M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Ou de 15 % ?

M. Pierre-Yves Collombat. La manœuvre commence donc, comme je l’ai dit, par la définition de critères et cela se poursuit avec une règle qui permettra de ne pas les respecter. Le tableau finalement proposé ne respecte pas partout, en effet, le fameux « tunnel ». Plus exactement, il y parvient grâce à un artifice : l’exclusion des départements à quinze conseillers territoriaux du calcul de la moyenne.

Je cite la décision du Conseil constitutionnel : « il revient au Conseil constitutionnel de procéder à l’examen des écarts de représentation au sein d’une même région sans prendre en compte les départements dans lesquels le nombre de conseillers territoriaux a été fixé, en raison de leur faible population, en application de ce seuil ; »

Voila pourquoi la ventilation des sièges de conseillers territoriaux entre les départements de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, par exemple, n’a pas été sanctionnée, ce dont pour ma part je me félicite, bien qu’un conseiller des Hautes-Alpes représente 42 % de la moyenne régionale et trois fois moins d’habitants qu’un conseiller des Bouches-du-Rhône.

En revanche, le tableau initial a été rejeté pour la Lorraine où les écarts étaient moindres : un conseiller de la Meuse y représentait 59 % de la moyenne régionale et deux fois moins seulement – contre trois – qu’un conseiller du département le plus peuplé de la région, la Moselle.

M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas eux qui vont l’appliquer !

M. Pierre-Yves Collombat. Les régions Lorraine, Auvergne, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Pays-de-la-Loire et Rhône-Alpes, dont les effectifs ont été censurés, sont les moucherons nécessaires pour faire croire à l’indépendance du Conseil constitutionnel et à l’objectivité quasi mathématique de ses décisions. C’est tellement clair que je ne m’y attarderai pas.

Le Gouvernement est donc parvenu au terme de la partie législative de son projet de reconquête des départements et des régions. Reste le plus difficile : la partie pratique et politique lors des prochaines échéances.

Pour nous en tenir au débat de ce jour, la conclusion qui s’impose est celle d’un immense gâchis.

Les élus de proximité seront plus rares là où ils seraient les plus utiles, en zone rurale, et plus nombreux encore dans les zones urbaines, où ils ne seront pas plus proches de leurs électeurs après la réforme que ne le sont les conseillers généraux et régionaux d’aujourd’hui. S’ils sont élus d’une métropole, ils ne pourront même pas intervenir dans les domaines de compétence départementale ou régionale transférés, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. Et que l’on ne vienne pas me dire que les territoires ruraux gagneront en représentation régionale ce qu’ils perdent en représentation départementale !

Tout d’abord, la collectivité qui compte le plus pour ces territoires, c’est le département et non la région. Or, s’il y a plus de conseillers régionaux de départements ruraux qu’actuellement, il y aura, en revanche, moins de représentants des territoires ruraux au conseil général, sinon au conseil régional. En effet, le redécoupage des cantons favorisera les parties les plus urbaines des départements, qu’ils soient ruraux ou urbains, où se concentre l’essentiel de la population.

Ensuite, le fait de prétendre que, plus nombreux, ils pourront mieux se faire entendre dans des assemblées régionales pléthoriques est pour le moins contestable. C’est d’ailleurs là que se pose le deuxième problème pratico-politique : il suffit de regarder le tableau qu’on nous demande d’adopter pour prendre peur !

Dans toutes les régions, soit les effectifs augmentent soit ils explosent.

Avant la réforme, six conseils régionaux métropolitains présentaient des effectifs inférieurs à 50 membres, onze d’entre eux avaient des effectifs compris entre 50 et 100 membres et trois d’entre eux des effectifs compris entre 100 et 200 membres, l’Île-de-France, avec 209 membres, étant la seule région à dépasser ce plafond.

Après la réforme, aucun conseil régional ne présentera des effectifs inférieurs à 50 membres : dans trois conseils régionaux, les effectifs seront compris entre 50 et 100 et, dans treize d’entre eux, ils seront compris entre 100 et 200. Les effectifs des cinq conseils régionaux les plus importants s’échelonneront de 211 à 308 membres.

Et, cerise sur le gâteau, malgré la baisse globale des effectifs des conseillers généraux, ceux-ci voient leurs effectifs augmenter dans treize départements, et parfois de manière importante, comme en Haute-Garonne, avec une augmentation de 70 %, dans les Bouches-du-Rhône, avec une augmentation de 31,5 %, dans le Rhône, avec une augmentation de 27,8 %, ou encore en Gironde, avec une augmentation de 25,4 %.

M. Jean-Louis Carrère. Pour autant, ils ne gagneront pas l’Aquitaine ! Ni les Landes d’ailleurs ! (Sourires.)

M. Pierre-Yves Collombat. Certes, la réforme n’améliorera pas, tout le monde en conviendra sans doute, la qualité du débat démocratique et du travail fourni, mais les économies substantielles à réaliser au bout du compte justifient, nous dit-on, cette réforme.

Malheureusement, à y regarder de plus près, tel n’est vraiment pas le cas.

Selon l’étude d’impact, l’économie se limiterait à 44,9 millions d’euros, contre 70 millions d’euros initialement prévus, soit 0,6 ‰ – je dis bien 0,6 ‰ ! – des dépenses réelles de fonctionnement des départements et régions.

Toutefois, prudemment, l’étude d’impact ignore l’augmentation prévisible des frais de déplacement et, surtout, des frais de fonctionnement dus à l’explosion des effectifs des conseillers régionaux. Cette même étude ne semble pas non plus avoir intégré que les 108 conseillers généraux parisiens supprimés ne disparaîtront pas. En effet, ils continueront à être indemnisés comme conseillers municipaux de Paris, sauf à créer deux catégories de conseillers parisiens.

À ces études d’impact bidon, nous préférons celles des intéressés, lesquels prévoient, avec la réforme, une forte croissance des dépenses de fonctionnement. Ainsi, selon le président de la région Midi-Pyrénées, celles-ci seraient multipliées par trois pour sa région.

De plus, il reste aussi à financer les constructions ou aménagements d’hémicycles, la construction de nouveaux bureaux, de salles de réunion et de parkings rendus nécessaires par l’explosion des effectifs des conseillers régionaux. Coût prévisionnel : 1 milliard d’euros ! Certes, c’est une bonne nouvelle pour le BTP, mais quel coût !

Chers collègues de la majorité, vous êtes aujourd’hui conviés à boire la lie du calice au motif que la messe est dite depuis décembre 2010 et qu’il est urgent de passer à autre chose. Nous pouvons vous comprendre : certes, c’est vrai, mais seulement provisoirement, car la prétendue « réforme » des collectivités territoriales, qu’il conviendrait plutôt d’appeler une « déforme », si le mot existait, posera de tels problèmes d’application qu’il faudra nécessairement y revenir, que vous le vouliez ou non, et ce quelle que soit l’issue de la prochaine élection présidentielle.

Pour notre part, aujourd’hui pas plus qu’hier, nous ne cautionnerons la mise en pièces des institutions territoriales qui assurent la présence de la République et du service public sur l’ensemble de notre territoire, qui réalisent 70 % de l’investissement public, et dont le niveau d’endettement ne peut que faire rêver l’État ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Monsieur le président, mes chers collègues, je dispose de trois minutes pour vous exposer les raisons pour lesquelles je voterai contre ce texte. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On le sait déjà !

M. Philippe Adnot. Ce n’est pas, monsieur le ministre, que ce texte relatif à la répartition des conseillers territoriaux dans les départements et les régions soit injuste ou que je vous reproche quoi que ce soit ! Vous savez l’amitié que je vous porte. Je voterai contre ce texte parce que je vous veux, au contraire, du bien ! (M le ministre s’esclaffe.) Et je ne veux pas que mon nom soit associé à une réforme qui a pour première conséquence de multiplier le nombre de conseillers régionaux.

Alors même que notre pays cherche à maîtriser ses coûts de fonctionnement, il augmente le nombre des conseillers régionaux ! Dans ma région, le nombre des conseillers régionaux passe de 49 à 138 ! Qu’allons-nous dire à nos concitoyens ?... Oui, nous voulons maîtriser la dépense publique, mais nous allons augmenter le nombre des conseillers régionaux, car cela coûtera beaucoup moins cher !

Vous pouvez avancer toutes les explications que vous voudrez, il n’y a pas un seul pays démocratique qui suive cette voie ! Et chacun d’entre nous devrait prendre conscience des effets de la mesure que l’on nous demande de voter. Pour ma part, je ne veux pas entrer dans les annales de l’histoire de la République pour avoir voté une telle réforme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Jacqueline Gourault applaudit également.)

Si encore les objectifs de la réforme, telle la maîtrise de la dépense publique, étaient atteints… Mais nous savons tous que celle-ci coûtera beaucoup plus cher que prévu compte tenu des frais de déplacement, des nouvelles salles de réunion à aménager, du coût de fonctionnement des partis politiques et du coût des personnels administratifs.

Et qu’en sera-t-il de la parité, de l’équilibre entre les hommes et les femmes, au moment même où le débat fait rage ? Ce texte va réduire considérablement la présence des femmes dans les assemblées.

Mme Françoise Laborde. C’est vrai !

M. Philippe Adnot. À mon avis, dans un tel contexte, on devrait vraiment s’interdire aujourd'hui de voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

On nous dit qu’il y aura une meilleure coordination. Mais enfin, avec 138 conseillers régionaux au lieu de 49 dans ma région, ce sera évidemment la foire d’empoigne ! Je ne vois pas comment ce pourrait être plus simple, plus fonctionnel, plus rationnel !

On nous dit également que les responsabilités seraient mieux partagées. Mais ce sera tout le contraire !

En fait, cette réforme a été conçue pour détruire la décentralisation au niveau des régions et des départements, avec la suppression de la clause de compétence générale.

M. Philippe Richert, ministre. Non !

M. Philippe Adnot. Monsieur le ministre, en tant que président du conseil général de l’Aube, je suis actuellement le maître d’ouvrage de la réalisation d’une université, qui m’a été confiée par l’État et la région. Avec ce texte, ce ne sera plus possible.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais si !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Bien sûr que si !

M. Philippe Adnot. Je vous le dis très clairement, cette réforme, c’est la fin du droit à l’initiative ! C’est la fin de l’originalité des territoires !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Ce n’est pas vrai !

M. Philippe Adnot. Nous n’avons pas envie de nous ridiculiser. Ne pas voter ce texte, c’est stopper cette réforme et dire très clairement à l’ensemble de la nation que nous avons un devoir d’assistance à organisation territoriale en danger ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la création du conseiller territorial par la loi du 16 décembre 2010 fut, c’est le moins que l’on puisse dire, un accouchement dans la douleur. Or, six mois plus tard, cet enfant mal-né n’est toujours pas viable en dépit des tentatives de réanimation pourtant nombreuses...

Les radicaux de gauche, comme tous les opposants à cette funeste réforme, n’ont pourtant eu de cesse de dire à vos prédécesseurs, monsieur le ministre, à quel point la création de ce nouvel élu hybride et « hors sol » ne répondait à aucun impératif démocratique, ni à aucune nécessité pour le bon fonctionnement des collectivités.

Pis encore, le débat au Parlement, et plus spécialement au Sénat, a été marqué par un véritable passage en force qui en dit long sur la réelle volonté de concertation et la capacité d’écoute du Gouvernement…

M. Jean-Michel Baylet. … sur un sujet pourtant essentiel pour l’ensemble de nos concitoyens.

Je ne m’appesantirai pas sur les conditions, disons-le, véritablement ubuesques dans lesquelles la commission mixte paritaire a eu à se prononcer sur ce texte, …

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Comment cela ?...

M. Jean-Michel Baylet. … notamment sur un amendement destiné à arracher à certains sénateurs leur vote sur l’ensemble du projet de loi dans des conditions plus que discutables.

Hélas, le Sénat a fini par céder, et ce pour le plus grand malheur des collectivités.

Et que dire du mode de scrutin dont il ne fallait pas parler initialement, mais qui, soudainement, a été intégré au texte, renvoyant le projet de loi n° 61 au cimetière des belles paroles ?...

Que dire aussi de la répartition des compétences, un sujet fondamental, tant l’organisation institutionnelle des collectivités est devenue, au fil des lois, une usine à gaz, qui risque de paralyser l’action publique locale ?...

Que dire encore de la répartition des conseillers territoriaux par département et par région introduite subrepticement par le Gouvernement au travers d’un amendement déposé nuitamment lors de la première lecture à l’Assemblée nationale, sans même que la commission des lois, contrairement à toute tradition, ait pu l’examiner au préalable ?

Si l’on reproche parfois aux parlementaires de faire un usage excessif de leur droit d’amendement, on peut dire que, en l’espèce, le Gouvernement a complètement détourné le sien de sa finalité, en contournant l’article 39 de la Constitution.

M. Didier Guillaume. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. C’est donc bien tout le Parlement qui a été mis devant le fait accompli, pour ne pas dire plus exactement « le fait du prince », …

M. Jean-Michel Baylet. … face à une réforme mal conçue dès l’origine, car dogmatique et partisane.

Pourtant, s’il est un sujet qui impose la concertation et la recherche du consensus, c’est bien celui qui touche à nos collectivités territoriales, elles qui œuvrent quotidiennement pour renforcer le lien social et faire fonctionner les services publics.

Monsieur le ministre, les radicaux de gauche étaient à l’origine, vous le savez, ouverts à une remise à plat de la décentralisation, et avaient même salué en leur temps les conclusions de la mission Belot.

Oui, nous étions prêts à discuter de nombreux points : la simplification de la structuration des collectivités, l’intégration des communes isolées, la rationalisation et l’achèvement de la carte intercommunale et celle des syndicats, le développement de la mutualisation des moyens, la mise en place d’une réelle péréquation, ainsi qu’une fiscalité locale plus juste.

Mais l’entêtement du Gouvernement à créer coûte que coûte le conseiller territorial a fini de démontrer que le dialogue n’avait pas sa place dans cette réforme.

Évidemment, on nous opposera – vous le ferez vraisemblablement tout à l’heure ! – que, dans sa décision du 9 décembre dernier, le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel de la réforme. La seule disposition qui a été déclarée inconstitutionnelle concerne précisément la répartition des conseillers territoriaux par département et par région dont nous sommes aujourd’hui saisis. Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur la composition du Conseil et le mode de nomination de ses membres, la question ayant récemment fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité !

Surtout, c’est peu dire que nous n’avons pas été convaincus par les arguments exposés par le Conseil constitutionnel pour donner un quasi-quitus au Gouvernement ; mais c’était prévu et nous n’avons pas été surpris. Il ne s’est finalement préoccupé ni de l’égalité de représentation des citoyens, ni de la parité, ni de la façon dont devront fonctionner des conseils régionaux pléthoriques et des conseils généraux souvent réduits à peau de chagrin, les territoires ruraux étant en particulier les grands perdants de cette réforme, alors qu’ils subissent chaque jour le désengagement de l’État et le démantèlement des services publics ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. Didier Guillaume. C’est bien vrai !

M. Jean-Michel Baylet. Au final, l’objectif poursuivi par la création du conseiller territorial est bien dérisoire au regard des besoins urgents des collectivités. Les 3 493 conseillers territoriaux, trois de moins que le tableau censuré, remplaceraient les 5 657 conseillers généraux et conseillers régionaux actuels, pour réaliser une économie d’à peine plus de 60 millions d’euros par an, à comparer – cela vient d’être excellemment dit – au coût de l’agrandissement des hémicycles des conseils régionaux estimé à un milliard d’euros et surtout aux 22 milliards d’euros de dépenses sociales que les départements ont dû financer en 2010 du fait du désengagement de l’État et de son refus d’honorer ses propres engagements. (Bravo ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. Didier Guillaume. C’est cela la réalité !

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le ministre, la véritable urgence est de rendre enfin aux collectivités les moyens financiers d’une autonomie de décision assumée, et non de les entretenir dans une dépendance maquillée et surtout désastreuse pour nos territoires.

De plus en plus de conseils généraux sont au bord de la faillite ; dans une étude d’avril dernier, l’agence de notation Standard & Poor’s a même estimé que, face à la pression des dépenses sociales qui pèse sur les conseils généraux, le Gouvernement n’a pour le moment apporté que de « simples pansements budgétaires ». En clair, le fonds d’urgence et le fonds de péréquation des droits de mutation à titre onéreux n’empêcheront pas « une détérioration des performances financières, voire une impasse budgétaire pour certains départements ».

En conséquence, les radicaux de gauche manifesteront une fois de plus leur opposition en votant contre ce texte,...

M. Philippe Richert, ministre. C’est dommage !

M. Jean-Michel Baylet. ... qui, s’il était malheureusement adopté, consacrerait définitivement la création du conseiller territorial. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne doute pas que le Gouvernement se serait bien passé de ce nouveau projet de loi sur la répartition des conseillers territoriaux. Je pense même que, s’il avait pu éviter de soumettre au Sénat cette modification imposée par la décision du Conseil Constitutionnel, il n’aurait pas hésité un instant, tant il doit avoir en mémoire les débats qui se sont déroulés dans notre hémicycle à propos de la création de ce conseiller territorial.

Il doit se souvenir qu’il n’avait pas de majorité pour supprimer les conseillers généraux et régionaux, pour créer ces conseillers hybrides qui finiront par perdre leurs deux têtes, faute de savoir vers quel horizon se tourner, ou par laisser l’une d’entre elles s’atrophier au profit de celle qui embrassera la plus grande vision !

Ainsi, sans une révision constitutionnelle, telle que la préconisait d’ailleurs le rapport du comité Balladur, les départements vont dépérir, s’évaporer. Ils deviendront les administrations déconcentrées des régions, grâce à la mise en place, dès 2014, des schémas d’organisation des compétences et de mutualisation des services entre les départements et la région.

La réforme de l’intercommunalité instituera également une nouvelle répartition des compétences et réduira les pouvoirs des départements. Les élus deviendront peu à peu de simples administrateurs exécutant des politiques publiques nationales de solidarité et des politiques régionales dans les domaines qui leur seront dévolus.

D’ailleurs, avec la diminution de plus de 400 conseillers généraux siégeant dans les assemblées départementales, et des réductions fortes de près de 50 % dans certaines d’entre elles, les élus départementaux ne disposeront plus des moyens nécessaires à la mise en œuvre des politiques publiques de proximité, au plus près des préoccupations de leurs concitoyens.

De surcroît, siégeant aussi à la région, ces élus ne disposeront plus du temps nécessaire à l’écoute et aux montages concertés des solutions à apporter aux besoins et aux attentes exprimés par les habitants de leur département.

En éloignant les élus départementaux de leurs concitoyens, l’objectif affiché par le Gouvernement est, bien entendu, de réduire les dépenses publiques, quitte à réduire la démocratie locale. La proximité incite en effet les élus à mieux répondre aux besoins qui s’expriment. Il est, bien sûr, plus difficile de dire « non », les yeux dans les yeux, à des citoyens forts de leurs attentes et de leurs arguments, que de leur répondre par l’intermédiaire d’un personnel territorial en charge d’assurer la mise en œuvre des politiques définies et n’ayant pas le pouvoir d’amender ces dernières et encore moins d’y déroger.

Mais cette disparition progressive de nos départements ne va pas pour autant renforcer nos régions.

Leurs élus, ces futurs conseillers territoriaux, ne seront plus des élus régionaux, élus sur des programmes d’action de dimension régionale ; ils seront des représentants de cantons.

L’article 5 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales précise que le conseil régional est dorénavant « composé des conseillers territoriaux qui siègent dans les conseils généraux des départements faisant partie de la région. ». C’est clair !

Ainsi, nous revenons sur les lois de décentralisation de 1982, qui transformèrent nos régions en collectivités locales de plein exercice, alors qu’elles avaient été instituées sous la forme d’établissements publics, gérés par des assemblées composées, entre autres, de représentants des départements.

Le même article de la loi de réforme des collectivités territoriales renvoie à l’article 4131-1 du code général des collectivités territoriales qui prévoit que « les régions sont administrées par un conseil régional élu au suffrage universel direct. »

Mais le fait que ceux qui siégeront au conseil régional représenteront désormais les départements crée une réelle ambiguïté juridique entre les deux alinéas de l’article 5 de la loi du 16 décembre 2010 et fait peser un doute sur la compatibilité entre les notions d’élu au suffrage universel direct et de représentant des conseils généraux.

Pour lever cette ambiguïté, il suffira alors de biffer le premier alinéa de l’article L. 4131-1 du code général des collectivités territoriales.

Ainsi, on le voit, la création et le mode d’élection de ce conseiller territorial constituent, en fait, une machine de guerre contre la décentralisation. Elle a pour vocation non seulement de réduire l’action des départements, mais aussi de transformer nos assemblées régionales en limitant leur représentation de la souveraineté populaire.

Si l’on ajoute à cela l’encadrement des compétences des départements et des régions, leur spécialisation et la suppression de leur compétence générale, hormis quelques exceptions comme pour la culture et le sport, on aboutit à la mise en place d’établissements publics territoriaux, véritables administrations déconcentrées qui seront certes gérées par des assemblées d’élus, mais qui ne disposeront que du pouvoir de mettre en œuvre des politiques décidées ailleurs !

Cette recentralisation autoritaire entraînera, de facto, un amoindrissement de la démocratie locale. En effet, en supprimant l’élection à la proportionnelle pour les assemblées régionales, le pouvoir UMP tente de réduire la présence des diverses sensibilités politiques en opposition à sa politique qui existent dans notre pays, afin de favoriser le pouvoir d’un homme et de son parti. Il espère ainsi reprendre les directions régionales que les citoyens lui ont retirées par leur vote.

De plus, chacun reconnaît que ce mode de scrutin est un puissant frein à la présence des femmes parmi les futurs élus.

Pour le Conseil Constitutionnel, rien dans cette loi n’interdit aux femmes de se présenter et d’être élues. De ce fait, la lettre du deuxième alinéa de l’article 1er de la Constitution semblerait ne pas être remise en cause. Mais chacun sait qu’avec cette loi le plafond de verre qui freine l’accession des femmes à des postes de responsabilités électives sera renforcé. Ne pas le reconnaître est hypocrite. Ainsi, l’esprit de notre loi fondamentale est, sans contestation possible, largement ignoré.

Pour finir, permettez-moi de revenir sur le principal argument avancé par le pouvoir pour justifier la création de ce conseiller territorial. Je veux bien entendu parler de cette billevesée qu’est l’annonce d’une prétendue baisse des dépenses grâce à la réduction du nombre d’élus !

Selon l’étude d’impact, la baisse ne représenterait que 0,5 % des dépenses de fonctionnement. Outre le fait que c’est peu, c’est faire fi d’autres réalités !

En effet, cette baisse relative cache en fait une hausse considérable des coûts pour les régions, qui verront leur nombre d’élus doubler, puisqu’il y aura désormais, avec cette loi, 3 493 conseillers régionaux au lieu de 1 757 actuellement. Quand on sait qu’avec la réforme des finances locales les régions ne lèvent plus d’impôts, on comprend que cette hausse aura des incidences non négligeables sur leur budget et, par conséquent, sur leurs projets.

Mais l’étude d’impact manque de sérieux car, outre les frais d’investissement nécessaire pour construire les nouveaux hémicycles qui accueilleront les nouveaux élus, il faudra aussi d’autres locaux de réunion, d’accueil, et des bureaux.

Il y aura aussi de fortes hausses des frais de fonctionnement qui ne sont pas mentionnées dans l’étude d’impact : coûts de secrétariat, de télécommunications et de déplacements, sans compter les défraiements pour les suppléants dont il a été question lors de nos débats sur la réforme des collectivités locales.

A minima, il y a donc mensonge par omission de la part du Gouvernement sur le coût de cette réforme !

Aussi, après la volonté affichée de réduction du millefeuille institutionnel sous-tendant artificiellement cette réforme, qui s’est finalement soldée par la création de nouvelles strates institutionnelles, voici que la recherche d’économies sur les dépenses d’élus va se solder par des dépenses en hausse !

Ainsi, la preuve est faite que là n’était pas l’objectif de cette réforme ! L’objectif du Gouvernement est clair : c’est la casse de nos institutions locales et de nos services publics locaux, la recentralisation, la réduction de la dépense publique, l’ouverture au privé de nouveaux secteurs d’activité et la mise à mal de la démocratie locale, laquelle fonde pourtant notre République. Les élus l’ont bien compris et, monsieur le ministre, vous en avez d’ailleurs été témoin dernièrement sur le terrain.

Aussi, vous comprendrez pourquoi nous sommes vent debout contre cette réforme des collectivités territoriales, et plus précisément contre ce texte qui fera disparaître les conseillers généraux et régionaux.

En le rejetant, le Sénat rendrait possible une autre réforme. Il n’y a aucune urgence à légiférer, encore moins avec engagement de la procédure accélérée ! Et si en 2012, demain, une autre majorité se rassemble à gauche, nous agirons pour l’abrogation pure et simple de l’ensemble de cette réforme...