M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques.

Comme d’habitude lorsqu’il s’agit de transposition de directives, le Gouvernement utilise la procédure accélérée et avance la nécessité d’adopter au plus vite le texte, sous peine de sanctions financières. Or c’est en raison de son inaction que la France affiche aujourd’hui un retard important dans la transposition de directives ; comme à chaque fois, c’est dans l’urgence que nous examinons des textes « fourre-tout », qui nuisent à la lisibilité et à la clarté des débats.

Il s’agit donc ici de transposer en droit interne des textes européens, dont la directive Services, dite Bolkestein, très controversée et que nous avons été nombreux à dénoncer. En effet, cette entreprise de simplification des législations nationales a surtout pour but la libéralisation et la dérégulation des services au sens large. Nous serons donc conduits à proposer la suppression de nombreux articles de ce projet de loi.

Mes chers collègues, je souhaite appeler votre attention sur la manière dont procède le Gouvernement.

Contrairement à la majorité des États, qui ont opté pour l’adoption d’une loi « horizontale », c’est-à-dire d’une loi-cadre, d’une loi « globale », la France transpose cette directive européenne secteur par secteur. Parmi les très nombreux textes qui reprennent des éléments de la directive Services, on peut notamment citer la loi de modernisation de l’économie, la loi de développement et de modernisation des services touristiques, la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST ou la loi relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services, sans oublier la réforme du statut de la société privée européenne.

Le gouvernement français a décidé de ne pas faire une transposition globale pour ne pas relancer le débat sur la libéralisation des services dans leur ensemble. Il nous présente donc une transposition compliquée, quasiment illisible et qui n’a fait l’objet d’aucune concertation. Ainsi, c’est dans l’opacité que se poursuit la révision des textes nationaux. Comme l’indiquait notre ancien collègue Hubert Haenel cité dans le rapport d’information de M. Bizet : « Les modalités de transposition des directives posent un problème de contrôle parlementaire et donc de démocratie. »

Une loi-cadre aurait été nécessaire, car la méthode retenue par le Gouvernement, qui consiste à transposer ce texte par morceaux, constitue un déni de démocratie. On évite le grand débat et on se retrouve avec des textes « fourre-tout », comme celui qui nous est présenté aujourd’hui.

Il est surprenant de voir que le Gouvernement ne propose ni débat politique ni campagne d’information générale, alors que sont en jeu des sujets aussi importants que la santé, le travail et les communications électroniques. Oui, ce sont des sujets essentiels et qui nous concernent tous ! N’oublions pas en effet que cette directive inclut les services fournis aux entreprises et aux consommateurs, les services publics, les services de santé et les services sociaux.

D’une manière générale, presque toutes les directives que vous transposez sont moins protectrices pour nos concitoyens que ne l’est le droit national et elles ne servent pas l’intérêt général. L’Europe devrait protéger. Or on s’aperçoit que le droit communautaire s’impose, déréglemente, prive de protection les citoyens.

Il est difficile de s’y retrouver dans ce texte. On mélange différents sujets, et il est donc impossible d’avoir un débat cohérent, une vue d’ensemble. Cependant, une tendance revient régulièrement : la déréglementation dans tous les secteurs. Cette déréglementation, dont l’objectif théorique est de favoriser la concurrence sur les marchés, peut, comme vous le savez, nuire à l’intérêt général au profit de certaines entreprises, mais elle est surtout cause d’instabilité économique.

À l’article 6 de ce texte, au nom de la libre prestation de services, la transposition de la directive créera une inégalité de traitement entre les entrepreneurs de spectacles établis en France, qui passeront toujours par un régime d’autorisation, et les entrepreneurs de spectacles européens établis hors de France, qui auront seulement à se soumettre à un régime déclaratif. On assiste ici à une concurrence déloyale et, je le répète, on introduit une inégalité de traitement. Ce n’est pas raisonnable ! Sachez en effet que la licence d’entrepreneur de spectacles sert avant tout à empêcher le travail illégal dans le spectacle vivant.

Au nom de la libre prestation de services, l’article 3 vise à modifier le régime d’habilitation des évaluations des établissements sociaux et médico-sociaux pour permettre à des prestataires européens d’exercer de manière temporaire et occasionnelle en France. Ainsi, les organismes établis dans un autre État membre n’auront pas besoin de fournir une habilitation, une simple déclaration d’activité suffira. Comment peut-on être assuré que les organismes d’évaluation des autres États membres affichent le même degré d’exigence que la législation et la réglementation françaises en direction de ces publics fragiles ?

Autre exemple : en matière de reconnaissance des qualifications professionnelles pour les assistants de service social, la déréglementation assouplit, là encore, le régime de qualification. La transposition de la directive abaisse donc le niveau de qualification requis pour exercer cette profession, alors même que ce métier a beaucoup évolué et demande de plus en plus de compétences.

Désormais, tout demandeur ressortissant d’un État membre, détenteur d’un titre de formation, sera dispensé de justifier de deux années d’expérience en tant qu’assistant de service social. Un certain nombre de garanties jusqu’alors exigées ne le seront plus, ce qui fait évidemment peser un risque non négligeable sur les publics pris en charge par les assistants de service social.

La déréglementation présente dans cet article ainsi qu’à l’article 2 relatif aux dispositifs médicaux se fait au détriment de la sécurité des patients. D’une certaine manière, elle organise le désengagement et la déresponsabilisation de l’État.

Concernant la directive Services, on peut dire : sorti par la porte, Bolkestein revient par la fenêtre ! En effet, le principe du pays d’origine, sorti par la grande porte, revient par la fenêtre.

Force est de constater qu’il existe aujourd’hui un grand décalage entre la vision d’une économie intégrée pour l’Union européenne et la réalité vécue par les citoyens européens et les prestataires de services. Triste constat de voir que l’Union européenne « ultralibérale » est devenue une destructrice de la protection sociale.

Le désenchantement des citoyens à l’égard de l’Europe va croissant. On ne peut que les comprendre. Comment convaincre de l’intérêt de l’Europe lorsque celle-ci, sous prétexte de garantir une meilleure concurrence, précarise les travailleurs et les entreprises ?

Tant que les citoyens entendront les mots déréglementation, libéralisation des marchés, restructuration, délocalisation, concurrence accrue, emplois précaires, licenciements, démantèlement des services publics, l’Union européenne ne restera qu’une chimère. D’ailleurs, l’OMC a fait le constat suivant : la libération totale des échanges commerciaux n’a pas empêché la crise financière mondiale ; au contraire, elle semble l’avoir aggravée, notamment en privant les pays de leur protection douanière qui leur permettait de corriger les imperfections du marché de l’import-export.

Les citoyens européens se désintéresseront de l’Europe tant qu’ils auront le sentiment que celle-ci ne les protège pas et que leurs droits sociaux sont menacés. En effet, ils ne trouvent pas leur place dans cette Europe ultralibérale. Et ce texte ne les protège pas sur le plan de la santé et du travail !

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, afin que cette Europe puisse être acceptée, nous devons parallèlement construire une Europe sociale. Celle-ci est indispensable pour corriger les injustices de l’économie de marché, dont le but ultime est la recherche absolue du profit, lequel profit se fait la plupart du temps au détriment des intérêts des citoyens. Il est de notre devoir, en tant que parlementaires, de protéger les citoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Marsin.

M. Daniel Marsin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques vise à combler le retard de la France dans la transposition de plusieurs directives. En effet, dans ce domaine, notre pays n’est pas un très bon élève puisqu’il se situe au quinzième rang des États membres de l’Union européenne.

Ces retards de transposition ne sont pas sans conséquences. D’autres l’ont rappelé avant moi. Ils créent une forte insécurité juridique, multiplient les risques de procédures contentieuses et, à terme, les risques de sanctions financières lourdes. Surtout, ils fragilisent la position de la France vis-à-vis de la Commission et de nos partenaires.

Quel signal en effet envoyons-nous aux pays candidats ou à ceux qui ont récemment rejoint l’Union européenne et qui ont dû faire des efforts considérables pour absorber l’acquis communautaire afin de satisfaire aux exigences de l’intégration ?

Comment peser dans la négociation d’une nouvelle directive quand la précédente, sur le même sujet, n’est pas encore totalement transposée ?

Ces retards incitent aussi le Gouvernement à recourir aux ordonnances pour transposer rapidement des textes à caractère législatif, sans les garanties qu’apporte bien évidemment l’examen parlementaire. Nous avons eu, dans le passé, à adopter des projets de loi d’habilitation. Le texte que nous examinons aujourd’hui n’échappe malheureusement pas à ce travers, comme en témoigne d’ailleurs l’article 11 sur le troisième paquet télécoms, mais nous y reviendrons.

Dysfonctionnement des administrations placées au service de l’État, manque de volonté politique du Gouvernement ou encombrement chronique de l’ordre du jour des assemblées parlementaires : chacun explique à sa manière les mauvaises performances de notre pays en matière de transposition du droit communautaire. Quoi qu’il en soit, il conviendrait de formuler quelques propositions pour y remédier de manière durable. Pas plus que les ordonnances, le recours aux projets de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire ou la transposition fragmentée dans plusieurs textes ne sont des solutions satisfaisantes.

Je rappelle d’ailleurs que le Sénat avait adopté en 2001, sur l’initiative de notre collègue Aymeri de Montesquiou, deux propositions de loi, l’une imposant au Gouvernement de transmettre au Parlement une étude d’impact sur les projets d’actes de l’Union européenne, ainsi qu’un échéancier de transposition des directives, l’autre visant à réserver une séance par mois à ces transpositions, dont l’ordre du jour serait fixé par le Gouvernement ou, à défaut, par chaque assemblée. Ces textes répondaient à la fois à des obligations juridiques impérieuses et à des considérations pratiques. Il est dommage qu’ils n’aient pas rencontré un écho favorable à l’Assemblée nationale.

J’en viens au projet de loi que nous examinons aujourd’hui. Il est l’exemple même de ce que je viens de regretter. Il s’agit d’un texte « fourre-tout », achevant la transposition de directives d’importance majeure et aussi diverses que la directive Services, la directive Reconnaissance des qualifications professionnelles, la directive Médicament, le troisième paquet télécoms, auxquels s’ajoutent des dispositions qui ne semblent pas être imposées par le droit communautaire. Difficile pour un néophyte de suivre ! Néanmoins, j’aimerais faire quelques remarques.

Sur la directive Services, je mesure le travail considérable réalisé par les administrations concernées pour recenser toutes les réglementations qui n’étaient pas compatibles avec cette directive et concevoir les mesures d’adaptation appropriées. Mais j’avoue que cette transposition interminable, fragmentée dans plusieurs textes, comme la loi de modernisation de l’économie, la loi HPST, ou, plus récemment, la loi relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services, conduit à noyer le débat sur un texte pourtant particulièrement sensible.

Chacun se souvient ici des conditions difficiles dans lesquelles la directive a été adoptée et des craintes qu’elle a suscitées chez nos concitoyens. Loin d’être un simple exercice technique, la transposition du texte dans notre droit aurait dû être l’occasion de poser clairement un certain nombre de questions, notamment sur le périmètre concret des services d’intérêt général. Une loi-cadre eût peut-être été préférable pour la tenue d’un tel débat.

Sur le fond, le groupe RDSE a également des réserves. Comme l’a relevé Mme le rapporteur elle-même, certains articles du projet de loi peuvent susciter des craintes parfaitement légitimes. C’est le cas notamment des articles 2, 2 bis et 3, sur lesquels nous avons déposé des amendements de suppression.

Il s’agit de permettre à des organismes établis dans un autre État membre de venir exercer en France pour la certification des dispositifs médicaux et l’évaluation des établissements et services sociaux et médico-sociaux, lesquelles sont aujourd’hui exclusivement le fait d’organismes habilités par l’ANESM, l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux, ou l’AFSSAPS, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

Loin de nous l’idée de jeter l’opprobre sur quelque organisme que ce soit ou de nous opposer par principe à la libre prestation de services, mais nous sommes soucieux, dans le domaine social, sanitaire et médical, de garder un haut niveau de qualité, de compétence et de sécurité. Comment nous assurer que les organismes établis dans un autre État membre répondent aux mêmes exigences ?

Nous estimons que la France aurait pu invoquer les « raisons impérieuses d’intérêt général » prévues dans la directive. Nous regrettons donc vivement que les services sociaux d’intérêt général ne soient pas exclus du champ de la directive.

Le Gouvernement nous propose également, madame la secrétaire d’État, la transposition par voie d’ordonnance du troisième paquet télécoms. Certes, il a transmis le projet d’ordonnance. Il n’en demeure pas moins que le Parlement en est réduit à se défaire de ses prérogatives législatives, ce qui est loin d’être satisfaisant.

Notre assemblée a effectué un travail important sur le sujet, comme en témoigne notamment l’adoption en mars 2010 par le Sénat de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique et, en décembre dernier, sur mon initiative et celle de mes collègues du groupe RDSE, de la proposition de loi relative aux télécommunications.

Le troisième paquet télécoms contient de nombreuses dispositions qui rejoignent nos préoccupations. Je pense en particulier au principe de neutralité des réseaux, qui vise à empêcher les opérateurs de brider ou limiter l’accès de leurs clients à internet. Je pense aussi à la protection des consommateurs, de leur vie privée.

Tous ces sujets méritaient une véritable discussion, que ne permet pas le recours à une ordonnance. Je reviendrai naturellement sur cette question, comme sur celle de la présence d’un commissaire du Gouvernement auprès de l’ARCEP, au moment de l’examen des articles.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe RDSE sera très attentif aux évolutions qui résulteront de nos débats et au sort qui sera réservé à certains de nos amendements pour déterminer son vote final.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Roland du Luart.)

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques
Discussion générale (suite)

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Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales a fait connaître qu’elle a d’ores et déjà procédé à la désignation des candidats qu’elle présentera si le Gouvernement demande la réunion d’une commission mixte paritaire en vue de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques actuellement en cours d’examen.

Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai réglementaire.

5

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques
Discussion générale (suite)

Adaptation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques

Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi en procédure accélérée

(Texte de la commission)

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Yves Détraigne.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques
Article 1er

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, trop souvent, au cours de la législature, on s’est demandé pourquoi la procédure accélérée avait été engagée sur tel ou tel texte. Aujourd’hui, ce n’est évidemment pas le cas, et c’est précisément là que le bât blesse.

Oui, sur ce projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques, il y a urgence à agir !

La directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, dont le présent texte achève la transposition, aurait dû être totalement intégrée dans notre droit au mois de décembre 2009.

Encore plus impressionnant est le cas de la directive du 7 décembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, que transpose aussi ce projet de loi, dont le délai de mise en œuvre a expiré au mois d’octobre 2007. Vous en conviendrez, plus de trois ans de retard, ce n’est pas rien !

Plus généralement, le retard accumulé par notre pays en matière de transposition de directives n’est plus acceptable.

Il n’est plus acceptable, d’abord, sur le plan des principes. Alors que notre pays devrait donner l’exemple en tant que l’un des principaux membres fondateurs de l’Union, la France occupe le « glorieux » rang de sixième pays le plus en retard sur vingt-sept.

Il n’est plus acceptable, ensuite, sur le plan du droit, puisque le retard accumulé porte atteinte au principe de sécurité juridique.

Il n’est évidemment plus acceptable, enfin, en termes financiers. Faut-il le rappeler, en 2005 et en 2008, nous avons été condamnés à une astreinte semestrielle – excusez du peu ! – de 57,8 millions d’euros et à une amende forfaitaire de 10 millions d’euros. Faut-il rappeler également que le risque est dorénavant encore plus grand, puisque les règles de contrôle communautaire en la matière ont été renforcées par le traité de Lisbonne ?

La Commission européenne a fixé les montants minimaux de l’amende forfaitaire et de l’astreinte journalière à respectivement 10 millions d’euros et 12 134 euros. Dans tous les cas, c’est le contribuable qui paye nos manquements. Et avec un déficit avoisinant les 7,7 % du produit intérieur brut, nous ne pouvons tout simplement plus nous le permettre.

Mais il y a encore plus grave.

Parce que l’urgence est bien réelle, nous devons faire vite. Alors, sur quoi le Parlement est-il aujourd’hui tenu de se prononcer dans les plus brefs délais ? Parcourons le texte rapidement, puisqu’il y a urgence...

Son article 1er porte une mesure fiscale qui semble relever du bon sens, mais fait supporter aux communes une charge nouvelle qui ne sera pas compensée.

Son article 2 restreint le rôle de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l’AFSSAPS, en supprimant des garanties indispensables en matière de certification et de maintenance des dispositifs médicaux. Les fabricants et vendeurs de matériels d’occasion pourront justifier eux-mêmes de la qualité de ces matériels, lesquels touchent par définition à la santé et à l’intégrité des personnes.

C’est la même logique avec l’article 3, qui assouplit les conditions de l’exercice et de l’évaluation des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Voilà une évolution surprenante si l’on considère que les établissements eux-mêmes continueront d’être régis par un régime d’autorisation drastique, alors que leurs organismes de contrôle ne relèveront plus que d’un simple régime déclaratif.

L’article 5 quinquies entend permettre au Gouvernement de légiférer par ordonnance en matière de produits cosmétiques. Et chacun sait notre sentiment sur ces dessaisissements à répétition du législatif !

L’article 10 permettra à des assistantes sociales provenant de pays de l’Union d’exercer en France sans connaissance de la législation et de l’environnement socio-économique français.

Enfin, en matière de communications électroniques, l’article 13 crée un commissaire du Gouvernement auprès de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, ce qui ne va évidemment pas sans poser de problèmes au regard des garanties d’indépendance attendues de la part d’une telle autorité. Nous présenterons d’ailleurs un amendement visant à revenir sur une telle disposition.

En résumé, nous le voyons, toutes les mesures sur lesquelles nous sommes tenus de nous prononcer en urgence n’ont rien d’anodin. Et certaines d’entre-elles sont même, sur le fond, très contestables. Contestées, elles l’ont d’ailleurs été par la commission des affaires sociales du Sénat – je parle sous le contrôle de sa présidente –, qui a émis un avis favorable à la suppression des principaux articles !

Nous connaissons l’argument qui va nous être opposé : nous sommes liés par des engagements européens pris de longue date ; impossible d’y échapper.

Tout cela nous place, nous, parlementaires, dans une situation extrêmement inconfortable, pour ne pas dire humiliante, et m’amène à conclure par deux remarques de fond.

Primo, si nous nous retrouvons aujourd’hui tenus de cautionner des mesures qui heurtent nos valeurs et notre éthique, c’est parce que, même après Lisbonne, les Parlements nationaux sont encore bien trop insuffisamment associés au processus de décision communautaire.

M. Guy Fischer. C’est bien vrai !

M. Yves Détraigne. Si tel n’était pas le cas, soyons-en sûrs, le présent projet de loi n’aurait pas la même physionomie. Il y a là un problème institutionnel évident. Nous pouvons certes voter des résolutions : mais que valent-elles ?

Secundo, et c’est un problème encore plus profond, certaines des mesures portées par le texte témoignent d’une évolution de l’Europe qui – il faut le dire – ne nous convient pas. La santé est explicitement exclue du champ de la directive Services.

M. Yves Détraigne. Mais l’Europe y pénètre en l’occurrence par le biais des dispositifs médicaux, mettant de fait à mal le principe de subsidiarité. Cette intrusion conduit à un nivellement par le bas des réglementations sanitaires au nom du grand marché.

Ce n’est pas être anti-européen que de faire ce constat. Bien au contraire. Vous le savez, le groupe de l’Union centriste est europhile : nous souhaitons une Europe plus intégrée, mais au service d’une meilleure protection de tous. C’est cela, la conception française de l’Union. Or cette conception est de plus en plus mal défendue par nos représentations administratives au sein des institutions communautaires.

En résumé, placés dans une situation très inconfortable tant sur la forme que sur le fond, nous prendrons nos responsabilités, en particulier pour éviter de faire payer nos manquements à nos concitoyens.

Cependant, madame la secrétaire d’État, c’est très solennellement que je vous le dis au nom du groupe de l’Union centriste : nous ne voulons plus nous retrouver dans une telle situation.

Et je ne parle pas uniquement des retards de transposition. Il faut sérieusement réfléchir à une meilleure association du Parlement au processus législatif communautaire. Dans l’immédiat, nous espérons que la France saura mieux faire entendre sa voix en amont de ce processus au sein des institutions de l’Union. Il est grand temps ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – M. Guy Fischer applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Annie Jarraud-Vergnolle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le présent projet de loi vise à transposer, dans l’urgence, un certain nombre de directives communautaires en droit national. Il s’ajoute à une série de textes nécessaires à la transposition des directives par voie de projets de loi, de propositions de loi et d’amendements, et ce dans des conditions qui ne permettent pas la tenue d’un débat satisfaisant.

Ce projet de loi amène plusieurs remarques. Nous nous trouvons en présence d’un texte « fourre-tout », désordonné et indigeste, qui amalgame des dispositions très diverses et ne facilite pas leur lisibilité par le Parlement.

Pour couronner le tout, il nous est proposé en procédure accélérée pour pallier le retard important de transposition de certaines directives et éviter les sanctions financières encourues de la part de la Cour de justice de l’Union européenne. Ces directives sont au nombre de cinq. Mais nous nous attacherons principalement à la transposition de la directive Services, qui concerne les articles 1er à 4 et 6 à 8.

Rappelons que, d’inspiration libérale, le droit européen encadre étroitement l’intervention de l’État et des collectivités territoriales dans la vie économique et sociale. Aussi peut-on se demander légitimement s’il n’est pas susceptible d’entraîner un démantèlement des services, notamment des services publics.

Pourtant, des marges de manœuvres juridiques et politiques existent, et il revient à chaque État membre de définir, en fonction du modèle de société qu’il souhaite promouvoir, un certain nombre de services d’intérêt économique général en aménageant le droit à la concurrence dans des secteurs d’activité qu’il ne souhaite pas voir régis par les lois du marché.

Or on peut s’étonner que le Gouvernement ne se soit pas saisi de cette possibilité. De fait, il en résulte qu’un certain nombre de services sont aujourd’hui confrontés à une situation d’insécurité juridique dommageable. Au premier contentieux impliquant le droit ou les autorités communautaires, la légalité des aides ou subventions que ces services reçoivent pourrait être remise en cause. Ce sont tout de même des milliers d’emplois qui sont en jeu !

Nous le savons tous, l’application de la directive sur la libre circulation des services ne peut manquer d’avoir des conséquences importantes, notamment parce que les États membres effectuent en moyenne deux tiers de leurs échanges dans le marché intérieur, et que les services représentent à eux seuls 70 % du produit intérieur brut de l’Union.

Certes, me direz-vous, des textes communautaires existaient déjà avant cette directive dans le domaine des services, mais, bien entendu, aucun d’entre eux n’avait une portée générale. La Commission européenne a donc souhaité élaborer un texte « horizontal », englobant l’ensemble des services quel que soit leur secteur d’activité. Mais le Parlement européen a profondément remanié le texte, en rejetant notamment le principe du pays d’origine, qui pouvait – il est vrai – représenter un risque important de dumping social et juridique.

À une très large majorité, le Parlement européen a également souhaité exclure un certain nombre de domaines du champ de la directive, dont celui de la santé, des services sociaux, afin de leur garantir une réelle protection. Tout simplement parce que, pour les citoyens européens, ces services de proximité revêtent pour eux un caractère essentiel, et ce à double titre : pour faciliter leur vie quotidienne et pour garantir leur droit fondamental à la dignité et à la sécurité.

Ces exclusions, relativement larges, laissaient aux États membres une grande marge d’appréciation.

Il faut également le rappeler, à la suite de la polémique autour du droit applicable dans le cadre de la liberté d’établissement, la directive Services a fait l’objet d’un compromis défendu par la députée européenne socialiste Evelyne Gebhardt et d’une nouvelle rédaction des articles litigieux. Il est ainsi précisé que la directive ne s’applique que dans la mesure où elle n’oblige les États membres « ni à libéraliser les services économiques d’intérêt général, ni à privatiser des entités publiques [proposant de tels services], ni à abolir les monopoles existants ».

Telle que définie, la directive a été définitivement adoptée le 12 décembre 2006 et les vingt-sept États membres avaient jusqu’au 28 décembre 2009 pour la transposer en droit national.

Or, plusieurs pays de l’Union ont choisi d’adopter une loi-cadre pour ce faire. Ce mode de transposition a permis la tenue d’un débat général sur la directive Services et ses implications. Cela n’a malheureusement pas été le cas en France, nous le voyons encore aujourd’hui.

Contrairement à la majorité des États membres, le Gouvernement français a choisi une transposition sectorielle, et essentiellement réglementaire. Cette méthode présentait l’énorme avantage, pour lui, d’évacuer les difficultés politiques. Elle avait cependant l’inconvénient d’être difficilement lisible pour le Parlement ainsi que pour les collectivités territoriales, également touchées par les réformes.

À plusieurs reprises, les socialistes ont demandé que le Gouvernement élabore une loi-cadre pour transposer les principes de la directive afin d’assurer la transparence, ce qui se justifiait notamment par le fait qu’une telle directive était emblématique d’une certaine construction de l’Europe.

Le Gouvernement n’a pas souhaité donner suite à cette demande. En faisant le choix de ne pas rendre public le débat relatif à la directive Services adoptée en 2006, il a privilégié une approche exclusivement technique, écartant, de fait, le Parlement de la discussion.

Pourtant, au nom de la concurrence libre et parfaite, le traité européen interdit, en principe, que des activités de services ou de production bénéficient d’aides d’État. Toutefois, les services d’intérêt économique général pouvaient bénéficier, sous certaines conditions, de dérogations à ce régime, prévues dans le « paquet Monti-Kroes ». Pour ce faire, les États membres devaient remettre, en décembre 2009, un rapport notifiant leurs dérogations.

Ainsi, en janvier 2010, c’est-à-dire après le délai légal de mise en conformité avec le droit européen, la France a transmis à la Commission européenne un rapport prenant la forme de fiches élaborées par les ministères concernés et validées par la mission interministérielle. Or, lors de la discussion de la proposition de loi de Roland Ries relative à la protection des missions d’intérêt général imparties aux services sociaux et à la transposition de la directive Services, à la fin du mois de mars 2010, le Gouvernement a refusé, dans un premier temps, la communication de ces fiches au Sénat, comme il l’avait refusée à l’Assemblée nationale. Cette pratique, ni légale ni légitime, bafoue, encore une fois, les prérogatives politiques du Parlement.

Après maintes interventions, ces fiches ont fini par nous parvenir, quelques heures seulement avant le démarrage des débats dans l’hémicycle. Nous avons notamment appris à leur lecture que les services d’aide à domicile auprès des personnes âgées dépendantes et des personnes handicapées n’étaient pas exclus du champ de la concurrence, contrairement aux établissements médico-sociaux, lesquels reçoivent pourtant le même public !

Nous retrouvons ces contradictions dans ce projet de loi. Nous en citerons deux.

D’une part, l’article 3 relatif à l’évaluation des établissements sociaux et médico-sociaux propose de modifier le régime d’habilitation des 38 000 établissements médico-sociaux pour permettre à des prestataires européens d’exercer de manière temporaire et occasionnelle en France une évaluation externe de ces établissements.

La modification proposée consiste à ne plus exiger de ces organismes établis dans un autre État membre qu’une simple déclaration d’activité, alors qu’il leur faut actuellement établir un dossier pour obtenir une habilitation.

Franchement, de quelles assurances dispose-t-on pour s’assurer que les organismes d’évaluation d’autres États ont une connaissance approfondie non seulement de la législation sociale française encadrant les établissements médico-sociaux, mais aussi de la réglementation concernant les publics fragiles ?

D’autre part, j’évoquerai l’article 8 concernant la mise en œuvre de la directive Services pour les agences de mannequins.

Pour pouvoir exercer son activité, une agence de mannequins doit obtenir une licence – y compris pour une prestation exceptionnelle –, qui garantit qu’elle respecte le régime des incompatibilités professionnelles avec un certain nombre de prescripteurs de prestations, afin de réduire les risques de pression sur les jeunes, du fait de leur vulnérabilité.

Or cet article autorise les agences établies dans un État membre à exercer leur activité en France, de manière temporaire et occasionnelle, après une simple déclaration préalable d’activité et supprime donc les incompatibilités professionnelles qui avaient un caractère protecteur. En conséquence, l’interdiction de prêt de main-d’œuvre et la présomption de salariat pour les mannequins exerçant en libre prestataire ne s’appliquent plus.

Compte tenu des conditions d’exercice de la profession de mannequin et du public spécifique qui la pratique, on aurait pu penser que le Gouvernement invoquerait des raisons impérieuses d’intérêt général pour maintenir les dispositions protectrices existantes.

Ces deux exemples montrent malheureusement que le Gouvernement n’a pas saisi, dans le cadre de la transposition, les éléments positifs introduits par le traité de Lisbonne et n’a pas utilisé la large latitude que l’article 14 de ce traité et le protocole additionnel n° 26 confèrent aux États membres pour apprécier ce qui relève ou non de services devant être protégés de la concurrence.

Le Gouvernement propose, au contraire, une déréglementation des services et la fin de la sécurisation et de la consolidation des services d’intérêt général, ceux qui garantissent la cohésion sociale et territoriale de notre pays.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons déposé des amendements de suppression des articles de déréglementation, dont un certain nombre ont été soutenus par la commission des affaires sociales. Espérons que les débats, dans cet hémicycle, nous permettent de prévoir des solutions emblématiques de la construction d’une Europe sociale et d’un Gouvernement respectueux de ses institutions, en accord avec nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)