M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, cette présentation intervient dans le cadre du nouveau calendrier qui institue ce rendez-vous avant que le programme ne soit transmis aux institutions européennes.

Je veux faire partager au Sénat cet important changement, cette étape décisive dans l’organisation que la France s’apprête à formaliser à travers les positions qu’elle va défendre et les engagements qu’elle va prendre. La réunion du couple exécutif-législatif à travers ce débat doit être l’occasion, pour chacun, de mesurer le caractère prioritaire de la signature de la France pour les politiques publiques que nous menons au nom de nos compatriotes.

Si nos finances publiques portent toujours les stigmates de la récession mondiale, une amélioration notable peut d’ores et déjà être constatée. Je ne reviens pas sur les éléments très positifs qui viennent d’être soulignés avec pertinence. Je voudrais revenir très rapidement sur la trajectoire récente de nos finances publiques, qui montre que la stratégie du Gouvernement est la bonne dans un tel contexte.

Premièrement, je me dois d’insister sur la réalité de la réduction du déficit public, plus importante que prévue. Elle témoigne du fait que les efforts du Gouvernement vont dans la bonne direction.

L’année 2010, comme vous le savez, s’est achevée sur un déficit public de l’ordre de 7 points de notre richesse nationale. Ce chiffre révèle une amélioration substantielle par rapport à l’objectif de départ retenu dans la loi de finances initiale pour 2010, objectif qui s’établissait à 8,5 % du PIB.

Lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2011, la prévision du déficit public pour 2010 avait été une première fois révisée à la baisse, à 7,7 % du PIB. Nous arrivons à 7 % du PIB. C’est dire si l’addition des mesures proposées qui ont, à certains égards, nourri des débats animés, des débats de qualité, nous ont permis de montrer la pertinence de cette trajectoire ! Elles nous ont, surtout, permis d’être avec un temps d’avance aux rendez-vous qui font partie de nos engagements vis-à-vis de nos partenaires européens et de nos investisseurs.

La dette notifiée à la Commission européenne reflète cette amélioration. Elle s’établit, pour l’année dernière, à 81,7 % du PIB, contre 82,9 % prévus dans le dernier projet de loi de finances.

Ces bons résultats sont dus à plusieurs facteurs. Parmi les principaux, je citerai une reprise de l’économie et de l’emploi plus dynamique que ce qui avait été escompté.

Mme la ministre de l’économie a évoqué les derniers chiffres du chômage dont nous avons pris connaissance aujourd’hui : ils montrent la continuité de l’effort poursuivi en matière de création d’emplois et de réduction du chômage.

Autre bon résultat, je signale un coût de la réforme de la taxe professionnelle moins élevé que les prévisions.

Je citerai, enfin, le résultat d’un effort collectif de la part de l’ensemble des acteurs de la dépense publique.

L’an dernier, nous avons tenu notre engagement de maîtrise des dépenses de l’État. Nous respectons strictement le plafond autorisé et la norme de dépenses, qui a été construite sur une base de progression strictement limitée à l’inflation : le « zéro volume ».

Ne pas dépenser un euro de plus que l’autorisation donnée par le Parlement : c’est mon premier devoir de ministre du budget et la première règle budgétaire. Ce contrat est rempli.

Je rappelle, au passage, que ce plafond de dépenses a été construit sur le fondement d’une prévision d’inflation de 1,2 % pour 2010. Or l’inflation a été, en réalité, de 1,5 %. Le plafond n’ayant pas été revu à la hausse, cela représente, rétrospectivement, une moindre dépense d’environ 1 milliard d’euros. Je tiens à souligner devant vous, à l’occasion de ce débat, les efforts accomplis pour ne pas dériver de cette trajectoire que nous nous sommes imposée.

Par ailleurs, l’effort collectif réalisé en 2010 se traduit par une meilleure maîtrise des dépenses sociales, en particulier des dépenses d’assurance maladie.

La répétition étant l’un des piliers de la pédagogie, je rappelle que, pour la première fois depuis 1997, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, a été tenu. Il était fixé à 3 % en 2010 et a été établi à 2,9 % pour cette année.

Enfin, il me semble important de préciser devant la Haute Assemblée que les collectivités locales ont participé à cet effort global d’une manière non négligeable, via la modération de leurs investissements. Tout cela explique les résultats obtenus en matière de réduction de nos déficits publics, en amélioration par rapport à l’an dernier.

Deuxièmement, le programme de stabilité que nous vous présentons aujourd’hui s’inscrit résolument dans le prolongement de cette stratégie fondée sur la combinaison d’une maîtrise stricte et durable de la dépense publique et de réformes porteuses de croissance.

En effet, le Gouvernement est déterminé à être au rendez-vous des engagements qu’il a pris devant vous, et qui sont inscrits dans la loi de programmation des finances publiques. Notre objectif est de ramener le déficit public en deçà de 3 % en 2013. Pour y parvenir, nous nous étions fixé, à l’automne dernier, un calendrier clair : un déficit public ramené à 6 % du PIB en 2011, à 4,6 % en 2012, à 3 % en 2013 et à 2 % en 2014.

Compte tenu du déficit pour l’année 2010, dont le niveau est moins important que prévu, et du sérieux avec lequel nous avons préparé, avec vous, les textes financiers pour 2011, votés à l’automne 2010, nous sommes en mesure de réviser favorablement notre prévision pour cette année, et ce dès aujourd’hui.

Nous nous sommes donc fixé un nouvel objectif de 5,7 % de déficit public pour 2011. Ce nouveau seuil à atteindre ne répercute pas l’ensemble du 0,7 point de PIB, car une partie de cette amélioration est liée à des effets non reconductibles les années suivantes ; c’est le cas, par exemple, de la révision du coût de la réforme de la taxe professionnelle.

Pour l’année 2012, nous avons souhaité maintenir notre objectif de déficit public à 4,6 % du PIB. Les bons résultats obtenus en matière de réduction des déficits nous permettent d’éviter de prendre des mesures complémentaires pour compenser la légère révision à la baisse de l’hypothèse de croissance pour 2012, qui passe de 2,5 % dans la loi de programmation à 2,25 % dans le programme de stabilité qui vous est proposé.

Comme nous l’avons promis, nous tiendrons nos engagements chaque année, jusqu’en 2013 ; mais, pour autant, il n’est pas question de précipiter le rythme de réduction des déficits publics. L’effort exigé des Français est déjà considérable, et nous en avons conscience. Comme nous l’avons expliqué longuement lors des débats sur le projet de loi de finances pour 2011, le Gouvernement ne souhaite pas l’accroître à nouveau, car cela signifierait renoncer à protéger les publics les plus fragiles et prendre le risque de casser un cycle de croissance encore convalescent. Nous demeurons donc en ligne avec nos engagements pris en loi de programmation des finances publiques.

Troisièmement, le projet de loi de finances pour 2012 sera construit dans le strict respect du budget triennal 2011-2013, dont il constitue la deuxième annuité.

Ce budget contribue de manière décisive au redressement des finances publiques, puisqu’il a été élaboré dans le respect d’une double norme de dépense, qui fait d’ailleurs l’objet d’un article dédié de la loi de programmation des finances publiques pour la période 2011-2014.

Il s’agit, d’une part, d’une stabilisation en euros courants – le fameux « zéro valeur » ! – des crédits budgétaires et des prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne et des collectivités locales, hors charge de la dette et des pensions des fonctionnaires de l’État. Nous assumons le passé, mais nous fixons une stabilisation des dépenses. On ne traitera donc pas du coût de la vie dans le cadre du déroulé de cette loi de programmation des finances publiques.

Il s’agit, d’autre part, d’une augmentation annuelle des crédits, qui sera toujours au maximum égale à l’inflation – le « zéro volume » – sur le périmètre de la norme élargie. Chaque année, c’est la norme la plus contraignante qui s’applique.

Le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux sera poursuivi en 2012. Cela se traduira par la suppression d’environ 30 000 emplois à temps plein. L’objectif triennal de réduction des dépenses de fonctionnement et d’intervention de 10 % sur trois ans impliquera une diminution de 2,5 % en 2012, après une baisse de 5 % en 2011. Là encore, nous ne nous éloignons pas de la trajectoire de nos engagements et du vote de la représentation nationale sur cette loi de programmation des finances publiques pour la période 2011-2014.

Par ailleurs, comme en 2011, l’ensemble des concours de l’État aux collectivités locales seront stabilisés en valeur, à l’exception du Fonds de compensation pour la TVA, lequel connaît une dynamique autonome. C’est un point important, car le fait de sortir le FCTVA de cette norme de gel des dotations de l’État vis-à-vis des collectivités territoriales revient à favoriser le maintien, l’amplification et l’accélération de l’autonomie des collectivités territoriales, dans une logique d’investissement. Ce sera précieux et utile pour irriguer l’économie sur l’ensemble de notre territoire.

Les dépenses des autres administrations de sécurité sociale seront, elles aussi, contenues, en lien avec la montée en charge progressive de la réforme des retraites. Corrigée des revalorisations, la tendance des prestations vieillesse va effectivement grandement décélérer au cours des années à venir : plus 1,8 % en moyenne annuelle sur 2012-2014, contre une augmentation de 2,8 % en 2010 et 2011.

Je ne détaillerai pas le volet « recettes » du programme de stabilité que nous vous soumettons aujourd’hui. Je veux simplement rappeler, à ce titre, les engagements du Gouvernement, sur lesquels nous ne transigerons pas : pas d’augmentation généralisée des impôts ; une réforme de la fiscalité du patrimoine qui sera neutre pour les recettes fiscales de l’État sur l’ensemble de la période ; une hausse des recettes résultant essentiellement de la reprise de l’activité et de la réduction des dispositifs fiscaux dérogatoires.

Vous pouvez constater, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il y a au cœur de notre programme de stabilité pour 2011-2014, encore et toujours, la poursuite d’une stratégie de maîtrise des finances publiques, pour un retour rapide à l’équilibre de nos comptes.

L’objectif que le Gouvernement s’est assigné est inédit, mais il est réaliste, dans la mesure où nous récoltons, d’ores et déjà, les premiers fruits de cet effort collectif. Cela donne d’autant plus de crédibilité aux propos que nous tenons devant vous au nom du Gouvernement.

Nous voulons pérenniser cette démarche en inscrivant dans la Constitution de nouvelles règles qui viendront encadrer la gestion des finances publiques. L’objectif du Gouvernement est donc clair : inscrire nos efforts dans le long terme, afin de garantir notre modèle social et notre souveraineté nationale pour les générations futures. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, l’an dernier, en juillet 2010, pour la première fois, nous nous sommes exprimés par un vote afin de clôturer le débat d’orientation des finances publiques. Puis, en décembre de la même année, lors de la discussion de la loi de programmation des finances publiques 2011-2014, nous avons obtenu que soit décidé le principe d’un vote sur le programme de stabilité, avant sa transmission aux autorités communautaires.

Dans le même esprit, si le cheminement du projet de loi de révision constitutionnelle relatif à la gouvernance des finances publiques se déroule comme nous le souhaitons, le principe de ce vote devrait figurer dans la Constitution. Cet élément ne figure pas dans le texte initial du Gouvernement, mais il a fait l’objet d’un amendement voté par la commission des finances de l’Assemblée nationale, une initiative à laquelle s’associe naturellement la commission des finances du Sénat.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Absolument !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il ne s’agit pas de simples questions de procédure ; nous touchons là au plus profond des enjeux politiques et sommes au cœur du rôle du Parlement.

Politiquement et économiquement, le programme de stabilité, même s’il se présente de manière austère et macroéconomique, est bien la norme supérieure en matière de finances publiques. Nous devons en prendre davantage conscience. Or un élément formel y fait peut-être obstacle : dans le document qui nous est soumis, le programme de stabilité est rédigé non pas en euros, mais dans une autre monnaie, le dixième de point de PIB…C’est une expression plus abstraite !

On peut naturellement traduire ces dixièmes de point de PIB en milliards d’euros courants, mais il faut bien comprendre qu’au niveau de l’Union européenne le point de PIB ou le dixième de point de PIB, qui est l’unité la plus neutre possible, est utilisé pour procéder à des comparaisons sur la base de documents provenant des différents États membres.

Vous vous souvenez, mes chers collègues, que, lors de la discussion de la loi de programmation, au mois de décembre dernier, nous avions obtenu du Gouvernement qu’il en modifie le libellé. Dorénavant, ce texte est bien rédigé en milliards d’euros courants, tant en termes de limite supérieure de dépenses que de mesures nouvelles relatives aux recettes, c’est-à-dire d’effort à réaliser.

Il est donc essentiel de prendre conscience, mes chers collègues, que ce texte, malgré sa présentation abstraite et austère, possède le caractère d’une norme supérieure. Il est tout aussi important, du point de vue de l’indépendance et de la souveraineté nationales, que nous prenions cette décision ici, au sein du Parlement français, avant que les autorités communautaires n’expriment leur propre vision et leurs éventuelles observations. C’est toute la logique de ce nouveau « semestre européen » que Mme Christine Lagarde a commenté pour nous de manière très utile.

Dorénavant, c’est en avril que commence au Parlement le cycle budgétaire. Ce projet de programme de stabilité sera examiné par les autorités communautaires, puis reviendra, en temps utile, en vue de la préparation des lois financières annuelles : la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finances de l’État.

Je tiens cependant à souligner qu’il sera loisible aux assemblées parlementaires de se saisir de ces « retours », sous la forme, par exemple, de résolutions au sens de l’article 88-4 de la Constitution – n’est-ce pas, cher président Bizet ! –, compte tenu de l’analyse qui aura été faite par la Commission européenne et le Conseil européen et, le cas échéant, compte tenu des éléments, observations et correctifs éventuellement apportés à l’issue de cet examen.

Le présent programme de stabilité est naturellement différent des précédents, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, nous n’avons plus droit au double langage. À la vérité, nous n’avons jamais eu un tel droit ; néanmoins, nous l’avons pratiqué.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ce que nous disions à l’Europe, nous ne le disions pas à nos concitoyens.

Mme Nicole Bricq. Et cela continue !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Madame Bricq, soyez assez équitable pour constater, avec nous, que le présent programme de stabilité est un peu meilleur que les précédents,...

Mme Nicole Bricq. C’est vrai !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. ... et que, s’agissant tout au moins de la période la plus récente, l’évolution qu’il trace est bien conforme à la réalité. (Mme Nicole Bricq fait un signe de dénégation.)

C’est réellement la première fois, même si une alouette ne fait pas le printemps et qu’une telle hypothèse ne nous donne aucune certitude sur l’évolution que nos finances publiques connaîtront dans les années 2012, 2013 et 2014.

Il est clair que, aujourd’hui, de puissantes incitations s’exercent pour que nous ne cédions plus aux facilités et aux délices du double langage que nous étions trop habitués à pratiquer, qu’elles qu’aient été les formations politiques au Gouvernement, je m’empresse de le rappeler, car cette affaire a commencé en 1999.

Mme Nicole Bricq. Voilà dix ans que vous êtes aux affaires !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Et si autocritique il doit y avoir, à mon sens, il serait bon qu’elle fût collective…

Depuis un an en particulier, plusieurs de ces incitations puissantes sont apparues.

La première – la plus évidente – est la crise des dettes souveraines. Il est tout à fait clair que le couple coût de l’endettement-proportion de l’endettement par rapport à la richesse nationale domine tout. Une matrice a été élaborée – elle figure dans le rapport écrit – et permet de voir où se situent les États qui aujourd’hui sont en grande difficulté ou sur la sellette. Leur situation se déduit simplement de la matrice.

Il est tout aussi clair que la soutenabilité de la zone euro dépend d’un mécanisme de solidarité mis en place à titre provisoire puis devant faire l’objet, à compter de 2013, d’un dispositif pérenne. Il est cependant tout aussi clair que ce dispositif de solidarité repose sur la crédibilité des grands États du cœur de la zone euro et que, pour financer le mécanisme de solidarité, il est indispensable que ces grands États bénéficient de la cotation la plus favorable possible et du coût d’endettement le plus bas possible.

Soyons-en bien conscients, mes chers collègues : lorsque nous nous battons aux côtés du Gouvernement pour la convergence vers les 3 % de déficit en 2013, nous défendons non seulement notre pays contre les risques de dérive et de nouvelle récession, mais aussi la zone euro elle-même, car nous ne savons pas ce qu’il adviendrait de nos économies réelles si nous vivions un scénario de discontinuité en la matière.

Ce sujet est essentiel ; tout dépend de la crédibilité du chemin de convergence vers un déficit de 3 % et une dette plafonnée à 60 % du produit intérieur brut.

Rappelons enfin que, à la fin de l’année 2013, ainsi que Mme la ministre vient de l’indiquer, nous atteindrons seulement le seuil au-delà duquel la dette en capital cessera d’augmenter. Jusque-là, et quels que soient nos efforts, elle continuera mécaniquement, arithmétiquement, inéluctablement de progresser en termes de proportion de la richesse nationale.

La réforme du pacte de stabilité constitue naturellement la deuxième de ces incitations. Mme la ministre en a rappelé le cheminement institutionnel : nous ne savons pas quel sera le contenu du pacte à l’issue des discussions actuelles.

En ce qui me concerne, je ne suis pas un grand admirateur des sanctions, surtout lorsqu’elles sont automatiques ou s’adressent à des pays déjà exsangues auxquels on demanderait par hypothèse de payer sur des ressources qu’ils ne peuvent plus se procurer des sommes très importantes qui seraient mises en pension auprès des autres États ou de l’Union européenne. Très sincèrement, je ne crois pas que de tels dispositifs, surtout s’ils sont présentés comme automatiques, puissent appartenir au monde réel.

Les États sauront cependant corriger les dispositions qui pourraient sembler trop doctrinaires dans l’approche de la Commission européenne. Le cheminement institutionnel permettra sans doute d’aboutir à une formule raisonnable, faisons-lui confiance.

Il n’en reste pas moins que, au bout de compte, plus de contraintes seront imposées, ce qui créera davantage de devoirs que par le passé.

Enfin, la troisième incitation est celle que – je l’espère – nous nous donnerons par la Constitution ; le débat sur ce sujet se tiendra très prochainement. Il s’agira de prendre en compte, année par année, en termes de plafonds de dépenses et de mesures nouvelles portant sur les recettes, les efforts à réaliser pour respecter la trajectoire fixée.

Cependant, et soyons-y très attentifs, mes chers collègues, cette règle de convergence ne sera opérante que si les hypothèses économiques sur lesquelles elle repose sont réalistes. Nous entrons ici dans un débat d’une grande ampleur que la commission des finances s’est efforcée de traiter dans son rapport écrit.

Nous faisons référence – car nous aussi vivons à notre façon le semestre européen – aux déplacements que nous venons de réaliser.

Nous nous sommes en effet rendus en Grande-Bretagne, où l’une des premières initiatives du nouveau gouvernement a été de créer un Office de responsabilité budgétaire pour fixer les hypothèses économiques, et aux Pays-Bas, où le Bureau central de planification créé après 1945 par Jan Tibergen est unanimement respecté par toutes les formations politiques, qui sont tenues de passer par son crible quand elles annoncent des programmes électoraux…

Nous sommes également passés par Berlin, où nous avons observé que le gouvernement fédéral se conforme toujours au consensus des conjoncturistes. Si je ne me trompe, une dizaine d’instituts travaillent très régulièrement sur la conjoncture allemande et, systématiquement, le gouvernement allemand retient la moyenne des prévisions issues de ces travaux.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est tentant ! Mais maintenant que le parti socialiste s’appuie sur les mêmes hypothèses que le Gouvernement… Le réalisme est universel !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Madame la ministre, monsieur le ministre, nous persistons à penser que la fixation du taux de croissance par le Gouvernement n’est qu’une apparence. Il vaudrait mieux, pour établir les documents budgétaires, que vous vous détourniez de ce calice et que vous vous appuyiez sur des hypothèses à la fois prudentes et neutres.

En ce qui nous concerne, n’ayant pas beaucoup d’imagination, nous pensons toujours que le taux de croissance potentiel de l’économie, c’est-à-dire 2 %, est le taux le plus neutre, par construction, que l’on puisse trouver dans un tel équilibre pluriannuel.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Et encore… La moyenne est de 1,6 % ! Retenir 2 %, c’est volontariste !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Par rapport au programme de stabilité de l’an dernier, plusieurs progrès réels ont été accomplis.

Tout d’abord, les hypothèses d’élasticité des recettes sont un peu plus prudentes ; 1,1 % du PIB au lieu de 1,2 %, c’est une différence qu’il convient de souligner.

S’agissant des autres observations que nous avions faites, elles doivent être réitérées concernant le taux de croissance – je viens de le faire – et, pour une part, concernant l’hypothèse d’évolution des dépenses publiques.

S’il est vrai que le taux de 0,6 % en volume est très volontariste, il a néanmoins été atteint pour la première fois en 2010, et ce pour diverses raisons, non seulement conjoncturelles – fin du plan de relance et modération des investissements des collectivités territoriales – que structurelles ; l’évolution de l’ONDAM, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, les premiers effets de la réforme des retraites, la rigueur que l’État a imposée dans la gestion des dépenses des ministères.

Nous abordons donc avec intérêt cet exercice de prévision tout en observant que, pour une part, et pour les années 2012, 2013 et 2014, la réduction de la tendance d’évolution des dépenses publiques n’est pas complètement documentée. Comme il est indiqué dans le rapport écrit, à hauteur de 0,5 à 0,7 point de PIB il demeure des espaces d’incertitude ou zones d’ombre au sujet desquels le Gouvernement sera très vraisemblablement amené à donner des précisions, notamment si la Commission européenne le lui demande.

À ce stade, mes chers collègues, que peut-on dire en prévision de l’année 2012 ? J’avais lu avec grand intérêt les déclarations que M. le ministre avait faites au début du mois d’avril – je n’ose dire qu’elles étaient parues un 1er avril (Sourires) – concernant les efforts supplémentaires à faire, efforts qu’il chiffrait à 6 milliards d’euros dans l’hypothèse d’un taux de croissance de 2 % au cours de l’année 2012.

La commission des finances du Sénat a fait jouer une série de paramètres – les résultats de ces calculs figurent dans notre rapport – et a chiffré l’ordre de grandeur des efforts supplémentaires à fournir entre 6 milliards d’euros et 10 milliards d’euros.

Le raisonnement reste cependant identique à celui du Gouvernement. Il est d’ailleurs assez naturel que la commission des finances s’efforce d’être particulièrement prudente ; mes chers collègues, si nous ne l’étions pas, qui le serait dans notre République ?

Donc, s’il y a un regret à formuler, c’est que l’on n’ait pas anticipé dès aujourd'hui une telle évolution, qui paraît très vraisemblable. Au demeurant, à l’automne prochain, ce ne sera pas une décision plus agréable et plus facile à prendre. Au contraire, madame la ministre, monsieur le ministre, si l’on a péché par excès de pessimisme, il serait très porteur politiquement d’annoncer que la conjoncture permet d’atténuer les efforts déjà engagés.

Au total, mes chers collègues, ce document mérite tout notre intérêt sur le plan méthodologique comme sur le plan technique et en tant qu’il témoigne d’une volonté de convergence et de crédibilité.

Puisque 2012 sera une année tout à fait exceptionnelle, une année charnière, il est essentiel, et ce sera à la fois l’honneur de ce gouvernement et celui de la majorité parlementaire qui le soutient, que la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale de 2012 soient des documents particulièrement sérieux, crédibles, inattaquables. C’est en effet assurément sur le terrain de la crédibilité, du respect de la vérité et de la parole donnée que beaucoup de choses se joueront en 2012 ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. Adrien Gouteyron. Très bien !

M. le président. J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe de l’Union pour un mouvement populaire, 33 minutes ;

Groupe socialiste : 26 minutes ;

Groupe de l’Union centriste : 10 minutes ;

Groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche : 10 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 8 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe : 3 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la ministre, monsieur le ministre, comme nous sommes non pas au conseil d’administration de l’entreprise France mais au Parlement, je dirai ce que nous pensons de votre programme de stabilité sur le plan politique !

Il est question du programme de stabilité, mais encore faudrait-il s’accorder sur le diagnostic ! L’Europe est malade, profondément en crise. Elle est malade des politiques ultralibérales menées depuis des années et de leurs conséquences pour les peuples.

Les banques, les capitaux et les gros actionnaires, eux, se portent bien. Or ce que vous proposez, c’est de continuer à satisfaire les marchés en imposant toujours plus d’austérité aux peuples européens et toujours moins de solidarité à l’égard des peuples et des pays, par exemple de l’autre côté de la Méditerranée.

Ce qui se passe aujourd’hui avec les migrants tunisiens est honteux. Au lieu de conjuguer efforts et moyens pour faire face à une immigration exceptionnelle, d’ailleurs limitée en nombre et sans doute provisoire, les gouvernements actuels, et donc l’Union européenne, font la démonstration qu’ils ne sont capables que de démagogie et d’irresponsabilité, puisqu’ils ne font que distiller la peur et le rejet, attitude dont les conséquences politiques sont, on le sait, de plus en plus inquiétantes.

Madame, monsieur les ministres, vous nous présentez aujourd'hui, en sollicitant l’avis des groupes parlementaires, le projet de programme de stabilité européen, avant de le soumettre à la Commission européenne.

Le document dont vous avez tracé les grandes lignes, également intitulé Programme national de réforme 2011-2013, vise à évaluer la conformité de nos politiques publiques avec le « pacte de compétitivité » franco-allemand et autre « pacte pour l’euro ».

Or la discussion que nous avons ce soir anticipe sur une disposition du projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques, qui a été déposé devant l’Assemblée nationale et sera examiné très prochainement.

Cette disposition prévoit en effet que le Parlement peut préalablement donner son avis sur le contenu dudit programme.

Notre débat n’a pourtant que les apparences de la démocratie.

En réalité, cette nouvelle façon de procéder, qui consiste à discuter dès maintenant des grandes orientations budgétaires et sociales du Gouvernement afin d’obtenir le feu vert de la Commission, a pour seul objectif de faire cautionner par le Parlement l’abandon de notre souveraineté nationale en matière de politique économique et sociale.

Cela figure clairement dans les conclusions du dernier Conseil européen des 24 et 25 mars dernier, dont je cite un passage : « Dans le cadre de la mise en œuvre de ces politiques et pour obtenir une large adhésion à ce processus […], les parlements nationaux, les partenaires sociaux, les régions et d’autres parties prenantes y seront pleinement associés. » Fort bien !

Cette nouvelle pratique découle directement de graves décisions prises lors du Conseil européen des 24 et 25 mars, décisions qui ont d’ailleurs été totalement éclipsées par la situation en Libye.

Désormais, en Europe, chaque gouvernement sera tenu de soumettre son budget dès le mois d’avril aux membres de la Commission, à charge pour ceux-ci de proposer des « recommandations » que les parlements nationaux seront fortement incités à suivre avant le vote de leurs propres budgets.

Un pays qui ne respecterait pas cette discipline budgétaire aveugle s’exposerait alors à des sanctions financières.

En outre, chaque pays sera tenu d’inscrire dans sa législation nationale le plafond de déficit public à ne pas dépasser.

C’est pour cette raison que vous prévoyez de graver l’interdiction des déficits publics dans le marbre de la Constitution. C’est une piètre parade, vous l’avouerez, pour empêcher toute alternative à votre politique.

D’un commun accord entre les gouvernements européens, la Commission s’est ainsi vu attribuer le pouvoir exorbitant d’examiner les projets budgétaires nationaux pluriannuels selon les seuls critères de l’équilibre financier et de la lutte contre les déficits publics, qui sont, avec la libre concurrence, les principaux piliers du dogme libéral.

C’est, une fois de plus, un grave abandon de souveraineté et un déni de démocratie.

Cette réunion du Conseil européen a marqué un inquiétant tournant dans l’histoire de la construction européenne. Il s’agit d’un pas de plus vers une Europe fédérale à direction autoritaire, toujours plus imprégnée d’idéologie ultralibérale.

On peut même considérer que, le 25 mars dernier, l’Europe a subrepticement changé de projet, et cela en pleine opacité.

En effet, en adoptant ce qu’il est convenu d’appeler le « pacte pour l’euro », les dirigeants européens ont mis sur pied une politique qui vise à contraindre leurs gouvernements respectifs à prendre des mesures antisociales, que ce soit en matière de politique salariale, avec la suppression du principe d’indexation des salaires sur les prix et avec la précarisation organisée des salariés par la « flexsécurité », ou bien encore en matière de réduction des allocations chômage.

On voit poindre de nouvelles réductions des retraites au moyen de l’allongement de la durée de cotisations et du recul mécanique de l’âge de départ.

En cette « année charnière », le contre-feu du Président de la République, qui a sorti de son chapeau une prime inégalitaire et aux contours encore mal définis pour les salariés des entreprises qui augmentent les dividendes versés à leurs actionnaires, ne peut faire illusion.

Ce que vivent les salariés, ce sont le blocage des salaires, par exemple ceux des fonctionnaires, ou l’augmentation a minima du SMIC, alors que le prix des produits courants indispensables augmente de façon inquiétante.

Toutes ces mesures sont liées, cohérentes ; elles font partie d’un même ensemble, car votre politique est conforme aux divers « pactes » et autres plans d’austérité concoctés avec la chancelière allemande lors des derniers conseils européens.

Ces « pactes » sont présentés comme étant la seule solution pour faire face à la crise financière dont la financiarisation de l’économie est responsable et dont les salariés font les frais, en particulier ceux des pays débiteurs, qui supporteront le coût des prêts irresponsables consentis aux banques par les États créanciers.

M. Mario Draghi, pressenti pour présider la BCE, ancien vice-président de la Banque Goldman Sachs, particulièrement impliquée dans la crise de 2008, est bien placé pour le savoir !

C’est socialement injuste et totalement contraire à la défense de l’intérêt général dont se prévalent volontiers nos démocraties européennes.

La religion qui inspire les mesures de votre programme de « stabilité et de croissance » – pour ma part, je préfère d’ailleurs employer le mot « austérité » – repose sur l’hypothétique amélioration de notre compétitivité économique. C’est un profond changement avec la conception fondée sur le développement par le progrès qui était, en 2000, celle de l’agenda de Lisbonne.

Aujourd’hui, il n’est plus question d’objectifs concrets de progrès, qu’ils soient économique, social ou culturel. Seul compte l’impératif de la compétitivité fondée sur les seuls critères de rentabilité !

Ces « pactes » rendent sceptiques les peuples d’Europe et suscitent souvent de fortes oppositions, comme l’a encore démontré la récente euromanifestation de Budapest. Les populations sont lucides. Elles comprennent que ces mauvaises réponses à la crise financière abaisseront leur niveau de vie, creuseront les inégalités, développeront le travail précaire et, au total, accentueront la mise en concurrence des salariés des différents pays. Mais n’est-ce pas le but ici ?

Outre l’injustice sociale qu’il porte en lui, le programme de stabilité que vous nous avez présenté sera à coup sûr économiquement inefficace : inefficace, car contraire à la croissance de l’économie. En effet, les règles qu’il pose en matière de fixation des salaires, qui traduisent votre refus d’augmenter le pouvoir d’achat, ne peuvent que brider la croissance.

En nous proposant ces mesures, vous vous alignez sans sourciller sur les désastreuses politiques conduites depuis dix ans par la Commission et par la Banque centrale européenne. J’en ai dénoncé les conséquences économiques et sociales, que nous vivons tous les jours, mais, en matière de croissance dans la zone euro, le résultat par rapport à d’autres régions du monde est tout aussi calamiteux.

Or voici maintenant que trois pays de cette zone sont au bord d’une faillite qui risque de s’étendre à d’autres pays plus importants !

Le plan de sauvetage de la Grèce ne fonctionne pas et le Portugal vient d’être sommé, par des marchés financiers qui refusent de prendre des risques, de se tourner vers l’Europe et le FMI.

Au lieu de vous interroger face à cette situation angoissante et d’examiner s’il ne conviendrait pas de changer radicalement l’orientation de la politique monétaire et de la politique budgétaire, vous persistez et suivez docilement la Commission et la Banque centrale européenne, lesquelles ne veulent pas remettre en cause des principes qui ont largement contribué à la crise.

Enfin, avec les instruments permettant d’imposer l’austérité dont il s’est doté, le dernier Conseil a en définitive décidé, en catimini, d’aller au-delà du traité de Lisbonne en modifiant celui-ci par révision simplifiée, c’est-à-dire sans consultation des parlements nationaux non plus que des citoyens.

Votre programme de stabilité n’est que la déclinaison française de décisions prises ailleurs, décisions qui appauvrissent les peuples et accentuent leur défiance à l’égard de la politique et des institutions européennes.

Comme viennent à nouveau de le montrer les élections en Finlande, ces décisions risquent aussi de jeter les citoyens européens dans les bras des eurosceptiques et de l’extrême droite.

Pour notre part, nous prônons un autre projet, une autre logique.

Je n’évoquerai qu’une mesure, qui me paraît aujourd'hui particulièrement intéressante : la création d’un fonds européen de développement social destiné à financer, à taux très bas ou nuls, des investissements publics créateurs d’emplois et tendant à développer la formation, la recherche, les services publics, les infrastructures et des réalisations en matière d’environnement.

Pour se dégager de l’emprise étouffante des marchés financiers, ce fonds devrait pouvoir utiliser la BCE, qui a compétence pour créer de la monnaie, afin de lui éviter de se soumettre aux exigences spéculatives des investisseurs.

Telles sont, madame, monsieur les ministres, les motivations profondes qui conduisent notre groupe à voter résolument contre ce projet de programme de stabilité que vous nous avez si brièvement présenté. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Denis Badré.