettront de limiter l’application des peines planchers aux cas de violences les plus graves ayant entraîné une incapacité temporaire de travail de quinze jours au moins.

Concernant l’allongement de la durée de la période de sûreté pour les auteurs d’un assassinat commis sur un dépositaire de l’autorité publique, le Sénat avait à juste titre voté un dispositif présenté par Jean-Jacques Hyest, Nicolas About et Gérard Longuet prévoyant que cette peine serait applicable uniquement si ces crimes avaient été commis avec circonstance aggravante de guet-apens ou de bande organisée.

Nous ne voulons pas nous laisser enfermer dans un raisonnement selon lequel il y aurait d’un côté des laxistes, qui refuseraient le texte proposé par le Gouvernement et, de l’autre côté, des personnes sérieuses, qui l’approuveraient. Nous voulons simplement conserver le principe de hiérarchisation des peines et assurer aux forces de sécurité et à la justice leur pleine efficacité.

Or les députés ont supprimé ces exigences tenant aux circonstances aggravantes et une telle modification remet en cause le principe de proportionnalité entre l’infraction commise et la peine encourue.

Je ne répéterai pas ce que j’avais déclaré lors de la première lecture de ce projet de loi, mais bien d’autres crimes tout aussi odieux les uns que les autres nécessiteraient aussi une aggravation des peines encourues.

M. François Zocchetto. Il faut savoir garder raison et conserver à l’esprit la nécessaire proportionnalité des peines.

Enfin, concernant la procédure de convocation par officier de police judiciaire, aujourd’hui applicable aux seuls majeurs, nous saluons le retour au texte voté en première lecture, qui présente des garanties bien supérieures, notamment eu égard au risque de contradiction avec le principe constitutionnel de spécialité de la procédure pénale applicable aux mineurs.

Je dirai maintenant un mot sur l’aménagement des délais nécessaires pour reconstituer le capital de points du permis de conduire, sujet introduit sur l’initiative de notre collègue Alain Fouché en première lecture.

Au sein de chaque groupe, les avis divergent sur cette question. Au nom de mon groupe, je me félicite des modifications apportées par les députés, qui permettent d’assouplir les règles de récupération de points pour les infractions les moins graves, tout en évitant que soit envoyé un mauvais signal.

À titre personnel – cette opinion n’engage que moi ; elle n’engage ni mon groupe ni son président –, je suis très circonspect à l’égard de ces modifications apportées au code de la route.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Moi aussi !

M. François Zocchetto. Je comprends que plusieurs de nos collègues veuillent faire plaisir à certains de nos concitoyens, mais faisons très attention, car les chiffres, qui ont été rappelés tout à l’heure par M. le ministre de l’intérieur, parlent d’eux-mêmes : en quelques années, le nombre des tués sur la route est passé de 18 000 à 8 200 en 2000, chiffre divisé par deux dix années plus tard.

Ce résultat n’a pas été obtenu par l’opération du Saint-Esprit ou par un coup de baguette magique. Pour ma part, je suis persuadé que la législation élaborée ces dernières années, aussi coercitive soit-elle, a fait œuvre de pédagogie, notamment auprès des jeunes conducteurs, et ce de façon considérable. Aussi, je le répète, soyons très prudents avant d’envisager toute modification des règles en la matière !

M. François Zocchetto. Une disposition introduite par les députés a fait couler beaucoup d’encre : je veux parler de la peine d’interdiction du territoire français. Certains ont même parlé de la création d’une double peine. Reprenons nos esprits et rappelons quelques éléments.

Notre droit positif actuel prévoit que, lorsqu’un criminel de nationalité étrangère est jugé par une cour d’assises, il peut encourir une peine complémentaire d’interdiction du territoire français. Cette peine est apparue dans notre droit dans les années soixante-dix. La disposition introduite par amendement à l’Assemblée nationale ne crée donc aucunement une peine nouvelle ; ceux qui voudraient le faire croire ont des intentions peu louables et font preuve de mauvais esprit. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Mirassou. C’est ridicule !

M. François Zocchetto. On peut approuver ou regretter l’existence de cette peine d’interdiction du territoire français,…

M. Jean-Jacques Mirassou. Nous la regrettons !

M. François Zocchetto. … mais le présent texte ne la crée pas !

Si vous la regrettez, pour ma part, je l’approuve totalement.

M. Louis Nègre. Moi aussi !

M. François Zocchetto. J’ai tenu à compléter l’article 37 undecies de manière à prévoir que, lorsqu’est encourue une peine d’interdiction du territoire français, le président de la cour d’assises informe les jurés de la possibilité de prononcer celle-ci, sans pour autant exiger de lui qu’il lise les articles correspondants du code pénal.

Il s’agit là d’une question d’efficacité et de cohérence par rapport à un certain nombre d’autres peines complémentaires pour lesquelles le président de la cour d’assises n’a pas à rappeler tous les articles correspondants du code pénal.

Enfin, concernant la mesure d’imprescriptibilité introduite par nos collègues députés, la commission a eu la grande sagesse de maintenir la « jurisprudence » du Sénat en la matière, selon laquelle cette notion ne doit pas être étendue de façon « débridée ».

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !

M. François Zocchetto. En dépit de tous les faits criminels odieux qui peuvent être commis, continuons à réserver l’imprescriptibilité aux seuls crimes contre l’humanité. Parallèlement, que les juges sachent prononcer des peines à la hauteur de la gravité des actes qu’ils ont à juger !

Pour conclure, je rappellerai que ce texte important était attendu : la délinquance évolue sans cesse et il est indispensable de continuer à adapter notre arsenal législatif, d’une part, aux nouvelles formes de criminalité et, d’autre part, aux nouveaux moyens technologiques dont doivent pouvoir disposer gendarmes et policiers. Les délinquants font preuve d’imagination et recourent à des moyens techniques qui n’existaient pas voilà quelques années.

Pour ces raisons, une large majorité des membres du groupe de l’Union centriste votera en faveur du texte tel qu’il est proposé par la commission. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des collectivités territoriales – je m’adresserai à vous, puisque vous êtes maintenant seul au banc du Gouvernement –, mes chers collègues, les mois passent, les sessions se succèdent et les textes sur la sécurité s’empilent.

Comme le rappelait Jacques Mézard voilà un instant, nous en sommes à seize textes sur la sécurité depuis 2002, soit un tous les six mois.

Cette situation nous amène à nous interroger : cette inflation de textes s’inscrit-elle dans une vision globale, donne-t-elle des résultats, dispose-t-elle des moyens de ses prétentions, est-elle seulement suivie d’effets ? Doit-on, par exemple, aggraver les peines qui viennent d’être votées ou en instituer de nouvelles alors que la moitié de celles qui existent ne sont jamais appliquées ? Est-il bien nécessaire de créer des délits spécifiques à internet, alors que le code pénal actuel suffit à poursuivre les contrevenants ? Peut-on faire passer la rigueur de la loi sur les sans-logis alors que le droit au logement, garanti par la Constitution, leur est refusé ?

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

M. Alain Anziani. Ces questions devraient constituer la matière de notre débat. Malheureusement, au lieu de nous proposer une stratégie, ou à tout le moins une vision, vous nous soumettez un texte qui a été qualifié de « fourre-tout », un projet de loi portant diverses dispositions d’ordre sécuritaire dans lequel nous passons de l’identification des personnes décédées à l’interdiction de stade, de l’évacuation des campements illicites à la vente des billets à la sauvette, de la vidéosurveillance à la responsabilité parentale... sans oublier le permis à points et les photographies d’identité.

Monsieur le ministre, et je vous demande de transmettre ce message à M. Hortefeux, j’aurais préféré que ce débat s’ouvre sur une orientation fondamentale : le respect de la séparation des pouvoirs. Or quand est-il ? Le doute est aujourd’hui permis puisque M. le ministre de l’intérieur s’est cru autorisé à déclarer que les peines prononcées par le tribunal de Bobigny à l’encontre de sept policiers étaient disproportionnées.

M. Jean-Claude Peyronnet. C’est scandaleux !

M. Alain Anziani. Vous devez dissiper ce doute, car, nous le savons tous, la séparation des pouvoirs est le principe fondamental qui permet de conjuguer sécurité et liberté.

Je tiens en cet instant à reprendre, après Jacques Mézard et Éliane Assassi, les propos très forts tenus par Jean-Louis Nadal, lors de l’audience solennelle de la Cour de cassation.

Je ne m’en priverai pas, même si j’ai quelque peu hésité tout à l’heure, car il faut que ces propos soient entendus au-delà de cet hémicycle. M. Nadal déclarait : « Afficher pour la justice une forme de mépris, inspirer à l’opinion des sentiments bas en instillant, de manière en réalité extravagante, la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision, inscrire au débit des cours et tribunaux l’altération du lien social compromis pour une multitude de raisons qui leur sont étrangères, tout cela avilit l’institution et, en définitive, blesse la République. »

M. Hortefeux veut-il blesser la République ? Je ne lui ferai pas l’injure de le croire. Mais il est temps qu’il affirme clairement son attachement au principe fondamental du respect de la séparation des pouvoirs.

J’en viens au contenu du présent projet de loi, dont l’objet est de traiter des moyens de la sécurité pour la période 2008-2013.

Du fait de reports successifs, trois ans se sont déjà passés et, en décembre dernier, le Gouvernement a dû, devant l’Assemblée nationale, corriger une nouvelle fois le tableau budgétaire figurant dans l’annexe. Vous inventez en quelque sorte la programmation rétroactive ! Mais peut-on parler de programmation dès lors que les dispositions financières sont renvoyées en annexe…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il en est toujours ainsi !

M. Alain Anziani. … et n’engagent pas l’État.

La LOPPSI 2 prétend renforcer les performances de notre politique de sécurité. Les fichiers de police et la vidéosurveillance sont des outils utiles, personne ne le conteste, mais, comme toujours, l’indispensable souci de sécurité doit s’accompagner d’une attention aux libertés individuelles. Or vous ne cessez de multiplier les fichiers ou d’élargir le champ d’application de la vidéosurveillance, sans mettre en place des contre-feux, c’est-à-dire des contrôles.

À l’article 17, par exemple, la possibilité donnée aux personnes morales de droit privé de filmer la voie publique ne s’accompagne d’aucun pare-feu. Je ne peux d’ailleurs que saluer les travaux de la commission qui visent à rétablir un contrôle plus étroit de la CNIL sur les dispositifs vidéo.

Vous prétendez étendre la répression aux nouvelles technologies de communication. En réalité, vous vous trompez de cible. Les infractions qui sont commises sur internet, par exemple le phishing ou l’usurpation d’identité, sont déjà réprimées par la loi. Il n’est donc pas utile de créer de nouvelles infractions. Trop souvent, comme ce fut le cas avec la loi HADOPI, vous confondez la police du Web et l’édification de lignes Maginot qui, sitôt inaugurées, sont immédiatement contournées.

Ce projet de loi d’orientation, sans orientation ni programmation, suscite plusieurs motifs d’inquiétude. J’en évoquerai trois.

Premièrement, le fait divers doit-il dicter sa loi ? Nous connaissons bien votre méthode, puisqu’elle se répète depuis 2002 : un fait divers, une émotion, une loi ! L’important est de montrer à l’opinion – en général à celle qui est à la droite de vos propres positions – que le Gouvernement réagit. C’est un choix profondément politique. Il n’a pas grand-chose à voir avec les nécessités de la sécurité et s’apparente plutôt, malheureusement, au populisme.

La commission des lois, dans sa sagesse, mais peut-être aussi dans un souci de constitutionnalité, souhaite le retour au texte initial du Sénat.

Je m’inquiète aussi de la dérive des dispositions pénales applicables aux mineurs. Le couvre-feu pour les mineurs de 13 ans sera inefficace et inapplicable.

M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !

M. Alain Anziani. La généralisation des contrats de responsabilité parentale ne répondra en rien aux difficultés des familles. La comparution immédiate des mineurs récidivistes privilégie une logique d’abattage pour des enfants qu’il faudrait au contraire traiter de façon plus individualisée. Toutes ces mesures augurent bien mal de la future réforme de l’ordonnance de 1945.

À en croire M. le ministre et M. le rapporteur, les effets de la politique qui est menée en matière de sécurité et de délinquance seraient considérables. Un point m’échappe, monsieur Courtois. En première lecture, vous aviez relevé – et cela figurait à la page 15 de votre rapport, rapport que j’avais lu avec beaucoup d’attention – que les coups et blessures volontaires s’étaient accrus de 40 % depuis 2002. Cette observation a depuis été supprimée. Mais comment peut-on, dans le même temps, se féliciter des résultats remarquables de la politique conduite en matière de sécurité et écrire, dans un texte qui engage la commission des lois du Sénat, que les coups et blessures volontaires se sont accrus de 40 % depuis 2002 ?

M. Jean-Jacques Mirassou. C’est un paradoxe !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est de la poudre aux yeux !

M. Alain Anziani. Je vous invite à faire preuve d’une plus grande cohérence !

Deuxièmement, qui doit être le garant de la sécurité publique ? Le code de procédure pénale donne la réponse : l’officier de police judiciaire, l’OPJ, personne qualifiée et assermentée.

Pourtant que constatons-nous ? Ou plus exactement, que constate le Conseil Constitutionnel ? Dans sa décision du 30 juillet dernier sur la garde à vue, le Conseil souligne les difficultés rencontrées par les officiers de police judiciaire et dénonce la « réduction des exigences conditionnant la qualité d’officier de police judiciaire ». Il déplore également l’explosion du nombre de personnels dotés de la qualité d’OPJ, qui a plus que doublé, passant de 25 000 à 53 000, entre 1993 et 2009.

Monsieur le ministre, on aurait pu s’attendre à ce que vous tiriez les conséquences de cette situation dans le présent projet de loi de programmation. Eh bien non ! Et vous allez même à l’encontre des préconisations du Conseil constitutionnel. Vous allez dégrader davantage encore la situation en banalisant la qualité d’agent de police judiciaire, en la conférant à des policiers non titulaires ou en attribuant le titre d’adjoint de police judiciaire aux directeurs de polices municipales. Vous avez même envisagé d’accorder ce titre à des agents de la RATP ou de la SNCF. J’espère que, sur ce point, le texte de la commission prévaudra.

Troisièmement, veut-on vraiment un nouveau désengagement de l’État en matière de sécurité ?

La révision générale des politiques publiques, la RGPP, a conduit à la suppression de 9 000 postes de policiers et de gendarmes depuis 2002. La gauche, je le rappelle, avait pour sa part créé 5 000 postes entre 1997 et 2002.

M. Alain Anziani. Cette réduction massive des effectifs, qui va se poursuivre notamment au détriment de la gendarmerie, contribuera à créer, en milieu rural, de véritables zones de désert sécuritaire.

Face à cette situation, nous devons nous interroger : voulons-nous, mes chers collègues, la privatisation de la sécurité dans notre pays ? C’est en tout cas le tournant qui est pris.

Aujourd’hui, notre pays compte 220 000 policiers et gendarmes et 170 000 salariés du secteur privé travaillent dans le domaine de la sécurité. Tout à l’heure, M. Hortefeux a déclaré que, chaque année, seraient recrutées 12 000 personnes supplémentaires appartenant au secteur privé. Il en résulte que, dans cinq ans, les salariés privés seront plus nombreux que les policiers et les gendarmes à assurer des missions de sécurité, laquelle est pourtant une compétence régalienne. Est-ce vraiment ce que nous voulons ? Allons-nous traiter cette question d’un revers de la main ?

Mes chers collègues, nous sommes en fait en présence d’un texte de répression des populations les plus fragiles,…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Alain Anziani. … les mineurs, les sans-logis, les étrangers. Il s’agit d’un énième texte de circonstances, alors que nous aurions pu discuter des grands enjeux de l’internet, des violences urbaines, de la désertification rurale, de la pauvreté croissante dans notre pays, de la rupture du lien social…

Je conclurai en citant un autre propos très éloquent de M. le procureur général près la Cour de cassation, car il marque en quelque sorte la ligne rouge : « La délinquance appelle la répression, c’est entendu et le mot ne doit pas faire peur, mais où sont les repères quand celui qui rappelle que l’accusé a des droits encourt le reproche d’avoir choisi le camp des assassins contre les victimes ? Où sont-ils ces repères quand est niée la présomption d’innocence, principe pourtant fondateur de tout dispositif pénal, au même titre que la légalité des délits et des peines ou la non-rétroactivité de la loi pénale ?

« Et le scandale n’est-il pas encore plus grand quand ces protestations politico-corporatistes sont relayées au plus haut niveau, au mépris du fondamental principe de séparation des pouvoirs ? » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Troendle.

Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous reprenons ce jour, en deuxième lecture, revêt une grande importance : il s’agit de définir les grands axes de la politique de sécurité pour les années à venir.

Ainsi que je l’avais évoqué lors de la discussion générale en première lecture, nous sommes aujourd’hui confrontés à une évolution inéluctable de la délinquance, qui recouvre de multiples formes, dans un monde à l’économie globalisée. Elle nécessite donc une remise en cause permanente des cadres d’action traditionnels des forces de l’ordre.

Sans doute est-il difficile d’appliquer la loi dans ces territoires, où le trafic de drogue génère toute une économie parallèle et entraîne règlements de comptes, parfois utilisation d’armes de guerre, et violences de tous genres.

Il est également difficile de l’appliquer, lorsque les policiers, les gendarmes, mais aussi les pompiers, sont agressés, pris pour cibles et attirés dans de véritables pièges, où leur vie est mise en danger.

Là est le problème. Légiférer est une chose, faire respecter la loi en est une autre, notamment dans les zones où les forces de l’ordre sont surexposées et sous tension permanente.

Après une hausse historique de la délinquance entre 1997 et 2002, la politique de sécurité, menée par le président Nicolas Sarkozy, l’a réduite de près de 15 %, et ce pour la huitième année consécutive.

Votre action, monsieur le ministre, vise à pérenniser cette évolution favorable, avec une nouvelle baisse enregistrée de la délinquance, faisant désormais de la France l’un des pays les plus sûrs au monde.

Ce rétablissement spectaculaire ne doit évidemment rien au hasard ; il résulte de la détermination d’un Gouvernement qui engage une loi de programmation dont la spécificité est de privilégier le redéploiement des moyens existants et le renforcement de la police scientifique et technique.

Je le rappelle avec force, nous, sénateurs de la majorité, soutenons ce vœu de modernisation, véritable ligne conductrice du projet de loi.

Depuis plus de cinq ans, nous avons adopté des textes pour donner aux forces de l’ordre les moyens d’accomplir leur mission et surtout de lutter contre toutes les formes d’insécurité.

Un arsenal pénal a été mis en place pour mettre fin au sentiment d’impunité et mieux encadrer les délinquants les plus dangereux.

Parallèlement, nous avons engagé une politique volontariste de prévention, dans un cadre partenarial. La prévention est le pendant indispensable à toute politique sécuritaire et requiert la coopération de tous les partenaires.

Aujourd’hui, il nous faut développer les instruments juridiques adéquats pour contrer les nouvelles formes de criminalité et rendre plus réactive la lutte contre la délinquance. En cela même, la LOPPSI répond aux attentes de nos concitoyens de par son efficacité incontestable, alors même que l’opposition, qui demeure enfermée dans des contradictions idéologiques, en vient à combattre notre détermination à enrayer la criminalité moderne.

Monsieur le ministre, vous nous proposez un cadre d’action de nature à donner les outils indispensables à nos forces de l’ordre, afin de maintenir la première de nos obligations d’élus locaux, à savoir la sécurité de nos concitoyens. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

Comme l’a détaillé notre excellent rapporteur, Jean-Patrick Courtois, dont je saluerai une nouvelle fois le travail de grande qualité, ce projet de loi consacre une rupture vers l’utilisation plus fréquente des nouvelles technologies, en même temps qu’il favorise une approche ciblée de la délinquance.

Nous avons eu à cœur, au sein de la commission des lois, d’adopter une attitude pragmatique, dans l’objectif unique de garantir l’efficacité des forces de police et de gendarmerie, dans le respect des libertés individuelles et des principes de notre droit.

Cette rupture technologique, axe majeur de ce texte, se traduit par le renforcement des moyens de la police technique et scientifique permettant de substituer la culture de la preuve à la culture de l’aveu et d’améliorer encore les taux d’élucidation – qui ont déjà beaucoup augmenté –, notamment pour la délinquance sous toutes ses formes. C’est là un enjeu absolument majeur.

Les nouvelles technologies offrent des possibilités inédites à la police et la gendarmerie, de la captation de données à la surveillance.

La vidéoprotection illustre ce que les nouvelles technologies peuvent apporter à la sécurité.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, les conclusions du dernier rapport de l’IGA, l’Inspection générale de l’administration, d’octobre 2010 sont sans appel : celui-ci démontre la « corrélation très significative » entre la densité des caméras et l’évolution de la délinquance ; ainsi, dans les villes disposant d’au moins une caméra pour 4 000 habitants, les vols avec violence baissent de 6,7 %, alors qu’ils explosent de 12,1 % dans les villes possédant moins d’une caméra pour 10 000 habitants.

La vidéoprotection permet largement d’optimiser les capacités des effectifs en intervention là où les caméras sont en nombre suffisant sur le secteur à sécuriser.

Développer les possibilités d’utilisation de la vidéoprotection, dans le strict respect de la vie privée et des libertés individuelles, est l’un des objectifs essentiels de ce texte absolument indispensable pour accroître les performances de la police de voie publique.

C’est pourquoi nous sommes très satisfaits de l’accord trouvé entre les deux assemblées pour améliorer les conditions du contrôle de la vidéoprotection, en renforçant le dispositif actuel par l’apport des compétences de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Un second élément a été introduit, qui nous semble très important pour les élus que nous sommes : le maire sera informé des procédures entreprises par la Commission départementale de la vidéosurveillance et par la CNIL à l’encontre des utilisateurs de systèmes de vidéoprotection qui ne respecteront pas le cadre fixé par la loi.

Ces mesures permettront, vous l’aurez compris, mes chers collègues, de garantir de manière parfaitement équilibrée les droits des uns et les devoirs des autres.

L’approche technologique se combine avec une approche ciblée de la délinquance, que traduit pleinement ce texte. Parce que la délinquance évolue en permanence, le Gouvernement doit mener une stratégie adaptée : à chaque problème, une réponse ciblée.

En dépit des bons résultats obtenus, vous avez la volonté, monsieur le ministre, d’aller encore plus loin contre les cambriolages, le « hooliganisme », l’insécurité dans les transports publics, les trafics de drogue, les bandes violentes, les violences scolaires et l’insécurité des personnes âgées, autant d’objectifs qui trouvent leur traduction dans vos sept plans d’action opérationnels.

Je souhaiterais m’arrêter un instant sur le volet « prévention de la délinquance » à proprement parler. C’est tout le sens des dispositions appelées « d’application du discours de Grenoble », sur lesquelles la commission des lois a entendu revenir par rapport au texte adopté par nos collègues députés.

Qu’en est-il concrètement ?

Concernant les peines planchers, la commission nous propose qu’elles soient limitées aux primo-délinquants auteurs de violences volontaires graves, passibles d’au moins dix ans de prison.

S’agissant, par ailleurs, des peines de sûreté de trente ans, il nous paraît important qu’elles soient applicables pour les meurtres commis avec guet-apens ou en bande organisée.

Quant à la comparution immédiate des mineurs par un officier de police judiciaire, sans passer par le juge des enfants, nous nous réjouissons que la commission l’ait restreinte aux mineurs condamnés dans les six mois précédents pour la même infraction.

En outre, la commission des lois a confirmé son analyse juridique au regard du « couvre-feu » susceptible d’être prononcé à l’encontre de certains mineurs de treize ans, considérant que, s’agissant d’une sanction, elle devait être prononcée par un juge et non par une autorité administrative.

Enfin, je m’arrêterai sur un point qui me semble important pour les élus locaux : la police municipale et son développement.

En effet, la police municipale, la police nationale et la gendarmerie sont souvent en première ligne face à cette délinquance dénuée de tout scrupule à leur égard. En l’espace d’une vingtaine d’années, le nombre de polices municipales a doublé. Pour autant, la police municipale souffre souvent d’un déficit d’image, étant considérée, à tort, comme une « sous-police ».

Élargir les compétences des policiers municipaux aura un double avantage : les crédibiliser aux yeux de la population et des jeunes délinquants, et instaurer une vraie complémentarité avec la police nationale. La police municipale doit être « la » police de proximité qui œuvre à la prévention et au recueil d’informations locales, laissant à la police nationale sa légitime mission d’investigation et d’élucidation.

Notre devoir à tous est donc de renforcer la lutte contre la criminalité, en rendant nos méthodes plus efficientes.

La sécurité ne saurait passer son tour, sous prétexte que nous aurions déjà adopté d’autres lois, toutes utiles et nécessaires.

C’est pourquoi, mes chers collègues, le groupe UMP votera, avec détermination et enthousiasme, ce texte trop longtemps attendu ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.

Mme Virginie Klès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le droit du citoyen devant l’insécurité relevait selon moi, dans notre République, des mêmes principes que le droit du citoyen devant la santé, l’éducation, et, en premier lieu, du principe d’égalité. Vous connaissez la devise « liberté, égalité, fraternité ».

Or j’ai lu dans ce nouveau texte que ce ne serait finalement plus le cas, parce que, en matière de sécurité, l’égalité était trop difficile et trop complexe à définir. Il sera donc question d’« équivalence ».

Je proposerai donc, d’entrée de jeu, que l’on gratte tous les frontons des mairies, et que l’on y écrive : « Liberté, équivalence, fraternité ». C’est certainement beaucoup plus parlant…

Tout cela pour vous dire, mes chers collègues, que ce texte est un véritable fourre-tout. Il s’apparente à un inventaire à la Prévert, fait de durcissement pénal et de rétrécissement des pouvoirs conférés aux juges pour appliquer les sanctions qu’ils estiment adaptées lorsque les limites sont dépassées, ce qui traduit une perte de confiance croissante envers l’institution judiciaire.

Ce texte va aussi sonner le glas d’un certain nombre de libertés publiques, sans pour autant améliorer cette fameuse « équivalence de sécurité », dont j’ai bien du mal à imaginer ce qu’elle peut vouloir dire.

Je ne m’étendrai pas sur les peines planchers, ni sur le sort réservé aux mineurs. Je me demande d’ailleurs quel sort sera réservé à l’ordonnance de 1945, mais j’imagine que ce point a déjà été abordé précédemment.

Ce qui m’ennuie aussi dans ce texte, c’est que l’on confond dissuasion, empêchement, avec réelle prévention de la délinquance sur le long terme, laquelle passerait notamment par l’éducation. Fâcheuse confusion !

On confond en plus l’insécurité et le sentiment d’insécurité, quels que soient par ailleurs les chiffres réels de la délinquance. Je prendrai ainsi l’exemple d’une petite ville, pas très loin de chez moi : le maire de cette commune a constaté, statistiques à l’appui, que la délinquance avait baissé – vous voyez, monsieur le ministre, que je ne cherche pas à polémiquer sur les chiffres ! Pour autant, ses administrés sont persuadés du contraire, et lui confient qu’ils se sentent en insécurité.

Pourquoi ? Parce que tout, aujourd’hui, tend à devenir un délit : il n’y a plus de bêtises d’enfants, plus de mesures éducatives qui vaillent ! Il n’y a plus que des délits et des mineurs qu’il faut se dépêcher de mettre en prison, car ils sont de dangereux futurs criminels ! Tout cela génère un sentiment d’insécurité, et n’a rien à voir avec la sécurité réelle, pas plus d’ailleurs qu’avec la prévention ou la répression de la délinquance.

J’ai lu assez récemment un excellent livre, Lebrac, trois mois de prison, dont je vous conseille la lecture, mes chers collègues. On s’aperçoit que, si la guerre des boutons avait lieu aujourd’hui, un certain nombre de ses protagonistes seraient envoyés en prison, en lieu et place d’une bonne fessée administrée par leurs parents… C’est regrettable !

M. Louis Nègre. On ne donne plus de fessée depuis longtemps !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. La fessée sur les mineurs est aussi un délit, madame Klès !

Mme Virginie Klès. J’ai aussi du mal à imaginer que le fait d’insulter ou de ne pas insulter le chef de l’État relève de la sécurité intérieure. Je sais bien que l’article du projet de loi qui traite de ce délit n’est pas examiné aujourd’hui parce qu’il est entériné, mais je me demande s’il a vraiment sa place dans un tel projet de loi de programmation. Il me semblait en outre qu’il était déjà interdit d’insulter le chef de l’État, en sa qualité de dépositaire de l’autorité publique. Quoi qu’il en soit, je ne savais pas que la sécurité en France était tributaire de la création de ce délit si spécifique… Mais on en apprend chaque jour un peu plus !

Cette politique exclusivement tournée vers le durcissement de l’action répressive a pourtant fait la preuve de son inefficacité depuis longtemps. S’il suffisait d’alourdir les peines pour réduire à zéro la délinquance, cela se saurait, et la délinquance aurait disparu depuis longtemps.

Pour revenir sur des aspects plus programmatiques du texte, je constate aussi qu’il ne contient pas grand-chose sur les donneurs d’ordres. La délinquance visée est uniquement la délinquance visible, celle de nos banlieues, de nos rues, de nos villes. En revanche, je n’ai pas constaté que l’on durcissait le ton à l’endroit de l’économie souterraine et des donneurs d’ordre. Je n’ai pas vu beaucoup d’articles tendant à alourdir les peines qu’ils encourent, tout comme je n’ai pas vu beaucoup de dispositions visant les systèmes de blanchiment d’argent, les circuits financiers et toute cette économie souterraine qui, finalement, sous-tend et fait vivre la délinquance quotidienne de nos communes, de nos villes et de nos banlieues, contre laquelle nous souhaitons tous lutter.

À l’instar de certains députés de la majorité, on peut faire complètement abstraction de la cause de cette délinquance. Mais telle n’est pas ma façon de fonctionner. En tant que vétérinaire, quand je m’attaque à un mal, même complexe, j’essaye d’abord d’en isoler la ou les causes, et ensuite de les combattre.

Tant que l’on ne s’attaquera pas sérieusement à ce problème de l’économie souterraine et du financement de la délinquance, on ne luttera pas réellement contre la délinquance, et l’on ne traitera que certains de ses symptômes. Pour prendre l’exemple du trafic de stupéfiants, je vous invite, mes chers collègues, comme je l’ai fait, à aller voir ce qui se passe en Guyane.

Je relèverai, à propos de ce texte, un autre exemple de manque de cohérence et de suivi. Alors que le Premier ministre lui-même avait déclaré les violences faites aux femmes, notamment les violences conjugales, grande cause nationale 2010, qu’a-t-on fait en pratique ? Certes, on a voté une loi en juillet à l’élaboration de laquelle j’ai participé. Mais quels moyens supplémentaires a-t-on donnés aux gendarmes ou aux policiers pour accueillir et orienter correctement les victimes, exception faite des locaux spécifiques prévus pour les victimologues ? Des locaux qui, au demeurant, risquent fort d’être inutilisés, les pouvoirs publics n’ayant pas les moyens d’engager ces professionnels, qui constituent pourtant une brique essentielle dans le processus de construction d’une politique de prévention et de lutte contre cette forme de délinquance que sont les violences conjugales et les violences intrafamiliales.

Quels sont, finalement, les objectifs de ce projet de loi de programmation ? On nous dit que chaque territoire est unique. Certes ! Je constate néanmoins que l’État n’abondera que les dispositifs correspondant à un cadre normé : il faudra répondre aux objectifs du Gouvernement, notamment en matière de vidéosurveillance, pour pouvoir obtenir des fonds et mettre en place des programmes et des actions. Si chaque territoire est unique, pourquoi ne laisse-t-on pas les territoires élaborer eux-mêmes leurs politiques de prévention et de répression de la délinquance ? Pourquoi faut-il absolument se calquer sur un modèle unique, celui du Gouvernement ?

On nous dit que l’on va mieux répartir les forces et renforcer le maillage territorial. Pourtant, il n’est question que de répartition des moyens sur des bassins de délinquance. Où est la prévention dans tout cela ? Chaque fois qu’un phénomène de grande ampleur survient, qu’il s’agisse d’une catastrophe naturelle, d’un événement de grande délinquance ou d’une manifestation du type de celle qui a eu lieu contre la réforme des retraites, vous annoncez, monsieur le ministre, que vous allez résoudre le problème en mettant des moyens à disposition de la zone concernée.

Malheureusement, comme les moyens sont aujourd’hui insuffisants, on prélève des effectifs à d’autres endroits, favorisant ainsi le déplacement des bassins de délinquance. Je n’appelle pas cela mener une véritable politique de lutte contre la délinquance, ni faire de la prévention.

Meilleure répartition des forces et des rôles ? Certes ! Les missions des policiers municipaux, qui étaient jusqu’à présent limitées, vont être étendues. Mais de quelle formation supplémentaire ces policiers bénéficieront-ils ? Ce projet de loi de programmation n’aurait-il pas été l’occasion d’imaginer la création d’une école nationale des polices municipales ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il y a déjà le CNFPT !

Mme Virginie Klès. C’était peut-être aussi l’occasion de mutualiser des moyens – je pense notamment aux locaux – autour de la formation des polices municipales, et donc de réaliser des économies.

Je reviendrai plus tard dans le débat sur tout ce qui concerne internet, en particulier le filtrage des sites. Nous avons tous l’intention de lutter contre la cybercriminalité, notamment la pédopornographie, mais je pense vraiment que l’on fait fausse route avec ce texte.

Là encore, qu’en est-il du volet financier de ce combat ? Où sont les mesures concernant les banques ? Où sont les moyens destinés à lutter contre les systèmes de blanchiment d’argent en matière de cybercriminalité et de pédopornographie ?

Bref, il s’agit d’un texte extrêmement confus, qui n’a pas grand-chose à voir, à mon sens, avec une loi de programmation. C’est comme si l’on se contentait de proposer de l’aspirine pour soigner un mal de tête qui provient peut-être d’une méningite… Il faut aussi, de temps en temps, penser aux antibiotiques ! Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je ne voterai pas pour ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jacques Mézard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Louis Nègre.

M. Louis Nègre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’étais déjà intervenu en première lecture pour soutenir ce projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dit LOPPSI 2. Je persiste et je signe ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avez-vous bien réfléchi ? (Sourires.)

M. Louis Nègre. Je confirme, sur le fond, la nécessité de ce projet de loi et la pertinence des propositions législatives qu’il contient, qui répondent globalement aux besoins constatés.

Je confirme aussi la pertinence du message politique, au sens noble du terme, que l’on adresse à travers ce texte, c’est-à-dire l’écoute et l’attention que le Gouvernement comme le Parlement portent à la sécurité de nos concitoyens, laquelle est l’un des principaux droits de l’homme.

Je voterai donc l’essentiel de ce texte, d’autant que le travail conjoint effectué par le Sénat et l’Assemblée nationale a permis de rapprocher les points de vue des deux chambres sur nombre de sujets.

C’est ainsi que, à titre d’exemple, l’article 1er du texte, qui concerne les objectifs et les moyens de la sécurité intérieure – en quelque sorte l’élément princeps de la loi – a été adopté sans modification, de même que l’article 9 bis, qui tend à créer, à l’initiative du rapporteur, Jean-Patrick Courtois, que je félicite au passage pour l’excellence de son travail, un Fonds de soutien à la police scientifique et technique. Cette disposition novatrice me semble fort intelligente.

Plus délicat est l’article 28 bis, qui concerne le délai de récupération des points de permis de conduire. Je pense qu’il faut maintenir fermement l’orientation politique impulsée par le Président de la République et le Gouvernement contre l’insécurité routière, qui a donné d’excellents résultats. Elle a permis de sauver des milliers de vies humaines. La logique de la LOPPSI, qui conduit à alourdir les sanctions pour les délits les plus importants – grands excès de vitesse, conduite sous l’emprise de l’alcool ou des stupéfiants – avec confiscation, qui plus est, du véhicule en cas de récidive ou de conduite sans permis, nous permet, et uniquement dans ces conditions, d’accepter la position équilibrée du rapporteur, qui n’assouplit la procédure que pour les infractions minimes entraînant la perte d’un seul point. J’ajouterai, monsieur le ministre, que cet assouplissement devrait intervenir sous réserve d’une évaluation annuelle positive du nouveau texte.

Je suis également favorable à l’article 24 duodecies A, qui, pour sécuriser les transports, condamne la pénétration dans les espaces affectés à la conduite des trains.

Je souscris aussi pleinement à l’amendement présenté par M. le rapporteur à l’article 17, qui permet aux maires d’être informés lorsqu’une procédure est lancée à l’encontre du titulaire d’une autorisation de vidéosurveillance. Il me semble que, en l’occurrence, le Sénat remplit pleinement sa mission.

Monsieur le ministre, ces nombreuses convergences de vues ne peuvent cependant masquer mes interrogations sur quelques points particuliers. Certes, l’article 32 ter, qui accorde la qualité d’agents de police judiciaire aux directeurs de police municipale, et l’article 32 quinquies, qui autorise la participation des policiers municipaux au dépistage d’alcoolémie sous l’autorité d’un OPJ, constituent des avancées pour la police municipale. Je reste toutefois sur ma faim quant à ce dossier.

J’avais évoqué en première lecture plusieurs points, comme la médaille d’honneur, l’École nationale supérieure de la police municipale ou l’extension des compétences des policiers municipaux en fonction des réalités du terrain. Aucun de ces points n’avait à l’époque obtenu satisfaction, mais vous vous étiez engagé, monsieur le ministre, à lancer une réflexion sur l’avenir de cette troisième force de sécurité. Je me demande donc aujourd’hui où en est cette réflexion de fond.

Par ailleurs, j’ai quelques difficultés à suivre la position de notre commission des lois sur certains articles. Je prendrai à titre d’exemple l’article 24 bis, qui prévoit la possibilité pour le préfet d’instaurer un couvre-feu pour les mineurs de treize ans.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il ne s’agit pas d’un couvre-feu général ! La mesure concerne une personne en particulier !

M. Louis Nègre. Pour avoir moi-même installé un couvre-feu des mineurs depuis plus de dix ans, j’ai pu constater sur le terrain, en tant que maire, tous ses effets positifs. Je considère donc que cette mesure, prise par le préfet, et applicable aux mineurs ayant fait l’objet d’une sanction éducative et dont les parents ont conclu avec le président du conseil général un contrat de responsabilité parentale, va dans le bon sens. Elle permettra de mieux lutter contre cette dérive continue d’une délinquance juvénile qui constitue, aujourd’hui, une agression permanente, incompréhensible et exaspérante pour nos concitoyens.

S’agissant de l’article 37 undecies portant sur la peine complémentaire d’interdiction de territoire en matière criminelle pour un crime commis par un étranger, je ne suis nullement choqué qu’il appartienne à la cour d’assises, composée de jurés représentant le peuple français, de délibérer spécifiquement – il ne s’agit donc pas d’une automaticité – sur l’opportunité de prononcer cette peine complémentaire.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas autre chose !

M. Louis Nègre. Je pose la question : qui a peur de l’avis des citoyens ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous avons accepté cet amendement ! Lisez nos travaux, mon cher collègue !

M. Louis Nègre. Ces quelques exemples m’amènent en conclusion à souligner la nécessité d’accompagner cette loi par un texte complémentaire pour faire passer un message fort auprès des Français qui manifestent une très forte attente dans ce domaine.

La délinquance juvénile est devenue, en effet, le sujet de préoccupation majeure de nos concitoyens.

M. Brice Hortefeux, ministre. Exactement !

Mme Éliane Assassi. Que fait le Gouvernement ?

M. Louis Nègre. Il y a quelques jours, mes chers collègues, dans le département des Alpes-Maritimes, deux mineurs de quinze ans ont été interpellés pour sept braquages.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Échec total de cette politique !

M. Louis Nègre. Une semaine auparavant, cinq adolescents de quatorze à seize ans, à qui on impute au bas mot vingt-huit agressions, notamment sur des personnes vulnérables, ont été interpellés.

Monsieur le ministre, il faut d’urgence trouver des solutions plus efficaces que celles qui existent à ce jour et qui, à l’évidence, sont inopérantes par rapport au développement de cette délinquance juvénile.

L’actualité confirme, plus que jamais, la nécessité de ne pas être naïf et d’agir en refondant en priorité l’ordonnance de 1945 et en accordant aux victimes trop souvent oubliées – mes chers collègues, je n’ai pas entendu un seul mot en leur faveur – le soutien qui leur est dû, surtout quand on voit parallèlement les aides légales dont bénéficient les auteurs d’actes de délinquance. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dit LOPSSI 2, qui nous est présenté aujourd’hui en deuxième lecture, s’inscrit dans un contexte d’inégalités et de régressions sociales majeures.

Les Français, qui manifestent contre ce projet sécuritaire et inégalitaire, ne s’y sont pas trompés !

M. Brice Hortefeux, ministre. Ils ne sont pas nombreux !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Malheureusement, les médias ne les ont pas vraiment informés de ce qui les attendait avec ce projet de loi…

M. Brice Hortefeux, ministre. C’est dommage !

Mme Alima Boumediene-Thiery. … sinon je suis certaine qu’ils auraient été le double, peut-être même le triple…

Nous étions d’ailleurs nombreux, parmi les élus locaux ou nationaux à nous joindre à eux, afin de manifester notre opposition au recul des libertés individuelles que représente ce texte de répression des populations fragilisées et de surveillance généralisée.

M. le ministre a déjà eu l’occasion de nous dire, en première lecture, tout le bien qu’il pensait des élus qui défendaient à la fois dans la rue et dans l’hémicycle les libertés individuelles, nous rappelant à l’ordre et nous indiquant que nous avions mieux à faire que de nous joindre aux associations, aux militants et aux citoyens, anéantis et révoltés par ce nouveau modèle de société policière !

Quitte à tout contrôler, autant brimer également la vox populi et celle de ses représentants, en leur faisant la morale et en remettant en cause leur droit à manifester leur opinion !

Après tout, l’attitude de M. le ministre s’inscrit dans la droite ligne – très à droite même – du texte qui nous est aujourd’hui soumis : interdire et réprimer !

Le Gouvernement met en avant et stigmatise la montée de la délinquance pour créer des peurs et ainsi justifier des mesures liberticides disproportionnées, au lieu d’admettre son incapacité à lutter de façon effective contre ce phénomène.

Le Président de la République et ses divers gouvernements n’ont eu de cesse de surfer sur la vague de la peur pour justifier des atteintes graves à nos libertés, au lieu de remettre en cause leur gestion de la situation et la politique répressive inefficace !

Je persiste à dire que ce texte développe une doctrine : privilégier les réponses pénales spectaculaires et criminaliser, au détriment des solutions réfléchies et mesurées en faveur de la prévention.

En effet, nous assistons à un durcissement inapproprié du droit pénal et des pouvoirs policiers, bafouant ainsi les principes de l’État de droit, et se dispensant du respect des libertés fondamentales. La LOPPSI 2, « fourre-tout » législatif et projet de loi exclusivement répressif, porte gravement atteinte à nos libertés et à nos garanties judiciaires, et aggrave l’injustice sociale.

Il est insupportable d’y constater que nos citoyens les plus affaiblis et les plus précarisés – les mal-logés, les étrangers, les mineurs en difficulté – sont encore plus stigmatisés et servent de « bouc-émissaires » ou, devrais-je dire, « bouc et misère » !

M. Jacques Mézard. Excellent !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Eh oui, avec ce texte, on s’en prend à la misère, à la pauvreté, aux précaires que l’on montre du doigt et que l’on rend responsables de tous les maux de notre société ! Au lieu de combattre à la source ces inégalités sociales, ce projet de loi criminalise le pauvre, sanctionne, pénalise, fait le culte de l’État policier…

Avec son lot d’expulsions de logements et de fichages, avec la généralisation de la vidéosurveillance et de l’espionnage de l’espace public, avec l’aggravation des peines et des peines planchers et la création de milices supplétives, la LOPPSI 2 nous semble appartenir à un autre temps ou à d’autres espaces.

À l’heure où des États voisins accèdent à la démocratie – je salue à cette occasion le courage d’un peuple ami, qui est parvenu à faire fuir un dictateur – la France, elle, se replie sur une législation sécuritaire et veut devenir un État policier et répressif !

Si c’est ce « savoir-faire français en matière sécuritaire » que votre collègue Mme Alliot-Marie se proposait d’exporter, je me permets de vous dire que, déjà, nous n’en voulons pas en France !

Il y a quand même de quoi être inquiet et affligé par une telle régression du droit français que la LOPPSI 2 tente de nous imposer. L’on peut légitimement se demander quand cette dérive vers le « répressif » à tout prix va s’arrêter.

Vous qui jouez, monsieur le ministre, sur le terrain de la peur, je vous le confirme : la France a peur, peur de cette dérive sécuritaire, peur de cette atteinte à nos libertés individuelles et de ce recul de nos droits fondamentaux que vous souhaitez nous imposer ! Mais elle a aussi peur de cette insécurité sociale qui s’impose de plus en plus !

En vous en prenant aux plus faibles et en rendant responsables les précaires de l’échec de votre politique inefficace, vous ne faites qu’accentuer le fossé entre nos citoyens et le Gouvernement, déconnecté de la réalité !

Entendez, monsieur le ministre, les revendications de ceux qui vivent au quotidien l’insécurité sociale, résultante directe de votre mauvaise gestion de l’État ! Ne dénigrez pas le mécontentement de la rue, qui samedi encore manifestait contre votre projet de loi, indigne d’une démocratie, contre un projet qui fragilise le pouvoir judiciaire au profit d’un pouvoir politique arbitraire, ce qui n’est pas admissible dans un État de droit !

Les associations n’ont de cesse de dénoncer ce projet de loi « scélérate » et se mobilisent contre l’État policier que vous essayez de nous infliger.

Nous, sénateurs français d’Europe Écologie-les Verts, comme ceux des autres groupes opposés à juste titre à ce projet, nous nous devons de vous rappeler à vos responsabilités !

Mais vous y préférez un désengagement de l’État en matière de sécurité, au profit d’opérateurs privés, donc du business de la sécurité, ce qui est indigne de notre République.

Tout comme en première lecture, je réaffirme que nous devons redéfinir les contours d’une politique de sécurité humaine, pragmatique et équilibrée, ne niant pas les individus et reposant également sur la prévention, la dissuasion, la réinsertion et non uniquement sur la sanction !

Vous y préférez la répression des populations les plus affaiblies.

Vous prônez l’expulsion de tous les occupants d’habitats atypiques – tente, cabane, caravane, yourte, mobile home – sur des terrains publics ou privés, et la destruction de leur habitat, au lieu de faire en sorte que soit appliquée la loi de réquisition des logements vides ou qu’un nombre raisonnable de logements sociaux soient construits !

Vous vous en prenez aux familles les plus fragilisées et aux jeunes en difficulté, en stigmatisant leurs parents et en sanctionnant à tout-va, au lieu de leur donner les moyens d’affronter leurs difficultés sociales et de les aider à faire face à leurs problèmes.

Vous parsemez cette LOPPSI 2 de mesures répressives à l’encontre des étrangers en attente de leur admission au séjour alors que ce texte est manifestement inapproprié pour traiter de la question de l’immigration, qui nous sera prochainement soumise via un autre véhicule législatif, élaboré par votre collègue M. Besson ! Mais nous ne sommes pas dupes, monsieur le ministre, nous saisissons parfaitement le message du Gouvernement auquel vous appartenez et cette analogie nauséabonde qu’il entretient entre délinquance et immigration.

Au-delà de la répression à l’égard des populations les plus fragilisées, la LOPPSI 2 nous fiche, nous contrôle, nous surveille, nous espionne....

Il est d’ailleurs étonnant de constater que vous n’avez pas songé à imposer le contrôle par « web cab » du domicile de chaque citoyen !

Est-ce la crainte d’être assimilé aux cybercriminels que vous combattez ou la prise de conscience que l’atteinte à la vie privée aurait été trop flagrante ?

La LOPPSI 2 affecte gravement notre liberté d’expression et notre droit de réunion, notre droit à la liberté tout simplement, en tentant de museler l’expression pacifiste du mécontentement. Entre le projet de pénaliser les chahuts lors des réunions d’instances électives et le contrôle strict des manifestations populaires, quid de la démocratie, affectée par ces graves atteintes liberticides ?

Enfin, comme je l’ai brièvement exposé au début de mon intervention, la LOPPSI 2 ne se prive pas, sous prétexte de renforcer la lutte contre la criminalité, de multiplier encore les moyens de répression.

En voici quelques exemples : le système des peines planchers, heureusement limité en commission des lois au champ des seules violences les plus graves, ce qui reste encore contestable s’agissant des primo-délinquants ; l’allongement à trente ans de la période de sûreté applicable aux meurtriers de dépositaires de l’autorité publique, mesure qui, elle aussi, a été limitée en commission des lois aux meurtres avec circonstances aggravantes. Quoi qu’il en soit, avec tout le respect que je voue aux dépositaires de l’autorité publique, je reste farouchement opposée à cet allongement de la période de sureté pour une seule catégorie de victimes, portant ainsi atteinte à la cohérence de notre droit pénal.

Je suis d’ailleurs, d’une façon générale, contre toutes ces peines de sûreté, qui entravent toute chance de réinsertion et tout espoir pour le prévenu de voir sa peine aménagée.

Le droit pénal des mineurs fait, lui aussi, les frais de vos atteintes liberticides en raison de l’institution de « couvre-feux », y compris si celui-ci est prononcé par un juge, ou encore de la convocation des mineurs délinquants par l’officier de police judiciaire, que la commission des lois a d’ailleurs sanctionnée.

Vous aurez donc tous compris que je m’oppose évidemment à ce projet de loi LOPPSI 2, qui s’attaque à tous les domaines de nos libertés et dont le seul but est de créer des peurs au travers de mesures illisibles et de nouvelles incriminations dangereuses, inutiles et inapplicables, faisant de la surenchère sécuritaire et entretenant un affichage purement médiatique !

De grâce, monsieur le ministre, mes chers collègues, n’entérinons pas ici une justice à double vitesse et, surtout, ne vous dispensez pas des garanties essentielles à notre démocratie et à nos libertés ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jacques Mézard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, dit LOPPSI 2, que nous avions examiné en septembre dernier en première lecture, avait déjà suscité des débats très riches et très denses.

Je tiens à m’associer à ceux de nos collègues qui ont rendu hommage aux gendarmes et aux policiers œuvrant au quotidien pour la sécurité de tous, avec l’ensemble des services de secours ; nous avons pu prendre la mesure de leur dévouement ces dernières semaines, lors des intempéries exceptionnelles.

Parallèlement, je salue le travail réalisé par M. le rapporteur et les membres de la commission des lois. Ils ont apporté des améliorations à ce texte, qui s’adapte aux nouvelles formes de délinquance, comme vous l’avez souligné tout à l’heure, monsieur le ministre.

Incontestablement, ce texte met à la disposition des forces de gendarmerie et de police mais aussi de la justice, des outils efficaces issus de nouvelles technologies, afin de défendre la sécurité sous toutes ses formes, y compris la sécurité routière, la sécurité des personnes et des biens, en particulier, en faveur des personnes les plus fragiles.

L’aspect humain doit rester notre priorité par la reconnaissance du travail accompli avec beaucoup de dévouement et de savoir-faire par les gendarmes et les policiers, qui sont de plus en plus souvent confrontés à des missions très difficiles et à de nombreuses interventions à caractère social.

J’interviendrai principalement sur la gendarmerie nationale en me faisant modestement le porte-parole des élus des petites communes, des élus de proximité, qui se sentent souvent isolés et dont les premiers interlocuteurs sont les gendarmes.

La présence humaine doit rester une priorité. Il est donc nécessaire de maintenir des effectifs suffisants dans les petites brigades organisées en communautés de brigades, car elles ont un rôle essentiel dans la vie de nos territoires ruraux : connaissance du terrain, confiance et le dialogue avec les élus locaux, information et concertation avec le monde économique, social et associatif. À cet égard, on ne saurait contester l’utilité des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, qui œuvrent en liaison avec les représentants de l’État et des collectivités territoriales.

C’est pourquoi il est indispensable de maintenir dans les petites brigades les effectifs suffisants et de leur donner les moyens de fonctionner pour assurer un travail de terrain efficace afin de répondre aux attentes des habitants.

La gendarmerie recrute – c’est un message à l’intention des élus locaux – des gendarmes adjoints volontaires. Les jeunes qui souhaitent s’engager dans la vie active ont ainsi la possibilité intéressante de bénéficier d’une formation utile. Les réservistes viennent aussi renforcer les brigades territoriales.

Nous en sommes conscients, il reste encore beaucoup à faire en matière de sécurité intérieure, sujet sensible qui constitue une préoccupation majeure pour chacun d’entre nous. Les dispositions contenues dans ce projet de loi que nous examinons en deuxième lecture doivent servir dans le combat permanent qui est livré pour la sécurité de tous.

Avec mes collègues du groupe UMP, je soutiendrai ce texte. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Brice Hortefeux, ministre. Tout d’abord, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de renouveler mes remerciements à M. le président de la commission des lois et à M. le rapporteur, mais aussi d’en adresser à Catherine Troendle, qui, au nom du groupe UMP, a parfaitement bien résumé les objectifs et les intentions du Gouvernement.

Pendant des mois, les mesures contenues dans ce texte ont été méthodiquement pensées, réfléchies et débattues. Monsieur Mézard, ce n’est pas une loi fourre-tout ! Il s’agit, au contraire, comme l’a rappelé M. Zocchetto, d’une loi nécessaire, attendue pour combattre la délinquance sous toutes ses formes. Franchement, les grands électeurs de Mauriac, de Massiac et de Vieillevie entre autres seront très surpris de découvrir votre intervention, que je ne manquerai pas de leur communiquer. (M. Jacques Mézard sourit.)

Mme Alima Boumediene-Thiery. Garde à vue ! (Sourires.)

M. Brice Hortefeux, ministre. Pour l’élaboration de ce texte, nous sommes partis d’un principe simple : que l’État apporte une réponse résolue à chaque forme de délinquance. Notre mot d’ordre est toujours le même – Catherine Troendle l’a parfaitement résumé : adapter nos outils aux évolutions technologiques, moderniser nos modes d’intervention pour contrer les nouvelles formes de délinquance.

Je ne reviendrai pas dans le détail sur les quatre orientations du texte.

La première d’entre elles consiste à s’assurer de l’effectivité de la réponse pénale.

Là non plus il ne doit pas y avoir d’ambiguïté : la baisse durable de la délinquance passe par la certitude de la sanction. Avec M. le garde des sceaux, nous assurerons, de bout en bout, la main dans la main, l’efficacité de la chaîne de la sécurité.

Comme vous, madame Boumediene-Thiery, je suis bien évidemment attaché au respect des libertés. Mais je devine que cette comparaison doit vous faire frémir…

Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous n’avons pas la même définition des libertés !

M. Brice Hortefeux, ministre. Cela dit, je souhaite donner à la police et à la gendarmerie des moyens nouveaux pour faire face à une délinquance qui est – il faut vraiment être aveugle pour le nier ! – de plus en plus violente. Face aux délinquants, nous ne devons pas mollir, et il faut que la sanction soit exemplaire !

Monsieur Mézard, je ne veux pas m’acharner sur vous, mais, comme vous appartenez à un groupe charnière, vos positions suscitent plus de commentaires. Les positions des autres groupes sont bien connues : Mme Assassi n’a pas été surprise par les propos de Louis Nègre, lequel n’a pas été surpris non plus par l’intervention de celle-ci ! (Sourires.) Aussi vais-je m’adresser plus souvent à vous.

Vous avez repris l’antienne selon laquelle les faits divers dicteraient leur loi au Gouvernement !

M. Brice Hortefeux, ministre. Aux mêmes grands électeurs, je dirai donc que vous êtes totalement hostile à ce que le Gouvernement soit attentif à ce qui se passe dans le pays,…

Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est une interprétation !

M. Brice Hortefeux, ministre. … ajoutant que je m’interroge sur une assemblée parlementaire qui ne légiférerait pas au contact du réel.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sont des propos de campagne électorale !

M. Brice Hortefeux, ministre. Je vous le dis, nous n’avons qu’un cap, celui de mener une politique ferme, mais juste et équilibrée, qui réponde – nous le revendiquons totalement ! – aux attentes de la population, et tout particulièrement des plus faibles, qui sont d’ailleurs, le plus souvent, les plus menacés.

Ainsi que l’a souligné M. le rapporteur, la commission des lois a souhaité globalement revenir au texte adopté par le Sénat en première lecture. Je respecte ce choix, mesdames, messieurs les sénateurs, mais je souhaite que vous alliez plus loin concernant l’application des peines planchers dès le premier fait de violence aggravé. Le texte que vous avez adopté le permet, mais seulement lorsqu’une peine de dix ans est encourue, ce qui est, à mon sens un seuil trop élevé. Je remercie d’ailleurs Christian Demuynck de nous donner l’occasion de rouvrir ce débat.

Par ailleurs, on ne peut pas, d’un côté, regretter avec émotion qu’un trop grand nombre de policiers et de gendarmes soient l’objet de violences inacceptables et, d’un autre, refuser l’allongement de la période de sûreté pour les auteurs de meurtre ou d’assassinat commis à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique. C’est trop facile d’émettre un vœu ô combien sympathique, sans lui donner une traduction législative ou sans prendre une mesure concrète. À un moment donné, il faut que la vérité se fasse jour : ceux qui sont vraiment choqués par le nombre important de policiers et de gendarmes faisant l’objet de violences inacceptables doivent en tirer toutes les conséquences.

Or, monsieur Anziani – et je vous prie de bien vouloir excuser mon absence lors de votre intervention, mais vos propos étaient si brillants qu’ils m’ont été rapportés –, que proposez-vous, sinon la suppression du renforcement des peines contre les assassins de policiers ou la renonciation de la création des peines planchers pour les auteurs de violences aggravées ?

En réalité, vous proposez le statu quo, alors que nous proposons d’agir, d’avancer et d’évoluer.

M. Alain Anziani. C’est de la poudre aux yeux !

M. Jean-Claude Peyronnet. Cela ne sert à rien !

Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est inefficace !

M. Brice Hortefeux, ministre. Quant à la convocation des mineurs devant les tribunaux pour enfants par un officier de police judiciaire, ne nous y trompons pas ! Il s’agit, je le dis au président de la commission des lois, qui est également très attentif à ces sujets, non pas de dénier leurs droits aux mineurs délinquants, mais d’accélérer le cours de la justice pour que la sanction soit comprise et soit donc pédagogique.

Le deuxième objectif est de s’adapter au développement des nouvelles technologies.

Madame Assassi, si je vous ai bien comprise, vous proposez la suppression pure et simple de toutes les dispositions relatives à la vidéoprotection…

Mme Éliane Assassi. Non, pas toutes !

M. Brice Hortefeux, ministre. C’est à dessein que j’emploie ce mot plutôt que celui de vidéosurveillance. Dans notre langue, les mots ont un sens !

Mme Éliane Assassi. C’est vrai !

M. Brice Hortefeux, ministre. Je vous rappellerai, madame la sénatrice, qu’un peu plus d’un tiers des villes ayant reçu une subvention du FIPD, le Fonds interministériel de prévention de la délinquance, pour installer des caméras sont gérées par la gauche. Où est la cohérence, alors que M. Mézard reconnaît son utilité dans certains cas ?

Monsieur Nègre, vous faites partie de ces élus …

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est l’un des supporters les plus zélés !

M. Brice Hortefeux, ministre. … qui, de longue date, ont fait le choix d’installer la vidéoprotection dans leur commune, en l’occurrence, celle de Cagnes-sur-Mer. Je vous en félicite, mais là n’est pas le plus important, ce sont vos électeurs qui, incontestablement, vous en félicitent.

Vous avez résumé la justification principale de la vidéoprotection, à savoir protéger les citoyens, dissuader, dans une certaine mesure, les délinquants pour les empêcher de nuire et élucider les faits de délinquance. Et, surtout, que l’on ne nous reproche pas de prétendre que la vidéoprotection résout tout ! Nous disons tout simplement que c’est un élément déterminant dans l’élucidation et la résolution d’un certain nombre de formes de délinquance.

Je pense aussi aux logiciels de rapprochement judiciaire qui n’ont qu’une vocation, celle d’améliorer la rapidité des enquêtes et de faire progresser l’élucidation des crimes et des délits commis.

Enfin, je pense à la lutte contre le terrorisme ou la criminalité organisée, …

M. Brice Hortefeux, ministre. … qui sera facilitée grâce au recours à des outils modernes à la hauteur de certaines méthodes des organisations criminelles, comme l’a rappelé, à juste titre, Catherine Troendle.

Il est très difficile de contester l’utilité et la nécessité de ces dispositions, car elles permettront de lutter plus efficacement et plus concrètement contre les délinquants et les criminels.

Le troisième objectif est de s’appuyer sur la réactivité offerte par les mesures de police administrative. Tel est notamment l’enjeu de la prévention de la délinquance au travers du couvre-feu des mineurs ou encore des contrats de responsabilité parentale. Ces mesures font partie de cette alchimie qui permettra de mieux protéger les mineurs, mais aussi, madame Boumediene-Thiery, de responsabiliser les parents !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Vous les fragilisez !

M. Brice Hortefeux, ministre. Si vous revendiquez cette différence avec nous, je suis tout à fait prêt à vous l’accorder ! Pour notre part, nous voulons effectivement contribuer à responsabiliser les parents et non pas les exonérer de toute responsabilité.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Responsabilité sociale !

M. Brice Hortefeux, ministre. Enfin, il faut s’assurer de la complémentarité entre les différents acteurs de la sécurité.

Je l’ai souligné tout à l'heure, la sécurité est d’abord de la responsabilité de l’État, mais c’est aussi l’affaire de tous. À cet égard, il faut garantir une meilleure complémentarité entre l’action de la police et de la gendarmerie nationales, d’une part, et celle des polices municipales, d’autre part.

Dans le même esprit, il est, à mon sens, indispensable, monsieur Anziani, d’assurer un meilleur encadrement de l’activité du secteur de la sécurité privée, sans que cela porte atteinte aux compétences de l’État. Il ne s’agit en aucun cas, et j’ai eu l’occasion de le dire cet après-midi à l'Assemblée nationale en réponse à une question de M. Jean Glavany, d’une privatisation de l’action publique. Il s’agit d’actions complémentaires, même si la mission régalienne relève pour l’essentiel de l’État.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Vous jouez de la sémantique !

M. Brice Hortefeux, ministre. Louis Nègre a également évoqué la sécurité routière. Encore une fois, notre objectif est clair : faire baisser le nombre des victimes de la route et ne pas dévier de cette orientation, comme il l’a, à juste titre, rappelé. J’ai donné les chiffres d’il y a quarante ans, puis ceux d’il y a dix ans. En 2009, nous avons dénombré 4 273 morts sur les routes et, en 2010, nous sommes passés sous la barre des 4 000. Certes, ce chiffre est encourageant, mais il signifie aussi qu’il existe encore des marges de progression. En la matière, il n’y a pas de fatalité.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est pour cette raison qu’on lâche la pression sur le permis !

M. Brice Hortefeux, ministre. Depuis 2002, en cassant la tendance que j’ai évoquée, ce sont, au total, 23 000 vies qui ont ainsi pu être épargnées ; nous devons tous garder ces chiffres en mémoire.

Concernant le permis à points, j’ai bien conscience qu’il est toujours désagréable de perdre des points, mais on ne les perd pas par hasard ! La perte de points est la conséquence d’un fait simple : le non-respect des règles routières. Il n’y a donc pas là d’injustice.

J’invite le Sénat à adopter l’article 28 bis, et je remercie M. Fouché d’avoir pris l’initiative de proposer deux mesures complémentaires : d’une part, la fixation de la date d’entrée en vigueur du nouvel article et, d’autre part, le maintien à trois ans du délai de récupération des points sur le permis probatoire.

Monsieur Laménie, vous avez rappelé votre attachement à la présence des gendarmes sur le terrain. Je sais que ce sujet vous tient à cœur et je partage votre préoccupation. Cette présence nécessite le maintien du maillage territorial, aujourd’hui composé de 3 382 brigades territoriales.

J’ai, en particulier, pris bonne note de votre volonté d’approfondir le dialogue entre les gendarmes et les élus locaux. J’ai donné des consignes en ce sens, notamment dans votre département.

Cela étant, et je le dis en présence d’un officier supérieur de la gendarmerie, les gendarmes savent parfaitement conduire leurs relations avec les élus locaux. Si une remarque devait leur être faite, elle ne porterait certainement pas sur ce point ! Au demeurant, je ne vois pas très bien quelle remarque je pourrais leur adresser...

Quelques-uns d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont exprimé des inquiétudes à propos de l’article 4 du projet de loi, qui prévoit une procédure de blocage des sites pédopornographiques.

Je comprends qu’il y ait des interrogations à ce sujet, mais l’objectif de ce texte part d’un constat très préoccupant : en 2009, plus de 10 000 internautes ont signalé volontairement, sur le site d’alerte, qu’ils étaient entrés fortuitement en contact avec un site pédopornographique. L’analyse de ces sites montre qu’ils sont pour la plupart hébergés à l’étranger, qu’ils sont très mobiles et donc très dangereux.

La mesure évoquée est, par conséquent, destinée à protéger, et non à limiter, l’accès à Internet.

Je me permets de revenir sur une phrase de Mme Boumediene-Thiery, dont les paroles ont sans doute dépassé la pensée. Vous avez en effet, madame la sénatrice, qualifié ce texte de « liberticide ». Franchement, c’est peut-être y aller un peu fort…

Quoi qu'il en soit, si vous considérez que je suis contre le maintien en liberté des délinquants, alors vous avez effectivement raison !

Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est votre interprétation, pas la mienne !

M. Brice Hortefeux, ministre. Je suis convaincu que, au-delà des divergences qu’il peut y avoir entre les uns et les autres, nous partageons tous une même volonté : assurer la sécurité de nos concitoyens en tout point de notre territoire. Entre ceux qui ne font qu’aspirer à cela et ceux qui, en votant des mesures efficaces et concrètes, le permettent, chacun reconnaîtra les siens. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à l’examen de la motion tendant à opposer la question préalable.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure
Article 1er et rapport annexé

Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n°3.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (n° 215, 2010-2011).

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour la motion.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, je formulerai d’abord, une fois de plus, le regret que le règlement nous contraigne à présenter une motion tendant à opposer la question préalable après la clôture de la discussion générale et la réponse du ministre. Je n’ai pas le pouvoir de modifier le règlement, mais, à force de réitérer cette critique, peut-être obtiendrons-nous un jour satisfaction.

Ce qui justifie cette question préalable, monsieur le ministre, c’est avant tout l’interprétation que nous faisons des résultats de votre politique. Vous vous livrez à une inflation de mesures répressives qui non seulement nous inquiète mais encore nous fait profondément douter du bien-fondé de votre logique.

Monsieur le ministre, vous maniez facilement l’ironie à l’égard des élus dont l’avis est différent du vôtre et vous opposez volontiers les « laxistes » aux « efficaces ». Et ce n’est pas la panoplie de qualificatifs dont vous avez encore usé ce soir qui est de nature à rendre vos propos convaincants.

En tout cas, vous affirmez que vos résultats en matière de délinquance sont bons et que vous continuerez à renforcer vos dispositifs répressifs. Or, dans le même temps, des sénateurs de la majorité nous expliquent que ces mesures se justifient par le fait que la délinquance augmente… Mais vous n’êtes pas à une contradiction près !

Il est, selon vous, nécessaire d’adapter la lutte contre la délinquance aux évolutions des formes de celle-ci. Qui peut nier cette nécessité ? Mais cette affirmation ne nous renseigne en rien sur l’efficacité de votre démarche. Le problème, c’est que, au fil des ans, votre réponse est toujours la même puisque c’était déjà celle de vos prédécesseurs, notamment celui qui est aujourd'hui Président de la République.

Ainsi, depuis 2002, la délinquance a effectivement évolué et pas moins de treize lois spécifiques censées combattre l’insécurité ont été votées, mettant toujours en œuvre la même logique. : « ficher, contrôler, enfermer, stigmatiser ».

Comme le disaient déjà Victor Hugo et d’autres, la peine de mort n’a jamais empêché le crime. Depuis que la peine de mort a été abolie, on a d’ailleurs pu constater que sa disparition n’avait absolument pas conduit à une augmentation du nombre de crimes. Cela mériterait tout de même d’être médité.

Ce qu’on observe en fait ces dernières années, c’est que, malgré le durcissement des sanctions, les violences contre les personnes ont progressé,…

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … par une sorte d’effet miroir par rapport à une société toujours plus violente et exclusive, à une réponse politique toujours plus répressive et elle-même exclusive.

Malgré ce résultat, vous refusez tout véritable diagnostic de ces phénomènes, tout bilan des effets des lois qui ont été successivement votées et toute analyse précise du caractère de plus en plus violent des actes de délinquance.

Et vous demandez maintenant à M. Bockel un deuxième rapport sur la prévention. Est-ce pour qu’il vous démontre que vous avez raison de considérer qu’il n’y a pas d’autre réponse que la sanction ? N’aurait-il pas été préférable d’attendre le rapport sur la prévention avant de se lancer dans une nouvelle loi axée sur les sanctions ?

Dès la première lecture, ce projet de loi s’est présenté comme un fourre-tout, constitué de dispositions disparates modifiant plusieurs codes et, pour une part non négligeable d’entre elles, sans lien avec les impératifs de la lutte contre l’insécurité. Or une politique efficace ne peut être menée que si elle s’appuie sur un corpus de mesures cohérentes entre elles, pérennes et fixant des repères, lui donnant force et contenu.

Les seuls repères de ce projet de loi, ce sont la répression accrue, la surveillance et le contrôle social généralisés, ainsi que le transfert aux collectivités locales et au secteur privé d’une mission régalienne.

Avant que les députés n’en débattent, vous avez dit avoir « voulu muscler » le projet de loi initial, en réaffirmant que pour vous, « la première des préventions reste la certitude de la sanction ». Je n’en suis pas convaincue ! Je dirai même que l’augmentation de la délinquance violente atteste que ce n’est pas le cas !

Évidemment, le discours de Grenoble du Président de la République a, en quelque sorte, donné des ailes au contenu du texte. Le chef de l’État partait en « guerre ». Contre quel ennemi ? Les jeunes, les étrangers, les parents… En réalité, les catégories les plus modestes.

Le chef de l’État – garant, de par ses fonctions, du pacte social – a usé des pires amalgames en instillant l’idée d’une configuration sociale et ethno-raciale de la délinquance. Il a insufflé l’idée d’une corrélation entre délinquance et catégories sociales défavorisées, territoires ghettoïsés – ceux d’où viendraient spécifiquement les fauteurs de délinquance –, entre délinquance et origine étrangère, désignant pour la première fois un groupe de population : les Roms. Cette stigmatisation a soulevé l’indignation, mais elle a eu aussi les conséquences que l’on sait, y compris encore tout récemment : dimanche dernier, à Marseille, un groupe de hooligans – ils revendiquent eux-mêmes ce « titre » – a mené une expédition punitive contre un camp de Roms !

Mme Éliane Assassi. Exactement !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec le discours de Grenoble, le Parlement disposait d’une feuille de route pour le franchissement d’un nouveau palier répressif, dont les modalités ont été présentées dès septembre au Sénat par le biais d’amendements du Gouvernement. La majorité sénatoriale, légèrement réticente au départ, a finalement fait droit à la plupart des desiderata du Gouvernement.

Cela n’a pas suffi : à l’Assemblée nationale, la majorité a encore durci le texte en deuxième lecture, allant jusqu’à remettre en cause le principe de prescription, principe fondamental de notre droit. Je me permets de rappeler que l’imprescriptibilité n’a jamais été retenue que contre les crimes contre l’humanité ; et nous devrions en rester là !

La commission des lois a décidé de refuser, pour l’essentiel, cette nouvelle surenchère. J’en prends acte. Il n’en reste pas moins que ce projet de loi, inefficace en matière de lutte contre l’insécurité et dangereux pour les libertés, n’est pas recevable.

Monsieur le ministre, l’aspiration de nos concitoyens à vivre en sécurité est parfaitement légitime. Sachez-le, je partage l’idée selon laquelle nos concitoyens doivent vivre en sécurité. Cependant, notre groupe considère que la notion de sécurité concerne l’ensemble des aspects de la vie dans la cité, y compris les aspects sociaux, car la sécurité participe du pacte social et du « vivre ensemble ».

Ce n’est, hélas ! pas le sens de votre politique économique, sociale et d’ordre public.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Votre objectif, souvent affiché, de vous attacher l’électorat lepéniste a des effets particulièrement néfastes. Vous légitimez, par votre discours, le discours sécuritaire et anti-immigrés de Le Pen – aujourd’hui, celui de sa fille – et ses solutions simplistes.

En même temps, je constate que le Front national parle beaucoup moins de sécurité et entend se renforcer en défendant des positions pseudo-sociales.

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En vous obstinant, vous continuez à jouer avec le feu et à amplifier l’influence du parti de Le Pen.

Vous parlez de coordination de la prévention, de la dissuasion et de la répression.

Concernant la prévention, il faut réintroduire partout la présence humaine, alors que vous vous attachez sans cesse, année après année, à la supprimer. Il faut des éducateurs de rue, il faut des personnels pour la protection judiciaire de la jeunesse, cette PJJ dont le Gouvernement vient, pour la troisième fois, de réduire le budget. Dans les établissements scolaires, il faut des surveillants et des enseignants plutôt que des policiers. Et, là comme ailleurs, aucun portique ou détecteur ne remplacera des personnels formés ! On a entendu dire qu’un instituteur ne pouvait pas remplacer un curé. Eh bien, moi, je peux vous dire qu’un détecteur et un policier ne remplacent pas, dans un lycée, des enseignants et d’autres personnels de l’éducation nationale !

Mme Éliane Assassi. Exactement !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut réintroduire du service public et de l’action publique partout, cesser de réduire les subventions aux associations dans les villes et les quartiers et, par conséquent, cesser de sacrifier les budgets des collectivités locales.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La dissuasion recule en proportion des moyens qui sont ou plutôt ne sont pas mis en œuvre avant que ne se produisent les actes délictueux !

Cette logique répressive porte en elle l’abandon de missions régaliennes puisqu’elle va dans le sens d’une police supplétive de rétablissement de l’ordre, servant d’appoint à d’autres polices privées ou semi-privées, qui sont de plus en plus lourdement armées, avec les risques que cela comporte.

Votre politique du chiffre et la multiplication des gardes à vue ont éloigné les policiers des citoyens et tendu les relations entre les uns et les autres. Nos concitoyens doivent pouvoir avoir confiance dans leur police et leur justice. Or, monsieur le ministre, cette justice, vous n’avez de cesse de la rendre responsable de tous les maux et, s’agissant de la police, vous avez apporté votre soutien à des policiers assermentés qui avaient produit de faux témoignages destinés à faire inculper quelqu’un à leur place.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous attendons toujours des excuses à ce sujet !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est bon ni pour la justice, ni pour la police, ni, par conséquent, pour la sécurité publique.

La confiance dans la justice relève aussi de l’application de sanctions justes, proportionnées et utiles, qui donnent du sens à la peine. Mais que devient le principe de proportionnalité avec l’application d’une peine plancher aux primo-délinquants, avec l’extension du champ de la période de sûreté ?

Quid du droit à un procès équitable et des droits de la défense avec la visioconférence dans le procès pénal ?

Quid d’une justice équitable quand la grande délinquance, qui se nourrit de la petite, n’est pas visée dans ce texte et que la délinquance financière est, les chiffres l’attestent, de moins en moins sanctionnée ?

Ce texte pose, cela a été dit, de sérieux problèmes au regard des libertés publiques. Vous mettez en balance sécurité et liberté, au nom de l’efficacité. D’abord, ce n’est pas acceptable. Ensuite, les résultats actuels de votre politique ne plaident pas en faveur de son efficacité.

Le projet LOPPSI 2 organise partout le contrôle social et la surveillance, grâce notamment aux technologies nouvelles.

Il renforce la surveillance et la censure sur Internet, alors même que leurs effets en matière de lutte contre la pédophilie ou autres réseaux illicites ne sont pas prouvés. Nous y reviendrons dans la discussion des articles.

Vous généralisez le fichage de la population. En outre, en l’absence de mécanismes de contrôle et de recours assurés, les personnes innocentées demeureront fichées et les erreurs – dont le pourcentage est déjà énorme pour le fichier STIC – ne seront pas rectifiées.

De la même façon, vous étendez considérablement la vidéosurveillance sur la voie publique – que vous l’appeliez « vidéoprotection » n’y change rien ! –, pierre angulaire de l’aide aux collectivités territoriales, ce qui se traduit par une privatisation du visionnage des images. Et vous dépossédez la Commission nationale de l’informatique et des libertés d’une de ses compétences au profit d’une commission placée sous le contrôle de l’exécutif.

Là encore, l’efficacité de la prolifération de la vidéosurveillance n’est pas prouvée. Je parle bien de « prolifération » : je ne conteste pas l’utilité de la vidéosurveillance, par exemple dans le métro parisien, encore que son efficacité sur la poursuite des délinquants ne soit pas toujours évidente ; ce que nous contestons, c’est sa prolifération tous azimuts. En tout cas, cela ne fait aucun doute, elle est très coûteuse et son installation, sa maintenance et sa gestion privée constituent autant de marchés juteux que guignent des sociétés privées de surveillance ! Une fois de plus, on se demande jusqu’où vous voulez aller.

On peut parler également de la surveillance des manifestations. Il ne vous suffit plus de criminaliser l’action syndicale, avec de très nombreux placements en garde à vue de militants syndicaux. La surveillance des manifestations laisse maintenant présager de sérieuses atteintes aux libertés.

Concernant les étrangers, avec le projet de loi relatif à l’immigration qu’avait préparé M. Éric Besson et que vous allez bientôt défendre devant nous, les étrangers sont montrés comme des fauteurs de troubles. Il est évident que les étrangers et les autres citoyens, au sens de « habitants de la Cité », ne sont pas égaux devant la loi.

Mme Éliane Assassi. Exactement !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La double peine revient par la bande puisque la Cour d’assises est invitée à se prononcer sur cette peine complémentaire. On est bien loin des déclarations du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy, qui estimait en 2003 qu’il n’y avait pas besoin de la double peine pour lutter contre l’insécurité.

Qu’en sera-t-il aussi des droits des personnes retenues avec des audiences de prolongation de la rétention sur le lieu même de cette rétention...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est l’autre texte, pas celui d’aujourd’hui !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... ou avec la visioconférence, fût-elle assortie de l’accord de l’intéressé, ou encore le bracelet électronique sans condamnation ?

Vous donnez aussi le ton de ce que vous avez en tête pour la modification de la justice des mineurs en instaurant pour ceux de treize ans un couvre-feu qui, depuis des années, est souhaité par certains élus.

Le terme même de « couvre-feu », avec sa connotation guerrière, suggère que les villes sont remplies la nuit de jeunes errants dangereux, agissant dans un sentiment d’impunité…

M. le président. Veuillez conclure !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’ai le temps, vous savez !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non, votre temps de parole est terminé !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Oui, c’est fini !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quelle terrible et désespérante vision de la jeunesse !

Vous instaurez aussi à l’égard des mineurs ce qui ressemble fort à une comparution immédiate, interdite aujourd’hui en matière de justice des mineurs.

Avant de terminer,...

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Ah !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... je signale une autre disposition emblématique : l’expulsion et la pénalisation des occupants d’habitats hors normes sur des terrains publics ou privés.

Encore une fois, vous stigmatisez des populations, des pauvres, et plus particulièrement les Roms.

Quand le président Sarkozy parle au peuple de la situation, il dit des choses simples : il y a, d’un côté, les étrangers et les Français gentils et, de l’autre, les mauvais. Il est vrai qu’il avait fait campagne sur l’idée de deux France, celle qui travaille et celle qui ne fait rien, c’est-à-dire les chômeurs. Aujourd’hui, le nombre de travailleurs devenus chômeurs l’empêche de faire cette distinction.

En revanche, la division est toujours votre objectif. Vous attisez les haines et la peur, ce qui pousse à l’autodéfense, au développement des polices privées et, en fin de compte, à l’accroissement de l’insécurité,...

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... alors que tous les éléments nécessaires à une politique solidaire sont en panne.

Mes chers collègues, je vous incite à voter cette question préalable, car, avant tout nouveau texte, il nous faut débattre sur ce thème : qu’en est-il réellement de la délinquance, de ses causes, des multiples facteurs de sa hausse ou, au contraire, de sa diminution, celle que vous prétendez constater, mais que nous ne voyons jamais ? C’est seulement après un tel débat que nous pourrons discuter sereinement d’un texte sur la sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Monsieur le président, les auteurs de la motion appuient leur demande d’adoption de la question préalable sur le caractère à leurs yeux composite du texte et sur les atteintes qu’il porterait aux libertés publiques.

Sur le premier point, il convient de noter que le champ couvert par le projet de loi rend compte de la diversité des formes de délinquance, de leur évolution récente et de la nécessité d’agir sur tous les leviers disponibles pour assurer la protection et la sécurité des Français. À cet égard, l’étendue du champ du texte est le signe de son efficacité.

S’agissant de l’atteinte qui serait portée aux libertés publiques, il convient de rappeler, comme l’a fait le Conseil constitutionnel, que la recherche des auteurs d’infraction est nécessaire à la sauvegarde des principes et droits de valeur constitutionnelle.

Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre cet objectif de valeur constitutionnelle et l’exercice des libertés publiques constitutionnellement garanties. La commission des lois s’y est employée en renforçant, lorsque cela lui est apparu nécessaire, les garanties prévues par le texte s’agissant des libertés individuelles et en veillant à ce que les restrictions apportées par le texte à l’exercice de ces libertés soient strictement limitées à ce qui est nécessaire pour assurer la sauvegarde de l’ordre public. Tel est notamment le cas des dispositions concernant la vidéoprotection ou le maintien des prérogatives de l’autorité judiciaire.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission des lois demande le rejet de cette motion, et elle est d’autant plus fondée à le faire que, en vertu de la réforme constitutionnelle, c’est son texte qui vous est soumis.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix la motion n° 3, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. Par conséquent, nous passons à la discussion des articles.

Je rappelle que, en application de l’article 48, alinéa 5, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets et propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pas encore adopté un texte identique.

En conséquence sont irrecevables les amendements remettant en cause les « conformes » ou les articles additionnels sans relation directe avec les dispositions restant en discussion.

Pour la mise en œuvre de cette règle, il a été fait application pour la première fois du vade-mecum « Pour une bonne pratique de la règle de l’entonnoir », soumis au groupe de travail sur l’application de la révision constitutionnelle et la réforme du règlement lors de sa réunion du 1er décembre 2010, et dont a pris acte la conférence des présidents lors de sa réunion du 15 décembre 2010.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, et M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Très bien !

M. le président. Ce vade-mecum a été envoyé aux présidents de groupes et peut être consulté sur le site Internet du Sénat.

Chapitre IER

Objectifs et moyens de la politique de sécurité intérieure

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure
Article 1er bis

Article 1er

(Non modifié)

Le rapport annexé sur les objectifs et les moyens de la sécurité intérieure à horizon 2013 est approuvé.

ANNEXE

RAPPORT SUR LES OBJECTIFS ET LES MOYENS DE LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE À HORIZON 2013

LA SÉCURITÉ PARTOUT ET POUR TOUS

I. – ASSURER LA SÉCURITÉ PARTOUT ET POUR TOUS GRÂCE À UNE APPROCHE GLOBALE DE LA POLITIQUE DE SÉCURITÉ

1. Mobiliser tous les acteurs au service de la sécurité de nos concitoyens

2. Mieux répondre aux besoins de sécurité des différents territoires

3. Mieux mobiliser les différentes réponses : prévention, dissuasion et répression

4. Mieux lutter contre les différentes formes de délinquance

5. Préparer l’avenir

II. – OPTIMISER L’ACTION DES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE DANS LE CADRE DU RAPPROCHEMENT POLICE/GENDARMERIE

1. Optimiser la coopération et la complémentarité opérationnelles

2. Systématiser la mutualisation des moyens et des actions de gestion en matière de ressources humaines

III. – ACCROÎTRE LA MODERNISATION DES FORCES EN INTÉGRANT PLEINEMENT LES PROGRÈS TECHNOLOGIQUES

1. Des policiers et des gendarmes mieux équipés pour faire face aux nouvelles menaces

2. Des technologies nouvelles au service de la sécurité du quotidien

3. La modernisation du système d’alerte des populations

4. Des technologies nouvelles au service des victimes

5. Moderniser le parc automobile dans le cadre d’une politique de développement durable

IV. – RÉNOVER LE MANAGEMENT DES RESSOURCES ET LES MODES D’ORGANISATION

1. Mettre un terme à l’emploi des policiers et des gendarmes dans des fonctions qui ne sont pas strictement liées à leur cœur de métier

2. Faire de l’immobilier un levier de la modernisation

3. Des carrières modernisées pour des professionnels mieux accompagnés

Les forces de police et de gendarmerie, dans la lutte qu’elles mènent contre toutes les formes de délinquance, ont enregistré des résultats majeurs entre 2002 et 2008. Tandis que le nombre total des crimes et des délits constatés affichait un recul de 13,5 %, la délinquance de proximité, celle qui est susceptible de toucher le plus grand nombre dans son quotidien, baissait de 34,07 %. Dans le même temps, les différents indicateurs de suivi de l’activité des services étaient révélateurs d’un niveau d’engagement particulièrement élevé, avec un nombre d’infractions révélées par l’action des services en hausse de 50,74 %, un taux d’élucidation passant de 26,27 % à 37,61 %, un nombre de personnes placées en garde à vue progressant de 51,52 % et un nombre total de personnes mises en cause en augmentation de 29,26 %.

L’année 2009 a été révélatrice des nouveaux enjeux de la politique de sécurité. L’ensemble de la société est en effet confronté à une évolution du monde contemporain qui modifie profondément l’approche des problématiques de sécurité et remet en cause les cadres d’action habituels des forces de police et de gendarmerie. Les services de l’État doivent répondre à une demande de sécurité de plus en plus diversifiée et la police et la gendarmerie doivent faire face à une triple attente de la population : une attente de protection, une attente d’autorité et une attente de justice. Cette attente est d’autant plus pressante que les lignes bougent.

Ainsi, la mondialisation a remis en cause la notion même de frontières et de territoires, lesquels sont traversés de flux humains, matériels et immatériels, de plus en plus difficiles à contrôler. La « judiciarisation » de la société contribue à la rendre plus complexe. Dans le même temps, l’évolution des modes de vie, une plus grande mobilité ou l’allongement de l’espérance de vie, laquelle contribue au vieillissement de la société, débouchent sur de nouveaux besoins de sécurité.

Plus exposées aux risques et aux menaces, nos sociétés modernes sont plus exigeantes en matière de sécurité et leur demande en la matière augmente d’autant plus que l’insécurité présente une physionomie à la fois mouvante et évolutive. Si des formes anciennes de délinquance persistent, comme les violences aux personnes ou le trafic de produits stupéfiants, d’autres, d’apparition plus récente, s’inscrivent dans le champ de la criminalité émergente. C’est le cas, notamment, de la cybercriminalité, mais également de l’activité délictuelle liée au phénomène des bandes ou de l’économie souterraine sous ses divers aspects.

D’autres préoccupations prennent une nouvelle dimension, comme le développement des pratiques délinquantes ou criminelles parmi les mineurs ou les facilités apportées aux délinquants et criminels par certains progrès technologiques. Cette tendance est également confortée par les progrès de la prévention situationnelle dans la mesure où la protection renforcée des biens peut entraîner une vulnérabilité accrue des personnes.

Faire face à cette situation nécessite de sortir des schémas de pensée traditionnels, d’une part en réexaminant dans le détail les modes d’action et leur efficacité, d’autre part en travaillant autrement et avec d’autres acteurs, chaque fois que nécessaire. Cette stratégie passe, en premier lieu, par un recensement hiérarchisé des risques et des menaces, pour ensuite fixer des objectifs en délimitant précisément les territoires concernés, tout en priorisant les actions à conduire et en adaptant le mode de fonctionnement des organisations.

Il s’agit de continuer à améliorer les résultats en matière de délinquance afin de répondre aux besoins de sécurité des personnes résidant sur le territoire de la République. Dans une situation budgétaire contrainte où tout doit être fait pour maîtriser la dépense publique, ce qui oblige à faire preuve de responsabilité en matière de ressources humaines, il convient d’améliorer la performance par la mise en place de moyens juridiques et technologiques innovants.

L’action engagée pour faire reculer la délinquance et lutter contre toutes les formes de criminalité s’organise dès lors selon quatre axes principaux.

Assurer la sécurité partout et pour tous grâce à une approche globale de la politique de sécurité

La diversité des risques et des menaces conduit à concevoir une politique de sécurité globale qui dépasse le clivage traditionnel entre sécurité intérieure et sécurité extérieure. C’est précisément ce à quoi invite le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, publié en 2008 à la demande du Président de la République. Il s’agit, en effet, d’assurer à l’ensemble de la collectivité un niveau suffisant de prévention et de protection contre ces menaces, de quelque nature qu’elles soient et en quelque endroit qu’elles se manifestent. Cela signifie de prendre en compte l’échelle des territoires qui peut considérablement varier, l’impact des différents flux sur la sécurité intérieure, le renseignement pour déceler les signes annonciateurs de crise et enfin les événements naturels, accidentels ou provoqués, qu’il faut savoir anticiper, gérer et maîtriser.

Optimiser l’action des forces de sécurité intérieure dans le cadre d’un rapprochement police/gendarmerie fondé sur la complémentarité, la coopération opérationnelle et la mutualisation des moyens

La loi n° 2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale a garanti le respect de l’identité des deux forces de sécurité et, tout particulièrement, l’identité militaire de la gendarmerie. Il n’y a donc pas fusion mais rapprochement. Ce rapprochement n’est pas synonyme de compétition ou de juxtaposition, mais s’inscrit dans une démarche de complémentarité et d’efficacité opérationnelle. Si des résultats tangibles ont déjà été obtenus grâce à la mutualisation des fonctions support, la coopération doit être développée dans le domaine opérationnel, comme c’est déjà le cas au sein des groupes d’intervention régionaux (GIR), des offices centraux, du réseau des attachés de sécurité intérieure ou de la coordination des forces mobiles. Cette synergie et cette complémentarité opérationnelles sont un des enjeux majeurs de l’adaptation de nos forces de sécurité intérieure d’ici à 2013 et l’une des conditions de la baisse durable de la délinquance.

Accroître la modernisation des forces de sécurité en intégrant pleinement les progrès technologiques

Cette modernisation conditionne l’amélioration des capacités d’élucidation et contribue à substituer une culture de la preuve à une culture de l’aveu. Elle a pour finalité d’accroître les performances des outils de prévention, de détection et de protection, afin de s’adapter aux nouvelles menaces et aux formes naissantes de délinquance. Elle veillera notamment à mettre de nouveaux outils à la disposition des services enquêteurs afin de lutter contre les infractions à caractère sériel et la criminalité organisée.

Cette modernisation porte également sur la protection des policiers et gendarmes, le renforcement des moyens de police technique et scientifique et le développement des outils d’investigation technique, de recueil et de traitement du renseignement. Elle a également pour but de systématiser le recours aux moyens vidéo, de doter les services de nouveaux types d’équipement et d’armement, en particulier les moyens de force intermédiaire, de renforcer les moyens de lutte contre la cybercriminalité et d’intensifier le recours aux moyens aériens.

Rénover le management des ressources humaines et les modes d’organisation

L’évolution des modes d’organisation et de gestion des ressources humaines et matérielles doit correspondre aux évolutions de la société. Aussi convient-il de :

– ouvrir encore plus largement le recrutement à toutes les catégories de la population ;

– développer les logiques de formation permanente, de validation des acquis et de promotion sociale ;

– permettre la fidélisation sur les zones difficiles en accroissant les efforts d’accompagnement social, notamment par un accès privilégié au logement, que ce soit par des logements à loyer modéré ou par l’accession sociale à la propriété ;

– privilégier les logiques fonctionnelles et les filières de métier dans l’organisation des services ; à ce titre, la rénovation de la gestion des ressources humaines de la police nationale passe à la fois au niveau central par la fusion des deux directions de l’administration et de la formation et au niveau déconcentré par le développement de projets de service ;

– moderniser le maillage territorial au service de la sécurité au quotidien, en vue d’assurer l’égalité de tous les citoyens devant le droit à la sécurité.

Le protocole « corps et carrières » de la police nationale continuera naturellement d’être mis en œuvre, comme prévu, jusqu’en 2012. La gendarmerie mettra en place la nouvelle grille indiciaire « défense » et respectera le calendrier et les objectifs du plan d’adaptation des grades aux responsabilités exercées (PAGRE), d’ici 2012.

La loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI) 2003-2007 avait programmé, pour la police, 2 750 millions d’euros, dont l’essentiel (57 %) pour les crédits du titre 2 et, pour la gendarmerie, 2 800 millions d’euros (dont 40 % de crédits du titre 2).

Les crédits de paiement des missions « Sécurité » et « Sécurité civile », hors charges de pensions, évolueront sur la période 2009-2013, sous réserve des dispositions des lois de finances et des lois de programmation des finances publiques, conformément au tableau suivant :

(En millions d’euros)

Crédits de paiement, hors comptes d’affectation spéciale

2009

2010

2011

2012

2013

Sécurité

11 456

11 437

11 526

11 478

11 451

Sécurité civile

381

381

393

405

415

Total

11 837

11 818

11 919

11 883

11 866

Au sein de ces crédits, la LOPPSI identifie et programme les ressources indispensables qui permettront à la gendarmerie, à la police et à la sécurité civile sur la période 2009 à 2013 d’améliorer la modernisation, la mutualisation et le management de la sécurité intérieure. Ces ressources incluent les effets du plan de relance, qui réalise une anticipation d’achats de véhicules : 100 millions d’euros de dépenses ont ainsi été anticipés en 2009, qui devaient initialement être réalisés à hauteur de 45 millions d’euros en 2011 et 55 millions d’euros en 2012.

Les ressources consacrées à la modernisation évolueront sur la période 2009-2013, sous réserve des dispositions des lois de finances et des lois de programmation des finances publiques, conformément au tableau suivant :

(En millions d’euros)

Crédits de paiement, hors comptes d’affectation spéciale

2009

2010

2011

2012

2013

Total

Titre 2

67

124

192

241

282

906

Hors titre 2

120

251

332

264

283

1 250

Total

187

375

524

505

565

2 156

La mise en œuvre de ces moyens fera l’objet d’un rapport annuel présenté au Parlement dans le cadre du débat budgétaire portant sur les missions « Sécurité » et « Sécurité civile ». Le premier rapport présenté après l’adoption de la présente loi précise les conditions du déploiement des programmes prioritaires décrits ci-dessous.

Ces projets marquent la volonté des institutions de se doter de moyens faisant appel à la haute technologie, au service de la sécurité publique générale et de la lutte contre toutes les formes de délinquance.

I. – ASSURER LA SÉCURITÉ PARTOUT ET POUR TOUS GRÂCE À UNE APPROCHE GLOBALE DE LA POLITIQUE DE SÉCURITÉ

Assurer la sécurité partout et pour tous est une mission dont la responsabilité incombe, au premier chef, à la police et à la gendarmerie nationales. Mais la prise en compte des nouveaux enjeux impose de recomposer l’architecture générale de la sécurité, avec une meilleure répartition des tâches entre les acteurs concernés pour clarifier les missions des uns et des autres et recentrer policiers et gendarmes sur leur cœur de métier. Cela suppose de mobiliser l’ensemble des ressources au sein de territoires aux périmètres redéfinis et de mettre en cohérence les différentes réponses à apporter, qu’elles soient préventives, dissuasives ou répressives. L’approche globale des problématiques de sécurité induit, nécessairement, une politique transversale et partenariale.

1. Mobiliser tous les acteurs au service de la sécurité de nos concitoyens

La nécessité d’apporter une réponse globale aux problèmes de sécurité conduit tout d’abord à instaurer et à développer des procédures d’action interministérielles.

Plusieurs ont été récemment engagées ou confortées. Ainsi, une circulaire commune a été signée le 23 septembre 2009 avec le ministre chargé de l’éducation nationale afin de renforcer la sécurité des établissements scolaires. Elle prévoit, notamment, de multiplier les opérations de sécurisation aux abords des établissements et de généraliser la pratique des diagnostics de sécurité, éventuellement complétés de diagnostics de sûreté, dont les préconisations, comme le développement de la vidéoprotection, doivent être mises en œuvre pour renforcer la prévention situationnelle des lycées et collèges.

Ce même jour était signé, avec le ministre chargé du budget, un protocole précisant les modalités de l’implication de cinquante agents du fisc dans la lutte contre l’économie souterraine dans certains quartiers, en étroite collaboration avec les services de police et de gendarmerie. L’objectif est de « redresser » les activités lucratives non déclarées qui permettent à certains trafiquants d’afficher un train de vie sans commune mesure avec les revenus qu’ils sont censés officiellement percevoir. Dans ce cadre, en liaison avec l’autorité judiciaire, le recours à la procédure de saisie sera développé.

De même, un rapprochement opérationnel, notamment en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, sera réalisé entre les services de douanes d’une part et les services de police et de gendarmerie nationales d’autre part.

Parallèlement, la coopération entre les préfets et les procureurs de la République a été renforcée avec la création à l’été 2009 des états-majors de sécurité. Préfets et procureurs réunissent ensemble et chaque mois les états-majors départementaux de sécurité chargés d’impulser les politiques de sécurité dans chaque département.

Ce travail partenarial doit être, à la fois, intensifié et étendu à tous les acteurs institutionnels intéressés par les problématiques de sécurité.

Les maires ont un rôle clé à jouer en matière de prévention de la délinquance et il ne s’agit pas là d’une action subsidiaire de lutte contre l’insécurité, mais d’un mode d’action à part entière. La mobilisation de l’ensemble des acteurs de la chaîne de prévention est un facteur de réussite fondamental. Le plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes, présenté le 2 octobre 2009, a pour objectif d’exploiter toutes les possibilités offertes par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. Il vise, entre autres, à mieux coordonner l’action des acteurs locaux de la prévention, en plaçant le maire au cœur du dispositif.

C’est dans le même esprit que doit être systématisée et développée la complémentarité avec les polices municipales. Celles-ci jouent un rôle essentiel en matière de sécurité de proximité et les modalités de leur coopération avec les services de police et de gendarmerie devront être précisées au travers, notamment, d’une nouvelle convention-cadre. En effet, si elles sont un maillon important de la chaîne de sécurité intérieure, leurs missions, leurs modes d’organisation et leurs moyens affichent une grande hétérogénéité.

Les entreprises de sécurité privée sont également devenues un acteur à part entière de la sécurité intérieure. Elles interviennent dans des domaines où certaines compétences peuvent être partagées, voire déléguées par l’État. Mais cette répartition des tâches doit se faire dans la transparence et en parfaite complémentarité entre des acteurs clairement identifiés. Il conviendra, à cet égard, de définir le champ du partenariat opérationnel à développer entre le ministère de l’intérieur et les représentants du secteur de la sécurité privée, en respectant une triple exigence d’éthique, de compétence et de contrôle des secteurs ainsi délégués au secteur privé.

La sécurité étant l’affaire de tous, la mobilisation doit également s’étendre à l’ensemble des citoyens, qu’ils participent aux réunions de quartier animées par les policiers ou les gendarmes, qu’ils s’investissent plus activement au sein du service volontaire citoyen de la police nationale ou qu’ils rejoignent le dispositif de « participation citoyenne » développé par la gendarmerie nationale.

2. Mieux répondre aux besoins de sécurité des différents territoires

Les mutations de ces dernières années ont vu s’organiser différemment une délinquance qui n’a pas attendu pour s’adapter aux nouvelles concentrations de population, aux réseaux de communication et aux modes de transports, s’affranchissant depuis longtemps des frontières administratives.

La criminalité étant devenue plus mouvante, des bassins de délinquance ont émergé, dessinant des zones incluant les lieux de commission des infractions et ceux où résident habituellement leurs auteurs, sans qu’il y ait nécessairement concordance avec les frontières administratives de la circonscription, de la brigade ou même du département. Pour autant, il importe que les forces de sécurité soient en mesure de prévenir ces actes délictueux et, dès lors qu’ils ont été commis, de poursuivre leurs auteurs, sans que les limites administratives territoriales n’entravent leur action.

L’analyse fine de la nature, du volume et de la fréquence des actes de délinquance, ainsi que de l’amplitude de la mobilité de leurs auteurs a permis de bâtir une cartographie définissant les contours des bassins au sein desquels l’action des forces de sécurité doit s’organiser de façon plus efficiente, sous un commandement unique et cohérent.

C’est sur la base de ce constat que la « police d’agglomération » a été mise en place, le 14 septembre 2009, en région parisienne. Il s’agissait de mettre en œuvre une intégration de l’organisation policière à l’échelle de Paris et des trois départements de la petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne), c’est-à-dire sur un territoire qui constitue une zone urbaine continue, aux dimensions limitées et à forte densité de population.

Cette police d’agglomération, placée sous l’autorité du préfet de police, favorise, grâce à la mutualisation des unités et renforts projetables, une optimisation de la présence policière sur la voie publique, aux heures et dans les lieux où la délinquance est la plus forte. En permettant aux services de police d’agir plus efficacement, elle améliore les conditions de sécurité dans toute l’agglomération parisienne.

Ailleurs en France se dessinent des espaces urbains dépassant largement les limites administratives des communes centre, les flux de population se densifiant et s’accélérant grâce, notamment, au développement important des réseaux de transports. Ces flux concernent également la délinquance, qui profite des mêmes facilités de déplacement. Aussi a-t-il été décidé d’étendre le dispositif de la police d’agglomération à d’autres grandes villes comme Lille, Lyon et Marseille. En effet, pour lutter plus efficacement contre le phénomène de délinquance, chaque jour plus mobile, il faut mettre en place une organisation supracommunale qui prenne en compte cette nouvelle réalité qu’est l’agglomération et si possible la confier à une seule et même force. Lorsque les territoires continuent de relever de forces différentes, un renforcement de la coopération s’impose naturellement entre police et gendarmerie. Cette coopération doit être de première importance dans les zones périurbaines, qui constituent des zones tampon entre la ville et la profondeur des territoires. Cette évolution majeure dans l’approche des problématiques de sécurité a vocation à s’étendre à d’autres agglomérations.

Par ailleurs, la logique qui préside à l’organisation des forces de police dans les grandes agglomérations doit également inspirer l’évolution du dispositif sur le reste du territoire où existe un maillage hérité de l’histoire qu’il convient d’améliorer en y apportant les adaptations nécessaires. La sécurité doit être appréhendée, aujourd’hui, sous un angle global et les citoyens qui ne vivent pas dans les grandes agglomérations, qui circulent ou qui séjournent temporairement hors de celles-ci, doivent bénéficier d’un niveau équivalent de sécurité.

À une vision statique de la géographie sécuritaire, il faut substituer une vision dynamique. À l’instar de la police d’agglomération, la police des territoires doit mettre en œuvre, avec les forces de la gendarmerie nationale, une stratégie homogène de la sécurité au profit de la population répartie sur des territoires étendus et hétérogènes.

La police des territoires doit être capable de contrôler des espaces étendus, composés de petites villes, de zones périurbaines et de zones rurales, ainsi que les flux nationaux et internationaux de personnes et de biens qui les traversent. Elle doit être parallèlement en contact permanent avec une population dispersée. Tout en s’appuyant sur le maillage des brigades et l’organisation intégrée de la gendarmerie, elle doit favoriser la subsidiarité et la mobilité des unités appelées à intervenir en dehors de leur périmètre d’action habituel.

Police d’agglomération, police des territoires et mise en cohérence territoriale chaque fois que nécessaire constitueront les éléments clés de l’action engagée pour adapter les forces de police et de gendarmerie aux nouveaux bassins de délinquance.

3. Mieux mobiliser les différentes réponses : prévention, dissuasion et répression

Il ne peut y avoir d’action efficace contre la délinquance qu’à la condition d’agir de façon cohérente et combinée sur les différents leviers que sont la prévention, la dissuasion et la répression, sans omettre la communication qui permet d’expliquer les raisons qui prévalent au choix du mode d’intervention.

La sécurité est une chaîne qui va de la prévention de la délinquance à l’exécution effective d’une peine, mais également jusqu’à la réinsertion du délinquant une fois que sa peine a été exécutée. La prévention doit donc être considérée comme l’un des volets essentiels de la lutte contre la délinquance. La mise en œuvre, à compter du 1er janvier 2010, des dispositions du plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes permet de mobiliser l’ensemble des acteurs de la chaîne de prévention et d’exploiter toutes les possibilités offertes par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 précitée. Cette mobilisation porte tant sur les procédures que sur des objectifs renouvelés, selon des modalités simples, opérationnelles et efficaces. Les maires sont appelés à jouer un rôle fondamental dans la coordination des différents acteurs locaux, en particulier dans le cadre des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance. Ils sont au cœur du dispositif.

Parmi les objectifs de ce plan gouvernemental figure, notamment, le développement de la vidéoprotection, en association avec les maires. La vidéoprotection a un effet préventif et dissuasif certain et son exploitation facilite l’identification des auteurs d’infractions. D’ailleurs, une majorité de Français est favorable à l’installation de caméras pour améliorer la sécurité générale. Selon un rapport de l’inspection générale de l’administration (juillet 2009), les crimes et délits chutent, en effet, deux fois plus vite dans les villes équipées que dans celles où aucun dispositif n’est installé. L’objectif est de tripler en deux ans le nombre de caméras installées sur la voie publique (environ 20 000 en 2009).

C’est ce même souci d’une meilleure coordination des différents leviers que sont la prévention, la dissuasion et la répression qui a conduit à la mise en place des états-majors départementaux de sécurité. Afin d’améliorer et de rendre plus efficace la lutte contre la délinquance, il importait de faire en sorte qu’existe une véritable continuité entre l’action menée sous la responsabilité de l’autorité préfectorale et celle relevant de l’autorité judiciaire. Organe opérationnel du comité départemental de sécurité, l’état-major départemental de sécurité, sous la présidence conjointe du préfet et du procureur de la République, permet un pilotage plus fin et une réponse mieux coordonnée de l’action menée au plan local contre les différents phénomènes criminels et délictuels.

Agir efficacement contre la délinquance c’est, également, mobiliser toutes les ressources juridiques qui peuvent aider au quotidien l’action des services de police et de gendarmerie. C’est notamment le cas des mesures de police administrative. Elles constituent un moyen d’action dont l’utilité est avérée, qu’il s’agisse des pouvoirs de police générale du maire et/ou du préfet, ou qu’elles portent sur des domaines plus spécialisés tels que les débits de boisson, les établissements de nuit, les lieux festifs, les brocantes, vide-greniers, dépôts-vente ou sur la sécurité des établissements recevant du public.

Au-delà de la mobilisation des instruments juridiques existants, il convient d’adapter la législation et la réglementation aux besoins de sécurité et aux évolutions de la délinquance. Les attentes de nos concitoyens évoluent, les besoins de sécurité évoluent, la loi doit aussi évoluer. C’est toute l’ambition de la présente loi qui vise précisément à renforcer la protection des citoyens et la tranquillité nationale. De nouveaux moyens juridiques seront mis en place, comme celui permettant de réprimer plus sévèrement les cambriolages ou les agressions de personnes âgées, ou ceux permettant aux forces de police et de gendarmerie de disposer d’instruments juridiques mieux adaptés aux nouvelles formes de délinquance ou aux possibilités technologiques.

4. Mieux lutter contre les différentes formes de délinquance

Les services de police et de gendarmerie doivent être en mesure de faire face plus efficacement aux différentes formes de délinquance existantes, tout comme ils doivent être en situation de prendre en compte les formes de délinquance émergentes, telles celles relevant, par exemple, de la cybercriminalité. L’action des forces de sécurité s’inscrit, en effet, dans un environnement mouvant et incertain, car le phénomène de délinquance est à la fois évolutif et protéiforme. La délinquance présente une physionomie de plus en plus diversifiée, qu’il s’agisse des délinquants eux-mêmes, avec la part de plus en plus importante prise par les mineurs ou les jeunes femmes, ou des modes opératoires qui s’adaptent en temps réel aux évolutions technologiques ou aux modes d’intervention des forces de sécurité.

La nécessité s’impose de renforcer l’action dans trois domaines prioritaires : la lutte contre le trafic de drogue, la lutte contre les violences aux personnes et notamment contre les bandes, enfin la délinquance des mineurs.

• Les trafics de stupéfiants constituent un véritable fléau par la nature des problèmes qu’ils génèrent. Ils corrompent tout d’abord la jeunesse, favorisent le développement d’une économie souterraine de plus en plus puissante et engendrent de très nombreux actes de délinquance pouvant aller jusqu’à la professionnalisation de certains réseaux criminels.

Aussi le plan global de lutte contre le trafic de drogue prévoit-il d’agir aussi bien contre les gros trafiquants que contre les trafiquants de proximité. Le 11 décembre 2009 a été installé auprès du ministre de l’intérieur un secrétaire général chargé de définir et de mettre en œuvre la politique de lutte contre le trafic de drogue dans le cadre d’une action interministérielle très étroite. La mise en application de ce plan exige une totale implication des états-majors départementaux de sécurité, afin de décliner, au plan territorial, les dispositions du plan national. L’action s’organise à partir de l’élaboration d’une cartographie précise des territoires où s’exercent les trafics. Des opérations « coups de poing » sont organisées dans les quartiers les plus touchés par le phénomène afin de déstabiliser les trafiquants et faire reculer le trafic de proximité, tout spécialement aux abords des établissements scolaires.

Si ce plan appelle à une plus grande mobilisation des structures existantes avec, en particulier, un recentrage de l’activité des groupes d’intervention régionaux (GIR), il prévoit, également, un renforcement des moyens :

– humains, avec notamment l’affectation, depuis le 1er décembre 2009, de cinquante inspecteurs des services fiscaux au sein des « groupes cités » des services de police et de gendarmerie, ou la création de nouvelles unités cynophiles,

– technologiques, dans les domaines, en particulier, de la géolocalisation et de la télédétection,

– ou juridiques, avec la création d’un cadre juridique adapté pour améliorer la circulation et le partage des informations entre les services administratifs, policiers et judiciaires concernés et partager les informations soumises au secret professionnel, pour faciliter l’identification et la saisie des avoirs criminels.

Cet arsenal est complété par un important volet européen et international de nature non seulement à harmoniser les législations et les pratiques professionnelles, mais aussi à échanger encore plus efficacement les informations opérationnelles nécessaires pour combattre les trafics au plan international.

• La lutte contre les violences aux personnes est une préoccupation majeure, tant elle paraît difficile à mener, du moins pour certaines composantes de cet agrégat. C’est le cas, notamment, des violences intrafamiliales sur lesquelles les services de police ou de gendarmerie n’ont qu’une influence minime, dès lors qu’elles se déroulent dans l’intimité du foyer familial et qu’elles ne font pas l’objet d’un signalement. C’est en améliorant les conditions d’accueil dans les commissariats et les brigades et en aidant et accompagnant celles et ceux qui ont le courage de briser la loi du silence qu’on parviendra à améliorer la prévention de ces comportements et à être plus efficace dans la répression des auteurs de ces actes de maltraitance. La mise en place, en octobre 2009, de brigades de protection de la famille vise à mieux faire face à ces situations difficiles qui touchent les publics particulièrement vulnérables comme les femmes battues, les mineurs victimes de violences et les personnes âgées maltraitées.

Mais les atteintes à l’intégrité physique sont aussi, et trop souvent, le fait de bandes, plus ou moins organisées, qui terrorisent un quartier, un immeuble et/ou un moyen de transport et tentent d’imposer par la violence leur propre vision du monde. Lutter contre ce phénomène étroitement lié à ceux de la drogue et de l’économie souterraine est une nécessité absolue. Dès le mois d’octobre 2009, des groupes spéciaux d’investigation sur les bandes ont été mis en place dans les trente-quatre départements les plus touchés par les violences urbaines et des référents ont été désignés dans tous les autres services. Par ailleurs, la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif à la prévention des atteintes à la sécurité publique permet, désormais, de remplir plus efficacement la mission de prévention des phénomènes de violence et donc, de mieux lutter contre les bandes. En région parisienne, la mise en œuvre de la police d’agglomération qui permet de coordonner l’action de 33 000 policiers sous le commandement unique du préfet de police facilite les synergies opérationnelles et renforce l’efficience des services dans la lutte contre les violences et les bandes. Enfin, l’incrimination de l’appartenance à une bande violente complétera utilement l’arsenal législatif en la matière.

• La délinquance des mineurs constitue le troisième axe sur lequel les forces de sécurité doivent faire porter leurs efforts. En effet, la part des mineurs dans la délinquance générale s’élève à 18 %. Le nombre total des mineurs mis en cause a progressé de 15,21 % entre 2002 et 2008. De surcroît, ces mineurs délinquants sont de plus en plus jeunes. Ces mineurs sont majoritairement impliqués dans des faits de dégradations, de vols, de violences ou d’infractions à la législation sur les stupéfiants. La loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 précitée établit un cadre général d’action pour combattre la banalisation de la violence, depuis les incivilités à l’école jusqu’aux bagarres entre bandes. Au-delà de l’activité des brigades de protection de la famille et des brigades de prévention de la délinquance juvénile, les référents et correspondants police-jeunesse développent des actions de prévention en direction de la jeunesse. Les correspondants sécurité-écoles remplissent également ce rôle dans le cadre du partenariat établi avec l’éducation nationale. Les policiers et gendarmes formateurs anti-drogue sensibilisent les jeunes en milieu scolaire. Le concept de sanctuarisation de l’espace scolaire (SAGES) mis en place par la gendarmerie contribue à améliorer la sécurité des établissements les plus sensibles. Le plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes 2010-2012 prévoit une batterie de mesures pour mieux prévenir la délinquance des mineurs, notamment de ceux qui sont déscolarisés. Parmi celles-ci figure la systématisation de l’échange d’informations entre acteurs concernés pour faciliter le repérage des mineurs dont la situation est préoccupante au regard du risque de passage à l’acte ou de récidive, ainsi que le renforcement de la collaboration entre les institutions pour assurer une réponse rapide et adaptée qui s’adresse tant aux mineurs concernés qu’à leur famille. Les brigades de protection de la famille sont mobilisées dans le cadre de ce plan en vue, également, d’initier et d’animer des actions de prévention. Des mesures plus dissuasives sont à l’étude, comme celles consistant à permettre aux préfets de décider d’un couvre-feu ciblé pour des mineurs de 13 ans.

5. Préparer l’avenir

Il s’agit, d’abord, de faire en sorte que les forces de sécurité puissent s’adapter aux évolutions de la délinquance liées aux nouvelles technologies. Cela passe à la fois par la recherche, mais également par l’acquisition de nouveaux équipements et la formation des personnels. Le développement des nouvelles technologies doit être mis à profit dans tous les domaines intéressant l’activité des services, aussi bien dans les missions de sécurité générale qu’en matière de lutte anti-terroriste ou d’investigation judiciaire : traitement de l’information et des données techniques, moyens de communication, d’observation et d’enregistrement, vidéoprotection, biométrie, matériel roulant, moyens aériens et nautiques, systèmes de signalisation, armement, équipements de protection...

La préparation de l’avenir nécessite, aussi, de conforter la protection du territoire et de la population, en France comme à l’étranger, d’une part contre les menaces terroristes ou extrémistes et, d’autre part, contre les nouvelles formes d’insécurité susceptibles de se développer au niveau mondial. Déjà, la globalisation économique permet une propagation de la criminalité organisée ; la multiplication des conflits extérieurs porte la menace d’une possible transposition sur notre territoire ; les infrastructures critiques d’importance vitale constituent des cibles potentielles pour les organisations criminelles et le cyberespace devient le champ d’action des criminels de tous genres. La vigilance est donc de rigueur et doit rester tendue vers la détection des signaux faibles, précurseurs ou annonciateurs de menaces ou de crises imminentes.

D’autres vulnérabilités, liées aux évolutions sociales et sociétales, sont à prendre en compte dès à présent. C’est précisément le cas du vieillissement démographique qui donne naissance à de nouvelles fragilités. Les personnes âgées sont notamment des cibles privilégiées dans le cadre du développement des escroqueries et de la délinquance itinérante. Elles sont, en outre, beaucoup plus sujettes aux pressions et sollicitations de leur entourage, comme elles sont plus exposées aux infractions sanitaires et sociales au sein des établissements spécialisés ou à domicile. Cette problématique particulière a fait l’objet d’une mission temporaire confiée par le Premier ministre à M. Édouard Courtial, député, afin d’analyser les besoins de sécurité liés au vieillissement de la population et de proposer un plan d’action.

Préparer l’avenir, c’est aussi développer de nouvelles relations entre les forces de sécurité et la population. Seules une police et une gendarmerie exemplaires, c’est-à-dire agissant dans le respect des valeurs républicaines, peuvent être efficaces. Cette efficacité réside dans la qualité de la réponse que les deux forces apportent aux attentes du corps social dont elles procèdent et qui les a investies. La déontologie est donc au cœur des relations entre les représentants des forces de sécurité et les citoyens. C’est parce que la déontologie est et sera respectée que s’établira un véritable lien de confiance avec la population. C’est le respect de la déontologie qui permet d’affirmer le sens du discernement et de conforter l’éthique de la responsabilité, gages du professionnalisme des policiers et des gendarmes.

La qualité de ce lien tissé avec la population sera d’autant plus grande que les victimes seront prises en charge avec toute la considération qui leur est due. L’aide aux victimes constitue l’une des quatre priorités du plan national de prévention de la délinquance. C’est dans ce cadre que sera développé le dispositif des intervenants sociaux dans les services de police et de gendarmerie, de même que les permanences d’associations d’aide aux victimes. L’expérimentation de la pré-plainte en ligne puis, le cas échéant, son extension, peut contribuer à améliorer l’accueil des victimes en facilitant les démarches des usagers, et des initiatives nouvelles seront prises pour favoriser le dialogue entre les forces de sécurité et la population et, notamment, avec les jeunes.

Tous les ans, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales procédera en liaison avec l’Institut national de la statistique et des études économiques à une enquête nationale de victimation dont les résultats seront publiés.

Enfin, les états statistiques existants seront enrichis dans leur contenu et adaptés dans leur présentation. Au terme de la réflexion conduite avec l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), seront proposés de nouveaux outils qui offriront non seulement un support de communication pertinent, mais également les moyens de mieux mesurer les attentes de la population et de permettre un pilotage plus fin de l’activité des services, ainsi que des indicateurs appropriés pour évaluer la performance des différents services et des principaux acteurs, et les résultats concrets obtenus en matière de lutte contre l’insécurité.

II. – OPTIMISER L’ACTION DES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE DANS LE CADRE DU RAPPROCHEMENT POLICE/GENDARMERIE

La gendarmerie nationale est placée sous l’autorité fonctionnelle du ministre de l’intérieur depuis le 15 mai 2002 pour ses missions de sécurité intérieure. La loi n° 2009-971 du 3 août 2009 précitée a scellé son rattachement organique, tout en garantissant le statut militaire de la gendarmerie. Le rapprochement des deux forces sous un seul et même commandement est une réforme majeure et structurante pour les années à venir. Il ne s’agit pas d’instaurer une concurrence entre police et gendarmerie, mais de développer les complémentarités dans un but essentiellement opérationnel. L’objectif est, en effet, de donner plus d’efficacité aux dispositifs de sécurité, certes en mutualisant les moyens, mais surtout en développant les synergies et en renforçant la maîtrise des territoires. Beaucoup a déjà été entrepris en ce sens, mais la symbiose ne pourra être effective qu’à la condition d’être progressive et résolue pendant la période couverte par la LOPPSI.

1. Optimiser la coopération et la complémentarité opérationnelles

La coopération doit être développée dans le domaine opérationnel, comme c’est déjà le cas au sein des groupes d’intervention régionaux (GIR), des offices centraux, du réseau des attachés de sécurité intérieure ou de la coordination des forces mobiles.

Un travail d’analyse systématique des compétences opérationnelles et des actions des deux forces a été engagé. Il doit déboucher sur un schéma d’organisation des forces de sécurité intérieure qui soit le mieux adapté à l’efficacité opérationnelle dans les différents domaines d’activité, comme le renseignement, la sécurité générale, l’ordre public, la police judiciaire ou la coopération internationale. Ce schéma, qui tendra à réduire les doublons et les redondances, proposera, selon les cas, de désigner une direction pilote, de mettre en place une structure d’action commune, d’élaborer un protocole de coopération ou de dégager des doctrines d’emploi ou des règles d’action communes. Cette démarche engagée au deuxième semestre 2009 sera menée à bien dans le courant de l’année 2010. D’ores et déjà, il a été décidé de créer une structure d’action commune dans le domaine de la coopération internationale. En outre, les systèmes d’information et de commandement et les technologies de la sécurité intérieure participant directement à l’efficacité et à la modernisation des forces, il a été décidé de créer une structure commune pour favoriser les synergies.

Au-delà de ces ajustements, il s’agira de réaliser une approche plus globale en termes d’organisation, de couverture territoriale et de fonctionnement des forces de sécurité intérieure.

Ainsi, les ressources de la police et de la gendarmerie doivent être optimisées pour répondre au mieux aux attentes de la population en prenant en compte la réalité de la délinquance et son évolution. L’effort doit porter sur la recherche de la meilleure adaptation, localement, du dispositif tout en préservant les liens de confiance avec la population, en améliorant la capacité de lutte contre les diverses formes d’insécurité et en mettant à profit le développement des nouvelles technologies.

La mise en œuvre des redéploiements des zones de sécurité publique entre les deux forces, associée à l’évolution des charges auxquelles la gendarmerie et la police devront faire face, nécessitera une adaptation des modes d’organisation et de fonctionnement. Le cadre réglementaire régissant la compétence territoriale de la gendarmerie et de la police nationales sera aménagé afin d’assurer une plus grande cohérence opérationnelle pour couvrir les différents bassins de délinquance.

Les missions de garde et d’escorte au profit des centres de rétention administrative (CRA) seront intégralement transférées à la police aux frontières ; le schéma des forces mobiles de la gendarmerie sera aménagé pour tenir compte de ce transfert. Plus généralement, l’évolution des missions des forces mobiles de la gendarmerie et de la police rendra nécessaire une adaptation de leurs conditions d’emploi.

Tout en garantissant une qualité de l’offre de sécurité au moins équivalente selon le mode d’organisation et de fonctionnement propre à chaque force, l’attention sera portée notamment sur un rééquilibrage des moyens entre les territoires. Les délais d’intervention devront rester adaptés à la nature des zones, au nombre et à la fréquence des sollicitations.

Tirant les enseignements de la généralisation des différents contrôles automatisés, les modalités d’emploi des unités spécialisées en sécurité routière seront également réaménagées et un effort particulier sera consacré au réseau dit secondaire.

2. Systématiser la mutualisation des moyens et des actions de gestion en matière de ressources humaines

Au plan de l’appui opérationnel, la lutte contre les violences urbaines, les troubles graves à l’ordre public et l’immigration clandestine imposent l’intensification du recours aux moyens spécialisés.

Dans ce cadre, afin d’optimiser l’utilisation des matériels dont les coûts d’acquisition et de maintenance sont particulièrement élevés, les moyens aériens et nautiques, les véhicules blindés et les fourgons-pompes de la police et de la gendarmerie seront engagés au profit des deux forces. Les bornes de signalisation par empreintes digitales de la police pourront dans certains départements être ouvertes aux services de gendarmerie.

Pour ce faire, des protocoles seront systématiquement établis pour compenser les coûts liés à l’augmentation d’activité, coordonner l’engagement de ces moyens et garantir une réactivité optimale.

La convergence sera activement engagée en matière d’équipements automobiles et de moyens de communication. Les deux forces opérationnelles se doteront massivement de systèmes embarqués dans les véhicules d’intervention.

Après l’achèvement du déploiement du réseau de communication de la police (ACROPOL), une convergence des nouveaux vecteurs de communication des différents services de la sécurité intérieure devra être recherchée pour une interopérabilité complète, à terme, de leurs réseaux de transmission. Les réseaux seront ouverts progressivement aux autres services contribuant à la sécurité dans la limite des ressources disponibles du réseau. Des modalités de gestion opérationnelle seront déterminées pour gérer le partage des ressources des réseaux ACROPOL (police et gendarmerie mobile) et ANTARES (réseau de communication des services départementaux d’incendie et de secours et de la sécurité civile) dans le cadre de la mise en place d’une infrastructure partagée des télécommunications.

Sur la base de ces réseaux, les centres d’information et de commandement (CIC) de la police seront modernisés pour fournir une réactivité optimale des forces. S’agissant des forces de gendarmerie, la poursuite du système départemental de centralisation de l’information COG RENS (projet ATHENA adossé au réseau RUBIS) offrira des fonctionnalités similaires.

L’optimisation des moyens de transports à vocation logistique sera assurée entre la gendarmerie et la police aux niveaux national et local.

La sécurité civile sera pleinement associée à cette démarche, notamment en ce qui concerne les aéronefs, les bases et la politique de maintenance. Dans le respect des objectifs opérationnels, cette mutualisation sera particulièrement recherchée outre-mer, où le ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales se verra confier à partir de 2012 de nouvelles responsabilités en lieu et place des armées.

Le domaine des prestations de soutien constitue un champ de mutualisation privilégiée entre police et gendarmerie, notamment dans les domaines suivants : immobilier, moyens d’entraînement, équipement et maintenance automobile, police technique et scientifique, risque NRBC (nucléaire, radioactif, bactériologique et chimique).

Mutualiser l’immobilier

S’agissant de l’immobilier, le redéploiement des zones de compétence entre police et gendarmerie, au cours des cinq prochaines années, conduira à un partage des implantations immobilières selon la nature des futurs services compétents.

Ce redéploiement des zones de compétence s’accompagnera d’une réorganisation de la conduite d’opérations. Les secrétariats généraux pour l’administration de la police (SGAP) sont appelés à devenir les services constructeurs de droit commun pour l’ensemble du ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales. Quant à la définition et la mise en œuvre de la politique immobilière de la police et de la gendarmerie, elles sont confiées au secrétaire général du ministère sur la base des priorités définies par les deux directions générales concernées.

Une expérimentation de mutualisation et d’externalisation de la maintenance des infrastructures est actuellement menée en régions Auvergne et Limousin. Les résultats de cette expérimentation pourront conduire à une extension du dispositif à d’autres régions.

Des moyens d’entraînement communs

L’utilisation d’un centre d’entraînement commun à la lutte contre les violences urbaines sera favorisée dans l’optique du développement de standards européens, dynamique déjà engagée, par exemple, avec le centre national d’entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier (Dordogne).

De même, la formation à des spécialités communes à la police et à la gendarmerie pourra être mutualisée dans une même école ou un même centre.

Mutualiser l’équipement et le soutien automobile

Sauf exception, la mutualisation des achats, des équipements ainsi que du soutien automobile est désormais la règle entre les deux forces.

En matière d’habillement, la police nationale a externalisé cette prestation. La gendarmerie nationale mettra en œuvre des modalités d’externalisation de la gestion de son habillement.

Le nouveau site logistique de la police nationale de Limoges assurera désormais le soutien des armes et la transformation des véhicules spécifiques pour les deux forces.

Ses activités sont complémentaires de celles du site de la gendarmerie nationale du Blanc (Indre) qui se spécialisera dans le soutien des effets de matériels de protection et la mutualisation des transports de matériels en métropole et en outre-mer.

La complémentarité de ces deux sites permettra de rendre plus performante la coopération entre les deux forces, à commencer par la mutualisation, au Blanc, de la chaîne de reconditionnement des gilets pare-balles.

Le service de diffusion de la gendarmerie de Limoges exerce ses activités au bénéfice des deux forces.

Sur l’ensemble du territoire, police et gendarmerie ont engagé des actions en vue de mutualiser leurs ateliers de soutien automobile. Plus de soixante-dix projets sont aujourd’hui en cours d’étude, qui seront déclinés dans des plans zonaux de mutualisation du soutien automobile.

Enfin, la passation de marchés mutualisés de véhicules spécifiques a permis à la police et à la gendarmerie d’optimiser leurs coûts d’achats et d’entretien.

La définition conjointe de futurs véhicules permettra une optimisation financière dans la passation des marchés mais aussi une rationalisation déjà engagée dans le soutien mutuel.

Complémentarité dans le domaine de la police technique et scientifique

Dans le domaine de la police technique et scientifique, une complémentarité technique des interventions sera organisée, fondée sur la recherche du plus haut niveau de professionnalisme disponible sur un territoire donné, à l’instar de l’unité nationale d’identification des victimes de catastrophes (UNIVC). De même, l’harmonisation des technologies de pointe utilisées et leur concentration sur des sites uniques spécialisés par domaine particulier seront examinées et mises en œuvre le cas échéant. Une complémentarité technique pourra être étudiée dans certains départements en matière de recherche et de traitement des indices dans les plateaux techniques locaux. Des expérimentations ponctuelles pourront être proposées pour en évaluer les possibilités.

Une gestion partagée du risque NRBC

Comme le livre blanc sur la défense et la sécurité l’a souligné, l’évolution des menaces et des risques NRBC (nucléaire, radioactif, bactériologique et chimique) impose d’améliorer et de renforcer la coordination des capacités de protection et de conduire des programmes de recherche et d’équipement.

Cet effort s’impose en tout premier lieu à la direction de la sécurité civile. Celle-ci devra disposer des capacités mobiles d’identification des agents chimiques et biologiques. Ainsi, est retenu l’objectif d’un parc de 16 véhicules de détection, prélèvement et identification biologique et chimique, et son évolution au fur et à mesure des avancées, pour assurer la couverture des seize principales agglomérations de métropole. De plus, le nombre de chaînes de décontamination mobiles sera triplé (68 en 2008) d’ici 2013, avec une attention particulière aux moyens disponibles dans les départements et collectivités d’outre-mer (DOM-COM).

Ainsi, l’interopérabilité entre le détachement central interministériel (DCI), chargé de l’intervention technique sur tout engin, et les unités d’intervention de la police et de la gendarmerie, dont l’action est tournée contre les auteurs d’une menace terroriste, sera développée. Cette complémentarité doit être obtenue et exploitée tant lors des phases préventives (détection, sécurisation des lieux, protection des cibles potentielles) que lors des phases d’intervention (neutralisation de la menace d’origine humaine, démantèlement de l’engin NRBC) ou de police judiciaire (préservation de la preuve), en garantissant la continuité des opérations.

Enfin, conformément aux préconisations du livre blanc, sera projetée la création d’un centre national de formation en matière NRBC. Ce centre aura vocation à regrouper l’ensemble des services, civils et militaires, susceptibles d’intervenir à ce titre. Il devra ainsi concourir à renforcer l’efficacité de l’État.

Mutualiser des actions de gestion en matière de ressources humaines

Au-delà des démarches déjà engagées de mutualisation dans le domaine logistique, d’autres formes de partenariat seront explorées, concernant notamment certains aspects du recrutement et de la formation, ainsi que certaines mesures relatives à l’accompagnement des gendarmes adjoints volontaires et des adjoints de sécurité.

S’agissant du recrutement, le partenariat doit permettre des économies d’échelle. Ainsi, dans le respect des conditions d’emploi attachées à l’état de militaire ou de fonctionnaire civil, la cohérence et la complémentarité des dispositifs de recrutement des deux institutions, dans l’organisation matérielle de la sélection, seront recherchées. En outre, les emplois de soutien techniques et administratifs des deux forces relèvent d’une même logique fonctionnelle et nécessitent le recrutement d’agents titulaires de qualifications identiques.

La gendarmerie, qui développera largement le recours aux personnels civils à l’occasion de la LOPPSI, fera appel aux moyens ministériels pour former ses nouveaux collaborateurs.

La formation des plongeurs des deux forces de sécurité sera assurée dans le centre existant de la gendarmerie implanté à Antibes. Des projets de mutualisation des centres de formation des maîtres-chiens et des motocyclistes sont actuellement à l’étude, une expertise de la faisabilité des opérations de regroupement étant en cours. La police, en étroite coordination avec la gendarmerie, assurera des formations spécialisées dans le domaine du renseignement et de la prévention situationnelle.

Enfin, la logique d’accompagnement des gendarmes adjoints volontaires et des adjoints de sécurité dans leur recherche d’emploi à l’issue de leurs contrats successifs est développée par les deux forces de sécurité. Cette démarche d’accompagnement sera étroitement concertée.

III. – ACCROÎTRE LA MODERNISATION DES FORCES EN INTÉGRANT PLEINEMENT LES PROGRÈS TECHNOLOGIQUES

1. Des policiers et des gendarmes mieux équipés pour faire face aux nouvelles menaces

Des tenues plus protectrices

Les phénomènes de violences urbaines et les agressions dirigées contre les forces de l’ordre, de plus en plus par usage d’armes à feu, rendent nécessaire l’adaptation continue des équipements des policiers et des gendarmes. Les exigences sont accrues en matière de résistance des matériaux utilisés pour les tenues ainsi que pour les véhicules : nouveaux textiles, nouvelles matières pour les effets pare-coups, les casques, les visières, les boucliers, etc.

Les risques croissants auxquels sont exposés les policiers justifient de passer d’une logique de dotation collective à un régime de dotation individuelle du casque pare-coups. Dans cette perspective, 40 000 casques seront acquis pour compléter l’équipement des policiers d’ici la fin 2010.

Les militaires de la gendarmerie mobile seront équipés d’une tenue d’intervention de nouvelle génération, de conception modulaire (insertion de coques souples ou rigides selon le besoin, protection contre les projections de produits corrosifs), tout en maintenant un certain confort grâce, notamment, à une meilleure isolation thermique. Par ailleurs, 4 000 gilets pare-balles à port apparent ainsi que des pare-coups et des chasubles d’emport pour les pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) viendront améliorer la protection individuelle des gendarmes départementaux servant dans les zones les plus exposées.

Des moyens gradués d’intervention, notamment les moyens de force intermédiaire

La police et la gendarmerie se sont dotées depuis 1995 de lanceurs de balles « Flash Ball Super pro » de calibre 44 millimètres et de la grenade de dispersion.

Depuis 2006, elles ont engagé conjointement des procédures d’acquisition du pistolet à impulsions électriques, du lanceur de balles de défense (LBD de calibre 40x46 millimètres) et du dispositif d’interception des véhicules automobiles permettant la neutralisation d’un véhicule en toute sécurité par le dégonflage progressif des pneumatiques.

Au sein de la gendarmerie, le déploiement de dix stands de tir mobiles (en mutualisation avec la police nationale) dans les centres de formation et les départements les plus sensibles (également mutualisés avec la police nationale) permettra de parfaire la maîtrise des armes en dotation.

Le lanceur de balles de défense de 40x46 millimètres sera généralisé par l’acquisition de 4 300 matériels supplémentaires destinés aux unités spécialisées de la police (2 500) et de la gendarmerie (1 800) nationales.

Différents équipements, armes et munitions seront développés en partenariat pour diversifier la réponse à la violence : munitions marquantes, lacrymogènes, cinétiques, éblouissantes, incapacitantes, assourdissantes. Une attention particulière sera portée au développement de technologies nouvelles (générateurs de sons, munitions électriques, ...).

L’équipement de la gendarmerie mobile en moyens lourds de dégagement et d’appui au déplacement (engin du génie EGAME) ainsi que de neutralisation d’axes (dispositif de retenue du public DRAP dans la catégorie des barres ponts) sera poursuivi.

Des moyens d’observation adaptés à l’intervention nocturne en milieu urbain

Les équipements discrets pour les services de renseignement ou d’investigation permettront d’établir la participation à des faits délictueux et violents à base d’enregistrements numériques.

Un équipement automobile, instrument de la lutte contre la délinquance

Afin de prévenir toute contestation sur les modalités d’intervention des forces de l’ordre, l’expérimentation de vidéo embarquée dans les véhicules légers, engagée en 2006 dans la police et la gendarmerie nationales, sera étendue. Cette avancée technologique, corrélée à celle de la montée en puissance des centres d’information et de commandement de la police et des centres opérationnels de la gendarmerie, permettra un pilotage en temps réel des interventions des effectifs de la police nationale et des patrouilles de la gendarmerie nationale.

Le parc automobile s’adaptera aux phénomènes de violences urbaines. Ainsi, les compagnies d’intervention de la police nationale disposeront sans délai de véhicules adaptés à la nature de leurs missions et aux risques auxquels les personnels sont exposés.

Les policiers et les gendarmes, notamment ceux appelés à intervenir dans les zones sensibles, seront équipés de véhicules à la maniabilité et à la protection renforcées, intégrant des dispositifs de liaison permanente entre les personnels embarqués et au sol.

2. Des technologies nouvelles au service de la sécurité du quotidien

Au-delà de la poursuite des programmes déjà engagés, de nouveaux programmes visant une rupture technologique seront développés notamment en ce qui concerne la vidéoprotection, la biométrie, les moyens aériens de type drones et les outils de traitement de l’information.

Des technologies nouvelles embarquées pour un emploi plus rationnel des effectifs

Elles offrent, grâce à la sécurisation et au développement de la transmission des données, des outils de consultation des fichiers et des moyens de contrôle sur le terrain qui permettent aux policiers et aux gendarmes d’être plus efficaces dans leur travail de contrôle, mais aussi plus réactifs vis-à-vis de la population.

Dans cette optique, l’informatique embarquée dans les véhicules de police sera développée afin de faciliter la consultation des fichiers à distance.

D’ici à 2013, l’ensemble du parc des véhicules sérigraphiés de la sécurité publique et des CRS (10 000 véhicules) devra être équipé en terminaux embarqués polyvalents. La gendarmerie nationale a achevé en 2009 l’équipement des terminaux informatiques embarqués (TIE) de 6 500 véhicules et 500 motocyclettes.

La lecture automatique des plaques d’immatriculation

Le dispositif prévu par la loi de lutte contre le terrorisme de janvier 2006, actuellement en cours d’expérimentation, sera déployé par la police et la gendarmerie. Les douanes s’associeront au programme qui sera constitué de systèmes fixes et mobiles. Un système central permettra de traiter plus spécifiquement des données liées à la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. 500 véhicules seront équipés du dispositif mobile.

Le renforcement des moyens de renseignement et de lutte contre le terrorisme

La collecte d’informations et le traitement des données seront favorisés pour permettre de détecter les signaux faibles en amont de la commission d’attentat. Les outils de fouille opérationnelle, d’analyse de texte et des bases de données et la lutte contre le terrorisme NRBC sont autant d’axes de développement. L’effort d’équipement porte aussi sur le pistage de nouvelle génération miniaturisé, le traitement des données techniques liées à la téléphonie et à l’utilisation des réseaux IP, l’interception et le renseignement transfrontière.

La capacité de contre-renseignement sera également accrue par le déploiement de scanners plus performants, l’interception et le brouillage des téléphones portables et satellitaires.

Une vidéo plus largement utilisée

L’usage de la vidéo sera intensifié pour améliorer l’efficacité de l’action policière avec le développement d’une vidéoprotection moderne et normalisée, des caméras embarquées, des moyens vidéos pour lutter contre les violences urbaines, etc.

L’enjeu sera avant tout de traiter les informations et d’intégrer à l’ensemble des flux vidéos l’intelligence logicielle capable d’apporter des réponses rapides pour prévenir l’infraction ou encore apporter des éléments utiles aux enquêteurs. Des outils d’exploitation seront mis en place aux niveaux national et local. En particulier, le cas de l’exploitation des données massives post-attentat fera l’objet d’un projet dédié.

Un plan de développement de la vidéoprotection est en cours de déploiement par le ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, pour tripler (de 20 000 à 60 000) le nombre de caméras sur la voie publique et permettre aux services de police et de gendarmerie d’accéder aux images. 75 villes ont bénéficié en 2009 d’un accompagnement financier par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) pour compléter les installations existantes.

Au-delà de l’installation des caméras, l’effort portera sur la qualité des matériels et des images, sur le raccordement des centres d’information et de commandement (CIC) de la police et des centres opérationnels de la gendarmerie (COG) aux dispositifs de vidéoprotection urbaine et sur leur équipement en moyens de visualisation des images.

À Paris, la préfecture de police bénéficiera du renforcement de son réseau de vidéoprotection pour le porter au total à environ un millier de caméras. Afin d’optimiser le coût global de cette opération, une solution de contrat en partenariat public-privé a été retenue et sa mise en œuvre est en cours.

Des outils plus performants au service de l’investigation judiciaire et de la lutte contre la cybercriminalité

Les outils technologiques devront contribuer de façon majeure à l’investigation judiciaire pour faire sensiblement progresser l’élucidation.

Les outils de lutte contre la cybercriminalité seront généralisés et renouvelés pour permettre d’être en phase avec ce type de criminalité très évolutive. En particulier, la lutte contre les usages illicites d’internet, comme la radicalisation religieuse ou la pédopornographie, fera l’objet de mesures particulières.

Pour améliorer le taux d’élucidation de la délinquance et mettre davantage en évidence le caractère multiréitérant de nombreux auteurs de faits, les forces de sécurité s’engageront dans le déploiement de dispositifs de détection des phénomènes sériels. La multiréitération pourra ainsi être mieux prise en compte sur le plan pénal.

La modernisation de la gestion de l’urgence et des grands événements

Les centres d’information et de commandement (CIC) de la police nationale seront modernisés. Ils constitueront ainsi de réels centres opérationnels recueillant l’ensemble des données permettant une analyse des situations.

Après les 35 premiers centres achevés et livrés fin 2009, la poursuite du déploiement devra tenir compte des besoins nouveaux affichés : équipement de la préfecture de police, équipement des aéroports et des centres zonaux de la police aux frontières, équipement des centres de commandement autoroutiers CRS. Ces sites seront équipés de nouvelles installations qui permettront notamment de mettre en place la géolocalisation des équipages en véhicules et à pied, de rationaliser et professionnaliser la gestion des appels de police-secours, de mettre à disposition des référentiels cartographiques, d’exploiter les données de vidéoprotection urbaines et d’optimiser l’emploi des forces dans la logique de la police d’agglomération.

Avec le développement et la réalisation du projet ATHENA, la gendarmerie lancera la modernisation des COG dans chaque département. Le système de centralisation de l’information départemental offrira des fonctionnalités nouvelles dans la centralisation des appels, la gestion du renseignement et la gestion des interventions par géolocalisation.

La gendarmerie poursuivra le déploiement de systèmes de retransmission des images captées par les caméras gyrostabilisées installées sur les nouveaux hélicoptères légers de surveillance. Ce moyen constituera un dispositif d’aide à la décision précieux à l’occasion des événements majeurs. Il sera donc interopérable avec les systèmes d’information de la police afin de renvoyer les images dans les CIC et les COG.

La police déploiera son programme de minidrones d’observation et poursuivra la location d’avions pour les missions d’observation et d’appui. L’usage des moyens aériens sera mutualisé entre les deux forces, en liaison avec les moyens techniques, logistiques et humains de la sécurité civile.

Pour faire face aux situations de crise, la police mettra en place un système spécifique de gestion de crise et de prises d’otages. Il accompagnera la montée en puissance de la force d’intervention de la police nationale (FIPN).

Parallèlement, la gendarmerie poursuivra la montée en puissance de son état-major de projection et de gestion de crise. Conjugué à la réorganisation récente du groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), ce dispositif permettra d’accroître les capacités de riposte face aux situations extrêmes, telles que les prises d’otages de masse ou complexes, tant sur le territoire national qu’à l’étranger. Doté de structures modulaires transportables avec systèmes de communication intégrés, cet état-major viendra appuyer les échelons de commandement locaux pour la planification et la conduite de services majeurs de sécurité occasionnés, notamment, par des déplacements d’autorités de premier plan ou par des grands rassemblements de personnes.

Un renforcement des moyens de la police scientifique et technique

En priorité, une solution immobilière sera trouvée pour l’implantation des laboratoires de la région parisienne. Leur relogement devra prendre en compte, d’une part, la forte augmentation prévisionnelle des effectifs de la police scientifique parallèlement à la poursuite de la substitution entre actifs et administratifs, d’autre part, la nécessaire modernisation des moyens de fonctionnement des laboratoires. Ce sera aussi l’occasion de renouveler certains outils de laboratoire.

Dans le même temps, le transfert de l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), dont la construction du pôle génétique est déjà amorcée, et du service technique de recherche judiciaire et de documentation (STRJD) sera conduit à son terme sur le site de Pontoise. L’ensemble des capacités judiciaires nationales spécialisées de la gendarmerie seront ainsi regroupées sur ce site dans une logique de cohérence des procédures et des protocoles d’enquêtes.

Le changement de génération du fichier automatisé des empreintes digitales (FAED) et du fichier national des empreintes génétiques (FNAEG) permettra le traitement des empreintes palmaires, l’échange avec les pays signataires du traité de Prüm et l’accélération des temps d’exploitation des traces.

La modernisation des moyens employés sur la scène de crime doit permettre de doter les techniciens de police technique et scientifique de tous les moyens de détection utilisables pour accéder et faciliter a posteriori le traitement des données recueillies.

L’accroissement du nombre de personnes signalées dans le fichier national des empreintes génétiques (FNAEG) conduira à une augmentation des prélèvements sur les scènes d’infractions liées à la délinquance de masse afin d’améliorer le taux de résolution des affaires. Les laboratoires de police scientifique (INPS et IRCGN) devront être en mesure de traiter de nouveaux flux (individus et traces) en se dotant de chaînes analytiques adaptées.

La gendarmerie renforcera ses outils permettant une élucidation des infractions à partir de l’analyse des phénomènes sériels et d’une analyse des phénomènes de flux de délinquance.

Une recherche en sécurité au service de la performance technologique

Facteur plus général de changement, la recherche en sécurité doit s’inscrire au cœur de l’action de soutien aux forces de l’ordre.

La création d’un centre de recherche moderne au périmètre élargi aux forces de sécurité intérieure et doté de moyens renforcés apparaît à ce titre indispensable. Il veillera à la bonne application des orientations retenues sous la gouvernance d’un conseil scientifique qui sera créé.

La recherche visera notamment à trouver les solutions innovantes dans des domaines tels que les dispositifs d’arrêt de véhicules, la détection de drogues et d’explosifs, la protection des fonctionnaires, la miniaturisation des capteurs, la vidéoprotection intelligente, la transmission de données sécurisée, la fouille des données sur internet, la reconnaissance faciale, les nouvelles technologies de biométrie...

Une ligne de crédits sera donc dégagée pour favoriser l’implication des petites et moyennes entreprises innovantes dans ces travaux et participer aux travaux de normalisation intéressant la sécurité.

3. La modernisation du système d’alerte des populations

En dehors des 2 000 sirènes communales, le réseau national d’alerte, composé de 4 300 sirènes dont 3 900 opérantes, date de 1950. Ni sa technologie obsolète, ni sa vocation, ni son implantation ne répondent plus aux objectifs actuels, a fortiori ceux de demain. Il est donc indispensable d’adopter un nouveau système d’alerte.

Celui-ci, présent dans les grandes agglomérations et les bassins de risques, devra pouvoir utiliser les technologies les plus modernes et être déclenché de manière sélective. En particulier, le nouveau système d’alerte devra être en mesure de répondre aux risques de tsunami.

Le nouveau système sera réalisé d’ici la fin de la période de programmation de la LOPPSI : il comprend une modernisation du réseau traditionnel, ainsi que la mise en œuvre d’un système permettant la diffusion de l’alerte dans un périmètre défini par l’envoi de messages SMS à tout détenteur de GSM (système dit « cell broadcasting »), ainsi que l’établissement de conventions de partenariat avec les médias.

4. Des technologies nouvelles au service des victimes

Les moyens technologiques doivent contribuer à la qualité du service offert aux citoyens et en particulier aux victimes, au-delà de l’amélioration de l’efficacité des forces de l’ordre en matière de prévention des crimes et délits et de leur élucidation.

Des procédures dématérialisées

L’utilisation d’internet pour le signalement des faits et la disponibilité des bases d’information ou documentaires sont des vecteurs d’amélioration de la satisfaction des citoyens. Ces innovations doivent être envisagées en toute sécurité pour ne pas altérer la confiance que le public porte aux forces de l’ordre.

Des auditions des gardes à vue enregistrées pour une plus grande sécurité

Dans le cadre de la réforme de la justice, ce dispositif contribuera à mieux sécuriser les procédures et donc à améliorer la qualité du service fourni aux victimes.

Un accueil irréprochable

Il reste une priorité en phase avec les nouveaux modes de vie de nos concitoyens. La confidentialité des échanges sera facilitée par un réaménagement des locaux d’accueil. Un réseau de bornes visiophoniques, déployé dans les 4 300 unités de gendarmerie, permettra de mieux répondre aux sollicitations du public et des plaignants.

Ces efforts d’accueil devront d’ailleurs s’inscrire dans une démarche globale de qualité, pour offrir le meilleur service au public. Le développement de projets de service aux différents niveaux de l’organisation garantira l’adaptation permanente du service public aux exigences de la population et à l’évolution de la société.

5. Moderniser le parc automobile dans le cadre d’une politique de développement durable

Fortes collectivement de quelque 245 000 agents, la gendarmerie et la police se situeront aux premiers plans de l’action publique en faveur du développement durable.

Une modernisation du parc automobile sera entreprise par un plan de réforme des véhicules les plus anciens, souvent les plus polluants et entraînant des coûts de maintenance élevés.

Une dotation de référence sera définie afin de ramener le parc automobile de la police vers une cible de 28 500 véhicules, pour 31 500 aujourd’hui. Cette baisse qui dépasse l’évolution programmée du plafond d’emplois témoigne de l’effort d’optimisation de la gestion du parc automobile. Pour ce qui concerne la gendarmerie, le même effort de rationalisation permettra une réduction de son parc automobile de 3 000 véhicules d’ici 2012, ramenant sa dotation à 29 000 véhicules.

Les deux forces se fixent pour objectif de parvenir à ce que 50 % des véhicules acquis chaque année rejettent moins de 130 grammes de dioxyde de carbone au kilomètre.

Enfin, les procédures de certification des garages de la police seront généralisées afin de parvenir à une gestion rigoureuse des déchets industriels. S’agissant de la gendarmerie, la gestion de ces déchets est externalisée.

IV. – RÉNOVER LE MANAGEMENT DES RESSOURCES ET LES MODES D’ORGANISATION

1. Mettre un terme à l’emploi des policiers et des gendarmes dans des fonctions qui ne sont pas strictement liées à leur cœur de métier

L’efficacité des forces de gendarmerie et de police impose qu’elles se consacrent à leurs métiers et ne soient pas employées dans des tâches auxquelles elles ne sont pas destinées. Le transfert des tâches administratives et techniques actuellement remplies par des policiers et des gendarmes à des agents spécialisés dans ces fonctions sera mis en œuvre avec ambition.

Au sein de la police, les effectifs des personnels administratifs, techniques et scientifiques représenteront au moins 21 000 ETPT (équivalent temps plein travaillé) d’ici la fin de la période de programmation de la LOPPSI. Cet objectif évoluera en fonction des restructurations de services territoriaux et de la montée en puissance des applications métiers.

Au sein de la gendarmerie, le système de soutien doit radicalement évoluer au travers d’une politique volontariste de transformation de postes de sous-officiers et officiers de gendarmerie en personnels militaires du corps de soutien de la gendarmerie et en personnels civils dont le nombre passera de 6 000 à 10 700 en 2017.

En outre, l’apport des nouvelles technologies conduira à rechercher la suppression des missions de garde statique et de toutes les tâches non directement liées aux missions de sécurité pour permettre un réengagement plus dynamique des forces dans le domaine de la sécurité publique.

En tout état de cause, les évolutions annoncées de l’emploi public au cours des années à venir rendent indispensable que gendarmes et policiers soient déchargés d’activités non directement liées à leurs missions de sécurité.

Dans ce cadre, à l’instar de la fonction habillement au sein de la police, la solution de l’externalisation sera examinée à chaque fois qu’elle est susceptible d’assurer un service de qualité au moins égal avec un coût moindre par rapport à l’organisation actuelle. Tel sera particulièrement le cas pour les fonctions logistiques comme l’habillement dans la gendarmerie, la gestion immobilière et celle du parc des autocars.

2. Faire de l’immobilier un levier de la modernisation

Au-delà de l’enjeu majeur que représentent le relogement et le développement des capacités des laboratoires de police technique et scientifique évoqués supra, l’adaptation du patrimoine immobilier des forces de sécurité intérieure constitue un levier majeur de la modernisation des services et de la rationalisation des dépenses de fonctionnement.

Les procédures innovantes de construction prévues par la loi d’orientation du 29 août 2002 seront pérennisées tout en veillant à ce que le coût global des opérations immobilières soit maîtrisé.

Le patrimoine immobilier des forces mobiles

La rénovation du patrimoine immobilier des CRS sera réalisée dans le cadre d’une rationalisation de l’implantation des structures correspondant aux besoins opérationnels. Des économies d’échelle seront recherchées par un regroupement des implantations territoriales.

Un regroupement dans les grandes agglomérations et, en particulier, autour de Paris, sera opéré afin de rapprocher les forces mobiles de leurs terrains privilégiés d’intervention.

De nouveaux cantonnements seront construits en Île-de-France afin de réduire les coûts d’hébergement des unités.

Les sites de formation

La gendarmerie est en passe d’achever le schéma directeur de ses écoles et centres de formation qui vise, dans une démarche de gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences (GPEEC), à mettre en adéquation la capacité d’acquisition des compétences avec l’estimation du besoin en formation sur les années à venir.

Quatre sites de formation initiale de la gendarmerie nationale ont ainsi été fermés en 2009 : Libourne, Châtellerault, Le Mans et Montargis. Le choix de ces quatre écoles s’est opéré en tenant compte des besoins de formation de la gendarmerie, tant pour les sous-officiers que les gendarmes adjoints volontaires, des modalités fonctionnelles propres à la formation initiale de ces personnels et de l’état du patrimoine existant.

Huit centres de formation de la police (CFP) ont été fermés et trois autres ont été transformés en 2009, conduisant à une rationalisation des capacités de formation. Compte tenu des besoins prévisionnels de la formation initiale au sein de la police, plusieurs écoles seront fermées en 2010 et 2011. Les critères retenus seront équivalents à ceux retenus pour les écoles de la gendarmerie.

Une solution de relogement sera étudiée pour l’École nationale supérieure des officiers de police, actuellement installée à Cannes-Écluse (77).

L’institut de formation des personnels administratifs, techniques et scientifiques de la police, implanté à Gif-sur-Yvette, sera transformé et installé à Lognes, nouveau pôle de formation mutualisée pour l’ensemble des services du ministère. Le Centre national d’études et de formation de Gif-sur-Yvette (CNEF) sera lui aussi adapté et transféré sur le site de Lognes.

Un service public rénové dans les quartiers en difficulté

Les besoins immobiliers de la préfecture de police et de la sécurité publique dans les circonscriptions couvrant des zones sensibles, en particulier en Île-de-France et dans les grandes agglomérations, seront traités avec la plus grande attention. L’état de vétusté du parc, l’insuffisance des capacités immobilières et les niveaux de délinquance des zones concernées constitueront les principaux critères de choix des projets.

Les conditions d’accueil des usagers, notamment des victimes, seront une des priorités de la modernisation immobilière des services de police. L’accueil devra permettre une prise en charge individualisée des victimes et des conditions favorables pour les dépôts de plaintes.

L’intervention complémentaire de personnels spécialisés dans la prise en charge des victimes (psychologues, assistants sociaux) devra être prise en compte dans les projets immobiliers de la sécurité publique par la mise à disposition de locaux appropriés.

Parallèlement, l’immobilier de la sécurité publique devra mettre l’accent sur la poursuite de la modernisation et de l’humanisation des locaux de garde à vue.

Consolider le patrimoine immobilier de la gendarmerie

À l’occasion de la loi de programmation précédente, un effort marqué a été engagé au profit de l’immobilier de la gendarmerie. Il est nécessaire de le prolonger dans le cadre de la LOPPSI et d’achever la réhabilitation du parc en veillant à assurer aux personnels et à leurs familles des conditions de travail et de vie en rapport avec les normes actuelles, tout en garantissant un haut niveau de qualité environnementale.

Un effort tout particulier de maintenance préventive à des niveaux conformes aux standards du marché permettra de conserver toute sa valeur au patrimoine immobilier de l’État et d’éviter l’entretien curatif particulièrement onéreux.

3. Des carrières modernisées pour des professionnels mieux accompagnés

Policiers et gendarmes exercent un métier particulièrement exigeant et souvent dangereux. Cette réalité, a fortiori dans une période marquée par de nombreuses réformes et un objectif accru d’optimisation des moyens, exige un accompagnement renforcé des personnels dans leur vie professionnelle et privée.

À cet effet, un observatoire des emplois, des métiers et des compétences commun à la police et à la gendarmerie sera mis en place et un bilan social annuel sera élaboré pour la police nationale dès 2010.

La charte du dialogue social sera mise en œuvre.

a) Une formation moderne, rigoureuse, adaptée aux nouveaux enjeux

La gendarmerie maintiendra la formation d’un encadrement spécialisé en logistique opérationnelle en mesure d’être engagé en situation de crise sur le territoire métropolitain, outre-mer et en opérations extérieures.

Par ailleurs, les officiers de gendarmerie issus du rang, désormais recrutés par concours, recevront une formation d’une durée d’un an adaptée à leurs futures responsabilités. Réalisée par l’école des officiers de la gendarmerie nationale, elle permettra l’acquisition des connaissances indispensables à l’exercice d’un commandement et sera sanctionnée par l’attribution d’un diplôme.

Les policiers doivent faire face aux exigences d’une police nationale efficace, proche des citoyens, réactive et capable d’anticiper les nouvelles formes de criminalité. Chaque agent est concerné par les enjeux d’une formation moderne, rigoureuse et adaptée aux priorités que sont :

– le développement de pôles d’excellence pour la formation initiale ;

– l’élargissement du domaine de la police technique et scientifique ;

– l’accentuation de la formation continue, condition d’une promotion tant personnelle que sociale à laquelle chaque policier doit pouvoir accéder tout au long de sa carrière.

La formation initiale fera une place importante à trois domaines essentiels : la déontologie, la communication, pour être en capacité d’expliquer, de justifier l’action menée et les mesures prises, et l’international, qui va intéresser un nombre de plus en plus grand de policiers en raison de la mondialisation des problématiques et de l’européanisation des procédures.

Les formations initiales des commissaires, des officiers et des gardiens de la paix viennent d’être rénovées. Celles des agents des corps administratifs, techniques et scientifiques seront développées pour tenir compte de leurs responsabilités nouvelles.

En outre, le caractère obligatoire des formations continues liées aux franchissements de grades sera élargi aux changements professionnels importants, tels que la prise du premier poste de chef de circonscription par un officier ou celle de directeur départemental. Dans un même esprit, les gradés du corps d’encadrement et d’application disposeront d’une préparation accrue dans les domaines correspondant aux fonctions, jusque-là exercées par des officiers, auxquelles ils sont progressivement appelés.

Enfin, une attention particulière sera portée à l’accueil en nombre croissant de stagiaires étrangers et au renforcement de la dimension internationale des cycles de formation pour les commissaires et officiers de police.

b) Des déroulements de carrière répondant aux besoins des forces et reconnaissant les mérites individuels

Donner toute sa place à la filière administrative, technique et scientifique

La montée en puissance des personnels administratifs, techniques et scientifiques sur les emplois relevant de leurs compétences, en lieu et place des personnels actifs revenant sur leur cœur de métier, constitue une priorité de la LOPPSI.

Cette ambition passe par la définition précise des besoins et, par conséquent, par la mise en œuvre d’un recrutement spécifique adapté à ces métiers.

Le choix du développement de filières spécifiques de fonctionnaires sous statut ou de contractuels se pose d’autant plus que beaucoup de ces métiers nécessitent une technicité particulière, a fortiori au moment où les différents services de police s’engagent dans l’utilisation renforcée de technologies sophistiquées.

À cet égard, une attention toute particulière sera portée aux besoins spécifiques de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), en cohérence avec les préconisations du livre blanc sur la défense et la sécurité.

Le régime indemnitaire de ces personnels sera fixé en fonction des responsabilités leur incombant.

Des outils de motivation accrus

Introduite dans la LOPSI 2003-2007, confortée par le protocole « corps et carrières » de la police, la culture du résultat constitue désormais un axe stratégique de la gestion des ressources humaines pour mieux récompenser la performance individuelle et collective.

La manière de servir et les résultats obtenus doivent progressivement devenir un élément essentiel de l’évaluation annuelle, mais également d’une part du système indemnitaire. Ce mode de management devra être développé. Il convient désormais de parfaire les nouvelles grilles d’évaluation des commissaires de police et des officiers en y intégrant les éléments relatifs aux objectifs qui leur sont fixés (objectifs, actions et indicateurs).

L’expérimentation de la contractualisation sur les postes particulièrement difficiles, et pour lesquels des difficultés de recrutement existent, prendra fin au début de l’année 2010. Elle sera intégrée dans le nouveau système d’indemnité lié à la performance et concernera 250 postes, conformément au protocole signé avec les organisations syndicales le 8 avril 2009. Elle pourra être étendue au corps de commandement.

Les régimes indemnitaires pour les corps de conception et direction et de commandement devront davantage être liés à la difficulté des responsabilités exercées, aux résultats, à la manière de servir et non plus seulement au grade détenu.

La prime de résultats exceptionnels a été consolidée et dotée de 25 millions d’euros en 2008, ce qui constitue un montant minimal pour les années ultérieures. Afin de récompenser de façon substantielle la performance individuelle et collective, elle sera attribuée à environ 30 % des effectifs du programme « Police nationale ».

En outre, la culture du résultat s’inscrira dans la mise en place de projets de service pour chaque service de police en relation avec le public. Ces projets relèveront des règles de l’assurance qualité qui permettront d’évaluer l’atteinte des objectifs. Chaque chef de service répondra de leur mise en œuvre.

Optimiser le temps de travail effectif des fonctionnaires de police et leur répartition sur le territoire

Cet objectif majeur du protocole « corps et carrières » sera atteint en 2012. Les régimes de travail ont connu, au cours des dernières années, des modifications qui ont eu pour effet de produire des heures supplémentaires sans que la productivité du processus soit systématiquement assurée. L’institution ne peut conserver une telle contrainte opérationnelle et financière. Les négociations avec les organisations représentatives des personnels devront aboutir à une solution pérenne préservant le potentiel opérationnel des forces de police.

Dans ce cadre, en application du protocole signé à l’automne 2008, ont été supprimés l’heure non sécable ainsi que plusieurs jours de RTT.

Enfin, les mesures prises depuis 2002 pour adapter la répartition des effectifs sur le territoire aux besoins opérationnels seront consolidées et amplifiées. La définition des effectifs départementaux de fonctionnement annuel sera affinée, tout particulièrement à partir des évolutions de la démographie et de la délinquance.

Une nouvelle politique de fidélisation en Île-de-France

La région parisienne souffre d’un déficit structurel de candidats aux différents métiers de la police. Les lauréats de concours qui ne sont pas d’origine francilienne ont souvent l’objectif de retourner dans leur région d’origine en raison du coût de la vie, plus particulièrement du logement, et des conditions de travail dans certaines zones sensibles.

Dès lors, les services de police, qui sont fréquemment confrontés aux missions les plus difficiles, disposent de personnels peu âgés, sans l’expérience nécessaire aux contraintes opérationnelles et pressés de trouver une autre affectation.

Au-delà des dispositions statutaires qui obligent désormais les fonctionnaires de police à rester pour une durée minimale de cinq ans dans leur première région administrative d’affectation (principalement la région parisienne), de nouvelles mesures seront progressivement mises en œuvre dans le prolongement de celles déjà intervenues ou en cours d’exécution :

– création d’un concours à affectation nationale et d’un concours à affectation régionale en Île-de-France assorti d’une durée minimale d’exercice de fonctions de huit ans par le décret n° 2009-1551 du 14 décembre 2009 ;

– prise en compte de l’expérience acquise par les agents affectés dans des circonscriptions et services territoriaux difficiles d’Île-de-France ; une voie d’avancement consacrée à la reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle sera créée pour ces agents, conformément au décret n° 2009-1551 du 14 décembre 2009.

En outre, la poursuite de la refonte du dispositif indemnitaire de fidélisation permettra de mieux rémunérer les fonctionnaires actifs exerçant leurs missions en Île-de-France, tandis que des mesures d’accompagnement, notamment pour le logement, contribueront à cet effort (cf. d ci-après).

Une meilleure respiration des carrières au sein de la police

Le protocole « corps et carrières » a eu notamment pour objectif de mieux distribuer les fonctions entre corps. Des ajustements complémentaires aux mesures de repyramidage et d’accès au corps supérieur, comme l’amélioration de la voie d’accès professionnelle au corps de commandement, sont nécessaires.

Rendre plus attractives les carrières au sein de la gendarmerie

Offrir des parcours de carrière attractifs et rémunérer ces professionnels à hauteur des contraintes, des sujétions et des responsabilités exercées constituent les deux objectifs prioritaires de la gendarmerie.

Le niveau de recrutement au concours externe (universitaire) sera aligné sur celui des officiers recrutés en sortie des grandes écoles militaires. La carrière des officiers les plus performants sera accélérée grâce à la modification du décret n° 2008-952 du 12 septembre 2008 portant statut particulier du corps des officiers de gendarmerie. En outre, la prise de responsabilités élevées, notamment lors de l’accession à des postes de commandements territoriaux, sera mieux valorisée.

Pour ce qui concerne les sous-officiers, trois voies d’avancement coexisteront, permettant à chaque personnel méritant d’accéder à une promotion :

– une voie « encadrement-commandement », qui représentera au moins 80 % des promotions, pour les titulaires des diplômes d’officier de police judiciaire, d’arme, de spécialité, du GIGN, avec promotion systématique au grade de maréchal des logis-chef l’année qui suivra l’obtention des titres requis, sauf cas particuliers ;

– une voie « professionnelle », au choix et jusqu’au grade d’adjudant-chef, dans la limite de 10 % des promotions annuelles, pour les sous-officiers expérimentés possédant au moins quinze ans de service pour l’accession au grade de maréchal des logis-chef et qui ont exercé des responsabilités avérées ;

– une voie « gestion des fins de carrière », au choix et jusqu’au grade d’adjudant, dans la limite de 10 % des promotions annuelles pour les sous-officiers du grade de gendarme les plus méritants.

Le repyramidage initié depuis 2005 par le PAGRE sera poursuivi. Il visera à assurer des normes d’encadrement comparables avec celles en vigueur dans les corps similaires de la fonction publique civile et à assurer la juste reconnaissance des responsabilités exercées par des parcours professionnels attractifs et valorisants. Ce pyramidage sera mis en œuvre jusqu’en 2012 et atteindra les cibles suivantes : 62 % de gendarmes et maréchaux des logis-chefs, 29 % d’adjudants, adjudants-chefs et majors et 9 % d’officiers.

c) Des carrières plus ouvertes

Des passerelles statutaires entre police et gendarmerie

Le rapprochement des deux forces, avec le développement de la mutualisation et de la coopération dans de nombreux domaines, conduira à la mise en place de passerelles statutaires permettant aux policiers d’intégrer la gendarmerie et, réciproquement, aux gendarmes de rejoindre la police.

La réalisation de cet objectif se traduira notamment par l’ouverture aux adjoints de sécurité du concours d’accès au corps des sous-officiers de gendarmerie, d’une part, aux gendarmes adjoints volontaires du concours interne d’accès au corps d’encadrement et d’application, d’autre part.

Une autre passerelle statutaire, entre les titulaires des grades de gardien de la paix et de gendarme, sera instaurée afin de faciliter la mobilité entre les corps des deux forces. Les statuts seront modifiés en conséquence.

Un recrutement plus diversifié

De manière plus générale, le statut particulier du corps des sous-officiers de gendarmerie sera modifié pour ce qui concerne le recrutement. Le concours pour tous et la détention du baccalauréat seront la règle pour les recrutements externes tout en maintenant, au titre de la politique d’intégration et de l’égalité des chances, une proportion d’au moins un tiers de recrutement interne sans exigence de diplôme.

Par ailleurs, des mesures spécifiques seront prises pour aider les jeunes diplômés de milieux défavorisés à accéder aux corps d’officiers de gendarmerie. Ainsi, une classe préparatoire intégrée sera créée pour favoriser la réussite au concours d’entrée à l’école des officiers de la gendarmerie nationale.

Le dispositif des cadets de la République sera adapté et consolidé, notamment pour tenir compte des niveaux de recrutement dans la police et la gendarmerie ainsi que des besoins dans le secteur de la sécurité privée.

Consolider le recours à la réserve militaire

La politique de la réserve militaire, véritable service citoyen, sera poursuivie. L’admission dans la réserve reflète aujourd’hui un véritable modèle tant opérationnel que d’intégration. En 2008, plus de 26 000 réservistes servaient en gendarmerie, dix-huit jours par an en moyenne, rémunérés en missions opérationnelles, aux côtés de leurs camarades d’active. Cette réserve opérationnelle constitue un relais essentiel entre la société civile et l’esprit de service indispensable à la sécurité de nos concitoyens. Elle est mise en œuvre dans un cadre territorial de proximité. La ressource allouée sera consolidée sur la période 2010-2013.

Élargir l’accès à la réserve civile et poursuivre sa montée en puissance

La réserve civile de la police nationale répond aujourd’hui aux objectifs qui lui ont été fixés depuis 2003. Elle apporte un appui essentiel aux fonctionnaires en activité dans l’exercice de leurs missions. Aussi, pour ajuster la capacité opérationnelle des services de police, voire la renforcer en cas de crise grave, il est prévu de doubler, au moins, son potentiel d’ici la fin de la LOPPSI.

L’harmonisation des réserves de la police et de la gendarmerie sera renforcée par l’ouverture de la réserve civile de la police à d’autres publics que les retraités des corps actifs.

Cette orientation développera le lien police-population et l’adhésion aux enjeux de sécurité. Une telle diversification du recrutement prolongera les dispositions déjà prises par la gendarmerie.

La future réserve de la police aura donc vocation à accueillir aussi bien des jeunes intéressés par une expérience valorisante que des spécialistes sur des fonctions correspondant à leurs compétences dont la police serait déficitaire.

Les réservistes disposeront d’une formation pour des missions d’un format comparable à celles confiées aux réservistes de la gendarmerie. La définition de ces missions prendra en compte les spécificités de leur environnement et l’organisation des services. Enfin, la formation des réservistes leur permettra d’acquérir la qualification d’agent de police judiciaire adjoint.

Inciter les adjoints de sécurité (ADS) à mieux préparer leur projet professionnel

Les ADS, agents contractuels, interviennent en appui des fonctionnaires de police. Leur cadre d’emploi constitue une voie privilégiée pour l’intégration de jeunes issus de milieux en difficulté.

Si, pour la plupart d’entre eux, ces agents intègrent le corps d’encadrement et d’application par la voie du concours interne, le dispositif actuel ne les incite pas suffisamment à préparer leur projet professionnel.

Dans cette perspective, la formule de deux contrats de trois ans viendra se substituer au contrat actuel de cinq ans. De même, pour pallier les risques inhérents à la recherche d’un emploi au-delà de la limite d’âge actuelle, qui est de vingt-six ans, celle-ci sera portée à trente ans.

Ce dispositif sera accompagné d’un effort accru en matière d’aide à la reconversion.

d) Des agents soutenus dans leur vie professionnelle et privée

La gendarmerie s’est dotée d’un dispositif de soutien psychologique placé au niveau central, compétent sur la totalité du territoire national. Compte tenu de la montée exponentielle des besoins exprimés par les unités opérationnelles, la gendarmerie étudiera la nécessité de créer une chaîne territoriale de soutien psychologique de proximité dont la vocation sera d’assurer le suivi des personnels confrontés à des événements traumatiques importants liés au service.

De son côté, la police renforcera l’accompagnement de ses agents dans leur vie quotidienne :

– le nombre de réservations de logements, en particulier pour les policiers affectés en Île-de-France, aura doublé au terme de la LOPPSI ;

– la création annuelle de 100 places supplémentaires de crèches sur la période 2009-2013, en Île-de-France, apportera une aide significative à la petite enfance ;

– toutes les familles monoparentales d’Île-de-France disposent, depuis 2009, d’un chèque emploi-service universel ; ce dispositif pourra progressivement être étendu aux bassins d’emploi rencontrant sur le territoire national une situation identique à celle de l’Île-de-France.

L’accompagnement des agents dans le déroulement de leur carrière sera de règle. En particulier, l’accompagnement de la mobilité tiendra compte de tous les impacts de celle-ci sur la vie des agents. Les nouveaux dispositifs d’évaluation mis en place devront aussi permettre, grâce à la généralisation des fiches de poste, une meilleure lisibilité des carrières à travers la mise en œuvre de véritables plans de carrière.

e) L’application de la parité globale

Dans le respect de l’identité des forces de gendarmerie et de police, une parité globale devra assurer l’équilibre de traitement pérenne voulu par le Président de la République.

Par une approche concertée, l’harmonisation devra être constamment recherchée pour corriger les disparités susceptibles d’apparaître dans le domaine de la gestion des ressources humaines.

Au-delà des différences structurelles, la mise en œuvre de composantes communes permettra, tout en gommant les points de divergence, de concrétiser une fonction publique policière cohérente et moderne.

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes, sur l'article.

Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapport sur les objectifs et les moyens de la sécurité intérieure qu’il nous est demandé d’approuver vise, entre autres, à mieux lutter contre les différentes formes de délinquance.

En qualité de présidente de la délégation aux droits des femmes, je veux intervenir sur cette forme particulière de violences aux personnes que sont les violences au sein du couple et sur les moyens qu’il convient d’y consacrer.

Ce serait en effet une grave erreur de considérer, parce que ces violences s’exercent plus dans la sphère privée que dans l’espace public, qu’il s’agit d’un volet mineur ou secondaire de la lutte contre les violences aux personnes.

Suivant les évaluations du très officiel Observatoire de la délinquance, les violences exercées sur des femmes majeures par leur conjoint représentent un peu plus du quart – 26 %, précisément – des violences enregistrées sur personnes de plus de quinze ans. Il ne s’agit donc pas là d’un aspect secondaire de la sécurité.

Je souhaite que l’on ne perde pas de vue non plus un aspect essentiel de toute politique de prévention de ces violences : le traitement de leurs auteurs.

Aussi, je veux insister ici sur la nécessité de préserver le financement des actions de lutte contre ces violences, et plus particulièrement sur la contribution que leur apporte le Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance, le FIPD.

Ce fonds, alimenté notamment par un prélèvement sur le produit des amendes forfaitaires de la police de la circulation, a vocation à financer des actions dans le cadre du plan de prévention de la délinquance, ainsi que dans celui de la contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales en matière de politique de la ville.

Le FIPD consacre traditionnellement une partie de ses crédits – 3,2 millions d’euros en 2008 et en 2009 – à des actions de lutte contre les violences familiales : accueil et orientation des victimes, prise en charge des auteurs des violences, accompagnement des mineurs témoins de ces actes.

Mais ces actions ont commencé de souffrir de la concurrence que leur fait la priorité donnée par le Gouvernement au développement de la vidéosurveillance. Non seulement les crédits consacrés par le FIPD à ce programme augmentent fortement – 12 millions d’euros en 2008, 15 millions en 2009, 30 millions en 2010, d’après les chiffres qui m’ont été communiqués –, mais l’article 62 de la loi de finances pour 2011 leur confère un régime particulier dans la mesure où le contrôle et l’emploi de ces fonds relèveront dorénavant du ministère de l’intérieur, par exception aux règles de fonctionnement du FIPD.

Nous pouvons déjà percevoir, à l’échelon local, les conséquences de cette nouvelle orientation. J’ai reçu des courriers alarmants de plusieurs associations qui ont attiré mon attention sur les conséquences dramatiques de la diminution des crédits qu’elles reçoivent du FIPD au titre de la lutte contre les violences envers les femmes, et ce alors que celle-ci a été érigée en « Grande cause nationale pour 2010 ».

Comme ces actions font l’objet d’un cofinancement avec les collectivités territoriales, la diminution des crédits du FIPD a un effet de levier négatif sur les contributions des communes et autres collectivités, car elle incite celles-ci à se désengager. C’est dramatique tant pour l’accueil des victimes que pour les soins aux auteurs des actes violents.

Tout cela risque d’être encore aggravé par l’article 24 ter A, ajouté par l’Assemblée nationale au projet de loi, qui réserve les financements du FIPD aux seules communes qui se seront dotées à la fois d’un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance et d’un conseil pour les droits et devoirs des familles ou d’une cellule de citoyenneté et de tranquillité publique.

Monsieur le ministre, je tenais à vous faire part de notre très vive préoccupation et à vous dire que nous sommes nombreux dans cette assemblée à refuser toute perspective de diminution, de cette manière-là, des crédits que le FIPD consacre à la lutte contre les violences familiales. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, sur l'article.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le ministre, le rapport annexé au projet de loi, censé fixer les objectifs et les moyens dévolus à la politique de sécurité intérieure pour les cinq prochaines années, reflète à merveille la philosophie de ce texte.

Il décrit les grandes lignes de vos desseins en matière de sécurité, tout en traitant de questions budgétaires qui, à l’évidence, n’y ont pas leur place.

User d’un tel procédé est fort contestable, voire peu courageux, car il vous permet de ne prendre aucun réel engagement devant la représentation nationale, ce rapport n’ayant pas de valeur normative.

Ce rapport annexé a donc pour seul objet de masquer la réalité de la réduction des effectifs alloués à la lutte contre l’insécurité !

En vérité, comment peut-on prétendre être plus efficace avec moins de présence humaine sur le terrain ? Il n’y a même pas eu de concours de gardien de la paix en 2009, si bien que, à l’horizon de 2012, nous aurons perdu 12 000 policiers nationaux. Nos territoires le ressentent et en souffrent.

La hausse de la délinquance est étrangement concomitante des vagues de suppressions de postes de l’éducation nationale : 16 000 postes supprimés à la rentrée prochaine ! Et je ne parle pas de la suppression des RASED, qui ont pourtant permis de prendre en charge bon nombre d’enfants en difficulté. Une telle situation est franchement inadmissible, mais vous vous gardez bien de l’évoquer dans le rapport annexé, alors que le lien avec les questions de sécurité est évident.

Au-delà des doutes que l’on peut nourrir quant à la véracité des chiffres présentés, ceux-ci tendent malgré tout à démontrer que la gendarmerie disposera au total de moyens réduits et moins bien répartis pour lutter contre la délinquance et garantir la sécurité de nos concitoyens. Du reste, nous persistons à penser que le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur, que consacre le rapport annexé, est inefficace et dangereux.

La façon dont s’est opéré ce rattachement prouve d’ailleurs que l’objectif était non pas la modernisation et la mutualisation des moyens, non plus que l’amélioration des conditions d’emploi et de coopération des deux forces, mais bien la constitution rapide d’une seule force de sécurité, sous la seule autorité civile de l’exécutif.

Nous ne cesserons donc de dénoncer les dangers de cette concentration des pouvoirs de police en une seule main, d’autant que l’objectif est de mettre en œuvre une politique toujours plus sécuritaire, fondée sur la seule répression.

Par ailleurs, le recours accru aux nouvelles technologies, pour le renseignement et le développement des moyens de la police scientifique et technique, s’ils sont indispensables, ne sauraient intégralement compenser la réduction des effectifs due à une application mécanique et aveugle de la RGPP.

Doit-on rappeler que les personnels de la police scientifique se sont mis en grève en septembre dernier, protestant contre leur soumission à la politique du chiffre, alors que vous leur demandez toujours plus ? À cette occasion, ils n’ont pas manqué de dénoncer les conditions de fonctionnement de ce service, qui manque cruellement de moyens.

Toute politique de sécurité ambitieuse passe non seulement par une affectation de crédits adéquats, mais aussi par le développement de services publics tels que la justice et l’éducation.

M. le président. L'amendement n° 74, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. À notre sens, le rapport annexé est véritablement la clé de voûte de votre projet de loi, monsieur le ministre. Il définit, parfois de façon très détaillée, votre stratégie globale en matière de sécurité, tout en traitant également des aspects budgétaires.

Cela a déjà été dit, il s’agit là d’un procédé contestable, car il vous permet de ne prendre aucun engagement devant la représentation nationale, ce document n’ayant pas de valeur normative.

Plus fondamentalement, ce procédé vous permet aussi de cacher l’échec de votre politique de sécurité.

Si ce rapport expose bien une stratégie et des moyens, ceux-ci sont inadaptés pour lutter efficacement contre la délinquance. De plus, il travestit la réalité de la réduction des moyens consacrés à ce combat.

C’est d’ailleurs là l’un des paradoxes de la politique du Président de la République en la matière : il proclame régulièrement son soutien aux forces de police quand elles sont en difficulté, mais ses choix politiques aboutissent à supprimer des postes et à réduire certains moyens.

Comment pouvez-vous demander aux fonctionnaires de police de faire plus, d’être plus efficaces, alors que leur présence sur le terrain diminue ?

Enfin, quoi que vous en disiez, la politique menée depuis 2002 est un échec ; cet échec, vous le dissimulez maladroitement derrière des amalgames et la globalité des résultats.

Si les données d’ensemble traduisent une légère baisse de l’insécurité, ce sont essentiellement les atteintes aux biens qui diminuent, en même temps que l’élucidation des affaires s’améliore. En revanche, les atteintes aux personnes, notamment les coups et blessures volontaires – je parle donc bien, en l’occurrence, des victimes – ont explosé, de même que les violences contre les dépositaires de l’autorité publique, car je me soucie aussi de leur sort.

Pour cet ensemble de raisons, je vous invite, mes chers collègues, à supprimer cet article 1er.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. La commission est défavorable à la suppression de cet article. En effet, que l’on soit pour ou contre le rapport annexé, force est de reconnaître que nous avons besoin de définir, notamment, les crédits qui seront affectés à la sécurité intérieure.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Brice Hortefeux, ministre. L’avis du Gouvernement est identique à celui de la commission.

Je souhaite en outre répondre à l’intervention de Mme Michèle André.

Les violences faites aux femmes constituent, j’en suis convaincu, un sujet de préoccupation partagé sur toutes les travées de la Haute Assemblée.

Chacun le sait, dans notre pays, tous les deux jours, un homicide est commis au sein du couple. En 2009 – je ne dispose malheureusement pas encore des chiffres de 2010 –, 165 personnes sont décédées, victimes de leur partenaire ou, dans un certain nombre de cas, de leur ex-partenaire de vie. Je précise d’ailleurs à l’intention de M. Mézard que, sur ces 165 personnes, on dénombre 140 femmes et 25 hommes. Autrement dit, en moyenne, une femme décède tous les 2,5 jours et un homme, tous les 14,5 jours du fait des violences au sein du couple.

Différentes mesures ont été prises, que vous connaissez pour l’essentiel. En particulier, dans le cadre de la politique générale d’aide aux victimes, un certain nombre de dispositifs ont été mis en place.

Dans chaque département, le correspondant départemental « aide aux victimes » de la sécurité publique s’efforce d’améliorer l’accueil, de développer les relations avec les associations et de regrouper un certain nombre de renseignements. Au niveau local, 220 bureaux de la mission d’aide aux victimes sont répartis sur 82 départements. Par ailleurs, on compte 158 postes d’intervenants sociaux, dont 15 sont mutualisés entre la police et la gendarmerie, ce qui répond peut-être à certaines préoccupations qui ont été formulées à cet égard. Enfin, le partenariat avec les associations d’aide aux victimes s’est développé, puisque 158 permanences d’associations existent dans 126 circonscriptions de police.

Au-delà de ces chiffres, madame André, je souhaite apporter une double précision sur le FIPD, à la suite des observations que vous avez formulées.

Premièrement, vous avez oublié de le rappeler, sans doute par manque de temps, c’est la majorité qui, en 2007, a créé le FIPD, auquel vous êtes aujourd’hui très attachée. Très honnêtement, je ne me souviens pas de la manière dont cette initiative de la majorité avait été accueillie sur les différentes travées de cet hémicycle, mais ce que je sais, c’est qu’auparavant il n’y avait rien !

Deuxièmement, en 2010, le FIPD a été doté de 50 millions d’euros au total, dont font partie les 30 millions d’euros auxquels vous avez fait allusion et qui sont consacrés à la vidéoprotection.

Pour 2011, j’ai demandé que le FIPD soit doté du même montant qu’en 2010, ce qui devrait permettre de maintenir le niveau des crédits.

Je rappelle également que le réseau « droits des femmes et égalité » est financé non seulement par le FIPD mais aussi par le ministère des solidarités et de la cohésion sociale.

M. le président. La parole est à Mme Michèle André, pour explication de vote.

Mme Michèle André. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces précisions. Il convient toutefois de bien comprendre l’inquiétude des associations, qui ont déjà observé que les centres d’accueil de femmes victimes de violences font l’objet de diminutions de crédits.

Ces centres bénéficient également, vous avez raison de le souligner, de sommes provenant du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes, service dirigé aujourd’hui par un délégué interministériel.

Mais c’est bien au sujet des ressources issues du FIPD que subsiste une crainte. Je me tiens à votre disposition pour vous donner la liste des associations se plaignant de recevoir de ce fonds des crédits minorés. Il s’agit notamment de lieux d’écoute destinés aux hommes violents et qui sont, selon nous, nécessaires pour faire évoluer les comportements. Car on peut fort bien imaginer que si un homme violent ne peut plus se déchaîner sur la compagne dont il est séparé, il risque de récidiver sur une nouvelle compagne. Nous avons, croyez-le bien, des dossiers très fournis, qui font état de situations extrêmement difficiles.

Les ressources allouées par le service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes ne sont pas en cause puisque nous avons réussi, en loi de finances, à les augmenter légèrement pour ce qui concerne les projets conduits par les associations. Ce sont bien les crédits issus du FIPD qui posent problème.

Il importe – nous avions développé ce point lors de la réunion de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2011 – de ne pas toucher à ces crédits, qui ne représentent que 3,2 millions d’euros, afin de ne pas réduire les sommes dont disposent les associations. En effet, vous le savez bien, monsieur le ministre, face à une diminution des crédits de l’État, la tentation est grande, pour les collectivités, de suivre la même voie.

Il faut vraiment faire en sorte que les associations ne voient pas leurs crédits alloués par le FIPD diminuer.

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.

Mme Virginie Klès. Je souhaite revenir une nouvelle fois sur le dossier des violences faites aux femmes et ajouter quelques éléments aux propos de ma collègue Michèle André, auxquels je m’associe pleinement.

Vous avez parlé, monsieur le ministre, des violences physiques et des homicides. Toutefois, il ne faut pas oublier tout ce qui, dans ce contexte, relève de la violence psychologique, tout aussi dangereuse et beaucoup plus insidieuse parce que beaucoup plus difficile à repérer.

Conservons également à l’esprit que ce type de violences touche non pas uniquement les femmes, mais aussi les hommes.

Si l’on veut vraiment protéger les victimes – contrairement à ce qui a été dit tout à l’heure, nous nous intéressons, nous aussi, aux victimes, et j’en ai d’ailleurs parlé dans la discussion générale –, prendre en charge les auteurs de violences, distinguer clairement les uns et les autres, ce qui n’est pas toujours évident, notamment lorsqu’il s’agit de violences psychologiques ou d’emprise psychologique, car la première approche est loin d’être toujours la bonne, il est indispensable de mettre en place, dans tous les commissariats et toutes les gendarmeries, un victimologue, c’est-à-dire un psychologue ou psycho-criminologiste spécialisé dans ce genre de situations, qui permettra de démêler le vrai du faux.

Monsieur le ministre, vous avez parlé de 158 postes d’intervenants sociaux. Ce maillage constitue, certes, un premier pas, mais il est à mon sens nettement insuffisant, d’autant que, en matière de prévention de la délinquance, il importe de ne pas oublier les enfants, qui, élevés par ces couples pathologiques, ne réussissent pas à se structurer. Un tiers d’entre eux, à un moment ou à un autre, plonge dans la délinquance de façon plus ou moins grave.

Enfin, face à ces violences, il nous faut également nous pencher sur la question de la protection des personnes vulnérables et des personnes âgées. On constate en effet des phénomènes de violences psychologiques et d’emprise exercées à l’encontre des parents âgés, personnes particulièrement vulnérables, par leurs enfants, leurs gendres ou leurs brus.

Il s’agit donc d’un dossier extrêmement important, pour lequel nous connaissons les solutions à apporter : je le répète, il s’agit de mettre en place des postes de victimologues dans tous les commissariats et dans toutes les gendarmeries.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 74.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Tous deux sont présentés par M. Anziani, Mme Klès, MM. Frimat, C. Gautier et Peyronnet, Mmes M. André et Bonnefoy, M. Yung, Mme Boumediene-Thiery, MM. Sueur, Guérini, Ries, Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

L’amendement n° 4 est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

I. - Les missions prioritaires assignées à la police nationale et à la gendarmerie nationale pour les années 2010 à 2013 sont les suivantes :

- La lutte contre les violences faites aux personnes, en particulier les plus vulnérables ;

- La lutte contre les violences urbaines et l'économie souterraine ;

- La lutte contre le trafic de drogue, la criminalité organisée et la grande délinquance économique et financière ;

- La lutte contre les atteintes aux biens et la délinquance quotidienne ;

- La lutte contre l'insécurité routière ;

- La lutte contre les filières d'immigration irrégulière ;

- La protection du pays contre le terrorisme et les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation ;

- Le maintien de l'ordre public ;

- L'accueil, la prise en charge et l'accompagnement des victimes.

II. - Constituent les orientations permanentes de la politique de sécurité :

- L'extension à l'ensemble des territoires prioritaires d'une police de quartier répondant aux attentes et aux besoins des personnes en matière de sécurité ;

- La prévention des atteintes aux personnes et aux biens par la dissuasion, le renseignement et la coopération avec l'ensemble des partenaires de la politique de sécurité ;

- Le développement de l'action judiciaire des forces de sécurité intérieure ;

- Le renforcement de la coopération entre la police, la gendarmerie et la douane dans leur action en faveur de la sécurité ;

- La responsabilisation des personnels de direction et de commandement et l'adaptation constante des stratégies territoriales de sécurité élaborées sous leur direction au plus près des besoins ;

- L'affectation des policiers et gendarmes aux missions concourant directement au maintien ou au renforcement de la sécurité ;

- L'évaluation constante de l'efficacité des forces de sécurité en fonction du service rendu à la population, de l'efficacité répressive mesurée par le taux de déferrement à la justice, de l'évolution de la criminalité mesurée par les enquêtes de victimation ;

- Le renforcement de la coopération internationale en matière de sécurité, à partir des engagements internationaux et européens auxquels la France a souscrit ;

- L'adaptation des modes d'organisation et de gestion des ressources humaines et matérielles des services ;

- La mise à jour et le développement de nouveaux systèmes d'alerte des populations.

L'amendement n° 5 est ainsi libellé :

Supprimer les mots :

et les moyens

La parole est à M. Alain Anziani, pour présenter ces deux amendements.

M. Alain Anziani. Je partage l’étonnement de notre collègue Éliane Assassi. En effet, dans ce texte qualifié de « projet de loi d’orientation et de programmation », à l’exception de l’article 1er – et encore celui-ci ne fait-il que renvoyer à un rapport annexé –, aucun des articles n’a à voir quoi que ce soit avec une orientation ou une programmation : j’ai l’impression que nous sommes devant un cas d’usurpation d’identité ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Je souligne également à mon tour que le rapport annexé n’a pas de valeur normative et n’aura pas force de loi. Les engagements que vous auriez dû prendre, monsieur le ministre, ne seront pas opposables demain.

En dénaturant ainsi une loi d’orientation et de programmation, vous ruinez même l’esprit de la loi !

Comme je l’ai dit lors de la discussion générale, il aurait été préférable d’intituler ce texte « loi portant diverses dispositions sécuritaires ». Ainsi, il n’y aurait pas eu d’usurpation d’identité : vous auriez été fidèle à ce qui constitue le cœur de votre texte, au lieu de promettre ce que vous ne tiendrez pas.

Monsieur le rapporteur, vous avez fait observer tout à l’heure qu’il ne fallait pas supprimer l’article 1er et le rapport annexé au prétexte qu’il deviendrait alors impossible d’affecter les crédits. Mais comment avez-vous fait pendant trois ans ? Les dispositions de la LOPSI 1 s’éteignaient en 2008 et nous sommes en 2011 : cela fait donc trois exercices budgétaires que l’on affecte les crédits sans aucune loi d’orientation et de programmation, et personne n’y a encore trouvé à redire ! Il pourrait donc en être de même encore dans les années à venir.

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

M. Alain Anziani. Alors, un peu de cohérence, s’il vous plaît !

On comprend bien pourquoi la programmation est absente de ce projet de loi : les moyens ne sont pas véritablement arrêtés ; mais je reviendrai sur ce point ultérieurement.

Il en est de même pour ce qui est de l’orientation. Vous parlez d’orientation et, dans le même temps, vous annoncez que vous allez confier à des personnalités le soin d’élaborer un Livre blanc sur la sécurité publique pour les dix années à venir et mettre en place quatre groupes de travail chargés de réfléchir sur des sujets majeurs : les missions régaliennes de l’État, la gendarmerie, le rôle des policiers municipaux, etc. C’est très bien, mais vous mettez la charrue devant les bœufs !

N’est-il pas extraordinaire de nous faire voter une loi d’orientation tout en nous expliquant que ce qui permettra de l’éclairer, c'est-à-dire la prospective, ne sera disponible que demain ? Normalement, on commence par faire de la prospective et mener une réflexion sur les principes pour, ensuite, traduire les pistes retenues en orientations ; on ne fait pas l’inverse !

Je conclurai sur la notion de performance en résumant mon opinion en une phrase : vous réinventez les histoires de gendarmes et de voleurs. Sauf que, dans votre version, on compte toujours moins de gendarmes et toujours plus de voleurs. Et l’on sait ce qui va en résulter ! Au demeurant, le bilan sur les atteintes aux personnes est déjà assez significatif.

De notre point de vue, un texte de cette nature aurait justifié que la RGPP ne soit pas appliquée à la sécurité intérieure et que les missions dévolues aux forces de l’ordre soient prioritairement orientées vers la lutte contre les violences faites aux personnes. Il aurait également fallu non seulement que soit mise en place une police déconcentrée de proximité agissant sur des territoires définis et qu’il soit tenu compte de la situation des victimes, qu’il faut mieux accueillir et accompagner, mais aussi – c’est un peu ma marotte – que les catastrophes naturelles soient mieux anticipées, grâce au développement d’un nouveau système d’alerte des populations.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est prévu !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Je rappelle que toutes les lois de programmation sont construites sur le même modèle : elles contiennent des articles législatifs et un rapport annexé. Cela se passe toujours ainsi. C'est la raison pour laquelle la commission des lois souhaite que ce rapport soit soumis au vote et adopté par le Sénat.

L'amendement n° 4 vise à dresser une liste des priorités. Le Sénat a déjà rejeté un amendement similaire en première lecture après qu’il eut été observé qu’une liste n’est jamais exhaustive. Il ne sert donc à rien d’énumérer les missions prioritaires assignées à la police nationale et à la gendarmerie nationale pour les années 2010 à 2013. C’est le rapport dans son ensemble qui doit être approuvé.

Par ailleurs, l'amendement n° 5 tend à supprimer la mention des moyens s’agissant du rapport. Or cette précision est indispensable.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Brice Hortefeux, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 124 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin et Alfonsi, Mme Escoffier, MM. Baylet, Chevènement et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Alinéa 58 du rapport annexé, seconde phrase

Remplacer le mot :

équivalent

par le mot :

égal

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Il s’agit de rétablir une disposition que le Sénat avait adoptée en première lecture.

Nous avons parfaitement conscience que le rapport annexé au projet de loi, qui vaut programmation des objectifs et des moyens de la sécurité intérieure à l’horizon 2013, n’a pas de valeur normative. Toutefois, le choix des mots demeure important et la Haute Assemblée avait été sensible à notre argumentation en première lecture.

Le droit à la sécurité ne peut être conditionné par le lieu d’habitation ou de séjour. Au contraire, nous souhaitons défendre l’égalité au regard du maillage territorial. L’équivalence de protection due à la population n’est pas suffisante : il convient de préciser que l’État est obligé d’assurer un niveau égal de sécurité pour tous et en tout lieu.

Si les problèmes ne sont bien évidemment pas les mêmes sur l’ensemble du territoire national, en revanche, l’objectif qui doit être assigné aux missions des forces de l’ordre dans un tel projet de loi d’orientation et de programmation est d’assurer un niveau égal de sécurité à tous nos concitoyens.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. En première lecture, le Sénat avait effectivement adopté une telle modification, malgré l’avis de la commission. Dans la mesure où elle n’avait pas été suivie en première lecture, la commission s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Brice Hortefeux, ministre. Le Gouvernement s’en remet également à la sagesse du Sénat.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 124 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 125 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin et Alfonsi, Mme Escoffier, MM. Baylet, Chevènement et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Alinéa 99 du rapport annexé, première phrase

Remplacer les mots :

au moins équivalente

par le mot :

égale

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Il s’agit encore pour moi de persévérer et je pense qu’il n’y a rien là de diabolique ! (Sourires.) En effet, cet amendement, qui a le même objet que l’amendement précédent, avait lui aussi été adopté par le Sénat en première lecture.

En matière de lutte contre la délinquance, nous considérons que l’État ne saurait en aucun cas s’affranchir de l’impératif consistant à garantir l’égalité de tous les citoyens. Or l’affirmation d’une simple équivalence s’apparente à une obligation de moyens qui, selon nous, n’est pas acceptable.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Là encore, la commission s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Brice Hortefeux, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 125 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 126 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin et Alfonsi, Mme Escoffier, MM. Baylet, Chevènement et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Alinéa 112 du rapport annexé

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

L'État pourra alors coordonner avec les collectivités territoriales, lorsque celles-ci subissent les conséquences des redéploiements d'effectifs, des politiques de reconversion immobilière.

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Cet amendement vise une situation que tous les élus locaux connaissent bien et dont ils déplorent le plus souvent les effets dans leur territoire. Lors de la discussion générale, notre collègue Marc Laménie a tout particulièrement insisté sur l’importance de la présence humaine assurée par la gendarmerie. Or la suppression d’effectifs de gendarmerie en milieu rural a aujourd’hui d’importantes répercussions dans les collectivités territoriales, alors même que celles-ci ont souvent été mises à contribution pour la mise en œuvre de programmes immobiliers accompagnant la création des brigades communautaires.

La réorganisation du maillage territorial rend aujourd’hui totalement inutiles certains des programmes qui ont été lancés, mais les investissements consentis ne seront remboursés que dans vingt ans ou trente ans. Le budget de petites collectivités se retrouve donc grevé par des investissements importants qu’elles n’ont eu d’autres choix que de financer pour une utilisation aujourd’hui réduite à néant.

Cet amendement vise donc à préciser que l’État pourra mettre en œuvre une politique de coordination avec les collectivités territoriales concernées lorsque des redéploiements d’effectifs pourraient conduire à la fermeture de casernes dont la construction ou la rénovation fut assurée sous leur maîtrise d’ouvrage, ce qui est assez fréquent.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Cet amendement tend à préciser que l’État pourra coordonner avec les collectivités territoriales des politiques de reconversion immobilière. Le problème se pose pour la commune qui construit une caserne de gendarmerie alors que celle-ci est supprimée. Il est évident que, une fois que le bâtiment est désaffecté, la commune peut aussi donner à bail les logements qui avaient été prévus pour les gendarmes. Il n’en demeure pas moins que cela reste une charge pour l’État. Aussi la commission s’en remet-elle à l’avis du Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur Mézard, il faut être raisonnable : après tout ce vous avez dit sur ce texte, vous n’allez tout de même pas remporter une troisième victoire ! (Sourires.)

Les réorganisations territoriales s’accompagnent d’une large concertation. Je demande systématiquement aux préfets de consulter les maires et les parlementaires. J’ai d’ailleurs moi-même procédé à de telles consultations ce matin même. Très concrètement, je ne crois pas utile de faire figurer cette disposition dans le rapport annexé.

Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 126 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'ensemble de l’article 1er et du rapport annexé, modifié.

(L'article 1er et le rapport annexé sont adoptés.)

Article 1er et rapport annexé
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Article 2

Article 1er bis

À partir de 2011 et tous les deux ans, le Gouvernement remet au Parlement un rapport dressant un état des lieux, circonscription par circonscription pour la police nationale, brigade par brigade pour la gendarmerie nationale, de la répartition territoriale actuelle des effectifs chargés des missions de sécurité publique, en tenant compte de leur statut et de l’ancienneté.

Il présente les préconisations du Gouvernement pour résorber la fracture territoriale existante, redéployer les forces prioritairement vers les territoires les plus exposés à la délinquance, mettre fin à l’utilisation des personnels actifs dans des tâches administratives. – (Adopté.)

Chapitre II

Lutte contre la cybercriminalité

Article 1er bis
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Article 2 bis

Article 2

Après l’article 226-4 du code pénal, il est inséré un article 226-4-1 ainsi rédigé :

« Art. 226-4-1. – Le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou de faire usage d’une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.

« Cette infraction est punie des mêmes peines lorsqu’elle est commise sur un réseau de communication au public en ligne. »

M. le président. L'amendement n° 6, présenté par M. Anziani, Mme Klès, MM. Frimat, C. Gautier et Peyronnet, Mmes M. André et Bonnefoy, M. Yung, Mme Boumediene-Thiery, MM. Sueur, Guérini, Ries, Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. L’article 2 crée un nouveau délit d’usurpation d’identité commise sur Internet.

Nous prenons acte des modifications adoptées en commission qui suppriment la notion trop vague d’« atteinte aux intérêts d’une personne » et qui reviennent sur l’aggravation des peines encourues en cas d’usurpation d’identité. On repasse ainsi de deux ans d’emprisonnement et 20 000 euros d’amende à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

Cette observation générale ne change cependant rien au jugement d’ensemble que nous portons sur l’article 2. C’est pourquoi, comme en première lecture, nous déposons un amendement de suppression de cet article.

Nous ne sous-estimons pas pour autant la réalité et les conséquences néfastes et traumatisantes des cas d’usurpation.

On considère en effet que, en France, plus de 200 000 personnes sont chaque année victimes d’une usurpation d’identité. Par ailleurs, on évaluait à 400 000 en 2009, en France, le nombre d’usurpations d’identité sur Internet. Nous devons nous montrer d’autant plus vigilants qu’il existe des liens parfois étroits entre l’usurpation d’identité et le crime organisé ou le terrorisme.

Toutefois, qu’apporte une telle disposition, si ce n’est pour ajouter la référence à Internet et montrer que les pouvoirs publics agissent, quand le droit en vigueur apporte déjà des réponses suffisantes ?

Les pratiques d’usurpation d’identité sont d’ores et déjà susceptibles d’être réprimées sur le fondement du délit d’escroquerie, du délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui, de la diffamation.

Je constate enfin que la commission des lois du Sénat a nommé un rapporteur sur la proposition de loi relative à la protection de l’identité de MM. Lecerf et Houel. Il est encore trop tôt pour se prononcer sur le fond, mais cette proposition de loi, qui vise à équiper les cartes nationales d’identité d’une puce électronique sécurisée, présente au moins l’avantage d’agir en amont afin de lutter efficacement contre une pratique qui ne cesse de se développer.

Le droit positif couvre l’ensemble des usurpations d’identité susceptibles de porter préjudice à la personne. Qu’elles soient commises par le biais d’Internet ne change rien. Le présent article est dont superfétatoire et apparaît davantage comme une mesure d’affichage. C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, nous vous invitons à le supprimer.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. L'article 2 crée un délit punissant les usurpations d’identité commises dans le but de porter atteinte à la tranquillité ou à l’honneur d’une personne. Aujourd'hui, de tels faits ne sont réprimés que lorsque la personne dont l’identité a été usurpée a, de ce fait, encouru des poursuites pénales.

Cet article comble donc bien un vide juridique, comme nous l’avions souligné en première lecture. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Brice Hortefeux, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Tous trois sont présentés par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche

L'amendement n° 77 est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. 226-4-1. - Le fait d'usurper sur un réseau de communication électronique l'identité d'une personne physique ou morale ou une ou plusieurs données de toute nature permettant de l'identifier en vue de lui nuire intentionnellement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

L'amendement n° 75 est ainsi libellé :

Alinéa 2

Supprimer les mots :

ou de faire usage d'une ou plusieurs données de toute nature permettant de l'identifier

L'amendement n° 76 est ainsi libellé :

Alinéa 2

Supprimer les mots :

, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter ces trois amendements.

Mme Éliane Assassi. Avec ces trois amendements, nous voulons préciser et circonscrire le champ d’application du délit d’usurpation d’identité sur un réseau de communications électroniques.

Dans la rédaction actuelle de l’article, cette infraction concerne toute atteinte à la tranquillité, à l’honneur et à la considération d’une personne.

A priori, il s’agit là d’un triple objectif parfaitement légitime. Toutefois, la rédaction retenue ici est assez vague et susceptible de permettre une interprétation extensive, voire abusive, qui pourrait être attentatoire aux libertés.

Le champ de l’infraction demeure extrêmement vaste puisque celle-ci est caractérisée dès la moindre atteinte à la tranquillité d’une supposée victime. Outre qu’un tel délit peut d’ores et déjà être sanctionné par le droit existant, le terme « considération » ne se trouve dans aucun texte juridique. La possibilité laissée à un magistrat de définir le terme « considération » serait contraire aux exigences constitutionnelles de clarté et d’intelligibilité de la loi.

Au-delà du fait que cette formulation n’épuise pas la compétence législative, il faut croire que les craintes que reflète cet article sont ailleurs.

Faut-il rappeler que, dans notre pays, le délit d’outrage est devenu ces dernières années un délit « en vogue », si j’ose m’exprimer ainsi ? En effet, de 17 700 faits enregistrés en 1996, nous avons aujourd’hui passé la barre des 32 000. Et cette inflation, supérieure à 40 %, pose des questions cruciales de société dans le contexte actuel du « tout-répressif ».

À l’heure où le Président de la République use pour la première fois du délit d’outrage au chef de l’État pour le simple port d’un masque à son effigie ou pour la répétition d’une phrase qu’il a lui-même prononcée, on peut légitimement s’inquiéter des conséquences de cet article.

Les députés de l’UMP ont répondu à leurs collègues sénateurs que cet article ne devait pas donner lieu à un débat, car il fallait « faire confiance aux juges ». Vu que nous nous leur faisons confiance et pas vous, chers collègues, nous estimons que nos craintes peuvent être fondées. Tel est le sens de ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. S’agissant de l’amendement n° 77, je rappellerai que, en première lecture, le Sénat a validé l’extension du champ de ce délit à l’ensemble des hypothèses de la vie courante dans lesquelles l’identité d’une personne peut être usurpée à des fins malveillantes.

En outre, la rédaction issue des travaux de notre assemblée, qui a introduit explicitement la notion d’usurpation, permet de caractériser suffisamment l’intention délictueuse de l’auteur de l’infraction.

Sur ce point, il me semble que le texte adopté par la commission est parvenu à un bon équilibre. J’émets donc un avis défavorable.

S’agissant de l’amendement n° 75, les inquiétudes des auteurs de l’amendement n’ont pas lieu d’être dès lors que la commission des lois a, en première lecture, expressément introduit le terme « usurpation » dans la rédaction du dispositif. Le but est bien de sanctionner les usurpations d’identité ou données personnelles portant atteinte à la tranquillité ou à la considération d’une personne.

Je rappelle, par ailleurs, que la loi pénale s’interprète strictement. L’avis de la commission est donc défavorable.

J’en viens à l’amendement n° 76. Les termes d’atteinte à l’honneur ou à la considération sont directement inspirés de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, laquelle vise notamment le délit de diffamation. Il existe une abondante jurisprudence sur ces termes, auxquels les tribunaux correctionnels sont habitués. Là encore, l’avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Brice Hortefeux, ministre. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 77.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 75.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 76.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

Article 2
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Article 4

Article 2 bis

(Suppression maintenue)

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Article 2 bis
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Article 5 (début)

Article 4

(Non modifié)

I. – L’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :

1° Après le quatrième alinéa du 7 du I, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs relevant de l’article 227-23 du code pénal le justifient, l’autorité administrative notifie aux personnes mentionnées au 1 du présent I les adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l’accès sans délai.

« Un décret fixe les modalités d’application de l’alinéa précédent, notamment celles selon lesquelles sont compensés, s’il y a lieu, les surcoûts résultant des obligations mises à la charge des opérateurs. » ;

2° Au dernier alinéa du même 7 et au premier alinéa du 1 du VI, les mots : « quatrième et cinquième » sont remplacés par les mots : « quatrième, cinquième et septième ».

II. – (Non modifié)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 7 est présenté par Mme Klès.

L'amendement n° 78 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Virginie Klès, pour défendre l’amendement n° 7.

Mme Virginie Klès. J’ai déjà évoqué, lors de la discussion générale, ma demande de suppression de l’article 4.

Depuis la première lecture, j’ai reçu de nombreux témoignages, notamment d’associations de victimes et d’associations de lutte contre la pédophilie, évoquant le courage et la « subtilité » – je crois comprendre que ce terme fait référence à mon souci de pédagogie – de mes positions. Sur un sujet aussi sensible, courage et pédagogie me semblent relever du devoir politique.

Nous sommes tous d’accord dans cet hémicycle pour dire qu’il faut lutter le plus efficacement possible contre la pédophilie et contre la pédopornographie. Pour autant, vous l’avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre, en matière de cybercriminalité, y compris pour ce qui concerne la lutte antiterroriste, tous les moyens de lutte ont déjà pris en compte l’évolution technologique mise en œuvre par ces réseaux de communication qui se développent d’une façon en quelque sorte parallèle à Internet : ils ne sont reliés à ce dernier que de façon très fugace, par le biais de spams, de trojans ou autres passerelles très éphémères qui infestent aujourd’hui quasiment 25 % de nos ordinateurs privés, à l’insu de leurs propriétaires.

On sait aujourd’hui que le blocage des sites Internet pédopornographiques n’est d’aucune efficacité. Autant vouloir bloquer des avions en plein vol en dressant des barrages routiers !

Il n’est jamais honteux de reconnaître qu’on a eu une idée trop tard. Sans doute le blocage des sites pédopornographiques était-il une bonne idée voilà dix ans ; la technologie alors utilisée était différente. Aujourd’hui, la configuration n’est plus du tout la même. Tout à l'heure, monsieur le ministre, vous nous avez dit que la lutte contre la délinquance devait s’adapter à l’évolution de la délinquance. Eh bien, faisons-le !

Les moyens prévus pour bloquer les sites pédopornographiques, affectons-les ailleurs ! Investissons-les dans une lutte réelle, menée en coopération avec les pays qui nous entourent, en particulier la Russie, où beaucoup de ces sites sont hébergés, afin que les contenus soient retirés, et non pas simplement bloqués et filtrés. Mettons en œuvre des méthodes de recherche pour faire évoluer encore nos technologies et gagner en efficacité.

Déployons aussi des dispositifs réellement efficaces pour lutter contre l’économie souterraine. En effet, aujourd’hui, 40 % des bénéfices de la pédopornographie retournent au système financier et à certaines banques, ne serait-ce que par le biais des cartes prépayées anonymes. Il y a assurément là beaucoup à faire.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l'amendement n° 78.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La lutte contre la pédopornographie est absolument nécessaire, nous sommes tous d’accord sur ce point.

Le problème, c’est l’efficacité, comme l’a très bien dit Mme Klès, qui avait déjà avancé de nombreux arguments en première lecture. Malheureusement, il n’en a été apparemment tenu aucun compte.

Les fournisseurs d’accès sont aujourd’hui dépassés par les possibilités de contournement, qui permettent au trafic d’images pédopornographiques de prospérer en marge des réseaux que vous visez.

Inefficace au regard de l’objectif que vous lui fixez, la méthode que vous employez pour lutter contre la pédopornographie peut, en revanche, avoir des effets autres : par exemple, le filtrage va cibler les serveurs ou hébergeurs et non les pages incriminées, faisant courir un risque de surblocage et d’erreurs en grand nombre.

Le cas de Wikipédia en Australie devrait tout de même conduire le législateur français à s’interroger sur les risques encourus. Le célèbre site d’encyclopédie en ligne y a en effet été bloqué en application du principe, repris par la LOPPSI, de filtrage des contenus pédopornographiques. Ce pays étend désormais le filtrage à beaucoup d’autres contenus que la seule pédophilie. Nous y voyons une source supplémentaire d’inquiétudes, car il s’agit, en réalité, d’un contrôle des internautes.

L’Allemagne, qui s’était également dotée de ce même dispositif, y a renoncé en raison du nombre d’erreurs commises dans le jugement des caractères pédopornographiques des sites « blacklistés » : sur 8000 sites filtrés, seulement 100 recelaient des contenus pédopornographiques, soit 98,75% d’erreurs.

Nous pourrions prendre en compte l’expérience de ces pays pour réfléchir à d’autres formes de contrôle de la pédopornographie.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Ces deux amendements ont déjà été rejetés par le Sénat en première lecture.

L’Assemblée nationale et le Sénat s’étant accordés sur le principe qui sous-tend cet article, la commission maintient son avis défavorable. Le dispositif proposé portera ses effets dans le cadre d’une coopération internationale déjà engagée à l’échelle européenne. Plusieurs pays – Danemark, Royaume-Uni, Suède et Pays-Bas – ont, en effet, adopté le principe d’un blocage d’accès aux sites de pédophilie.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Brice Hortefeux, ministre. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.

M. Alain Anziani. Je voudrais apporter mon soutien à ces deux amendements. Bien sûr, il n’est pas facile de défendre la suppression de l’article 4 et, au prix d’une certaine mauvaise foi, on peut à bon compte ironiser sur une telle position. Il reste que ces amendements ouvrent une réflexion de fond.

Tout le monde est contre la pédopornographie. Tout le monde considère qu’il faut mener un combat sans merci contre ces sites. Cette conviction commune doit être affirmée avec beaucoup de force.

Pour autant, cela ne nous dispense pas d’une réflexion pour savoir si nous n’allons pas vendre de l’illusion. Car n’est-ce pas vendre de l’illusion que de dresser des lignes Maginot qui, aussitôt édifiées, vont être contournées ? Les techniques ne vont-elles pas plus vite que les interdictions ?

Initialement, je n’étais pas nécessairement favorable à ces amendements, mais j’ai été sensible à un argument qui vient d’être avancé : qu’un site aussi important que Wikipédia fasse, dans un pays, l’objet d’un surblocage donne tout de même à réfléchir ! Et qu’on ne vienne pas nous dire que, aujourd’hui, ce n’est pas possible ! Le surblocage de Wikipédia en Australie s’est fait au nom de la lutte contre la pédopornographie, alors que ce site n’a évidemment rien à voir avec de telles images.

Le Gouvernement nous propose une solution, et je voudrais l’en féliciter. Mais encore lui faut-il reconnaître qu’elle n’a qu’une efficacité très limitée et qu’elle ouvre des risques de surblocage.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 7 et 78.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 79, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs présentant un caractère pornographique le justifient, l'autorité administrative saisit l'autorité judiciaire qui peut prescrire la notification aux personnes mentionnées aux 1 et 2 du présent I des adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l'accès sans délai.

II. - Après l'alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« L'autorité administrative expose dans sa saisine les raisons pour lesquelles les mesures visant à empêcher l'accès au service incriminé sont nécessaires. L'autorité judiciaire se prononce sur le caractère illicite du contenu incriminé et contrôle la proportionnalité de la mesure ordonnée.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Conformément aux termes de l’article 66 de la Constitution, qui pose le principe du respect de la sûreté personnelle et qui délègue cette tâche, par essence pénale, au juge judiciaire, nous considérons qu’il revient à ce juge, gardien des libertés, de se prononcer sur des mesures susceptibles de porter atteinte à la liberté de communication, quelle que soit la gravité de l’infraction supposée.

Pour mémoire, il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel a estimé, s’agissant de la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, la loi HADOPI, qu’une connexion ne pouvait être coupée sans décision du juge et qu’une autorité administrative ne pouvait pas prendre une telle décision.

En novembre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a de nouveau estimé que le parquet français ne satisfaisait pas à « l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif ».

Dans le droit fil de cette jurisprudence, le 15 novembre dernier, la Cour de cassation a également considéré que « le ministère public français ne présentait pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises par la Convention européenne des droits de l’homme ».

À l’heure où ces juridictions s’accordent pour remettre en cause la toute-puissance du parquet, il n’est guère possible de la soutenir. C’est pourquoi, conformément à l’article 66 de la Constitution, toute mesure de blocage doit être prescrite par le juge judiciaire, comme nous le proposons.

Par ailleurs, le texte instaure la création d’une liste noire de sites qui se verront privés d’un accès au réseau Internet, liste définie par l’autorité administrative. Mais nous ne disposons que de peu d’éléments pour savoir comment les autorités compétentes pourront actionner la procédure, ces questions ayant été renvoyées à un décret ; il est d’ailleurs particulièrement étonnant que la publicité de cette liste ne soit pas prévue. Selon nous, cette procédure doit être définie par la loi.

M. le président. L’amendement n° 8, présenté par M. Anziani, Mme Klès, MM. Frimat, C. Gautier et Peyronnet, Mmes M. André et Bonnefoy, M. Yung, Mme Boumediene-Thiery, MM. Sueur, Guérini, Ries, Courteau et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 3

Après les mots :

l'autorité administrative notifie

insérer les mots :

, après accord de l'autorité judiciaire statuant en référé,

II. - Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Il organise l'intervention de l'autorité judiciaire ainsi que les conditions de transmission et d'échanges rapides d'informations avec l'autorité administrative. Il détermine également les modalités d'exercice du droit d'accès au traitement de données résultant des notifications administratives par la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Cet amendement va dans le même sens que le précédent.

Quel est le rôle du juge ? Selon nous, il consiste à prévenir les difficultés qui peuvent survenir et non pas à les constater une fois qu’elles sont apparues. Nous proposons donc que le juge intervienne avant que ne se produise un blocage et nous souhaitons que soit prise, avant tout, une décision du juge judiciaire.

Nous sommes tout à fait en désaccord avec l’interprétation donnée par le rapporteur de la décision rendue récemment par le Conseil constitutionnel, car nous pensons, a contrario, que celui-ci a souhaité l’intervention du juge judiciaire.

On nous objectera qu’un certain temps risque de s’écouler avant l’intervention de la décision du juge judiciaire. Cet argument ne tient pas : il existe aujourd’hui des procédures permettant à un juge d’intervenir rapidement ; je pense au référé, notamment au référé d’heure à heure.

Par ailleurs, ce système de blocage aboutira à l’établissement d’une liste de sites interdits. Cet amendement tend donc à instaurer un droit d’accès indirect de la CNIL afin de permettre aux responsables de sites fichés par erreur de disposer d’une voie de recours.

M. le président. L’amendement n° 127 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin et Alfonsi, Mme Escoffier, MM. Baylet, Chevènement et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Après le mot :

notifie

insérer les mots :

, après accord de l'autorité judiciaire,

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Cet amendement va dans le même sens que les précédents. Il concerne l’obligation de soumettre à une autorité judiciaire la décision de suspendre l’accès à Internet.

L’article 4 de ce projet de loi vise un objectif que nous jugeons parfaitement légitime : lutter de manière plus efficace contre la pédopornographie en mettant en œuvre une procédure de notification impliquant les fournisseurs d’accès et en obligeant ces derniers à suspendre les sites Internet litigieux, qui sont le plus souvent basés à l’étranger.

Néanmoins, la procédure prévue par cet article ne nous paraît pas satisfaire aux critères dégagés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, comme cela vient d’être rappelé.

En l’état actuel de la rédaction, l’autorité administrative pourra intervenir sans contrôle de l’autorité judiciaire pour limiter le droit d’accès à Internet et le droit de diffusion des opérateurs. Or, par la décision du 10 juin 2009 relative à la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, sur laquelle les appréciations divergent, le Conseil constitutionnel a affirmé la compétence exclusive de l’autorité judiciaire pour suspendre l’accès à Internet, un droit qu’il qualifie, au passage, de liberté fondamentale.

Par conséquent, il ne peut revenir à l’administration seule, par l’intermédiaire des hébergeurs et des opérateurs de communication électronique, de décider d’empêcher une connexion : ce serait porter atteinte au principe selon lequel une autorisation judiciaire est requise pour toute restriction de l’accès à Internet.

Je pense que, en l’absence de modification de cette rédaction, un certain nombre de conflits ne manqueront pas de voir le jour.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Ces trois amendements tendent à soumettre la procédure de blocage des sites pédopornographiques à l’autorisation préalable de l’autorité judiciaire.

Nous avons été saisis, lors de la première lecture, d’une proposition similaire. Le Sénat avait alors écarté le principe d’une intervention préalable systématique du juge.

D’une part, compte tenu des modes opératoires des créateurs de ces sites, il faut agir avec une grande rapidité, ce qui ne semble pas compatible avec l’intervention préalable du juge, même lorsqu’il intervient en référé. D’autre part, la décision administrative pourra toujours faire l’objet d’un recours dans les conditions de droit commun.

L’avis est donc défavorable sur ces trois amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Brice Hortefeux, ministre. Je me suis déjà exprimé sur ce point devant les deux assemblées ; je n’y reviens donc pas. Je partage l’avis de la commission.

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote sur l’amendement n° 79.

Mme Virginie Klès. Parmi les messages que j’ai reçus et dont je parlais à l’occasion de la présentation de l’amendement n° 7, figurait également cet avertissement concernant le risque de censure abusive, qu’il ne faut pas confondre avec les phénomènes de surblocage.

« Honni soit qui mal y pense », me dira-t-on peut-être, mais j’observe que le rapport annexé à la LOPPSI rapproche, dangereusement à mon sens, les sites pédopornographiques et la radicalisation religieuse. Ce rapprochement me gêne, de même que le refus d’une autorisation judiciaire avant toute décision de restriction de l’accès à Internet.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 79.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 127 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 10, présenté par M. Anziani, Mme Klès, MM. Frimat, C. Gautier et Peyronnet, Mmes M. André et Bonnefoy, M. Yung, Mme Boumediene-Thiery, MM. Sueur, Guérini, Ries, Courteau et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Un contrôle de la liste des adresses électroniques visées à l'alinéa précédent est effectué mensuellement par un magistrat référent désigné à cet effet par le ministre de la justice.

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Avec votre permission, monsieur le président, je présenterai en même temps pour l’amendement n° 11, qui procède de la même démarche.

M. le président. J’appelle donc également en discussion l’amendement n° 11, présenté par M. Anziani, Mme Klès, MM. Frimat, C. Gautier et Peyronnet, Mmes M. André et Bonnefoy, M. Yung, Mme Boumediene-Thiery, MM. Sueur, Guérini, Ries, Courteau et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, et ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - Le Gouvernement dépose chaque année sur le bureau de l'Assemblée nationale et du Sénat un rapport dressant la liste des adresses électroniques ayant fait l'objet d'une interdiction d'accès et fournissant un bilan d'application du présent article.

Veuillez poursuivre, monsieur Anziani.

M. Alain Anziani. L’article 4 du projet de loi prévoit que la transmission par le ministre de l’intérieur d’une liste d’adresses électroniques à bloquer, autrement dit un fichier. Une question se pose alors : comment évaluer et éventuellement corriger les risques de surblocage ? Il nous semble que la solution permettant de prévenir ces risques réside dans l’instauration d’un contrôle mensuel de la liste des adresses bloquées.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. L’amendement n° 10 tend à confier à un magistrat référent le contrôle a posteriori de la liste des sites bloqués. Cette disposition ne nous paraît pas nécessaire dès lors que la décision de blocage des sites peut faire l’objet d’un recours devant les juges. Elle peut même entraîner un risque de confusion si le juge administratif saisi d’un recours et le magistrat référent créé par cet amendement adoptaient des positions contradictoires.

J’émets donc un avis défavorable, de même que sur l’amendement n° 11.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Brice Hortefeux, ministre. Même avis. Je précise qu’un contrôle de périodicité mensuelle nous paraît difficilement réalisable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 11.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 9, présenté par M. Anziani, Mme Klès, MM. Frimat, C. Gautier et Peyronnet, Mmes M. André et Bonnefoy, M. Yung, Mme Boumediene-Thiery, MM. Sueur, Guérini, Ries, Courteau et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Ce dispositif est institué pour une période de vingt-quatre mois à compter de la publication de la loi n° … du … d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. À l'issue de cette période, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d'évaluation détaillé sur la mise en œuvre du présent article. 

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Il s’agit d’un amendement de bon sens.

Nous allons mettre en place une procédure que nous ne maîtrisons pas et dont nous connaissons mal les effets. Faisons en sorte que cette nouvelle procédure de filtrage soit instaurée à titre expérimental, pour une durée de deux ans, et donne lieu à un bilan d’application sous la forme d’un rapport au Parlement. Nous saurons alors si les résultats obtenus sont aussi efficaces qu’annoncé.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Cet amendement, déjà présenté en première lecture, vise à ce que le dispositif de blocage des sites pédopornographiques soit mis en œuvre de manière expérimentale pour une durée de deux ans et à ce qu’un rapport soit remis au Parlement à l’issue de cette période.

Comme je l’ai déjà indiqué, ce dispositif, s’il était adopté, obligerait le Parlement à intervenir à nouveau dans deux ans, ce qui paraît lourd et peu efficace face à de telles formes de criminalité. La commission n’est pas hostile, en revanche, au principe d’une évaluation de l’application de l’article, après une période de vingt-quatre mois.

L’avis est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Brice Hortefeux, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 9.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 4.

(L’article 4 est adopté.)

Chapitre III

Utilisation des nouvelles technologies

Section 1

Identification d’une personne par ses empreintes génétiques

Article 4
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Article 5 (interruption de la discussion)

Article 5

I. – (Non modifié)

II. – Le deuxième alinéa de l’article 87 du code civil est complété par une phrase ainsi rédigée :

« L’officier d’état civil informe sans délai le procureur de la République du décès, afin qu’il prenne les réquisitions nécessaires aux fins d’établir l’identité du défunt. »

M. le président. L’amendement n° 68, présenté par M. Zocchetto, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer le mot :

prenne

par les mots :

puisse prendre

La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. S’il convient de préciser que le procureur de la République est chargé de faire procéder aux opérations nécessaires afin de permettre l’identification des personnes décédées inconnues, l’autorité judiciaire doit disposer en la matière d’une faculté et ne doit pas être dans l’obligation de prendre systématiquement des réquisitions.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Cet amendement tend à revenir sur le principe posé à l’article 5 selon lequel le procureur de la République est tenu de prendre les réquisitions nécessaires à l’identification des personnes décédées inconnues. Il est vrai que le fait de maintenir une telle obligation risque de provoquer de réelles difficultés pour les parquets et qu’elle est susceptible d’entraîner des coûts supplémentaires.

La difficulté est ici d’ordre pratique. La commission s’en remet, par conséquent, à l’appréciation du Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Brice Hortefeux, ministre. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 68.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 5, modifié.

(L’article 5 est adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 5 (début)
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Discussion générale

14

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 19 janvier 2011, à quatorze heures trente et le soir :

- Suite de la deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (n° 195, 2010-2011).

Rapport de M. Jean-Patrick Courtois, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (n° 214, 2010-2011).

Texte de la commission (n° 215, 2010-2011).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART