M. le président. La parole est à M. Marc Daunis.

M. Marc Daunis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce fut pour moi un privilège de participer à une telle mission. Je remercie chaleureusement son président, Martial Bourquin, d’avoir su animer nos travaux sur un sujet aussi stratégique.

Je ne reviendrai pas sur le tableau, déjà dressé en filigrane ou de façon explicite, des ravages de la financiarisation de l’économie et des conséquences de la casse industrielle induite par l’application d’une certaine politique, ni sur tous les points fondamentaux qui ont été évoqués par les orateurs précédents ; je me bornerai à formuler quelques remarques, souvent issues de nos expériences d’élus locaux, qui ont inspiré certaines de nos préconisations.

En effet, après avoir nous aussi fait le constat de la désindustrialisation de nos territoires, nous avons très vite souhaité présenter des propositions en vue de leur réindustrialisation : nous ne souhaitions pas nous contenter de pointer des responsabilités politiques ou des divergences.

Cela nous amène à plaider en faveur non pas d’un nouveau dispositif de lutte contre le déclin de l’industrie française, mais d’une véritable révolution en matière de politique industrielle. Il convient en effet de ne pas miser uniquement sur une économie de services, choix qui semblait s’imposer encore récemment.

Nous devons prendre en compte la réalité de l’évolution industrielle, marquée par une recomposition concernant à la fois le poids des différentes activités et leur répartition géographique. Ainsi, l’idée de renforcer l’industrie manufacturière dans son ensemble, en se contentant d’apporter un soutien ponctuel aux entreprises composant le tissu industriel français, semble devenue obsolète.

Le soutien à l’industrie s’inscrit en réalité dans une politique plus générale de soutien à l’innovation, au pouvoir d’achat et à l’emploi, ainsi qu’aux collectivités territoriales. Ces dernières doivent en effet pouvoir disposer des moyens nécessaires pour parier de nouveau sur l’intelligence territoriale. Il me semble vital qu’elles puissent être en mesure d’encourager une réelle politique de contractualisation, menée sur leur initiative – je suis en désaccord sur ce point avec notre collègue Philippe Leroy – et propre à rassembler les différents acteurs : métropoles, départements, communautés d’agglomération, territoires, pays… Cela permettrait d’instaurer une cohérence qui, aujourd’hui, fait défaut.

La grande majorité des experts que nous avons auditionnés dans le cadre de la mission sont formels sur le point suivant : en des temps d’innovation intense, une organisation industrielle, pour être efficace, doit avant tout permettre d’allier, grâce à l’impulsion donnée par les pouvoirs publics, concurrence et coopération. À Sophia-Antipolis, nous avions ainsi développé, voilà une dizaine d’années, le concept de « coopétition », consistant à conjuguer compétition et coopération afin d’établir des maillages.

Nous proposons donc d’inciter à la constitution de réseaux d’entreprises ; une telle mesure doit être au cœur du dispositif d’aide au renouveau de l’industrie.

Nous préconisons par ailleurs la mise en place de mécanismes ciblés en faveur des PME et des TPE : l’élaboration d’un Small Business act apparaît à cet égard comme une urgence. Il importe en outre de garantir le financement de leurs investissements en aval de la phase de recherche-développement.

Je ne reviendrai pas sur la nécessité d’instituer un cadre fiscal stable.

En conclusion de mon propos, je rappellerai les quelques idées clés qui sous-tendent notre contribution.

Tout d’abord, selon nous, le rôle de la puissance publique est stratégique : nous ne pouvons pas nous en remettre, dans ce domaine, à la main invisible du marché.

Ensuite, il est essentiel de soutenir les PME et de cesser de ne se préoccuper que des seules entreprises du CAC 40.

Enfin, les choix opérés en matière de politique fiscale sont particulièrement importants, tout comme le contrôle des mécanismes d’aide publique.

L’existence de clivages profonds et légitimes ne doit cependant pas occulter la nécessité que notre pays retrouve une véritable ambition en matière de politique industrielle, en s’appuyant sur l’intelligence de ses territoires, le talent de ses créateurs et les forces du monde du travail, souvent ignorées, sinon méprisées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir félicité M. le rapporteur de son excellent travail, tout à l’honneur du Sénat, je souhaite évoquer le développement international de nos PME, lequel n’est pas synonyme de désindustrialisation de nos territoires.

On exprime souvent la crainte que le développement de nos petites et moyennes entreprises à l’étranger ne constitue le premier pas vers un transfert de leurs activités hors de France, avec les pertes d’emplois que cela implique.

Pourtant, il semblerait que ce soit le contraire qui se produise. Ainsi, on observe que près de 25 % des PME de notre voisin d’outre-Rhin sont internationalisées, alors que, en France, ce même taux atteint péniblement 10 %. Le dynamisme économique allemand prouve que développement à l’étranger des activités des entreprises, y compris industrielles, n’est pas synonyme de désindustrialisation. En France, 25 % des exportations industrielles sont réalisées par des PME, contre 50 % en Allemagne.

Mais se développer à l’international ne signifie pas seulement exporter davantage, cela suppose surtout d’implanter des activités à l’étranger. Cette internationalisation vise non pas à remplacer les activités exercées sur le territoire national, mais à les compléter, à les renforcer. Dans ces conditions, loin d’affaiblir l’économie nationale, l’expansion des petites et moyennes entreprises à l’étranger est un facteur de compétitivité et de développement sur notre territoire.

L’une des clés de la réussite économique de nos entreprises industrielles est donc l’incitation au développement international.

Les PME sont sources d’emplois, notamment au bénéfice des plus jeunes, comme l’illustre le succès du volontariat international en entreprise, qui mériterait d’être largement développé, notamment en faveur des PME.

Ce point me semble d’autant plus important que les annonces récentes relatives à la création d’une exit tax contribuent à alimenter l’image tendancieuse d’expatriés quittant la France motivés par de bas calculs fiscaux, alors que nombre d’entre eux sont en réalité des entrepreneurs, trop peu épaulés dans leur démarche, pourtant créatrice de richesses et d’emplois.

Comme le souligne Arnaud Vaissié, président de la chambre de commerce française de Grande-Bretagne, les Français ne sont pas moins entrepreneurs que leurs voisins européens, mais, une fois nos PME créées, elles peinent à acquérir une stature internationale comparable à celle de leurs concurrentes allemandes ou britanniques, soit parce que l’environnement économique français ne leur est pas assez favorable, soit parce qu’elles sont revendues trop tôt.

L’« équipe de France de l’export », lancée par Anne-Marie Idrac en 2008, a constitué un véritable pas en avant en matière de synergie entre les différents opérateurs de l’appui à l’export. À tous les niveaux, de plus en plus d’acteurs sont sensibilisés à la problématique spécifique de l’internationalisation des PME. Ainsi, en 2010, 1 500 entreprises ont bénéficié du conseil douanier personnalisé du pôle PME des douanes. La simplification des procédures, qui devrait permettre de créer une entreprise en quelques heures, va également dans le bon sens ; je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir insisté sur ce point. L’appui à l’auto-entrepreneuriat ou l’autonomie des universités, qui permettra, à terme, le développement de partenariats avec les entreprises, constituent aussi des signaux positifs. Mais comment aller plus loin, pour mettre en place une véritable politique d’internationalisation des entreprises ?

L’information des PME sur les dispositifs d’aide à l’internationalisation, qu’ils soient français ou européens, pourrait encore être renforcée, car la complexité et les délais liés aux procédures constituent encore aujourd’hui un frein puissant. Un formidable travail est déjà réalisé par Ubifrance, et les 205 missions économiques – dont 66 sont désormais gérées par Ubifrance –, ainsi que par le réseau des 114 chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger, qui réunit plus de 25 000 entreprises dans 78 pays. Cependant, des synergies devraient être développées avec un plus grand nombre d’acteurs de terrain et de structures locales. Les conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger, dont beaucoup sont eux-mêmes des entrepreneurs, devraient être davantage associés à ce travail.

Je pense en particulier, à cet égard, aux problèmes de financement des PME françaises installées à l’étranger. La loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, qui permet aux dispositifs de défiscalisation de contribuer au financement des PME, va dans le bon sens. Plusieurs outils existent pour financer les entreprises à l’étranger, tels que OSÉO ou COFACE, mais ils restent encore trop souvent inaccessibles à nos PME, qui ont, de plus, souffert depuis 2008 des restrictions du crédit engendrées par la crise internationale. Dans les pays en développement, l’Agence française de développement, l’AFD, ne pourrait-elle pas financer davantage de projets portés par des PME françaises, dans des domaines ciblés où la France dispose de véritables avantages comparatifs ? Je pense par exemple au secteur du tourisme ou à celui des technologies vertes. Tout en contribuant au respect des engagements de la France en matière d’aide au développement, cela permettrait de soutenir nos PME. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire quelles coopérations existent ou sont en cours de discussion entre vos services et l’AFD ?

Enfin, eu égard aux multiples crises qui, du Japon à la Côte d’Ivoire en passant par l’Égypte, ont déstabilisé les tissus économiques locaux et fortement affecté nos PME sur place, j’aurais souhaité savoir si des dispositifs d’indemnisation ou d’aide à la sortie de crise ont été envisagés au bénéfice de nos entrepreneurs locaux.

Monsieur le ministre, s’il est essentiel de lier la réindustrialisation de notre territoire au développement des exportations, il importe avant tout de créer un véritable esprit d’entreprise dans notre pays. Un sondage a fait apparaître que, alors qu’un jeune Anglo-Saxon envisage de créer une entreprise à l’issue de ses études, un jeune Français souhaite intégrer un grand groupe. Nous devons vraiment travailler sur ce point.

Dans cet esprit, il convient d’identifier les secteurs dans lesquels nous pourrions favoriser la création d’entreprises. Voilà quelques mois, j’ai demandé que nos consulats à l’étranger, en particulier dans les pays d’Afrique, puissent s’équiper en défibrillateurs. Or je me suis aperçue qu’aucune entreprise française ne fabriquait ces appareils…

Pour conclure, n’oublions jamais que les efforts des entreprises françaises à l’international contribuent au développement économique de notre pays. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Besson, ministre auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. Monsieur le président, monsieur le président de la mission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, après plusieurs mois d’auditions, de déplacements sur le terrain et de travaux que je sais avoir été nourris, la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires a adopté son rapport le 5 avril dernier. Il s’agit d’un document dense, de 342 pages, qui comporte à la fois un constat et des propositions.

Pour ce qui me concerne, je n’évoquerai que brièvement le constat contenu dans ce rapport, puisque la mission commune d’information m’avait auditionné longuement sur ce sujet le 15 décembre dernier.

Après avoir écouté avec intérêt tous les intervenants – je leur répondrai dans un second temps –, je crois pouvoir dire que nous partageons globalement un même sentiment : un phénomène de désindustrialisation, dont l’ampleur reste à déterminer, est en cours depuis de nombreuses années en France comme dans plusieurs autres pays occidentaux.

Il importe surtout de savoir comment nous pouvons lutter contre ce phénomène. C’est sur cet aspect que je centrerai mon intervention, en rappelant dans un premier temps les initiatives prises par le Gouvernement depuis 2007 et en exposant celles que j’entends prendre dans les mois à venir.

S’agissant d’abord du constat, la France connaît un phénomène de désindustrialisation, mais son ampleur diffère selon les territoires et les secteurs.

Le rapport de la mission commune d’information donne une définition intéressante de la désindustrialisation, issue des travaux de l’économiste Lionel Fontagné : celui-ci décrit la désindustrialisation comme « la diminution de la part de l’emploi industriel dans l’emploi total ».

Si l’on retient cette définition, il est indéniable que, sous le double effet de la progression du poids des services dans notre économie, y compris celui des services à l’industrie, et de la croissance de la population active, un phénomène de désindustrialisation est en effet à l’œuvre en France depuis de nombreuses années.

Ce constat est partagé par l’ensemble des membres de la mission commune d’information. Il convient cependant de mesurer l’ampleur exacte de ce phénomène ; comme je vous l’avais dit le 15 décembre dernier, la situation me paraît contrastée selon les secteurs industriels et les territoires.

En ce qui concerne tout d’abord les secteurs industriels, si certains d’entre eux, comme l’automobile, ont été particulièrement touchés par la crise – ce qui a justifié l’intervention de l’État, notamment sous la forme de l’octroi d’un prêt de 3 milliards d’euros à nos deux grands constructeurs automobiles, qui vont aujourd’hui même terminer par anticipation de le rembourser –, d’autres restent, pour leur part, créateurs nets d’emplois industriels.

À cet égard, je pense notamment au secteur de l’énergie, dans lequel nous disposons de champions nationaux comme EDF, Areva, Total, Alstom ou GDF-Suez, à celui des hautes technologies, avec Gemalto, Thalès, Alcatel-Lucent, Dassault-Systèmes, ou à celui de la chimie, avec Arkéma, Sanofi-Aventis, Biomérieux ou Rhodia-Solvay.

Je pense également au secteur aéronautique, que plusieurs d’entre vous connaissent bien, en particulier M. Chatillon. Notre pays, seul au monde dans ce cas avec les États-Unis, présente la particularité d’être présent sur l’ensemble de la chaîne de construction aéronautique : Airbus est le leader mondial pour les avions commerciaux de plus de 100 places, Eurocopter est le leader mondial pour les hélicoptères civils et parapublics, Dassault compte au nombre des leaders mondiaux pour les avions d’affaires haut de gamme, la SNECMA est le leader mondial pour les turbomoteurs et les turbines pour hélicoptères, Messier-Bugatti est le leader mondial pour les freins en carbone, Labinal est le leader mondial pour le câblage aéronautique…

En ce qui concerne ensuite les territoires, certaines régions tirent bien leur épingle du jeu. Par exemple, l’industrie représente encore 28 % de l’emploi en Franche-Comté, terre d’implantation de l’industrie automobile. De leur côté, les régions les plus touchées par la crise économique ont bénéficié de l’ensemble des outils d’aide mis en œuvre par l’État : je pense par exemple aux Ardennes, où le Président de la République s’est rendu la semaine dernière pour rappeler la mobilisation de l’État en faveur des territoires les plus affectés.

Le constat est donc plus nuancé que l’on veut parfois le faire croire. Le Gouvernement le partage, ce qui l’a conduit à réagir dès 2007 pour lutter contre un phénomène de désindustrialisation amorcé bien avant.

Je rappellerai brièvement les actions menées depuis 2007 par le Gouvernement.

Le rapport de la mission commune d’information met en exergue dix-sept grands types de propositions. Je constate que, dans leur grande majorité, ses propositions sont cohérentes avec les actions d’ores et déjà mises en œuvre par le Gouvernement pour lutter contre la désindustrialisation.

Je pense notamment aux initiatives prises en matière d’innovation, de mise en place de pôles de compétitivité ou encore de promotion d’une culture industrielle forte.

S’agissant d’abord des actions entreprises en matière de recherche et développement, je rappelle que le Gouvernement a bataillé ferme, lors de l’élaboration de la dernière loi de finances, pour que le crédit d’impôt recherche, dont la réforme de 2008 a permis de tripler le montant, soit préservé à l’identique. Je sais que beaucoup d’entre vous, notamment M. Chatillon, sont très attachés au crédit d’impôt recherche. Ce dispositif représente aujourd’hui une dépense fiscale et un investissement pour l’avenir de plus de 4 milliards d’euros par an. Il profite à la fois aux petites entreprises – on oublie trop souvent que 84 % des bénéficiaires du crédit d’impôt recherche sont des PME de moins de 250 salariés – et aux grandes entreprises, dont certaines prennent leurs décisions de localisation en fonction du crédit d’impôt recherche.

Je rencontre souvent des dirigeants de grandes entreprises qui me disent que, sans le crédit d’impôt recherche, certains centres de recherche et développement auraient peut-être été implantés ailleurs qu’en France. Les chiffres sont là pour le prouver : vingt-cinq nouveaux centres de recherche et développement d’entreprises étrangères se sont implantés en France en 2008, quarante et un en 2009 et cinquante et un en 2010.

Je sais que le rapport de la mission commune d’information demande que l’on aille encore plus loin. La mission souhaiterait par exemple que le crédit d’impôt recherche, qui a fait la preuve de son efficacité, soit étendu à l’aval du cycle de recherche et développement, afin notamment de permettre de financer des dépenses de « prototypage ».

Je ne peux évidemment pas me déclarer opposé à une telle mesure ; en tant que ministre chargé de l’industrie, je n’y verrais même que des avantages. Cependant, disons-le clairement : elle a un coût significatif, de l’ordre d’au moins plusieurs centaines de millions d’euros, ce qui rendrait sa mise en place difficile dans le contexte actuel de maîtrise des dépenses publiques.

M. Marc Daunis. C’est pourtant une question majeure !

M. Éric Besson, ministre. Un deuxième groupe de propositions formulées par la mission commune d’information, sur lesquelles M. Chatillon a insisté dans son intervention, a trait à l’accélération de la politique des pôles de compétitivité.

Comme vous le savez, ceux-ci sont plébiscités d’une façon unanime. Depuis leur création, près de 6 milliards d’euros de projets collaboratifs de recherche et développement ont été financés.

Le Gouvernement est bien décidé à continuer à soutenir les pôles de compétitivité. Lors de ma visite à la foire industrielle de Hanovre, le 7 avril dernier, j’ai annoncé la création d’un dispositif de soutien à la trésorerie des pôles de compétitivité, en partenariat avec OSÉO : tout pôle de compétitivité qui en fera la demande auprès d’OSÉO pourra bénéficier d’un concours de trésorerie ou d’une autorisation de découvert à hauteur de 30 % des aides publiques reçues l’année précédente.

Par ailleurs, et de façon encore plus significative, près de 3 milliards d’euros des investissements d’avenir seront affectés dans quelques jours au soutien aux nouveaux instituts de recherche technologique, les IRT, et aux instituts d’excellence en énergie décarbonée, les IEED, destinés à renforcer les pôles de compétitivité.

Le rapport de la mission commune d’information contient enfin des propositions tendant à « promouvoir une véritable culture industrielle ». Le Gouvernement s’y est déjà attelé. Le ministère de l’industrie a ainsi organisé, du 4 au 10 avril derniers, en partenariat avec les fédérations industrielles, la première « semaine de l’industrie », destinée à mieux faire connaître les métiers de l’industrie au grand public, notamment aux jeunes. Cette « semaine de l’industrie » a rencontré un large succès : 1 500 manifestations, organisées dans toute la France, ont rassemblé près de 100 000 personnes. Les états généraux de l’industrie, réunis en 2010 par mon prédécesseur Christian Estrosi, avaient déjà permis de mettre en évidence un manque de visibilité et d’attractivité de l’industrie aux yeux du grand public. Nous devons tous nous attacher à faire mieux connaître, et à mieux valoriser, les métiers de l’industrie.

De façon plus générale, nous recherchons les moyens de créer un véritable esprit de solidarité au sein de notre industrie, à l’instar de celui qui peut exister en Allemagne.

Madame la sénatrice Élisabeth Lamure, je crois que la Conférence nationale de l’industrie a un rôle primordial à jouer à cet égard. Il lui revient en effet de favoriser la coopération à l’intérieur des filières, mais aussi de débattre des grands sujets industriels du moment, tel l’écart de compétitivité entre la France et l’Allemagne. J’indique à M. Bourquin que nous disposons nous aussi de douze comités stratégiques de filière, dans douze secteurs qui nous ont paru essentiels ; il appartient à la Conférence nationale de l’industrie de coordonner leur action.

Je sais que ce thème de la compétitivité, envisagé notamment sous l’angle du coût du travail, a fait débat au sein de la mission commune d’information. Il me semble qu’il faut, dans ce domaine, adopter une démarche pragmatique.

Le rapport que Michel Didier m’a remis le 25 janvier dernier mentionne douze facteurs de nature à expliquer notre écart de compétitivité avec l’Allemagne. Il est demandé à la Conférence nationale de l’industrie de réfléchir sur ces douze facteurs, et non pas seulement sur celui que constitue le différentiel existant en termes de coûts du travail.

L’étude des questions relatives à la formation professionnelle et à l’alternance pourra également être confiée à la Conférence nationale de l’industrie, madame Lamure. Il s’agit d’un enjeu majeur pour nos industries, régulièrement mis en exergue par les fédérations professionnelles et sur lequel la Conférence nationale de l’industrie pourrait utilement se pencher à l’avenir.

Comme vous le voyez, le Gouvernement a d’ores et déjà mis en place une grande partie des propositions que vous avez formulées. Ces actions menées pour lutter contre la désindustrialisation commencent d’ailleurs à porter leurs fruits.

M. Marc Daunis. Tout va bien !

M. Éric Besson, ministre. L’INSEE a ainsi annoncé, le 22 avril, que le moral des industriels français s’était stabilisé en avril à 110 points, soit à un niveau supérieur de 10 points à la moyenne de longue période. Deux autres indicateurs sont également très encourageants : la production industrielle s’est accrue de plus de 6 % en 2010, ce qui n’était pas arrivé depuis près de quinze ans ; l’emploi industriel total a augmenté, fût-ce modestement, pour la première fois depuis 2000.

M. Marc Daunis. Tout va bien !

M. Éric Besson, ministre. Je compte, dans les prochains mois, continuer sur cette lancée, afin d’essayer de renforcer la compétitivité et le dynamisme de notre industrie.

Je voudrais maintenant dire quelques mots sur nos priorités en matière d’industrie pour les mois à venir.

Je partage votre constat : un phénomène de désindustrialisation est à l’œuvre en France. Ce serait un leurre de croire que nous pouvons conserver en France le même volume d’activités et d’emplois industriels, toutes choses égales par ailleurs. La concurrence évolue, nos structures productives également, et notre tissu industriel ne peut rester à l’identique. Dans cette perspective, c’est de « plus d’industrie », mais aussi de « mieux d’industrie », dont nous avons besoin.

Je souhaite que notre industrie soit plus productive, plus compétitive, et qu’elle contribue au rééquilibrage de notre balance des paiements. L’industrie, qui représente 75 % de la dépense de recherche et développement et 80 % de nos exportations, doit participer davantage encore à la croissance de notre économie.

Je voudrais mentionner deux priorités.

Je souhaite d’abord promouvoir les technologies d’avenir, celles qui se diffusent à l’ensemble de l’économie et permettent d’en améliorer l’efficacité et la productivité.

Mon ministère a récemment publié, en février 2011, une enquête intitulée « Technologies clés 2015 », qui analyse les principales technologies d’avenir et, pour chacune d’entre elles, le positionnement que la France pourrait acquérir. Ce rapport contient un volet encourageant : la France se situe dans le « peloton de tête » pour les deux tiers des technologies clés et se positionne comme leader ou co-leader pour 20 % d’entre elles. Il faut désormais réussir à saisir le potentiel que représentent ces nouvelles technologies.

Cela étant, je suis d’accord avec vous, monsieur Leroy : si nous devons certes nous préoccuper des technologies d’avenir, la France doit maintenir un certain nombre de métiers plus traditionnels, notamment en améliorant l’action menée en matière de formation professionnelle et d’apprentissage. C’est en particulier dans ce cadre que, comme je l’indiquais précédemment, je souhaite que la Conférence nationale de l’industrie se saisisse du sujet de la formation et de l’adaptation aux métiers dans le milieu spécifique de l’industrie.

Je voudrais citer quelques exemples de secteurs que nous devons considérer comme prioritaires.

Je pense tout d’abord aux robots. Nous devons développer leur usage, à la fois chez les particuliers et dans les entreprises.

Chez les particuliers, la robotique de services a représenté un marché de 2,3 milliards d’euros en 2010. Je souhaite faire de la France un pays leader en matière de robotique pour les particuliers. C’est une ambition à notre portée. En Île-de-France, tout un écosystème autour de ce secteur s’est d’ores et déjà développé au sein du pôle de compétitivité Cap Digital.

Onze projets ont déjà été menés sur cette thématique, représentant un investissement de 22 millions d’euros. L’un des plus emblématiques d’entre eux vise à développer un robot humanoïde d’une taille de 1,40 mètre, qui sera un véritable assistant-compagnon personnel dans le monde réel. Ce robot doit être capable d’intervenir sur les objets du quotidien, d’aider une personne à se déplacer à domicile ou même de lui porter secours en cas de chute. Il a bénéficié d’une certaine visibilité, puisqu’il a accueilli la Chancelière allemande Angela Merkel et le Premier ministre François Fillon à la foire de Hanovre.

S’agissant de la robotique dans les entreprises, la France accuse un retard notable, qui explique pour partie son déficit de compétitivité par rapport à l’Allemagne, où l’on compte en effet quatre fois plus de robots que dans notre pays. L’écart continue de se creuser, puisque 15 000 robots sont installés chaque année chez notre voisin, contre seulement 2 600 en France.

J’évoquerai un second exemple concret, celui des sciences du vivant, plus particulièrement des biotechnologies.

Grâce aux biotechnologies, domaine dans lequel les industries françaises détiennent déjà des positions de leader, nous pourrons non seulement gagner des parts de marché dans les secteurs industriels, mais aussi améliorer la qualité de vie et la santé de nos concitoyens.

La France s’illustre particulièrement dans le domaine de la thérapie cellulaire ou médecine régénérative, qui permet de réparer ou d’améliorer les fonctions d’un organe endommagé. C’est très clairement l’avenir de la médecine. Troisième pays au monde à réaliser des essais cliniques dans ce domaine, la France sera le premier à établir des standards normatifs.

Des entreprises telles que Transgene ou Cellectis se distinguent au niveau international. J’irai d’ailleurs ce jeudi même visiter cette dernière entreprise, qui développe un projet innovant de cellules souches ouvrant sur des applications potentielles dans plusieurs domaines thérapeutiques. En mai, je visiterai le centre international de vaccins de Sanofi, installé à Lyon, qui produira le premier vaccin contre la dengue.

Ce pôle de vaccins témoigne du dynamisme du territoire lyonnais en matière de biotechnologies, la région Rhône-Alpes étant la deuxième du pays à accueillir une telle concentration d’entreprises de cette filière, après l’Île-de-France. En Rhône-Alpes, Sanofi Pasteur, la division vaccins du groupe Sanofi-Aventis, a investi près de 350 millions d’euros depuis 2008 pour la reconversion du site de Neuville-sur-Saône, usine pharmaceutique chimique classique qui est devenue une usine « biotech ».

Enfin, je souhaite que la France soit le leader dans le domaine des véhicules hybrides et électriques.

Comme vous le savez, nos constructeurs automobiles misent beaucoup sur le véhicule électrique et hybride, qui représentera à partir de 2020 un marché évalué entre 20 milliards et 50 milliards d’euros en Europe, dont 7,5 milliards d’euros en France.

Dans ce cadre, le Gouvernement a lancé un plan d’action ambitieux pour soutenir le développement du véhicule électrique et hybride : « super bonus » de 5 000 euros pour les 100 000 premiers véhicules, mobilisation des investissements d’avenir à hauteur de 1 milliard d’euros pour le véhicule du futur, soutien à l’installation d’usines de production de batteries dans nos régions.

Le sénateur Louis Nègre, à qui a été confiée une mission de réflexion et de proposition sur les infrastructures de recharge, remettra ce soir à Nathalie Kosciusko-Morizet, à René Ricol et à moi-même son Livre vert sur le sujet.

Ce sont autant d’initiatives qui permettront chaque fois de développer le secteur industriel directement concerné – j’ai cité, parmi bien d’autres exemples, les fabricants de robots, les sociétés de biotechnologies, les constructeurs automobiles –, mais aussi de participer à l’augmentation de la productivité et de la valeur produite pour notre économie.

« Mieux d’industrie », c’est enfin une politique industrielle qui exploite davantage les synergies à l’échelon européen et qui pose les bases d’une véritable politique industrielle européenne.

Monsieur Bourquin, nous partageons votre diagnostic : la France se veut en pointe sur le sujet, bien aidée, il faut le dire, à la fois par Michel Barnier et par le commissaire européen à l’industrie, Antonio Tajani, qui partage un certain nombre de nos convictions. C’est nouveau : « industrie » et « politique industrielle » ne sont plus des gros mots au sein des instances européennes.

Je prendrai un seul exemple à cet égard, celui du brevet européen, très attendu par les entreprises. C’est la France qui, en décembre dernier, a pris l’initiative, au côté d’autres États membres, de demander une coopération renforcée en matière de brevet européen. Cette coopération renforcée, qui rassemble désormais vingt-cinq des vingt-sept États membres – nous avons tout tenté, malheureusement en vain, pour convaincre les deux autres de se joindre à l’aventure –, a été formellement validée par le Conseil « compétitivité » du 10 mars dernier. Cela permettra aux entreprises européennes de bénéficier d’un brevet unique, et l’innovation se trouvera « dopée » au sein de l’Union européenne. Jusqu’à présent, déposer un brevet coûtait dix fois plus cher à une PME en Europe qu’aux États-Unis. Grâce au brevet européen, nous réduirons significativement cet écart.

Voilà ce que je souhaitais vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)