M. le président. La parole est à M. Pierre Frogier.

M. Pierre Frogier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est la première fois que j’ai l’honneur de prendre la parole dans cet hémicycle prestigieux. Après avoir passé un certain nombre d’années sur les bancs de l’Assemblée nationale, je suis conscient de la responsabilité qui est la mienne : représenter dorénavant la Nouvelle-Calédonie au sein de la Haute Assemblée. Je partage cette responsabilité avec mon collègue Hilarion Vendegou.

Entre 2014 et 2018, les Calédoniens seront consultés pour dire comment ils voient leur avenir. Dans cette perspective, nous avons la volonté d’imaginer avec l’État une solution institutionnelle originale, novatrice et consensuelle qui puisse être acceptée par le plus grand nombre d’entre nous et qui sera soumise à la consultation de nos populations.

C’est ce projet d’avenir que nous voulons porter pour la Nouvelle-Calédonie. J’ai la conviction que le Sénat, assemblée des collectivités territoriales, aura un rôle essentiel à jouer dans la préparation et l’adoption de cette solution institutionnelle de long terme, qui pourrait être très novatrice sur le plan juridique.

Je compte sur vous, mes chers collègues, pour nous accompagner dans la voie difficile que nous avons choisie et pour nous aider à construire une Nouvelle-Calédonie apaisée et réconciliée avec elle-même.

Mais déjà, nous y travaillons ! Ceux d’entre vous qui suivent l’actualité de notre lointain territoire savent que désormais, sur ma proposition, le drapeau identitaire kanak flotte à côté du drapeau tricolore sur tous les bâtiments publics de Nouvelle-Calédonie.

Cet acte politique, qui était inimaginable il y a seulement quelques années, est en réalité un signe de reconnaissance mutuelle. Il a été reçu comme tel par les élus indépendantistes. Il a été approuvé par la grande majorité du congrès et validé par les plus hautes autorités de l’État, au rang desquels le Président de la République. Chacun constate aujourd’hui que ce geste a profondément changé l’approche des choses.

Il s’accompagne, en outre, d’un équilibre institutionnel inédit, qui instaure un véritable partage des responsabilités au gouvernement et au congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Aujourd’hui, un nouveau climat s’est installé, et c’est en confiance que nous avons décidé d’engager un dialogue pour mener, sereinement, les discussions sur l’avenir.

Mais, encore une fois, nous aurons besoin de vous !

C’est la raison pour laquelle je me suis permis de tracer ce bref tableau de la situation, alors que je m’adresse à vous pour la première fois, dans le cadre de ce débat budgétaire.

Monsieur le président, rassurez-vous, je sais que nous sommes ici pour examiner le projet de budget 2012 pour l’outre-mer ! Mais, madame la ministre, je ne ferai que peu de commentaires sur le projet que vous nous présentez.

J’ai d’abord conscience que, face à une crise financière d’une ampleur historique, la situation économique de la Nouvelle-Calédonie est particulièrement enviable par rapport à celle de la métropole et de bien d’autres collectivités d’outre-mer. À l’évidence, nous ne sommes pas les plus à plaindre !

Je tiens aussi à souligner que, malgré le contexte budgétaire que connaît notre pays, l’État a tenu tous les engagements qu’il avait pris à notre égard. Je veux parler des contrats de développement 2011-2015, dont les montants ont été maintenus. Je veux citer aussi les compensations financières qui accompagnent les transferts de compétences. Ils répondent à nos demandes et à nos attentes pour nous permettre de réaliser ces transferts au bénéfice de nos populations.

En conséquence, madame, je voterai le budget de votre ministère.

Monsieur le président, en sollicitant votre bienveillance, je souhaite profiter de cette prise de parole pour appeler une nouvelle fois l’attention de Mme la ministre sur la situation budgétaire préoccupante de la Province Sud de la Nouvelle-Calédonie, collectivité que j’ai l’honneur de présider.

J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises de vous y sensibiliser.

Ainsi, en raison de la clé de répartition inégalitaire que nous avons acceptée en 1988, la Province Sud, qui accueille aujourd'hui 75 % de la population de notre territoire, ne reçoit toujours que 50 % des recettes fiscales.

Je rappelle que plus de 60 % de ces dépenses sont consacrées à la santé, à l’enseignement et aux interventions sociales. Ce sont donc des dépenses directement liées à l’explosion démographique de notre province.

Notre budget, en conséquence, est structurellement déficitaire. Nous ne pouvons plus supporter l’augmentation mécanique de ces charges sans contrepartie ou sans recettes nouvelles. Il y va à la fois de la qualité de vie de nos populations et de l’avenir harmonieux que nous nous attachons à construire.

Madame la ministre, je souhaite vous redire solennellement que les dotations de l’État à la Nouvelle-Calédonie sont devenues inopérantes au regard des charges toujours plus lourdes qui pèsent sur notre budget.

Entendons-nous bien : je ne parle pas des dépenses de fonctionnement de la province ; les charges que je vise, ce sont celles qui sont liées à l’évolution démographique de nos populations.

Elles sont, certes, en partie dues aux flux migratoires internes à la Nouvelle-Calédonie, les populations du nord et des îles venant s’installer à Nouméa ou dans son agglomération. Mais leur évolution exponentielle est aussi due au fait que des populations des archipels voisins de la Nouvelle-Calédonie – je pense à Wallis-et-Futuna, au Vanuatu et, aujourd'hui, à la Polynésie française – viennent s’installer en Nouvelle-Calédonie.

C’est ainsi que la Province Sud subit aujourd'hui une inflation des dépenses de santé, d’habitat ou d’aide sociale.

Sans doute, dans quelques semaines, le comité du bilan des accords nous confirmera ces flux de population et la chambre territoriale des comptes en mesurera les conséquences sur l’équilibre budgétaire de la province dans un prochain rapport. Tout cela nous permettra probablement d’élaborer des solutions de long terme dans les années à venir.

Toutefois, d’ici là, avant la fin de l’année 2011, je serai contraint de présenter le projet de budget pour l’exercice 2012 au vote de l’assemblée de province sans recettes nouvelles. Je ne peux tout de même pas me résoudre à présenter un budget qui ne soit pas en équilibre !

Par conséquent, je vous sollicite une nouvelle fois, madame la ministre : nous devons éviter que des solutions plus radicales ne soient retenues dans les années à venir, qui pénaliseraient les administrés de la Province Sud ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Karine Claireaux.

Mme Karine Claireaux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, aux yeux d’une large majorité, le projet de budget pour la mission « Outre-mer » n’est pas à la hauteur des attentes des ultramarins.

En pleine crise sociale, un projet de budget pour l’outre-mer ne représentant que 0,5 % du budget de l’État ne peut être regardé que comme un signe de désengagement. Je sais que vous n’aimez pas qu’on vous le dise, madame la ministre, mais comment faire autrement à la lecture des chiffres ?

D’un côté, on vante les outre-mer, en mettant en exergue leurs richesses et l’intérêt qu’ils présentent pour la France. De l’autre, on ne prend pas en compte, ou peu, les difficultés structurelles, l’éloignement, les contraintes géographiques et régionales qui sont les leurs, avec ce que cela implique en termes de coûts supplémentaires, de difficultés sociales et de besoins en infrastructures de base.

Les collectivités territoriales en outre-mer, comme en France métropolitaine, font des efforts au quotidien pour contenir au mieux leurs dépenses et se donner de nouveaux moyens. Cependant, quand la conjoncture vient accentuer leurs problèmes structurels, c’est de solidarité qu’elles ont besoin, pas de coupes sévères et de renoncements !

Certes, des actions sont préservées dans le programme « Conditions de vie outre-mer ». C’est le cas du logement, dont les crédits sont même en augmentation. Mais que dire de l’action Sanitaire, social, culture, jeunesse et sport, dont les crédits diminuent, de l’action Collectivités territoriales ou de l’action Insertion économique et coopération régionale, même si ce n’est pas la plus importante du programme ?

L’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon ne subit pas de baisse de crédits, mais on ne voit pas non plus de volonté d’abonder les lignes relatives aux secteurs qui sont le plus en difficulté et qui expriment les plus fortes attentes.

Madame la ministre, vous savez, pour y être venue au mois d’octobre, à quel point nos îles, qui sont pourtant, parmi les territoires ultramarins, les plus proches de l’Hexagone, souffrent de l’isolement et de l’éloignement. La continuité territoriale, ô combien importante pour notre archipel, n’est pas pleinement satisfaite.

Le désenclavement des îles au sens large du terme, indispensable pour tout développement économique, est également insuffisant ; en tout cas, il ne correspond pas du tout aux besoins réels. Le manque d’ambition pour les ports en est une illustration flagrante.

La filière pêche n’est pas non plus au mieux de sa forme – c’est un euphémisme ! –, alors qu’elle reste un pan important de notre économie. Certes, une mission sur ce sujet est actuellement diligentée. Mais il faudra prendre en compte à court terme les investissements importants qui devront être réalisés pour remettre les infrastructures aux normes sur les deux îles et, surtout, pour les adapter aux réalités de la demande et des marchés.

Conséquence directe : à Saint-Pierre, des hommes et des femmes qui sont pour l’instant toujours sous le coup d’une convention de reclassement personnalisé viendront très vite augmenter les chiffres du chômage, alors même que le marché local du travail ne peut pas absorber soixante demandeurs d’emploi supplémentaires et que les services de Pôle emploi, compte tenu de leur nouvelle organisation, à Saint-Pierre comme ailleurs, et des compressions de personnels, ne pourront pas traiter efficacement leurs dossiers.

La coopération régionale, Christian Cointat l’a souligné tout à l’heure, a aussi besoin de prendre un nouvel essor, car elle ne donne pas les résultats dont l’archipel a besoin pour une intégration régionale réussie. Elle est trop institutionnelle et, surtout, ne traite d’aucun sujet qui pourrait contrarier nos voisins.

Autre sujet d’inquiétude, le coût de la vie ne cesse d’augmenter et des classes de la population ont de plus en plus de mal à assumer leurs charges ! L’hiver à Saint-Pierre-et-Miquelon est rigoureux. Les retraités, les chômeurs et les bas revenus doivent pouvoir se chauffer, se nourrir et se soigner correctement. Or, avec le prix des mutuelles, les remboursements aléatoires des médicaments, le prix du fioul et des denrées alimentaires de base, certains doivent aujourd'hui faire des choix. Ce n’est pas admissible !

Pourtant, croyez-moi, les communes, à travers les centres communaux d’action sociale, les aident du mieux qu’elles peuvent, avec les moyens dont elles disposent. L’Observatoire des prix et des revenus nous apportera peut-être quelques réponses, mais il va falloir, me semble-t-il, faire un travail de fond sur tous ces thèmes, qui sont vraiment très importants.

L’emploi des jeunes et leur insertion dans le tissu économique local constituent également un dossier essentiel pour l’archipel.

Je voudrais aussi évoquer certains investissements indispensables bénéficiant peu, voire pas du tout des aides du Fonds européen de développement et des contrats de projet. Je veux parler de la rénovation des chaussées et des travaux d’adduction d’eau et d’assainissement. Les chaussées souffrent surtout des aléas climatiques et ne peuvent recevoir que des « soins d’urgence », faute de crédits suffisants. En matière d’adduction d’eau et d’assainissement, le contentieux avec l’Agence de l’eau Seine-Normandie n’est toujours pas réglé, et la contre-analyse demandée aux ministères chargés de l’environnement et de l’outre-mer n’a eu aucune suite.

Comment, alors, financer de tels projets, qui sont certes fort onéreux, mais ô combien importants pour le développement durable, la santé publique, le tourisme et l’économie en général ? Et la liste pourrait ne pas s’arrêter là !

Soyons clairs, madame la ministre : en esquissant ce tableau, je n’ai pas pour objectif d’affirmer que l’État est le coupable et ne fait rien, et je peux témoigner de l’avancée de certains dossiers portés par les élus ces dernières années. Il s’agit simplement de dresser un état des lieux réaliste, mais non exhaustif, et de démontrer que beaucoup reste encore à faire. Les rapports des sénateurs qui se sont succédé à quelques années d’intervalle l’ont d’ailleurs illustré. Le chantier est énorme, et l’État se doit de le soutenir.

C’est de l’espoir qu’il faut donner à mon archipel et à sa population. Ne les enfermons pas, par manque d’ambition, dans une crise qu’ils subissent déjà depuis trop longtemps ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Farreyrol.

Mme Jacqueline Farreyrol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans la période que nous connaissons, il n’est malheureusement pas possible d’envisager que la France puisse se redresser sans un effort national. Et le budget de l’outre-mer traduit cette nécessité.

Plusieurs points me semblent devoir être soulignés.

Tout d’abord, il faut aider l’outil productif à se consolider et à se développer ; le maintien du dispositif des zones franches d’activité le permet sans aucun doute.

Ensuite, et n’en déplaise à certains, les niches fiscales ont été conçues comme un levier pour l’économie de nos territoires. Leur rabotage, légitimé par un gain de recettes fiscales, risque cependant de peser plus sur les économies ultramarines que sur le reste du territoire national. Cependant, je sais que le Gouvernement a dû procéder à des arbitrages difficiles et aussi qu’il a clairement la volonté de réorienter la défiscalisation pour qu’elle puisse profiter davantage à des ménages aux revenus plus modestes.

Par ailleurs, nous ne pouvons que nous féliciter que nos économies fragiles conservent le taux réduit de TVA, ce qui nous permet de mieux résister à la concurrence des pays voisins.

Ensuite, et c’est pour moi une satisfaction, la sanctuarisation de la LBU, d’une part, et le maintien de la défiscalisation sur le logement social, d’autre part, sont des mesures essentielles au regard des défis que nos territoires doivent affronter en la matière.

Enfin, nous ne pouvons également que nous féliciter des mesures prises pour développer le SMA, cette formidable école de la deuxième chance, qui peut combattre l’illettrisme et favoriser le retour à l’emploi.

En effet, l’illettrisme persiste à la Réunion, à un niveau bien supérieur à celui de la métropole. Je souhaite, comme beaucoup de mes collègues, que le Gouvernement mette davantage de moyens pour l’éducation dans nos territoires.

Nous le savons tous, il faut que la solidarité nationale s’applique pleinement pour redresser les comptes de la France, mais il faut tout autant qu’elle s’applique lorsqu’il s’agit de soutenir les territoires ne répondant pas aux critères socio-économiques que nous souhaitons pour notre pays. Je parle du niveau de vie, de la démographie médicale, du niveau de protection, de la sécurité, du logement, des revenus ou encore de l’éducation.

Si les outre-mer permettent à la France d’être présente sur les trois océans et que cela constitue une chance, des équipements universitaires, des équipements sanitaires, des équipements de lutte contre les catastrophes, et j’en passe, pourraient parfaitement être de puissants vecteurs de rayonnement de la France dans l’environnement régional de chacun de ces territoires. En somme, ce serait une chance réelle pour la France tout entière.

Madame la ministre, vous avez eu l’occasion de rappeler tout au long de cette « année des outre-mer » tous les atouts que recèlent nos territoires, toute la richesse de nos cultures métissées, de nos peuples aux histoires si différentes, des histoires toutefois intimement liées depuis plusieurs siècles de l’Histoire de la France – avec un grand H !

Nous avons, je crois, besoin d’une véritable éducation à l’outre-mer. Il faut que, dans l’esprit de chaque Français, de chacun de ceux qui vivent ou séjournent en France, l’outre-mer et la métropole soient les éléments indissociables de la République. Le vrai défi de l’outre-mer, il est là. Nous avons besoin du Gouvernement pour le relever.

Nous ne devons plus voir le territoire national amputé de ses outre-mer sur les sites Internet des ministères, des entreprises, des établissements publics, ou encore dans la presse. Je sais que vous êtes sensible à cette question, madame la ministre, mais il reste beaucoup à faire. Permettez-moi de citer deux exemples très simples.

D’une part, dans les discours ou les communiqués sur l’état de la France, on sépare systématiquement l’outre-mer de la partie européenne du territoire national. Je m’étonne, et le mot est faible, quand j’entends les commentaires sur les statistiques du chômage parler d’un chômage en France « à 9,3 %, et à 9,6 % si l’on inclut l’outre-mer » ! C’est nier une vérité ! L’outre-mer n’est pas une option ! L’outre-mer n’est pas secondaire !

D’autre part, pourquoi les bulletins météo ne parlent que de la métropole tout en prétendant annoncer « le temps en France » ?

Ces deux exemples peuvent sembler anecdotiques, et peut-être même faire sourire. Mais une information plus complète et des discours respectueux de la place de nos territoires au sein de la République participeraient à une « conscientisation » de l’outre-mer que j’appelle de mes vœux. Ce sont des mesures qui ne coûtent rien, mais qui auraient, j’en suis convaincue, plusieurs effets très positifs.

En effet, améliorer la place de l’outre-mer dans l’esprit de chacun, c’est permettre de casser les a priori, c’est servir l’égalité des chances des Français d’outre-mer, c’est faciliter l’acceptation par tous des efforts nécessaires par la nation pour tel ou tel territoire, c’est aussi valoriser tous les atouts de ces territoires pour leur donner une meilleure visibilité. Or une meilleure visibilité, c’est une meilleure attractivité touristique, et vous connaissez tous l’importance du tourisme pour notre économie.

En somme, c’est la question de notre ambition pour l’outre-mer, donc de notre ambition pour la France. La vraie puissance de la France, nous la trouverons dans l’union et dans la sérénité du dialogue entre tous les Français, mais aussi dans la fierté et la promotion de nos différences.

Le vrai défi, il est devant nous, et il va au-delà de 2012. Et c’est à nous, responsables publics, qu’il revient de tout mettre en œuvre pour que cette ambition devienne réalité.

D’ici là, l’urgence est bien sûr l’adoption des crédits de la mission « Outre-mer » et, plus généralement, du présent projet de loi de finances, qui, s’il ne peut pas contenter tout le monde, n’en reste pas moins un projet de budget courageux dans un contexte international particulièrement difficile. C’est pourquoi je le voterai. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, récemment, je vous ai fait part de la situation préoccupante et dramatique dans laquelle se trouve le nouveau département de Mayotte, situation qui est à l’origine d’un mouvement social sans précédent, de quarante-quatre jours.

Un chômage de masse sévit à Mayotte : le taux officiel de 17 %, déjà inquiétant, cache en fait une réalité inacceptable : 30 000 travailleurs doivent nourrir, à eux seuls, plus de 200 000 habitants.

Le RSA, qui sera mis en place à compter de janvier 2012, ne représentera que 25 % du montant alloué en métropole.

La décentralisation n’a pas été accompagnée des moyens suffisants pour que les compétences transférées au département puissent être réellement assumées. Je pense à cette injustice qui fait supporter chaque année au conseil général plus de 30 millions d’euros de charges indues, correspondant aux compétences revenant normalement à l’État.

L’article 85 de la loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte posait pourtant le principe d’une prise en charge progressive par l’État de l’ensemble de ces charges, dont l’achèvement devait intervenir au plus tard le 31 décembre 2004. Nous attendons toujours !

Tant que les chantiers du cadastre, de l’état civil, de la dénomination et de la numérotation des rues ne seront pas achevés, il sera impossible de mettre en place une fiscalité locale.

La pression migratoire est également très élevée à Mayotte. Interrogé en commission des lois à l’Assemblée nationale, le ministre de l’intérieur n’a pas su donner un chiffrage, même approximatif, du budget consacré par la France à la lutte contre l’immigration irrégulière dans notre département. Pouvez-vous, madame la ministre, m’éclairer sur ce point ?

Et que dire des milliers d’enfants abandonnés qui vivent sur notre territoire ? Le garde des sceaux a rappelé que la loi de mars 2007 confiait aux départements le soin de s’occuper des enfants abandonnés. Or il me semble que la problématique des mineurs étrangers isolés dépasse largement la spécificité locale et la politique d’aide sociale à l’enfance, qui relève des conseils généraux. Elle procède de la politique d’immigration de l’État, à qui il revient d’assumer la prise en charge de ces enfants.

Par ailleurs, le retard technologique ne permet pas un développement suffisant. Le Président de la République avait promis l’installation d’un câble sous-marin à la fin novembre pour permettre à Mayotte de recevoir l’Internet à haut débit. Quand pouvons-nous espérer disposer des mêmes outils de communication que les autres départements ?

Les crédits de la mission « Outre-mer » dévolus à Mayotte pour l’année 2012 représenteront 92,3 millions d’euros en autorisations d’engagement et 75 millions d’euros en crédits de paiement alors que l’ensemble des crédits de l’État pour le territoire s’élève à 714 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 674 millions d’euros en crédits de paiement.

Notre collègue Félix Desplan, auteur du rapport pour avis sur cette mission au nom de la commission des lois, fait état, quant à lui, de 700 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 659,3 millions d’euros en crédits de paiement. Quels chiffres devons-nous prendre en compte ? Doit-on comprendre que la différence de 14 millions d’euros correspond à la contribution de Mayotte à l’effort de 1 milliard d’euros annoncé par M. Fillon ?

N’allez pas croire qu’aucune mesure ne trouvera grâce aux yeux des Mahorais.

Je me réjouis très sincèrement qu’une demande ait été faite en faveur de l’accession de Mayotte au statut de RUP, région ultrapériphérique, de l’Union européenne. Cependant, l’acceptation de ce statut, qui implique un accord unanime des membres de l’Union européenne, ne se fera pas avant janvier 2014. D’ici là, que fait-on face à l’urgence ?

Je reconnais bien volontiers que l’État a réalisé des efforts en ce qui concerne le Fonds mahorais de développement économique, social et culturel, dont les crédits ont été portés de 600 000 euros à 5,8 millions d’euros. Mais cette progression est aussi l’aveu de l’évidente insuffisance initiale de ces crédits !

On peut également se féliciter que l’État ait accepté mardi soir, devant les élus mahorais, de débloquer 50 millions d’euros pour aider au redémarrage de l’économie de Mayotte.

Cependant, globalement, l’effort budgétaire et financier consacré à Mayotte est le moins important des DOM, alors que beaucoup reste à faire dans ce territoire.

Face à ce vaste chantier, estimez-vous véritablement, madame la ministre, que les moyens qui sont alloués permettront de répondre aux problèmes que je viens d’évoquer ? Pour ma part, je suis persuadé que ce ne sera pas possible. La situation que connaît Mayotte appelle des solutions, lesquelles passent nécessairement par des moyens budgétaires considérables.

Pour toutes ces raisons et pour celles qui ont déjà été évoquées par mes collègues ultramarins, je me prononcerai contre les crédits de la mission « Outre-mer ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Robert Laufoaulu.

M. Robert Laufoaulu. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’occasion de l’examen des crédits de la mission « Outre-mer » pour 2012, je veux tout d’abord souhaiter la bienvenue à nos nouveaux collègues ultramarins qui, je m’en réjouis, viennent renforcer nos effectifs puisqu’il y a désormais un sénateur de plus en Nouvelle-Calédonie et un de plus à la Réunion, tout comme il y en eut un de plus en Polynésie française il y a trois ans.

En cette « année des outre-mer » voulue par le Président de la République, qui a rendu hommage, lors du défilé du 14 juillet, à ceux des nôtres, nombreux, qui sont engagés sous le drapeau tricolore, je suis ému.

Je voudrais aussi dire une fois de plus dans cette enceinte combien les populations de nos îles sont conscientes qu’une loi de finances est aussi le moyen privilégié de l’expression de la solidarité entre les membres de la famille nationale. Une vieille dame me disait il y a peu : « Quand tu iras en métropole, il faudra remercier la France de ce qu’elle fait pour nous. » Elle voulait parler, je le sais, des Français qui contribuent par leur labeur, parfois dur, à alimenter les caisses de l’État et permettent ainsi l’expression de la solidarité nationale. Je transmets ses remerciements ce soir, devant la représentation nationale.

Dans cette période difficile de crise que traverse notre pays, comme d’ailleurs toute l’Europe, il est normal que l’outre-mer prenne sa part de l’effort national et des restrictions budgétaires : nous le comprenons fort bien.

Pour autant, il est des postes, comme ceux qui concernent la santé ou les jeunes, que nous souhaiterions voir maintenus, car, outre l’impératif moral et social qui exige que l’on s’occupe de ces sujets, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’« investissement pour l’avenir », pour employer des termes qui plaisent aux oreilles des économistes.

Ainsi, madame la ministre, réitérant ce que j’ai déjà dit ces dernières années et ce que bon nombre d’orateurs ont souligné tout au long des précédents examens des lois de finances, je me félicite du développement du service militaire adapté. Ce dispositif est un succès reconnu et de nombreux jeunes, y compris à Wallis-et-Futuna, aspirent à en bénéficier.

Précisément, madame la ministre, je voudrais vous demander ce qu’il en est du projet de SMA à Futuna. Le Président de la République a souhaité que soient doublés les effectifs des jeunes accueillis dans ces structures. Ne peut-on, en attendant la mise en place du SMA à Futuna, intégrer des jeunes de Wallis-et-Futuna dans d’autres SMA déjà existants ?

J’en viens au deuxième impératif que j’ai évoqué, à savoir la santé.

Notre agence de santé, comme toujours, se trouve en déficit, les millions d’euros promis sur le précédent contrat de développement n’ayant pas été délégués pour l’investissement. Le budget de fonctionnement est, lui aussi, insuffisant. Pourtant, la prévention et l’éducation sanitaires permettraient une baisse des pathologies endémiques, comme le diabète ou la goutte.

Je profite également de cette intervention pour attirer votre attention sur la cherté de la vie à Wallis-et-Futuna : un mouvement social a été déclenché la semaine dernière ; il aurait pu durer. Heureusement, les syndicats, conscients de la situation financière du territoire comme de celle du pays, se sont montrés responsables et ont signé un accord suspendant le mouvement, mais demandant une expertise sur la formation des prix, les monopoles et la concurrence.

Je pense, madame la ministre, qu’il est urgent de répondre à cette demande, car elle correspond à un réel besoin du territoire. Certes, elle relève en principe d’une compétence territoriale, mais nous aurions besoin d’une expertise directe de l’Autorité de la concurrence.

Personnellement, je pense que la libre concurrence est un principe qui ne peut pas être toujours appliqué dans de petits territoires comme Wallis-et-Futuna, où la population dépasse à peine 13 000 habitants. La qualité de certains services pourrait souffrir d’une application totale de la concurrence. Il faut donc plutôt, dans ce cas, faire en sorte que le contrôle des « monopoles » soit strict et continu. Seul l’État peut nous aider dans ce sens, et cela sans difficulté au regard du droit européen puisque celui-ci ne s’applique pas à Wallis-et-Futuna.

Tout est trop cher à Wallis-et-Futuna. J’avais été frappé, en allant aux mini-jeux du Pacifique dans les Îles Cook, de voir que la construction d’une salle omnisports de 2 000 places n’avait coûté que 400 millions de francs Pacifique, soit moins de 3,5 millions d’euros, alors qu’une salle de 300 places à Wallis coûtera 600 millions de francs Pacifique, soit plus de 5 millions d’euros. Pourquoi cet écart inexplicable, du moins en apparence, que j’avais du reste déjà signalé ?

À Mayotte, la crise sociale est venue aussi du coût de la vie. La revendication portait, notamment, sur le prix du poulet. Eh bien, à Wallis-et-Futuna, les prix sont deux fois plus élevés qu’à Mayotte ! Il faut agir vite, sans quoi l’explosion sociale se produira aussi chez nous !

Des pistes doivent être explorées, tel le renforcement de l’autoconsommation alimentaire, qui est un axe à privilégier.

Nos populations, durement frappées par le chômage, sont encore très attachées à la terre et à la mer. Les difficultés économiques liées au manque d’argent sont atténuées par cette relation encore très viscérale aux traditions d’agriculture et de pêche. Il faut consolider et accentuer le développement endogène déjà existant pour déboucher sur une production commerciale qui commencerait par l’autosuffisance alimentaire quasi-totale et irait, pourquoi pas, jusqu’à des surplus exportables.

J’en viens maintenant aux dégâts du cyclone Tomas, qui, deux ans et demi après, ne sont pas encore tous réparés, loin s’en faut ! Je suis passé à Futuna la semaine dernière et j’ai pu constater que le rétablissement des réseaux – téléphone, eau, électricité – n’était pas encore terminé. Il en est de même de la route qui fait le tour de l’île. Elle a été emportée sur environ 500 mètres et n’est toujours pas réparée.

Je dirai à présent quelques mots de l’aide au fret.

Beaucoup de matériaux sont importés d’Australie ou de Nouvelle-Zélande. Si l’on veut que ce dispositif soit efficace pour aider les entreprises locales, il faudrait le rendre exigible aux importations. C’est le souhait des quelques entreprises qui sont établies à Wallis-et-Futuna et créent des emplois. Est-ce possible, madame la ministre ?

Je souhaite également aborder les budgets des trois circonscriptions de Wallis-et-Futuna, qui sont toujours à flux tendu et ne bénéficient d’aucune autre ressource que la DGF. Ne pourrait-on repenser la péréquation plus favorablement pour ces circonscriptions qui, je le rappelle, sont les seules à avoir la personnalité juridique puisque nos villages ne sont pas des communes ?

Enfin, permettez-moi d’évoquer le contrat de développement. Celui de 2007-2011 s’achève sur un bilan mitigé. Quelques départements ministériels, hélas ! semblent moins enclins que d’autres à déléguer les crédits que l’État s’est engagé à allouer.

Ainsi, par exemple, les crédits prévus pour la protection du littoral, bien qu’ayant fait l’objet de demandes répétées, ne sont toujours pas arrivés. Pourriez-vous, madame la ministre, appuyer les démarches du territoire auprès de votre collègue ministre de l’écologie et du développement durable afin que les engagements de l’État soient tenus ? Autant nous pouvons comprendre les restrictions budgétaires, autant il n’est pas normal que les engagements antérieurs ne soient pas respectés.

Et puisque nous parlons du contrat de développement qui s’achève, je souhaite conclure en évoquant l’avenir, à savoir le contrat qui va démarrer. Je me réjouis des priorités qui sont établies. Je ne doute pas, madame la ministre, que votre visite à Wallis-et-Futuna, en juillet dernier, pour les cinquante ans du Territoire, vous a éclairée sur nos priorités.

Vous avez reconnu que les billets d’avion des collectivités du Pacifique demeuraient trop chers, et vous avez souhaité que l’on puisse agir pour réduire l’écart avec les autres collectivités. L’inscription dans le nouveau contrat de développement, de la nécessité d’agrandir la piste de Futuna, de façon à pouvoir accueillir des avions en provenance de Fidji, me satisfait pleinement.

Voilà, madame la ministre, les quelques points que je souhaitais évoquer à la faveur de ce débat parlementaire sur la mission « Outre-mer », que je voterai bien entendu, en vous remerciant de votre action visant à défendre l’intérêt des ultra-marins dans cette période budgétaire difficile. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)