M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Il faut relire la Constitution !

Mme Marie-Agnès Labarre. Mes chers collègues, la situation impose une certaine gravité, à l’opposé de la pression belliqueuse qu’exercent certains médias. Le risque d’escalade de la violence est important, et c’est pourquoi le Gouvernement a le devoir de respecter les conditions relatives au déroulement des opérations que j’ai évoquées.

De même, nous ne devons pas perdre de vue l’objectif, qui est de rééquilibrer les forces pour permettre à la révolution libyenne de se débarrasser de son tyran.

M. le président. La parole est à M. le ministre d'État. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, après avoir informé les présidents des assemblées, les présidents des commissions et les présidents des groupes parlementaires de la décision qu’il allait prendre en fin de semaine dernière, le Gouvernement a organisé ce débat dans la stricte application, je veux le rappeler en préambule, de l’article 35 de la Constitution.

J’ai observé, avec beaucoup de satisfaction, que la politique du Gouvernement recevait de la part de la Haute Assemblée une large approbation, et je remercie tous les orateurs qui se sont exprimés dans ce sens.

J’ai certes noté quelques points de vue divergents.

Ainsi, si j’ai compris les réserves de Mme Borvo Cohen-Seat, j’ai un peu moins bien compris certaines de ses interpellations.

Pourquoi la résolution 1970 n’a-t-elle pas été appliquée ? Pourquoi les tentatives de médiation n’ont-elles pas réussi ? Il y a, madame Borvo Cohen-Seat, une réponse très simple à tout cela : l’obstination de Kadhafi, lequel a en permanence bafoué toutes les résolutions du Conseil de sécurité, y compris la résolution 1973, puisque, après l’adoption de celle-ci, il a annoncé un cessez-le-feu qui était transgressé, en temps réel, sur le terrain, par ses propres troupes !

J’ai relevé aussi la position de Jean-Louis Carrère, qui, après avoir approuvé les orientations générales de notre politique, a énuméré tous les risques et, finalement, toutes les raisons de ne rien faire qu’à ses yeux elles emportaient.

Si nous avions pesé à ce point le pour et le contre la semaine dernière, monsieur Carrère, Benghazi serait sans doute aujourd'hui rayée de la carte ! Vient un moment où il faut prendre des risques et décider ; c’est ce que nous avons tenté de faire, avec, bien sûr, le sens aigu de nos responsabilités.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous comprendrez qu’avant de répondre à vos questions je rende à nos soldats, en plein accord avec mon collègue et ami Gérard Longuet, qui le fera mieux encore que moi, l’hommage qui leur revient. Nos aviateurs et nos marins font preuve d’un professionnalisme, d’un courage et d’un dévouement qui méritent en effet la reconnaissance de la représentation nationale et de la Nation tout entière. (Vifs applaudissements.)

Quelques questions, soulevées à plusieurs reprises, me paraissent revêtir une importance particulière dans ce débat d’une grande gravité.

D’abord, plusieurs orateurs ont insisté sur l’absolue nécessité d’impliquer, dans cette opération, le monde arabe. Nous partageons totalement cette position et, depuis le début, nous avons essayé de la mettre en œuvre.

Cela a été vrai à New York, lors de la préparation puis du vote de la résolution 1973 du Conseil de sécurité. Sans l’implication active du Liban, seul État arabe à siéger au Conseil de sécurité en cette période, nous n’aurions pas atteint cet objectif.

M. Adrien Gouteyron. Très bien !

M. Alain Juppé, ministre d'État. Le Liban nous a beaucoup aidés et le projet de résolution qui a été mis sur la table du Conseil de sécurité l’a été au nom de la France, de la Grande-Bretagne, du Liban et des États-Unis, qui sont venus se joindre à nous.

Nous avons aussi veillé à cette implication du monde arabe lors du sommet de Paris, qui a été un événement de très grande portée. Autour de la table, où étaient représentés les États-Unis, le Canada, un grand nombre de nos partenaires européens, siégeaient non seulement le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, mais aussi les représentants de plusieurs pays arabes : le Maroc, la Jordanie, le Qatar, les Émirats arabes unis et l’Irak. On peut donc dire que la présence arabe à ce sommet était très forte.

Nous avons poursuivi sur cette ligne en restant en liaison permanente avec M. Moussa. Il a été dit tout à l’heure que celui-ci avait émis un certain nombre de réserves sur la façon dont la résolution 1973 était appliquée ; ces réserves ont été démenties et, aujourd’hui même, la Ligue arabe a tenu, au Caire, une réunion au cours de laquelle elle a confirmé son plein soutien à la mise en œuvre de cette résolution.

Autre exemple de cette volonté d’implication de nos partenaires arabes, des avions du Qatar d’ores et déjà opérationnels, actuellement sur une base de Crète, pourront très prochainement participer à nos opérations.

Au-delà du monde arabe, d’autres soutiens, contrairement à ce que l’on a parfois entendu, se sont manifestés.

J’ai sous les yeux une déclaration du Premier ministre turc exprimant, alors qu’il recevait le Président Obama, son accord sur la nécessité d’une large contribution internationale, dont celle des pays arabes, aux opérations de la coalition en Libye.

Quant à l’Union africaine, institution certes diverse et qui comprend de nombreux pays, je veux simplement insister sur le fait que les deux pays africains qui siègent au Conseil de sécurité, et ce ne sont pas les moindres sur le continent africain, c'est-à-dire l’Afrique du Sud et le Nigeria, ont voté en faveur de la résolution 1973. On peut donc, là aussi, considérer qu’il y a une implication des États africains.

J’en viens – c’est le deuxième point que j’évoquerai – au Conseil national de transition. Mme Voynet, dans une intervention dont j’ai beaucoup apprécié la tonalité (Mme Dominique Voynet sourit), nous a accusés d’avoir improvisé.

Ce n’est pas exact, madame Voynet : des contacts ont été pris, les décisions ont été mûrement réfléchies, et ce n’est pas parce qu’un certain vertige médiatique, né sous l’impulsion de tels ou tels spécialistes de la chose, s’est manifesté qu’il faut parler d’improvisation !

Le Président de la République a reçu les responsables du Conseil national de transition, entretien auquel il était prévu que j’assiste ; étant à Bruxelles, je n’ai pas pu le faire, mais j’ai reçu moi-même ces responsables dans l’après-midi.

C’est donc en toute connaissance de cause que nous avons procédé à cette reconnaissance politique qui, dès le lendemain, le vendredi 11 mars, a été validée par l’ensemble de nos partenaires européens, puisque, dans la déclaration du sommet exceptionnel sur la Libye, figure une phrase dans laquelle le Conseil national de transition est salué comme l’interlocuteur politique valable pour l’Union européenne.

On a par ailleurs reproché à ce conseil de compter dans ses rangs d’anciens ministres du général Kadhafi. Pour ma part, je ne connais pas de révolution où, dans un premier temps, les révolutionnaires n’aient pas été un tant soit peu impliqués dans le régime qui a précédé… Cela a été vrai pour la Révolution française, dans une première étape de son déroulement et, plus généralement, pour toutes les révolutions, y compris à l’Est.

N’utilisons donc pas cet argument pour discréditer le Conseil national de transition. Aujourd’hui, je ne connais pas d’autre interlocuteur qui se soit organisé et manifesté.

« Qui sont ces gens ? », m’a-t-il été demandé à Bruxelles. Eh bien, ces gens, ce sont tout simplement tous ceux qui soutiennent les Libyens en train de se battre pour leur liberté, et pour leur survie à Benghazi, et je crois que nous avons intérêt à continuer à travailler avec eux.

Une troisième question importante, et même décisive, a été plusieurs fois abordée, celle de la chaîne de commandement de l’opération.

La France, dès le départ, a affiché clairement la couleur.

L’OTAN n’est pas l’organisation la mieux appropriée pour piloter politiquement une opération de ce type dans un pays arabe, comme l’a encore redit aujourd'hui la Ligue arabe dans sa réunion du Caire.

Pour nous, l’articulation des responsabilités est claire : c’est une opération sous mandat des Nations unies mise en œuvre par une coalition d’États, qui ne sont pas tous membres de l’OTAN, comme c’est, que je sache, le cas du Qatar et des Émirats arabes unis. Ce sont donc l’ONU et la coalition qui assurent le pilotage politique de l’opération.

Naturellement, à un certain stade, nous aurons besoin de nous appuyer sur la force de planification et sur les capacités opérationnelles de l’OTAN, mais le leadership politique ne sera pas exercé à ce niveau-là.

D’ailleurs, mon homologue britannique William Hague et moi-même sommes en train de constituer un groupe de pilotage politique, dont le nom n’est pas encore déterminé. Ce groupe devrait se réunir cette semaine à Bruxelles, à Londres ou à Paris. Il devrait regrouper les pays intervenant dans l’opération ainsi que des pays arabes, et pourquoi pas des pays africains, ce qui devrait démontrer que la stratégie politique est bien développée à cet échelon-là. Ensuite, je le répète, l’OTAN interviendra en tant que force de planification ou avec ses capacités opérationnelles.

La quatrième question évoquée porte sur le risque d’enlisement. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous aimeriez sans doute que je vous indique dès aujourd’hui la suite des opérations. Vous comprendrez bien que je sois dans l’incapacité en cet instant de répondre à cette attente, faute d’éléments.

En tout cas, nous ne voulons pas nous engager dans une action de longue durée. L’opération aérienne sera limitée dans le temps. Nos amis américains ont déjà fait savoir que telle était leur intention. Nous sommes exactement sur la même ligne.

À plusieurs reprises a été posée la question d’une intervention au sol. Elle me surprend beaucoup. En effet, la résolution 1973 du Conseil de sécurité est absolument formelle : il n’y aura pas d’intervention au sol et pas d’occupation de la Libye. L’opération en cours s’inscrit dans ce cadre-là et ne va pas au-delà.

M. Alain Juppé, ministre d'État. Je tiens à rappeler qu’il est possible à tout instant au régime de Kadhafi d’arrêter l’intervention militaire organisée sous mandat des Nations unies : il lui suffit d’accepter la résolution 1973, c’est-à-dire de respecter un cessez-le-feu, de retirer ses troupes des positions qu’elles occupent et de laisser les Libyens s’exprimer librement. Dans la minute où le régime de Kadhafi respectera les obligations résultant de la résolution 1973, les opérations militaires cesseront.

Au-delà de cette phase d’intervention, comment pouvons-nous essayer de progresser ? Nous devons bien sûr penser à une initiative de paix. Après avoir été en pointe dans la préparation des sanctions et de l’intervention militaire, le Président de la République prendra, au nom de la France, des initiatives pour favoriser la paix.

Cela signifie non pas se substituer aux Libyens pour mettre en place un « régime de remplacement », mais – telle est d’ailleurs la finalité de la résolution 1973 – créer les conditions qui permettront au peuple libyen de choisir lui-même son destin et son avenir, par un dialogue national impliquant le Conseil national de transition et d’autres forces politiques qui se sépareront de Kadhafi et voudront bien participer à ce processus de reconstruction nationale. Nous les y aiderons, bien entendu, mais sans jamais nous substituer aux Libyens.

La cinquième et dernière question que je souhaite traiter – je ne veux pas être trop long – concerne le rôle de l’Union européenne.

Plusieurs d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont soutenu que l’Union européenne avait été incapable de faire entendre une position commune. Or ce n’est pas tout à fait exact. L’Union européenne a bien exprimé une position commune très clairement lors du Conseil européen du 11 mars, convoqué à la demande du Président de la République française. Une déclaration a alors été adoptée condamnant le régime libyen et exigeant le respect des résolutions du Conseil de sécurité, la mise en œuvre, voire le renforcement, de sanctions. Il existe donc bel et bien un corps de doctrine commun à l’ensemble des Vingt-Sept.

Il a d’ailleurs été réaffirmé une fois encore hier, à Bruxelles, par le conseil des ministres des affaires étrangères, qui a adopté une déclaration soutenant la résolution 1973 et s’est réjoui des conclusions du sommet de Paris.

L’Union européenne s’est également engagée sur le plan humanitaire. Nous avons pris la décision, dans le cadre de la résolution du Conseil de sécurité, d’être à la manœuvre pour mettre en forme une action humanitaire, en recourant au besoin à des moyens maritimes.

Je veux être complet : malgré une position commune, il n’y a pas unanimité. Au sein des Vingt-Sept, il existe aujourd’hui un clivage à propos de l’utilisation de la force militaire.

Sur ce point, la délégation allemande a marqué son opposition à la mise en œuvre de ce volet de la résolution. Cette prise de position m’a amené, peut-être de façon excessive, à regretter que, dans sa conception actuelle, l’Union européenne se comporte comme une ONG humanitaire. À un moment donné, Gérard Longuet et moi-même devrons bien poser de nouveau la question de savoir si, oui ou non, nous voulons progresser dans la construction d’une politique de sécurité et de défense commune. Vous le savez, c’est le vœu, c’est la conviction de la France. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.) Il est vrai que la crise libyenne ne nous a pas permis d’avancer dans cette direction.

Sur tous les autres points, comme je l’ai déjà indiqué, l’Union européenne a pu trouver des bases d’accord et est mobilisée.

Au-delà de la crise libyenne, elle se mobilisera également pour accompagner le vaste mouvement qui se dessine au sud de la Méditerranée. Hier, j’ai eu un long entretien avec le commissaire chargé de l’élargissement et de la politique de voisinage. L’Union est bien d’accord pour renforcer toute une série de dispositifs techniques, tels la Facilité euro-méditerranéenne d’investissement et de partenariat, le fonds de voisinage et un certain nombre de crédits communautaires.

Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, d’ouvrir une courte parenthèse à propos de la Tunisie et, plus particulièrement, de l’Égypte, car m’étant rendu dans ce dernier pays, j’ai peut-être une meilleure perception de sa situation.

La transition démocratique qui est à l’œuvre dans ces pays va se heurter à un défi majeur : la transition économique, si je puis dire, ou plus simplement la crise économique. En Égypte, les données du problème sont relativement simples, au risque de les caricaturer quelque peu. Dans la vallée du Nil, le taux de fréquentation des hôtels est tombé à 15 %. Or le tourisme est l’une des ressources majeures de l’économie égyptienne : il lui rapporte un milliard de dollars par mois. Dans le même temps, des centaines de milliers de réfugiés rentrent de Libye, où ils travaillaient et d’où ils envoyaient des « remises » importantes pour le fonctionnement de l’économie égyptienne.

Parallèlement, les Égyptiens qui ont fait la révolution veulent en toucher les bénéfices et réclament aux entreprises égyptiennes des augmentations de salaire.

Vous voyez la difficulté à laquelle est aujourd’hui confrontée l’Égypte, menacée par cette crise économique majeure. Si l’Europe ne s’investit pas massivement pour aider le pays à franchir ce cap, le processus de transition démocratique sera compliqué. Sans vouloir envisager un scénario catastrophe, on peut penser que certains mouvements extrémistes qui, aujourd’hui, se sont mis en réserve, pourraient tout à fait exploiter ce type de difficultés. Il en est de même en Tunisie. Voilà pourquoi il nous faut nous investir massivement.

Au-delà du court et du moyen terme, il faut relancer une vision de plus long terme sur le sud de la Méditerranée.

Au risque de surprendre, voire de choquer certains d’entre vous, je répète que l’initiative de l’Union pour la Méditerranée était visionnaire et anticipatrice. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Elle n’a pas fonctionné à cause du blocage dû au processus de paix. Je souscris aux propos des uns et des autres sur l’absolue nécessité de faire pression pour relancer le processus. Aujourd’hui, cela fait partie d’une démarche sur laquelle les Vingt-Sept sont parfaitement en phase et bien décidés à peser sur le cours des choses.

Il faut relancer tous les projets concrets que comporte l’Union pour la Méditerranée : une banque pour la Méditerranée, un office européen de la jeunesse. Organisons ce que l’on appelle parfois des « migrations circulaires ». L’immigration fait peur, parfois avec raison ; il faut contrôler l’immigration clandestine et illégale, mais certaines formes d’immigration sont positives. Ainsi, former dans nos universités des jeunes des pays du Sud qui rentreront ensuite dans leur pays pour le faire profiter de ce qu’ils auront appris chez nous, voilà une forme d’immigration circulaire judicieuse. C’est en quelque sorte un programme « Erasmus euro-méditerranéen » ou un office européen de la jeunesse.

Telle est la nature des projets dont l’Union pour la Méditerranée doit être porteuse et que nous devons relancer.

J’achèverai mon propos en évoquant la diplomatie française, parfois montrée du doigt pour n’avoir pas su prévoir la révolution qui s’est produite. Mais qui l’avait anticipée, mesdames, messieurs les sénateurs ? Que l’on me cite un seul gouvernement ou une seule chancellerie qui, voilà un an, avait prédit la chute de Moubarak ou de Ben Ali…

La diplomatie française, quelque peu secouée par tout cela, mérite l’hommage que je tiens à lui rendre en cet instant. Elle peut être fière du travail accompli, bien sûr sous l’impulsion du Président de la République, sous l’autorité du Premier ministre et de moi-même, mais avec un grand sens de ses responsabilités.

Cette fierté s’accompagne cependant d’un sentiment d’humilité. En effet, le plus dur reste à faire. Il faut gagner la paix. J’ai bien conscience que cela demandera une implication de tous les instants et beaucoup de détermination.

Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de conclure sur une tonalité positive et optimiste : ce qui se passe au sud de la Méditerranée peut être une chance formidable non seulement pour les Arabes de la région, mais également pour la France. Faisons-leur confiance, aidons-les à réussir ! (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de lUnion centriste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense et des anciens combattants. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, vos remarques ont essentiellement porté sur les enjeux de politique internationale qui ont préfiguré hier le conflit libyen, qui l’accompagnent aujourd’hui et qui en décideront demain la suite.

Les aspects militaires sont, en apparence, plus clairs. Mais je ne saurais commencer cette courte intervention sans remercier l’ensemble des intervenants qui ont salué l’effort de nos soldats engagés depuis maintenant près d’une semaine sur un théâtre particulièrement singulier et exigeant. Je remercie particulièrement ceux qui l’ont fait avec chaleur, tel Jean-Claude Gaudin, avec conviction, tels Jean-Pierre Chevènement, Jean-Louis Carrère et François Zocchetto. Quant à vous, monsieur le président, vous savez trop combien la position de la France repose in fine sur le professionnalisme, l’engagement, le sérieux, en un mot le civisme de nos soldats pour que j’aie besoin d’insister.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je me dois d’attirer l’attention du Sénat sur le fait que si, en apparence, quelques dizaines de pilotes seulement sont engagés, en réalité, l’ensemble de nos forces aériennes sont mobilisées, et tout le territoire national est concerné.

Pour ce qui est du transport, sans lequel la préparation de la base de Solenzara n’aurait pas été possible, il faut citer les bases d’Orléans et d’Évreux.

Pour ce qui est du contrôle aérien, sans lequel le combat est aujourd’hui impossible, je citerai la base d’Avord, dans le Cher, où se trouvent les AWACS.

Pour ce qui est de la logistique, je citerai la base d’Istres, où se trouvent les ravitailleurs C-135, base située dans les Bouches-du-Rhône, un département cher à M. Jean-Claude Gaudin.

Je pense également à la forte implantation des avions de combat dans l’Est - en Lorraine, à Nancy, en Bourgogne, à Dijon, en Champagne-Ardenne, à Saint-Dizier. Je pense encore au Sud, singulièrement au Var, en région PACA, et au port d’attache du Charles-de-Gaulle.

Permettez-moi d’avoir également une pensée pour le travail, dont on n’imagine pas à quel point il est précis et exigeant, des états-majors de l’armée de l’air de Paris ou de Lyon-Mont Verdun.

Encore une fois, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la mobilisation de toutes ces femmes et de tous ces hommes, au service d’une poignée de pilotes équipés de matériels performants, qui assure la réussite de l’opération aérienne. Je tenais, en cet instant, à le rappeler.

Je traiterai uniquement deux questions sous l’angle militaire.

J’évoquerai, premier point, le sens de la résolution 1973.

De très nombreux intervenants, y compris Mme Voynet, que je remercie, ainsi que M. de Montesquiou, nous ont dit, en somme : nous voulons la résolution, toute la résolution, rien que la résolution ! Or, mesdames, messieurs les sénateurs, la signification de cette résolution découle du débat de 2005, quand le Conseil de sécurité des Nations unies a reçu capacité de commander des actions ayant pour objet de protéger des populations civiles menacées par des faits de guerre. C’est bien plus que la zone d’exclusion aérienne.

Aujourd’hui, la ZEA est réalisée. Il est vraisemblable qu’aucun aéronef, aucun hélicoptère, aucun avion de combat gouvernemental de Kadhafi ne peut voler en cet instant. La mission confiée par l’ONU dans le cadre de la résolution 1973 est-elle pour autant accomplie ? Non ! Ce sont toutes les formes de menaces pesant sur les populations civiles qui doivent être impérativement arrêtées par des moyens militaires.

Je prendrai quelques exemples concrets.

Dès samedi, nos avions ont été engagés dans des opérations de tir au sol visant des dispositifs que les moyens modernes de repérage, mais surtout d’analyse et de chaîne de commandement, permettent d’identifier et de neutraliser. Si l’étau sur Benghazi s’est desserré- on peut même dire qu’il est brisé -, c’est bien parce qu’il y a eu des tirs au sol sur des pièces d’artillerie, des chars ou des véhicules blindés.

Nous sommes donc dans une logique qui va bien au-delà de la simple interdiction de survol, une logique où toute agression caractérisée peut faire l’objet d’une frappe, certes aérienne, mais une frappe au sol.

De la même façon, il n’est pas absurde de penser que, dans un pays dont 90 % à 95 % de la population se concentre sur une bande côtière de quelques dizaines de kilomètres de large et de 1 500 kilomètres de long, la marine peut jouer un rôle important. Il s’agit donc, là encore, d’empêcher l’utilisation de la marine kadhafiste pour tourner certaines positions. Je pense à ce qui s’est passé à Misrata, il y a quelques jours, avant notre intervention à Benghazi.

Cette marine a donc vocation à rester dans ses bases, comme les avions ont vocation à rester dans leurs hangars et les chars et pièces d’artillerie dans leurs quartiers. Ceux qui méconnaîtraient cette vocation de stabilité et ne se résigneraient pas pourraient être détruits au sol.

On le voit, bien plus que d’une simple zone d’exclusion aérienne, il s’agit ici d’interdire que des armes de guerre servent à arbitrer un conflit entre citoyens d’un même pays. Telle est la mission confiée à nos soldats, et c’est celle qu’ils accomplissent.

Bien entendu, il s’agit de l’œuvre d’une coalition. Le temps viendra de « débriefer », selon le terme militaire, l’opération. Il est essentiel que se crée une culture de l’action la plus respectueuse possible de l’esprit même de la résolution de 2005, mais ce n’est pas encore acquis dans tous les pays.

Second point, nous sommes dans une guerre de réactivité immédiate. Internet ne se limite pas aux manifestations populaires, culturelles ou artistiques. La « rue arabe », pour reprendre une expression significative et largement adoptée, s’est mobilisée grâce aux nouveaux moyens de communication, le GSM et internet.

Mais les opérations militaires se mènent également en temps réel, ce qui pose en effet la question de la chaîne de commandement.

Nous avons aujourd'hui des moyens d’analyse, d’identification, de décision et de destruction qui fonctionnent en temps réel. Il convient donc que cette considération pour le temps réel soit partagée au sein de la coalition, pour ne pas paralyser, mais au contraire soutenir l’action des combattants, lesquels ont cette capacité de reconnaissance et d’identification en temps réel, afin de leur permettre ensuite de prendre eux-mêmes ou, s’il y a doute, avec un appui extérieur, la décision d’intervenir ou de ne pas intervenir.

De même, si aucun de nos soldats n’est présent au sol, conformément à la résolution 1973, des informations nous parviennent cependant du sol, par le simple fait que les télécommunications fonctionnent et que de très nombreux Libyens s’efforcent, par le biais des réseaux sociaux et d’amitié, de faire passer des messages.

Nous avons donc un besoin absolu de pouvoir procéder à des identifications, à des contrôles. Nous sommes dans un système où la chaîne de la reconnaissance, de l’analyse, de l’identification et, ensuite, de la décision de neutralisation devient extraordinairement difficile.

On nous objectera que, si le conflit se transforme en une guerre civile traditionnelle, nous aurons beau neutraliser les moyens lourds en les maintenant dans leurs quartiers ou leurs bases maritimes, nous ne pourrons rien faire.

Je répondrai que la résolution 1973 repose également sur le principe de l’embargo. Même « légers », les combattants ont besoin d’être nourris et d’être alimentés en provisions. La résolution 1973 vise à combattre une logistique destinée à des combattants agressifs, même si la superficie de la Libye, le triple de celle de la France, permet probablement une certaine porosité…

S’agissant de la chaîne de commandement, les nations de la coalition ont donc à faire preuve collectivement du plus grand réalisme. Le ministre d’État l’a évoqué, la coopération des états-majors sur le plan technique ne doit souffrir qu’une seule règle, celle de l’efficacité au service de la volonté politique.

Nous ne menons pas une guerre de barrettes, d’amour-propre ou d’ego. Nous souhaitons simplement, et je m’exprime au nom des militaires qui mettent en œuvre la politique du Gouvernement, que cette chaîne de commandement soit suffisamment pratique pour tirer totalement parti des moyens modernes dont nous disposons afin d’éviter les excès, les démarches inutiles, les retards, qui seraient tragiques pour telle ou telle population engagée dans un combat.

J’ai toute confiance dans le bon sens des États qui ont voulu cet effort, qui ont voulu cette coalition. La France et la Grande-Bretagne en ont pris l’initiative et ont su entraîner les pays arabes et les pays européens responsables.

Enfin, pour avoir siégé au sein de cette assemblée un certain temps, je sais que mes anciens collègues sénateurs me connaissent comme un homme de tradition, un peu conservateur. (Exclamations ironiques sur plusieurs travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.) Je me réjouis donc en pensant qu’au pays où s’illustra par le serment de Koufra celui qui n’était encore que le colonel Leclerc, au pays de la victorieuse résistance de Bir Hakeim, nos actions sont autant de petits cailloux blancs sur le chemin de la liberté, celle des Libyens, cette fois, et non la nôtre ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)