M. Jacques Chiron. Bref, tout va bien !

M. le président. La parole est à M. Richard Tuheiava.

M. Richard Tuheiava. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les orateurs précédents l’ont souligné, l’effort budgétaire de l’État consacré à l’outre-mer stagne. Les crédits de la mission « Outre-mer » pour 2012 sont en diminution de 24,8 millions d’euros en autorisations d’engagement, soit une baisse de 1,2 %, et en stagnation pour ce qui est des crédits de paiement.

En plus de pâtir de la diminution des dépenses fiscales, l’outre-mer français est financièrement affecté par le plan d’économies supplémentaires demandé au titre de l’effort collectif afin de tenir compte de la révision à la baisse des perspectives de croissance pour 2012.

Presque tous les dispositifs figurant dans la mission « Outre-mer » que vous défendez ce soir devant le Sénat, madame la ministre, subissent une diminution de leurs dotations.

La collectivité d’outre-mer de la Polynésie française, elle non plus, n’a pas été épargnée par la crise. La situation budgétaire et comptable de notre collectivité est plus qu’alarmante, vous le savez, mais le gouvernement polynésien a marqué par deux fois son engagement à la relever : d’abord par un plan de redressement adopté par la majorité des représentants de l’assemblée de la Polynésie française le 18 août dernier, puis par un projet de budget de rigueur pour 2012, déposé sur le bureau de ladite assemblée pour être débattu à partir du 8 décembre prochain.

Si la Polynésie française n’est pas encore sortie de la crise qui l’a touchée, j’ai noté que le redressement et l’assainissement des finances constituaient un objectif prioritaire du gouvernement polynésien.

La collectivité de Polynésie française engage un chantier de réformes sans précédent : une fiscalité ajustée sur les revenus, une domanialité privée, un plan énergétique, un toilettage progressif de l’administration locale, etc. De nombreuses restructurations et réorganisations entre services et établissements publics seront effectives dès le 31 décembre 2011.

Des mesures de redressement sont également annoncées dans le régime de la protection sociale généralisée. Cependant, madame la ministre, si la mécanique économique est bien belle et permet les prévisions les plus inspirantes, elle ne traite pas de l’humain et des réactions sociales, ce que vos collègues du gouvernement central savent très bien !

La Polynésie française prend un virage institutionnel et économique qui ne porte toujours pas de nom.

Il y a une volonté réelle de s’en sortir. Il faut toutefois en finir avec un discours culpabilisateur à l’égard de nos départements et collectivités d’outre-mer. Ce sentiment est partagé par mes collègues ultramarins, qui représentent la France des trois océans.

Nous avons depuis peu, au Sénat, des moyens supplémentaires pour contrôler l’efficacité de la politique gouvernementale vis-à-vis de l’outre-mer et pour déployer nos synergies parlementaires, grâce à la création récente d’une délégation pour l’outre-mer qui portera la voix des territoires ultramarins au sein de notre Haute Assemblée chaque fois que ce sera nécessaire.

Je ne peux toutefois m’adresser à vous ce soir sans vous faire part des sérieuses préoccupations que m’inspire l’avenir des communes polynésiennes, qui, comme tant d’autres, rencontrent des difficultés financières, certaines d’entre elles étant même en situation d’asphyxie. Elles sont au bord du gouffre !

La loi de finances pour 2011, votée ici même il y a un an, a réformé la dotation globale de développement économique, la DGDE, fruit de la fameuse « dette nucléaire » envers les Polynésiens, en la remplaçant brutalement par trois nouveaux instruments financiers.

Dans le projet de loi de finances pour 2012, le niveau des dotations a été maintenu.

En revanche, la dotation territoriale pour l’investissement des communes de Polynésie s’avère très insuffisante pour leur permettre d’assumer les missions et les compétences qui leur ont été imposées par le gouvernement central en 2004 en matière de collecte des déchets, de distribution d’eau potable et d’assainissement des eaux usées.

Ainsi que je m’en suis ouvert à mon éminent collègue Christian Cointat, rapporteur pour avis, lors de mon audition par la commission des lois, il devient impératif d’envisager législativement la rétrocession de ces trois compétences communales onéreuses à la collectivité d’outre-mer de la Polynésie française et de réparer ainsi l’erreur commise en 2004.

De même, devant les difficultés émergentes de l’actuel fonds intercommunal de péréquation, créé en 1972 pour le financement des communes polynésiennes et encadré depuis 2004 par l’article 52 de la loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, un bon nombre d’élus polynésiens souhaitent aujourd’hui que son mode de fonctionnement soit repensé et revu.

Ce fonds est l’un des nombreux stigmates du modèle économique et social qui a prévalu dans la période 1970-2000, qu’on appelle l’« ère nucléaire », et qui a été suivie par une reconversion économique dont on peut dire, vous en avez convenu, qu’elle fut un échec.

Ce fonds est alimenté chaque année, pour 10 % environ, par le gouvernement central – de manière facultative –, et pour les 90 % restants par les recettes fiscales prévisionnelles à encaisser par le gouvernement de la Polynésie française.

Ce qui n’est pas clairement dit, c’est d’abord que cette quote-part de l’État est complémentaire du versement d’une dotation générale de fonctionnement aux communes polynésiennes, ce qui signifie que l’État contribue sur deux plans en faveur de celles-ci. Dont acte !

Mais je pose publiquement la question d’une revalorisation de la participation de l’État au financement de ce fonds intercommunal de péréquation. En effet, ce que l’on ne dit pas suffisamment, c’est que les 90 % restants, qui alimentent donc le fonds intercommunal de péréquation, destiné aux communes locales, sont directement dépendants de la santé financière du « pays », plus précisément de sa croissance économique.

Or il n’est plus possible de maintenir plus longtemps ce lien de dépendance historique entre la croissance économique de la collectivité de Polynésie Française, régie par l’article 74 de la Constitution, qui sera d'ailleurs sujette d’ici peu à une refonte globale de son modèle de développement, et la santé financière des communes, régies, elles, par l’article 72 de la Constitution.

Ignorer cet état de fait conduirait à battre en brèche encore et encore le principe de libre administration des collectivités locales, qui s’applique aussi aux communes polynésiennes, en vue de leur autonomie et de l’exercice de leurs missions publiques, pour reprendre les termes employés par le rapporteur pour avis de la commission des lois.

Dès lors, se présente à notre horizon commun une souhaitable modification des dispositions de l’article 52 de la loi organique du 27 février 2004 relatives au fonds intercommunal de péréquation ; de même, il est souhaitable de modifier les dispositions relatives à la répartition des compétences entre les communes et le gouvernement polynésien en matière de collecte des déchets, de distribution d’eau potable et d’assainissement.

Madame la ministre, je vous avais posée, le 17 juin 2010, une question d’actualité afin de savoir quelle stratégie nationale d’accompagnement économique et institutionnel votre ministère s’engageait à garantir aux collectivités territoriales d’outre-mer pour permettre à ces dernières de mettre enfin en place un modèle de développement ultramarin rénové ; vous aviez alors esquivé cette question qui revient aujourd’hui, alors qu’il est question du redressement des comptes et du poids de l’instabilité politique.

La réalité, c’est que vous ne disposez que de peu de marge de manœuvre pour appliquer pleinement une stratégie ultramarine satisfaisante, car Bercy ne vous en donne pas les moyens.

La réalité, c’est aussi que certains de vos prédécesseurs ont laissé des marques profondes et indélébiles de leur action ministérielle : d’où ce contexte ultramarin d’effervescence dont vous vous avez hérité voilà seulement deux années.

À cet égard, je citerai deux exemples.

Premièrement, une révision constitutionnelle amendée en 2003 à l’Assemblée nationale a déclassé la notion de « peuples d’outre-mer » en y substituant, sans la moindre consultation des peuples ultramarins, celle de « populations d’outre-mer ».

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue : vous avez déjà dépassé votre temps de parole !

M. Richard Tuheiava. J’ai presque terminé, monsieur le président.

Le second exemple concerne davantage la Polynésie française : il s’agit de cette infamante combinaison de deux lois votées en juillet 2008 et janvier 2010 qui ont, d’une part, classé « secret-défense à vie » les archives nucléaires françaises, et, d’autre part, instauré un dispositif d’indemnisation des victimes d’irradiations nucléaires sciemment inopérant.

La liste est longue…

La réalité, enfin, est que nos territoires comme nos départements ultramarins sont gérés depuis Paris bien souvent comme les « items » d’un tableau de bord, à l’aide d’objectifs stratégiques régionaux, souvent déconnectés des réalités locales, comme si les lignes ne pouvaient plus bouger naturellement, comme si certaines lignes rouges ne devaient pas être franchies sous peine de représailles d’ordre économique.

Fi de notre passé nucléaire non digéré et de ses conséquences économiques et sociales !

Fi de la responsabilité bilatérale de l’État et des politiques locaux à l’égard d’un modèle en pleine déconfiture, sous certains regards incrédules !

M. le président. Maintenant il faut vraiment conclure. Je vais être obligé d’amputer le temps de parole de vos collègues !

M. Richard Tuheiava. Fi du déni à peine flagrant qu’oppose un gouvernement central à l’égard de la classe politique souverainiste émergente, qui a su pénétrer démocratiquement les institutions en place, et qui peine à dévoiler sa feuille de route politique, tant semblent incessants les réajustements qui s’imposent au fur et à mesure que sont découvertes les errances du mode de gouvernance d’avant 2004.

Il faut, madame la ministre, accomplir le souhait du président Sarkozy en août 2009 : « le passé réparé, l’avenir préparé ».

Il faut mettre un terme à cet autisme gouvernemental et cesser de nous inviter, comme le fait d’ailleurs aussi votre collègue M. le ministre des affaires étrangères et européennes, à croire que, pour être mieux entendue dans votre politique en faveur de l’outre-mer, la collectivité polynésienne n’a d’autres leviers que les outils internationaux de la politique étrangère quand elle est gouvernée par un élu souverainiste.

Pour ces raisons de principe et pour celles que portent en filigrane les questions que je viens de poser, je voterai contre les crédits de la mission « Outre-mer » pour l’année 2012. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

M. le président. Monsieur Tuheiava, je vous rends attentif au fait que vous avez plus que doublé votre temps de parole, qui était limité à cinq minutes.

Mes chers collègues, même si une certaine indulgence est parfois de mise, notamment à l’égard de ceux d’entre vous qui viennent d’outre-mer, il faut être raisonnable : j’attire donc une nouvelle fois votre attention sur la nécessité de respecter strictement les temps de parole impartis.

La parole est à M. Jacques Cornano.

M. Jacques Cornano. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le budget pour l’année 2012 intervient dans la situation économique que nous connaissons. Lors de vos différentes auditions, madame la ministre, vous avez affirmé que l’outre-mer devait participer à l’effort de réduction du déficit public. J’en prends acte.

Toutefois, je déplore qu’à des situations différentes soit appliquée une solution similaire.

L’outre-mer est dans une situation socio-économique bien différente de celle dans laquelle se trouve l’Hexagone. Et les îles du sud de la Guadeloupe sont dans une situation encore plus atypique, et critique.

Comme l’a très justement souligné, il y a quelques jours, mon collègue Georges Patient, l’outre-mer souffre simultanément d’un taux de chômage vertigineux, d’une croissance économique très faible et d’une forte inflation.

En effet, les prix ont atteint cette année un taux d’augmentation record de 3,3 % en Guadeloupe, alors qu’il a été de 1,5 % dans l’Hexagone. Le taux de chômage était de 24,1 % au second semestre 2011, contre 9,9 % dans l’Hexagone, selon l’INSEE.

La situation est donc bien différente. Pourtant, le remède proposé est le même.

Pour ce qui me concerne plus particulièrement, à Marie-Galante, le taux de chômage atteint plus de 30 % pour une population de 11 872 habitants.

Et cette situation n’a guère de chance de s’arranger ! Comme vous le savez certainement, plusieurs services de l’hôpital de Marie-Galante sont menacés de fermeture. Or l’hôpital emploie plus de 150 personnes, qui sont chargées de famille. La perte de leur travail les obligerait à partir, et la dépopulation dont nous souffrons déjà aujourd’hui ne pourrait que s’aggraver.

De surcroît, la fermeture de ces services aura de graves conséquences sur le développement touristique. Qui aurait envie de passer ses vacances sur une île où, en cas d’accident, il faut attendre qu’un hélicoptère vienne vous chercher pour vous ramener au CHU de Pointe-à-Pitre ?

Par ailleurs, Marie-Galante vit depuis plusieurs siècles au rythme de la monoculture cannière. Aujourd’hui, l’usine de Grand-Anse est en danger. Or elle fait vivre plus de 2 100 planteurs ; il est crucial de moderniser l’outil industriel, afin de permettre à l’usine de poursuivre son activité.

Malheureusement, ce n’est pas le budget que vous nous soumettez aujourd’hui, madame la ministre, qui est susceptible de répondre à ces besoins. Il manque singulièrement d’ambition, y compris au regard des engagements pris à la suite des événements de 2009 et des promesses faites par le chef de l’État à l’issue du comité interministériel de l’outre-mer.

La Guadeloupe a un besoin vital d’une reconversion économique. Dans ces conditions, il faut bien l’avouer, la suppression de l’abattement de 30 % sur le bénéfice des entreprises imposables en outre-mer tombe mal.

J’entends dire que cet abattement bénéficie principalement aux grandes structures ; certes, mais pas totalement ! Recentrez le dispositif pour éviter ces dérives, mais ne l’éliminez pas complètement, sinon vous risquez de mettre en péril des petites à très petites entreprises, déjà fortement fragilisées.

Et ne venez pas me dire qu’il nous faut exceptionnellement nous serrer la ceinture. En tant que maire de la commune de Saint-Louis de Marie-Galante, je peux vous dire que nous nous la serrons depuis suffisamment longtemps !

Les îles du Sud de la Guadeloupe – la Désirade, Marie-Galante, Terre-de-Haut et Terre-de-Bas – ont besoin de mesures d’accompagnement pour une véritable relance.

L’instauration d’une continuité territoriale effective avec l’Hexagone et un rééquilibrage territorial de l’archipel exige que nous bénéficiions d’une dotation globale de fonctionnement spécifique de double insularité.

La mission « Outre-mer » est en décalage avec les besoins du territoire, avec la réalité et surtout avec les attentes des Guadeloupéens.

Pour toutes ces raisons, je suis au regret de vous dire, madame la ministre, que je ne peux pas cautionner votre politique. Je voterai donc contre le budget de l’outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

M. le président. Merci, mon cher collègue, d’avoir scrupuleusement respecté votre temps de parole.

La parole est à M. Maurice Antiste.

M. Maurice Antiste. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, c’est malheureusement dans un contexte critique et alarmant, sur fond de crise économique et de tensions sociales, que nous sommes amenés à examiner le budget de l’État, et notamment, aujourd'hui, les crédits de la mission « Outre-mer ».

Nous sommes tous d’accord pour dire que l’heure est grave, que tous les territoires ultramarins, dont la Martinique, que je représente, ne cherchent nullement à se soustraire au devoir de contribution à la solidarité nationale.

Toutefois, madame la ministre, ce devoir ne devrait-il pas être subordonné au principe de l’égalité de traitement de tous, en reconnaissant que des situations différentes appellent des traitements différents ? Il s’agit bien pour nous d’équité, et non d’égalité.

Dois-je vous rappeler que, année après année, l’insuffisance du budget de l’outre-mer pose un véritable problème aux ultramarins ?

Nos territoires sont au bord de l’explosion sociale, car le chômage provoque des ravages. Or il est en constante progression, avec un taux atteignant plus de 25 % en outre-mer, à savoir trois fois plus que la moyenne nationale, et 23,8 % en Martinique. Et ce sont principalement les jeunes qui sont touchés : ils ne voient ni solution ni avenir !

Il est vrai que le dispositif du SMA a eu un effet positif sur l’emploi des jeunes. Cependant, il est à regretter que votre budget l’ampute de 5 millions d’euros, sans compter une nouvelle baisse prévue dans le cadre de la prochaine loi de finance rectificative.

Savez-vous, madame la ministre, que, dans nos territoires, le revenu de solidarité active concerne 18,8 % de la population active, contre 5,5 % en métropole ? Que 20 % des Martiniquais vivent en dessous du seuil de pauvreté – 616 euros par mois, je le rappelle – et que, outre les jeunes, sont également concernés des travailleurs pauvres et des retraités ? Que, dans le même temps, les prix restent élevés et même continuent de grimper, la cherté de la vie étant telle que les produits de première nécessité sont hors de prix ?

Force est de constater tristement que nous sommes très loin du but fixé par le document de politique transversale de l’outre-mer, à savoir un « rapprochement des conditions de vie des habitants d’outre-mer avec celles des habitants de métropole ».

Sans remettre en question le devoir de contribution des ultramarins, comment accomplir cet effort national quand, dans le même temps, l’outre-mer se voit priver de son potentiel d’investissement et sombre dans la paupérisation ?

Vous avez supprimé la TVA NPR, c'est-à-dire « non perçue récupérable », l’abattement de 30 % pour l’impôt sur les sociétés, sans parler de l’aide au fret, qui est restée fictive jusqu’au début de 2011. Sur ce point, d’ailleurs, il faut noter que votre budget prévoit une redistribution partielle de ces crédits en direction de l’aide à la rénovation hôtelière, qui devrait également subir une baisse significative dans le prochain plan de rigueur.

Or ce sont ces mêmes aides qui avaient permis de réaliser près de 3 milliards d’euros d’investissement en 2010, conduisant à la création de quelques centaines d’emplois, comme vous l’a si justement fait remarquer mon collègue Georges Patient au début de la discussion générale.

Comment ne pas mentionner également le secteur des énergies renouvelables – je pense notamment à la filière photovoltaïque –, qui devait constituer une des priorités de la LODEOM ! Qu’en est-il aujourd’hui ? Vous avez fait d’une opportunité pour l’outre-mer un véritable gâchis en démontant les avantages fiscaux des investissements dans cette filière.

Tout cela pour vous dire, madame la ministre : oui à la solidarité nationale ; oui au « retroussement des manches » ; mais non au traitement injuste et inéquitable à l’encontre d’une population ultramarine en souffrance sociale, économique et politique.

J’insiste sur la souffrance sociale, notamment au regard de l’accès au logement social. Cette situation préoccupante a d’ailleurs été à l’origine du vote de la loi du 23 juin 2011 sur l’initiative de Serge Letchimy, loi qui se voulait ambitieuse dans le combat contre l’habitat indigne dans les départements et régions d’outre-mer.

Malgré le fait que les crédits en autorisations d’engagement soient stables et qu’ils augmentent de 10 % en crédits de paiement, on constate que le budget consacré à la création de logements sociaux outre-mer reste terriblement insuffisant.

En effet, ce que propose votre gouvernement ne permet pas d’aboutir à une solution satisfaisante, la construction de 6 000 logements sociaux devant être mise en regard des 160 000 demandes pour tout l’outre-mer. N’est-ce pas injuste et dramatique ?

Permettez-moi de m’interroger sur la justice de la politique budgétaire de votre gouvernement qui ne fait qu’appauvrir et dénaturer l’essence même de nos services publics censés aider les plus démunis, alors que, dans le même temps, elle alimente le secteur bancaire et financier.

Où est la justice dans votre traitement du sujet sensible de la continuité territoriale lorsque votre gouvernement accorde un budget bien moindre à l’outre-mer qu’à la Corse, alors même que les coûts sont sans commune mesure ?

N’oublions pas que la liberté de circulation sur l’ensemble du territoire est un droit fondamental !

Enfin, madame la ministre, je ne résiste pas à l’envie de vous interroger, même si cela ne concerne pas directement les crédits de la mission, sur le problème du chlordécone en matière de pêche et sur les moyens débloqués par le Gouvernement dans le cadre du deuxième plan chlordécone. Je rappelle que l’utilisation de ce produit a non seulement contaminé les terres, mais aussi les rivières et, par ricochet, la mer, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer pour les professionnels. Je vous saurai gré de m’informer en temps utile de l’état d’avancement de ce dossier.

Notre collègue Robert Laufoaulu nous disait tout à l'heure qu’il avait rencontré récemment une vieille dame qui l’avait chargé d’un message de remerciement à la France. Moi, c’est un vieil homme que j’ai rencontré, de surcroît ancien combattant, et il m’a demandé de dire à la France, sachant que je venais ici, de ne pas cesser de remercier l’outre-mer pour tout ce qu’il lui apporte.

Madame la ministre, avec une diminution de 58,1 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 66,1 millions d’euros en crédits de paiement, les chiffres parlent d’eux-mêmes ! Et c’est sans compter le deuxième plan de rigueur, qui touchera de nouveau les crédits alloués à l’outre-mer.

L’effort qui est demandé aux DOM pourrait être vu comme une exhortation du Gouvernement pour qu’ils s’amputent eux-mêmes d’une jambe alors qu’ils sont déjà unijambistes ! N’étant pas adepte du masochisme, je ne voterai pas vos propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, il faut se rendre à l’évidence : au nom de la rigueur et de la participation à l’effort national de réduction des déficits publics, le projet de loi de finances pour 2012 laisse pour seule perspective à l’outre-mer une diminution des participations budgétaires de l’État.

Ce processus est en réalité continu depuis plusieurs exercices, avec pour 2012 – cela a déjà été dit – une amputation de pas moins de 48 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 56 millions d’euros en crédits de paiement.

Dans ce contexte, il n’est pas excessif d’évoquer l’iniquité pour parler des efforts demandés, à parité, aux outre-mer et à la nation entière. Ces territoires sont en effet plongés dans une crise économique et sociale qui les rapproche dangereusement de la rupture. De nombreux orateurs avant moi l’ont souligné et nous avons entendu le cri d’alarme de Paul Vergès.

Leurs produits intérieurs bruts sont inférieurs de près de 50 % à ceux des régions hexagonales. Près du quart de la population y vit en dessous du seuil de pauvreté. Les indicateurs de santé publique y sont alarmants. Le marché de l’emploi et celui du logement sont dans un état très préoccupant. Les domaines socio-éducatif, sanitaire et culturel accusent de retards importants en matière d’infrastructures.

Je tiens également à dénoncer les errements des mesures de défiscalisation, dont les règles varient à loisir et qui, surtout, s’achèvent avant terme, mettant en péril l’autonomie financière des bénéficiaires.

Plusieurs de mes collègues ont déjà dénoncé ces orientations d’un libéralisme outrancier, qui confondent les fonds publics et les opportunités offertes aux investissements privés.

À cet égard, les ratios restent extrêmement parlants, avec des dépenses fiscales compensatoires de l’État une fois et demie supérieures à ses contributions budgétaires directes, alors même que l’efficacité de ces dispositifs n’est nullement démontrée. Cela remet radicalement en cause le bien-fondé de telles politiques.

Mon collègue Jean-Étienne Antoinette a clairement indiqué que, en Guyane, les conséquences immédiates du renoncement du Gouvernement étaient déjà palpables. L’engagement budgétaire de l’État stagne, de même que les moyens d’action de ses services déconcentrés.

Dans l’immédiat, nous réclamons pour l’outre-mer des mesures urgentes.

La priorité doit être donnée au soutien au développement endogène de ces territoires, en s’appuyant sur les ressources et sur les acteurs locaux, sur tous les potentiels. Plusieurs orateurs avant moi ont souligné l’opportunité énorme que devrait constituer, par exemple, le développement des énergies renouvelables, qui doit absolument être encouragé, alors que c’est le contraire qui est fait.

Les filières locales doivent être valorisées sur les plans agricole et aquacole aussi bien qu’artisanal et industriel.

Un terme doit être mis à la surexploitation des sous-sols, réalisée sans considération des contraintes environnementales ou de la biodiversité – je pense notamment au respect des mangroves, des forêts et des sous-sols marins.

Plus globalement, le patrimoine naturel de ces territoires doit être protégé non seulement des catastrophes naturelles, mais également des dégâts et des pollutions causées par l’exploitation outrancière des ressources terrestres et marines.

Enfin, en tant qu’écologiste et membre de la commission des affaires sociales, je profite de cette intervention pour attirer votre attention sur l’épidémie de cancers qui ravage actuellement la Guadeloupe et la Martinique, notamment à la suite de l’utilisation irraisonnée d’insecticides tels que le chlordécone, afin de lutter contre le charançon noir du bananier.

Je veux aussi dénoncer le scandale sanitaire des essais nucléaires de Mururoa, dont il sera sans doute de nouveau question ici. Nous sommes d’ores et déjà en lien avec les victimes. Comptez sur notre vigilance pour que toute la lumière soit faite, et pour que les victimes soient dûment indemnisées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la ministre, je suis la dernière oratrice, et le temps nous est compté. Je serai donc un peu brutale dans mes affirmations sur l’analyse que l’on peut faire de votre budget.

Le diagnostic a été posé par tout le monde, et il mériterait d’ailleurs d’être mieux connu par l’ensemble de nos concitoyens : les problèmes de logement sont considérablement plus importants dans les outre-mer qu’en France métropolitaine, où la situation est pourtant déjà très alarmante.

Le diagnostic, ce sont des besoins plus importants, à la fois en termes de nombre de logements, de salubrité, mais aussi de rapport entre le coût du logement et les ressources de nos concitoyens ultramarins. Le diagnostic, ce sont aussi des problèmes liés à des exigences et à des contraintes supérieures en outre-mer, engendrant des coûts particuliers : contraintes de normes ; contraintes liées au coût du foncier, rarement disponible quand il est aménagé, et toujours cher ; contraintes de prix de revient élevé.

Ce double étau rend la situation plus difficile. Il exigerait des moyens renforcés. Or ceux qui sont prévus sont loin de l’être.

Pour ma part, j’ai deux critiques à formuler à l’encontre de ce budget, notamment pour ce qui est de sa partie consacrée au logement : d’une part, les moyens sont notoirement insuffisants ; d’autre part, l’argent public n’est pas toujours utilisé là où il serait prioritairement utile pour le pays, pour nos concitoyens et pour les territoires des outre-mer.

Premièrement, s’agissant des moyens, tout le monde se réjouit que la LBU n’ait pas été amputée ; il y aurait même une augmentation des crédits de paiement. J’observe d'abord que, si les crédits de paiement augmentent, c’est par rapport à 2011, mais, comme les crédits avaient baissé dans la dernière loi de finances, nous retrouvons à peine les niveaux de l’année 2010. Nous sommes dans l’apparence !

En réalité, les moyens destinés au logement baissent puisque, avec un même montant de LBU, les outre-mer doivent faire face aux coûts supplémentaires engendrés par les nouvelles normes, ces dernières étant d’ailleurs assez mal adaptées, en tout cas en matière d’acoustique et d’aération.

En outre, l’inflation sévit, ce qui fait que les coûts, ne serait-ce que celui du foncier, vont augmenter alors que la LBU aura stagné.

Se pose également le problème du fonds régional d'aménagement foncier et urbain, le FRAFU. Je vous rappelle qu’il est prévu qu’on élargisse le champ de ce fonds pour tenir compte des problèmes d’insalubrité et du rapport publié sur ce sujet par M. Serge Letchimy. Or, si un tel élargissement doit se faire avec moins d’argent, on ne peut pas dire, globalement, que les moyens sont maintenus.

Enfin, les organismes HLM des outre-mer ont été touchés, comme les autres, par la fameuse « contribution-ponction ». Le montant de cette dernière s’est élevé à 8 millions d’euros dans les Antilles.

Donc, entre la baisse de la LBU, l’élargissement du FRAFU, l’augmentation des coûts et la ponction sur les HLM, les moyens pour construire du logement social dans les outre-mer baisseront globalement en 2012.

Deuxièmement, s’agissant du mauvais emploi de l’argent public, on nous dit que la défiscalisation serait le nouvel eldorado.

Le Gouvernement soutient que la LBU serait le socle et que la défiscalisation serait le complément. En réalité, les circulaires de Bercy disent exactement l’inverse : selon ces dernières, il faudrait monter les opérations avec le maximum de défiscalisation et calculer ensuite le niveau de LBU pertinent. Mais cela revient à inverser la logique : nous pensons en effet que la LBU doit servir essentiellement à baisser le niveau des loyers. S’il existe aujourd'hui une forme de relance, l’essentiel de ce qui est construit est toujours au plafond de loyer et, en termes de taille de logement, plus petit que ce qui était bâti auparavant.

Si la défiscalisation est maintenue, elle doit être conditionnée au fait qu’elle serve à baisser les loyers par rapport au niveau des plafonds de ressources.

Par ailleurs, je ne suis pas une fanatique de la défiscalisation en matière de logement.

Madame le ministre, je tiens à votre disposition le calcul que nous avons établi sur plusieurs opérations. La construction de 100 logements a donné lieu à 3,3 millions d’euros de défiscalisation. Or, sur cette somme, seuls 2,1 millions d’euros reviennent aux HLM. Il y a donc 1,2 million d’euros qui s’évaporent, correspondant à l’avantage fiscal donné aux bénéficiaires du crédit d’impôt, ainsi que, in fine, aux cabinets de défiscalisation et aux notaires. Résultat : sur 3,3 millions d’euros dépensés par la puissance publique, seuls 2,1 millions d’euros se trouvent réellement investis dans les HLM.

Plutôt que de proposer une défiscalisation, on ferait mieux de prendre l’argent pour le redistribuer sous forme de subventions, soit au sein de la LBU, soit pour améliorer les produits d’accession à la propriété. (Mme la ministre approuve.)

Le temps me manque, mais je pourrais vous faire la même démonstration au sujet du prêt à taux zéro, le PTZ DOM, dont ont essentiellement bénéficié des catégories aisées, lesquelles n’en avaient pas besoin pour accéder à la propriété, mais qui ne permet pas d’améliorer la solvabilité des catégories moyennes ou basses, alors qu’elles en ont, elles, vraiment besoin pour acquérir un logement.

Votre budget ne répond ni à l’urgence républicaine ni à l’urgence sociale ; je ne peux donc le voter.

Le pays ne se redressera, en cette période de crise, que si les valeurs républicaines sont partagées. Comment faire admettre à notre jeunesse, dans les banlieues de métropole, dans les outre-mer ou ailleurs, que la République a un sens, quand le droit au logement n’est pas garanti à tous et que, dès lors, la force des mots de liberté ou d’égalité est gravement érodée ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)