M. Luc Chatel, ministre. Toutefois, les efforts que nous consentons sont l’expression d’une République faite d’équilibre : une République qui sait reconnaître et valoriser la diversité culturelle et linguistique de ses territoires ; une République pleinement consciente de l’enjeu stratégique que représente, dans le monde contemporain, l’enseignement des langues vivantes étrangères, à commencer par l’anglais ; une République, surtout, qui n’oublie pas que sa langue est le français, fondement vivant de notre culture commune.

Vous pouvez compter sur moi, mesdames, messieurs les sénateurs, pour veiller sans relâche, en ma qualité de ministre de l’éducation nationale, à ce que notre École remplisse sa plus haute mission : enseigner la langue de la République à ses enfants. En effet, notre langue est tout à la fois l’héritage de leurs aïeux, la clé de leur réussite et le vecteur de leur insertion sociale et professionnelle.

C’est pourquoi, si je ne suis pas favorable à cette proposition de loi, je n’en souhaite pas moins, comme l’a indiqué Colette Mélot, proposer au Premier ministre, en accord avec le ministre de la culture et de la communication, la publication d’un document qui synthétiserait l’ensemble des dispositions visant, dans l’état actuel du droit, la promotion et l’enseignement des langues régionales. Ce serait à mon sens la meilleure manière de faire connaître l’action de l’État, une action insuffisamment connue et reconnue. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Claude Biwer applaudit également.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, en vertu des conclusions de la conférence des présidents, ce débat doit s’arrêter à dix-neuf heures, c'est-à-dire dans une vingtaine de minutes. Il est clair que, dans ce délai, tous les orateurs inscrits ne pourront pas prendre la parole.

Je vous propose néanmoins d’entendre de toute façon les cinq premiers d’entre eux, de façon qu’un représentant de chaque groupe puisse s’exprimer ce soir ; ainsi, aucun groupe ne pourra se sentir lésé. (Assentiment.)

Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes tous ici attachés à notre patrimoine. En témoignent les débats que nous avons eus récemment, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi relative au patrimoine monumental déposée par ma collègue de l’Union centriste Françoise Férat.

Patrimoine matériel et immatériel, tout ce qui est constitutif de notre culture doit être préservé. Nos langues régionales et nos particularismes régionaux, qui s’expriment aussi bien dans la musique que dans les arts plastiques ou encore la littérature, sont la preuve vivante de la diversité sur laquelle s’est construite notre culture. Même si, aujourd’hui, tous les Français ne parlent pas un patois, il reste tous ces accents et phrasés qui font que, de Rennes à Montpellier, on parle la même langue, mais sans jamais la prononcer de la même façon !

En outre, les langues régionales vivent toujours au sein du français, qui s’est enrichi de certains de leurs vocables et dont nombre d’expressions portent les traces de cet héritage. Comme l’écrivait Émile Littré, « tous les siècles font entrer dans la désuétude et dans l’oubli un certain nombre de mots ; tous les siècles font entrer un certain nombre de mots dans l’habitude et l’usage ».

Chaque langue régionale apporte ainsi, tout autant que l’histoire locale, une connaissance culturelle qui doit être entretenue et transmise. À ce titre, nous partageons les motivations qui ont inspiré notre collègue Navarro, auteur de la proposition de loi. Nous le remercions d’ailleurs d’avoir suscité ce débat.

Mme Catherine Morin-Desailly. Toutefois, nous nous interrogeons sur les préconisations qu’il formule à travers sa proposition de loi pour atteindre ses objectifs. En effet, celles-ci posent des questions d’ordre technique, financier et juridique.

Le constat de notre collègue est que le cadre législatif relatif aux langues et cultures régionales est inapproprié, de sorte que, selon l’exposé des motifs, « ne rien faire reviendrait à précipiter leur disparition ou, tout du moins, leur effacement ».

M. Claude Bérit-Débat. C’est vrai !

Mme Catherine Morin-Desailly. Ce constat me semble pour le moins excessif. De fait, au vu de l’ensemble des initiatives relevant des ministères de l’éducation nationale et de la culture et de la communication – l’état des lieux a déjà été fait –, il apparaît que de nombreuses actions sont menées.

Une mission d’enseignement est déjà assumée par l’État, comme l’a souligné notre collègue Colette Mélot, que je voudrais d'ailleurs féliciter pour le caractère très approfondi de son rapport. Ce sont ainsi près de 200 000 élèves qui suivent aujourd'hui un enseignement de langue régionale. L’offre actuelle semble répondre à la demande des parents. Moi qui ai enseigné l’anglais pendant vingt ans – mais peut-être n’est-ce pas un bon exemple, puisqu’il s’agit de la langue dominante –…

M. Claude Bérit-Débat. Et une langue étrangère !

Mme Catherine Morin-Desailly. … je n’ai jamais entendu de plainte au sujet d’un quelconque déficit d’enseignement du cauchois dans ma région ; et Dieu sait si, en ma qualité de linguiste, j’y aurais été attentive ! Il est vrai que cette langue est sans doute moins vivace que certaines de ses homologues ; je pense notamment au breton, parlé dans la région de mon collègue Joseph Kergueris.

Les médias, notamment audiovisuels, ont été évoqués. Ils constituent en effet un autre vecteur de transmission de ce patrimoine. Pour avoir été rapporteur de la loi de 2009 sur l’audiovisuel public, je ne peux que m’étonner des propositions énoncées par les articles 19 à 32. De fait, non seulement les auteurs de la proposition de loi semblent méconnaître les obligations déjà faites aux médias audiovisuels, mais ils formulent en outre des propositions difficilement applicables, en raison du flou juridique entourant les termes utilisés.

Je rappelle donc que la mission de production et de diffusion d’émissions en langues régionales est inscrite tant dans la loi que dans le contrat d’objectifs et de moyens, sur lequel nous émettrons d’ailleurs prochainement un avis. Peut-être cette mission est-elle insuffisamment remplie : à titre personnel, j’ai longtemps regretté que France 3 n’affirme pas assez sa vocation régionale. Il nous appartient de remédier à ces insuffisances en étant particulièrement exigeants dans la formulation de notre avis. La montée en puissance du global media nous fournit d'ailleurs une occasion idéale de souligner que des services et émissions en langues régionales pourraient être proposés.

J’en viens à la proposition de répartition non pas de la « redevance », monsieur Navarro, puisque son nom a été modifié en 2009, mais de la contribution à l’audiovisuel public, ou CAP.

Cette proposition me semble étrange en ce qu’elle méconnaît les règles budgétaires, comme cela a été rappelé tout à l'heure. En outre, il est paradoxal que ses signataires, qui s’étaient opposés à l’extension de l’assiette de la CAP que j’avais défendue lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, proposent maintenant de renforcer cette CAP ! Cela n’est pas vraiment logique… Malgré tout, j’ai eu le plaisir de constater que ma proposition figurait dans le programme du parti socialiste ! (Sourires.)

Élus de proximité, nous nous interrogeons aussi sur l’incidence qu’aurait ce texte pour les collectivités territoriales : celles-ci ont indéniablement un rôle à jouer, mais dans quelle mesure ? Une loi trop généraliste ne serait-elle pas difficile à appliquer, étant donné la diversité des langues régionales ? Qu’en disent les associations d’élus, du reste ? Quels outils communs pourraient permettre à la fois la transmission du créole et celle du normand ?

Si, comme l’affirme l’exposé des motifs, « la reconnaissance des langues et cultures régionales est un prolongement logique de la décentralisation », laissons donc aux collectivités territoriales le soin de mettre en œuvre leurs propres plans d’action, en fonction des demandes exprimées sur leur territoire et des spécificités de celui-ci. N’oublions pas qu’elles en ont déjà légalement la possibilité.

Certaines s’en sont d’ailleurs déjà saisies : un Office public de la langue basque a ainsi été créé en 2004 par la volonté conjuguée de tous les acteurs, et il assure désormais, avec une remarquable efficacité, la promotion de l’euskara ; en Haute-Normandie, ce sont plutôt de petites associations qui font vivre la langue régionale, les autorités régionales ne s’impliquant guère, ce que je regrette.

Au vu de tous ces éléments, nous pensons que, si une nouvelle loi est peut-être nécessaire, celle-ci doit reposer sur des propositions réalistes. Une circulaire clarifiant le droit en vigueur pourrait être tout aussi opportune. Je sais, monsieur le ministre, que vous y travaillez avec le ministère de la culture et de la communication ; nous serions heureux que vous puissiez nous donner des indications plus précises à ce sujet.

Selon Victor Hugo, la langue française, quand elle s’est construite, « commençait à être choisie par les peuples comme intermédiaire entre l’excès de consonnes du nord et l’excès de voyelles du midi ». Si l’on peut regretter que l’utilisation exclusive du français dans les actes officiels se soit faite au détriment de certains patois, pour autant nous ne pouvons pas remettre en cause cette unicité.

Bon nombre d’obligations pour l’État et les collectivités territoriales sont créées par des dispositions de cette proposition de loi qui risquent d’être invalidées par le Conseil constitutionnel : celui-ci a en effet confirmé le 20 mai que, si les langues régionales appartiennent bien au patrimoine de la France, elles ne confèrent aucun droit. Or notre collègue Robert Navarro nous propose au contraire de reconnaître des droits spécifiques à certains citoyens, sur des territoires déterminés.

Fort heureusement, le principe de liberté d’expression ne s’oppose nullement à la possibilité dans notre pays de s’exprimer en langue régionale. Mais tirer partie d’une possibilité n’est pas exercer un droit !

Enfin, je ne veux pas jouer les rabat-joie, mais, connaissant la situation financière de notre pays et au vu des coûts que pourrait induire cette réforme, à tous les échelons, je m’interroge sur la manière dont pourraient être financées de telles dépenses.

Une approche pragmatique des coûts induits a-t-elle été faite par les auteurs de la proposition de loi ? Je sais ce que cette question a de vulgaire s’agissant de culture, mais, à l’heure où il est établi que 3,1 millions de Français souffrent d’illettrisme, avant de rendre obligatoires les langues régionales pour tous dans leur région, ne faut-il pas plutôt que le budget de l’État soit prioritairement consacré à remédier à cette situation catastrophique et militer pour un renforcement des moyens consacrés à l’enseignement de notre langue ?

Mme Catherine Morin-Desailly. En fait, il y a dans ce texte une confusion entre l’enseignement des langues fondamentales et des langues régionales : les premières sont utilisées dans le milieu professionnel et économique, les secondes correspondent à une approche linguistique et culturelle.

Je ne remets pas en cause l’intérêt que représente le multilinguisme, surtout dès le plus jeune âge, mais reconnaissons qu’à l’heure actuelle il est sans doute plus utile pour un jeune de parler espagnol, anglais, allemand ou chinois qu’un patois qu’il ne pourra utiliser que très localement. (Marques d’approbation sur plusieurs travées de l’UMP et du RDSE, ainsi qu’au banc de la commission.)

M. Robert Navarro. Pas sûr !

Mme Catherine Morin-Desailly. L’objectif de l’enseignement des langues vivantes, inscrit dans une perspective européenne, est que chaque élève, à la fin du lycée, soit capable de communiquer dans au moins deux langues vivantes. Cela ne lui interdit pas d’apprendre aussi sa langue régionale, mais l’urgence est plutôt de renforcer les moyens dédiés à l’apprentissage des langues étrangères.

Pour toutes ces raisons – et, monsieur Navarro, il s’agit de raisons pragmatiques, et non pas partisanes –, les membres de l’Union centriste sont, dans leur grande majorité, dubitatifs devant ce texte et réservés quant à ses effets ; ils partagent les ambitions affichées, mais souhaiteraient des solutions adaptées.

Reconnaissant que ce débat est utile et important, ils remercient l’auteur de la proposition de loi ainsi que le président de la commission de la culture, Jacques Legendre, qui, malgré l’article 40 de la Constitution, a permis que nous en discutions.

Nous espérons que le débat continuera de vivre au sein du comité stratégique des langues ; nous serons, bien entendu, très attentifs aux propositions que celui-ci formulera.

Je conclurai en citant Walther von Wartburg : « Comme moyen d’expression individuelle la langue française est peut-être inférieure à d’autres langues. Mais la langue a une autre fonction : elle sert de lien entre les différents membres de la société ; elle met en rapport les différents individus du même groupe linguistique. Envisagé de ce point de vue, le français, grâce à sa clarté, est supérieur à toutes les autres langues. Ce n’est pas en vain que trois siècles y ont travaillé avec une ardeur incomparable. »

Soyons donc, mes chers collègues, tout en respectant les langues régionales, les ardents défenseurs d’une francophonie vivante parfois trop menacée. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi qu’au banc de la commission. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

M. Claude Bérit-Débat. Mais sans parler la langue de bois !

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le ministre, vous nous avez donné l’avis du Gouvernement. Cependant, permettez-moi de dire que, lors d’une très récente visite dans ma ville de Quimper – le 10 juin dernier, précisément –, M. le ministre de la culture, interrogé sur sa position concernant les langues régionales, a annoncé qu’il n’y était pas opposé et qu’il soutiendrait un texte à l’Assemblée nationale. Mais c’est ici, avec vous, monsieur le ministre de l’éducation nationale, que nous commençons à débattre – je dis « commençons » puisque nous ne pas pourrons aller jusqu’au bout du débat aujourd'hui – de l’avenir de ces langues et de ces cultures.

Il est plus que temps, mes chers collègues, car elles sont en danger de mort !

Dès 1991, Joshua Fishman, éminent linguiste américain, expliquait que, pour sauver une langue menacée, il fallait que la transmission de celle-ci soit assurée sur trois générations. Cette condition n’est plus remplie en Bretagne, non plus d’ailleurs que dans les autres régions, depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Le nombre de brittophones est aujourd’hui bien modeste, avec 206 000 locuteurs…

À ce propos, monsieur le ministre, pourquoi ne pas insérer une question sur la pratique des langues régionales dans le questionnaire de l’INSEE, ce qui nous permettrait d’avoir une connaissance exacte de la situation des différentes langues régionales et du nombre de leurs locuteurs ?

Mme le rapporteur a évoqué la vigueur avec laquelle certaines collectivités menaient des actions en faveur de leur langue régionale. Je crois les collectivités territoriales effectivement très soucieuses de lutter contre la disparition de ce patrimoine immatériel qu’est la langue. Elles se sont organisées et structurées, souvent en collaboration avec l’éducation nationale et des associations, pour développer l’enseignement des langues régionales sur leur territoire. Toutefois, monsieur le ministre, elles restent trop souvent soumises à l’arbitraire des recteurs.

À titre d’exemple, deux collectivités, que je connais fort bien, la région Bretagne et le département du Finistère, ont orienté leur politique autour de deux axes forts.

Premièrement, elles développent l’enseignement et encouragent la sensibilisation pour pallier l’absence de transmission familiale.

Dans le primaire et le secondaire, elles soutiennent et financent l’enseignement grâce à des partenariats avec les communes et l’éducation nationale, ainsi que par l’intermédiaire d’un établissement public de coopération culturelle, l’Office public de la langue bretonne, qui regroupe la région, le rectorat, la DRAC et cinq départements. Actuellement, ce sont 26 000 élèves qui, de la maternelle au baccalauréat, sont concernés !

Dans le supérieur, l’engagement de ces collectivités passe par l’attribution de bourses à la formation des formateurs.

En outre, elles adhèrent à un réseau européen de promotion de la diversité culturelle.

Deuxièmement, comme l’a dit Mme Morin-Desailly, il faut que la langue puisse être parlée au quotidien.

L’usage de la langue régionale dans les pratiques sociales est particulièrement important pour les personnes âgées. On constate en effet dans les EPHAD que, très souvent, celles-ci reviennent à la langue de leur jeunesse. Pour maintenir ce lien social dont parlait ma collègue, lien qui leur permettra de garder pied dans la réalité, il faut pouvoir échanger avec elles.

Il importe également de promouvoir l’usage de la langue dans le domaine économique – chacun de vous, mes chers collègues, connaît sans doute la marque Produits en Bretagne, qui promeut également la langue – et, bien sûr, dans le domaine culturel, dans le spectacle vivant comme dans les métiers d’art – je pense, par exemple, aux brodeurs bretons, extrêmement doués et compétents –, mais aussi dans les nouvelles technologies et les supports multimédias.

Sur ce dernier point, un livret et un CD informatifs, intitulés Le bilinguisme pour les petits, un grand outil pour la vie, constituent un outil tout à fait remarquable pour sensibiliser parents et professionnels à l’intérêt de l’apprentissage de plusieurs langues. Vous le disiez, monsieur le ministre, ne pas parler deux langues est un handicap dans la vie !

La disparition annoncée des langues régionales interpelle de grands médias internationaux. CNN et Al-Jazira ont ainsi réalisé des reportages, à Quimper et à Lorient, sur la baisse du nombre de locuteurs, mais aussi sur l’essor des écoles bilingues, qui obtiennent d’excellents résultats au bac, passé en français, je le rappelle.

À vous entendre, monsieur le ministre, tout va très bien, et vous avez énuméré les actions de l’État. Mais la réalité dans les territoires est tout autre, et c’est encore plus vrai en cette période de disette financière et de RGPP. Tous les dispositifs que vous avez mentionnés relèvent des soins palliatifs et ne peuvent que stopper la marche vers la disparition des langues régionales de notre République !

Il est vital que ces langues régionales aient un statut juridique et obtiennent une reconnaissance de l’État leur garantissant dignité et protection, comme les autres formes de patrimoine. On a bien vu, en effet, à la suite de l’interprétation qu’en a donné le Conseil constitutionnel le 20 mai dernier, que l’article 75-1 de la Constitution n’avait qu’un effet décoratif et qu’il était complètement dépourvu de portée normative.

Il semble bien que le patrimoine bâti soit mieux protégé que le patrimoine linguistique, vieux de quinze siècles pour le breton, dont les premiers écrits, bien antérieurs aux premiers écrits en français, remontent au VIIIe siècle.

Patrimoine encore vivant…mais pour combien de temps, mes chers collègues ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Mousou lo president, mousou lo ministre, madama la reportaïra, cars collegas, me fa plaser de parlar la lengua de mon enfança mas coma gairé ben digus compren vau fau la redirado sul pic.

Rassurez-vous, je m’en tiendrai là pour l’occitan !

M. Philippe Dallier. Nous aimons autant, en effet ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Plancade. Voici, en français maintenant, ce que je viens de dire : « Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, cela me fait plaisir de parler la langue de mon enfance mais, comme personne ne comprend, je vais vous traduire tout de suite ce que j’ai dit. »

Et pourtant, si cette proposition de loi était adoptée, c’est tout mon discours que j’aurais pu faire en occitan !

Depuis plus de vingt ans, je soutiens dans ma ville et mon département l’apprentissage de cette langue qui a nourri ma prime jeunesse.

Je tiens évidemment à réaffirmer ici la nécessité absolue, soulignée par tous, de l’enseignement des langues régionales, qui font partie de notre patrimoine culturel.

Cependant, il faut être extrêmement vigilant quant à la motivation de chacun et aux risques que peut faire peser la volonté excessive de rendre l’enseignement d’une langue régionale obligatoire.

Nous avons conscience que notre jeunesse ne doit pas nier ses origines culturelles et doit même en tirer de la force, mais cela ne doit et ne peut pas se faire au détriment de son insertion dans le monde d’aujourd’hui comme dans le monde de demain.

L’enseignement d’une langue régionale ne doit pas non plus se faire au détriment du français, comme l’a dit Catherine Morin-Desailly, car, je le rappelle, près d’un tiers des élèves entrant au collège ne maîtrisent pas la langue française. À l’issue de la période de scolarité obligatoire, 5 % des jeunes sont illettrés, 10 % ont de réelles difficultés et ne maîtrisent pas la langue écrite.

Mes chers collègues, le républicain que je suis accorde la priorité à ce combat-là, sans, bien sûr, négliger celui des langues régionales.

Le deuxième écueil à éviter est la perte du sens.

Aujourd’hui, nous vivons dans un monde d’extrême incertitude, d’extrême insécurité, et je comprends parfaitement que, dans ce désordre mondial, chacun ait besoin de retrouver ses racines parce que cela donne l’impression d’être plus en sécurité. Mais prenons garde à ce que ce repli sur soi ne se transforme pas en une sorte de communautarisme ! Cela pourrait être en quelque sorte se confondre avec un repli sécuritaire, avec la fausse idée que le retour à la terre, le retour à ses origines, par une espèce de patriotisme de terroir, préserverait d’un avenir qu’on ne maîtrise pas.

Si la volonté de retrouver ses origines est légitime, parfois salvatrice, elle est potentiellement dangereuse, destructrice, elle peut conduire à l’isolement.

Je prendrai l’exemple de ma ville de Toulouse, qui voit chaque année, et ce depuis quinze ans, arriver 10 000 habitants supplémentaires. Ils viennent de toutes les régions de France, de Bretagne, d’Alsace, de Corse, de Catalogne, mais aussi de Grande-Bretagne, d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne, car nous avons sur notre territoire des entreprises internationales. Et qu’est-ce qui nous permet de communiquer avec toutes ces personnes, sinon avec le français ? Il est notre point de repère commun !

M. Robert Navarro. Nous sommes tous d’accord !

M. Jean-Pierre Plancade. En fin de compte, la langue est le véhicule de la paix entre les hommes : pour rester ouvert à l’autre, il faut que je parle la langue de l’autre, et que l’autre parle ma langue. Et si l’autre peut parler ma langue, c’est qu’il l’a apprise.

Je voudrais rappeler aussi que le changement est la loi de la vie et qu’aucune loi ne peut arrêter ce perpétuel mouvement qu’est la vie. Il est parfaitement humain, je le dis encore, de vouloir conserver ses racines, mais cela ne peut pas se faire au détriment de son insertion dans l’évolution du monde. Il faut veiller à ne pas se laisser prendre par une forme de conservatisme nostalgique qui pourrait nous conduire à une régression de la République ! Je veux que nos enfants soient capables de vivre dans le monde de demain et je souhaite que la jeunesse de demain soit une jeunesse mondialisée. Jeunes, nous avons appris l’anglais ; demain, la jeunesse devra apprendre le chinois et l’arabe pour communiquer et pour favoriser la paix.

Mme Gélita Hoarau. Là, ce n’est pas une question d’identité !

M. Jean-Pierre Plancade. Mes chers collègues, monsieur le ministre, le groupe du RDSE est très partagé sur cette proposition de loi. À titre d’illustration, je vais vous citer un exemple significatif. Le paradoxe, qui est à l’image de ce qui se passe dans notre pays, c’est que notre ami Jean-Michel Baylet, qui ne parle pas un mot d’occitan,…

Mme Maryvonne Blondin. Moi non plus !

M. Jean-Pierre Plancade. …va voter pour ce texte, à l’égard duquel je suis, moi qui parle l’occitan, extrêmement réservé. Mais c’est, au fond, ce qui se passe dans la vie moderne !

Pour conclure, je dirai à mon ami Jean-Michel : Quora parlaras la lengua nostra ? Autrement dit, en français : « Jean-Michel, quand parleras-tu notre langue ? »

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, je voudrais tout d’abord m’adresser à nos collègues d’outre-mer pour leur dire que je comprends leur frustration de ne pouvoir s’exprimer au cours de ce débat après avoir parcouru des milliers de kilomètres pour venir ici !

M. Gérard Le Cam. Monsieur le ministre, mes chers collègues, les positions passionnées qui s’expriment ont une explication historique : le français a été imposé comme langue de la République par la force, et ce au détriment des langues régionales.

Partout, la pratique de ces dernières connaît un déclin très important malgré l’émergence de politiques linguistiques dans certaines collectivités territoriales.

Le conseil régional de Bretagne, par exemple, a officiellement reconnu, à côté du français, le breton et le gallo comme langues de la Bretagne historique. Il a assorti cette reconnaissance d’un plan volontariste tendant à leur sauvegarde, leur transmission et leur développement.

Traces vivantes de l’histoire, les langues régionales sont d’immenses sources de richesses.

Cette défense des langues régionales n’entre pas en concurrence avec la langue de la République qu’est le français, mais il faut plutôt y voir une complémentarité.

Leurs usages et leurs pratiques peuvent parfaitement s’inscrire dans une dynamique qui ne remet pas en cause les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français.

Favoriser l’essor des langues régionales doit être l’une des grandes batailles à mener aujourd’hui compte tenu de l’hégémonie grandissante de l’anglais et de la menace d’uniformisation culturelle mondiale qu’il fait peser.

Cela n’est pas sans lien avec le sujet qui nous occupe, car, à l’heure de la mondialisation et de l’uniformisation à marche forcée, le repli identitaire et la résurgence des mouvements nationalistes, indépendantistes, semblent s’instaurer comme autant de réponses à la dilution des repères culturels nationaux.

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. C’est un risque !

M. Gérard Le Cam. Le pacifisme des actions revendicatives doit absolument prévaloir si nous voulons progresser ensemble.

La question centrale qui est posée consiste à savoir comment accorder une reconnaissance à ces langues dans le respect de l’unité républicaine.

La majorité des sénateurs du groupe CRC-SPG craint que certains aspects de cette proposition de loi n’aillent trop loin.

En créant une véritable obligation de service public en langue régionale dans des domaines aussi larges que l’enseignement, l’audiovisuel ou encore la presse écrite, on pose, tout d’abord, la question de l’engagement de l’argent public et celle de la libre administration des collectivités locales.

À notre avis, l’État ne s’engage pas suffisamment sur le plan financier en faveur des langues régionales. Pis, la RGPP pèse lourdement sur l’enseignement bilingue en laissant une lourde responsabilité aux régions et autres collectivités locales concernées.

Notre groupe appelle à la prudence sur cette question délicate. C’est la raison pour laquelle la majorité des sénateurs de mon groupe souhaite s’abstenir sur ce texte. Néanmoins, à titre personnel, je voterai la proposition de loi pour donner un signal fort au Gouvernement sur l’urgence qu’il y a à régler ces questions.

Une langue régionale est à la fois un instrument d’échange et un patrimoine culturel au sens large du terme. Aujourd’hui, l’une des plus grandes difficultés pour les locuteurs est son utilisation au quotidien et son partage intergénérationnel.

Le volet patrimonial et culturel semble plus aisé à conserver, à développer, à valoriser, pour peu que les pouvoirs publics, les collectivités, les enseignants, les artistes, aient la volonté d’œuvrer ensemble.

L’enjeu des langues régionales est bien de les revitaliser et de promouvoir leur usage. Gardons des racines : c’est essentiel pour vivre ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)