Mme Odette Terrade. Cet article montre, s’il en était besoin, qu’une certaine conception, un peu paternaliste pour tout dire, de l’action publique outre-mer continue de perdurer dans l’esprit de quelques-uns ; cela vient d’être rappelé par mes collègues. Il prévoit en effet de donner tout pouvoir au représentant de l’État dans les nouvelles collectivités de Guyane et de Martinique, pour faire constater l’incapacité d’une collectivité à assumer les fonctions et les compétences qui lui sont confiées par la loi.

À vrai dire, cet article soulève deux problèmes.

En premier lieu, il est tautologique que s’exerce un contrôle a posteriori des actes des collectivités locales, fussent-elles soumises aux règles de l’article 73 de la Constitution. De ce point de vue, l’article 9 présente donc un caractère pour le moins superflu.

En second lieu, il faudra bien que nous mettions en place, dans les faits, les conditions permettant aux élus martiniquais et guyanais, qu’il s’agisse des nouvelles assemblées locales ou des assemblées communales, d’accomplir leurs missions en disposant des moyens matériels et financiers indispensables pour cela.

La discussion a montré, un peu à l’envi, que l’effort financier en direction de l’outre-mer, et singulièrement de la Guyane et de la Martinique, allait probablement connaître, ces prochaines années, une légère baisse. Il s’agit d’une sorte de non-dit de ce texte, mais son application risque de faire participer, un peu à leur corps défendant, les habitants de la Guyane et de la Martinique à l’effort de réduction des déficits et de maîtrise des finances publiques, alors même qu’il nous semblerait plus pertinent de nous demander, dans un premier temps, quels effets de la solidarité nationale peuvent permettre à la Guyane et à la Martinique de disposer des outils financiers leur permettant d’agir et de porter réponse aux attentes de leurs populations.

C’est donc tout naturellement que nous vous demandons, mes chers collègues, de voter cet amendement de suppression de l'article 9.

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour présenter l'amendement n° 26.

M. Bernard Frimat. L’amendement que je présente, au nom du groupe socialiste, est identique à celui que vient de présenter Odette Terrade. Plusieurs de mes collègues se sont exprimés pour dire leur opposition à l’article 9. Cette opposition était très forte par rapport à la rédaction initiale, mais elle demeure toutefois après les modifications apportées par la commission des lois pour « adoucir » la mesure.

Il faut bien noter – Jacques Gillot le rappelait à l’instant – que cet article s’applique à tout l’outre-mer. Cette mesure d’exception vient donc notamment frapper la Réunion, région qui a pourtant manifesté sa volonté d’être régie par le droit commun. Or le texte lui propose non pas le droit commun, mais un régime d’exception, qui s’applique à tout l’outre-mer. Cela nous semble anormal.

Le rapport de la mission d’information, déjà évoqué, est clair sur ce point. Or, dans une mission parlementaire, composée de personnes de sensibilités politiques différentes, la première exigence – je pense que vous vous y conformez tous, mes chers collègues, quand vous vous déplacez pour le Sénat –, est l’honnêteté intellectuelle, pour écouter et rendre compte fidèlement de ce que l’on a entendu. Le but d’une mission n’est pas de vérifier des faits préétablis, mais d’écouter et d’essayer de comprendre.

En l’espèce, la quasi-totalité des élus que nous avons rencontrés nous ont fait part de leur opposition à cette mesure qu’ils vivent comme une humiliation, ainsi que je l’ai dit ce matin lors de la discussion générale. Christian Cointat rappelait d’ailleurs que ce n’est pas nous qui avons parlé de « retour du gouverneur », mais que nous avons entendu cette expression de la bouche même de nos interlocuteurs. Nous n’avons donc fait que répéter ce que nous avions entendu.

Je ne pense pas que l’outre-mer mérite de se voir appliquer une loi d’exception. Qu’il y ait des difficultés particulières c’est un fait. Il faut s’en préoccuper et y faire face.

Cela dit, il faudrait aussi lancer une réflexion sur les normes. Les normes qui s’appliquent en métropole doivent-elles toutes s’appliquer de la même façon à l’outre-mer ? Certaines d’entre elles ne sont-elles pas géographiquement inadaptées ?

De toute façon, il y a d’autres moyens à mettre en œuvre pour parvenir à l’objectif visé que de soumettre les outre-mer à une loi d’exception.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Cointat, rapporteur. Je dois reconnaître qu’au cours de notre mission, comme l’a fort justement rappelé Bernard Frimat, nous avons constaté un tollé contre cet article 9. Personne ne s’est manifesté en sa faveur, à l’exception de Jean-Paul Virapoullé, qui va présenter un amendement tout à l’heure. Il est concerné puisque cet article ne s’applique pas seulement à la Martinique, à la Guadeloupe et à la Guyane, mais également à la Réunion et à Mayotte.

Nous avons donc constaté une opposition farouche. Mais il faut bien rappeler que la France a été condamnée pour n’avoir pas mis en œuvre ses obligations en matière de traitement des déchets, et qu’elle doit payer. On ne peut donc pas laisser les choses en l’état. C’est la raison pour laquelle la commission des lois n’a pas donné un avis favorable sur cet amendement, qu’elle n’a pas retenu dans son texte.

En revanche, n’oubliez pas qu’elle a substantiellement modifié le texte initial du Gouvernement. Or, puisque ce dernier n’a pas déposé d’amendement sur le texte de la commission, j’en déduis qu’il consent à notre version : « Qui ne dit mot consent ».

Pourquoi avons-nous modifié cet article sans le supprimer ? Pour créer les conditions d’un échange. En effet, pour éviter des catastrophes, en matière de déchets par exemple, il faut ouvrir la voie au dialogue. Or, pour qu’il y ait dialogue, il faut éviter la coercition et favoriser un échange constructif sur les obligations des uns et des autres.

La commission a donc proposé, je le rappelle pour nos collègues qui n’auraient pas perçu l’équilibre auquel nous sommes parvenus, que le préfet, qui représente le Gouvernement, sans s’ériger en « super maître d’œuvre », lance l’opération en préconisant la prise de certaines mesures. Si son impulsion n’est pas suivie d’effet, le Gouvernement reprend alors le dossier en main.

Il y a un certain parallélisme avec les mesures qui sont prises en cas de dissolution d’une assemblée de collectivité. Comme la dissolution peut être l’étape ultime d’un processus, l’état de carence, dans le cas qui nous intéresse, est également l’étape ultime, qui intervient après toutes les procédures de mise en demeure, d’échange, d’explication, d’information. S’il constate un véritable refus de la collectivité d’exercer ses compétences, l’État prononce finalement l’état de carence et agit à la place de la collectivité.

La proposition qu’elle soumet au Sénat lui semblant équilibrée, la commission a émis un avis défavorable sur les deux amendements de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le Gouvernement émettra bien évidemment un avis défavorable sur ces amendements, puisque, dans le projet de loi initial, il avait déjà introduit ce pouvoir de substitution.

Au demeurant, je tiens à dire à la représentation nationale qu’il ne s’agit absolument pas d’une loi d’exception.

Nous avons de vrais problèmes dans différents domaines en outre-mer, notamment dans celui du traitement des déchets, qui tend d’ailleurs à devenir un véritable problème de santé publique. L’intérêt général nous commande donc aujourd’hui de trouver des solutions et d’agir.

Si je peux comprendre le débat qui s’est instauré autour de la question de la libre administration des collectivités, je trouve – et je m’adresse à Jean-Étienne Antoinette, ultramarin comme moi – qu’il faudrait sortir de cette réminiscence permanente du pouvoir colonial, et voir les choses un peu différemment.

Force est de reconnaître, comme l’a fait le Conseil d’État, que les territoires qui nous intéressent dans cette discussion ont un handicap insulaire. En métropole, lorsqu’il y a carence, il est possible de s’appuyer sur les départements voisins ; ce n’est pas le cas en outre-mer.

Le Conseil d’État en a fait l’observation au Gouvernement, qui n’avait prévu ce pouvoir de substitution que pour la Martinique et la Guyane. Il lui a demandé de l’étendre à l’ensemble des départements et régions d’outre-mer. Je me suis rangé à son avis, ayant trouvé cette observation pertinente.

Nous avons la volonté de régler ces problèmes. Si l’État peut assumer cette responsabilité, à un moment donné, dans l’intérêt de nos compatriotes, il faut l’accepter, non comme une volonté de recentralisation, mais de façon positive, d’autant que la commission a encadré ce pouvoir.

Je me suis longuement exprimée ce matin pour rassurer la représentation nationale. J’ai par ailleurs indiqué que, dans ce domaine, contrairement à ce que j’ai pu entendre, nous ne cherchons pas à imposer notre point de vue. Nous recherchons les conditions d’un partenariat constructif avec les collectivités.

C’est ce que nous avons fait, Jacques Gillot l’a rappelé, s’agissant de la construction d’une usine d’incinération à Pointe-à-Pitre, pour laquelle je me suis impliquée personnellement, ainsi que le préfet Fabre. Je crois que nous sommes arrivés à une bonne solution, mais, si nous n’y étions pas parvenus, le pouvoir de substitution aurait été nécessaire, car cela faisait plus de dix ans qu’aucune solution n’avait été trouvée. Il fallait avancer et je me réjouis que nous ayons pu le faire.

M. le président. La parole est à M. Michel Magras, pour explication de vote.

M. Michel Magras. Je voudrais faire deux rappels pour commencer.

En premier lieu, le pouvoir de substitution n’intervient pas dans le domaine politique. Les élus sont maîtres et seigneurs, si j’ose employer cette expression, et ils font eux-mêmes les choix politiques pour leur collectivité.

En second lieu, le pouvoir de substitution existe dans les collectivités d’outre-mer relevant de l’article 74 de la Constitution, dont le territoire que je représente fait partie. Il se justifie par la large autonomie qui nous a été donnée.

En l’espèce, nous sommes en présence de deux départements d’outre-mer régis par l’article 73 de la Constitution, qui plus est régions ultrapériphériques de l’Europe, qui sont sur le point d’évoluer pour devenir des collectivités nouvelles, tout en restant dans le cadre de l’article 73, et demeurant régions ultrapériphériques. Il est normal, ainsi qu’il a été dit tout à l’heure, que les transpositions de directives européennes concernent l’ensemble du territoire, et donc ces nouvelles collectivités.

Par ailleurs, ces collectivités demeurent dans l’identité législative, puisque relevant de l’article 73. Le droit commun continue donc à s’y appliquer dans tous ses éléments.

Or la loi organique que nous avons votée tout à l’heure a prévu l’assouplissement du dispositif d’habilitation, ce qui signifie que l’on va confier aux collectivités d’outre-mer le droit d’intervenir dans des domaines qui n’étaient pas de leur ressort au départ. Ces collectivités vont donc bénéficier d’un droit supérieur aux autres : une habilitation qui leur permet d’intervenir dans tous les domaines.

À titre personnel, je comprends que le Gouvernement veuille garder un droit de regard et la possibilité de se substituer aux collectivités qui ne seraient pas en mesure d’intervenir en temps et en heure. Je suis d’accord pour dire, comme Mme la ministre, qu’il faut positiver et ne pas considérer la mesure de façon négative. L’élu peut déclarer qu’il n’est pas en mesure d’agir. À ce moment-là, le préfet intervient, non pas en tant que patron des élus, mais pour signifier au Gouvernement qu’il doit agir à la place des élus qui ne peuvent le faire.

M. Serge Larcher. Avec quel argent ?

M. Michel Magras. Avec l’argent de l’État ! C’est ainsi que je le conçois. Cela étant dit, je vais au bout de mon raisonnement. Le texte initial du Gouvernement me paraissait tout à fait recevable. Je soutiendrai d’ailleurs l’amendement de Jean-Paul Virapoullé.

La commission des lois a voulu, pour répondre à un certain nombre de critères, entrer dans tous les détails du dispositif Ce faisant, elle n’a fait que l’alourdir, puisqu’elle est allée jusqu’à imposer un décret en conseil des ministres, procédure qui n’est utilisée que dans les cas de dissolution des communes.

À titre personnel, je ne vois pas pourquoi on a modifié l’article 9, encore moins pourquoi on le supprimerait. Ma collectivité applique ce dispositif depuis quatre ans ; il ne nous gêne pas. Le dialogue avec le préfet est continu. Et si le Gouvernement veut passer outre les volontés politiques des élus – je réponds par là aux interrogations de Serge Larcher –, il doit réaliser sur ses propres deniers ce que les élus des collectivités ne sont pas en mesure de faire.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christian Cointat, rapporteur. Je précise à notre ami Michel Magras que tout cela se fait sur le compte non pas de l’État, mais de la collectivité : il ne faut pas se tromper, tout doit être clair !

C’est la raison pour laquelle nous avons volontairement alourdi un tant soit peu le dispositif, pour qu’un dialogue s’instaure et qu’une solution soit trouvée avant d’en arriver à une telle extrémité.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 17 et 26.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L’amendement n° 24, présenté par M. Virapoullé, est ainsi libellé :

I. – Alinéas 5 et 6

Rédiger ainsi ces alinéas :

« Art. L. 1451-1. - Sans préjudice des mesures qu’il lui appartient de prendre en vertu de l’article L. 2215-1, le représentant de l’État dans une collectivité régie par l’article 73 de la Constitution veille, sur le territoire de cette collectivité, à l’exercice régulier de leurs compétences par les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics.

« Lorsqu’une de ces collectivités néglige de prendre, ou de faire prendre par un de ses établissements publics, les mesures relevant de ses compétences et nécessaires à la sauvegarde de la santé publique, de la sécurité publique ou de l’environnement, ou au respect, par la France, de ses engagements européens ou internationaux, le représentant de l’État peut, après mise en demeure restée sans effet, arrêter, en lieu et place de cette collectivité, toute disposition appelée par l’urgence.

II. – Alinéas 7 à 10

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé.

M. Jean-Paul Virapoullé. Michel Magras a déjà défendu mon amendement avec talent ! Mais, puisque de nombreuses personnes se sont étonnées du fait que le texte de loi n’ait pas suscité d’émotion à la Réunion, je voudrais dépassionner le débat et vous demander quelques minutes d’attention.

Il ne faut pas analyser cet article 9 au travers du prisme de l’idéologie : le passé colonial, le gouverneur, le super-préfet, tout cela n’existe plus aujourd’hui ; les lois de décentralisation fonctionnent chez nous comme chez vous en métropole.

Et si de telles dispositions n’ont pas suscité d’émotion à la Réunion, c’est bien parce que nous les avons appréhendées au travers du prisme de la réalité, objectivement.

Voilà quelques années, nous avons subi un véritable drame, l’épidémie de chikungunya : 250 morts, 250 000 malades. L’État a dû financer un plan de lutte qui a coûté – écoutez-moi bien, mes chers collègues – 300 millions d’euros. Tout cela parce que la collectivité chargée de mettre en place le plan départemental des déchets ne l’avait pas fait, ne l’a toujours pas fait ; les fonds européens et les crédits d’État, eux, étaient disponibles, et ils le sont toujours.

Aujourd’hui, 800 000 habitants, pour des raisons idéologiques, ne peuvent pas bénéficier d’une usine d’incinération, parce qu’il y a trois écolos qui traînent dans le coin et qui disent : ça pollue, ça intoxique !

L’île de la Réunion, qui, malheureusement, n’a pas de tissu industriel, est par habitant, au même titre que les Antilles d’ailleurs, la terre au monde où l’on pollue le moins, en plus d’être ventilée par les alizés.

L’agglomération parisienne compte plusieurs usines d’incinération et, à proximité, vivent des millions de personnes. Je ne vois donc pas en quoi cela poserait un problème chez nous, d’autant que les procédés d’épuration et d’extraction ont atteint des niveaux de qualité extraordinaires.

Voilà un cas d’école, qui est une réalité encore aujourd’hui à la Réunion et qui montre à quel point, pour des raisons idéologiques subalternes, nous pouvons en arriver à desservir l’intérêt général.

C’est au nom de l’intérêt général que j’ai présenté cet amendement. La décentralisation, que j’approuve de toutes mes forces, comme vous, mes chers collègues, n’institue pas la lutte entre l’État et les collectivités, mais un partage de responsabilités : ensemble, nous formons la nation ; si un pan ne fonctionne pas, c’est toute la nation qui souffre.

Pour ma part, j’estime que les préfets font leur travail. On n’a jamais eu de cas où ils viennent s’immiscer dans les affaires de nos collectivités locales. Parfois, dans le domaine de l’environnement ou de la santé publique – le second étant, dans une certaine mesure, le corollaire du premier –, il y a urgence. D’où l’utilité d’avoir un dispositif qui fonctionne tel un extincteur.

Le fait de s’acheter un extincteur ne vous oblige pas à l’utiliser tous les jours et à tout propos. Mais l’avoir sous la main vous permet, en cas d’incendie grave, d’éviter des dégâts irréversibles.

M. le président. L’image est intéressante.

M. Jean-Paul Virapoullé. À mon sens, l’article 9 doit être considéré, non pas comme une provocation, mais comme un extincteur. Je vous propose donc d’approuver mon amendement pour rendre au dispositif son efficacité affaiblie par les propositions de la commission des lois.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Cointat, rapporteur. Je suis pour ma part convaincu de la justesse de la position de la commission des lois.

Je l’ai dit tout à l’heure, force est de constater que, dans sa rédaction initiale, l’article 9, à tort ou à raison, suscite un tollé en Guyane et en Martinique. Ce n’est pas le but que nous assignons à tout projet de loi censé devenir loi. Il y a donc, à l’évidence, quelque chose qui ne va pas pour que cela déplaise aussi fortement.

Nous n’avons rencontré aucun élu qui ne soit pas choqué – à tort ou à raison, j’insiste sur ce point – par ces dispositions. Lorsqu’on élabore un texte destiné à régir des personnes, ce n’est pas pour les fâcher, c’est pour améliorer leur sort et qu’elles en soient persuadées. Rien que pour cette raison, on ne peut pas revenir au texte du Gouvernement, fût-il le meilleur.

En définitive, un bon texte qui déplaît est toujours moins bon qu’un mauvais texte qui plaît.

M. Christian Cointat, rapporteur. Voilà pourquoi je préférerais que notre ami Jean-Paul Virapoullé retire son amendement.

Pour autant, le fait que cela déplaise n’est pas une raison pour ne pas faire ce qu’il faut. Il convient donc de donner au Gouvernement suffisamment de moyens. C’est le choix opéré par la commission : si le dispositif prévu est un peu plus lourd, je veux bien le reconnaître, cela a été fait sciemment. Il s’agit justement de montrer que, certes, la sanction finale demeure, avec une mise en œuvre aux frais de la collectivité, mais qu’un dialogue suffisant doit s’instaurer avant pour trouver la façon de régler le problème autrement.

Voilà pourquoi je souhaite que l’on s’en tienne à la voie médiane qu’a définie la commission. Je le répète, le texte du Gouvernement, repris par Jean-Paul Virapoullé, est, sur le plan théorique, tout à fait recevable ; mais il ne plaît pas. Plutôt que d’émettre un avis défavorable sur cet amendement, je préférerais donc que notre collègue le retire, après avoir reçu les explications du Gouvernement. Au reste, j’ai bien peur que l’amendement plaise beaucoup à Mme la ministre puisque c’est son texte à elle ! (Sourires.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. M. le rapporteur l’a indiqué, dans la mesure où l’amendement de M. Jean-Paul Virapoullé tend effectivement à revenir au texte du Gouvernement et à rendre plus opérant le pouvoir de substitution, le Gouvernement émet bien évidemment un avis favorable !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 24.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 90, présenté par MM. Patient, Antoinette, Gillot, S. Larcher, Lise et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 10

Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :

« Toutefois par dérogation à l’alinéa précédent, le Gouvernement ne peut pas prononcer l’état de carence :

« 1° Lorsque l’État n’a pas rempli les obligations relevant de sa compétence dans les domaines visés au deuxième alinéa ou n’a pas fourni à la collectivité ou à l’établissement public les informations nécessaires à l’exercice de ses compétences ;

« 2° Lorsque l’État, s’agissant des engagements européens de la France, n’a pas demandé que soient arrêtées des mesures spécifiques adaptées pour tenir compte des caractéristiques et contraintes particulières des collectivités relevant de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

« 3° Lorsque le budget de la collectivité ou de l’établissement public ne permet pas la prise en charge financière des mesures prévues au sixième alinéa.»

La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Tout en ne reniant pas ma position première, puisque je continue bien sûr à demander la suppression du pouvoir de substitution, je présente cet amendement d’appel qui vise à prévoir des cas d’exonération quand il ne s’agit pas d’un fait ne pouvant être imputé à la collectivité territoriale.

Il est intéressant de s’arrêter sur la question des déchets, le cas le plus probant en la matière.

La Guyane accuse en effet, sur le plan structurel, un retard considérable et cumule des handicaps qui se différencient de ceux des autres départements d'outre-mer. Deux contraintes fortes peuvent être mises en exergue.

D’une part, la collecte et le traitement des déchets dans les communes de l’intérieur sont difficiles et extrêmement coûteux en raison de la dispersion de la population et des difficultés d’accès ; le taux de collecte peut ainsi chuter à 20 % dans certaines communes.

D’autre part, il y a un décalage important entre le nombre de contribuables et le nombre de producteurs de déchets : l’assiette de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères est le revenu net cadastral servant de taxe foncière sur les propriétés bâties, ce qui entraîne en Guyane un nombre trop faible d’assujettis ; en outre, le cadastre n’est pas effectif sur l’ensemble du territoire.

Compte tenu de ces spécificités, je rejoins M. le rapporteur quand il déplore « que les autorités françaises n’aient pas pleinement utilisé les ressources que leur offrent les traités européens pour demander l’adaptation des règles communautaires, plutôt que d’accepter leur application rigide ». Il ajoute : « En effet, l’article 349 du traité instituant la Communauté européenne permet pour les régions ultrapériphériques, dont la Guyane et la Guadeloupe font partie, d’arrêter "des mesures spécifiques visant, en particulier, à fixer les conditions de l’application des traités à ces régions, y compris les politiques communes", afin de tenir compte des spécificités et contraintes particulières de ces régions. La possibilité d’adaptation qui figure à l’article 73 de la Constitution figure aussi dans les traités européens, mais elle n’est pas suffisamment demandée par la France. »

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Cointat, rapporteur. Je reconnais que l’amendement présenté par M. Patient est empreint d’une certaine habileté, mais je dois dire que seul votre rapporteur s’en est ému, car la commission des lois n’a pas du tout partagé ce sentiment et a émis un avis défavorable !

Je voudrais tout de même insister sur l’un des aspects de cet amendement. L’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne permet de prendre des mesures spécifiques pour adapter les règles communautaires aux régions ultrapériphériques de l’Union, afin de tenir compte de leurs contraintes particulières. On peut effectivement regretter que ces facultés d’adaptation ne soient pas davantage utilisées par les différents acteurs, aussi bien locaux que nationaux.

Sur la question, par exemple, des déchets en Guyane, il est patent que les règles européennes sont complètement inadaptées. Leur application représente un coût exorbitant dans un contexte géographique particulier – je rappelle que la moitié des communes ne sont pas accessibles par la route –, a fortiori pour des communes à la situation financière fragile, voire dégradée. L’application aveugle des règles européennes peut se révéler absurde.

Madame la ministre, je suis convaincu que nous devrions davantage solliciter la Commission européenne pour qu’elle propose des mesures d’adaptation en faveur de nos départements et régions d’outre-mer.

La question se pose d’ailleurs dans un autre domaine : l’agriculture. Lors de la négociation puis de la signature d’accords internationaux, il faut davantage penser à la situation des départements, régions et collectivités d’outre-mer, qui peuvent se trouver pénalisés par un certain nombre d’avantages accordés dans ce cadre.

Dans notre approche générale, ce sont des préoccupations dont il convient de tenir compte en amont. Cela étant, si la question posée est intéressante, la commission des lois est défavorable à l’amendement n° 90.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.

Sans me lancer plus avant sur la situation des régions ultrapériphériques au sein de l’Union européenne, je veux simplement rappeler, monsieur le rapporteur, l’engagement du Gouvernement, que vous connaissez, de faire en sorte que l’article 349 puisse être véritablement appliqué. Une expérimentation est d’ailleurs en cours à la Réunion, afin de nous mettre en mesure de déclencher les clauses de sauvegarde.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 90.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je vais mettre aux voix l’article 9.

M. Jacques Gillot. Je demande la parole pour explication de vote.

M. le président. Vous avez déjà expliqué votre vote au début de la discussion de l'article, mon cher collègue. Cela dit, vous êtes en droit de vous exprimer de nouveau. J’essaie de faire en sorte que tout se passe au mieux. Je rappelle simplement qu’il reste trois textes à examiner après celui-ci, et je commence à me poser des questions sur la suite de nos travaux.

Vous avez la parole, monsieur Gillot.

M. Jacques Gillot. Monsieur le président, à chaque fois qu’il s’agit de l’outre-mer, il y a toujours un autre texte qui suit… Si l’on veut faire du bon travail, il faut y mettre le temps !

En fait, je tiens à manifester mon étonnement de ce qu’un article ayant fait l’unanimité contre lui recueille un vote favorable du Sénat.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non, il s’agit du texte de la commission !

M. Jacques Gillot. Les deux rapporteurs de la mission d’information, MM. Frimat et Cointat, sont venus sur le terrain et ont souscrit au refus du texte. Or, ce soir, alors que tous les élus de Martinique et de Guyane présents parmi nous se sont prononcés contre l'article 9, la Haute Assemblée vote pour !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Jacques Gillot. C’est tout simplement ce que je souhaite faire observer. Alors qu’en commission le rapporteur était lui aussi opposé au texte, au moment du vote en séance publique il s’est déclaré pour. Nous qui voulions voter un dispositif pour les Martiniquais et les Guyanais, nous sommes obligés de voter aujourd’hui contre l’article 9 !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mon cher collègue, je ne peux pas laisser dire cela !

M. Jacques Gillot. C’est la vérité !