M. Thierry Foucaud. Cet amendement est un amendement de repli par rapport à l’amendement n° I-76 et, certes, nous aurions préféré que le taux de 0,1 % que nous proposions dans ledit amendement soit retenu.

Cela étant, l’adoption de l’amendement que vient de présenter M. Cambon suffirait à marquer le fait que le Sénat, uni pour la première fois et je m’en félicite – je rappelle que, chaque année, nous avons déposé un amendement en ce sens, mais sans succès jusqu’à présent –, approuve l’institution de ce que l’on appelle communément la « taxe Tobin ».

La parole est à M. Yvon Collin, pour défendre l'amendement n° I-175 rectifié.

M. Yvon Collin. Cet amendement tend, lui aussi, à instaurer une taxe anti-spéculative au cœur de nos dispositifs fiscaux. Le groupe du RDSE est particulièrement attaché à cette mesure. J’avais d’ailleurs déposé, au nom de mon groupe, une proposition de loi sur ce sujet, examinée en séance publique le 23 juin 2010. Les débats de qualité qui s’étaient alors tenus n’avaient malheureusement pas permis son adoption : il nous avait été objecté que notre idée était excellente, mais qu’elle arrivait trop tôt.

Cependant, mes chers collègues, comme vous avez pu l’observer nous sommes particulièrement tenaces et persévérants (Sourires). Aussi avons-nous eu la satisfaction d’assister à l’adoption de cette même taxe par le Sénat, la semaine dernière, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Certes, cette satisfaction fut de courte durée – cela arrive souvent ! (Nouveaux sourires) –, l’Assemblée nationale ayant rejeté l’article 10 AE que nous avions inséré.

C’est pourquoi nous réitérons cette proposition de taxe sur les transactions financières qui nous paraît toujours pertinente et d’autant plus impérieuse que, depuis la crise des subprimes de 2008, tout le monde s’accorde à reconnaître la nécessité de réglementer le système financier.

Ainsi, la moralisation des marchés était au menu du sommet du G20 de Londres au mois d’avril 2009. Le G20 qui s’est déroulé à Pittsburgh quelques mois plus tard a même arrêté le principe d’une taxation spécifique sur certains types de transactions financières. Dois-je aussi rappeler que le Président de la République a déclaré, à Cannes, lors de la conférence de presse du 3 novembre dernier, que l’instauration d’une taxe sur les transactions financières était « foncièrement indispensable » et « moralement incontournable » ? Et bien, qu’attendons-nous pour la mettre en œuvre ? C’est une question d’intérêt général !

Nous réfutons par avance l’argument selon lequel il ne faudrait pas faire cavalier seul au prétexte que cela handicaperait notre place financière. Il semble bien plutôt que ce soit l’immobilisme à l’égard des marchés et de leurs pratiques dénuées d’éthique qui nous a conduits dans l’impasse économique actuelle !

Nous devons par ailleurs affirmer notre souveraineté fiscale sans crainte. Souvenons-nous – Christian Cambon l’a excellemment rappelé – que la taxe sur les billets d’avion instaurée en 2006 devait conduire les compagnies aériennes et les plates-formes aéroportuaires françaises au désastre. Or une vingtaine de pays l’ont finalement adoptée !

Soyons courageux et précurseurs et introduisons une petite viscosité dans les mouvements internationaux de capitaux afin de renforcer la responsabilité des acteurs financiers ! Dans le cadre qui nous occupe aujourd’hui, cette mesure rapporterait 11 milliards d’euros, qui seraient bien utiles pour alimenter le budget de l’État.

C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à voter cet amendement. Je crois pouvoir affirmer que Mme la rapporteure générale sera sensible à cette initiative, qui témoigne du même état d’esprit que celui qui est à l’origine de l’intelligente taxe sur les transactions automatisées adoptée vendredi soir.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Lors de ses travaux, la commission a émis un avis favorable sur l’ensemble de ces amendements en discussion commune, y compris sur l'amendement n° I-169, présenté par Mme Keller et Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, qui n’a pas été défendu. Je m’étais alors engagée à proposer un amendement de synthèse qui tienne compte de l’ensemble des propositions émises en termes d’assiette, de taux et d’entrée en vigueur. En effet, il faut noter qu’une position consensuelle du Sénat se dégage sur ce sujet, au moment où tout le monde appelle de ses vœux cette taxe sur les transactions financières.

Je remercie Christian Cambon et Yvon Collin d’avoir souligné que le groupe socialiste du Sénat a voté en son temps la taxe sur les billets d’avion. Je le rappelle également chaque fois que l’occasion m’en est donnée.

Les amendements nos I-76, I-122 et I-148 tendent à prévoir une même assiette, large. Il s’agit de soumettre l’ensemble des transactions financières, englobant toutes les transactions boursières et non boursières, titres, obligations, et produits dérivés, de même que toutes les transactions sur le marché des changes, à cette taxe assise sur leur montant brut. J’ai retenu cette proposition pour l'amendement de la commission.

Quelques points de divergence sont à noter en ce qui concerne le taux. Ainsi, l'amendement n° I-76 fixe celui-ci à 0,1 %, l'amendement n° I-122 et les amendements identiques nos I-59 et I-175 rectifié à 0,05 %. Quant à l'amendement n° I-148, il tend à laisser au pouvoir réglementaire le soin de décider du taux de la taxe, dans la limite de 0,05 %. À l’instar de Christian Cambon, j’insiste sur le fait qu’il doit s’agir d’un taux faible. Je ne suis pas en mesure d’estimer le produit escompté – 11 milliards d'euros ou 12 milliards d'euros –, mais il sera certainement intéressant.

Dans un entretien qu’il a récemment accordé à un journal du soir français, le ministre fédéral des finances de l’Allemagne, M. Schäuble – ce n’est pas un plaisantin, loin s’en faut ! (Sourires) Il est très respecté dans le milieu des affaires économiques et financières et son avis compte –, M. Schäuble, disais-je, pour appuyer cette initiative, a établi un parallèle que je veux rappeler, car on n’y pense pas souvent. Personne ne conteste la TVA, qui est un impôt communautaire, même si des adaptations sont possibles selon les États membres : cette taxe sur la consommation est admise. Dans ces conditions, pourquoi n’existe-t-il pas de taxe sur les transactions financières ? Cette comparaison est un appel à la raison.

La proposition d’une taxe à large assiette et à taux faible me semble raisonnable dans la mesure où la Commission européenne a proposé le 28 septembre dernier une taxe sur les transactions financières dont les taux minimaux seraient de 0,1 % pour les actions et les obligations et de 0,01 % pour les produits dérivés.

Le taux de 0,05 % n’émerge donc pas d’une génération spontanée : il s’agit d’une médiane acceptable dans la fourchette que fixe la Commission européenne. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dans trois des amendements en discussion commune, c’est ce taux qui est prévu. En outre, il n’est pas nécessaire de fixer un plafond. Pour poursuivre le parallèle, je rappelle que le taux de TVA le plus réduit est de 2,1 % et s’applique à un certain nombre de produits, notamment culturels.

J’en viens à la date d’entrée en vigueur de ces dispositions. Malgré l’impatience qui se manifeste depuis qu’il est question de cette arlésienne, mes chers collègues, je vous propose de vous rallier à la position de la commission des affaires étrangères et de différer sa mise en œuvre au 1er juillet 2012.

En effet, la proposition de la Commission européenne est soutenue par de nombreux pays européens, à commencer par la France et l’Allemagne. Il faut lui laisser une chance d’aboutir car, nous le savons, plus nous serons nombreux, plus nous serons forts.

Six mois paraît un délai à la fois suffisamment lointain pour discuter sereinement et efficacement avec nos partenaires et suffisamment proche pour ne pas nous priver trop longtemps d’une taxe sur les transactions financières, si les négociateurs devaient échouer.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, tel est donc le dispositif que je propose au nom de la commission, par l’intermédiaire de cet amendement de synthèse sur lequel je demande la priorité.

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° I-206, présenté par Mme Bricq, au nom de la commission des finances, et ainsi libellé :

Après l’article 5

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Le code général des impôts est ainsi modifié :

1° L’intitulé de la section XX du chapitre III du titre premier de la première partie du livre premier est ainsi rédigé :

« Taxe sur les transactions financières ;

2° L’article 235 ter ZD est ainsi rédigé :

« Art235 ter ZD. – I. – L’ensemble des transactions financières, englobant toutes les transactions boursières et non boursières, titres, obligations, et produits dérivés, de même que toutes les transactions sur le marché des changes, sont soumises à une taxe assise sur leur montant brut.

« II. – Le taux de la taxe est fixé à 0,05 %.

« III. – La taxe est due par les établissements de crédit, les institutions et les services mentionnés à l’article L. 518-1 du code monétaire et financier, les entreprises d’investissement visées à l’article L. 531-4 du même code et par les personnes physiques ou morales visées à l’article L. 524-1 du même code. Elle n’est pas due par la Banque de France et par le Trésor public.

« IV. – La taxe est établie, liquidée et recouvrée sous les mêmes garanties et sanctions que le prélèvement mentionné à l’article 125 A du présent code. »

II. - Le présent article entre en vigueur à compter du 1er juillet 2012.

Il n’y a pas d’opposition à la demande de priorité formulée par la commission ?...

La priorité est ordonnée.

Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce extérieur. Mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je tiens à rappeler l’action et la détermination du Gouvernement et du Président de la République pour faire avancer ce dossier important sur la scène internationale.

Le 27 juillet 2011, le Président de la République et la Chancelière Angela Merkel ont réaffirmé leur volonté commune d’avancer rapidement sur ce sujet. À la mi-septembre, mon collègue François Baroin et son homologue allemand ont adressé une proposition précise à la Commission européenne. À la fin de ce même mois, la Commission européenne a présenté un projet de directive inspiré de l’initiative franco-allemande, qui a fait l’objet d’un premier examen en conseil Ecofin à la fin du mois d’octobre.

Lors du dernier « G20 finances », qui s’est tenu à Cannes les 3 et 4 novembre 2011, on a pu observer non seulement l’intérêt de certains États non-européens, notamment le Brésil et l’Argentine, pour cette taxe, mais aussi, pour la première fois, un mouvement positif de la part des États-Unis, le Président Obama n’ayant pas exclu l’idée d’une contribution spécifique du monde financier. Il s’agit là d’une avancée diplomatique majeure et sans précédent, obtenue grâce à l’engagement fort du Président de la République et de Mme Merkel.

Cette taxe sur les transactions financières n’a jamais été aussi proche d’une mise en œuvre effective à l’échelle internationale. Je précise d’ailleurs que les propositions formulées portent sur une assiette large visant l’ensemble des transactions, y compris les transactions sur les produits dérivés, et non les seules transactions automatisées.

Dans ce contexte, je le dis solennellement, le Gouvernement comprend et partage l’impatience des sénateurs, de l’opposition comme de la majorité. Pour autant, chacun doit avoir conscience qu’il serait contreproductif pour la France de mettre en place une telle taxe de manière isolée. Loin de lutter contre la spéculation, cette initiative pénaliserait la place financière de Paris et, avec elle, les entreprises qui se financent sur le marché français, sans aucun effet positif de régulation des marchés. Les transactions ne feraient que se déplacer.

Faire cavalier seul serait donc peu réaliste et irait à l’encontre de la démarche engagée sur la scène internationale comme à l’échelon européen, au moment même où celle-ci commence à produire des résultats tangibles. Au lieu de contribuer à faire avancer ce dossier, l’instauration d’une taxe unilatérale lesterait la France d’un boulet préjudiciable à sa capacité de convaincre ses partenaires.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur la volonté du Gouvernement pour œuvrer à l’instauration de cette taxe. Nous n’avons d’ailleurs fait que cela toutes ces dernières années.

Madame la rapporteure générale, je tiens à vous remercier de l’excellent travail que vous avez fourni en proposant cet amendement consensuel, qui traduit la volonté de l’ensemble des sénateurs. Je dois dire qu’il est d’un précieux soutien pour le pouvoir exécutif qui a la charge de la négociation internationale.

Je suis convaincu que, forts de l’appui du Sénat tout entier, le Président de la République et le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ainsi que nos homologues allemands continueront à plaider avec insistance auprès de la Commission européenne pour que nous parvenions à un texte européen.

Pour toutes ces raisons le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. (Sourires ironiques sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Je le rappelle, ces négociations à l’échelle de l’Union européenne incombent au pouvoir exécutif. Nous allons avancer sur un texte européen ; cette idée est en train de prendre forme chez nos partenaires. En attendant, de grâce, évitons un geste isolé qui serait contre-productif à la fois pour notre place financière et pour ce combat que nous menons avec conviction !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mes chers collègues, il faut se réjouir de vivre de tels moments de consensus (Exclamations amusées sur l’ensemble des travées.),…

M. Jacky Le Menn. C’est fusionnel !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … d’entendre le secrétaire d’État, représentant le Gouvernement de François Fillon, remercier Mme la rapporteure générale, désignée par la nouvelle majorité sénatoriale, d’avoir bien œuvré à un travail de synthèse.

M. Jean-Pierre Caffet. C’est la nuit du 4 août !

M. Jacky Le Menn. Tout arrive !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez expliqué que ce dossier cheminait, que ce combat avançait. Toutefois, je souhaiterais, d’une part, vous dire qu’à titre personnel je voterai ce texte de consensus et, d’autre part, vous demander de nous indiquer comment et dans quel cadre juridique cette idée peut progresser, au sein de l’Union européenne en premier lieu.

S’agissant d’un élément de la fiscalité, l’unanimité est-elle indispensable ? C’est une question qu’il convient de traiter en toute lucidité.

Je voudrais dire ensuite que, mon œil ayant été attiré par le compte rendu d’une récente visite à Londres de Mme la Chancelière Angela Merkel, j’ai cru lire, rédigé en termes très positifs, comme il se doit, et évidemment très courtois, que le gouvernement britannique n’était pas encore exactement sur la même longueur d’onde, si j’ose m’exprimer ainsi, que la France et l’Allemagne, en ce qui concerne la taxation des transactions financières.

Il serait utile que vous puissiez nous dire, en connaisseur des stratégies qui se déploient sur notre continent et sur le pourtour de celui-ci, comment vous voyez l’évolution de cette dialectique.

Enfin, dans une dimension transatlantique, comment envisagez-vous l’évolution du débat avec les États-Unis ?

En d’autres termes, et même si notre consensus est, en soi, un fait politique significatif, peut-on imaginer une telle taxation, à vocation globale et mondiale, qui ne s’appliquerait pas sur les deux places financières les plus importantes du monde, à savoir New York et Londres ?

Pour qu’en toute lucidité nous puissions faire notre travail de pédagogie vis-à-vis de celles et ceux qui, peut-être, nous écoutent ou nous liront, il est important que vous nous disiez où en est exactement cette question.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Monsieur le secrétaire d’État, j’aurai du mal à admettre que cet amendement est contre-productif – c’est le terme que vous avez utilisé – par rapport à l’objectif recherché. J’ai peine à imaginer que le Sénat fasse un travail improductif, lui qui a prouvé, dans le passé, qu’il était capable d’innover et de proposer des solutions faisant consensus. À cet égard, je rends hommage à l’ancienne majorité, notamment à l’esprit d’innovation dont a su faire preuve, en maintes occasions, celui qui occupait alors la fonction de rapporteur général.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Merci !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il y a une forte demande émanant de toutes les travées et il me semble, j’en suis même sûre, que, si le Sénat adopte la solution de compromis que j’ai proposée, elle donnera du poids à la position de la France. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

La date du 1er juillet laisse quand même aux négociateurs le temps d’avancer !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Madame la rapporteure générale, j’ai l’impression que mon exercice de pédagogie est vain, puisque vous semblez avoir pris votre décision.

D’abord, je voudrais vous dire que contre-productif ne veut pas dire improductif. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes engagés dans une négociation internationale. Le cas de cette taxe sur les transactions financières est le même que celui de la fameuse taxe carbone. De même qu’on ne peut pas créer seuls une taxe carbone, on ne peut pas légiférer tout seuls sur la finance mondiale.

Madame la rapporteure générale, je conçois que le Sénat envoie un signal unanime, pour dire que la Haute Assemblée de la République française pense que la taxation des transactions financières est nécessaire. Mais ce signal sera aussi bien envoyé si l’amendement est retiré, dans la mesure où le Gouvernement a pris bonne note de votre résolution commune. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

Je vous en ai même remercié, madame. Et ce n’est pas par pure politesse, c’est parce que le soutien de l’ensemble des groupes sur un tel sujet renforce l’exécutif dans la négociation internationale.

J’aurai un mot de pédagogie à l’adresse de M. le président de la commission des finances. Nous négocions en Europe à vingt-sept, mais également dans le cadre du G20. Comme vous l’avez dit vous-même, il faut que l’ensemble des places financières européennes soient sur la même ligne, pour qu’ensuite nous arrivions à convaincre la place de New York, puis les places asiatiques. C’est la seule condition pour que tout cela ait un sens.

Il n’est pas imaginable que certains pays taxent les transactions financières, d’autres pas. À l’âge des transactions automatisées, nous assisterions à un déplacement immédiat des transactions vers des endroits libres de taxes, phénomène que nous connaissons dans bien d’autres domaines, tels que l’environnement ou la fiscalité sur le marché de l’art. Chaque fois que l’on taxe un endroit de manière isolée, il en résulte une « déviation de trafic ».

Est-ce cela que nous voulons ?

Le Gouvernement remercie donc le Sénat de le soutenir dans son action, qu’il mène d’arrache-pied avec l’Allemagne. Nos deux pays sont en train de réunir petit à petit un consensus en Europe, mais également au sein du G20 depuis le sommet de Cannes.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Avec les Anglais ?

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Avec les Anglais et les Américains, la démarche est progressive, mais la situation est aujourd’hui très différente de ce qu’elle était y a un an ou deux. Avant la crise, aucune de ces puissances ne voulait entendre parler d’une taxation sur les transactions financières. Nous sommes en train de voir le curseur évoluer…

Je me permets simplement de vous demander de réfléchir aux conséquences qu’il y aurait à légiférer seuls sur un tel sujet. La mesure nuirait à la place financière de Paris, sans faire évoluer le consensus. Au contraire, elle serait de nature à raidir la position de certains pays, qui s’empresseraient naturellement de voter des résolutions allant exactement en sens inverse. Si nous voulons faire avancer cette idée, dans l’intérêt des pays du tiers-monde, essayons de le faire par consensus, par la négociation. Il n’est pas imaginable que le Sénat américain, le Sénat français ou la Chambre des Lords à Londres agissent de façon unilatérale en la matière. Si nous entrons dans ce schéma, nous n’arriverons à rien.

Telle est la position du Gouvernement, qui partage votre volonté d’avancer sur ce sujet. Il ne cesse d’y travailler et commence, je crois, à obtenir des résultats. Je sollicite donc, de nouveau, le retrait de cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote.

Mme Chantal Jouanno. Il faut se réjouir de constater un tel œcuménisme sur les travées du Sénat !

Le principe de cette taxation des transactions financières – actions, obligations et, surtout, produits dérivés – a réellement été proposé, pour la première fois, à Copenhague, en 2009. Nous souhaitions alors trouver une source de financement dans l’objectif d’aider les pays africains à trouver des produits de substitution aux énergies fossiles et à s’adapter aux changements climatiques.

À l’époque, nous avions reçu, au mieux, d’aimables sourires, mais, en général, plutôt une fin de non-recevoir. Les négociations ont donc manifestement bien progressé. Sur le fond, il me semble qu’existe un accord assez unanime.

Sur la forme, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite dire, en préambule, que je n’accepte pas du tout la comparaison avec la contribution carbone. Mais c’est un autre débat, dans lequel j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer.

Cela dit, il est vrai que nous sommes en présence de transactions extrêmement volatiles, pouvant facilement se délocaliser. Aussi, même s’il est bon que le Sénat puisse s’exprimer de manière unanime pour soutenir le Gouvernement dans son action, nous sommes tous conscients qu’un tel vote n’aura pas, in fine, d’impact réel, puisque nous n’arriverons pas à mettre concrètement la taxe en place.

Je voudrais rappeler que nous avions soutenu ce projet de taxation sur les transactions financières dans l’idée que son produit serait affecté à la lutte contre les changements climatiques, à des plans d’adaptation et à l’aide au développement. Avec cet amendement, nous ne sommes pas dans la même logique puisque le produit de la taxe viendrait résorber le « trou » de nos finances publiques. Il ne s’agit donc pas du tout de la même approche.

Certes, le soutien unanime et officiel à cet amendement dans cet hémicycle est positif, quoique, à mon sens, une action séparée, mais concertée, de chaque groupe serait plus opportune. Quoi qu’il en soit, je le répète, nous ne sommes pas du tout dans la même logique que celle qui a présidé à l’action du Gouvernement, et qui consistait à instaurer une taxation sur les transactions financières pour en affecter le produit à des mesures spécifiques de lutte contre les changements climatiques ou d’aide au développement.

M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.

M. François Fortassin. Je n’entrerai pas dans le débat sémantique sur la différence entre le contre-productif et l’improductif, mais je dois dire que j’ai quelque mal à comprendre le raisonnement de M. le secrétaire d’État. Peut-être est-ce parce que je maîtrise très mal les arcanes européens…

À mon sens, retirer cet amendement serait un aveu de faiblesse de la part du Sénat. Puisque nous sommes unanimes à soutenir cette taxation sur les transactions financières, pourquoi faire comme s’il s’agissait d’un amendement d’appel ?

Selon moi, dans la négociation qui sera menée, tant à l’échelon des ministres des finances que des chefs des exécutifs, la position française sera renforcée dès lors que s’exprimeront une volonté forte et une adhésion unanime du Sénat.

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote.

M. Vincent Delahaye. La question de la taxation des transactions financières est un vieux serpent de mer de l’économie politique. Le principe est connu et ancien. Avant Tobin, Keynes se prononçait déjà en faveur d’une taxation du secteur financier, au lendemain du krach de 1929.

Tout a été dit sur cette taxe. On pensait qu’elle serait inapplicable, que tous les pays en première ligne de la finance internationale, les États-Unis et le Royaume-Uni principalement, n’y participeraient pas.

On pensait également que l’instauration d’une telle taxe ferait fuir les investisseurs et provoquerait d’importantes fuites de capitaux.

Au vu de son très faible taux, portant sur une économie virtuelle, on sait aujourd’hui que c’est faux. Philippe Douste-Blazy est bien parvenu à créer une taxe internationale sur les billets d’avion au profit de la lutte contre le sida et le paludisme.

Mme Nathalie Goulet. C’est Jacques Chirac !

M. Vincent Delahaye. Philippe Douste-Blazy en était à l’origine.

Depuis lors, le Président de la République a pris d’importants engagements et a joué récemment un rôle notoire en la matière. La coopération renforcée des nations européennes, notamment de la France et de l’Allemagne, lors des derniers sommets internationaux, a permis la naissance d’une proposition de directive communautaire sur la taxation des transactions financières.

Cette taxe devrait rapporter près de 57 milliards d’euros de recettes au profit des États membres et de l’Union européenne. Elle sera également un outil efficace pour freiner la spéculation.

Pour donner plus de poids et d’impact à la création de cette taxe, il semblerait préférable que nous laissions travailler d’abord la Commission européenne et le Parlement européen. Libre à nous, ensuite, de renforcer les dispositifs qui seront proposés.

Il est nécessaire que le Parlement français se prononce sur un tel projet. Aussi, je pense qu’il mérite davantage que de simples amendements d’appel, qui, même s’ils étaient adoptés, n’auraient aucune portée normative et, partant, aucun effet économique.

Le principe de la taxe fait, je pense, l’objet d’un consensus sur toutes les travées de notre assemblée. Agissons en la matière avec volontarisme, mais sans prendre de position unilatérale précipitée.

Pour toutes ces raisons, bien que favorable, sur le fond, à la création de cette taxe, la majorité des sénateurs du groupe de l’UCR s’abstiendront.