M. Christian Cambon, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans les quelques minutes qui me sont imparties, au nom de la commission des affaires étrangères, j’aurais voulu pouvoir, à la suite de M. Peyronnet, résumer les 250 pages de notre rapport commun…

Monsieur le ministre, nous avons examiné les crédits de cette mission en cherchant, à budget constant, à redéployer de 300 millions à 500 millions d’euros vers des crédits de subventions à destination des quatorze pays prioritaires désignés dans le document-cadre de coopération au développement. Force est de constater, malheureusement, que les marges de manœuvre sont particulièrement étroites.

Le projet de loi de finances pour 2012 prévoit une diminution des contributions multilatérales et une augmentation des subventions au titre de l’aide bilatérale. Nous nous en félicitons, car nous l’avions demandé il y a un certain nombre d’années déjà.

Nous aurions pu, certes, amplifier le mouvement, mais il faut avoir à l’esprit que le montant de nos contributions détermine notre place dans les conseils d’administration des institutions multilatérales. Les efforts consentis pour limiter nos contributions multilatérales se sont déjà traduits, ces dernières années, par un recul de la position de la France à la Banque mondiale, à la Banque africaine de développement et dans de nombreuses organisations dépendant de l’Organisation des Nations unies. Si nous voulons conserver notre influence sur la programmation de ces institutions, si nous voulons maintenir notre statut à l’ONU, il faut veiller à ne pas trop rogner sur ces contributions. Notre latitude en la matière est d’autant plus limitée, à court terme, que la France a déjà participé à de nombreuses reconstitutions de fonds, qui nous engagent jusqu’en 2013, voire au-delà.

Si l’on se penche sur l’aide bilatérale, qui représente environ 1 milliard d’euros pour les deux programmes, les marges de manœuvre ne sont pas beaucoup plus importantes. Nous pourrions réduire le nombre des pays dans lesquels nous intervenons, mais il faut bien distinguer l’ensemble des zones géographiques dans lesquelles l’AFD intervient en tant que banque et les pays où l’AFD dépense de l’argent public.

Il est vrai qu’il est parfois étrange de voir l’Agence française de développement s’investir en Chine, en Inde et bientôt en Asie centrale. Mais il faut comprendre aussi que, dans ces zones géographiques, l’Agence française de développement exerce une activité de « banque d’influence », fait de la coopération d’intérêt mutuel plus que du développement. Nous croyons même comprendre qu’elle y gagne de l’argent : nous avons beaucoup de mal à savoir combien, mais c’est un point important. De fait, l’effort budgétaire bilatéral est relativement concentré sur l’Afrique subsaharienne et sur les quatorze pays prioritaires.

Dans les grandes masses, il est difficile de trouver des marges de manœuvre. Il faudrait en vérité entrer dans l’examen détaillé de chaque volet de notre coopération pour mieux distinguer ce qui marche de ce qui marche moins bien.

C’est là que l’évaluation doit jouer un rôle central. Il nous faut un budget de la coopération suffisamment souple pour pouvoir être redéployé dans le temps en fonction des priorités, sur la base d’éléments d’évaluation. On nous dit que c’est complexe ; certes, mais l’aide au développement n’a pas le monopole de la complexité.

Nous sommes comptables devant les citoyens et les contribuables des sommes que nous discutons ici. Des outils, des organismes, des évaluations existent. La difficulté est tout autant d’évaluer que de tirer des leçons de l’évaluation et d’adapter nos instruments en fonction des résultats.

Vous nous avez proposé, monsieur le ministre, de nous associer à un exercice d’évaluation de l’ensemble de la politique de coopération. Nous y sommes plus que favorables, et souhaitons même que les choses avancent à un rythme plus soutenu.

La France consacre, proportionnellement, deux fois moins de crédits à l’évaluation que la moyenne des autres bailleurs de fonds bilatéraux. Il faut progresser dans ce domaine, pour produire des évaluations de résultats. On ne peut se contenter d’évaluer le bon déroulement des procédures ou le respect d’objectifs de moyens. On ne peut pas manier des milliards sans mesurer les effets de cet argent public dans les pays que nous aidons.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, nous souhaiterions que vous vous engagiez à mettre en œuvre, en 2012, des évaluations dans les trois domaines suivants.

Concernant les quatorze pays prioritaires, quels sont les moyens mis en œuvre, et pour quels résultats ?

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. Très bien !

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. Quelle est la place de la France par rapport aux autres bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux ? Quel est notre degré de coordination avec eux ?

Par ailleurs, concernant les pays émergents, quels sont nos objectifs ? Quel est le bilan non seulement politique, mais aussi financier, de notre action ?

Enfin, quelle est la cohérence des politiques nationales et des politiques européennes avec les objectifs de notre coopération ? Il faut restituer l’aide publique au développement dans le cadre plus global des politiques et des initiatives ayant une incidence sur le développement.

Voilà trois thèmes que la commission des affaires étrangères souhaite voir traités dans les évaluations décennales et biennales.

Il y aurait évidemment bien d’autres sujets à aborder, notamment la question de la transparence, avec l’adhésion souhaitable de la France à l’initiative internationale pour la transparence de l’aide ou à l’initiative pour la transparence des industries extractives, les questions climatiques, la conférence de Durban débutant aujourd’hui, ou encore la lutte contre la fragmentation de l’aide aux échelons international et communautaire, mais le temps de parole qui m’a été imparti ne me permet pas de le faire…

En conclusion, je vous propose, mes chers collègues, à l’instar de M. Peyronnet, d’adopter ce projet de budget, dans la mesure où il prend en compte les orientations que nous avions formulées quant à la sanctuarisation des crédits et au redressement de l’aide bilatérale. (Applaudissements sur les travées de lUMP et au banc de la commission. – M. Robert Hue applaudit également.)

M. le président. Je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Je vous rappelle aussi que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de trente minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, mes chers collègues, la présence conjointe parmi nous du ministre chargé de la coopération et du secrétaire d’État chargé du commerce extérieur signifierait-elle enfin la reconnaissance d’une corrélation entre le développement et les entreprises ?

L’aide publique au développement s’est engagée, à bien des égards, dans un processus de mutations qui concerne tant les intervenants institutionnels que la structure de nos interventions.

À l’issue de ce processus de mue, l’enveloppe traditionnelle, faite de dons et de subventions, fait place à une peau plus neuve et plus souple, où les activités de prêt ont une part importante. Néanmoins, je ne suis pas sûr que cette nouvelle peau soit déjà confortable…

Comment cette évolution est-elle ressentie au sein de l’Agence française de développement ?

Se comportant à la fois en organisme donateur et en banque de développement, l’AFD subit les convulsions mondiales, qui lui imposent de respecter l’exigence de solidarité internationale et de gérer les biens publics mondiaux.

Dans ces conditions, l’aide publique au développement française perd une grande part de sa spécificité. Son découplage de la stratégie économique nationale à l’égard des grands pays émergents et du monde en développement perd également de sa légitimité, car ni les ministères techniques ni les forces vives de notre pays ne participent aux organes de direction de l’agence.

Je suis heureux, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, de pouvoir vous poser directement la question suivante : allons-nous prendre acte de ces évolutions majeures et engager une réflexion sur la gouvernance de l’AFD, afin de l’intégrer comme opérateur de la politique économique nationale ?

Par ailleurs, le poids économique des pays émergents et la forte croissance enregistrée par certains pays africains donnent une importante dimension commerciale à la problématique de l’AFD, outre la contribution de celle-ci aux objectifs du Millénaire, orientant ses financements vers des infrastructures marchandes comme celles de l’eau, de l’assainissement, de l’énergie.

Je prendrai l’exemple de l’énergie, domaine dans lequel l’AFD intervient au titre notamment de la lutte contre le changement climatique.

L’AFD alloue des prêts, mais d’autres acteurs comme l’ADEME, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, la DGT, la direction générale du Trésor, parfois des entreprises, contribuent à la réalisation des infrastructures, qui seront, à terme, payées par les usagers. Où est la frontière entre commerce extérieur et aide au développement ?

Je prendrai un autre exemple : les problématiques énergétiques sont-elles à ce point différentes en Chine, au Kazakhstan et en Russie pour qu’elles relèvent toutes les trois de situations différentes au regard de l’AFD, et donc d’intervenants et de logiques d’intervention différents ? Seule la Chine voit coopérer la DGT, l’ADEME et l’AFD ; en Russie sont présentes l’ADEME et la DGT, mais non l’AFD ; au Kazakhstan, l’AFD et la DGT sont appelées à coopérer depuis le mois de juin dernier, l’ADEME étant hors jeu : tout cela est-il bien cohérent ?

La réflexion engagée par l’Allemagne a conduit à une intégration plus poussée de son dispositif institutionnel, lui-même traditionnellement plus interministériel que le nôtre. Il est temps, pour la France, d’engager les réformes nécessaires.

Soyons lucides et concrets : l’AFD travaille trop peu en lien avec les entreprises. Or une telle collaboration est absolument indispensable, au regard du pragmatisme et de l’efficacité économique, pour contribuer à combler l’abyssal déficit de notre balance commerciale.

Parmi les quatre priorités retenues par le Gouvernement, je voudrais mettre en exergue l’action en direction des pays émergents.

Les incompréhensibles prêts à la Chine, l’évaluation des marges bancaires en Inde, l’ouverture de l’expérimentation à des pays trop riches pour être éligibles aux prêts de l’AFD sont à l’origine de bien des interrogations. Pourtant, cette priorité donnée aux pays émergents à enjeux planétaires, dont la croissance constitue un élément significatif de la préservation des biens publics mondiaux, est pertinente. Je partage votre analyse, monsieur le secrétaire d’État : c’est en effet un moyen pour réduire des inégalités et insérer ces pays dans le commerce mondial.

De plus, les prêts aux États n’entraînent aucun coût budgétaire pour la France et permettent un fort effet de levier. Je me réjouis de l’expérimentation de l’intervention de l’AFD dans certains pays de l’Asie centrale, région stratégique économiquement et politiquement en raison de ses richesses et de sa proximité avec l’Afghanistan.

La coopération décentralisée peut être un outil fondamental de l’aide publique au développement si elle prend la forme d’une coopération technique. C’est à ce niveau que les projets très importants pour les populations doivent se mettre en place. Il suffit de considérer, par exemple, les actions en matière de santé en Géorgie que vous avez mises en œuvre, monsieur le ministre. Vous l’avez-vous-même relevé à juste titre, la coopération décentralisée est une part essentielle de l’action extérieure de la France.

Enfin, les financements sont devenus plus difficiles, comme dans toutes les missions. La France maintient difficilement l’objectif européen de 0,7 % du revenu national brut consacré à l’APD à l’horizon de 2015. Cette année, notre effort sera de 0,46 % du RNB.

Comme je l’ai souligné à propos d’autres missions, il est vital d’être novateur et audacieux. Je suis convaincu de la pertinence des financements innovants, que l’on s’accorde à considérer comme une dimension déterminante de l’effort international consacré au développement. À cet égard, je citerai la taxe sur les billets d’avion mise en place par certains pays, les dividendes tirés des ventes de quotas de CO2, hélas ! non encore totalement opérationnels en raison des difficultés financières des États, la taxe sur les transactions financières qui fait son chemin et qui a un été un peu plus qu’évoquée lors du G20 « développement ».

Enfin, au-delà de ces financements innovants, je suis persuadé que les fondations philanthropiques, donc privées, vont jouer un rôle de plus en plus important.

Mme Nathalie Goulet. C’est sûr !

M. Aymeri de Montesquiou. Ainsi, la fondation Clinton œuvre en faveur de la santé et des vaccins et la fondation Gates, qui concentre son action sur les innovations en matière de santé, s’ouvre à l’agriculture et à l’alimentation. En effet, nourrir les quelque 7 milliards de Terriens est le défi majeur que nous avons à relever. Le G20 « agriculture » a abordé les questions de la production agricole mondiale, de la sécurité alimentaire et de la lutte contre la volatilité des prix agricoles.

La fondation de l’Aga Khan, exemple emblématique de ces fondations privées, est très présente en Asie centrale. Malgré les difficultés rencontrées dans la stratégie et la gestion de l’aide au développement, l’Aga Khan a pu constater, dans des pays qui se considéraient comme abandonnés par la communauté internationale, la réalisation effective de ses projets dans les domaines de l’éducation, de la formation, de la santé, du développement rural et économique, mais aussi de l’énergie. Comme il a pu l’affirmer, « le développement, ça marche » ! Oui, mais à condition de rendre plus lisible, plus cohérente et plus forte notre aide publique au développement.

En conclusion, je citerai ces propos tenus à Davos par le Premier ministre canadien, M. Stephen Harper : « J’ai pu voir le leadership mondial à son meilleur. L’aperçu d’un avenir plein d’espoir, où nous agissons ensemble pour le bien de tous. […] C’est la “souveraineté éclairée”. »

Le groupe de l’UCR votera ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux d’emblée souligner la qualité du rapport de M. Yvon Collin et de Mme Fabienne Keller et, plus particulièrement encore, celle du rapport de MM. Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon. Je serai plus sévère en évoquant les choix proposés par le Gouvernement…

En ce qui concerne le budget de l’aide publique au développement, les années se suivent et, malheureusement, se ressemblent. Derrière les grands discours et les promesses empreints de générosité, on découvre une triste réalité : l’action de la France n’est pas à la hauteur des enjeux, et surtout de ses engagements.

Alors que la crise enfonce encore un peu plus les pays les plus pauvres dans le chaos, il faut bien admettre que la France considère souvent, à bien des égards, l’aide publique au développement comme une variable d’ajustement de son propre budget.

Au plan mondial, même si notre pays a été, en 2010, le troisième bailleur de fonds, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni, les professionnels du secteur s’inquiètent de la diminution, depuis dix ans, de la part de la France.

En 2010, l’aide publique française au développement a difficilement atteint 0,5 % du revenu national brut, retrouvant ainsi tout juste le niveau des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. En 2011, notre aide ne représentera que 0,46 % du RNB et, pour 2012, vous envisagez « audacieusement », monsieur le ministre, de la porter à 0,5 % du RNB.

Ces chiffres illustrent parfaitement les choix du gouvernement actuel : ils sont sans ambition et emportent des conséquences douloureuses pour les pays concernés.

À de nombreuses reprises, et de façon solennelle, la France s’est pourtant engagée à porter son APD à 0,7 % du revenu national brut en 2015. En raison d’une absence de volonté politique et faute d’une programmation budgétaire adaptée, notre pays, sauf à prendre des orientations sensiblement différentes dans les années qui viennent, n’atteindra pas cet objectif en 2015.

L’excellent rapport de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est d’ailleurs très clair sur ce point. Pour tenir l’engagement pris, il faudrait porter l’APD française à plus de 17 milliards d’euros en 2015, ce qui suppose une augmentation annuelle de l’APD de 17 % de 2012 à 2015 : disons-le, les politiques de rigueur imposées par le Gouvernement rendent cet objectif inatteignable.

Pour avoir une chance de remplir ces engagements, à l’instar du Royaume-Uni, des Pays-Bas ou de la Suède, il aurait surtout fallu, dès 2007, établir un plan budgétaire progressif, en clair une feuille de route !

En privilégiant la visibilité médiatique plutôt que la cohérence, la politique française de l’aide au développement a parfois perdu de sa crédibilité. On constate un manque de cohérence du fait des promesses successives non tenues, mais également un manque de cohérence et de clarté en raison de la dispersion de l’aide française.

D’une part, cette année encore, c’est un véritable projet de budget « fourre-tout » qui nous est soumis, comportant des crédits certes importants et nécessaires, comme ceux qui sont destinés à l’accueil d’étudiants étrangers ou à l’hébergement des demandeurs d’asile, mais qui n’ont sans doute pas leur place dans le budget de l’aide au développement.

D’autre part, la moitié de notre aide transitant par des organismes multilatéraux et européens, la France perd de sa visibilité et compromet son influence. En effet, pour peser dans les nouveaux rapports de force mondiaux, notre pays doit illustrer sa crédibilité par ses engagements financiers. De plus, en abandonnant petit à petit l’aide bilatérale, nous délaissons un élément essentiel de notre rayonnement international.

Je veux également insister sur la mystification que représente une large part de nos crédits.

En effet, la légère hausse de notre APD pour 2012 s’explique par de nouvelles annulations de dettes, lesquelles ont très peu d’incidence sur le développement. Certes, cela constitue une perte de créances pour l’État français, mais, dans la plupart des cas, ces dettes étaient considérées comme irrécouvrables. Par conséquent, je regrette que l’on présente sans nuance ces annulations de dettes comme une aide au développement.

Le Gouvernement a également choisi de poursuivre sa politique, à mon sens dangereuse, de prêts accordés par l’Agence française de développement. En confiant la mise en œuvre de son action en matière de coopération à une agence qui se comporte d’abord comme un établissement bancaire, la France ne démontre-t-elle pas son manque d’ambition, d’autant que certains prêts sont proposés à des conditions de taux et de durée proches de celles du marché ? On peut ainsi légitimement s’interroger sur le caractère d’« aide » de ces prêts et sur le risque qu’ils représentent au regard de la crise du surendettement des pays bénéficiaires de l’aide au développement.

Alors que l’Agence française de développement a élargi ses zones d’intervention de 30 % depuis 2005, je regrette qu’à aucun moment le Parlement n’ait été associé à ces choix stratégiques. Plus généralement, je m’interroge à mon tour sur les moyens que nous nous donnons en matière d’évaluation et de contrôle de l’utilisation et de l’efficacité de l’aide. Ne pourrions-nous pas prendre en compte la méthode pratiquée par d’autres pays – je pense, par exemple, au Royaume-Uni – et adapter nos critères, voire corriger nos éventuelles défaillances, afin de répondre efficacement aux immenses besoins ?

En ces temps d’austérité budgétaire, la France doit montrer l’exemple et encourager la mise en œuvre de financements innovants, plus indépendants des budgets nationaux. La taxe sur les transactions financières est, de ce point de vue, une solution qu’avec d’autres nous préconisons, ici et ailleurs, depuis des années. Les revenus de cette taxe permettraient aussi de compenser en partie les effets d’une mondialisation aujourd’hui dominée par les marchés.

Monsieur le ministre, à l’Assemblée nationale, vous vous êtes réjoui que le communiqué consécutif au sommet du G20 de Cannes fasse, pour la première fois, référence à une taxe sur les transactions financières.

M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération. C’est vrai !

M. Robert Hue. Il est plus que temps de passer des déclarations aux actes ; cette taxe ne doit surtout pas devenir un serpent de mer que l’on met à toutes les sauces !

Je conclurai mon propos en évoquant l’Afrique.

Si la coopération française fait toujours de l’Afrique subsaharienne une zone prioritaire, il n’en demeure pas moins que, dans les faits, les objectifs ont été difficiles à atteindre ces dernières années, en raison de la diminution des crédits de subventions de l’aide bilatérale.

La vérité, c’est que la France – j’entends par là son gouvernement – ne se donne pas les moyens de financer une politique de coopération à la hauteur de ses ambitions. À un moment où l’Afrique noue des partenariats de plus en plus importants avec les pays émergents, il n’est pas compréhensible que la France et l’Europe soient en retrait.

Au final, je constate que ce projet de budget de l’aide publique au développement pour 2012 cache, derrière une sanctuarisation qui ne doit pas faire illusion, un nouveau recul. Ces crédits ne nous permettront pas de respecter nos engagements du Millénaire ni de répondre à des besoins décuplés par une crise financière, climatique et alimentaire gravissime.

Voilà autant de raisons, pour mon groupe, de ne pas voter les crédits de la mission « Aide publique au développement ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en cette période de crise économique et financière, la tentation pouvait être forte d’utiliser l’aide publique au développement comme variable d’ajustement. Aussi est-ce une vraie satisfaction que de constater la préservation de ces crédits dans le projet de loi de finances pour 2012 et le respect des engagements du cycle triennal budgétaire.

Je tiens à saluer la détermination du président Nicolas Sarkozy, qui, notamment lors du sommet du G20 de Cannes, a souligné que la crise ne devait pas être une excuse pour diminuer notre aide publique au développement mais que, au contraire, elle rendait la coopération avec les pays en développement plus nécessaire et urgente que jamais, tant dans leur intérêt que dans le nôtre. Monsieur le ministre, je tiens également à vous remercier de votre grande vigilance sur ce sujet.

Ainsi, l’aide publique au développement est en hausse depuis 2007 et la France est le troisième pourvoyeur mondial d’aide au développement, même si on ne peut que regretter que l’objectif d’y consacrer 0,7 % du revenu national brut, déjà dépassé par certains pays du nord de l’Europe, soit encore loin d’être atteint.

Toutefois, je voudrais attirer votre attention sur deux dimensions qui me semblent avoir été quelque peu laissées de côté dans le présent projet de loi de finances, alors même qu’elles sont au cœur de la stratégie française pour la coopération au développement, telle que définie dans le document-cadre d’avril 2011 : il s’agit, d’une part, de la prise en compte des questions de genre, et, d’autre part, des engagements français au titre de l’initiative pour un socle universel de protection sociale.

« Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes » est le troisième des huit objectifs du Millénaire pour le développement adoptés sous l’égide de l’ONU. La création d’ONU Femmes atteste aussi de l’importance croissante accordée à cette question.

Le document-cadre sur la stratégie française de coopération qualifie quant à lui la promotion du statut de la femme de « haute priorité », soulignant que « celui-ci se révèle un puissant moteur de développement ».

Mais cette priorité doit encore trouver réellement sa traduction en termes de choix opérationnels et budgétaires. À cet égard, je constate que la dimension du genre est cruellement absente de la planification budgétaire pour 2012. Hormis le soutien à l’initiative Muskoka, la prise en compte de cette thématique n’est spécifiée dans aucun des axes prioritaires de coopération présentés dans les documents budgétaires, alors même que les enjeux en matière de lutte contre la pauvreté, de gouvernance ou de codéveloppement appelleraient à des actions spécifiques en faveur du renforcement de la participation des femmes. Cette omission surprend, à l’heure où le rôle des femmes dans les printemps arabes est unanimement salué, y compris par le jury du prix Nobel.

Je me réjouis, bien sûr, que, sur le plan multilatéral, dans le cadre de l’initiative de Muskoka sur la santé maternelle et infantile, la France ait joué un rôle important pour que des financements internationaux soient consacrés à l’amélioration de la santé des jeunes filles et des jeunes mères. Je salue également la dotation de 25 millions d’euros en faveur de cette cause au titre de notre coopération bilatérale.

Toutefois, monsieur le ministre, je voudrais attirer votre attention sur la nécessité de prendre en compte la dimension du genre au-delà de la seule question de la santé des mères et des jeunes filles.

Déjà, en 2007, le document d’orientation stratégique sur le genre réalisé sous l’égide du Quai d’Orsay soulignait la difficulté de la France à prendre en considération, dans son aide au développement, la question du genre en dehors des secteurs de l’éducation, de la santé et de la lutte contre les violences faites aux femmes. Quatre ans plus tard, où en sommes-nous ?

Nous ne pouvons plus considérer les femmes comme un groupe « vulnérable » qu’il conviendrait de protéger. Il est essentiel de voir aussi en elles des actrices stratégiques pour le développement et, en conséquence, de leur donner les moyens d’apporter leur contribution non seulement dans les sphères de la famille et du social, mais aussi dans les choix économiques, politiques et environnementaux.

Mme Fabienne Keller, rapporteur spécial. Tout à fait !