Mme Michelle Demessine. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Chevènement. Les autres pays européens n’ont pas voulu de la mention expresse d’une préférence communautaire, soit par choix idéologique – c’est le cas de la Grande-Bretagne et de la Suède –, soit parce qu’ils sont dépourvus d’une base industrielle de défense. Certes, le considérant 18 de l’exposé des motifs de la directive va dans le sens d’une préférence communautaire, mais il n’a pas de valeur normative.

Le DGA a indiqué qu’il entendait profiter de la transposition pour inscrire dans la loi des dispositions allant plus loin que la directive stricto sensu. Le fameux considérant 18 précise qu’il appartient aux pays tiers de laisser leurs pouvoirs adjudicateurs « libres d’aller chercher ou non des fournisseurs en dehors de l’Union européenne ».

Cette formulation est en elle-même inquiétante. Certes, elle peut signifier que les États ont le droit d’autoriser cette pratique, comme de l’interdire. Néanmoins, cela ne constitue pas une protection à l’échelle communautaire !

S’agissant de la France, celle-ci réalisait ses achats pour l’essentiel dans le cadre du décret défense : dès qu’il y avait un « secret de défense », il était possible de limiter les acquisitions aux fournisseurs nationaux. Avec la transposition de la directive, le décret défense tombe. Un texte est donc nécessaire pour empêcher l’application de l’article 1er du code des marchés publics ouvrant tous les marchés à la compétition mondiale. C’est l’objet de l’article 5 du projet de loi, qui vise notamment à modifier l’article 37-2 de l’ordonnance du 6 juin 2005. Sa rédaction est d’ailleurs assez ambiguë, parce qu’elle se veut une transposition du considérant 18. Nous sommes victimes de l’inexistence d’un code spécifique des marchés de la défense !

Qui nous dit, monsieur le ministre, que la CJUE retiendra notre interprétation de l’article 37-2 ? La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées en est si peu convaincue qu’elle a jugé utile de renforcer ces fragiles « protections », si je puis dire. Mais j’observe que les amendements adoptés par la commission, visant à créer des articles 37-3, 37-4, 37-5 pour définir des critères, que j’approuve par ailleurs, peuvent ne pas être retenus par la CJUE au motif que ces derniers, notamment les intérêts de la défense, la sécurité d’approvisionnement, le souci de la base industrielle et technologique de défense, vont au-delà de la directive. Comment sortir de là ? Je vous le demande !

Contrairement à ce que vous avez dit, je ne vois pas comment on évitera les faux nez européens, c’est-à-dire des entreprises non européennes établissant le siège d’une filiale en Europe et recourant à la sous-traitance.

Il faudra s’appuyer sur une directive européenne autorisant les achats sur étagère, directive dont, au surplus, l’interprétation ne nous appartiendra pas ! Quelle démarche aléatoire, accordez-le moi !

Peut-on amener nos partenaires européens à privilégier la constitution d’une base industrielle et technologique de défense européenne et à renoncer à se fournir aux États-Unis ? L’exemple du JSF 35 montre qu’il n’y a pas de volonté politique en ce sens. La directive Marchés publics de défense et de sécurité n’y changera rien. Elle proscrit théoriquement les compensations industrielles, les offsets, en interdisant la sous-traitance nationale qui serait imposée par le pouvoir adjudicateur à l’intérieur de l’Union européenne.

Cependant, je vous pose la question suivante : les pays ne disposant pas d’une base industrielle de défense l’entendront-ils de cette oreille ?

Nos industriels soutiennent non sans logique que l’interdiction des offsets au sein de l’Union européenne favorisera plutôt les industriels américains. C’est aux industriels français qu’il reviendra alors de faire valoir « leur bon droit » auprès de la CJUE, sans doute par l’intermédiaire de leurs organisations professionnelles, car on voit mal une entreprise soumissionnaire attaquer en justice un État adjudicateur.

Comme l’a indiqué le secrétaire général aux affaires européennes, la « transposition est un exercice forcément contraint, puisqu’il faut rester dans le cadre de la directive, sauf à introduire un important élément d’insécurité juridique. Il est indispensable d’utiliser les critères de la directive que tout juge national ou européen fera primer, en cas de discordance, sur les dispositions du projet de loi ».

On ne saurait mieux illustrer la vanité de l’exercice de la transposition, qu’elle soit législative ou réglementaire. Nous savons que vous avez encore un grand nombre de décrets à nous soumettre.

La vérité est que le traité de marché commun préservait la souveraineté nationale. En croyant, pour des raisons mercantiles, favoriser nos industriels, le gouvernement français a, en fait, accepté au travers de cette directive de la Commission, de soumettre les marchés de défense au droit communautaire.

C’est un recul grave de la souveraineté nationale sur un point essentiel : nos approvisionnements en matériels de défense et notre politique extérieure en la matière.

C’est la marque d’une politique à courte vue. La méconnaissance de nos intérêts nationaux et de l’intérêt bien compris de l’Europe, qui conduit à l’affirmation explicite d’une préférence communautaire, laisse en fait aux juges européens le champ libre.

M. Juppé a certes pu affirmer, devant la commission sénatoriale des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, son « volontarisme » pour doter l’Europe d’une base industrielle et technologique de défense indépendante. Cependant, nous quittons le terrain solide de l’article 346, qui préservait la souveraineté nationale, pour entrer sans véritable précaution dans les sables mouvants de la jurisprudence européenne.

La pression des intérêts mercantiles et des lobbies, très puissants à Bruxelles, la naïveté de ceux qui confondent l’Europe avec l’européisme, c'est-à-dire la dévolution d’immenses pouvoirs à une Commission européenne qui ne peut définir un intérêt général européen, l’enfermement de beaucoup de nos juristes dans leur spécialisation, le conformisme de la classe politique et de la plupart de nos hauts fonctionnaires, qu’ils soient ou non dans les cabinets ministériels, nous engagent sur une pente glissante.

Comme l’a fort bien dit notre collègue M. Reiner, que je salue, « faute d’une clause de préférence communautaire, nous aurons bel et bien une dissymétrie de protection entre le marché nord-américain et le marché européen. Ce n’est pas “la forteresse Europe”, c’est la “passoire Europe” ».

Vous comprendrez, monsieur le ministre, que je ne vote pas ce projet de loi, même si j’en approuve le chapitre Ier. Plusieurs autres sénateurs du groupe RDSE me rejoindront dans cette abstention fortement motivée. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Reiner.

M. Daniel Reiner. Monsieur le ministre, je veux tout d’abord joindre ma voix aux félicitations qui vous ont été présentées cet après-midi et, en l’occurrence, ce sera celles d’un Lorrain adressées à un Lorrain,…

M. Gérard Longuet, ministre. Oui !

M. Daniel Reiner. … originaires d’une région historiquement attachée à tout ce qui touche les questions militaires. Vous avez d’ailleurs eu un lointain prédécesseur en la circonstance, un ministre de la guerre qui a laissé son nom dans l’histoire, même si la ligne en question n’a pas été aussi efficace qu’on l’imaginait…

M. Gérard Longuet, ministre. André Maginot !

M. Daniel Reiner. Il s’agit en effet de lui !

M. Gérard Longuet, ministre. Il y a eu ensuite Pierre Messmer !

M. Daniel Reiner. Oui, mais il était mosellan ! (Sourires.)

M. Gérard Longuet, ministre. On lui pardonnera ! (Nouveaux sourires.)

M. Daniel Reiner. Je vous adresse donc, de ce point de vue, tous mes vœux de réussite !

Ce projet de loi, pour l’essentiel, transpose deux directives du paquet défense : l’une sur les transferts intercommunautaires, l’autre sur les marchés publics de défense et de sécurité.

Sur la forme, ce texte a fait l’objet d’une étude approfondie, ponctuée – je veux en témoigner ici – par les nombreuses auditions de tous ceux qui étaient intéressés par ce sujet, non seulement des industriels, mais aussi des personnes chargées de ce domaine au sein des ministères.

Le texte a été amélioré, me semble-t-il, grâce à ce travail parlementaire dont nous nous félicitons et qui nous a permis la rédaction d’un amendement. Celui-ci me paraît satisfaire ceux à qui il s’adresse. Par ailleurs, le Gouvernement a proposé un amendement relatif au contrôle, qui permet également de bonifier ce projet de loi.

Je ne répéterai pas ce qui a été excellemment exposé par Josselin de Rohan, président de la commission et rapporteur du texte.

En revanche, je vous ferai part de quelques réflexions relatives à ce projet de loi, dont certaines rejoindront celles de notre collègue et ami Jean-Pierre Chevènement, sans pour autant conduire à la même conclusion.

Premièrement, admettons-le, ce texte est un cadre législatif fixant des principes. La vraie transposition se fera par les textes réglementaires, qui seront fort nombreux : pas moins de quatorze décrets et six arrêtés sont prévus. Nous avons demandé, et j’y insiste ici, que chacun d’eux respecte l’esprit du texte que nous allons voter tout à l’heure ; nous devrons pouvoir le vérifier suffisamment vite.

Deuxièmement, les modalités du contrôle vont changer. Ces directives, au moins celle qui concerne les marchés publics, étant d’inspiration libérale et visant à simplifier les procédures, la tentation pourrait être grande de limiter par la suite les contrôles. Nous allons en effet passer d’un contrôle a priori à un contrôle a posteriori.

Il faudra porter une attention absolue à ce marché. En la matière, je souscris sans réserve aux propos tenus par M. le président de la commission, qui affirmait : « Le marché des armes n’est pas un marché ordinaire. Il est d’ailleurs soumis au régime de la prohibition. » Nous sommes donc dans un système à caractère dérogatoire.

Même si nous simplifions les textes, nous avons le devoir de respecter toutes les conditions de la position commune qui a été définie sur le fondement du code de conduite proposé en 1998, je le redis, par un gouvernement de gauche à la Commission européenne, discuté et approuvé par cette dernière. Ce code a fixé des conditions très contraignantes.

Certes, elles ne sont certes pas toutes reprises dans le texte. Je le précise, parce que nous avons évoqué l’amendement que le groupe CRC-SPG défendra tout à l’heure et qui présente un intérêt évident. Toutefois, le fait que cet acte juridique, contraignant en soi, est toujours contenu dans la réglementation française nous permettra de prêter une attention absolue au marché des armes et au contrôle des exportations.

Par ailleurs, il est remis chaque année au Parlement un rapport qui recense de manière assez exhaustive les exportations d’armements. Il serait hautement souhaitable que celui-ci, à l’avenir, s’accompagne d’une étude de l’impact des directives sur le marché européen.

Il serait également intéressant d’étudier la manière dont la transposition est effectuée ailleurs. La France, qui est la première à transposer, figure donc dans le « wagon de tête » en la matière. Il faudra nous assurer que l’esprit qu’elle adopte pour cette transposition est bien suivi.

Troisièmement, sur le fond, ces directives vont dans la bonne direction et marquent une amélioration par rapport à la situation présente.

La directive sur les transferts intracommunautaires, en simplifiant les procédures, facilitera la vie de nos industriels. Plus, du reste, que la directive elle-même, c’est la décision, à l’occasion de cette transposition, de refondre le système des autorisations qui va alléger les procédures. Même s’il a été revu par un décret en 1992, ce système est plus que cinquantenaire. En effet, la fameuse Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre date de 1955, et est donc antérieure au traité de Rome. Ces dispositions vont donc dans le bon sens – cela mérite d’être souligné –, dès lors naturellement que la réduction des délais va de pair avec un contrôle rigoureux a posteriori.

Quant à la directive sur les marchés publics de défense et de sécurité, elle harmonisera les procédures de passation des marchés publics dans l’ensemble de tous ces pays – du moins nous l’espérons – et permettra d’offrir à nos industriels l’opportunité de conquérir de nouveaux marchés.

Jusqu’à présent, certains États – le nôtre n’était pas totalement innocent, avouons-le – faisaient un usage abusif de l’article 346 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui autorise une nation – Jean-Pierre Chevènement l’a rappelé –, pour des motifs tenant aux intérêts essentiels de sa sécurité, de se dispenser de toute procédure d’appel d’offres pour l’achat d’armements.

Le fait de limiter le recours à cet article devrait favoriser la mise en concurrence au sein de l’espace économique européen. Il vaut mieux, pour nos industriels, se retrouver en concurrence, y compris avec des industriels américains, plutôt que d’être face à des marchés totalement fermés, ce qui est le cas pour un certain nombre de pays. On peut donc considérer que cette directive constitue un pas en avant, tous nos industriels français et, plus largement, européens devant bénéficier d’une telle mesure.

Par ailleurs, ne l’oublions pas, la mise en concurrence a des effets sur les prix et, dans une période où les budgets de défense sont contraints, le fait d’exercer une pression en ce domaine n’est pas en soi une mauvaise chose.

Quatrièmement, la transposition des directives du paquet défense comporte des risques. Ils sont liés à l’absence, que nous regrettons, de clause de préférence communautaire. Malheureusement, nous ne sommes pas seuls et certains de nos partenaires au sein de la Communauté européenne ont un point de vue différent du nôtre à cet égard.

En tout état de cause, l’ouverture des marchés de défense à la concurrence risque de déboucher sur un dilemme : soit la fermeture du marché aux seuls producteurs nationaux, soit son ouverture à l’ensemble de la concurrence internationale. Notre amendement tend donc à limiter ce risque.

Il n’y aurait absolument aucune raison d’ouvrir notre marché national en l’absence de réciprocité. Je pense notamment au marché américain, qui nous reste à peu près totalement fermé, comme l’actualité vient malheureusement de nous le rappeler à l’occasion de l’appel d’offres pour la fourniture d’avions-ravitailleurs.

Il faut donc prendre garde à ce que l’ouverture reste maîtrisée, ce qui est difficile à faire quand on sait que la Commission européenne a une vision très libre-échangiste des choses, vision qui consiste à ouvrir d’abord et à contrôler ensuite. Or, en matière d’équipements de défense, les investissements se font sur le long terme et ne concernent en général que quelques entreprises. Ainsi, quand vient l’heure de constater les effets, c’est souvent pour enregistrer l’acte de décès des industriels.

On dit du reste que nos voisins britanniques sont revenus, en se mordant les doigts, sur la théorie dite du « rapport qualité-prix » – une autre formule existe en anglais –, qui s’est traduite par la disparition de pans entiers de leur industrie de défense.

Faute d’une clause de préférence communautaire, nous aurons bel et bien une dissymétrie de protection entre le marché nord-américain et le marché européen. Ce sera non pas la « forteresse Europe », mais la « passoire Europe ». C’est un vrai risque !

Il faut aussi craindre l’absence de réciprocité entre les Européens. Par exemple, si nous ouvrons notre marché des véhicules blindés aux producteurs européens – monsieur le ministre, mes chers collègues, vous voyez à quoi je fais allusion –, mais que les autres États ne font pas de même, nous serons les dindons de la farce. C’est un risque à ne pas négliger.

Un autre risque était qu’une rédaction un peu imprécise ouvre la porte à des faux nez européens ou à de mauvais Européens qui feraient fabriquer hors d’Europe l’essentiel de leur production. Grâce à l'amendement présenté par M. le rapporteur, qui est devenu celui de la commission, ce danger paraît désormais à peu près écarté.

M. Daniel Reiner. Cinquièmement, il ne faut pas attendre de ces directives qu’elles fassent avancer l’Europe de la défense, ou alors ce sera à pas comptés. Nous ne pouvons qu’être sceptiques en la matière. Cependant, ces directives constituent un outil supplémentaire, qui sera peut-être modeste : tout dépendra de la façon dont les pays s’en empareront.

Pour que l’équation qui relie la mise en place d’un marché européen de la défense au renforcement d’une base industrielle et technologique de défense européenne se vérifie, il fallait évidemment une clause de préférence communautaire. Son absence ne le permet pas.

Pourtant, si elle avait des avantages, une telle clause pouvait aussi présenter des inconvénients. Elle supposait d’accepter d’acheter plus cher au sein de l’espace où elle se serait appliquée, au profit des industriels qui en auraient bénéficié. Cet inconvénient a paru inacceptable à tous les pays européens, en particulier à ceux qui n’ont pas d’industrie de défense et même, avouons-le, à certains de ceux qui disposent d’une industrie de défense ; je pense aux Britanniques et aux Suédois.

À supposer même que nous eussions réussi à imposer une telle clause à nos amis et voisins européens, cela n’aurait pas pour autant suffi à contribuer à renforcer la politique européenne de sécurité et de défense. Nous le savons bien : si cet outil supplémentaire s’impose, d’autres sont nécessaires.

Encore faudrait-il que les efforts en matière de défense soient identiques ou équivalents dans tous les pays de l’Union européenne et qu’ils ne reposent pas de façon disproportionnée sur quelques pays, notamment la France. Par ailleurs, une harmonisation des besoins serait nécessaire – il n’est pas nécessaire de fabriquer trois avions de combat ou d’étudier dix-sept programmes de blindés ! –, tout comme le serait une harmonisation des calendriers et des doctrines d’emploi. Cela concerne aussi nos états-majors : nos politiques ne portent pas l’entière responsabilité de la situation, ils la partagent. Or nous sommes très loin de tout cela.

Dans ces conditions, les directives du paquet défense n’ont que peu de chances d’atteindre les objectifs qu’elles se sont elles-mêmes fixées, en tout cas tels qu’ils apparaissent dans l’exposé des motifs.

Dans le meilleur des cas, ces directives augmenteront la concurrence entre producteurs européens et contribueront à une pression à la baisse sur le coût des équipements, ce qui n’est pas rien.

Dans le pire des cas – à nous de faire en sorte que cela n’arrive pas –, elles affaibliront les BITD nationales au profit d’une BITD transatlantique. Ce serait grave et sonnerait le glas de l’Europe de la défense, ce que personne d’entre nous ne souhaite.

Pour autant, et sous l’engagement que l’application de ces directives fera l’objet d’un contrôle toujours aussi scrupuleux du Gouvernement, le groupe socialiste votera ce texte. Je précise que les sénateurs Verts m’ont fait part de leur opposition à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joseph Kergueris.

M. Joseph Kergueris. Monsieur le ministre, avant d’entamer mon propos, permettez-moi, au nom du groupe de l’Union centriste, de vous témoigner le plaisir que nous avons de vous accueillir dans vos nouvelles fonctions, de vous adresser nos sincères félicitations et de vous présenter nos vœux de succès dans la conduite des missions dont vous avez la charge.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, un État peut-il être véritablement souverain, véritablement autonome, sans une industrie de défense innovante et performante ?

A fortiori, l’Europe peut-elle pleinement devenir une puissance sans une base industrielle de défense et de sécurité solide ?

Comme beaucoup d’entre nous, je ne le pense pas.

Le projet de loi dont la discussion nous réunit aujourd’hui vise à la transposition en droit français de directives importantes pour la construction effective d’une Europe de la défense.

Se défendre aujourd’hui coûte cher.

Même si la France demeure le quatrième exportateur mondial dans le domaine, notre production ne répond pas nécessairement à tous nos besoins. Nous avons besoin de nos partenaires européens, comme ils ont besoin de nous. C’est ensemble qu’il faut donner davantage de contenu industriel à la politique européenne de sécurité et de défense. C’est ensemble qu’il nous faut produire les meilleurs équipements aux meilleurs coûts.

Le projet de loi qui nous est soumis transpose les directives Transferts intracommunautaires et Marchés publics de défense et de sécurité des mois de mai et de juillet 2009, textes qui portent respectivement sur le régime des transferts intracommunautaires de matériels de défense et de sécurité, et sur le régime des marchés publics ouverts aux entreprises spécialisées dans ces matières.

Réduire les barrières marchandes produites par la multiplication de régimes nationaux en matière de transfert intracommunautaires était la première tâche à accomplir. C’est le problème auquel s’attache le premier chapitre de ce projet de loi, qui transpose la directive TIC. L’Union européenne est composée de vingt-sept pays, soit autant de procédures de contrôle, de domaines spécifiques d’application, de délais d’autorisation. Cette complexité est le produit de l’exclusion du marché de la défense du marché unique, conséquence du principe de prohibition.

Cette exception est d’ailleurs inscrite à l’article 346 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et son champ a été défini par la Cour de justice des Communautés européennes tout au long de la construction communautaire.

Après un demi-siècle de construction jurisprudentielle, il était temps que les États membres et le Conseil européen reprennent la main, afin de poser, enfin, les fondations de cette Europe de la défense, sans laquelle la politique européenne de sécurité et de défense ne peut avoir ni contenu ni avenir.

Il fallait introduire la liberté du commerce et de l’industrie comme nouveau principe, mais pas à n’importe quel prix. Par conséquent, cette liberté sera encadrée, et ce au moyen de trois instruments étendus à l’ensemble de l’Union européenne : un système de triple licence d’autorisation, qui différencie les produits de défense et leur transfert selon leur sensibilité pour la sécurité des États ; une certification renforcée des entreprises ; un contrôle a posteriori des transferts effectués.

L’efficacité de ce système est garantie par la possibilité laissée aux États membres de modifier, voire de retirer toute autorisation de transfert.

Le non-respect des licences d’autorisation exposera l’entreprise bénéficiaire à de lourdes sanctions pénales et l’exclura des circuits commerciaux communautaires en matière de défense et de sécurité.

C’est donc non pas vers un grand marché libéralisé que nous nous orientons, mais vers un système de libre circulation fortement encadré, ce dont je me réjouis.

Une fois les régimes de transfert de marchandises simplifiés, il faut aménager en conséquence les procédures de passation de marchés publics à l’échelle communautaire. La question est traitée par le second chapitre du projet de loi, qui vise à transposer la directive MPDS.

Sur le plan juridique, cette directive permettra à la loi de définir les marchés de défense et de sécurité comme une catégorie spéciale, donc différente des marchés ordinaires et des marchés exclus.

Dans ce domaine, les travaux de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, animés par son rapporteur et président, Josselin de Rohan, dont je me plais à saluer la contribution de grande qualité, ont permis de pointer un certain nombre de questions laissant penser que ce paquet défense est l’ébauche d’une construction juridique qu’il faudra consolider.

Le premier problème est évidemment celui du respect de la préférence communautaire, qui, dans les dispositions actuelles, n’est pas résolu. La méconnaissance par nos partenaires de ce principe conduirait à une ouverture asymétrique des marchés européens à l’échelle mondiale.

Le considérant 18 de la directive MPDS semble, de fait, en évoquer le principe, mais il n’a pas de portée normative. L’aléa repose ainsi sur la confiance que nous plaçons en nos partenaires européens pour faire vivre la réciprocité des échanges au sein de l’Union européenne.

Selon les travaux de notre rapporteur, la Commission européenne travaillerait à la confection d’un instrument juridique permettant de rejeter, lors des passations de marchés publics de défense, les candidats non-couverts par les engagements internationaux de l’Union européenne, c'est-à-dire ceux qui sont issus des pays tiers.

Dans l’immédiat, le projet de loi, en particulier l'amendement que M. le rapporteur a eu l’heureuse initiative de déposer et qui est devenu celui de la commission, permet d’introduire dans l’ordonnance de 2005 le droit souverain de l’acheteur public de refuser, au cas par cas, de conclure une procédure de passation avec des pays tiers. Cette disposition serait alors notre meilleure protection contre une concurrence industrielle potentiellement déloyale.

Nous le savons, le marché de la défense et de l’armement n’est pas et ne sera jamais un marché tout à fait comme les autres. Il y va de la sûreté de la souveraineté nationale comme de la sécurité du territoire.

Pour autant, ce marché n’est pas isolé de l’économie générale. J’en veux pour preuve le fait que la recherche militaire a bien souvent été à l’origine, dans le domaine civil, d’innovations aujourd’hui déterminantes dans notre quotidien.

Il y avait donc une difficile équation à résoudre entre, d’une part, le respect des prérogatives de souveraineté nationale et, d’autre part, la performance économique et budgétaire.

Si le texte dont nous discutons aujourd’hui aboutit à un équilibre entre ces deux impératifs, si le progrès, en comparaison de ce qui est en vigueur, est manifeste, il reste encore beaucoup à faire. La transposition de ces deux directives ne suffira bien évidemment pas à résoudre, à elle seule, ces questions.

Le bilan qui en sera fait et que nous attendons servira, comme l’a noté notre rapporteur, à la préparation dans les années à venir d’un second paquet défense.

En attendant ce prochain rendez-vous, le groupe de l’Union centriste soutiendra la position de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gautier.

Mme Sylvie Goy-Chavent et M. Alain Gournac. Excellent Jacques Gautier !

M. Jacques Gautier. Monsieur le ministre, bien qu’étant le dernier orateur inscrit, je tiens à vous dire à mon tour le plaisir que nous avons à vous retrouver au banc du Gouvernement.

M. Alain Gournac. C’est vrai !

Mme Michelle Demessine. Ça commence bien…

M. Jacques Gautier. Je vous souhaite un franc succès dans cette mission délicate, pour laquelle vous aurez à rendre des arbitrages particulièrement difficiles. Nous serons à vos côtés, je tiens à vous l’assurer ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)