M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à la bioéthique revêt une portée singulière et essentielle.

Une portée singulière, parce qu’il nous interroge, dans notre for intime, sur notre conception de l’existence humaine et, finalement, sur l’avenir de l’homme, au moment où la science ouvre des perspectives vertigineuses, souvent pleines d’espoir, mais parfois aussi inquiétantes. Ce débat est singulier, parce qu’il nous incite à sonder notre conscience et à dépasser, évidemment, les réflexes partisans habituels. Quelles que soient notre sensibilité et notre appartenance politique, nous savons bien qu’une appartenance commune plus profonde, plus large aussi, nous rassemble : l’appartenance à une même humanité. Nous partageons, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, cette idée simple et forte que la dignité d’une personne, dans sa singularité, n’est pas négociable.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Bruno Retailleau. Ce projet de loi est également essentiel par ses enjeux : jusqu’où peut-on aller, jusqu’où ne doit-on pas aller, pour ne pas franchir des seuils anthropologiques au risque de blesser l’essence même de l’homme ? Ce projet de loi est essentiel parce qu’il n’a rien d’uniquement scientifique ou technique. En repoussant toujours plus loin les limites dans la maîtrise du vivant, nous modifions aussi l’échelle des valeurs qui fondent la vie en société. Les choix que nous effectuerons n’exprimeront pas seulement une vision de l’homme, ils renforceront ou affaibliront le lien social. En ce sens, ce débat est profondément politique.

Sur le fond, ce texte pose trois questions : quelles limites l’éthique doit-elle donner à la science et comment s’assurer que la science reste bien au service de l’homme ? Quels repères l’éthique doit-elle poser face aux demandes particulières, face à la liberté individuelle ? Enfin, quelles bornes l’éthique doit-elle imposer au marché, aux intérêts financiers qui, dans chaque avancée, voient d’abord une occasion de profit ?

La première question touche aux rapports de l’éthique et de la science. Bien sûr, la science est un formidable facteur de progrès. Elle s’identifie même à l’idée de modernité, mais notre modernité ne doit pas être uniquement l’emballement d’une grande machinerie qui, au nom d’une ambition prométhéenne, déclasserait une promesse d’humanité au rang de matériau de laboratoire.

De ce point de vue, l’abandon du régime d’interdiction, pour la recherche sur l’embryon humain, me paraît constituer une erreur.

Tout d’abord, le passage du régime de l’interdiction assortie d’exceptions au régime d’autorisation encadrée représente une évolution considérable, car il induit tout simplement une inversion radicale du principe de protection, qui s’inscrit dans une logique de déshumanisation progressive de l’embryon : en 1994, nous posons le principe d’interdiction stricte de toute recherche sur l’embryon humain ; en 2004, nous maintenons ce principe en l’assortissant de dérogations et, aujourd’hui, vous nous proposez d’autoriser la recherche sur l’embryon humain. Cet engrenage nous conduit à traiter l’embryon de plus en plus comme un objet et de moins en moins comme une personne humaine potentielle !

Ensuite, la rupture radicale que constitue cet abandon du principe d’interdiction ne se justifie pas, et ce pour deux raisons essentiellement.

La première est fondamentale : la loi civile, comme M. le rapporteur l’a rappelé, pose le principe intangible du respect de la personne « dès le commencement de sa vie » ; ce sont les termes de l’article 16 de notre code civil. Or le problème n’est pas de savoir si l’être humain est intouchable, mais à partir de quand on devient un être humain. Comment, en effet, définir et dater un seuil d’entrée dans l’humanité ? Le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé n’a pas apporté de réponse définitive à cette question, mais il indique que l’embryon est « une personne humaine potentielle ». Effectivement, chaque étape de son développement est comme contenue dans l’étape qui la précède. Quand bien même aurions-nous un doute à cet égard, mes chers collègues, ce doute ne serait-il pas suffisant pour nous abstenir de traiter l’embryon comme un simple produit de laboratoire ?

D’autant plus qu’il existe désormais des solutions de rechange. Telle est la deuxième raison pour laquelle le principe de l’autorisation de la recherche sur l’embryon ne me paraît pas souhaitable, puisque d’autres techniques sont désormais disponibles…

M. Guy Fischer. Elles sont à peine naissantes !

M. Bruno Retailleau. Finalement, la science vient au secours de l’éthique en offrant au progrès d’autres voies moins intrusives et plus respectueuses. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

La seconde question porte sur les repères que l’éthique doit poser face aux demandes particulières, face à la liberté individuelle. Cette interrogation n’a rien de théorique, car la liberté individuelle devient une sorte d’horizon indépassable. Il suffit désormais qu’une demande s’exprime pour que l’on somme le législateur de l’entériner par la loi ! Ma conviction est que la tâche du politique n’est pas d’être le greffier des particularités ; au contraire, il lui appartient de promouvoir la chose commune. Comme disait Malraux, « l’individu s’oppose à la collectivité, mais il s’en nourrit ».

Deux sujets expriment bien cette tension entre les désirs des uns et notre identité collective.

L’assistance médicale à la procréation, tout d’abord : les innovations scientifiques ne doivent pas avoir pour objet de satisfaire toutes les aspirations individuelles et il ne saurait y avoir de « droit à l’enfant ». Sur ce sujet, je voudrais d’ailleurs saluer la position de notre commission, favorable à l’interdiction du transfert d’embryon post mortem.

Le dépistage prénatal illustre également ce conflit entre individu et société. La quête de l’enfant parfait, avec zéro défaut, est une tentation dangereuse.

Mme Raymonde Le Texier. Il ne s’agit pas de cela !

M. Bruno Retailleau. Le diagnostic anténatal comporte de fait un risque grave et sérieux d’eugénisme. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Bien sûr, comment ne pas comprendre le désarroi des parents devant un enfant handicapé qui va bouleverser leur vie ? Et pourtant, aucun de ceux que je connais ne m’a jamais confié que le handicap ait diminué l’amour qu’il portait à son enfant, au contraire !

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Bruno Retailleau. Comment comprendre ce chiffre terrible : 96 % des grossesses diagnostiquées trisomiques font aujourd’hui l’objet d’un avortement ?

Peut-on sereinement affirmer, dans ces cas, que l’application systématisée de ces techniques mène à un progrès, nous qui pensons tous qu’une civilisation, une société, se juge au sort qu’elle réserve aux plus faibles, aux plus petits ?

M. Guy Fischer. Une société se juge au sort qu’elle réserve à ses enfants !

M. Bruno Retailleau. Parce que l’humanité blessée, mes chers collègues, l’humanité différente, c’est encore l’humanité, c’est encore nous-mêmes !

MM. Charles Gautier et Jean-Pierre Michel. Conclusion ! Votre temps de parole est dépassé !

M. Bruno Retailleau. Alors, madame le secrétaire d’État, faisons au moins en sorte de consacrer au traitement de la maladie les mêmes moyens que ceux que nous dépensons pour ce seul dépistage.

Je conclus : l’enjeu de ce débat n’est pas l’opposition du progrès contre l’éthique, de la liberté individuelle contre le pacte collectif. C’est la défense même de l’humanisme qui est en cause. Dans l’histoire récente, il est souvent arrivé à l’homme de dégrader la nature ; ne prenons pas le risque d’abîmer, dans l’avenir, notre propre humanité ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Raymonde Le Texier. Voilà un discours progressiste…

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est l’aboutissement de la clause de révision inscrite dans la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique.

En réalité – comme il a été dit –, aucune recherche n’est venue bouleverser fondamentalement le champ de la bioéthique, ni poser de nouveaux défis depuis la promulgation de cette loi, si ce n’est l’émergence de la biologie de synthèse, dont il faudra un jour se préoccuper.

C’est surtout l’approfondissement des techniques existantes et leur diffusion croissante qui changent la dimension des problèmes.

Notamment, la mondialisation de la recherche engendre des tensions économiques et risque de favoriser à court terme le « moins-disant éthique », car elle s’accompagne d’une concentration des moyens financiers. Aussi est-il assez compréhensible que les chercheurs souhaitent une simplification des procédures. Il est vrai que celles-ci sont parfois inutilement contraignantes et qu’il est difficile de connaître à l’avance l’impact thérapeutique d’une découverte.

Comme le rappelait le professeur Henri Atlan, le chercheur s’efforce avant tout de sauvegarder sa liberté, de conduire ses travaux pour découvrir. C’est l’un des enjeux de la recherche fondamentale que la loi de 2004 paraît limiter, non sans une certaine hypocrisie d’ailleurs, mais j’y reviendrai.

Parallèlement, l’information scientifique et juridique circule très rapidement ; elle est très médiatisée. Juste ou fausse, elle suscite réactions, mais aussi espérances. L’utilisation du réseau internet permet aussi à chacun d’évaluer l’offre juridique en fonction de ses besoins. Un interdit peut être facilement contourné par un déplacement opportun vers un pays voisin dans lequel la loi est plus permissive.

Le « dumping juridique » et le « moins-disant éthique » font recette dans tous les champs couverts par la biomédecine : explosion des tests génétiques via internet, tourisme de transplantation et de procréation.

On voit bien, dans ce contexte, l’importance de notre débat de ce jour. Personnellement, je ne crois pas que le législateur se doive d’être « à la remorque » de la science pour toujours adapter la loi aux découvertes en cours et de répondre aux nouvelles demandes sociales.

Si la liberté du chercheur et celle de l’individu existent, le législateur doit – c’est sa vocation – créer le cadre et les conditions du « vivre ensemble ». « On entre véritablement en éthique », disait Paul Ricoeur, « quand, à l’affirmation par soi de la liberté, s’ajoute la volonté que la liberté de l’autre soit ». C’était poser comme valeur universelle, non pas la simple juxtaposition des libertés, mais la réciprocité. C’est tout le propos d’Axel Kahn sur le caractère au fond universel et intemporel des valeurs de respect de la personne.

Sur trois sujets, les attentes s’expriment désormais avec plus de force.

Le premier de ces sujets est la levée de l’anonymat dans le cadre des actes d’assistance médicale à la procréation, au nom du droit à connaître ses origines, sujet dont l’acuité se manifeste aussi par l’explosion des tests génétiques en accès libre sur le réseau internet. Dans bien des cas, il s’agit de satisfaire la curiosité de chacun sur ses origines familiales.

L’Assemblée nationale avait finalement décidé, à une large majorité, de maintenir le principe de l’anonymat. La commission des affaires sociales, sur l’initiative de son rapporteur, est revenue au texte initial. À mon sens, c’est une erreur : la rupture de l’anonymat comporte des éléments bien plus perturbants que l’ignorance de l’identité de son géniteur.

Elle aura vraisemblablement des conséquences sur le nombre des donneurs, qui risque de diminuer dans un premier temps. Par ailleurs, les parents seront tentés de cacher à leur enfant le mode de sa conception.

Compte tenu du recours toujours possible aux tests génétiques par les enfants devenus adultes, la découverte d’un secret aura des conséquences bien plus néfastes que la méconnaissance de ses origines. Comment réagira un enfant si sa mère ou son père biologique ne manifeste pas le souhait de le rencontrer ? Ou encore quelle sera la réaction de la famille du donneur en apprenant l’existence d’un autre enfant ? Les risques de conflits et de traumatismes psychologiques ne sont pas à écarter, particulièrement dans le cas où le donneur est une mère.

Il eût été plus raisonnable de permettre un accès aux seules motivations et données non identifiantes sur le donneur.

Le second sujet concerne l’accès à l’assistance médicale à la procréation. Certains souhaitent en effet l’ouvrir à des femmes célibataires ou à des couples de femmes. D’autres réclament la légalisation du recours à la mère porteuse.

Je ne juge pas les nouvelles formes de parentalité existantes ni les familles recomposées ou monoparentales. L’aspiration à « faire famille » ou à devenir parents n’est certes pas réservée à quelques-uns, mais crée-t-elle pour autant des droits sur la société ? Gardons aussi à l’esprit l’intérêt de l’enfant à naître…

Les techniques d’assistance médicale à la procréation étant lourdes et difficiles à mettre en œuvre, je considère qu’elles doivent être réservées aux stérilités médicalement avérées. Sur ce point, le projet de loi me satisfait.

Reste la question du transfert d’embryon post mortem, qui a déjà été évoquée. Dans le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale, celui-ci était autorisé. La commission en a décidé autrement. Cette décision apparaît sévère pour le membre du couple survivant, qui peut, par ailleurs, consentir au don de ses embryons en vue d’un accueil par un autre couple.

J’ai donc déposé un amendement visant à autoriser le transfert d’embryon post mortem dans les conditions proposées par l’Assemblée nationale : consentement écrit du conjoint, délai de six à dix-huit mois après le décès de celui-ci, suivi psychologique de la mère.

Certains ont souhaité à nouveau porter le débat sur la gestation pour autrui en séance publique. L’encadrement strict qu’ils proposent à travers leurs amendements ne lève pas, selon moi, les objections de fond.

Cette technique remet en cause une règle fondamentale du droit de la filiation de la plupart des États occidentaux, selon laquelle la maternité légale résulte de l’accouchement : « Mater semper certa est ». Mais, surtout, elle ramène la gestation à une période neutre, impersonnelle, sans effet sur le devenir de l’enfant. C’est en définitive vouloir considérer que l’utérus n’est qu’un simple incubateur.

Pour Mme Badinter, « on peut porter un enfant sans faire de projet, sans fantasmer, sans tricoter une relation avec lui ». Je ne saurais affirmer le contraire, bien que les médecins démontrent chaque jour l’importance des échanges fœto-maternels.

Quoi qu’il en soit, une grossesse, ce n’est pas toujours simple : la mère porteuse n’est pas à l’abri de complications ; elle doit aussi affronter le regard des autres, celui de sa famille en particulier.

Qu’adviendra-t-il si sa grossesse se déroule mal ? Qui sera responsable ? Quel sera le sort de l’enfant si le couple d’intention ne le reconnaît pas ou, entre-temps, est dissous par la mort, une séparation ou un divorce ?

Toutes ces questions ainsi que celle du défraiement impliquent un contrat. Je le dis sincèrement, cela me choque et me bouleverse qu’on puisse établir un contrat sur un enfant à venir. Il est évidemment des couples que l’on souhaiterait aider, mais la loi doit poser des limites.

Enfin, le troisième sujet qui suscite des attentes concerne les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

Contrairement à la position de l’Assemblée nationale, la commission des affaires sociales a supprimé l’interdiction de telles recherches au profit d’un régime d’autorisation strictement encadrée. On ne peut en effet que s’interroger sur la valeur d’un interdit de principe qui s’appuie sur des valeurs profondes et intangibles et pour lequel est aménagé de façon permanente un régime dérogatoire.

N’y a-t-il pas une hypocrisie à justifier le maintien du principe de l’interdiction par le souci de protéger l’embryon alors que la loi autorise le tri des embryons grâce au diagnostic préimplantatoire et la conception d’embryons surnuméraires qui sont voués à être détruits ?

Sur le plan scientifique, il n’y a plus grand sens, depuis que les cellules iPS ont été découvertes, à opposer recherche sur les cellules souches embryonnaires et recherche sur les cellules souches adultes, même si certaines pathologies doivent être traitées de préférence par les unes plutôt que par les autres.

Par ailleurs, un système qui interdit tout en organisant une transgression est illisible, malsain et culpabilisant pour les chercheurs. Les équipes françaises sont confrontées à un défi d’innovations technologiques très important. Le régime dérogatoire induit une instabilité juridique peu propice à attirer les jeunes chercheurs, les chercheurs étrangers et les investissements des industriels et des sociétés de capital-risque.

Il convient donc de mettre fin à cette sorte de suspicion à l’égard de la recherche sur l’embryon alors que tout le monde s’accorde à reconnaître la qualité des contrôles auxquels procède l’Agence de la biomédecine.

Il faut simplifier les démarches administratives imposées aux chercheurs, créer une banque de cellules souches gérée par l’Agence de la biomédecine et encourager la poursuite de la recherche fondamentale, sans privilégier telle ou telle approche.

Mes chers collègues, il est indispensable de s’interroger en permanence sur les meilleurs moyens d’utiliser les remarquables avancées de la recherche biomédicale, de prévenir au mieux les risques de dérive auxquels ces avancées peuvent conduire – en premier lieu, comme le révèle le grand livre de Stephen Jay Gould, le risque d’une Mal-mesure de l’homme, d’une réduction de la complexité, de l’identité et du devenir de la personne à ce que peut en dire la biologie.

Le texte de la commission, malgré les quelques questions que j’ai soulevées, me semble conserver les équilibres nécessaires entre les valeurs fondant notre société et les libertés individuelles. En l’état actuel, je le voterai. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi, le troisième depuis 1994 à concerner le domaine de la bioéthique, a cela de spécifique qu’il nous interpelle tous au-delà de nos convictions politiques. Et pour cause ! La matière dont nous traitons n’est rien de moins que l’humain, avec la question fondamentale de l’humain en devenir, le vivant, avec la question de son inaccessibilité, ainsi que la place que nous entendons réserver à la science dans le cadre précis des deux précédentes interrogations.

Autant dire que les lois de bioéthique font systématiquement appel à des positions personnelles, à des convictions que chacun s’est intimement forgées, plus qu’à des positions partisanes ou politiques…

L’obligation qui nous incombe, à toutes et à tous, de définir pour l’avenir les règles d’éthique en matière de santé, de médecine et de recherche fait peser sur nous une responsabilité particulière. Il s’agit de trouver ce subtil équilibre entre ce que la science peut faire techniquement et le souci scrupuleux du respect de l’éthique.

Cette question primordiale entre le possible et le souhaitable ne doit pas être la propriété des seuls scientifiques. Elle doit être la ligne conductrice d’un véritable débat citoyen.

À cet égard, je me réjouis de l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement qui est devenu, en l’état actuel du projet de loi, l’article 24 ter A, lequel tend à prévoir la possibilité d’organiser un débat public sous forme d’états généraux avant tout projet de réforme dans le domaine de la bioéthique. Cette proposition, que le groupe communiste et républicain avait avancée en 2003 et qui, à cette époque, ne fut pas retenue, trouve aujourd’hui sa concrétisation et permettra d’instaurer un véritable débat démocratique dans notre pays sur le sujet.

Ce débat est indispensable quand on mesure l’importance des décisions prises pour l’avenir. C’est un signal très positif envoyé à nos concitoyens.

Toutefois, cette satisfaction s’accompagne d’une déception. Nous sommes convaincus, au sein du groupe CRC-SPG, que l’importance des sujets traités, ainsi que la vitesse à laquelle progresse la science devraient conduire à prévoir dans la loi le principe d’une révision régulière – quinquennale, par exemple – des lois de bioéthique. Nous savons ce choix non partagé… Nous serons néanmoins très attentifs sur la question et nous rallierons aux propositions formulées dans ce domaine.

Par ailleurs, nous avons retenu une double approche pour nous interroger sur ce projet de loi : d’une part, l’application à la matière bioéthique d’un principe de responsabilité politique pouvant se résumer en une phrase, celle utilisée par le philosophe Hans Jonas – « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » ; d’autre part, le principe de non-commercialisation du vivant.

À cet égard, il est temps que notre législation aille encore plus loin. En effet, la directive européenne 98/44/CE sur la protection juridique des inventions biotechnologiques, adoptée en juillet 1998, reconnaît que le vivant est « brevetable sous certaines conditions ». Ce texte permet l’usage commercial d’une séquence génétique en vue d’une application industrielle mais, surtout, il vise à harmoniser les pratiques juridiques des différents États de la Communauté et à élargir le champ d’application du droit des brevets à l’ensemble du vivant.

Alors, me direz-vous, l’article L. 611-18 du code de la propriété intellectuelle, en prévoyant que « le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments, y compris la séquence totale ou partielle d’un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables » est plus protecteur que cette directive. Soit !

Mais tout cela n’est pas suffisant puisque, d’une certaine manière, est autorisée la brevetabilité de certains éléments au titre de l’inventivité dans la mesure où, selon ce même article, sont brevetables les inventions constituant « l’application technique d’une fonction d’un élément du corps humain ». Nous sommes par ailleurs persuadés que notre droit doit prévoir expressément l’interdiction de l’appropriation économique, sous la forme de brevets, de tout ce qui est vivant, que cela soit humain, végétal ou animal.

On le voit d’ailleurs aujourd’hui dans l’agriculture : cette logique qui conduit certaines entreprises, bien souvent des multinationales, à s’approprier une plante ou un animal au prétexte qu’elles en auraient modifié un ou deux gènes pour le rendre plus résistant joue contre les agriculteurs et, dans une certaine mesure, contre les équilibres naturels actuels. Ce qui a préexisté à l’homme ne peut pas être breveté.

De la même manière, nous sommes satisfaits de la rédaction actuelle de l’article 7, qui pose le principe de l’utilisation allogénique des cellules hématopoïétiques du sang de cordon et du sang placentaire ainsi que des cellules du sang de cordon et du placenta, interdisant de fait les banques à finalité autologue.

M. Guy Fischer. Nous considérons effectivement que l’existence de telles banques aurait constitué un retournement fondamental dans notre droit actuel puisque le don n’aurait plus eu qu’une finalité personnelle, et ce alors même que le procédé est loin d’être abouti.

Pour notre part, nous faisons nôtre l’analyse développée par le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, dans son avis n° 74, selon lequel « une autoconservation systématique, en dehors d’une justification médicale exceptionnelle, nie le don et constitue un obstacle à la constitution de banques pour les autres, qui supposerait une identification immunogénétique préalable au coût très important ». Et le CCNE de conclure : « Il semble que la conservation systématique de sang placentaire pour utilisation exclusivement autologue soit dans l’état actuel de la science, une illusion thérapeutique qui réponde davantage à des objectifs de marché. »

Cette conservation, mes chers collègues, si elle devait être autorisée, constituerait immanquablement une discrimination à l’égard de nos concitoyens les moins riches, le coût exorbitant de ces procédés les excluant de fait.

Nous considérons d’ailleurs qu’il nous faut aller encore plus loin et prévoir dans la loi expressément, comme nous le faisons dans l’amendement que nous avons déposé en ce sens, l’interdiction pure et simple des banques privées commerciales. Celles-ci suscitent des utopies et déguisent un but mercantile sous le prétexte de rendre service à l’enfant.

C’est la même préoccupation du refus de la commercialisation du vivant qui a conduit notre groupe, à l’issue d’une période de débats et de réflexion, à nous opposer à la gestation pour autrui, c’est-à-dire ce choix qui consiste pour un couple à demander à une tierce personne de porter en son ventre leur enfant.

Certes, les progrès de la technique permettent aujourd’hui de séparer la fécondation de l’enfantement lui-même, c’est-à-dire de distinguer en deux phases la grossesse de l’accouchement. Pour autant, nous ne souhaitons pas que se développe en France un commerce lié à la capacité des femmes à donner la vie. Cette capacité biologique ne peut faire l’objet d’aucun contrat ni d’aucun commerce, car l’inverse conduirait à les réduire à cette capacité. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : d’un commerce.

Comme le dit justement l’appel « contre le marché des ventres », « là où elle est permise, cette pratique donne toujours lieu à une rétribution de la grossesse », ce qui a par ailleurs pour objet, et de manière indirecte, de donner un prix à l’enfant, comme on pourrait le faire pour tout produit commandé dont on attendrait la livraison. Convenez, mes chers collègues, que cela n’est pas souhaitable.

L’enfantement devient alors un service social où la sphère économique s’empare de la vie, avec cette particularité notable que, comme le souligne la philosophe Sylviane Agacinski, « dans les pays qui ont légalisé la gestation pour autrui, on constate que ce sont les femmes pauvres qui portent l’enfant des couples riches, et jamais le contraire ». Cela se vérifie en Californie, où fleurissent les annonces affichant clairement et sans détour : « Ventres à louer ». Et, comme le souligne l’appel contre le commerce des ventres que j’ai précédemment mentionné, « là où elle est autorisée, même très encadrée, comme au Royaume-Uni, la maternité pour autrui est toujours rémunérée, sous forme de salaire ou de “dédommagement”, bien au-delà de la couverture des frais médicaux. Et comment pourrait-il en être autrement ? ».

Tout cela n’empêche pas que, même en Californie, s’organise une forme de dumping social des ventres les moins chers, conduisant les couples désireux d’avoir des enfants à se rendre en Inde, où le prix d’un utérus, puis d’un ventre est plus faible. Comme le souligne encore une fois, et à raison, Sylvianne Agacinski, « la marchandisation n’est pas une dérive, elle est au cœur de cette pratique ». Cela tend à réduire, neuf mois durant, la mère dite de substitution à un simple espace dans lequel prendrait forme la vie. C’est assimiler la femme à un outil, inscrit dans une logique à laquelle nous refusons d’adhérer : la fabrication d’un enfant.

C’est pourquoi, malgré le désir compréhensible des couples qui veulent connaître les joies de la parentalité, nous voterons contre des amendements prévoyant de telles dispositions s’ils devaient être débattus, comme ce fut le cas en commission des affaires sociales.

Par ailleurs, nous saluons la rédaction de l’article 23, concernant les recherches sur les cellules souches, tel qu’il a été modifié par la commission des affaires sociales. L’état actuel du droit, c’est-à-dire le principe de l’interdiction de la recherche sauf dérogation, n’était plus approprié aux réalités scientifiques, et ses fondements reposent sur une chimère à laquelle nous n’adhérons pas.

Je tiens à le dire avec force, ce n’est pas dépasser notre humanité que de permettre aux scientifiques de faire, dans l’intérêt de tous, des recherches sur des embryons qui, parce qu’il n’y a plus de projet parental, sont destinés in fine à être détruits.

Le principe d’autorisation encadrée, tel qu’il est proposé dans cet article, nous paraît être aujourd’hui le cadre juridique le plus approprié, permettant à la fois aux scientifiques de travailler dans des conditions plus claires, notamment vis-à-vis de leurs partenaires européens, tout en évitant certaines dérives naturellement contestables.

Les conditions fixées dans cet article nous semblent suffisamment protectrices dans la mesure où, s’il existe une alternative à la recherche sur l’embryon, celle-ci sera privilégiée. Toutefois, à ce jour, contrairement à ce que prétendent les auteurs des amendements déposés en commission ou pour la séance plénière, qui affirment que ces recherches ne se concrétisent pas, celles-ci s’avèrent indispensables. Mieux, elles permettent de véritables avancées.

Ainsi, le journal La Croix, dans sa publication du 1er janvier dernier, mettait en évidence un cas important de réussites issues de ces recherches. On y découvre par exemple que le biologiste Marc Peschanski, qui mène des études sur la maladie de Steinert concernant près de 7 000 personnes, a pu mieux comprendre certains désordres dans la communication entre le système nerveux et les muscles. Mieux, il semblerait également qu’il ait pu identifier des composés pharmacologiques ayant un effet thérapeutique sur cette maladie. Ces résultats n’auraient pas été obtenus s’il n’avait pu disposer de la possibilité d’effectuer des recherches sur des cellules souches issues d’embryons atteints de cette pathologie et triés à l’occasion d’un diagnostic préimplantatoire. Cécile Martinat, chercheuse à l’INSERM et qui a contribué à ces travaux, le confirme elle-même : « Aucune autre approche expérimentale n’aurait permis aujourd’hui d’élucider ces mécanismes. »

Dès lors, pourquoi continuer à nous priver, dans un cadre juridique précis et protecteur, de telles capacités de recherches ? Pourquoi maintenir un système dont chacun s’accorde à dire, y compris ceux qui sont opposés à la recherche sur les embryons, qu’il est hypocrite ? Rien, d’un point de vue tant scientifique que social, ne nous y invite.

En outre, l’adoption en commission des affaires sociales d’un amendement interdisant la fabrication d’embryons chimériques, c’est-à-dire mêlant des cellules humaines et animales, s’inscrit précisément dans le cadre du respect de nos valeurs fondamentales.

Nous partageons également le souci de la commission des lois d’interdire le transfert post mortem des embryons. S’il est indiscutable que l’embryon a été conçu dans le cadre d’un projet parental, nous considérons que celui-ci est automatiquement dissout avec le décès du père potentiel et qu’il n’est pas dans l’intérêt d’un enfant de le faire naître orphelin au motif que les progrès de la médecine auraient rendu possible une telle situation.

Malgré le travail considérable réalisé par la commission des affaires sociales, qui aurait d’ailleurs peut-être nécessité, comme l’ont suggéré nos collègues du groupe socialiste, la constitution d’une commission spéciale, nous considérons que, sur certains aspects, le texte actuel n’est pas suffisant.

Tel est le cas de l’article 7, qui exclut enfin le placenta et le cordon ombilical de la catégorie des déchets et des résidus opératoires. Il nous semble que les extraire d’un régime existant, sans préciser de quel régime ils relèvent dorénavant, n’est pas satisfaisant ; c’est pourquoi nous avons déposé un amendement précisant que ces éléments sont dorénavant considérés comme des éléments du corps humain. Ce faisant, nous entendons leur apporter les protections juridiques nécessaires, évitant ainsi que ces éléments, qui peuvent dans l’avenir jouer des rôles importants, puissent faire l’objet d’une commercialisation.

C’est également le cas des mesures d’information à destination du grand public en matière de dons d’organes. Nous regrettons que la commission des affaires sociales les ait considérées comme redondantes avec le droit existant.

En effet, comme le souligne Guiseppe Poretto, le président de l’association France Adot, « même s’il y a eu une légère augmentation des greffes, on se trouve toujours en situation de pénurie d’organes, alors que le nombre de personnes inscrites sur la liste d’attente de don d’organe en France est, lui, en augmentation constante : 14 400 personnes en 2010, qui devraient pourtant pouvoir bénéficier d’une nouvelle vie, grâce à une transplantation ».

C’est la preuve, s’il en est, qu’il est urgent de renforcer tout ce qui favorise le don de vie. Et l’information du grand public est, en la matière, capitale. Car, si le taux de refus exprimé de son vivant est inchangé depuis des années, environ 32 %, alors qu’il n’était que de 28 % en 2007, les équipes médicales disent toutes être confrontées à une difficulté particulière, la réticence des proches lorsqu’ils ignorent la volonté du défunt. Une plus grande information nous paraît donc indispensable, et nous avons déposé des amendements en ce sens.

Nous considérons également qu’il est aujourd’hui urgent d’instaurer, à côté du registre national des refus, un registre positif qui pourrait regrouper le nom des personnes ayant clairement fait connaître leur volonté de donner leurs organes en cas de décès. Si le cadre juridique actuel protège la volonté de ceux qui ont décidé de ne pas donner leurs organes, rien ne garantit que le consentement de ceux qui souhaitent participer à leur manière au don de vie soit pleinement respecté. C’est à croire qu’il y aurait deux poids, deux mesures, selon que l’on refuse ou que l’on accepte de donner, comme s’il était légitime, en quelque sorte, de respecter l’autonomie de la décision des personnes refusant les prélèvements et de ne pas respecter celle des donneurs. Pour notre part, la volonté des uns vaut celle des autres, et les proches doivent accepter de respecter une volonté exprimée du vivant, quelle qu’elle fût.

C’est pourquoi nous avons déposé un second amendement afin de limiter la possibilité de s’opposer aux prélèvements, en cas de silence du défunt, aux seuls parents des enfants mineurs et, pour les majeurs, à la personne de confiance.

Toujours avec la volonté de garantir l’information de nos concitoyens en ce qui concerne le don d’organes, nous avons déposé un amendement prévoyant que le livret d’accueil remis à chaque patient hospitalisé intègre une information compréhensible par tous et que des locaux soient mis, dans les hôpitaux, à la disposition des associations qui promeuvent le don de vie.

Enfin, il ne faut pas le nier, nous sommes en désaccord sur quelques points.

Je pense par exemple à l’article 6, qui tend à opérer une harmonisation des règles juridiques quant au don de cellules souches hémiopatiques issues des prélèvements de moelle osseuse ou de prélèvement de sang périphérique. Ces derniers dons ne pourraient plus être effectués qu’après expression du consentement devant le président du tribunal de grande instance ou son représentant.

Pour notre part, nous estimons que le renforcement du formalisme prévu dans cet article peut avoir un caractère dissuasif, ce qui n’est pas souhaitable eu égard au faible nombre de donneurs actuels. Considérant toutefois que cette harmonisation est souhaitable, nous proposons que soit institué un formalisme identique, sous la forme d’un consentement par écrit, étant entendu que, selon nous, les équipes médicales sont naturellement capables de délivrer aux éventuels donneurs toutes les informations nécessaires.

Nous sommes également en désaccord sur l’article 20 ter de ce projet de loi, qui vise à informer les couples du devenir de leurs ovocytes, comme cela se fait pour les embryons. Cette information ne nous semble ni opportune ni souhaitable. Les couples qui ont accepté de donner leurs ovocytes à des fins de recherche scientifique consentent, de fait, à ce que des recherches soient effectuées ; cette information n’apportera rien de plus. Pis, on peut craindre que, au moment du don, les équipes médicales qui les reçoivent ne soient pas en capacité d’informer précisément les donneurs de l’utilisation précise qui sera faite des ovocytes. Cette disposition les placerait alors dans une situation délicate, vis-à-vis tant de la loi que des donneurs. C’est la raison pour laquelle nous proposons de supprimer cet article.

Vous le voyez, mes chers collègues, notre appréciation de ce texte est mesurée, même si nous reconnaissons que les apports de la commission des affaires sociales n’ont pas été négligeables et qu’ils vont même – permettez-moi de le dire – dans le bon sens.

Toutefois, nous n’ignorons pas que les dispositions de ce projet de loi peuvent être très mouvantes et que, parfois, la séance publique peut défaire ce que la commission a fait ou revenir sur des dispositions que nous jugeons pour notre part intéressantes. C’est pourquoi le groupe CRC-SPG ne prendra de décision sur son vote qu’à l’issue de l’examen du texte par notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)