M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent débat s’inscrit dans une suite de travaux destinés à tirer les leçons de l’application de la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire.

En 2008, les sénateurs du groupe CRC-SPG s’étaient vivement opposés à cette réforme, dénonçant l’absence d’évaluation de celle de 1992 et considérant que les auteurs du projet de loi se trompaient de diagnostic. En effet, sous couvert de moderniser les ports, la nouvelle réforme achevait la privatisation de l’outillage public et le transfert des personnels.

D’ailleurs, dès 2010, Dominique Bussereau constatait une baisse générale des trafics, plus accentuée encore dans les ports français.

Il est remarquable que l’ensemble des documents sur le sujet, que ce soit le rapport du député Roland Blum relatif à la desserte ferroviaire et fluviale des grands ports maritimes français, le rapport annuel de la Cour des comptes de février 2011 ou le rapport d’information sur le schéma national des infrastructures de transport, convergent pour souligner les faiblesses de la réforme, imputées tantôt aux mouvements sociaux, tantôt au manque d’investissements étatiques dans les infrastructures portuaires.

Le rapport d’information adopté par la commission des affaires économiques en juillet dernier confirme ces critiques, en constatant que « la réforme ne suffira pas à enrayer le déclin des ports français ».

Le rapport du groupe de travail attribue quatre causes principales à ce déclin : la faiblesse de l’État stratège, le manque de fiabilité récurrent, l’ancrage territorial insuffisant de la gouvernance des ports, la concurrence faussée sur les places portuaires.

Si nous partageons un certain nombre de constats, l’analyse des causes et celle des politiques à mettre en œuvre nous conduisent, encore une fois, à plus de sévérité dans l’appréciation des effets de la réforme sur la situation de nos grands ports.

En mai 2009, le Sénat avait été saisi d’une question orale avec débat de Charles Revet sur le bilan de l’application de la loi portant réforme portuaire. À cette occasion, mon collègue Thierry Foucaud avait formulé un certain nombre de remarques qui, malheureusement, restent d’actualité, s’agissant notamment de la faiblesse des investissements dans le développement portuaire ou du retard pris dans la réalisation des aménagements et infrastructures permettant l’intermodalité.

Sur le premier point, le groupe de suivi du SNIT a constaté que les dépenses de développement portuaire sont « modestes ». Elles représentent en effet moins de 2 % de l’enveloppe globale consacrée aux nouvelles infrastructures dans le cadre du SNIT. Plus précisément, le rapport souligne la faiblesse des montants qui seront consacrés aux ports sur les trois prochaines décennies, en les comparant aux 3 milliards d’euros investis dans le port de Rotterdam ou encore au milliard d’euros consacré au projet Port 2000 du Havre, engagé par Jean-Claude Gayssot.

Ce qui manque à nos ports, c’est donc un niveau d’investissements publics suffisant, permettant d’accompagner les installations portuaires dans la reconquête de parts de marché et d’assurer le respect des engagements pris par l’État au titre du Grenelle de l’environnement et du Grenelle de la mer.

Quand on sait que le SNIT n’est financé qu’à hauteur de 30 % par l’État, on peut émettre des doutes quant à la réalité de la volonté de ce dernier d’améliorer la desserte des ports. Le désengagement de l’État pèse évidemment sur les collectivités locales, qui, dans la mesure où elles ne touchent aucun dividende, investissent à fonds perdus. Dans ce contexte, le renforcement de la participation des collectivités locales ne va pas sans nous inquiéter. L’État compenserait le transfert par une dotation calculée sur la base de la moyenne des investissements des dix dernières années ; cette compensation sera donc loin d’être suffisante.

Cela me conduit à aborder un autre aspect de la question : la gestion de l’arrière-pays des ports. La bataille maritime se gagne aussi à terre : ce principe admis par tous, les ports du nord de l’Europe l’ont mis en œuvre bien avant nous !

Ainsi, dans son rapport public annuel de 2011, la Cour des comptes fait l’observation suivante au sujet du grand port de Marseille : « Le GPPM n’est pas suffisamment intégré avec son arrière-pays, et ce dernier manque lui-même, au plan économique, de la vitalité nécessaire. Or, l’une des grandes forces des principaux concurrents de Marseille, en particulier des ports nord-européens, de Barcelone ou encore de Gênes, est de disposer de connexions étroites et multiples (commerciales, ferroviaires, routières, fluviales, etc.) avec un arrière-pays économiquement puissant et dynamique. Pour les grands ports européens, la bataille économique se livre désormais entre des “systèmes intégrés” et elle se gagne autant à terre que sur mer. »

Or, cette bataille, faute de politique d’envergure en matière tant de transport – plus particulièrement de fret fluvial et ferroviaire – que d’industrie, nous sommes en train de la perdre.

Sur le plan des transports, la situation est critique. Dans son rapport remis au Premier ministre, le député Roland Blum note, en ce qui concerne Marseille, qu’il est indispensable de renforcer la capacité de l’infrastructure pour que le port soit en mesure de massifier les trafics. Or, la voie unique Vigueirat - Graveleau, utilisée malgré la crise à pleine capacité, n’a pas encore été doublée. Cette absence d’investissement constitue, bien entendu, un frein à la mise en service de nouveaux terminaux.

Je rappelle que notre pays s’est assigné un double objectif : avoir fait passer la part du fret non routier et non aérien de 14 % à 25 % à l’échéance de 2022 ; atteindre, d’ici à 2012, une croissance de 25 % de ladite part modale. En outre, concernant plus particulièrement les places portuaires, un objectif ambitieux est posé : doubler la part de marché du fret non routier pour les acheminements à destination et en provenance des ports d’ici à 2015.

Alors qu’atteindre ces objectifs suppose la mise en place de politiques d’aménagement du territoire ambitieuses et un développement du fret ferroviaire, qui constitue un atout majeur pour le renforcement de l’attractivité et de la compétitivité des territoires, le Gouvernement a, au contraire, organisé la « casse » du transport de marchandises par le rail !

La SNCF a ainsi prévu de fermer de nombreuses gares de triage à gravité ou, au mieux, de les transformer en gares de triage à plat, technique beaucoup moins performante : la gare de Miramas, l’une des principales plateformes françaises de triage à gravité, a failli subir un tel sort ; finalement, elle a été sauvée grâce à la lutte des salariés.

Pour que nos ports retrouvent leur place parmi les grands ports internationaux, la France doit donc s’engager dans une véritable politique portuaire et de transport maritime, et non pas entretenir l’illusion que l’initiative privée serait plus efficace que l’action publique.

Nos ports, s’ils présentent des faiblesses, disposent également d’atouts. Ils assument une mission d’intérêt général en étant au service de l’économie de leur région d’implantation. Privatiser les ports, c’est renoncer à cette mission. M. Revet a fait état, dans le rapport d’information, du « gel » organisé par un opérateur privé dans le port de Dunkerque, au profit du port d’Anvers.

Il faut également veiller à ce que nos territoires ne soient pas mis en concurrence entre eux, quelques-uns seulement bénéficiant des infrastructures de transport tandis que d’autres, plus isolés, verraient leur activité économique, notamment industrielle, mise en danger.

Il faut regagner en cohérence dans la mise en œuvre des grands projets d’aménagement. Il ne semble pas logique, à titre d’exemple, que le conseil de coordination interportuaire ait été à ce point mis à l’écart du projet de canal Seine-Nord Europe.

En ce qui concerne les salariés des ports, il nous semble tout à fait déraisonnable d’imputer l’échec de la réforme portuaire aux seuls mouvements sociaux qui ont animé les ports en raison, en particulier, de cette dernière et de la réforme des retraites.

Les problèmes de productivité et de rentabilité sont imputables à l’absence de prospective commerciale, de programmation financière.

La réforme a d’ailleurs entraîné d’autres problèmes. Faute de projets de développement portuaire, les difficultés s’alourdissent pour les entreprises de manutention, qui ont des charges fixes du fait du détachement des salariés.

En outre, si le climat social semble aujourd’hui apaisé dans les ports, nous aimerions avoir l’assurance que le fruit des luttes des salariés des ports profite à l’ensemble des salariés du secteur. Ainsi, les syndicats ont demandé l’application uniforme de la convention collective unifiée aux ports de pêche, aux ports de commerce et aux ports fluviaux. Mon collègue Thierry Foucaud rappelait, dans le cadre du débat sur le Grand Paris, s’agissant notamment du secteur du canal Seine-Nord Europe, l’intérêt tout particulier d’une telle uniformisation. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous confirmer l’avancée du processus d’extension du texte conventionnel ? Il s’agit d’éviter qu’une concurrence déloyale ne s’exerce au détriment des salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Merceron.

M. Jean-Claude Merceron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la tenue de ce débat sur le bilan de l’application de la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire est concomitante de la publication du rapport de l’OCDE sur les ports de l’axe de la Seine, c'est-à-dire ceux de Rouen, du Havre et de Caen.

La commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire a eu raison de créer un groupe de travail sur la réforme portuaire de 2008, présidé par Charles Revet. Je tiens à remercier tout particulièrement notre collègue de l’esprit de convivialité qui a toujours prévalu au sein du groupe de travail et à souligner publiquement sa compétence, ainsi que celle de nos collaborateurs.

La loi de 2008 a bien pour objet de relancer l’activité des ports autonomes français, de moderniser la manutention portuaire et de renouer le dialogue social. Alors que 90 % des échanges mondiaux de marchandises se font par voie maritime, la France, qui était voilà trente ans la cinquième puissance maritime mondiale, n’occupe plus aujourd'hui que le trentième rang.

Le contexte de la mondialisation et du développement durable est donc favorable à l’essor des activités portuaires. Nos voisins belges, néerlandais et même allemands l’ont compris depuis longtemps ! Ils se sont adaptés et restructurés et ont réussi à gagner des parts de marché. Leurs ports irriguent aujourd’hui l’ensemble du territoire européen, grâce à des infrastructures portuaires et multimodales efficaces : hubs, fret ferroviaire et fluvial, plateformes logistiques…

C’est ainsi qu’Anvers est le premier port d’arrivée de conteneurs à destination de la France ! On ne peut vraiment pas être très fier de cette situation ! En effet, la France fait pâle figure : elle sous-exploite son potentiel et sous-investit, à tel point que près de la moitié des conteneurs qui lui sont destinés transitent par des ports d’autres pays européens. Les parts de marché des ports français ont été divisées par deux entre 1989 et 2006. Pourtant, avec quatre façades maritimes, le plus long linéaire côtier d’Europe, les importantes réserves foncières de ses ports, la France dispose d’atouts exceptionnels !

Comme le soulignait avec optimisme notre collègue Charles Revet, « il n’y a pas de fatalité au déclassement des ports français ».

D’ailleurs, au cours des visites que nous avons effectuées dans le cadre des travaux de la mission d’information, je suis moi-même passé du découragement à l’espoir. D’abord impressionné par le retard de nos ports, j’ai été ensuite rassuré de voir que tous nos interlocuteurs étaient conscients du caractère indispensable de la réforme et d’une évolution forte de la gouvernance portuaire pour la relance des ports maritimes français.

Cette mission d’information a permis de cibler un certain nombre de causes du décrochage des ports français. Je pense notamment aux carences de l’État stratège, à l’insuffisant ancrage territorial des ports et au manque de fiabilité des infrastructures. Il serait facile de multiplier les critiques, mais je préfère me tourner désormais vers l’avenir, pour examiner les conditions de la renaissance des ports français.

Le premier des impératifs consiste à raccorder les ports maritimes aux réseaux ferrés, fluviaux et routiers : le combat de la mer se gagne en effet à terre ! Pour atteindre cet objectif primordial, il faut tout d’abord déployer des investissements substantiels en vue d’assurer la desserte de l’hinterland, c’est-à-dire de relier chacun des ports aux axes de fret ferroviaire ou fluvial existants. Les ports maritimes seraient donc des hubs internationaux permettant ensuite d’irriguer la France et l’Europe. Or la réalisation d’un tel investissement pour relier les ports aux réseaux de fret ne semble pas être la priorité de l’État, qui, dans le schéma national des infrastructures de transport, n’y consacre même pas 2 % des moyens.

En outre, il faut que les chambres de commerce, les collectivités concernées ou les ports eux-mêmes réalisent des études en vue de connaître les marchés de l’arrière-pays, de définir les infrastructures multimodales et les compétences permettant de créer des clusters autour de l’activité logistique.

Ainsi, Marseille pourrait devenir la façade maritime de Lyon et irriguer l’Espagne et l’Italie depuis Arles, tandis que Le Havre et Caen deviendraient celle de la région parisienne. En tant que Ligérien, je tiens à rappeler l’importance du port de Nantes-Saint-Nazaire, en particulier celle du terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne, le plus important d’Europe. Ce port de la façade atlantique doit redéployer ses activités dans le cadre du partenariat européen de l’arc atlantique.

Mais tout cela ne sera possible que si les ports sont reliés aux métropoles par des réseaux fluviaux et ferroviaires fiables. L’existence d’infrastructures multimodales sur le continent et leur connexion avec les ports est donc pour moi la première des priorités.

À l’heure où, précisément, il s’agit de déployer des projets susceptibles de relancer l’économie afin de créer des emplois et de développer durablement notre territoire, il est plus que temps de passer à l’action, par exemple en réalisant des plateformes multimodales sur des chantiers terrestres, tel celui du canal Seine-Nord Europe. La réforme prochaine de Voies navigables de France apportera, je l’espère, l’efficacité requise pour mener un projet de cette envergure.

En outre, il faut saluer la proposition de la mission d’information visant à une décentralisation de la gestion des grands ports maritimes et à la mise en œuvre d’une nécessaire logique « entrepreneuriale », qui doit accompagner la nouvelle gouvernance. Cela signifie que les collectivités territoriales doivent agir en investisseurs, chercher de nouveaux marchés pour augmenter les volumes de transit et, surtout, soutenir les investissements des ports pour adapter leur offre à une forte croissance du trafic.

Cela nécessite une nouvelle approche, commerciale, une démarche coopérative avec d’autres ports internationaux, et donc de nouvelles compétences.

Naturellement, il est normal que les collectivités ou les ports puissent récupérer les fruits de leurs investissements et de leurs efforts. Mais cela demande une autonomie accrue, or l’État freine aujourd’hui. En effet, il sur-administre les collectivités et les grandes infrastructures, il promet des financements qui n’arrivent pas, alors que les gestionnaires des ports ont besoin de souplesse, de déréglementation – à tout le moins de règles dérogatoires – et de partenariats choisis : je pense à Voies navigables de France, à Réseau ferré de France ou bien encore aux chambres consulaires.

Le volontarisme affiché par nombre des acteurs que nous avons rencontrés mérite d’être soutenu, étant donné que, de toute manière, les ports français ne sauraient être dans une situation pire que celle qu’ils connaissent aujourd’hui.

Des partenariats choisis avec les services responsables d’infrastructures, mais aussi avec des centres de recherche, ne doivent en aucun cas être empêchés par la loi, ni trop encadrés par elle. Il faut donner de l’air aux initiatives, et surtout faire confiance aux acteurs, publics ou privés, qui souhaitent mettre leur énergie au service du développement du trafic portuaire de la France.

D’un point de vue social, on peut se féliciter de ce que la réforme ait permis la réunification de la chaîne de commandement de la manutention, sous l’égide des entreprises privées, même si l’on ne peut que déplorer que ce transfert se soit déroulé dans un climat social tendu. La concomitance de la réforme des retraites n’a pas été étrangère à la montée de ces tensions, qui ont écorné un peu plus encore l’image déjà peu reluisante des ports français et nui à leur économie.

Cependant, une fois encore, rien n’est irréversible, pourvu que le développement des ports continue à faire l’objet d’un dialogue social franc et respectueux de chacune des parties, notamment lorsqu’il s’agira de favoriser la concurrence dans les activités de manutention portuaire. J’appelle à la mise en œuvre la plus rapide possible de cette concurrence, afin que le volet social et le volet économique de la réforme se déploient harmonieusement.

En conclusion, si nous sommes d’accord sur ces points fondamentaux, notamment sur la quinzaine de propositions contenues dans le rapport d’information, il faudra très vite passer à l’action, par le biais de l’élaboration d’une proposition de loi qui, je l’espère, pourra être votée dans les plus brefs délais et dans le même esprit de lucidité et de consensus que celui qui a guidé les travaux de notre mission d’information.

Les enjeux économiques et sociaux que recouvre le développement structurel de nos ports maritimes et fluviaux sont tels qu’il ne faudra pas manquer ce rendez-vous. Cela relève de notre responsabilité à tous. (Applaudissements sur les travées de l’UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Christian Bourquin.

M. Christian Bourquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire avait pour ambition de relancer l’activité des grands ports maritimes français, ces derniers étant de plus en plus délaissés au profit d’autres grands ports européens. Trois ans après son vote, le constat du déclin progressif de nos infrastructures portuaires ne peut plus être contesté. Alors que notre pays dispose d’atouts maritimes exceptionnels, notamment un immense domaine maritime et une position stratégique en Europe, la concurrence internationale semble favoriser d’autres ports, comme ceux de Rotterdam, d’Anvers ou de Hambourg, au Nord, d’Algésiras, de Tanger ou de Valence, au Sud.

Pourquoi cette situation défavorable pour notre pays perdure-t-elle ? Là est la question. Pour trouver des éléments de réponse, la commission des affaires économiques a créé une mission d’information sur la réforme portuaire de 2008, dont les conclusions, que vous venez de rappeler, monsieur Revet, sont particulièrement alarmantes, qu’il s’agisse de l’avenir des activités portuaires ou du rôle primordial joué en ce domaine par les collectivités territoriales.

Bien entendu, il n’est pas question, pour les membres de notre groupe, de contester le bien-fondé d’entreprendre une réforme : la modernisation d’infrastructures vieillissantes s’imposait d’autant plus que les acteurs concernés la réclamaient.

Toutefois, la réforme engagée en 2008 comporte un volet important mais socialement dangereux, celui de la simplification et de la rationalisation de la manutention portuaire. Ces dispositions, complétées par un accord-cadre en date du 30 octobre 2008, prévoient le transfert à des entreprises privées de la détention et de l’exploitation des outillages et matériels de manutention. Elles ont donné lieu à un vaste mouvement national de contestation, qui s’est notamment traduit par une série de blocus affectant les principaux ports concernés. Ce mouvement social était d’autant plus justifié que les nouvelles dispositions risquaient –et risquent toujours – de fragiliser une catégorie de personnels particulièrement vulnérable (M. le ministre s’exclame), au bénéfice d’entreprises privées qui n’hésitent pas à utiliser l’arme du recours à de la main-d’œuvre étrangère à bon marché sur notre territoire.

M. Thierry Mariani, ministre. Lisez le rapport de la Cour des comptes !

M. Christian Bourquin. Même si l’accord-cadre prévoit la reprise automatique des personnels de manutention, rien n’empêche ces entreprises de faire appel à des sous-traitants permanents ou périodiques, non soumis au droit français. Voilà ce qui interpelle les républicains que nous sommes. Les conséquences économiques et sociales d’une telle pratique sont trop importantes, en termes économiques et sociaux ainsi qu’au regard de la qualité des prestations, pour que l’on puisse les passer sous silence.

Était-il réellement nécessaire de briser une logique historique, certes réformable, mais qui a toujours fait la preuve de son efficacité,…

M. Thierry Mariani, ministre. Surtout pendant les grèves !

M. Christian Bourquin. … pour imposer une logique strictement concurrentielle et ouverte à tous les excès ? Pour ma part, je ne le crois pas.

D’ailleurs, depuis trois ans, le dispositif d’ouverture à la concurrence pour les opérations de manutention a créé un profond sentiment d’injustice parmi un personnel le plus souvent peu ou mal rémunéré. (Exclamations sur les travées de lUMP.) Il suffit de mettre le nez à la fenêtre pour s’en rendre compte, mes chers collègues !

Loin d’atténuer les risques de conflits sociaux, la réforme portuaire de 2008 portait en son sein les germes de la contestation. Les négociations sociales ont été d’autant plus tendues que l’injuste réforme des retraites a été adoptée il y a moins d’un an, faisant douter les partenaires sociaux de la capacité de l’État à participer au financement du dispositif prévu par la réforme portuaire.

En outre, aujourd’hui encore, les ports décentralisés sont les grands oubliés d’une réforme qui visait à améliorer les performances des seuls grands ports, par le biais d’une nouvelle gouvernance, mais surtout de l’unité de commandement sur les terminaux.

Pis encore : afin d’affirmer le rapprochement, au sein des entreprises de manutention, de deux catégories de personnels, il a été décidé de fusionner deux conventions collectives, celle des ouvriers dockers, d’une part, et celle des personnels portuaires, d’autre part.

Puis, pour obtenir l’adhésion des organisations syndicales représentant les personnels portuaires, il a été accordé à ces derniers un régime de préretraite de deux ans au titre de la pénibilité des métiers exercés, abondé d’un an supplémentaire, sur l’ensemble des ports français.

Dès lors, non seulement les ports décentralisés n’ont pas tiré de la réforme les bénéfices attendus en termes d’améliorations de performance, mais ils doivent de surcroît supporter le poids très lourd des contreparties sociales qui ont été consenties.

Aujourd’hui, on constate que la perte de performance des ports décentralisés se traduit par un renchérissement de 10 % à 15 % des coûts de personnel, qu’il s’agisse des ouvriers dockers ou des personnels d’exploitation des établissements portuaires. Cette situation est d’autant plus dommageable que de nombreuses collectivités s’impliquent résolument dans le développement des ports secondaires.

À ceux qui contesteraient mes propos, je donnerai l’exemple de la région Languedoc-Roussillon, que j’ai l’honneur de présider et qui souhaite créer les conditions optimales d’un report modal du transport routier de marchandises vers les voies maritime et fluviale, en investissant massivement dans le développement des ports, que ce soit à Sète, à hauteur de 300 millions d’euros sur les trois ans à venir, à Port-la-Nouvelle, avec 100 millions d’euros d’investissement public pour les quatre prochaines années, ou à Port-Vendres. À cet égard, monsieur le ministre, comment ne pas déplorer que RFF veuille conserver, sur le port de Sète, les sillons d’une voie ferrée envahie par l’herbe, alors que la région est en mesure de la remettre en fonction ?… Tout concourt donc au déclin, et en l’occurrence il ne s’agit pas d’argent !

Notre région est convaincue que ces modes de transport de fret alternatifs permettront, à terme, un nouveau développement économique ouvert sur la Méditerranée.

Dans cette optique, nous accompagnons des projets visant à développer les activités des ports maritimes en finançant l’aménagement d’un nouveau terminal à conteneurs sur le port de Sète, en partenariat avec l’ensemble des acteurs économiques intéressés.

Pour y parvenir, encore faut-il que notre région puisse bénéficier d’une grande clarté et d’une totale cohérence des textes encadrant ses prérogatives dans les ports dont elle assume la gestion.

Comme vous le savez, monsieur le ministre, cela est loin d’être le cas, et notre débat d’aujourd’hui est aussi l’occasion de rappeler l’urgence d’une mise en concordance des textes réglementaires applicables aux ports décentralisés relevant de la compétence des régions.

À ce propos, je formulerai deux observations.

En premier lieu, je rappellerai que, par une ordonnance du 28 octobre 2010, la partie législative du code des ports maritimes a été intégrée au code des transports. En revanche, la partie réglementaire dudit code a été maintenue en l’état. Le problème est que cette ordonnance fait totalement abstraction des ports décentralisés relevant de la compétence des régions, dans la mesure où elle ne reconnaît que la seule compétence des départements et des communes. Mes chers collègues, vous le comprendrez aisément, cette absence de reconnaissance de la région en qualité de propriétaire de ports décentralisés soulève diverses interrogations et crée de nombreuses difficultés.

En second lieu, signalons que la conclusion des conventions de terminal permet une modernisation des infrastructures et des superstructures des ports, tout en favorisant le développement économique portuaire. Pourtant, seuls les grands ports maritimes et les ports autonomes sont autorisés par le code des ports maritimes à conclure de telles conventions. Il conviendrait donc de permettre aux ports décentralisés, quelle que soit la collectivité territoriale compétente, de conclure toute convention de terminal avec un opérateur.

Eu égard aux difficultés qui sont les nôtres, monsieur le ministre, il semble établi que l’État a d’ores et déjà décidé de ne pas appliquer la réforme de 2008 à l’ensemble des ports décentralisés, sur lesquels, de toute façon, il n’a plus aucune autorité directe, du fait de leur transfert aux collectivités territoriales. Les principes de la réforme seraient pourtant tout autant valables, notamment en termes de gouvernance et d’organisation du travail, pour les ports décentralisés que pour les grands ports, les premiers étant les compléments indispensables des seconds. Il est donc essentiel, pour que les ports décentralisés puissent jouer pleinement leur rôle, que leur productivité s’améliore au même rythme que celle de leurs grands voisins. À défaut, ils dépériront, finiront par disparaître, et avec eux des centaines d’entreprises et des milliers d’emplois.

Pour illustrer mon propos, je soulignerai que le trafic a augmenté de 24 % entre 1989 et 2006 dans les ports français, tandis qu’il croissait en moyenne de 60 % dans l’ensemble des ports européens, et qu’entre un tiers et la moitié des conteneurs à destination de la France transitent par des ports étrangers : de tels chiffres doivent nous amener à nous interroger, mais surtout à examiner comment nous pouvons remédier efficacement à une telle situation.

Quand on sait que le trafic de conteneurs a doublé en France entre 1989 et 2006, pour atteindre 36 millions de tonnes, et que les parts de marché des ports français ont été divisées par deux sur ce segment, on ne peut que se poser de graves questions.