M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. À tout le monde !

Mme Odette Terrade, auteur de la proposition de loi. Effectivement, monsieur le secrétaire d'État !

J’ajoute que la législation de notre pays a lentement évolué vers une reconnaissance de plus en plus forte du droit au logement, symbolisée par l’adoption de la loi dite DALO, qui en a fait un droit opposable à l’État.

Ainsi, l’article 1er de cette loi dispose que « le droit à un logement décent et indépendant, mentionné à l’article 1er de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, est garanti par l’État à toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d’État, n’est pas en mesure d’y accéder par ses propres moyens ou de s’y maintenir ». Il en résulte que l’État français a contracté l’obligation de faire en sorte qu’aucune famille ne soit privée de son logement faute de ressources suffisantes.

Pourtant, l’expulsion sans relogement de familles en grande difficulté reste une pratique très courante, voire en nette progression : de 1998 à 2008, le nombre de décisions de justice prononçant une expulsion locative a augmenté de 48 %, s’établissant à 105 000 en 2008. Chiffre plus impressionnant encore, la même année, il a été recouru à la force publique dans plus de 11 000 cas, soit une progression de 132 % entre 1998 et 2008. Les chiffres, encore provisoires, pour l’année 2009 font état de 110 246 décisions de justice prononçant une expulsion et de 10 500 cas d’intervention effective de la force publique ; ce sont 10 500 de trop ! Du reste, la Défenseure des enfants a de nombreuses fois dénoncé le caractère particulièrement traumatisant, pour les enfants, des expulsions locatives effectuées avec l’appui de la force publique.

Il existe une véritable contradiction, qu’il convient de lever, entre le respect du droit au logement et la poursuite des procédures civiles d’expulsion locative.

S'agissant plus précisément du DALO, alors même que, pour nombre d’acteurs du droit au logement, l’adoption de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale avait constitué une avancée, on reste aujourd’hui très loin du respect de l’obligation générale de relogement qui avait été posée. Ainsi, il existe des lacunes considérables dans l’application de la loi. Malgré la reconnaissance d’un droit au logement opposable, les expulsions de locataires en difficulté, y compris parmi ceux qui ont été déclarés prioritaires par les commissions de médiation DALO, continuent d’être la règle, et ce en contradiction avec les prescriptions internationales.

À partir de ce constat, le comité de suivi de la mise en œuvre du DALO a adopté à l’unanimité, en mars 2010, une motion demandant au Gouvernement de prendre toutes mesures utiles afin que les personnes reconnues prioritaires pour l’attribution d’un logement par les commissions départementales de médiation ne puissent être expulsées.

En effet, la loi DALO a ouvert aux personnes menacées d’expulsion une voie de recours leur permettant de faire reconnaître leur droit à un relogement. Ainsi, de janvier 2008 à juin 2010, 15,6 % des recours déposés devant les commissions de médiation l’ont été pour ce motif. Lorsque la commission prend une décision favorable au demandeur, le préfet est tenu de faire en sorte qu’il reçoive une offre de logement adaptée à ses besoins et à ses capacités.

Cependant, le comité de suivi de la mise en œuvre du DALO a constaté que des personnes désignées comme prioritaires ont été expulsées avec le concours de la force publique, et ce sans avoir reçu d’offre de relogement.

M. Guy Fischer. Absolument !

Mme Odette Terrade, auteur de la proposition de loi. Outre les souffrances humaines qu’engendrent toutes les expulsions, celles qui concernent des personnes prioritaires au titre du DALO constituent un véritable dysfonctionnement de l’État, garant du droit au logement !

Cette situation a d’ailleurs conduit le Conseil d’État, dans son rapport annuel de 2009, à définir les droits dits opposables à l’État comme des « droits fictifs », ce qui ne peut manquer d’interpeller tout citoyen pensant vivre en République et dans un État de droit…

Le comité de suivi de la mise en œuvre du DALO a donc demandé que l’État organise sa propre cohérence en appliquant les quatre principes suivants.

Premièrement, toute personne faisant l’objet d’un jugement d’expulsion doit être informée par le préfet de la possibilité de déposer un recours au titre du DALO en vue d’un relogement.

Deuxièmement, lorsqu’une personne a déposé un tel recours, la décision d’accorder le concours de la force publique doit être suspendue dans l’attente de celle de la commission de médiation.

Troisièmement, lorsqu’une personne a été désignée comme prioritaire par la commission de médiation, aucun concours de la force publique ne doit être accordé avant qu’elle ait reçu une offre de logement adaptée à ses besoins et à ses capacités.

Quatrièmement, le refus de concours de la force publique doit donner effectivement lieu à indemnisation du propriétaire, ce qui suppose l’abondement du budget concerné à hauteur des besoins. Je rappelle en effet que la dotation de ce fonds d’indemnisation a été divisée par deux en trois ans, passant de 78 millions d’euros en 2005 à 38 millions d’euros en 2008. Voilà la réalité !

Plus récemment, dans son rapport de décembre 2010, le comité de suivi de la mise en œuvre du DALO a, d’une manière que l’on pourrait qualifier de virulente, appelé l’État à ne pas « rester hors la loi ».

En effet, selon les chiffres fournis par le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, au 31 décembre 2010, alors que plus de 200 000 demandes ont été déposées auprès des commissions de médiation DALO, seules 25 189 personnes ont pu être logées ou hébergées à la suite d’un recours. Ce chiffre s’élève à 43 000 si l’on prend en compte les ménages relogés ou hébergés avant le passage en commission.

Quoi qu’il en soit, le nombre de personnes déclarées prioritaires et n’ayant pourtant reçu aucune offre de relogement reste donc trop important. Ainsi, au 30 juin 2010, 14 000 ménages étaient dans ce cas, dont 12 500 avaient été déclarés prioritaires par les commissions franciliennes et 10 000 par la seule commission de Paris. Ajoutons que, la procédure DALO visant à « écrémer » au maximum les dossiers, n’est déclarée prioritaire qu’une infime minorité des demandeurs de logement ! C’est ainsi que, à la fin de juin 2010, 43 % des dossiers seulement faisaient l’objet d’un avis favorable.

Nous ne pouvons que nous alarmer de la diminution constante du nombre de demandes acceptées. En Seine-Saint-Denis, par exemple, les commissions de médiation n’ont délivré que 20 % de décisions favorables en 2010 ! De tels chiffres sont inquiétants.

L’écart entre le nombre des ménages déclarés prioritaires et celui des ménages relogés, ou simplement entre le nombre des demandeurs et celui des personnes relogées, écart qui continue à se creuser, est le plus sûr révélateur des carences de l’action publique ! Plus généralement, dans la mesure où, en 2009, on comptait 1 023 000 demandeurs de logement social, les chiffres du DALO nous semblent gravement insuffisants.

Outre ces dysfonctionnements, le comité de suivi de la mise en œuvre du DALO déplore une confusion dans les critères utilisés par les commissions de médiation pour la définition des ménages prioritaires. En effet, certaines commissions de médiation refusent de désigner comme prioritaires les ménages expulsables tant que ceux-ci ne font pas l’objet d’une décision de recours à la force publique. Cette situation est anormale et n’est pas conforme à la législation actuelle.

La proposition de loi présentée par notre groupe comporte diverses mesures propres à garantir un droit universel au logement effectif.

L’article 1er vise à redéfinir le droit au logement comme un droit universel, accessible à tous, quelle que soit la situation juridique de la personne sur le sol français. Cette conception est d’ailleurs celle qui prévaut dans la décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 1995, qui indique clairement que « toute personne a le droit de disposer d’un logement décent ». Dans cette optique, nous estimons, à l’instar de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité dans sa délibération du 30 novembre 2009, que la définition posée par l’article 1er de la loi DALO ne respecte pas cette dimension universelle, puisqu’elle conditionne le droit au logement à la régularité du séjour sur le territoire français, « dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d’État ». La prise en compte de ces conditions crée une discrimination inacceptable !

Certains d’entre vous, mes chers collègues, objecteront qu’il serait vain d’ouvrir le DALO aux sans-papiers, dans la mesure où ceux-ci ne sont pas éligibles au logement social. Cependant, je voudrais tout de même rappeler que nous considérons cette situation de non-droit comme scandaleuse, s'agissant de personnes qui contribuent pourtant à l’économie de notre pays !

En outre, nous souhaitons, à travers cette disposition, alerter les consciences sur le fait que le Gouvernement s’est engagé sur une pente glissante.

Concernant l’hébergement, tout d'abord, nous avons pu constater, à l’automne, qu’il existait au sein du Gouvernement une tentation d’instaurer une clause de préférence nationale, mais également la volonté de durcir les critères d’accession au logement social dans le cadre de la réforme du fichier des demandeurs de logement HLM, par le biais du décret du 29 avril 2010. Ce décret fixe en effet des conditions de plus en plus drastiques pour les migrants, s'agissant notamment de la durée minimale de validité de leur carte de séjour, portée de un à deux ans. Une telle mesure n’a d’autre vocation que d’exclure un grand nombre de migrants de l’accession au logement social.

Par ailleurs, d’un point de vue tout à fait pragmatique, exclure du droit au logement les personnes ne disposant pas de papiers constitue le plus sûr moyen de faire prospérer les « marchands de sommeil », qui bénéficient ainsi d’une clientèle captive.

Signalons que, face à l’accroissement des demandes d’expulsion, les maires de certaines communes, se fondant sur les obligations internationales contractées par l’État et leur pouvoir de police, ont parfois pris des arrêtés anti-expulsions dont la jurisprudence conteste aujourd'hui la légalité.

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. C’est normal !

Mme Odette Terrade, auteur de la proposition de loi. C’est pourquoi nous proposons que toute autorité publique ait qualité, sur le territoire de son ressort, pour s’assurer de la mise en œuvre effective du droit au logement opposable. En effet, le non-respect par l’État de ses engagements internationaux, notamment lorsqu’il est procédé à des expulsions locatives sans relogement de personnes ne pouvant se maintenir par leurs propres moyens dans un logement, constitue un trouble grave et manifeste à l’ordre public, qui justifie l’intervention de l’autorité de police municipale, dans le strict respect de la séparation des pouvoirs. Du reste, je le rappelle, c’est bien au nom du maintien de l’ordre public que l’État refuse parfois le concours de la force publique.

Une telle mesure relève également de l’esprit de l’article 28 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, aux termes duquel « toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet ».

Le droit au logement étant ainsi reconnu par ce texte international, nous considérons qu’il est du devoir de toutes les institutions de l’État, de l’échelon local à l’échelon national, ainsi que de toute personne investie d’une mission publique, de veiller à la pleine application dudit principe, c'est-à-dire, concrètement, à ce qu’aucune famille ne puisse faire l’objet d’une expulsion sans être assurée de bénéficier sans aucune solution de continuité d’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités.

L’article 2 de notre proposition de loi prévoit d’interdire le recours par le préfet à la force publique dans une procédure d’expulsion locative décidée en justice lorsque la personne visée n’est pas en mesure d’accéder à un logement ou de s’y maintenir par ses propres moyens et n’a pas obtenu de proposition de relogement adaptée à ses besoins et à ses capacités. Il s’agit là de mettre notre droit en conformité avec les engagements internationaux contractés par la France.

L’article 3 de notre proposition de loi reprend les préconisations formulées par le comité de suivi de la mise en œuvre du DALO, en vue d’interdire toute expulsion de personne reconnue prioritaire par une commission de médiation DALO ou étant dans l’attente d’une réponse d’une telle commission.

Nous sommes en effet au regret de constater que, s’il existe aujourd’hui des possibilités d’octroi de délais supplémentaires par le juge avant l’intervention de la puissance publique, dans la pratique, à défaut d’intervention législative, des expulsions sans relogement de personnes déclarées prioritaires au titre du  DALO pourront encore se produire. Cela nous semble tout à fait intolérable, et en contradiction totale avec non seulement l’esprit de la loi DALO, mais également les prescriptions internationales concernant le droit au logement.

Vous l’aurez compris, il ne s’agit pas de spolier les propriétaires,…

M. Alain Gournac. Ah ! (Sourires.)

Mme Odette Terrade, auteur de la proposition de loi. … car, comme le prévoit l’article 16 de la loi du 9 juillet 1991, aux termes duquel « le refus de l’État de prêter son concours ouvre droit à réparation », ceux-ci seront bien évidemment, le cas échéant, indemnisés par le fonds ad hoc.

Enfin, l’article 4 de la proposition de loi tend à garantir l’équilibre financier du dispositif que nous préconisons, en prévoyant la compensation du coût pour l’État de sa mise en œuvre.

Telle est, mes chers collègues, la philosophie de la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous soumettre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Mme Isabelle Pasquet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le droit au logement, érigé en « objectif à valeur constitutionnelle » voilà plus de quinze ans par le Conseil constitutionnel, est encore bien loin d’être effectif.

Ces dernières années, nous avons adopté des lois aux intitulés ambitieux – faisant référence à un « engagement national pour le logement », à un « droit au logement opposable », à une « mobilisation pour le logement », etc. –, mais, dans les faits, nous constatons une indéniable détérioration de la situation du logement, dont la crise économique, qui fait figure de « coupable idéal », est bien loin d’être seule responsable.

La présente proposition de loi vise à y remédier en prévoyant des mesures très concrètes de prévention des expulsions de locataires en difficulté, lesquelles menacent un nombre croissant de ménages et constituent un risque majeur d’exclusion, ainsi qu’en renforçant la portée du droit au logement opposable, le DALO, en vue de garantir un droit effectif au logement.

Avant de présenter le dispositif de ce texte, je voudrais insister sur la persistance de la crise du logement, que reflète l’importance des phénomènes de non-logement et de mal-logement et qui révèle les insuffisances de la politique du logement.

En effet, nous constatons chaque jour « l’extension de l’exclusion par le logement » dénoncée à juste titre dans le seizième rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre. C’est une réalité à laquelle nous sommes tous confrontés, comme l’ont bien montré les discussions très riches et ouvertes qui ont été les nôtres en commission. J’espère que nous aurons le même débat aujourd’hui en séance publique et, surtout, que celui-ci débouchera sur des mesures concrètes.

À partir, notamment, des résultats de la dernière enquête Logement, qui a été réalisée en 2006 – la situation n’a pas dû s’arranger depuis lors ! –, l’INSEE a publié récemment des estimations sur les situations de « grande difficulté » – absence de logement ou mal-logement – dans la deuxième moitié des années 2000. Mes chers collègues, vous en trouverez un compte rendu plus détaillé dans mon rapport écrit, mais je voudrais citer quelques chiffres significatifs.

Ainsi, 133 000 personnes seraient sans domicile, dont 33 000 vivraient dans la rue ou résideraient occasionnellement dans des structures d’hébergement d’urgence et 100 000 seraient accueillies temporairement dans divers dispositifs d’hébergement.

D’autres personnes, également dépourvues de logement personnel, recourent à des solutions individuelles : elles logent à l’hôtel à leurs frais ou sont hébergées chez des particuliers. En 2006, quelque 38 000 personnes vivaient à l’hôtel, y compris un nombre indéterminé de gens pris en charge au titre de l’hébergement social. De nombreux enfants vivaient dans ces conditions : 17 % de ces 38 000 personnes avaient moins de 18 ans.

Mme Isabelle Pasquet, rapporteur. Hors la population étudiante, diverses catégories de personnes sont hébergées par des tiers avec lesquels elles n’ont pas de lien de parenté direct.

Pour l’INSEE, le « noyau dur » des bénéficiaires de cet hébergement contraint représente 79 000 personnes âgées de 17 à 49 ans n’ayant pas les moyens d’avoir un logement indépendant, bien que 43 % d’entre elles travaillent.

Toutefois, plus de 50 000 personnes de plus de 60 ans sont également hébergées chez des tiers : ce sont le plus souvent des femmes et 53 % d’entre elles vivent dans les zones rurales. Leur situation tient à des difficultés financières, mais aussi à des problèmes d’isolement ou de santé.

Enfin, de nombreux jeunes adultes – 282 000, toujours selon les chiffres de l’INSEE – sont hébergés par leur famille non pas par choix, mais faute de pouvoir accéder à un logement personnel ou d’avoir pu s’y maintenir.

Le mal-logement concernerait, quant à lui, 2,9 millions de personnes occupant des habitations de fortune, sans confort ou surpeuplées.

À partir de ces données, l’INSEE estime à 3,2 millions le nombre de ceux qui ne peuvent accéder à un logement satisfaisant.

Le rapport de 2011 de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-logement en France évalue même à 3,6 millions le nombre des mal-logés, parmi lesquels sont inclus les gens du voyage ne pouvant accéder, faute de places en aires d’accueil, à des conditions de vie décentes. La différence avec les estimations de l’INSEE tient aussi à la difficulté de dénombrer les personnes sans logis ou recourant à des solutions de fortune : celles qui vivent dans des squats, des bidonvilles, en camping à l’année ou dans des locaux non destinés à l’habitation, ou celles qui dorment, comme un certain nombre de travailleurs pauvres, dans leur véhicule.

De plus, les investigations spécifiques de l’INSEE sur la population sans domicile et sur l’hébergement sont relativement anciennes : elles remontent à 1996 et à 2001 pour les personnes sans domicile et à 2002 pour l’enquête Logement sur l’hébergement.

La Fondation Abbé Pierre relève aussi que la demande de logement non satisfaite reste importante. Pour n’évoquer que les logements sociaux, qui n’accueillent encore qu’un ménage à bas revenus sur trois, le nombre des demandes s’élevait, en 2009, à 1 230 000. La même année, l’offre disponible était de 448 100 logements HLM, le niveau le plus bas au cours des années 2000 – 411 900 logements – ayant été atteint en 2005.

Cette inadéquation de l’offre s’aggrave, compte tenu de l’insuffisance des moyens de la politique du logement.

Cette insuffisance est d'abord celle des moyens administratifs et juridiques de l’État, relevée par deux rapports récents et importants.

Dans un rapport public de 2009 intitulé « Droit au logement, droit du logement », le Conseil d’État propose un certain nombre de pistes de réflexion pour repenser le droit du logement, par ailleurs défini comme « un arsenal impressionnant à l’efficacité limitée ». Il insiste en particulier sur la nécessité de permettre à l’État de disposer de nouveau « d’un appareil statistique de qualité et d’une expertise de haut niveau en matière d’urbanisme et de construction », outils sans lesquels il est impossible de fixer des objectifs pertinents à la politique du logement et d’élaborer une législation appropriée. Les auteurs de ce rapport soulignent également une autre nécessité : clarifier le rôle de l’État après « l’éclatement de la gouvernance du logement à laquelle on a assisté et qui pénalise d’abord les personnes défavorisées ».

De son côté, le Conseil économique, social et environnemental, dans son rapport de septembre 2010 intitulé « Évaluation de la mise en œuvre du droit au logement opposable », recommande l’élaboration d’une « stratégie de moyen-long terme » permettant de réorienter la politique du logement vers le développement de l’offre accessible.

Dans le domaine du logement et du développement de la cohésion sociale comme en d’autres matières, l’accumulation des textes n’est donc pas un gage d’efficacité de l’action publique, surtout – c’est le second point que je voudrais évoquer – quand l’effort budgétaire est insuffisant et les choix financiers contestables.

Mes chers collègues, il n’y a pas si longtemps que nous avons examiné la loi de finances pour 2011. Chacun se souvient donc des critiques qu’avait suscitées le budget du logement, y compris de la part des rapporteurs des commissions du Sénat, qui avaient relevé, notamment, l’érosion des moyens, la sous-évaluation persistante des dépenses d’hébergement d’urgence et la mise à contribution des organismes d’HLM et de la participation des employeurs à l’effort de construction pour compenser le désengagement de l’État.

Un objectif de construction de 120 000 logements en 2011 a été annoncé, mais ce chiffre élevé est-il réaliste ? Et quelles sont les perspectives de financement à moyen et à long terme de la politique du logement ?

Dans le même temps, malgré le rabotage affiché des niches fiscales, les finances publiques supportent toujours le poids des coûteuses mesures de défiscalisation, qui ont encouragé la réalisation d’investissements locatifs totalement déconnectés des besoins réels. Le seul dispositif Scellier devrait encore coûter cette année 320 millions d’euros, selon les estimations du ministère du budget,…

Mme Annie David. Vous les soignez, les propriétaires !

Mme Isabelle Pasquet, rapporteur. … pour des constructions qui, comme cela a été relevé en commission, ont parfois été réalisées dans des endroits où elles étaient inutiles et ne répondaient à aucune demande.

M. Guy Fischer. Voilà ! Venez à Lyon : de nombreux logements neufs sont vides !

Mme Isabelle Pasquet, rapporteur. La création du nouveau prêt à taux zéro renforcé, le PTZ +, accessible aux catégories de la population qui bénéficient des revenus les plus confortables, avait aussi de quoi surprendre : je me rappelle que notre collègue rapporteur pour avis des crédits de la mission « Ville et logement », Jean-Marie Vanlerenberghe, l’avait jugée « difficilement compréhensible ».

Comme le constatait le Conseil d’État dans son rapport public de 2009, il reste beaucoup à faire pour que le droit du logement soit « au service du droit au logement ». De même, on ne peut que partager les préoccupations exprimées par le comité de suivi de la mise en œuvre du DALO, qui, dans son quatrième rapport annuel, intitulé « L’État ne peut pas rester hors la loi », entendait lancer « un message d’alerte ».

La présente proposition de loi procède des mêmes constats et son dispositif, très resserré, traduit une double ambition : donner une portée plus générale au DALO et renforcer concrètement les moyens de lutte contre le développement des expulsions, donc contre la précarisation du logement.

Je présenterai brièvement les mesures proposées pour atteindre ces objectifs.

Tout d'abord, il faut élargir la portée du DALO. Personne ne s’attendait à ce que ce droit résolve, comme par magie, les problèmes d’accès au logement, et les rapporteurs du projet de loi au Sénat avaient été les premiers à le dire. De fait, on est loin de cette ambition !

En 2009, le Conseil d’État notait même que le DALO pourrait acquérir rapidement la réputation d’être « un droit en partie fictif ». Les chiffres semblent, hélas, lui donner raison. Pendant les trois premières années d’application de la loi, entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2010, ont été formulées un peu plus de 200 000 demandes – c’est peu, mais le DALO reste mal connu –, et moins de 25 200 personnes ont été effectivement logées ou hébergées à l’issue de la procédure. Même si l’on ajoute à ce chiffre celui des quelque 13 500 demandeurs dont le dossier a été traité avant son examen par la commission de médiation – cela peut d’ailleurs faire craindre qu’il n’ait pas été examiné avec beaucoup de diligence avant le dépôt du recours ! –, le bilan est sans commune mesure avec le nombre des ménages non ou mal logés.

Il me semble que le législateur, qui a voté la loi du 5 mars 2007 instituant le droit opposable au logement, ne peut se satisfaire d’un tel résultat. Il faut donc que le DALO soit effectivement défini comme un droit fondamental et que toutes les autorités publiques contribuent à le faire respecter.

À cette fin, l’article 1er de la présente proposition de loi prévoit, d'une part, d’élargir ce droit à toute personne résidant sur le territoire national, et, d'autre part, de donner compétence à toutes les autorités publiques pour s’assurer de sa mise en œuvre effective.

J’évoquerai successivement ces deux aspects.

Sur le premier point, je rappellerai que la loi du 5 mars 2007 était destinée à rendre effectif un droit fondamental qui est considéré comme universel par nombre de textes internationaux, dans la mesure où il transcende le statut administratif des individus, de même, par exemple, que le droit à une vie familiale, le droit à la santé ou la protection de l’enfance.

C’est pourquoi les auteurs de la proposition de loi considèrent que les clivages opérés par les textes en vigueur entre nationaux et étrangers, d'une part, et entre étrangers européens et extra-européens, d'autre part, contredisent l’affirmation d’un droit au logement opposable et garanti par l’État.

Les dispositions de la loi soumettant à des conditions de régularité et de durée de la résidence en France l’accès des étrangers au DALO ont d’ailleurs été critiquées.

Ainsi, la HALDE a adopté, en novembre 2009, une délibération aux termes de laquelle la différence de traitement entre étrangers communautaires et non communautaires constitue une discrimination.

Le Conseil d’État, pour sa part, a relevé que le texte en vigueur ne règle pas le cas des étrangers en situation régulière sollicitant un regroupement familial.

Cette ouverture du DALO serait par ailleurs cohérente avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle « la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle ».

En outre, laisser les étrangers en situation irrégulière à l’écart du DALO profite aux marchands de sommeil, puisqu’ils constituent pour ces derniers une clientèle captive et très lucrative.

Sur le second point, si la loi a fait de l’État le garant du DALO, il paraît utile, pour rendre ce droit plus effectif et satisfaire la demande de logements, d’inciter à une action concertée de toutes les autorités concernées.

S’il était adopté, cet article renforcerait donc la portée du DALO et exprimerait une volonté politique d’appliquer ce droit.

Toutefois, il faut aussi – c’est l’objet des articles 2 et 3 de la proposition de loi – lutter contre la multiplication des expulsions locatives, qui est la conséquence de la précarisation croissante du logement et qui contredit directement la garantie du droit au logement.

Depuis 2001, les loyers du parc privé ont augmenté de 83 % et ceux du parc HLM de près de 27 %. Avec la stagnation du pouvoir d’achat et la montée du chômage et du travail précaire, les dépenses de logement deviennent insupportables pour les travailleurs pauvres, les ménages à revenus modestes, mais aussi, de plus en plus, pour les personnes disposant de revenus moyens. En outre, les aides existant en la matière ne permettent plus de ramener à un niveau raisonnable le taux d’effort que représentent les dépenses de logement.

On le mesure au travers de l’augmentation continue du nombre des expulsions : 110 000 décisions judiciaires en ce sens ont été prononcées en 2009. Il faut cesser de fabriquer des exclus !

C’est pourquoi l’article 2 tend à interdire à l’État de prêter son concours à l’exécution d’une expulsion locative lorsque le locataire n’est pas en mesure d’accéder à un autre logement par ses propres moyens et n’a pas reçu de proposition de relogement adaptée.

Cette disposition permettrait, d'une part, d’inciter à la recherche de solutions de relogement adaptées lorsqu’un ménage ne peut pas, ou plus, faire face au coût de son logement, et, d'autre part, d’éviter la multiplication des expulsions locatives frappant des ménages qui sont fragilisés par la progression des dépenses de logement et que le moindre accident de parcours peut faire basculer dans l’exclusion.

Les propriétaires ne seraient pas lésés par la mesure proposée, puisque le refus de concours de la force publique leur permet d’obtenir une indemnisation équivalant au loyer et aux charges du logement.

L’article 3, quant à lui, s’inscrit plus spécifiquement dans le cadre du DALO. Il reprend – j’insiste sur ce point – des préconisations communes au Conseil économique, social et environnemental et au comité de suivi de la mise en œuvre du DALO. Il a pour objet de prévoir un sursis à l’expulsion des personnes ayant demandé à bénéficier du droit opposable au logement et d’exclure leur expulsion avec le concours de la force publique si la commission de médiation a conclu au caractère prioritaire de leur demande, tant qu’un logement adapté ne leur a pas été proposé.

Enfin, je ne m’étendrai pas sur l’article 4, qui prévoit un gage, sinon pour souligner que ce dernier ne serait en fait probablement pas nécessaire. En effet, le relogement des familles menacées d’expulsion, qui est la seule mesure conforme aux principes du DALO, est aussi la solution la moins coûteuse pour l’État.

Telles sont, mes chers collègues, les dispositions de cette proposition de loi à laquelle, vous l’aurez compris, je suis pleinement favorable.

Conformément à l’accord passé entre les présidents des groupes politiques, la commission des affaires sociales n’a pas adopté de texte, afin que ce soit la version initiale de la proposition de loi qui soit discutée aujourd’hui. Je souhaite que nos débats permettent d’emporter la conviction du Sénat quant au bien-fondé et à l’intérêt des mesures présentées. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)