M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est M. Richard Yung.

M. Richard Yung. J’ai bien noté que la France avait obtenu deux grandes victoires : une avancée concernant le gouvernement économique européen, et la décision d’intervention en Libye. Vous me permettrez cependant de faire une lecture quelque peu différente de la situation présente, compte tenu de l’attitude de l’Allemagne, selon moi préoccupante.

Nous voyons actuellement se dessiner une nouvelle politique allemande. Nous avons en effet assisté aux changements de cap de Mme Merkel, qui, après avoir été hostile à l’aide aux pays du Sud et à toute forme de gouvernement économique européen, s’y est maintenant convertie.

Vous avouerez que son attitude concernant la Libye est difficilement compréhensible. Pour un pays qui souhaite occuper un siège permanent au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, c’est tout de même surprenant !

Je ne pense pas que les seules élections dans le Bade-Wurtemberg permettent d’expliquer la position de Mme Merkel. Il est évident qu’elle rencontre des difficultés avec ses alliés politiques. Je pense toutefois que se fait jour, de façon plus profonde, une nouvelle politique allemande, différente de celle qui a prévalu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et qui tend à affirmer et à défendre les seuls intérêts de l’Allemagne. Or nous courons derrière comme des petits chiens... Cela augure mal de l’avenir et de ce que l’on a coutume d’appeler le couple franco-allemand ! Nous risquons en effet de connaître, de ce point de vue, des difficultés de plus en plus nombreuses.

S’agissant du gouvernement économique européen, je ne peux que souscrire aux propos de mon collègue François Marc, car il existe plusieurs éléments positifs, comme le fonds de stabilisation de la zone euro et une certaine convergence fiscale en matière d’impôt sur les sociétés. Force est pourtant de constater que, sur un plan global, du fait de votre vision pessimiste de la France et de l’Europe, de votre jeu « petit bras » et de votre manque de confiance dans notre pays, vous menez une politique de restriction, de contraction de la demande. Par conséquent, comme chez Molière, le malade sera certes guéri, mais il sera mort !

En outre, vous n’opérez pas une appréciation différenciée de la situation des dix-sept États membres. Or les économies de nos pays sont bien différentes, pour diverses raisons tant historiques qu’économiques. Pour notre part, nous plaidons pour une politique ambitieuse et différenciée. Il nous faut combattre les déficits, bien sûr, mais aussi conduire une politique de recherche et développement, une politique d’investissement.

Enfin, cet agenda franco-allemand 2020 n’est ni fait ni à faire, surtout au vu de l’expérience du plan de Barcelone… ou plutôt de Lisbonne ! Tous ces éléments sont préoccupants !

Pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre, sur la taxe financière ? Quels seront son assiette et son taux ? Comment sera-t-elle mise en place ?

Je souhaite également vous interroger sur la politique d’immigration, question ô combien importante.

D’aucuns ont agité le drapeau rouge et annoncé le déferlement de hordes d’étrangers venant du Sud. Mme Chantal Brunel voulait « remettre les immigrés dans les bateaux »... Or les chiffres dont nous disposons indiquent que ce problème ne se pose pas.

L’un de vos amis, M. Dominique Paillé – un homme très bien puisqu’il souhaite devenir sénateur représentant les Français de l’étranger ! (sourires) –, président de l’OFII, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’a dit lui-même : « Il faut arrêter d’agiter des peurs. Il n’y a pas eu d’afflux massif d’immigrés depuis le printemps arabe.»

Vous le savez tout comme nous, les seuls flux de population consécutifs à ces évènements ont concerné la Tunisie et l’Égypte : à peu près 200 000 Libyens ont rejoint ces pays, à hauteur de 100 000 dans l’un, et 100 000 dans l’autre. Quant aux autres Libyens en fuite vers le sud, il est très probable qu’ils courent encore dans le désert.

La France ne pourrait-elle proposer, lors du prochain Conseil, une action de soutien à la Tunisie et à l’Égypte en vue d’aider ces pays, qui ne disposent pas des structures suffisantes pour accueillir tous ces réfugiés, à faire face à cet afflux de population ?

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est à M. Pierre Bernard-Reymond.

M. Pierre Bernard-Reymond. Monsieur le ministre, je tiens tout d’abord à exprimer ma réelle satisfaction. Du point de vue de la seule construction européenne, je pourrais presque m’exclamer, si toutefois je l’osais : Vive la crise !

En ce qui concerne la gouvernance européenne, qui avait été oubliée ou, tout au moins, négligée au moment de la création de l’euro, nous avons franchi des étapes importantes, ce qui était inimaginable il y a de cela seulement trois ans.

Mes premières questions concerneront le Conseil européen des 24 et 25 mars prochain, et les suivantes les éventuelles étapes ultérieures, car il ne saurait être question de stopper cet élan à cette date.

S’agissant de la gouvernance économique, la principale critique que je formulerai, à ce stade, concerne la prise de sanctions dans le cadre du volet correctif du pacte. Pourquoi ne pas avoir adopté le principe de la majorité inversée, comme le préconisait la Commission ? Le Conseil conservait un droit de regard et une possibilité de refuser les sanctions, mais le caractère a priori automatique de celles-ci indiquait que l’on ne voulait plus en revenir aux errements du passé, sous forme de demande de dérogation ou d’arrangement entre États. Cela constituait un message plus fort et plus clair à l’égard des marchés.

J’ai tout de même le sentiment, malgré vos propos, monsieur le ministre, que les États sont encore très pusillanimes lorsqu’il s’agit de lâcher une petite parcelle de souveraineté, et que « l’intergouvernemental » pèse encore de tout son poids.

La réduction de la part de la dette supérieure à 60 % de 1/20e par an représente, pour la France, à peu près 18 milliards à 19 milliards d’euros par an. Des simulations ont-elles été faites par le ministère du budget ? Quels sont les secteurs qui réservent, de ce point de vue, des marges de productivité ?

Pour ce qui est du mécanisme européen de stabilité, le MES, les décisions seront prises par les États membres à l’unanimité. Ces aides seront accordées essentiellement sous forme de prêts, mais pourront revêtir aussi celle d’une souscription directe d’émissions obligataires de l’État défaillant. Est-il également prévu que le MES puisse prêter de l’argent à un État en difficulté pour lui permettre de racheter ses propres obligations, comme cela était envisagé à un moment donné ?

Il a été prévu, par ailleurs, la participation éventuelle de créanciers privés. Dans quelles circonstances pourra-t-elle avoir lieu ? Sous quelle forme ? Sous quelles conditions ?

En ce qui concerne l’Irlande, il me semblerait normal que ce pays accepte les deux principes de base suivants : d’une part, la mise en place d’une assiette commune et, d’autre part, l’inscription dans une fourchette européenne des taux de fiscalité de tous les États membres.

En contrepartie, ne faut-il pas laisser à l’Irlande le temps nécessaire pour mettre en œuvre ces deux règles, qu’elle ne peut visiblement appliquer aujourd’hui pour des raisons politiques et surtout économiques. Il serait par trop contradictoire d’aider l’Irlande tout en lui maintenant la tête sous l’eau !

Sur le pacte pour l’euro, mes questions seront brèves.

S’agit-il d’un document d’orientation et de recommandation, ou bien ces objectifs seront-ils chiffrés et soumis à un calendrier ?

L’élaboration de ce pacte a-t-elle donné lieu à un contact avec les partenaires sociaux ?

Comment la France a-t-elle l’intention de transposer concrètement les règles de discipline budgétaire, qui doivent s’appliquer aussi aux collectivités territoriales ?

Enfin, la France a-t-elle déjà des propositions à faire en ce qui concerne les domaines prioritaires à retenir dans le pacte de l’euro ?

J’en arrive à la seconde partie de mon propos, qui concerne les étapes futures.

La prochaine étape consistera à faire un bilan des décisions que nous avons prises, en particulier sur la régulation. Or, de ce point de vue, le bilan n’est pas satisfaisant ; les bonus refleurissent – M. Barnier lui-même convient qu’il n’a pas été entendu sur ce sujet ! –, les marchés parallèles existent toujours, les paradis fiscaux n’ont pas tous été éliminés, et l’on en vient à se demander si le pouvoir politique et ses conseillers ont vraiment les moyens d’opérer une telle régulation. Il faut savoir, par exemple, que chaque titre fait l’objet de 600 ordres par seconde, dont 99,5 % sont annulés dans les 25 microsecondes qui suivent...

Par ailleurs, où en est-on en matière de lutte contre les CDS spéculatifs et les ventes à découvert ? Il est indispensable que le G20 dresse un bilan de cette situation et prenne, éventuellement, des mesures en conséquence.

Où en sommes-nous, enfin, en termes de « stress tests » des banques ? Comment réagiront les agences de notation si ces tests sont mauvais ? Tous les États se sont-ils bien engagés à recapitaliser les établissements défaillants ?

Pour conclure, j’évoquerai brièvement quelques points qui n’appellent pas nécessairement une réponse approfondie de votre part.

S’agissant de la taxe sur les transactions financières, a-t-on vraiment l’intention d’aller au-delà des déclarations de principe ? Que penser de l’évasion potentielle si cette taxe était mise en œuvre dans la seule zone euro ?

Le budget européen représente environ 1 % du PIB de l’Union européenne : ce pourcentage ne contribue-t-il pas à décrédibiliser l’Europe ? On peut augmenter cette part en transférant certaines dépenses nationales à l’échelon européen et en intégrant davantage certaines politiques, sans pour autant élever globalement le niveau de dépenses actuel.

Par ailleurs, le moment n’est-il pas venu de reconstituer des ressources propres ?

Enfin, monsieur le ministre, pensez-vous à la possibilité d’emprunt donnée à l’Europe ?

M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.

M. Serge Dassault. Contrairement à nos collègues, je serai très bref. Je poserai rapidement trois questions, sans faire de commentaires.

Premièrement, en quoi consiste le « pacte pour l’euro » ? Est-ce à dire qu’un effort sera consenti pour faire baisser le cours de l’euro, qui est trop élevé et qui compromet les importations de toute l’Europe ? Ne peut-on pas envisager une dévaluation ?

Deuxièmement, la convergence fiscale, qui est un bon objectif, concerne-t-elle l’ISF ? Nous en aurions bien besoin ! Si l’Union européenne décidait la suppression de ce type d’imposition dans tous les États membres, cela faciliterait bien les choses. Elle l’a d’ailleurs déjà fait pour d’autres impôts.

Troisièmement, où est l’Europe de la défense ? Après la façon dont l’Allemagne s’est complètement désolidarisée de la France pour l’intervention en Libye, je vois mal comment nous pourrions développer une défense européenne à l’avenir. Une part trop importante d’États européens recherchent leurs seuls intérêts.

M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron.

M. Adrien Gouteyron. Je remercie M. le ministre de la vigueur de son propos et de son optimisme, qui ne m’étonne pas.

Je m’éloignerai quelque peu de notre sujet de discussion pour poser une question d’ordre institutionnel à laquelle M. le ministre a nécessairement pensé et sur laquelle il pourra nous apporter des réponses. Quel est exactement le rôle du Service européen pour l’action extérieure, monsieur le ministre ?

Vous avez dit voilà quelques instants que nous ne devions pas « hyperboliser » nos différences ; soit. Mais ne pensez-vous pas, compte tenu de l’état de l’Union européenne actuellement – et à cet égard je reprendrai volontiers à mon compte les propos tenus sur le couple franco-allemand ou sur l’UPM par des collègues qui ne sont pourtant pas de mon bord politique –, que la mise en place du service européen a été quelque peu prématurée ?

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia. Monsieur le ministre, je ne poserai pas de question, nous n’en avons pas le temps. Je ferai simplement deux remarques puisque vous avez dit que vous vouliez être à l’écoute.

Concernant la position de l’Allemagne sur l’intervention en Libye, je crois savoir de bonne source – l’information provient d’une source parlementaire très élevée – que Mme Merkel a été freinée par l’obligation qui lui incombe d’obtenir l’approbation d’un tel engagement par le Parlement.

S’agissant de l’UPM, j’ai eu l’honneur d’assister à l’assemblée parlementaire qu’elle tenait à Rome voilà moins de quinze jours et je dois dire que l’ambiance a totalement changé. Certes, compte tenu de la situation transitoire de leurs régimes respectifs, et notamment faute de Parlement, les Tunisiens et les Égyptiens n’étaient pas représentés, mais toutes les personnes présentes avaient la volonté d’aller de l’avant avec des réalisations concrètes. La banque d’investissement euro-méditerranéenne que chacun aspire à voir naître rapidement était la préoccupation numéro un, après d’autres sujets concrets.

Concernant le problème des relations entre Israël et ses voisins, monsieur le ministre, permettez-moi de vous signaler que le chef de la délégation israélienne et le chef de la délégation palestinienne, l’ancien ministre Majalli Whbee et M. Taysir Qubaa, se sont entretenus en tête à tête dans une petite salle en marge de l’assemblée. Ce n’était peut-être pas la première fois. Toujours est-il que la discussion a dû être assez approfondie car elle a duré une heure. Il y a donc tout de même un espoir.

M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Monsieur le ministre, l’Europe est-elle prête à fournir un effort important pour que soit mis en œuvre un véritable plan Marshall pour la Méditerranée ? En effet, la transition démocratique ne se fera pas sans une évolution économique de l’emploi et des perspectives nouvelles.

Par ailleurs, on ne peut pas accuser la France d’avoir joué « petits bras » s’agissant de la situation en Méditerranée.

M. Jacques Blanc. Pour ma part, je suis fier de ce que la France a osé faire. Elle n’est pas restée en arrière ; au contraire, c’est elle qui a « tiré » ses partenaires pour éviter le drame qui menaçait les Libyens.

Réussira-t-elle à surmonter la prise de position de l’Allemagne pour élaborer, par exemple par une action de voisinage, une politique très forte vis-à-vis de la Méditerranée ? Jamais l’Union pour la Méditerranée n’a été aussi nécessaire qu’aujourd'hui. Sur ce plan également, la France a montré qu’elle n’avait pas attendu les événements de ces derniers mois pour penser à la Méditerranée.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Wauquiez, ministre. Je vais tenter de répondre dans le peu de temps dont je dispose aux salves de questions qui m’ont été posées.

Permettez-moi tout d’abord d’apporter un complément d’information sur le mécanisme européen de stabilité. Ce dernier sera doté de 700 milliards d'euros, dont 620 milliards d'euros de garanties et 80 milliards d'euros de capital. Le système est identique à celui que nous avions adopté pour les garanties bancaires : dès lors qu’il s’agit de prêts, le budget de l’État bénéficie d’une contrepartie ; le mécanisme n’a donc aucun impact sur les déficits.

Je tiens à remercier M. Badré de sa question. En effet, le Conseil de l’Europe a un rôle déterminant à jouer s’agissant de l’engagement sur la rive sud de la Méditerranée. Votre rapport, monsieur le sénateur, arrive à point nommé ; nous avons eu l’occasion d’en discuter ensemble.

À la suite des échanges que nous avons eus à ce sujet, j’ai rencontré le secrétaire général du Conseil de l’Europe lors de mon déplacement à Strasbourg. Cette institution mène en ce moment un très beau travail pour se recentrer sur les enjeux démocratiques. Or c’est précisément l’accompagnement dont nous avons besoin sur la rive sud de la Méditerranée. Il serait donc possible de tirer profit de cette complémentarité entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne.

S’agissant du semestre européen – j’anticipe les réflexions qui seront faites –, je ferai remarquer qu’est engagée une véritable petite révolution dans le fonctionnement et la logique parlementaires en matière d’appropriation du budget. Sans vouloir dépasser le cadre de ma fonction, je préciserai simplement que, en termes de calendrier, le rapport sur la croissance sera émis par la Commission en janvier, le retour des parlements nationaux devra être communiqué en avril et la Commission rendra son avis en juillet.

Un tel cadre permet d’avoir une vision commune tout en conservant une certaine souplesse. Chaque État agit non pas seul mais en réfléchissant aux actions des autres membres, dans le cadre d’une réflexion globale sur la croissance européenne. Ainsi, la procédure préserve la souveraineté parlementaire et, en même temps, s’inscrit dans un cadre de réflexion européen. Il me semble que c’est un bon équilibre.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Sur ce point, monsieur le ministre, permettez-moi d’indiquer à nos collègues que, dans la dernière semaine d’avril, nous soumettrons au Sénat un rapport de la commission des finances sur le programme arrêté par le Gouvernement et que, pour la première fois, le Sénat sera appelé à se prononcer par un vote sur ce qu’on appelait hier le programme de stabilité.

La Commission donnera son avis et nous aurons à nous saisir de cet avis dans la dernière semaine du mois de juin, au cours de ce qu’on appelle la « séquence vertueuse », pendant laquelle nous aurons à nous prononcer sur la loi de règlement, le débat d’orientation budgétaire et les indications qui résulteront des travaux conduits à Bruxelles sur le programme pluriannuel de stabilité.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.

M. Laurent Wauquiez, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui va être intéressant pour vous – c’est en tout cas mon opinion – sera de travailler avec les parlementaires européens. Incontestablement, vous êtes un levier de l’influence de la France. La capacité du Sénat à être un relais des préoccupations françaises et à faire œuvre de conviction auprès de nos partenaires sera absolument déterminante.

La politique européenne n’est pas le fait du seul Gouvernement : l’enjeu parlementaire est décisif, surtout avec la montée en puissance du Parlement européen. Vous êtes donc tous des acteurs absolument déterminants pour aider la France à faire valoir ses positions et à s’approprier les décisions européennes.

J’en viens aux questions qui ont été soulevées par Fabienne Keller.

En ce qui concerne la convergence fiscale, il est certain que, depuis l’échec que nous avons connu voilà à peine quelques mois en matière de fiscalité sur l’énergie, un véritable changement de donne a eu lieu. L’onde de choc que tout le monde a subie a ouvert les esprits, et nous sommes plutôt optimistes sur les chances d’aboutissement d’une taxe carbone.

Certes, celle-ci ne sera pas évidente à mettre en place ; des problèmes très précis se posent. Nous avons toutefois une vraie opportunité d’y parvenir.

Surtout, nous devons partir d’une conviction simple : nous ne pourrons pas faire fonctionner le marché unique si des distorsions fiscales perdurent. Je ne comprends pas nos collègues anglais, qui plaident à tout va pour le marché unique et qui, dans le même temps, expliquent qu’il peut y avoir des distorsions fiscales. L’un ne peut pas aller avec l’autre.

Nous connaissons leur position, mais nous sommes désormais déterminés à avancer sans eux. Ils l’ont d’ailleurs bien compris et une telle attitude les ennuie fortement, mais nous l’assumons. La convergence fiscale est lancée et nous n’avons pas l’intention d’arrêter ce mouvement.

Concernant la taxe sur la transaction financière, j’ai probablement mal compris ceux d’entre vous qui ont parlé de « jouer petits bras ». Soyons clairs : qui plaidait dans le désert pour la mise en place d’une telle taxe et depuis combien de temps ? Les majorités successives ont plaidé pour ce sujet sans succès, sans susciter la moindre écoute, la moindre attention, dans une vraie solitude. Et qui arrive enfin à obtenir une première avancée dans le cadre d’un Conseil européen ?

Il faut savoir reconnaître les avancées. Vous avez raison de le souligner, Mme Keller : c’est la majorité actuelle qui, pour la première fois, est parvenue à faire inscrire la taxe sur la transaction financière sur l’agenda européen. C’est une avancée très importante et je vous remercie de l’avoir soulignée.

Au sujet de Strasbourg comme siège du Parlement européen, il n’y a aucune ambiguïté : c’est inscrit dans le traité et fait partie des équilibres fondamentaux. Nous saisissons la Cour de justice de l’Union européenne à ce sujet. Ce qui a été fait est inacceptable. Les amendements ont été déposés sous le boisseau, le scrutin a été fait à bulletin secret pour éviter que chacun assume son vote. C’est un coup de canif dans l’équilibre institutionnel et nous devons nous y opposer. Nous devons être offensifs.

Je ferai deux remarques à ce sujet.

Tout d’abord, si on veut supprimer tous les coûts de déplacement relatifs aux travaux des institutions européennes, alors installons-les toutes à Bruxelles ! Est-ce là ce que nous voulons ? Souhaitons-nous une Europe qui concentre tous ses décideurs et ses fonctionnaires dans les mêmes buildings, dans les mêmes quartiers, dans la même capitale ?

Ensuite se pose la question des valeurs sous-jacentes, comme certains d’entre vous l’ont très bien souligné. Strasbourg, c’est l’incarnation de la réconciliation franco-allemande, c’est l’Europe du citoyen, c’est l’Europe des Droits de l’homme. C’est aussi une Europe qui prend ses distances vis-à-vis de la sphère bureaucratique et des lobbies. Je ne suis pas sûr que cette Europe-là soit l’Europe du passé. J’en ai assez que nous la défendions frileusement ; il faut que nous soyons offensifs.

Certains veulent faire des économies ? Très bien ! Aucun problème ! Transférons toutes les institutions à Strasbourg ! Rapatrions tout : le travail des commissions, le travail des sessions. Cela ne présente aucune difficulté pour nous ! (Sourires.) Ce qui crée des problèmes, ce ne sont pas les sessions à Strasbourg, c’est le travail en commission à Bruxelles !

Mme Fabienne Keller et M. Adrien Gouteyron. Très bien !

M. Laurent Wauquiez, ministre. D’après le traité, le siège du Parlement européen se trouve à Strasbourg, non à Bruxelles.

Je remercie les parlementaires alsaciens, qui ont totalement soutenu cette position et qui ont fourni un travail conjoint très important sur le sujet.

M. Laurent Wauquiez, ministre. Concernant l’Union pour la Méditerranée – je réponds ici à la remarque de Roland Courteau –, nous devons tirer les leçons de nos échecs. Dans notre conception initiale, nous avons voulu couper l’UPM du sous-jacent européen ; c’était une erreur.

L’UPM fait partie de la politique européenne de voisinage. Elle doit pouvoir s’appuyer sur les instruments de gouvernance européens et les fonds européens. Essayons de remettre ce projet sur le bon chemin. Il reste plus que jamais valide, à condition de rester dans le concret. Je vous rejoins totalement sur ce point. Vous avez d’ailleurs très bien listé les quelques projets évalués en ce moment. Voilà ce sur quoi nous devons travailler.

Monsieur Marc, je suis parfaitement d’accord avec vous, la crise n’est pas derrière nous. Elle le sera définitivement quand nous aurons mis en œuvre tous les outils et que nous serons parvenus à éloigner tous les errements et à reprendre le terrain perdu en termes d’emploi.

Jouons-nous en défense ? Permettez-moi de vous poser une question, monsieur Marc : avez-vous eu en main la dernière version du pacte ? Après avoir entendu vos questions, je pense que non. Le texte ayant varié dans le temps, ce ne serait pas étonnant, et même parfaitement normal. Je demanderai donc à mes services de vous transférer la dernière version pour que vous puissiez en prendre connaissance.

En effet, tous les sujets que vous avez soulevés y sont mentionnés : l’investissement dans les infrastructures, l’investissement dans la recherche et l’innovation, la nécessité d’investir sur la formation et l’adéquation entre formation et emploi, la nécessité de mettre en place des politiques offensives de compétitivité. Cela ne figurait pas dans la version initiale.

M. François Marc. Avec quels financements ?

M. Laurent Wauquiez, ministre. Je vais y venir.

La totalité des efforts à accomplir sont donc listés et nous ne nous situons pas dans une vision étriquée d’une Europe exclusivement préoccupée de ses déficits. La vision adoptée est celle d’une Europe qui investit dans sa compétitivité et dans l’amélioration de son capital humain, de sa formation, de ses infrastructures. De ce point de vue, ce texte est donc véritablement équilibré.

Par ailleurs, monsieur Jung, il ne faut surtout pas confondre Barcelone et Lisbonne. Se sont conclus dans chacune de ces villes des actes très différents. Le processus de Barcelone concerne la politique du Sud et de la Méditerranée ; le processus de Lisbonne a déterminé, quant à lui, l’agenda d’investissement destiné à améliorer la compétitivité de l’Europe.

J’en viens à la nouvelle politique allemande. On ne peut pas reprocher aux Allemands une chose et son contraire, vous l’avez-vous-même souligné avec beaucoup d’honnêteté, monsieur Marc. Il y a six mois, on reprochait aux Allemands de refuser d’être dans le jeu communautaire ; maintenant, on leur reproche d’y être !

Les Allemands ont dû faire des choix et – retenons la leçon – ils ont fait des choix courageux en refusant de mener une politique de père Noël consistant à promettre sans cesse en tirant des traites sur l’avenir et sur les générations futures. Les Allemands ont fait l’effort de mettre au clair leurs finances publiques, collectivement, et de restaurer leur compétitivité.

Ils ont dû choisir : continuer à porter cette politique dans le cadre communautaire ou bien se renfermer dans une vision germano-centrée. Ils ont décidé de jouer la solidarité communautaire, d’affirmer leur confiance dans la défense collective d’une monnaie commune et de croire en la dimension européenne de leur destin.

C’est une belle réponse que les Allemands ont apportée, car ce qu’on leur demande avant tout c’est de payer et de financer des mécanismes de solidarité.

En fait, nous avons un vieux complexe par rapport à l’Allemagne. Mais arrêtons ! Qui a rejoint les positions de qui ? Le gouvernement économique, était-ce une proposition allemande ou française ? S’agissant du fonds de stabilité, il y a un an et demi, l’Allemagne était-elle favorable à une intervention en Grèce ? Non, mais elle a rejoint des positions défendues par la France. Qui a défendu l’idée d’un pacte pour l’Euro au sein de la zone des dix-sept ? C’est la France. La taxe sur la transaction financière offre encore un exemple des avancées promues par la France.

Et quand je dis la France, je l’entends dans le sens le plus républicain du terme, c'est-à-dire en englobant l’ensemble des composantes politiques de notre pays, puisque nous nous sommes parfois retrouvés sur ces sujets.

Ne soyons pas dans l’auto-dénigrement et l’auto-flagellation ! Je le répète, des avancées fortes ont été réalisées, au cours desquelles l’Allemagne a rejoint les positions de la France ! Vous pouvez sans doute me citer des cas où l’inverse s’est produit, et c’est tant mieux !

Ma vision du couple franco-allemand est très simple. Nous avons, chacun, nos intérêts nationaux : nous ne demandons pas à notre pays de renoncer à ses intérêts nationaux ; ne demandons pas à l’Allemagne de renoncer aux siens. Mais nous avons tous les deux, c’est ce qui fait la force du couple franco-allemand, la lucidité de savoir qu’au lieu d’essayer d’imposer à l’autre nos intérêts nationaux il est préférable de dégager une position commune au niveau européen, moteur d’une dynamique positive pour l’un et pour l’autre.