M. le président. L'amendement n° 13, présenté par Mme Le Texier, MM. Godefroy, Cazeau et Michel, Mmes Cerisier-ben Guiga, Alquier, Printz et Schillinger, MM. Kerdraon et Le Menn, Mmes Demontès et Jarraud-Vergnolle, MM. Desessard et Mirassou, Mmes Blandin, Blondin, Bourzai et Lepage, MM. C. Gautier, Collombat, Guérini, Madec, Marc, Massion, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer les mots :

et stable depuis au moins deux ans

par les mots :

, stable et avéré

La parole est à Mme Raymonde Le Texier.

Mme Raymonde Le Texier. Au travers de cet amendement, il s’agit de rétablir l’esprit originel de la disposition qui avait été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale. Les trois critères de qualification du lien affectif sont les suivants : le lien doit être étroit, stable et avéré. Ces critères permettront d’éviter les dérives redoutées en matière de don d’organes sans qu’il soit utile de fixer à deux ans minimum la durée du lien.

En effet, deux garde-fous garantissent une appréciation efficace de l’opportunité du don d’organes. Dans un premier temps, le président du tribunal de grande instance ou tout magistrat désigné par lui recueillera le consentement écrit du donneur. À ce stade, les magistrats doivent vérifier que le consentement donné est libre et éclairé.

Ensuite, un comité d’experts appelé « comité donneur vivant », composé de cinq professionnels expérimentés, garantit une étude approfondie de la situation ayant amené la personne à vouloir effectuer un don, acte grave par essence. Un entretien avec le donneur permettra de cerner ses motivations. C’est à ce stade que les critères envisagés voilà un instant permettront aux experts d’apprécier la légalité du don.

Nous considérons par conséquent que le délai de deux ans n’apportera aucune sécurité supplémentaire au dispositif déjà en place. D’une part, les experts auront toute latitude pour apprécier la relation affective liant le receveur et le donneur. D’autre part, l’exigence de stabilité fait déjà référence au temps, à la durée de la relation.

Laissons donc au comité d’experts une certaine souplesse dans son exercice d’appréciation. Le rôle de cette disposition est de fournir au comité des critères pertinents. Ne contraignons pas les experts au moyen d’un délai dont la fixation de la durée semble totalement arbitraire et inadaptée à une étude approfondie de situations délicates.

M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis. La commission des lois, à l’instar de la commission des affaires sociales, est revenue à la référence au délai de deux ans prévu par le texte d’origine.

Je voudrais dire de nouveau que s’agissant des critères selon lesquels le lien affectif entre le donneur et le receveur doit être stable et avéré, et notamment de ce dernier critère, la rédaction que vous proposez est dépourvue de tout caractère normatif. La commission des lois est très attachée à ce que les mots utilisés aient un sens et, en l’occurrence, à ce qu’ils aient un caractère normatif.

Au contraire, imposer que le lien ait une ancienneté minimale fournit au juge un critère objectif pour exercer son contrôle et lutter contre les éventuels trafics. Cette exigence lui permet en effet – cela est important – d’écarter les liens factices ou simulés dont les intéressés ne pourront jamais prouver l’ancienneté.

Cette condition sera d’ailleurs très aisément satisfaite si donneur et receveur sont de véritables amis. Leur entourage sera en effet en mesure de témoigner de la solidité et de l’ancienneté du lien qui les unit.

Permettez-moi enfin d’ajouter – je pense que si un argument devait vous convaincre, ce serait celui-ci – que l’exigence d’une durée minimale de deux ans correspond à une demande des magistrats chargés de recueillir et de contrôler le consentement du donneur. Ces derniers craignent en effet, en l’absence d’une telle exigence, de ne pouvoir exercer correctement leur contrôle, ou de voir les contrôles varier très sensiblement d’un tribunal à un autre, au détriment des receveurs eux-mêmes.

Pour cette raison, la commission des lois est défavorable à l’amendement n° 13.

M. le président. La commission saisit au fond est sans doute également défavorable à cet amendement… (M. le rapporteur acquiesce.)

Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet un avis défavorable.

En effet, la condition d’une durée minimale de deux ans de la relation entre le donneur potentiel et le receveur me paraît fournir une présomption de stabilité satisfaisante, indépendamment des arguments exposés par le rapporteur de la commission des lois.

Le cadre législatif rigoureux mis en place par ailleurs pour autoriser les prélèvements sur les donneurs vivants permet de sécuriser l’élargissement du cercle des donneurs vivants aux personnes unis par un lien étroit et stable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 13.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 90, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 10

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

… – L’article 511-3 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le fait de mettre en relation, ou de tenter de mettre en relation, dans son propre intérêt ou pour celui d’autrui, des donneurs et des receveurs potentiels, par quelque moyen que ce soit, en dehors du champ fixé par l’article L. 1231-1 du code de la santé publique, est interdit et puni de la même peine que celle visée à l’article 511-2. »

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Oui, le don d’organes doit être encouragé. Oui, le don d’organes doit être facilité. Oui, il faut permettre à chacune et à chacun de se positionner, en son âme et conscience. Cela peut être facilité par le biais de campagnes ou de contacts réguliers avec des médecins ou des associations. Oui, enfin, il faut élargir les procédures de dons entre personnes vivantes, par exemple avec le don croisé d’organes, qui a été évoqué par M. Guy Fischer voilà quelques instants.

Toutefois, nous devons être conscients que, à côté de notre régime très encadré, il existe un grand nombre de pays où le prélèvement et la greffe d’organes font l’objet d’une commercialisation.

De cela, nous ne voulons pas, et nous nous félicitons toutes et tous du fait que notre législation soit explicite en la matière, et refuse la commercialisation du corps humain. Toutefois, il nous faut, en tant que législateur, prévoir toutes les zones grises, ces petits recoins du droit où pourraient se nicher des pratiques se situant à la limite de la légalité, à la limite de l’esprit de la loi, ainsi qu’à la limite de nos principes constitutionnels.

Le développement des moyens de communication a, par définition, accru les échanges entre offre et demande d’objets en tous genres. L’exemple des sites d’enchères sur Internet montre que l’on peut quasiment tout acheter et tout vendre. Billets de trains, instruments de musique ou voitures, tout est échangeable dans un marché de gré à gré. Les sites internet concernés prospèrent du fait de la facilité qu’il y a à établir un contact entre l’offre et la demande.

Bien sûr, cet univers effrayant où nous trouverions sur ces sites qui un rein, qui un foie n’est pas pour demain. Tant mieux ! Néanmoins, certains sites d’une autre nature pourraient apparaître. Il s’agirait de sites recensant des donneurs et des demandeurs potentiels, c’est-à-dire, en quelque sorte, des « annuaires de l’organe », permettant la « mise en relation » entre un donneur et un receveur.

Se développeraient alors des marchés parallèles, incontrôlables puisque potentiellement cachés, et profitant des limites de la loi. Il serait même possible de parler de « bourses d’échange », ou de « troc d’organes », dans le cas des dons croisés.

Il faut donc prévoir cette éventualité. Aujourd’hui, je le disais à l’instant, quasiment tout se vend et s’achète sur Internet. Il n’est pas exclu que nous voyions apparaître des registres parallèles qui, même si leurs créateurs sont animés des intentions les plus pures, pourraient conduire à des pratiques illicites au regard de nos principes de non-commercialisation, d’anonymat et de gratuité du don.

L’encadrement actuel, par le biais de juges et de médecins, peut paraître suffisamment protecteur. Cependant, à notre avis, il faut prévenir toutes formes de « commerce gris », formes de mise en relation que nous ne pouvons accepter en dehors du cadre de la loi, parce qu’elles encourageraient le développement de pratiques illicites. De telles dérives doivent être prévenues, combattues et punies.

Voilà pourquoi nous vous proposons d’adopter cet amendement, mes chers collègues.

M. Guy Fischer. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Est pénalement réprimé le fait pour le donneur ou le receveur de chercher à entrer en contact. Cet amendement prévoit de pénaliser également l’intermédiation. Il n’est pas sûr que cette précision soit nécessaire, mais l’objectif paraît intéressant.

Aussi, la commission des affaires sociales souhaite connaître l’avis de la commission des lois.

M. le président. Quel est donc l’avis de la commission des lois ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis. Je crains de décevoir une fois de plus…

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis. Toutefois, je voudrais rappeler que les faits visés par le présent amendement relèvent en fait largement des dispositions prévues à l’article 511–2 du code pénal : « Est puni des mêmes peines [que pour les trafics d’organes], le fait d’apporter son entremise pour favoriser l’obtention d’un organe contre le paiement de celui-ci… » Donc, le droit positif répond déjà à votre demande, madame David.

Au surplus, la nouvelle incrimination viserait les dons sans contrepartie financière et la simple constitution d’un fichier donneur-receveur illégal. De ce point de vue, je souhaite connaître l’avis du Gouvernement. (Sourires.)

Si, par impossible, comme l’on dit au tribunal, votre amendement venait à être adopté, il conviendrait alors, dans le cadre de la navette, d’en reprendre intégralement la rédaction pour qu’il soit plus adapté.

M. Guy Fischer. Nous le ferons volontiers, monsieur le rapporteur pour avis.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur cet amendement ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet un avis défavorable,…

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. … en référence à l’article 511-2 du code pénal, qui incrimine déjà « le fait d’apporter son entremise pour favoriser l’obtention d’un organe contre le paiement de celui-ci, ou de céder à titre onéreux un tel organe du corps d’autrui », et punit ce comportement d’une peine de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 90.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Si vous me le permettez, monsieur le président, je voudrais apporter une précision sur la disposition qui vient d’être mise aux voix. Concernant les personnes qui faciliteraient, même à titre gratuit, la mise en relation d’un donneur et d’un receveur potentiels, celles-ci pourraient être poursuivies au travers d’autres infractions, notamment par le biais de la complicité par aide ou assistance de ces infractions, qui réprime le non-respect des règles sanitaires régissant les transplantations d’organes.

M. le président. Je mets aux voix l'article 5.

(L'article 5 est adopté.)

M. le président. En accord avec la commission des affaires sociales et sa présidente, Mme Muguette Dini, la suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 5 (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Discussion générale

13

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 6 avril 2011, à quatorze heures trente et le soir :

- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la bioéthique (n° 304, 2010–2011).

Rapport de M. Alain Milon, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 388, 2010–2011).

Texte de la commission (n° 389, 2010–2011).

Avis de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 381, 2010–2011).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART