M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.

M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la rentrée prochaine, à l’instar des précédentes, s’annonce particulièrement morose.

Dans ce contexte, la suppression de plusieurs milliers de postes dans l’éducation nationale ne fait qu’ajouter au malaise déjà profond de l’ensemble de ses personnels, un malaise dû aux incohérences et aux paradoxes de la politique éducative de ce gouvernement.

Aujourd’hui, les enseignants se sentent à juste titre particulièrement déconsidérés et méprisés. Déconsidérés, car ils ont le sentiment de n’être qu’une variable d’ajustement dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, la RGPP. Mais, plus que tout, ils s’estiment méprisés, un mépris qui se manifeste dans la manière dont vous avez réformé leur formation, monsieur le ministre.

En effet, les enseignants – c’est le cœur de leur mission – forment les jeunes élèves et leur transmettent les connaissances indispensables à leur épanouissement intellectuel.

Ces formateurs ne sont pourtant plus formés aujourd’hui, ou si peu.

Avec la suppression des IUFM, la formation des maîtres devient même, en quelque sorte, l’exception. Avec la mastérisation, vous avez introduit l’idée qu’être enseignant, c’est uniquement posséder le bagage des connaissances requises. Vous l’avez reconnu d’ailleurs implicitement, en réintroduisant l’idée des formations de masters en alternance.

En attendant, les faits sont là. Des milliers de jeunes professeurs se sont retrouvés dans les classes sans avoir eu la moindre préparation pédagogique à leurs nouvelles fonctions, avec les conséquences que l’on sait, néfastes et parfois dramatiques pour eux-mêmes et pour leurs élèves. Dans mon département, certains se sont même vu proposer une formation alors qu’ils enseignaient depuis plusieurs mois !

Alors que les jeunes enseignants ne sont plus formés, les exigences à leur égard sont pourtant sans cesse plus nombreuses.

Dans cette perspective, j’évoquerai un aspect de la formation des enseignants qui me semble particulièrement négligé : la dimension territoriale.

Tout d’abord, très concrètement, comment peut-on admettre qu’un jeune professeur n’étant pas formé se retrouve à enseigner dans les zones d’éducation les plus difficiles ? Une réflexion doit être menée en concertation avec les enseignants pour y remédier. Quand cela serait-il fait ?

Ensuite, se pose la question de la structuration des territoires. Fermer les IUFM, c’est aussi fermer un service public. Qu’il s’agisse de La Poste, des perceptions, des classes ou des IUFM, la France des territoires ruraux se vide de ces lieux qui font le service public.

Avec la mastérisation, la mobilité des étudiants s’accroîtra et on renforcera ainsi des inégalités territoriales en fonction des offres d’enseignement.

Il faudrait donc intégrer la dimension territoriale dans l’approche de la formation des enseignants. Cela sera-t-il le cas ?

Enfin, je terminerai en évoquant un point qui révèle bien, selon moi, les impensés de la politique actuelle en matière de formation.

Je me félicite que les élèves en situation de handicap soient de plus en plus nombreux à intégrer l’école publique. Cela suppose bien sûr des personnels d’accompagnement, mais surtout que les enseignants puissent suivre convenablement les élèves concernés. Aujourd’hui, tel n’est pas le cas. Voilà encore une question qui mérite réponse.

Pour toutes ces raisons, il est urgent de repenser la formation des enseignants dans toutes ses dimensions, monsieur le ministre.

La question que je me pose, à l’instar de toute la communauté éducative, est donc de savoir si vous y êtes enfin prêt aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron.

M. Adrien Gouteyron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je reviens sur un sujet que j’ai eu l’occasion d’évoquer récemment à l’occasion des questions d’actualité, ayant déjà interrogé le Gouvernement sur la formation des enseignants.

La réforme, à la fois substantielle, fondamentale et nécessaire, de la mastérisation concerne deux ministères. Je me demande – mais peut-être ne me répondrez-vous pas ? – si la coordination entre ces deux ministères a été suffisante au départ. (Non ! sur les travées du groupe CRC-SPG.)

Mme Maryvonne Blondin. Pas du tout !

M. Adrien Gouteyron. En tout cas, le rapport de M. Jean-Michel Jolion a mis en lumière un certain nombre de décalages dans l’application de la réforme par les deux ministères, le ministère employeur et le ministère devenu formateur. C’est un problème qu’il faudra résoudre.

Monsieur le ministre, je souhaite donc vous interroger sur la mise en place dans les universités des masters accueillant les étudiants qui se destinent aux carrières de l’enseignement. Vous avez déjà eu l’occasion de me répondre que l’on y travaillait et que le processus était évidemment long. Il faut en effet réduire les disparités entre les différents rectorats et universités, et s’assurer que la place des stages est suffisamment importante au sein des formations. Il me semble que la réflexion a avancé, même si elle n’a pas encore abouti. J’aimerais que vous puissiez nous apporter quelques précisions à cet égard.

Je souhaite également soulever un autre point. À la lecture du rapport de M. Jolion, il m’a semblé que l’on s’interrogeait sur la place des concours.

Actuellement, le recrutement des enseignants du premier et du second degré s’effectue en deuxième année de master. Comme il s’agit de deux concours distincts, le processus s’étale sur un certain nombre de mois. Donc, la place des concours est quelque peu indéfinie. Où en êtes-vous de vos réflexions sur ce point, monsieur le ministre ? Est-il envisagé d’organiser le recrutement dès la première année de master ? Certes, je comprends qu’il vous soit difficile de répondre alors que les réflexions sont en cours. Mais il me semble tout de même nécessaire d’avancer sur le sujet.

Par ailleurs, comment la formation professionnelle sera-t-elle prise en compte dans le concours lui-même ? (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) Existe-t-il une formule qui le permette ? Ou bien, autre hypothèse, la formation professionnelle sera-t-elle prise en compte pendant les études en master, que ce soit en première année ou en deuxième année ?

Tous les orateurs ont insisté sur la nécessité d’associer une solide formation disciplinaire et une non moins solide formation professionnelle. Le problème est de savoir comment y parvenir…

À mon sens, la mastérisation – c’est un bien vilain mot, mais tout le monde en comprend la signification – était une nécessité. Il fallait densifier la formation disciplinaire des enseignants pour l’aligner sur celle qui existe dans les autres pays européens. Je crois que cet aspect est peu contesté.

Le problème est bien d’associer formation professionnelle et formation universitaire. Comment nos universités s’y préparent-elles ? Sont-elles même capables de le faire ?

Telles sont les questions que je souhaite soulever dans le cadre de ce débat. Je vous remercie par avance de vos réponses, monsieur le ministre.

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « une société qui n’aime pas ses enseignants est une société qui n’a pas compris le défi de la mondialisation de demain ». Cette belle déclaration d’un membre du Gouvernement remonte à mai 2007, mais hélas, depuis cette date, le Gouvernement a donné beaucoup de preuves de désamour aux enseignants ! L’une d’entre elles touche au cœur même de leur métier : la formation. Certes, le système précédent n’était pas sans faille, mais celui qui est mis en place aujourd’hui est pire encore !

Lors d’une audition de chercheurs spécialisés dans les sciences de l’éducation, nous avons pu regarder une vidéo qui nous a tous attristés et révoltés : on y voyait un jeune et brillant stagiaire, agrégé d’histoire-géographie, nommé à temps plein dans un collège situé en zone d’éducation prioritaire. La scène se passait en septembre. Le professeur ouvrait sa classe, y entrait le premier, posait son sac sur le bureau et assistait, les bras croisés, impuissant, à la bousculade de l’installation de ses élèves de troisième ! Comment, dès lors, pouvait-il mettre ces élèves en situation d’apprentissage et les aider à développer leur esprit critique ? Ce néo-stagiaire avait eu la chance de pouvoir bénéficier de l’aide de chercheurs et le courage de persévérer, devant une classe visiblement à l’opposé de ce qu’il avait vécu dans sa scolarité ! D’autres, submergés par les difficultés, ont malheureusement jeté l’éponge. Tant d’efforts pour en arriver là ! Quel gâchis et quelle souffrance ! La mastérisation sans formation pratique est une aberration.

Le responsable du programme « professionnalité », Luc Ria, a témoigné de l’excellence de la formation académique des enseignants français, mais il a pointé du doigt les vraies difficultés que rencontrent les débutants dans l’exercice même de leur travail. Plus précisément, il a évoqué la méconnaissance « des gestes professionnels indispensables à l’enseignement ».

Le rapport de M. Jolion constate, quant à lui, que « le système actuel met les jeunes professeurs dans une situation d’échec par accumulation de contraintes au lieu de les mettre en situation de réussite ».

Rien de bien surprenant quand on lit l’étude menée par un syndicat d’enseignants auprès des stagiaires de 2010 : leur temps complet est réparti, pour beaucoup d’entre eux, entre plusieurs établissements et leur tuteur enseigne parfois dans un autre établissement ! Un tiers de ces stagiaires est en charge de classes d’examen. Certains se sont même vu refuser l’autorisation de se rendre aux quelques séances de formation.

Soyons honnêtes, des temps de formation sont en effet prévus. Par exemple, une formation sur le thème : « Comment préparer ses premiers cours et prendre en charge ses classes ? » a lieu en octobre et une autre, intitulée « Qu’est-ce qu’un conseil de classe? », est programmée en novembre, après les conseils de classe de mi-trimestre... C’est une situation plutôt aberrante !

La formation aurait dû, ou devrait, permettre aux stagiaires d’« apprendre à apprendre ». Il ne s’agit pas d’effectuer un copier-coller de schémas pédagogiques ni de visionner des DVD ! Il s’agit de mettre les stagiaires en situation, de les confronter à la réalité d’une classe et des élèves qui la composent, avec l’aide, ô combien précieuse, du tuteur qui leur apprendra ce qu’est le « phénomène classe », comment réagir aux comportements variés des élèves et ajuster ses activités. Ce savoir-faire ne s’apprend pas dans les livres, mais au quotidien et tout au long de la carrière !

Bien sûr, un tel apprentissage demande des moyens ou, du moins, de conserver les moyens existants ! Or des brigades de formation continue, dont la mission est de remplacer les collègues en formation, sont supprimées. Dans mon département, par exemple, 27 de ces postes vont être redéployés. Au total, 215 brigades, ainsi que 171 postes de maîtres formateurs sont supprimés.

Est-ce à dire que la formation continue disparaît ? Que reste-t-il de la logique de la loi relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie ? Le Président de la République a déclaré, en février dernier, qu’il était prêt à remettre en chantier les éléments de la formation, parlant d’enseignant stagiaire en alternance ! Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer cette orientation ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les effets de la mastérisation, qui a privé de jeunes enseignants des temps d’observation et de la prise de responsabilité progressive. Les dégâts subis par ces futurs professeurs demeurent un véritable scandale : mise en échec, souffrance, renoncement. Quant aux dégâts subis par les enfants, on s’est bien gardé de les mesurer ! Seul a primé le gain induit par cette mise au travail anticipée.

Appliquer les pires critères de rentabilité à une des fonctions vitales de la société que notre pays exerce par le service public, c'est-à-dire la transmission des savoirs, est une erreur historique !

Cela étant dit, voici deux exemples plus particuliers.

Je veux d’abord plaider pour la formation à l’approche sensible de la transmission des savoirs.

En Finlande, pays salué pour ses réussites scolaires, j’ai été le témoin étonné du temps passé à la chorale et à l’initiation aux danses dès l’école primaire. Les maîtres m’ont expliqué que, lorsque que l’on a confiance dans sa voix, dans ses gestes, et que l’on est capable d’écouter l’autre pour être dans le ton et le rythme, de suivre son pas plutôt que de lui marcher sur les pieds, d’identifier la classe à un lieu de plaisir construit sur le respect de règles communes, on est prêt pour les acquisitions cognitives.

En France, par des expériences comme « La Main à la pâte » ou « Les Petits Débrouillards », des enfants découvrent par le toucher, l’odorat, voire le goût, des règles intangibles de la physique, des comportements des insectes qu’ils ne soupçonnaient pas. Ensuite vient l’envie de mesurer, de noter, de rendre compte, de laisser un écrit pour rendre l’expérience reproductible.

Ces activités ne s’improvisent pas. L’expérience ratée, les œufs qui n’éclosent jamais, la sortie dans la nature où l’on ne voit rien, sont des mises en situation qui comportent un risque pour le maître d’école. Seule une formation pratique peut en faire des passeurs compétents.

Les enseignements artistiques, les sciences par le réel, l’éducation physique ne doivent pas être des suppléments d’âme. Ils ouvrent les portes de l’expression et du collectif à des élèves qui n’ont pas eu dans leur famille les atouts de vocabulaire des classes sociales privilégiées.

Je veux aussi, dans cette société de violence, qui est une forme exacerbée de la concurrence que vous appelez chaque jour de vos vœux, plaider pour une formation adaptée à la transmission de l’altérité, de la résolution douce des conflits et de la médiation, qui ont leurs techniques.

Transformer le seul souci de soi et la rivalité ou la peur de l’autre en curiosité et en facteur d’enrichissement est un chemin qui s’apprend. Faire en sorte qu’une émotion puisse s’évacuer par les mots demande de savoir cultiver les compétences narratives, chères à Edgar Morin.

Le « lire, écrire, compter » de François Fillon, qui aurait pu être un contrat moral entre l’école de la République et les parents, n’a pas atteint son but. L’évaluation écrite et la pédagogie stricte qui la prépare n’engendrent que la sélection. L’échange oral en a payé le prix.

Le second effet collatéral a été la minoration des formations aux autres matières, comme si l’histoire ou les sciences n’étaient pas, elles aussi, d’excellents vecteurs d’apprentissage des savoirs de base.

L’acquisition de ces deux compétences que sont la pédagogie par l’approche sensible et le temps de l’oralité dépend hélas de l’année de formation que ce gouvernement a supprimée.

Elles préparent à la reconnaissance des diversités, comme à la gestion des tensions de la société. Elles ouvrent à l’autre et au savoir, plutôt que de favoriser le repli sur soi et la seule écoute de la télévision. Elles donnent aux enseignants les capacités d’épanouir tous les talents des enfants qui leur sont confiés et d’émanciper les futurs adultes qui se préparent dans le cerveau, le cœur et le corps de leurs élèves.

Évidemment, leur exercice n’est pas compatible avec les sureffectifs dus aux 16 000 suppressions de postes ni avec votre réforme de la formation des enseignants ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame Gonthier-Maurin, la nouvelle formation initiale des enseignants est une réforme qui répond à la nécessaire évolution de notre école, à l’enjeu de porter plus haut notre système éducatif afin de faire réussir chacun de nos élèves.

Cette réforme est ainsi animée par une double ambition.

Il s’agit, tout d’abord, de mettre notre école en phase avec la société de la connaissance qui se construit sous nos yeux et qui exige, de la part de nos professeurs, une formation académique de plus en plus poussée. Vous êtes nombreux à avoir évoqué ce point au cours de nos débats.

Il s’agit, ensuite, de tenir compte de l’évolution d’un métier qui doit davantage s’adapter à la diversité des élèves, ainsi qu’à la diversité des missions qui lui incombent.

Cette réforme entend donc, à la fois, remettre au cœur de notre école la figure du professeur, en reconnaissant le haut niveau d’expertise nécessaire pour l’exercice des métiers de l’enseignement, et redonner tout leur prestige à ces métiers au sein de notre société.

Il importe de conforter l’autorité du savoir, sa primauté sur la seule information alors que l’accès à cette dernière se multiplie, par une maîtrise accrue et structurée des connaissances disciplinaires, et ce à un moment où l’exercice du métier d’enseignant a besoin d’évoluer de manière radicale pour améliorer l’efficacité de notre système éducatif.

Cette réforme entend également donner à chaque professeur tous les moyens pour mener à bien sa mission au service de chaque élève, car, en même temps que notre école s’est démocratisée, le métier d’enseignant est devenu plus difficile et plus exigeant. Il faut donc aider les professeurs à faire face à cette évolution en les y préparant dès leur formation initiale.

Enfin, cette réforme s’inscrit dans un cadre élargi, celui de l’Europe. Elle offre ainsi à nos nouveaux professeurs la garantie de voir leur niveau de formation désormais reconnu partout et sans équivoque en Europe : c’est un atout pour notre système éducatif, comme l’a rappelé M. le président de la commission de la culture, Jacques Legendre.

Le recrutement des professeurs au niveau du master apporte une double assurance.

Tout d’abord, il représente un gage d’excellence académique : une plus grande maîtrise des connaissances scientifiques, au moment où les savoirs deviennent de plus en plus complexes, garantit un enseignement de haut niveau pour tous les élèves du XXIe siècle.

Ensuite, ce master constitue aussi, pour les futurs enseignants, une initiation à la recherche, indispensable pour leur permettre de suivre les évolutions de leur discipline et pour inscrire les démarches d’innovation dans leur pratique professionnelle ; corollairement, cette initiation doit les aider à développer un état d’esprit qui entretient le désir de se perfectionner tout au long de leur carrière professionnelle. On sait combien la formation continue et l’approfondissement disciplinaire seront des clés pour l’avenir de notre école.

Mais nous tous ici sommes conscients qu’à cette forte exigence disciplinaire doivent s’adjoindre des compétences pédagogiques renforcées.

C’est pourquoi, en concertation avec le ministère de l’enseignement supérieur, nous avons construit un véritable parcours d’insertion professionnelle. Ce parcours de formation, structuré en trois ans, privilégie les acquisitions sur le terrain, car la pédagogie, plus qu’une science, est un art dont la maîtrise se construit par l’expérience personnelle, aux côtés et avec les conseils de maîtres chevronnés.

Parce qu’excellence académique et transmission des savoirs ne sont pas contradictoires, mais doivent, au contraire, être liées au plus tôt, nous les avons associées dès la formation au sein de l’université. M. Bodin évoquait tout à l’heure les étudiants en médecine : dois-je lui révéler que, lorsqu’il se rend aux urgences médicales, il a parfois affaire à un externe, qu’on appelle docteur, mais qui est un étudiant en troisième ou en quatrième année de médecine ?

Comparons, mesdames, messieurs les sénateurs, les situations avant et après la réforme.

Avant, lors de l’année de formation en IUFM, à peu près un tiers du temps de formation était réservé à la pratique en classe. Désormais, du fait de la réforme, la découverte du métier s’échelonne et se prépare dès la licence, avec la possibilité d’effectuer des stages de découverte des métiers de l’enseignement.

Au niveau du master, l’étudiant qui se destine à l’enseignement peut bénéficier aujourd'hui d’un total allant jusqu’à 216 heures de stage. Les 50 heures qui ont été évoquées correspondent à la période de transition ; à partir de la rentrée prochaine, nous parlons bien de 216 heures.

En effet, l’étudiant peut accomplir, en première année de master, des stages d’observation et de pratique accompagnée et, en deuxième année de master, 108 heures rémunérées de stage en responsabilité dans une classe, lors duquel il pourra exercer la totalité des missions confiées à un professeur.

Tous ces stages sont bien entendu encadrés par des professeurs chevronnés : un professeur des écoles maître formateur ou conseiller pédagogique de circonscription dans le premier degré, un conseiller pédagogique tuteur dans le second degré.

À l’issue de cette formation, l’étudiant passe un concours qui, lui aussi, reflète cette recherche de complémentarité entre l’excellence disciplinaire et la compétence pédagogique. L’écrit atteste de la maîtrise des savoirs à enseigner ; les épreuves orales valorisent la capacité à concevoir et à développer une séquence d’enseignement et permettent ainsi, monsieur Gouteyron, d’évaluer les compétences professionnelles.

Enfin, de manière totalement complémentaire avec la formation à l’université, l’année qui suit le concours, l’année de professeur stagiaire, permet d’approfondir la formation dans la réalité de la classe.

En effet, nous avons voulu mettre en place une formation par la pratique professionnelle, et pas uniquement une formation pour cette pratique. C’est pourquoi, après sa réussite au concours, pendant son stage de titularisation, le nouveau professeur affecté dans une école ou un établissement scolaire bénéficie d’un complément de formation correspondant à un tiers d’une obligation réglementaire de service.

Ce complément s’effectue sous la forme d’un accompagnement renforcé, d’une part, grâce à la proximité d’un tuteur, enseignant chevronné choisi par le corps d’inspection pour son expérience et son savoir-faire et, lui aussi, rémunéré pour cela, d’autre part, grâce à l’assistance de l’équipe de direction des écoles ou des établissements et, surtout, à la présence des corps d’inspection et de leurs équipes de conseillers pédagogiques.

Outre ce tutorat, les nouveaux professeurs suivent une formation complémentaire répondant aux besoins particuliers de chaque stagiaire. Y sont notamment intégrées les questions de gestion de classe, s’agissant notamment des conflits, de la prévention des phénomènes de violence et de discrimination, et ce pour éviter, comme c’était le cas depuis très longtemps, qu’un enseignant inexpérimenté ne soit confronté à des difficultés de cette nature dans le cadre de son premier poste.

Je veux signaler que, à ce niveau plus élevé de recrutement, nous exigeons davantage de nos nouveaux enseignants, mais nous leur apportons aussi une nouvelle reconnaissance au travers d’une revalorisation substantielle des rémunérations en début de carrière.

Dois-je vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous avons augmenté de 10 % la rémunération des professeurs des écoles et professeurs certifiés en début de carrière, qui perçoivent ainsi 157 euros nets de plus par mois. Les nouveaux professeurs agrégés, quant à eux, bénéficient d’une augmentation nette mensuelle de 259 euros. Enfin, au-delà de la première année d’enseignement, la revalorisation des rémunérations concerne l’ensemble des professeurs et s’étend sur les sept premières années de carrière.

J’en viens à présent, madame Gonthier-Maurin, à la mise en place de la réforme et à son évaluation à l’issue de cette première année.

Plus de 15 000 professeurs et personnels d’éducation stagiaires ont rejoint l’éducation nationale à la rentrée de 2010, environ 8 500 dans le second degré et 7 100 dans le premier degré.

Ces professeurs ont d’abord bénéficié, à la fin du mois d’août, d’un stage d’accueil au sein de leur académie d’exercice – c’est une nouveauté ! –, accueil qu’ils ont d’ailleurs apprécié, jugé rassurant et éclairant avant leur prise de fonction.

Ils ont ensuite, lors des premières semaines, été accompagnés par un tuteur : un professeur confirmé et reconnu pour son expérience professionnelle et pour ses qualités de formateur.

Enfin, chacun a reçu des compléments de formation en fonction de ses besoins individuels.

Bien avant la rentrée dernière, nous avions demandé aux académies de se mobiliser autour de cette réforme. Nous ferons de même pour la rentrée à venir, étant précisé que les futurs professeurs stagiaires auront, dans leur grande majorité, bénéficié des stages de pré-professionnalisation en première et deuxième années de master et aborderont donc leur entrée dans le métier avec davantage de sérénité que leurs prédécesseurs. Nous savions que l’année de transition que nous avions à gérer serait forcément plus complexe que la suite de la mise en place du nouveau système.

Les efforts que les académies ont consentis depuis la rentrée dernière vont être prolongés : renforcement de l’accueil, de l’accompagnement et de la formation des stagiaires.

Chaque académie organisera donc un stage d’accueil, de préférence d’une durée d’au moins cinq jours, avant la rentrée scolaire. Les chefs d’établissement et les corps d’inspection apporteront une attention toute particulière à l’accueil des stagiaires sur leur lieu d’activité, afin de faciliter leur entrée progressive dans le métier.

En complément des formations didactiques, nous allons développer la formation à la conduite de classe – elle ne reste pas virtuelle, madame Laborde –, à la gestion des situations conflictuelles et à la prévention de la violence. Des formateurs académiques ont été préparés pour dispenser cette formation, qui comportera, outre des données de connaissance indispensables, une mise en œuvre pratique pendant les premières semaines de septembre.

En outre, l’espace en ligne de formation et de ressources, le portail Tenue de classe – la classe côté professeur, a été mis à disposition des professeurs stagiaires et sera enrichi par des ressources académiques.

Regardons maintenant, mesdames, messieurs les sénateurs, quelles peuvent être l’évaluation de la mise en œuvre de cette réforme et les évolutions envisagées. À cet égard, je reprendrai volontiers les propos de M. Jacques Legendre, qui nous appelait à prendre de la hauteur s’agissant de ce bilan et des premiers mois d’application de la réforme.

Madame Gonthier-Maurin, je veux tout d’abord rappeler les termes du rapport qui m’a été remis par l’inspection générale de l’éducation nationale et auquel vous avez fait référence. Selon celui-ci, les premiers éléments de bilan étaient bien éloignés des catastrophes annoncées en début d’année par les diverses forces s’opposant à la réforme.

J’ai voulu une transparence totale dans la mise en œuvre de cette réforme. Nous avons donc tenu à en assurer le suivi.

Le 1er décembre, nous avons tiré un premier point d’étape quantitatif, qui a d’ailleurs permis de distinguer très clairement la réalité de certaines rumeurs.

Nous avons, par exemple, enregistré une proportion réduite de professeurs stagiaires en difficulté, soit moins de 1 % de l’effectif total, un volume de congés maladies comparable à celui des années précédentes du temps des IUFM et un nombre de démissions en baisse.

Plus largement, ces premières informations ont permis d’établir un premier état de la situation et d’engager un échange avec les organisations syndicales.

En fin d’année, nous procéderons à une enquête systématique auprès des professeurs stagiaires : leur appréciation de cette première année d’exercice nous permettra de savoir ce qui a fonctionné, ce qu’il faut améliorer et, ainsi, de dresser un bilan auquel s’adjoindra celui qui sera réalisé par nos recteurs d’académie.

S’agissant des étudiants en master, un point d’étape, qualitatif cette fois, nous a été présenté, à Valérie Pécresse et à moi-même, vendredi 9 avril, par Jean-Michel Jolion, président du Comité de suivi du master. Ce travail est utile car, de la diversité des situations rencontrées dans les universités, il a su tirer un ensemble cohérent d’observations et d’analyses.

Ces analyses et les préconisations en résultant corroborent d’ailleurs certains axes de travail que nous avions déjà dégagés.

Nous devons, notamment, développer les outils de supervision et de pilotage de la réforme. Nous devons être attentifs à la répartition de la charge de travail des étudiants au cours de la deuxième année de master entre les enseignements à l’université, la préparation du master, celle du concours, le stage et l’élaboration du mémoire. Nous devons ensuite mieux préciser les conditions d’évaluation des stages et, enfin, inciter les universités à amener les candidats aux concours aux niveaux de compétences exigés en langue étrangère et en informatique.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous recensons bien, au fil de ces points d’étape, ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné, et nous allons faire évoluer l’offre de formation. Du fait même que les universités n’ont pas mis en place les mêmes modules, nous allons nous pencher sur les pratiques et diffuser les meilleures. C’est ce que nous avons convenu avec le président de la Conférence des présidents d’université. Je peux vous assurer que les deux ministères concernés, à savoir le ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative et le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, travaillent aujourd’hui de concert pour apporter les aménagements nécessaires à cette réforme.

Je tiens du reste à être parfaitement clair sur ce sujet, et ce d’autant que je veux mettre en œuvre au sein de mon ministère une méthode alliant pragmatisme et souplesse.

L’éducation n’est pas une science exacte : elle doit parfois reconsidérer, corriger, améliorer certains dispositifs. Comment pourrait-il en être autrement alors que l’avenir de notre école passe par l’innovation et, donc, par des expérimentations qu’il faut en permanence évaluer et réajuster ?

Dans ce même esprit, nous n’avons cessé de dire que le chantier de la formation des enseignants, parce qu’il était perfectible, devait être continuellement évalué et, le cas échéant, amélioré au fil des années.

Le Président de la République n’a pas dit autre chose le 19 janvier dernier, lors de ses vœux au monde de la connaissance et de la culture, lorsqu’il a déclaré que l’on devait « améliorer en permanence notre système ». Telle est notre ambition, qui rejoint d’ailleurs l’un de mes principaux objectifs : instaurer à l’éducation nationale un véritable suivi des réformes, une évaluation constante permettant à notre système éducatif de disposer d’une vision complète sur son action et de réagir si nécessaire.

N’oublions pas non plus un fait : l’année scolaire 2010-2011 est la première année de mise en œuvre de cette réforme. À ce titre, il est possible, même nécessaire, d’intégrer des évolutions. C’est par une évaluation rigoureuse et objective de la mise en place de la réforme que nous en ferons un atout pour notre école !

D’ores et déjà, l’expérience de cette année nous a permis de dégager un certain nombre de leçons, notamment pour le premier degré, point sur lequel plusieurs d’entre vous sont intervenus, notamment Mme Françoise Férat.

À cet égard, je veux vous rassurer et répondre aux interrogations de certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs.

Les universités ont tiré profit du savoir-faire des IUFM hérité des anciennes écoles normales du premier degré. Enseigner les fondamentaux à l’école primaire relève, bien entendu, d’un savoir-faire professionnel spécifique, qui ne saurait être la reproduction stricte, la transcription aveugle des modes d’enseignement universitaire vécus et éprouvés par les candidats au concours. Comme l’a dit M. Jacques Legendre, le parcours peut différer selon le niveau d’enseignement.

Parce qu’elle est restée de tout temps, et jusqu’à un passé très récent, à l’écart de l’université, la formation professionnelle des maîtres du premier degré ne fait pas partie de la tradition des savoir-faire des universités.

La polyvalence exigée du professeur des écoles n’est en effet pas toujours compatible avec la mastérisation disciplinaire et adossée à la recherche, qui vaut pour le second degré.

À ce titre, la mise en place de masters polyvalents ou de masters en alternance constitue une piste intéressante, car parfaitement adaptée à l’enseignement en école primaire. D’ores et déjà, les universités ont développé des parcours incluant la polyvalence dans les masters de premier degré et nous travaillons, avec Valérie Pécresse, dans cette direction pour la rentrée prochaine. J’espère avoir ainsi répondu à M. Adrien Gouteyron.

À ces points fondamentaux, il faut en joindre d’autres. Nous avons en effet constaté qu’il était nécessaire d’introduire des compléments dans la formation initiale des professeurs des écoles, notamment en langues, puisque les élèves ont besoin de saisir très tôt l’accent et le rythme d’une langue.

Je pense aussi aux disciplines autres que la majeure de formation. Nous savons que les trois quarts des professeurs des écoles sont issus d’un cursus en sciences humaines. Nous avons donc besoin de développer leur bagage et leur pédagogie dans le domaine scientifique, afin qu’ils soient en mesure de mieux accompagner leurs élèves dans l’apprentissage des sciences.

Nous travaillons donc sur ces pistes d’amélioration en engageant une réflexion avec les universités sur la mise en place, d’une part, de masters pluridisciplinaires qui prennent totalement en compte la dimension polyvalente des professeurs des écoles et, d’autre part, de masters en alternance qui pourraient avoir deux objectifs.

Le premier objectif a une portée spécifiquement sociale : il s’agit d’aider les étudiants qui exercent comme assistants d’éducation ou comme contractuels dans les établissements scolaires à obtenir un master par la voie de l’alternance. L’élévation de la formation à bac+5 peut en effet créer un effet de sélection sociale qu’il nous faut corriger. Il convient par ailleurs d’être extrêmement attentif au « vivier » qui, dans certaines disciplines – je pense naturellement aux mathématiques – est tout juste suffisant aujourd’hui. Mais c’est un phénomène qui n’est malheureusement pas nouveau. Je citerai un chiffre : le nombre de diplômés de masters est « mécaniquement » inférieur au nombre de diplômés de licence, qui constituaient auparavant le « vivier » de recrutement ; il est d’environ 60 %.

Je profite de l’occasion, à ce stade de mon propos, pour répondre aux questions concernant le nombre de candidats aux concours, notamment pour donner les raisons expliquant la baisse du nombre de candidats au dernier concours.

D’abord, je rappelle que deux concours avaient été organisés la même année, à quelques mois d’intervalle, ce qui signifie que certains étudiants se sont présentés deux fois au même concours.

Ensuite, un ajustement mécanique, lié à l’élévation du niveau de qualification que je viens d’évoquer, s’est produit. En passant de la sélection de bac+3 à bac+5, on réduit mécaniquement le nombre des candidats à un concours.

Un autre élément d’ajustement est lié à la diminution du nombre de places au concours, qui a été divisé par deux : 3 100 cette année pour les professeurs des écoles, contre 7 000 l’année dernière. Globalement, deux fois moins de candidats se sont présentés au concours de professeur des écoles.

Le second objectif concerne la professionnalisation. Il me semble opportun de profiter de l’activité des assistants d’éducation mais aussi des étudiants contractuels en établissement scolaire pour préparer dans de bonnes conditions ceux qui le souhaitent au CAPES. Aujourd’hui, alors que plus de 20 000 candidats s’inscrivent aux différents concours, le taux de succès est malheureusement très faible puisqu’il concerne environ 10 % des présents. Cette formule de master en alternance peut donc constituer un élément de réponse pour ces personnels.

Avant de conclure, je veux répondre à une question qui m’a été posée par Mme Laborde mais qui concerne chacune et chacun d’entre vous dans vos départements, à savoir l’avenir des antennes des IUFM.

Je rappelle que les antennes des IUFM sont des locaux universitaires à la charge des universités, lesquelles en ont souvent la propriété. Ma collègue ministre de l’enseignement supérieur, Valérie Pécresse, a demandé aux recteurs de réfléchir avec les présidents d’université au meilleur usage qui pouvait être fait de ces locaux afin de garantir une formation universitaire de proximité. Nous voyons d’ailleurs, dans un certain nombre de départements, des déclinaisons de masters préparant aux métiers de l’enseignement s’organiser dans des formations de proximité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, élévation du niveau de qualification universitaire, progressivité dans l’acquisition des compétences professionnelles, renforcement de la pratique dans le cursus de formation, accompagnement et suivi continu : voilà ce qui caractérise la nouvelle formation des maîtres. Voilà ce qui va permettre à l’école de la République de répondre à la mission que la nation lui confie : conduire chaque élève vers la réussite.

Avec cette réforme, nous placerons devant les élèves des professeurs qui seront mieux formés et mieux à même de répondre aux besoins de chacun. Nous travaillons avec objectivité, humilité et ambition : cette réforme est perfectible, elle doit être continuellement évaluée et, le cas échéant, améliorée au fil des années. Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que j’y apporterai une vigilance constante. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)