M. Bruno Sido. Un exemple pris au hasard…

M. Jean Desessard. … que vous n’osez plus prétendre impossible, face à une pandémie humaine ou animale, face à une nouvelle déflagration économique, que votre incapacité ou votre manque de volonté de réformer la finance rend toujours possible à court terme ? Rien !

La force de l’urgence balaiera vos carcans comptables, administratifs ou constitutionnels et il faudra dépenser sans compter pour affronter la crise. On aura simplement décrédibilisé un peu plus un pouvoir politique qui aura pensé un jour pouvoir se dispenser d’assumer, en temps réel, ses responsabilités fondamentales.

Le seul intérêt que l’on aurait pu trouver à ce projet de loi constitutionnelle est de rappeler solennellement aux décideurs publics la responsabilité qui est la leur dans la gestion des finances publiques. Hélas ! l’article 34 de la Constitution dispose déjà que « les orientations pluriannuelles des finances publiques s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes ».

En conclusion, que doit-on retenir de ce texte ? D'abord, qu’il constate la faillite de la gestion de l'État par votre majorité ; ensuite, qu’il s’agit d’une loi antidémocratique qui censure, entrave et réduit le travail du Parlement ; enfin, que c’est une loi irresponsable puisque, devant les citoyens, le politique abandonne sa responsabilité pour l'enfermer dans un carcan comptable fixé par les marchés financiers.

De même qu’au football le « but en or » signifiait la fin de la partie, cette « règle d’or » signifiera la fin du débat, la fin de la décision politique, la fin du pouvoir du Parlement.

Nous ne pouvons accepter de brader ainsi la démocratie. Aussi, les sénatrices et sénateurs écologistes voteront fermement contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Desessard, la règle du « but en or », qui s’appliquait effectivement aux compétitions européennes, n'a jamais empêché le jeu de se dérouler ; elle a juste permis de désigner le vainqueur. Pareillement, cette révision constitutionnelle n’empêchera jamais le Sénat ni l’Assemblée nationale de débattre ; elle permettra simplement de fixer un cap et de définir une méthode de travail.

Je tiens à remercier Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois, ainsi que Jean Arthuis et Philippe Marini, rapporteurs pour avis de la commission des finances. Je remercie également Alain Vasselle, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, Jean-Paul Emorine, rapporteur pour avis de la commission de l’économie, ainsi que tous les orateurs qui ont soutenu l'esprit et la philosophie globale de ce texte.

Trois idées simples sous-tendent ce projet de révision constitutionnelle.

Premièrement, comme je l'ai dit au cours de mon propos liminaire, ce texte a pour objet de créer les « lois-cadres d’équilibre des finances publiques ». Ce nouvel instrument juridique, pertinent et utile, permettra à tous les gouvernements, quels qu'ils soient, de tendre vers les objectifs intangibles de réduction des déficits, objectifs qui font partie des engagements de notre pays vis-à-vis de nos partenaires européens.

Désormais, nous devons nous inscrire dans une philosophie radicalement différente de celle qui a trop longtemps prévalu et renoncer progressivement à l'addition de dépenses publiques qui ne sont pas toujours pertinentes, à l'addition de mesures dérogatoires au droit commun, ce qu'on appelle communément les niches fiscales ou les niches sociales.

M. François Baroin, ministre. Nous devons nous inscrire résolument et durablement dans cet objectif d'équilibre des finances publiques.

Aux orateurs qui ont montré un certain scepticisme, qui craignent que le pouvoir d’initiative du Parlement ne soit altéré, je voudrais rappeler que cette même règle que nous vous proposons d’inscrire dans notre loi fondamentale est déjà en vigueur en Allemagne, cependant que d'autres pays y réfléchissent.

Certains semblent oublier que nous avons vécu, au cours de cette législature, un événement majeur, comme il ne s’en était pas produit depuis cinquante ans.

M. François Baroin, ministre. Je veux parler de cette crise importée des États-Unis, qui a eu pour conséquence immédiate un transfert de la dette privée sur la dette publique.

M. Pierre-Yves Collombat. Exactement ! Heureux de vous l’entendre dire !

M. François Baroin, ministre. Aujourd'hui, en Europe comme partout dans le monde, nous gérons les conséquences de cette crise.

À ceux qui ont la mémoire courte, qui ont tendance à oublier spécialement le temps où ils étaient aux affaires, je rappelle que l'action immédiate des pouvoirs publics, tant aux États-Unis qu’en Europe, a consisté, sous l'impulsion déterminée du Président de la République, à prendre des mesures afin de sauver…

M. François Baroin, ministre. … le système bancaire.

La gauche crie au scandale et prétend qu’on a sauvé le système bancaire pour enrichir les banquiers.

M. François Baroin, ministre. Or les États ont sauvé le système bancaire pour sauver l'économie, pour sauver les entreprises, pour sauver l'accès au crédit, mais aussi pour sauver les particuliers. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Bruno Sido. Bien sûr !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sans contreparties !

M. François Baroin, ministre. À ceux qui ont la mémoire défaillante, à ceux qui sont frappés d'amnésie, je rappellerai que, lorsque l’ensemble des partenaires européens ont pris la décision, au cours d’un week-end, de mettre en place un plan international de sauvetage du dispositif bancaire, les particuliers s’apprêtaient, dans les quarante-huit heures qui allaient suivre, à retirer leurs fonds des agences bancaires. Ce mouvement aurait provoqué l'effondrement du système bancaire, c'est-à-dire la ruine de l'économie, des entreprises et des particuliers.

Cela a eu un prix,…

M. François Baroin, ministre. … et ce prix, que vous le vouliez ou non, c'est le transfert de la dette privée vers la dette publique. Ce que nous devons gérer désormais, c'est cette tension budgétaire, cette dette publique.

Mme Nicole Bricq. Elle existait déjà !

M. François Baroin, ministre. Il faut vraiment être aveugle pour ne pas voir ce qui se passe au-delà de nos frontières ; il faut être incapable de prendre véritablement la mesure de ce qui est en train de se dérouler en Grèce pour ne pas comprendre que nous avons l’ardente obligation, en France comme dans le reste de l'Europe, de nous doter de règles visant à restaurer l'équilibre budgétaire.

M. Pierre-Yves Collombat. Avec des résultats extraordinaires !

M. François Baroin, ministre. Voyez la Grèce, voyez le Royaume-Uni, voyez l'Irlande, voyez l'Italie, voyez le Portugal, voyez même les États-Unis, qui font aujourd'hui l’objet d’une attention plus particulière qu’auparavant de la part des investisseurs, alors même que le dollar leur offre une liberté de manœuvre dont ne disposent pas les autres pays !

Ce qu’il faut voir dans cette règle que le Gouvernement propose d’inscrire dans la Constitution, c’est non un tour de passe-passe,…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comment oserions-nous ?…

M. François Baroin, ministre. … mais sa détermination, celle des pouvoirs publics en général, à fixer des règles simples applicables par tous et à tous, et qui rendront possible, je l’espère, le retour à l'équilibre budgétaire à la fois dans les meilleures conditions et à un horizon qui ne soit pas celui du forestier...

C'est un devoir, c'est une exigence, c’est une question de souveraineté nationale, et je remercie Philippe Marini d'avoir, à cet égard, fait sienne l'analyse du Gouvernement. Réduire la dette, c'est une question de bon sens, c'est une question de responsabilité et c'est une question de solidarité nationale : voilà ce qui conduit le Gouvernement à vous proposer ce texte.

Deuxièmement, ce projet de loi constitutionnelle impose la transmission à l’Assemblée nationale et au Sénat du projet de programme de stabilité avant son envoi à la Commission européenne. Son examen sera désormais un rendez-vous constitutionnalisé.

Troisièmement, il vise à conférer aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale un monopole dans le domaine de la fiscalité et dans celui des recettes de la sécurité sociale. Le but n’est pas de gêner l’initiative parlementaire ; il est de permettre au Gouvernement de maîtriser les choix de recettes et de dépenses qu’il fera au Parlement.

C’est si vrai que cette mesure vise d’abord à contraindre le Gouvernement lui-même à éviter d’additionner les textes, …

M. Pierre-Yves Collombat. S’il ne veut pas gouverner, qu’il s’en aille !

M. François Baroin, ministre. … proposant ici des mesures dérogatoires sur le plan fiscal, là de nouvelles niches sociales.

Je tiens donc à rassurer celles et ceux qui s’inquiètent de la remise en cause potentielle de l’initiative parlementaire : cette mesure est d’abord et avant tout contraignante pour le Gouvernement, pour les ministres, pour l’exécutif.

D’ailleurs, l’histoire des quinze ou vingt dernières années montre que les fameux 75 milliards d’euros de niches fiscales et les non moins fameux 45 milliards d’euros de niches sociales résultent pour la plus grande part, 80 %, d’initiatives de l’exécutif, le reste étant imputable au Parlement, à travers telle ou telle proposition de loi.

Cette mesure n’a donc pas pour objet de tordre le bras du Parlement. Il s’agit en fait de créer un élément vertueux, d’instituer un rendez-vous autour des textes financiers, lois de finances ou lois de financement de la sécurité sociale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est disposé à engager des réflexions positives avec le président de la commission des lois, avec le rapporteur général du budget, avec le président de la commission des finances, avec vous toutes et vous tous pour trouver le juste milieu, le chemin de crête qui est, selon moi, à portée de réflexion et finalement de vote ; nous y sommes parvenus à l’Assemblée nationale, alors que les députés avaient soulevé les mêmes interrogations que vous. Et nous devons y parvenir dans le respect de l’identité singulière de la Haute Assemblée, représentante des collectivités territoriales.

Je tiens aussi à rassurer MM. Sido, de Montesquiou, César, Jégou et Cornu. Nous devons trouver le juste équilibre entre le respect des prérogatives du Parlement et la volonté du Gouvernement de fixer un cadre strict d’examen. Je le répète, le présent texte ne vise en aucun cas à interdire à un député ou à un sénateur de déposer un texte, de défendre une motion.

M. Jean Desessard. D’écrire une lettre !

M. François Baroin, ministre. Il vise simplement à fixer des rendez-vous financiers, notamment au travers des lois de finances, des lois de financement de la sécurité sociale, mais aussi – c’est devenu traditionnel – des collectifs budgétaires ou encore d’un « collectif social », puisque, je le rappelle, pour la première fois cette année, nous allons expérimenter la discussion d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative.

Ce projet de loi constitutionnelle est donc la synthèse d’un processus qui a été voulu par le Président de la République et par le Gouvernement. La responsabilité de ce processus a été confiée à une personnalité qui avait exercé, à la tête du FMI, une pression vertueuse dans l’action d’accompagnement du Fonds en faveur des pays en difficulté. Elle a su fédérer autour d’elles des personnes de tous bords dans une démarche transpartisane, et aboutir à un consensus. Le texte du Gouvernement est donc le résultat du consensus trouvé par le comité Camdessus. Alors, écartons les mauvais procès ou les idées fausses !

Je ne reviendrai pas sur les propos de Jean-Pierre Chevènement. Avec tout le respect que j’ai pour lui, je dirai simplement qu’il voit là une possibilité de toucher les droits d’auteur d’un combat dépassé, celui de Maastricht, et de lire la Constitution réformée à travers le prisme d’une remise en cause de l’euro, qu’il a toujours dénoncé.

Oui, nous souhaitons préserver notre monnaie unique et européenne ; oui, pour la préserver nous devons réduire les déficits en France, comme doivent le faire nombre d’États européens ; oui, nous devons nous donner les moyens de sauver le patrimoine commun européen.

Gardons-nous également des positions caricaturales ! Par respect pour la présidence, je tairai les observations que m’inspirent les propositions de M. Fischer. Certes, il est logique que des travées très à gauche s’élève la défense de certaines idées, mais on ne peut pas, me semble-t-il, plaider tout et son contraire ; on ne peut pas, après avoir exercé des responsabilités, dénoncer des politiques qui, alors que nous subissions une crise sans précédent, visaient à protéger notre modèle social français.

Lors de la crise, ne l’oublions jamais, les recettes se sont effondrées, chutant de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Nous avons accepté cette perte : nous avons décidé un plan de relance pour soutenir l’économie et le grand emprunt afin de pouvoir investir sur l’avenir. Et nous avons alors fait un choix audacieux, courageux, responsable, auxquels tous auraient dû adhérer. Ce choix, qui était aussi vertueux puisqu’il produit aujourd’hui des effets positifs sur notre économie, consistait à ne pas augmenter les prélèvements obligatoires.

Mme Nicole Bricq. Onze milliards d’euros cette année !

M. François Baroin, ministre. Nous n’avons touché ni à l’impôt sur les sociétés, ni à la TVA, ni à l’impôt sur le revenu. Nous avons pris le parti de ne pas augmenter les impôts et de poursuivre le soutien à l’activité économique alors que nous subissions l’effondrement des recettes fiscales. Les résultats sont au rendez-vous.

M. François Baroin, ministre. Vous devriez tous vous en réjouir : un point de croissance au premier trimestre, …

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un point : c’est merveilleux !

M. François Baroin, ministre. … 1,6 % de croissance d’ores et déjà acquis, un temps d’avance sur nos prévisions en matière de réduction de nos déficits publics. Nous sommes en effet à 7,1 % de déficit public alors que nous avions prévu 8,5 % au début de l’année 2010. Le niveau de 5,7 % est garanti d’ici à la fin de l’année et nous serons naturellement au rendez-vous d’objectifs intangibles en matière de réduction des déficits public.

Le pari que nous avons fait de soutenir l’économie sans augmenter les prélèvements obligatoires tout en protégeant notre modèle social devrait, me semble-t-il, recueillir l’assentiment de nombre d’entre vous.

Le Gouvernement souhaite donc, je le répète, fixer des rendez-vous financiers. Cette question, qui fera peut-être l’objet d’un débat approfondi devant la Haute assemblée, a été largement discutée à l’Assemblée nationale. Nous avons réussi à trouver un point d’équilibre entre le monopole – c’est le terme le plus parlant, même si ce n’est peut-être pas le meilleur – des lois financières et l’initiative parlementaire, renforcée par la révision constitutionnelle de 2008.

Il ne faudrait pas que, par une curieuse inversion des valeurs, la loi de finances devienne la voiture-balai ou la chambre d’enregistrement des votes qui auront été émis antérieurement dans l’année.

Il faut se garder de tout excès, et c’est ce qu’a fait le Gouvernement, qui a adopté une position assez juste, me semble-t-il, en recherchant le moyen de parvenir à un bon équilibre, avec des rendez-vous financiers réguliers, les lois de finances, les lois de financement de la sécurité sociale et les collectifs – vous avez en effet pu constater que le Gouvernement déposait régulièrement, au mois de juin, des projets de loi de finances rectificative et, dorénavant, des projets de loi de financement de la sécurité sociale rectificative –, en allant plus loin si nécessaire tout en conservant le principe du monopole de discussion des mesures de nature fiscale ou sociale au sein des textes financiers. Dans ces conditions, je crois que nous pourrons sans difficulté nous retrouver sur un objectif commun.

MM. Hyest, Vasselle, Emorine et Gélard souhaitent prévoir une priorité d’examen par le Sénat des textes financiers associés à des projets de loi relatifs aux collectivités locales. Si je comprends leurs préoccupations, je dois à la vérité de dire qu’elles sont difficiles à traduire sur le plan juridique. Faudra-t-il, par exemple, tronçonner le projet de loi de finances de l’année afin que les dispositions relatives à la fiscalité locale et à l’enveloppe des concours des collectivités locales soient examinées en premier par la Haute Assemblée ? Cela ne semble guère praticable.

Au demeurant, vous le savez tous, il n’est pas nécessaire de prévoir une priorité d’examen au Sénat pour que celui-ci imprime sa marque sur les dispositions financières relatives aux collectivités locales. Je ne prendrai que l’exemple récent, que vous avez encore tous en mémoire, de la réforme de la taxe professionnelle. Si cette mesure de nature fiscale a d’abord été discutée à l’Assemblée nationale, l’essentiel de la réforme s’est fait ici. La piste d’atterrissage, résultat d’un travail commun du Gouvernement et de la représentation nationale, a été largement définie et balisée au Sénat.

L’histoire récente nous permet donc de penser que les prescriptions ne sont pas nécessaires. Il suffit que le Gouvernement et le Parlement adoptent de bonnes habitudes de travail.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà ce que je souhaitais dire en réponse à vos interventions. Je reste bien entendu à votre entière disposition pour répondre à vos questions au cours des débats qui seront, je n’en doute pas, fructueux et de qualité. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de lUnion centriste.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des motions.

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par Mme Borvo Cohen-Seat, MM. Foucaud, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n° 76.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l’équilibre des finances publiques (n° 499, 2010-2011).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’apprécie, je l’avoue, de défendre l’irrecevabilité d’un projet de loi constitutionnelle au moment où tout porte à croire que ce projet est de toute façon irrecevable démocratiquement dans la mesure où il ne réunit pas une majorité des trois cinquièmes au Parlement !

Vous n’avez pas pu abaisser la majorité constitutionnelle mais, en revanche, vous avez déjà prévu que des lois organiques préciseront le contenu des lois-cadres : prudence quant à la majorité !

Nous pouvons en déduire que, si nous discutons à la mi-juin au Sénat, après l’Assemblée nationale, de ce projet de loi constitutionnelle alors qu’il ne sera pas voté au cours de la présente session, ni probablement à la prochaine, c’est que le Président de la République veut à tout prix au moins afficher sa volonté de bonne conduite à l’égard des « décideurs financiers ».

Ce projet, vous l’avez surnommé « règle d’or » ! Je dois dire qu’il porte bien ce nom, à condition d’ajouter « des marchés financiers » : c’est donc « règle d’or des marchés financiers ».

Les ministres qui défendent ce projet, MM. Mercier et Baroin, ont montré le fil rouge du texte. Depuis 2008, disait l’un d’eux, les déficits publics augmentent par insuffisance de la maîtrise des comptes ! Maîtrise par qui ? Car 2008, c’est l’année de la débâcle financière causée par les politiques irresponsables de rentabilité financière, des banques et organismes financiers, avec la bénédiction des États. Il y a donc des responsables. Les États ont « sauvé » les banques sans contrepartie et fait payer les salariés et les peuples, sous la houlette du Fonds monétaire international. C’est vrai dans tous les pays européens.

Aucune recherche d’augmentation des recettes du côté de ceux qui ont réalisé les plus grands profits, avant et après la crise, c’est-à-dire les actionnaires des entreprises du CAC 40. Au contraire !

En 2002, la dette s’élevait à 900 milliards d’euros contre quelque 1 800 milliards d’euros en 2011. Entre-temps, il y a eu le bouclier fiscal, les cadeaux électoraux – l’abaissement de la TVA pour les restaurateurs par exemple –, la suppression de la taxe professionnelle et toujours les exonérations de charges sociales – à hauteur de 173 milliards d’euros –, les niches fiscales, les stock-options… La crise n’a rien changé !

Je dois dire qu’il y a quelque chose d’obscène à voir montrer du doigt les gens qui survivent grâce au RSA, alors que les plus riches des plus riches arrivent in fine à avoir un pourcentage de taux d’ imposition identique à celui d’un petit salarié : 4 % pour Mme Bettencourt – toujours elle – comme pour un salarié qui gagne 1 500 euros !

Et pour finir, cette année, 1 900 foyers fiscaux dont les revenus sont supérieurs à 16 millions d’euros bénéficieront d’un gain moyen de 160 000 euros grâce à l’allégement de l’ISF, tandis que le bouclier fiscal continue de s’appliquer jusqu’à l’année prochaine ! C’est admirable ! Le résultat de l’opération est une aggravation du déficit public. Vous n’appliquerez donc pas l’année prochaine les bons principes que vous voulez constitutionnaliser.

Tout cela éclaire le propos de M. Mercier : « Vivre ensemble, c’est adopter un comportement responsable. » Qui est visé, les financiers, les gouvernements ? Ce propos s’adresse-t-il aux salariés, aux citoyens ? Ces derniers ont en effet voté, choisi donc, d’être gouvernés par des libéraux ultralibéraux ; ils ne peuvent pas s’attendre à autre chose !

Je crois que le problème réside précisément dans les rapports entre le peuple et votre gouvernance. Votre pouvoir est concentré comme il ne l’a jamais été. Le Parlement est contraint dans ses pouvoirs, tout particulièrement sur le plan financier, par des mécanismes que nous connaissons bien : LOLF, PLFSS, article 40 de la Constitution et tutelles européennes.

C’est d’ailleurs ainsi que vous avez imposé l’abaissement des services publics avec la révision générale des politiques publiques, la RGPP, les reculs de la protection sociale, donc de la santé, le bas niveau des salaires de la grande majorité. C’est également ainsi que vous avez mis au pas les collectivités locales avec votre réforme.

Mais vous ne pouvez empêcher un fort mécontentement, des résistances, des obstacles en France, comme dans la plupart des pays européens, où les peuples paient la crise de la finance.

Certes, vous avez les armes idéologiques – les pauvres, les peurs, les boucs émissaires –, mais il faut croire que cela ne suffit pas ; vous voulez aussi pouvoir exonérer durablement les responsables de la crise financière – c’est l’objet du programme de stabilité européen, de « l’Europlus » – et, pour être sûr d’y arriver, franchir une étape supplémentaire dans la contrainte contre toute velléité démocratique.

C’est l’objet du projet de loi que vous considérez, monsieur le ministre, comme « l’étape décisive dans le processus engagé il y a un an et demi ».

Les rapports n’ont pas manqué – je pense notamment au rapport Camdessus – pour proposer des idées.

Donc, cette étape décisive, c’est de décider d’« une norme supérieure » qui s’impose quels que soient la volonté populaire exprimée, le Gouvernement, le contexte,… grâce au monopole des lois financières, aux lois-cadres triennales, et dont le Conseil constitutionnel serait le garant.

C’est une limitation totale de la souveraineté du peuple et de ses représentants, c’est-à-dire du Parlement pour ce qui concerne le budget de l’État, du Parlement et des partenaires sociaux en ce qui concerne la sécurité sociale, des assemblées élues des collectivités locales pour ce qui est de leur budget.

C’est la mise en place d’une camisole financière européenne.

Je vous rappelle en effet l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »

Le Conseil constitutionnel a précisé, dans sa décision du 25 juillet 2001, que l’examen des lois de finances constitue un cadre privilégié pour la mise en œuvre du droit garanti par la Déclaration de 1789, et réaffirmé à cette occasion les principes d’annualité, d’irréversibilité et d’unité du budget.

C’est tout l’inverse avec le projet qui nous est soumis !

La commission des finances tente une réponse : « La règle [des lois-cadres] n’impose pas aux gouvernements une trajectoire budgétaire plutôt qu’une autre […] ; la seule chose qu’elle impose est la cohérence entre la trajectoire pluriannuelle annoncée à nos partenaires européens et sa déclinaison annuelle dans les lois financières ! »

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Absolument !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Par qui est édictée cette « norme supérieure » constitutionnalisée dans notre pays ?

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Par le bon sens, madame Borvo Cohen-Seat !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Par les conseils des ministres de l’Union européenne ? Par la Commission européenne ? Par quelques pays européens, dont la France ?

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Par le souci de bonne gestion !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est bien là que le bât blesse !

Seuls les traités internationaux adoptés dans des formes adéquates peuvent limiter, dans un cadre précis, la souveraineté nationale.

En l’occurrence, le traité de Lisbonne ne prévoit pas de budget triennal européen, et l’Europe ne dispose pas d’un instrument constitutionnel – le traité constitutionnel européen est mort-né en tant que tel.

Le projet qui nous est soumis ajoute donc, en quelque sorte, une « règle » au traité de Lisbonne – sans traité – pour limiter la souveraineté du peuple.

M. le rapporteur cite un exemple éclairant : la Grande-Bretagne s’était dotée en 1997 d’un code de stabilité budgétaire au cours du cycle 1997-2007 de dix ans. La crise a fait voler en éclat cet équilibre.

Peut-on imaginer, avec votre dispositif constitutionnel, que le Conseil constitutionnel – qui a compétence liée – annule une disposition prise par un gouvernement face à une crise ?

Peut-on sérieusement penser interdire à une majorité, par des lois-cadres de trois ans minimum – peut-être davantage –, d’adapter sa politique financière et fiscale aux conditions du moment ?

Est-ce le Conseil constitutionnel – organe non élu démocratiquement – qui va en décider ?

Peut-on sérieusement penser que, quand le peuple français change de majorité et de gouvernement parce qu’il désavoue les précédents, il va accepter que la « camisole financière européenne » empêche la nouvelle majorité de faire quoi que ce soit ?

C’est une atteinte grave à la volonté démocratique, et, comme par hasard, un an avant les échéances électorales qui pourraient faire changer la majorité…

On comprend l’intérêt des marchés financiers. C’est vrai pour la France, c’est vrai pour d’autres pays européens où les peuples pourraient rejeter les plans d’austérité.

C’est en quelque sorte une garantie contre un éventuel changement de politique, un moyen d’interdire que quiconque s’avise de faire payer les crises aux marchés financiers !

Un tel projet, d’ailleurs, se conçoit très bien dans la logique de l’harmonisation européenne ultralibérale dont le traité constitutionnel européen était l’instrument : inscrire dans le marbre constitutionnel la rentabilité du capital au détriment des dépenses utiles.

Mais vous n’y êtes pas tout à fait parvenus. Il n’y a pas de Constitution européenne qui s’impose aux États, et le traité de Lisbonne, même s’il reprend le contenu du traité constitutionnel européen, que le peuple français a rejeté, ne prévoit pas l’encadrement triennal des gouvernements.

Le caractère antidémocratique du projet qui nous est soumis n’échappe pas à certains membres de votre majorité. Notamment, il n’a pas échappé à M. le rapporteur de la commission des lois que le projet voté par l’Assemblée nationale n’était pas suffisamment respectueux des droits du Parlement.

Pis, on peut lire dans son rapport que « le Gouvernement et le Parlement abandonnent une part de leur liberté ». Il indique « les graves inconvénients [qui en résulteraient] pour la cohérence des travaux parlementaires et le droit d’initiative des députés et sénateurs… »

Nous ne pouvons que souscrire à ces propos, mais l’affaiblissement du Parlement en matière financière est déjà bien entamé par l’irrecevabilité financière, le monopole du Gouvernement, le vote de l’article d’équilibre avant la discussion des crédits, les lois de programmation des finances publiques, comme vous le dites vous-même, monsieur le rapporteur.

Nous partageons l’idée que le projet dont nous discutons va plus loin – c’est le but recherché – et entrave toute initiative du Gouvernement et du Parlement, toute réforme, toute action répondant à des nécessités.

Imaginez des émeutes sociales pendant lesquelles un gouvernement voudrait prendre des mesures d’urgence. Qui pourrait l’en empêcher ?

Monsieur le rapporteur, vous n’apportez pas de remède au mal annoncé.