M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout comme la « moralisation du capitalisme », la lutte contre les paradis fiscaux, autre engagement très ferme du Président de la République après l’éclatement de la crise des subprimes et, jadis, l’une des ses priorités affichées, semble avoir quelque peu reculé dans l’ordre des actions à privilégier pour le Gouvernement.

Alors que notre pays ne se trouve plus au cœur même de la crise financière, les promesses faites au sujet de la lutte contre la fraude fiscale semblent s’être envolées. Or, mes chers collègues, si nous souhaitons sortir réellement et durablement de la crise, il convient de s’attaquer fermement aux paradis fiscaux : il y va de la stabilité économique et financière internationale, si nécessaire à la croissance économique.

Faut-il rappeler que la quasi-totalité des fonds spéculatifs – les hedge funds – sont domiciliés dans de tels paradis, et que des mouvements spéculatifs sur les monnaies peuvent s’y développer sans aucun contrôle ? La crise ou plutôt les crises que traverse notre pays depuis quelques années ne nous ont-elles rien appris ?

En outre, n’oublions pas que l’évasion fiscale a de graves conséquences pour les pays en développement et qu’elle est également indissociable de dangers pour la sécurité internationale, tels que le blanchiment d’argent ou le crime organisé. La France avait d’ailleurs insisté, au G20 de Londres, pour que la liste des États « non coopératifs » prenne aussi en compte le degré de lutte contre le blanchiment.

« Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est terminé ! », affirmait Nicolas Sarkozy après le G20 de Londres en 2009. Cette affirmation avait le mérite d’être radicale. Mais où en sommes-nous concrètement aujourd’hui ? La lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, point clé du G20 de Londres il y a seulement deux ans, ne faisait déjà plus partie des priorités du G20 de cette année, lequel était pourtant présidé par la France.

Mes chers collègues, force est de constater que, deux ans plus tard, cette question essentielle est loin d’être résolue. Selon les estimations de certaines ONG, la moitié des échanges commerciaux et des flux financiers transite encore par des paradis fiscaux.

Mme la ministre du budget a pourtant réaffirmé avant-hier, lors de la discussion générale sur le projet de loi de finances rectificative pour 2011, que la lutte contre « toutes les fraudes » demeurait, « au nom des principes républicains », une priorité du Gouvernement.

C’est au nom de ces mêmes principes républicains que nous aimerions que le Gouvernement puisse nous démontrer l’effectivité et, plus encore, l’efficacité des mesures qu’il a prises en matière de lutte contre la fraude fiscale. Certes, la France a signé trente-six conventions bilatérales d’échange d’informations mais, comme Mme Pécresse l’a reconnu ici même mardi, certains de ces États ne se montrent pas réellement coopératifs quand la France demande des informations.

Sans doute des progrès ont-ils été constatés, notamment par l’OCDE : dans son rapport du 2 novembre dernier, cette organisation affirme que toutes les juridictions surveillées par le Forum mondial ont mis en place ou sont en train de conduire des réformes pour se conformer aux standards internationaux. Cependant, ces efforts ne sont toujours pas suffisants pour lutter efficacement contre la fraude fiscale.

Les avancées constatées par l’OCDE sont d’ailleurs très relatives puisque, sur les 700 accords d’échange d’informations fiscales recensés par l’organisation pour l’ensemble des pays évalués, seul un sur trois est entré en vigueur et un sur cinq est conforme aux standards.

En outre, je remarque que le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur cet accord entre la France et le Panama, alors que de nombreuses autres conventions du même type sont en attente depuis plusieurs mois, voire depuis plusieurs années.

Il convient donc de s’interroger sur les raisons d’un tel empressement. Il est clair que des intérêts politiques et économiques sont en jeu ; d’ailleurs, le Gouvernement ne le nie pas. Au moment où des chantiers importants comme la deuxième ligne de métro de Panama ou les grands travaux du canal vont s’ouvrir, l’intérêt d’un tel accord pour certaines entreprises françaises est évident. À cet égard, nous espérons que le chantier du second canal de Panama ne durera pas trente-quatre ans comme le premier et qu’il ne sera pas accompagné d’un scandale comme celui a fait trembler la IIIe République. (Sourires.)

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la lutte contre les paradis fiscaux est un sujet sérieux. Bien sûr, c’est une question d’efficacité économique, mais c’est aussi et avant tout une question de justice fiscale, de moralité et d’éthique citoyenne, qui nécessite la plus grande fermeté. Mes collègues du RDSE et moi-même pensons que cette question ne doit pas être traitée différemment en fonction des intérêts politiques, économiques ou diplomatiques du moment. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste-EELV.)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Absolument !

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je dois tout d’abord avouer que ce n’est pas sans une certaine satisfaction que les sénatrices et sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen constatent que, pour la première fois, la commission des finances a décidé d’inscrire à l’ordre du jour de la séance publique l’examen d’un projet de loi autorisant l’approbation d’une convention fiscale.

Nous avons longtemps cru, mes chers collègues, que nous étions peu nombreux au sein de cette assemblée à nous préoccuper, au-delà de simples considérations formelles, du contenu et du sens de ces projets de loi. Je constate d’ailleurs, aujourd’hui, que seuls les groupes de gauche participent à ce débat : croyez bien que je le regrette ! (M. Jean-Paul Emorine manifeste son étonnement et, d’un geste, montre la présence d’autres sénateurs de l’UMP.)

L’origine de ces conventions fiscales est connue. Il s’agit, depuis 2008, et dans le droit fil des différents sommets internationaux comme des recommandations de l’OCDE, de mener une lutte en apparence déterminée contre les « paradis fiscaux », en procédant à la signature de conventions fiscales établies sous formule type et visant à permettre aux administrations des États à fiscalité « normalisée » de connaître de la situation des contribuables disposant de sources de revenus situées sur le territoire d’un des paradis fiscaux identifiés.

À la vérité, la contrainte s’est avérée limitée puisque le classement des différents pays entre « liste blanche » – où figurent les pays coopératifs à fiscalité normalisée –, « liste grise » – regroupant des pays ayant accompli des efforts encore insuffisants de transparence – et « liste noire » – celle des pays et territoires non coopératifs – a profondément varié, en raison de la signature de nombreuses conventions d’assistance administrative.

De surcroît, les territoires classés sur la « liste noire » pouvaient fort bien remplir leurs objectifs de transparence en multipliant les conventions d’assistance administrative entre eux, pour accroître le nombre de conventions passées sans risque d’application effective susceptible de déranger les habitudes acquises.

Comme par enchantement, selon les instances internationales, le nombre de territoires non coopératifs a baissé de manière particulièrement nette, ne laissant subsister qu’une « liste grise » de quelques pays, dont l’un au moins, l’Uruguay, a pourtant accompli, dans la dernière période, de réels efforts de transparence financière, d’autant plus que son gouvernement, orienté à gauche, a fait de ladite transparence l’une des priorités de son action.

Cela dit, en matière de paradis fiscal, il faut toujours se garder, mes chers collègues, quand bien même en aurions-nous l’opportunité, de ne pointer du doigt que les pays et territoires pour eux-mêmes : si des paradis fiscaux existent, c’est toujours pour deux raisons essentielles.

Premièrement, il s’agit du seul outil de politique économique que les pays concernés, souvent inféodés à des nations bien plus puissantes, ont pu mobiliser pour disposer d’une activité économique en développement et profiter du passage de capitaux plus ou moins importants sur leur territoire.

Deuxièmement, les paradis fiscaux sont l’arrière-cour du monde « civilisé », si j’ose dire, c’est-à-dire l’endroit où les grands groupes, les banques, les trusts et fondations les plus divers des grandes puissances économiques peuvent se livrer, à l’abri des curieux, au règlement de quelques-unes de leurs affaires les plus obscures. Par exemple, le paradis fiscal qu’est toujours Montserrat ne fait sans doute pas la fortune des habitants de cette petite île des Antilles, victimes de l’exode dû à l’explosion de la Soufrière, mais il fait toujours le bonheur de ceux qui font passer quelques écritures comptables et bancaires sur les registres de l’île, pour peu qu’ils soient tenus...

S’il ne fallait apporter qu’une seule preuve à mes affirmations, il suffirait de constater que nombre de paradis fiscaux identifiés comme tels ne sont pas des États indépendants et que la reine Élisabeth II est sans doute chef d’État du plus étonnant échantillon de ces paradis fiscaux, tout simplement parce qu’il s’agit soit des colonies anglaises, soit d’États du Commonwealth.

Dans le cas de Panama, c’est bien cette règle qui s’applique. Depuis que les États-Unis, après le fameux scandale, ont repris la concession du canal ébauché par Ferdinand de Lesseps, ils ont fait du pays, détaché arbitrairement de la Colombie, une véritable colonie américaine. Pendant des années, les États-Unis ont fait la pluie et le beau temps dans le pays du canal, installant les chefs de l’État, dotant Panama d’un pavillon de complaisance, en échange de menues royalties sur l’exploitation de la liaison transocéanique.

En 1968, toutefois, l’arrivée au pouvoir du général Omar Torrijos, officier nationaliste et d’obédience progressiste, a quelque peu corrigé ce tableau puisque les États-Unis ont dû, dans le cadre d’accords signés par le président Carter, accepter la fin de leur concession sur le canal en 1999.

Passons sur les conditions de la disparition fort opportune d’Omar Torrijos, sur les aventures de Manuel Noriega, d’abord soutenu, puis abandonné par les États-Unis, et notons que la récupération de la zone du canal a modifié la donne pour le pays.

L’actuel occupant du poste de président de la République, Ricardo Martinelli, homme d’affaires et propriétaire d’une chaîne de supermarchés, notamment, est d’inclination plus libérale et a, entre autres mesures, fait de l’ancienne zone du canal, autour de Colón, une zone franche fiscale ! Rendez-vous compte : une zone franche dans ce qui est déjà considéré comme un paradis fiscal !

Dans cette affaire, le choix du Gouvernement panaméen est donc clair : continuer et persévérer dans la voie faisant de Panama une plate-forme offshore, destinée à accueillir nombre de manipulations financières occultes, et une bien commode « lessiveuse » pour argent sale.

Il est évident que nous ne pouvons décemment voter, aujourd'hui, le projet de loi autorisant l’approbation de cette convention fiscale et qu’il importe que nous laissions le Panama figurer, pour l’heure, sur la liste des territoires non coopératifs. L’approbation de cette convention est en effet prématurée : il nous paraît absolument nécessaire d’attendre les prochaines évaluations du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, en 2012, pour pouvoir nous prononcer convenablement.

En plus des conclusions très précises de la commission des finances, ces éléments motiveront notre vote négatif sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en tant que sénateur des Français établis hors de France, je me réjouis d’avoir à donner aujourd’hui un avis sur une convention fiscale concernant, en particulier, nos concitoyens installés à l’étranger, en l’occurrence au Panama. En effet, les conventions de ce type ont pour vocation, entre autres, de leur simplifier la vie en leur évitant une double imposition injuste.

Cela étant, je suis surpris de constater, une fois encore, que l’élaboration d’un tel texte ne s’est pas appuyée, en amont, sur l’expertise des conseillers élus à l’Assemblée des Français de l’étranger. Une telle concertation préalable devrait devenir une règle absolue, afin de permettre d’évaluer l’étendue des modifications éventuelles que ces conventions imposent tant à notre dispositif de présence sur place – établissements scolaires, culturels –, qu’à nos entreprises ou aux Français résidant dans le pays concerné.

Cette concertation permet aussi d’évaluer la connaissance, sur le terrain, du fonctionnement des services fiscaux locaux avant de s’engager dans une négociation.

Je me permets de souligner fermement aujourd’hui qu’aucune négociation sur cette catégorie de textes ne devrait se dispenser de ces consultations préalables. Je suis certain, monsieur le secrétaire d’État, que vous saurez mettre en œuvre cette exigence dans le cadre de vos attributions gouvernementales.

Cela étant dit, j’en viens au texte qui nous est présenté.

Permettez-moi, monsieur le secrétaire d’État, de m’interroger sur le contexte d’élaboration de cette convention fiscale, à défaut de m’interroger sur l’absence de Mme la ministre du budget, qui semble être, si j’ose dire, en délicatesse avec l’approbation de ce texte. En effet, Mme Pécresse le rappelait encore il y a quelques jours, Panama figure sur la liste des États et territoires non coopératifs. Cette liste est établie dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et la fraude fiscale, afin d’identifier les pays dont le comportement et les dispositions en matière juridique et d’information fiscale ne permettent pas de mener cette lutte dans des conditions efficaces.

Pourtant, le Gouvernement nous demande d’autoriser l’approbation d’un accord qui permettrait de faire sortir Panama de cette « liste noire » dès le 1er janvier 2012, car ce type d’accord permet en effet à un territoire paradisiaque au regard de la fiscalité de reconstruire sa réputation et de sortir des listes « noires » ou « grises ».

J’ajoute que le Gouvernement est expéditif : discussion à l’Assemblée nationale mardi dernier, au Sénat aujourd’hui, réunion de la commission mixte paritaire prévue la semaine prochaine. Pour ce type de texte, c’est vraiment une procédure précipitée !

On nous annonce que, le 1er février dernier, la République de Panama a modifié sa législation pour rendre son droit des sociétés conforme aux attentes du Forum de l’OCDE, mais le rapport très complet de Mme Nicole Bricq précise dans le détail les raisons qui justifient aujourd’hui notre perplexité quant à la réalité du nouveau cours que le gouvernement panaméen souhaite adopter face à l’évasion fiscale et au blanchiment des capitaux.

Bien entendu, il faut saluer les affirmations actuelles du Panama sur son implication dans la régulation de la finance mondiale, mais nous ne pouvons nous contenter de déclarations d’intention : avant toute approbation de cet accord, un suivi des évolutions annoncées et une période probatoire s’imposent.

L’attitude du Panama vis-à-vis de l’assureur-crédit français COFACE est source d’inquiétudes et de nombreux autres points restent à revoir ou à clarifier : le secret bancaire, le mécanisme d’identification des détenteurs d’action au porteur, des sociétés offshore non sujettes aux règles de la comptabilité locale, de grosses lacunes en termes d’échanges d’informations fiscales, etc.

Tout le monde sait déjà combien il est difficile de mettre en place une coopération judiciaire entre la France et certains États de l’Union européenne pour connaître l’actionnariat réel de sociétés dont le capital est constitué de titres au porteur – nous pourrions, par exemple, parler du Luxembourg. À l’évidence, il sera beaucoup plus facile d’établir de telles coopérations le Panama… (Sourires.)

Face à la rapidité avec laquelle le Panama révise son droit interne, le Forum de l’OCDE reste très perplexe et demande d’attendre 2012 pour signer une telle convention, le temps de voir comment ce nouvel environnement juridique se mettra en place avant de modifier notre attitude à l’égard de cet État.

Tel est d’ailleurs le constat dressé par Mme Aurillac, rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale : « Panama a été examiné en 2010 dans le cadre de la procédure d’évaluation du Forum de l’OCDE sur ses dispositifs législatifs et réglementaires – ce que l’on appelle “ la phase 1 ”. Le Forum, dans son rapport de septembre 2010, a relevé certaines carences […] »

Mais c’est surtout la suite de l’intervention de Mme Aurillac qui doit aujourd’hui retenir notre attention : « Depuis, Panama a engagé des réformes pour remédier à ces carences. Il les soumettra à une commission du Forum qui devrait se réunir début 2012. Ces changements n’ont donc pas été pris en compte par le Forum de l’OCDE pour son rapport remis à l’occasion du G20 de Cannes le 4 novembre dernier, qui classe Panama parmi les onze juridictions qui ne sont pas en mesure de passer à la phase 2 de l’évaluation, c’est-à-dire à l’examen de la coopération effective. »

Quelle raison pourrait donc motiver un changement de position aussi précipité de la part de la France ?

Des éléments de réponse nous ont été donnés lors de la discussion générale de ce texte à l’Assemblée nationale. Par exemple, M. Jacques Remiller, député de votre majorité, monsieur le secrétaire d’État, a donné, dans son intervention, lecture d’un formidable publireportage : « Carrefour régional pour les échanges, le Panama figure parmi les économies les plus dynamiques d’Amérique latine avec un taux de croissance d’environ 8 % en 2011. Son économie “dollarisée” et ouverte sur le monde, sa stabilité, ses zones économiques spéciales et la loi 41 de 2007 facilitant l’installation de sièges régionaux de multinationales, sont autant d’atouts dont dispose le pays pour attirer les investisseurs étrangers. »

Comment s’étonner que de grandes entreprises exercent des pressions pour que le Panama soit retiré de notre « liste noire », afin qu’elles puissent s’ouvrir sans état d’âme aux formidables perspectives de développement de ce marché ? Par ailleurs, ne serait-ce pas le message transmis par M. Ricardo Martinelli, président de la République du Panama, à Nicolas Sarkozy lors de son récent voyage en France, en novembre dernier ?

En une année, probablement pour des raisons d’opportunité commerciale, six pays membres de l’Union européenne ont signé une convention visant à éviter les doubles impositions et deux l’ont déjà ratifiée. À l’heure où l’on parle de convergence fiscale et budgétaire au sein de l’Union européenne, est-il vraiment raisonnable que des États membres participent à une « course à l’échalote » pour obtenir les bonnes grâces d’un pays, en signant dans le désordre des conventions fiscales permettant à ce pays de se racheter une conduite ?

En ces temps difficiles, obtenir des marchés à l’exportation est essentiel pour nos entreprises, mais pas au point d’obliger la France à brader sa politique de lutte contre les paradis fiscaux. Celle-ci doit constituer le cœur des politiques publiques et internationales visant à endiguer la dérégulation financière mondiale, qui est l’une des causes fondamentales de la crise. Sans une lutte acharnée, la sortie de crise ne sera pas envisageable, car la régulation restera impossible. Pour nous, ce point n’est pas négociable.

M. Jacky Le Menn. Très bien !

M. Jean-Yves Leconte. La demande d’approbation que le Gouvernement formule auprès du Parlement est donc bien hâtive. Elle est même assez cocasse, quand on mesure ce que permettent, en termes d’évasion fiscale, les pays aux dispositions législatives proches de celles du Panama et que l’on déclare simultanément inscrire au premier rang de ses priorités politiques la lutte contre la fraude sociale ou fiscale : il y a bien deux poids deux mesures !

Par la faute de certains margoulins, la construction du canal de Panama, certains l’ont rappelé, a failli, il y a plus d’un siècle, emporter notre République. Aujourd’hui, avec cette proposition de ratification précipitée, c’est le dernier vernis de votre crédibilité en termes de lutte contre les paradis fiscaux qui est emporté !

M. Jean-Yves Leconte. Votre hypocrisie dans la lutte contre les paradis fiscaux mérite d’être dénoncée.

Membre de l’Union européenne, la Grande-Bretagne réussit à sauver un statut juridique particulier lui permettant de maintenir des relations privilégiées avec les îles Anglo-Normandes, Gibraltar et certaines îles des Caraïbes... Plus largement, l’approbation de conventions fiscales, loin de mettre fin aux paradis fiscaux, leur offre une seconde vie en leur ouvrant de nouveaux marchés grâce à la sortie des « listes noires » !

Mais pouvait-il en être autrement ? Il eût fallu une réelle volonté politique pour balayer devant notre porte. Avec un peu de chance, le « Karachigate », grâce à la coopération judiciaire internationale qui se met en place à cette occasion entre la France et un certain nombre d’États européens, fera peut-être évoluer les esprits et moralisera notre vie publique. Mais y parviendra-t-on avant la prochaine alternance politique ?

C’est donc en vertu de la nécessité de moraliser les relations économiques internationales que mon groupe appellera à voter contre cette convention fiscale. J’exprime cette position tout en étant soucieux de ce que cela peut représenter pour les Français vivant sur place et pour les entreprises souhaitant travailler au Panama.

Les évolutions annoncées au Panama méritent d’être saluées, mais il nous faut des preuves tangibles de leur réalité avant de graver cette reconnaissance dans le marbre. Tel est le sens de la position que nous sommes conduits à prendre sur ce texte en raison de la précipitation du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais faire part de ma gêne sur ce sujet.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Certes, je ne puis m’associer à certains des commentaires très excessifs que je viens d’entendre et je fais naturellement toute confiance au ministre des affaires étrangères, au secrétaire d’État pour défendre nos intérêts tous azimuts dans le monde. Néanmoins, s’agissant de cette convention fiscale, après avoir examiné le sujet, entendu le rapport de Mme Bricq, je me demande si, à la place qui est la sienne, je n’aurais pas conclu de la même manière. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Sur un sujet technique, chers collègues, je m’efforce de rester sur un plan technique et de ne faire de procès d’intention à quiconque.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Certes, un échange d’informations constitue toujours un progrès, mais de quelles informations s’agit-il, et à partir de quel ordre juridique ? C’est la question qui a été posée.

Même si la commission des finances a bien pris connaissance de l’évolution de la loi panaméenne sur l’exercice du métier d’avocat ou de conseil juridique, il n’en reste pas moins que, sauf erreur de notre part, les sociétés offshore n’ont toujours pas l’obligation de déposer des comptes, a fortiori de les publier, que le régime des actions au porteur ne comporte guère de contraintes et qu’il n’existe pas, par exemple, de registre de transfert pour les valeurs mobilières. Bref, l’ordre juridique panaméen semble toujours, au regard de nos normes, extrêmement lacunaire.

De ce fait, les informations susceptibles d’être transmises par les autorités panaméennes ne sont probablement pas à la hauteur de ce que l’on peut attendre.

La question ne serait sans doute pas très grave s’il ne s’agissait pas du douzième accord, c’est-à-dire de celui qui aurait pour effet de faire sortir le Panama non seulement de la liste de l’OCDE mais surtout de la liste française.

Si j’interviens sur ce point, c’est parce que, avec Jean Arthuis, nous avions activement pris part au débat lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2009. Nous avions d’ailleurs bataillé pour que la Suisse fasse partie de la liste et le Gouvernement nous avait donné des garanties. La situation de la Suisse a fort bien évolué depuis lors.

Bref, il me semble qu’un examen aussi rapide, en fin d’année, ne peut pas nous conduire à une connaissance suffisante du sujet et qu’il serait sage de ne pas voter ce texte. En tout cas, c’est ce que je ferai, à titre personnel.

Cela étant dit, monsieur le secrétaire d’État, peut-être les choses évolueront-elles et le Panama constatera-t-il que son intérêt est de se conformer aux normes internationales en matière de droit des sociétés s’il veut être considéré comme un État parfaitement honorable, où les mœurs qui ont cours dans les affaires sont celles que l’on est en droit d’attendre au regard des règles de l’OCDE.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Édouard Courtial, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez été nombreux – M. Requier, M. Billout et M. Leconte, à la suite de Mme la rapporteure générale – à évoquer la question du calendrier, dont le tempo vous a paru un peu trop rapide.

Vous avez indiqué, madame la rapporteure générale, que le Panama avait déjà fait, en 2002, des déclarations allant dans le sens de la transparence, mais qu’il ne s’était rien passé de 2002 à 2010. Je tiens à rappeler que 2009 était une année électorale pour le Panama et que le nouveau gouvernement a fait beaucoup d’efforts en la matière. La France ne s’est donc pas précipitée puisqu’elle a paraphé cette convention en mai 2010. Jusqu’à la signature, en juin 2011, elle a eu le temps de procéder à des vérifications et de constater non pas une politique des petits pas mais de vraies avancées de la part du Panama.

Cela commence évidemment par la loi « connaîs ton client », adoptée au début de l’année 2011, par laquelle le Panama assurait la disponibilité des informations relatives à l’identité des propriétaires et des bénéficiaires de sociétés offshore, monsieur le président de la commission.

Par une loi de juin 2010, le Panama a levé l’impossibilité de transmettre des renseignements qui ne sont pas utiles pour l’application de son propre droit fiscal. Le Panama a, je le rappelle, signé douze accords fiscaux, avec les États-Unis, l’Espagne, le Mexique, la Corée du Sud, le Portugal, les Pays-Bas, Singapour, la Barbade, le Luxembourg, le Qatar, l’Italie et la France, donc avec des États membres de l’OCDE. Il continue d’ailleurs ses négociations bilatérales.

Enfin, le Panama affiche des progrès concrets et sensibles avec d’autres pays : un programme de formation de son administration fiscale a été engagé avec l’Espagne, et les premières réponses à des demandes de coopération et de transmission de données bancaires ont Été apportées à quatre reprises déjà par le Panama, avec le Mexique, l’Espagne, la Barbade et les États-Unis.

Madame la rapporteure générale, vous évoquiez l’accès du Panama à l’information. Je vous indique que les obligations qui lui sont imposées dans ce domaine vont bien plus loin que ce qui a été obtenu par nos partenaires et sont plus fortes que ce qu’impose le modèle de l’OCDE.

La rédaction de l’article 24-3 du texte est à cet égard sans ambiguïté : toute demande française devra être satisfaite et, si tel n’était pas le cas, nous agirions en prenant nos responsabilités.

Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les éclaircissements que je souhaitais apporter sur le calendrier. Il nous impose aujourd'hui, plus d’un an après les premiers paraphes de la France en bas de cette convention, les vérifications ayant été faites, de mener cette discussion parlementaire avant la mise à jour de notre liste française, le 1er janvier prochain.

Eu égard à la politique panaméenne, qui n’est pas celle des petits pas, comme je viens de le rappeler, à la vigilance que nous allons continuer à exercer et au caractère réversible de notre engagement, si la France ne peut pas se contenter à l’égard du Panama de déclarations d’intentions, elle ne doit pas non plus lui faire de procès d’intention.

M. Alain Gournac. Absolument !

M. Charles Revet. Très bien !

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi adopté par l’Assemblée nationale.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Panama en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu
Article unique (interruption de la discussion)

Article unique

Est autorisée l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Panama en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (ensemble un protocole), signée à Panama, le 30 juin 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, pour explication de vote.